- Delphine Gardin
Musique Vous écoutez du Pin sur la Planche, le podcast qui vous plonge au cœur de la filière forêt-bois. Je suis Delphine Gardin et mon quotidien c'est d'aider les acteurs de ce secteur à mieux communiquer. Qui sont-ils ? Pourquoi le bois est une ressource clé pour relever les défis de la transition écologique ? Si toutes ces questions vous intéressent, vous êtes au bon endroit. ici une fois par mois et sans langue de bois, je vous emmène à la découverte de cet univers et de ses experts.
- Thibault Delesalle
Je m'inscris dans une filière où il y a peut-être eu trois générations de forestiers avant moi et j'espère bien qu'il y en aura encore trois ou quatre après moi.
- Delphine Gardin
Bonjour à toutes, bonjour à tous, bienvenue dans ce nouvel épisode du Pin sur la Planche, le podcast qui vous fait découvrir les femmes et les hommes qui vivent la forêt et le bois au quotidien. Aujourd'hui, on part à la rencontre de Thibault Delesalle, gérant de l'entreprise de travaux forestiers Sylvasphère dans les monts de Lacaune. Un chef d'entreprise qui nous parle sans filtre de son quotidien, de ses machines, de ses doutes et de ce métier qu'il aime profondément. Avec Thibault, on a parlé de technologie parce que oui, dans la forêt, ça innove, de climat, de vision long terme et surtout de ce que ça veut dire aujourd'hui d'entreprendre dans la filière bois quand on est passionné. C'est un échange vrai et inspirant. à écouter si vous voulez comprendre les coulisses d'une profession essentielle, mais encore trop méconnue. Bonne écoute ! Bonjour Thibault !
- Thibault Delesalle
Bonjour Delphine !
- Delphine Gardin
Merci de m'accueillir ici.
- Thibault Delesalle
Avec plaisir.
- Delphine Gardin
Pour commencer, je vais vous demander de vous présenter et de me décrire l'endroit dans lequel on se trouve.
- Thibault Delesalle
Thibault Delesalle, entrepreneur de travaux forestiers sur la commune de Lacaune. Je suis entrepreneur en exploitation, je fais de la prestation de services pour des clients. soit qui achètent du bois sur pied ou alors des clients gestionnaires qui font exploiter par leurs propres moyens pour revendre le bois ensuite une fois exploité à des transformateurs.
- Delphine Gardin
D'accord, et qu'est-ce qui vous a amené à choisir ce métier ? C'est une passion d'enfance ?
- Thibault Delesalle
C'est pas vraiment une passion d'enfance, c'est une passion qui est arrivée sur le tard. Moi j'étais un passionné de chevaux au départ et je suis arrivé un petit peu dans la forêt par la randonnée équestre et puis je me suis retrouvé en école forestière, en BTS gestion forestière. Et du BTS j'ai découvert la mécanisation forestière et les travaux forestiers. Je me suis pris de passion pour le milieu d'exploitation. Et de fil en aiguille, je me suis retrouvé en formation conduite de machine, puis salarié sur une machine de récolte. Et finalement je suis devenu entrepreneur en 2012 en reprenant une entreprise d'un entrepreneur qui partait en retraite sur le Tarn.
- Delphine Gardin
D'accord, donc des chevaux on est passé aux machines.
- Thibault Delesalle
C'est ça. Oui.
- Delphine Gardin
Et alors ? Concrètement, est-ce que vous pouvez m'expliquer en quoi consiste votre travail pour les gens qui ne connaissent pas ce métier d'entrepreneur de travaux forestiers ?
- Thibault Delesalle
L'entrepreneur de travaux forestiers, c'est un métier qui couvre, si on veut prendre le métier dans sa globalité, ça couvre des travaux de préparation du sol et de la plantation, à la récolte finale des bois, en passant par l'aménagement structurel des forêts, que ce soit les pistes, la desserte, l'entretien de la desserte. et également tous les travaux de sylviculture à savoir l'entretien des plantations, la sélection de régénération, l'élagage de plantations en cas de besoin. Donc c'est un métier qui est très large. Nous dans ce métier, on se situe vraiment sur la partie récolte. Donc on est à la fois un outil de sylviculture puisqu'on met en application des décisions de gestion forestière, que ce soit des éclaircies, donc des prélèvements sporadiques d'arbres pour permettre aux hôtes de grossir. Ou alors on fait aussi de la récolte finale, de la coupe rase ou de la coupe de régénération pour le compte des gestionnaires qui ont pris ces décisions de gestion via leur document de gestion. Nous, on est vraiment un outil de sylviculture au départ et en même temps, on approvisionne une filière de transformation en matière puisque chaque arbre qui est coupé est valorisé, ce n'est pas du bois perdu. Donc en fait, on fait le lien entre la forêt telle que tout le monde la voit et l'utilisation du bois tel qu'on le connaît dans les maisons ou dans ses autres utilisations.
- Delphine Gardin
C'est vrai qu'en venant là, je suis passée sur une route où il y avait un chantier en cours et de part et d'autre de la route, il y avait des coupes rases. Donc je pense qu'on pourra en rediscuter un peu parce que ça suscite quand même pas mal de questions chez les citoyens qui sont légitimes les questions. Mais il y a aussi des explications derrière ces pratiques, j'imagine. Et concrètement, une journée type chez Sylvasphère, ça ressemble à quoi ?
- Thibault Delesalle
Alors Sylvasphère, notre entreprise, on est une équipe de 8 personnes, bientôt 9. On a deux personnes, donc mon épouse et moi-même, sur la partie production et gestion de l'entreprise. On s'articule un petit peu sur les deux volets. Ensuite, on a deux personnes sur l'abattage mécanisé, sur la machine de réaction. Nous avons deux débardeurs, bois court et bois long. Et nous avons ensuite deux bûcherons, bientôt un troisième qui va arriver en juillet. Donc deux bûcherons avec un débusqueur. Donc un débusqueur, c'est un gros tracteur à treuil, qui eux, oeuvrent davantage dans les pentes, dans les très gros bois, dans les zones un peu particulières, où en fait on ne peut pas forcément accéder avec le matériel classique.
- Delphine Gardin
C'est vrai qu'il faut préciser qu'on est dans les Monts de Lacaune, et que ce n'est pas plat ici, ce n'est pas la Normandie. Ce n'est pas plat,
- Thibault Delesalle
ça ne penche pas très fort. Mais on ne peut pas dire que ce soit plat. Il y a toujours des particularités, quels que soient les chantiers. Et donc, en fait, la machine de récolte travaille en deux postes de 8 heures. Donc le premier poste attaque à 5h30. Donc de 5h30 à 20h30, la machine tourne. Et ensuite, à 7h30, les autres équipiers rentrent en action. Donc les débardeurs récupèrent le bois coupé sur les chantiers. Ce sont des gros tracteurs 8 roues motrices. qui ramasse le bois à l'aide d'une grue, qui le charge dans des berces, dans un panier, et après qui l'empile au bord de la route par tri de qualité. Donc eux font ça, et ensuite on a les bûcherons qui préparent en amont, avant l'arrivée de la machine, les chantiers à venir, avec le câble. Comme ça, quand on arrive avec la machine de récolte, on est déjà productif même dans les zones délicates.
- Delphine Gardin
D'accord. Et alors ces machines, notamment la machine d'abattage, j'imagine que c'est un sacré investissement. Oui.
- Thibault Delesalle
Oui, ce sont des machines aujourd'hui qui coûtent, on va dire pour les plus petites, autour de 600-620 000 euros hors taxes. Tous les prix qu'on va exprimer sont hors taxes. Et pour les plus grosses et mieux équipées, on est au-delà de 650 000.
- Delphine Gardin
D'accord, oui.
- Thibault Delesalle
D'où en fait l'importance de la faire tourner en deux postes de 8 heures, en deux vitres.
- Delphine Gardin
Et moi, ce que j'aimerais bien comprendre, c'est est-ce qu'aujourd'hui, une entreprise de travaux forestières, elle ne peut pas se passer d'une machine d'abattage ? Est-ce que ça vient remplacer les bûcherons manuels ou est-ce que c'est complémentaire ?
- Thibault Delesalle
Non, alors en fait la mécanisation de la récolte c'est une question qui s'est posée avec l'évolution des peuplements du Fonds Forestier National qui avait été à l'époque des plantations aidées par l'État, majoritairement résineuses. Et l'industrialisation, la transformation a nécessité de mobiliser des volumes de bois plus conséquents, plus rapidement. Parallèlement, les bûcherons, on en a eu de moins en moins. C'est un métier qui est quand même particulièrement difficile. Il faut s'imaginer que là, on est au mois de mars. Un bûcheron, au mois de mars, il ne peut pas forcément travailler tous les jours, dans des conditions souvent très pénibles. À l'époque où les machines ont été créées, c'était du petit bois, donc il fallait empiler le petit bois dans des conditions... Il ne gagnait pas la vie, c'est-à-dire qu'il ne faisait pas de rendement. Il fallait empiler, mal au dos, le danger. Et donc les différents pays européens, ça a été d'une part les Scandinaves, les Français ont essayé aussi de concevoir des machines qui n'ont pas toujours été très performantes. On a créé des machines de récolte de bois. A la base, ce qui ne faisait qu'abattre ou que façonner les billons. Et puis petit à petit, on est arrivé sur des machines combinées, dans les années, fin des années 80, début des années 90. Et ça s'est réellement développé en France, quand il y a eu les tempêtes de 99, l'Otar et Martin. Là, on a atteint des taux de mécanisation dans certaines régions qui étaient autour de 60-70%, ce qui était déjà énorme au début des années 2000. Et petit à petit, finalement, les machines d'abattage ont pris de plus en plus de place, se sont mises à faire des bois de plus en plus gros. Et contrairement à ce qu'on pourrait croire, ce n'est pas forcément au détriment des bûcherons, c'est juste qu'il a fallu aussi pallier à la pénibilité d'un métier qui n'attirait plus, qui ne créait plus de vocation. Et aujourd'hui, finalement, les bûcherons qu'on a, souvent, sont là pour faire ou la très belle qualité ou les gros bois dans les pentes qu'on peut pas forcément faire à la machine. Et ça amène un plus parce que finalement on arrive à un travail beaucoup plus fin sur certaines zones au bûcheronnage. C'est pas inintéressant de travailler de cette manière là. Mais les machines sont venues pallier un manque. Et elles répondent parallèlement à un besoin croissant de l'industrie du bois, parce qu'il faut quand même pas être hypocrite. On est là pour produire une matière première. Une industrie du bois qui se développe, on a des besoins en bois qui sont croissants. Ça va du papier pour écrire au papier hygiénique, en passant par l'ameublement, la construction, l'emballage. On est dans un monde qui en consomme de plus en plus et qui est très demandeur de cette matière-là.
- Delphine Gardin
Oui, surtout si on veut continuer à décarboner l'économie et le secteur de la construction, il va falloir quand même... Produire du bois et l'utiliser dans les bâtiments ?
- Thibault Delesalle
Disons qu'on peut quand même légitimement mettre en avant le bois dans la mesure où, contrairement aux autres matériaux, on est sur une matière renouvelable. Alors certes c'est parfois long, mais ça reste une matière renouvelable. On est sur une matière qui mécaniquement apporte énormément de bénéfices. de souplesse et d'élasticité, de capacité de portée de charpente, de construction, de beauté aussi, parce que c'est quand même un matériau qui est très beau, très chaud. C'est un matériau qui est bourré davantage, que ce soit mécaniquement, que ce soit esthétiquement, que ce soit écologiquement. Qu'est-ce qu'on préfère ? Est-ce qu'on préfère travailler un arbre qui repoussera, ou creuser des sablières et faire du béton avec des sablières, qu'on sorte des rivières ? C'est une question qu'on peut se poser légitimement ?
- Delphine Gardin
On ne se pose plus la question.
- Thibault Delesalle
Et on ne se pose plus la question finalement.
- Delphine Gardin
Et alors comment vous savez, quand vous êtes en forêt, quel arbre il faut couper et quel arbre on laisse sur place ? Est-ce que c'est vous qui décidez ? Est-ce que c'est des ordres que vous avez reçus des propriétaires ? Comment ça fonctionne ?
- Thibault Delesalle
On a la chance d'être dans un pays où la gestion est très encadrée. On ne fait pas ce qu'on veut. Toutes les forêts, en tout cas la plupart, sont quand même soumises à des documents de gestion. Donc on est là pour répondre à des exigences qui sont imposées par des gestionnaires forestiers, que ce soit des gestionnaires privés ou publics, peu importe.
- Delphine Gardin
Donc ça c'est les experts, les coopératives, l'ONF ? Les experts,
- Thibault Delesalle
les coopératives, les gestionnaires publics, donc l'ONF, les gestionnaires de la Caisse des dépôts et consignations, toutes ces personnes qui sont en charge de rédiger les documents de gestion et les faire appliquer. qui vont identifier, alors la plupart du temps, ils identifient eux-mêmes les arbres qu'ils ont inventoriés au préalable, qu'il faut couper ou délimiter les coupes si c'est une grande coupe de récolte ou coupe de régénération.
- Delphine Gardin
Et donc dans ce cas-là, les arbres, ils sont marqués ?
- Thibault Delesalle
Oui, ils sont marqués ou au marteau ou à la bombe.
- Delphine Gardin
D'accord.
- Thibault Delesalle
Parfois, dans les arbres, dans les peuplements de moindre valeur, on peut être amené à avoir une autodétermination des tiges à prélever. On éclaircit, ça devient de plus en plus rare parce qu'on a des forêts qui commencent à arriver un peu à maturité. Aujourd'hui les gestionnaires préfèrent ceux qui sont chez le choix du prélèvement.
- Delphine Gardin
Et ces forêts des Monts de Lacaune, donc vous, vous travaillez principalement ici, à quoi elles ressemblent ?
- Thibault Delesalle
On est sur de la forêt qui ressemble typiquement à la forêt française dans son ensemble, parce que finalement on a les mêmes proportions, on est sur des forêts qui sont à deux tiers composées de feuillus et à un tiers de résineux. C'est de la forêt qui est vallonnée, on est sur de la forêt de moyenne montagne, puisque Lacaune c'est à peu près à 900 mètres d'altitude. On a des cols à 1000 mètres, on a quelques hauteurs un peu au-dessus. Donc le feuillu on est majoritairement sur des peuplements de hêtres. Et le résineux ce sont des plantations issues du Fonds Forestier National, comme je l'expliquais tout à l'heure, qui sont composées, alors c'était composé majoritairement d'épicéas et de douglas. L'épicéa tend à disparaître pour des problématiques sanitaires. Il reste quand même beaucoup de Douglas, il y a un petit peu de pin, il y a un petit peu de mélèze. Et aujourd'hui, on part sur des peuplements qui sont peut-être plus adaptés aux changements climatiques, plus de pin, un petit peu de cèdre, davantage de feuillus. Il y a une diversité qui va commencer à s'installer.
- Delphine Gardin
Et ces bois que vous coupez, vous coupez principalement les résineux ?
- Thibault Delesalle
Oui, nous on fait 90% de bois résineux.
- Delphine Gardin
Et vous savez après à qui vous les vendez, mais surtout comment ils vont être transformés, à quoi ils vont servir ?
- Thibault Delesalle
Alors nous, pour préciser, on ne vend pas le bois, on ne travaille qu'en prestation. Et donc à 80% ils seront transformés pour la construction.
- Delphine Gardin
Moi j'avais envie de savoir qu'est-ce qui vous motive au quotidien, c'est quoi en fait ce qui vous donne envie d'aller travailler tous les jours ?
- Thibault Delesalle
Moi je suis un passionné de mon milieu de travail, je suis un amoureux de la forêt et ce qui me motive c'est, déjà on a un bureau qui change toutes les semaines, perpétuellement, et même quand on revient dans les mêmes endroits, on s'aperçoit que ça a changé depuis la dernière fois. Ce qui me motive c'est de travailler dans un cadre qui est magnifique. Dans un environnement qui me plaît, parfois les journées sont rudes, le climat est rude, mais finalement c'est bien, ça remet aussi un peu à sa place. Je suis aussi motivé de travailler avec les gens avec lesquels je travaille, on a une équipe qui est formidable, et je tiens à les remercier, à leur rendre hommage là, parce que c'est pas toujours facile, et c'est une belle équipe, donc c'est très motivant. Donc le cadre, le matériel, on a des clients qui sont assez exceptionnels, on a des clients qui ont un... Un vrai sens forestier aussi, et c'est important. Je pense que travailler avec des gens qui souhaitent aller dans la même direction que soi, c'est quand même essentiel. Et donc, l'ensemble de ces choses-là fait que je ne peux pas me lasser de mon métier, en fait.
- Delphine Gardin
C'est super. Les clients, vous l'avez dit, c'est l'ONF et la Caisse des dépôts, principalement.
- Thibault Delesalle
Alors, on travaille pour trois clients principaux qui sont l'ONF, du Tarn, la Société Forestière de la Caisse des dépôts, qui est une filiale de la Caisse des dépôts et consignations.
- Delphine Gardin
Peut-être qu'on peut expliquer ce que c'est que la Caisse des dépôts. Je ne sais pas si tout le monde connaît.
- Thibault Delesalle
Je ne suis pas un spécialiste, mais la Caisse des dépôts... C'est la trésorerie de l'État, c'est un organisme qui gère à la fois nos livrets A, à la fois certaines caisses de retraite, certaines caisses d'assurance. C'est une institution de trésorerie de l'État. Et il se trouve qu'ils ont une obligation de diversifier leur emplacement, et donc ils ont une partie de leur emplacement en forêt, et généralement de la très belle forêt. Donc ça c'est notre second gros client et ensuite on a un gros client qui est le groupe Piftofarge, qui est donc spécialiste du sillage pour la construction. Notamment en Douglas, on travaille beaucoup pour la Syrifarge de Corrèze, qui achète beaucoup de bois ici et qui fait essentiellement du bois pour la construction. Lames de terrasse, bardage, charpente.
- Delphine Gardin
Et vous m'avez expliqué qu'en fait le travail avec eux, vous vous mettez dans une vraie dynamique de gestion durable. Est-ce que vous pouvez m'expliquer vraiment comment ça se traduit sur le terrain ?
- Thibault Delesalle
De fait, l'ONF ça se traduit dans la mesure où ce sont des gens qui ont déjà une politique de gestion durable en interne, via PFC, et puis c'est quand même, ils ont une gestion en bon père de famille, comme on dit. Ils ont des forêts très diversifiées, ils ont des objectifs à très long terme, ce sont des gens... qui ont une visibilité de la gestion forestière qui est sur une échelle de temps un petit peu différente de beaucoup de gestionnaires privés. La Caisse des dépôts et consignations, c'est pareil, on a une gestion, même si c'est un organisme de placement, ils ont quand même des gestionnaires qui sont très attachés à leur patrimoine forestier, qui font très attention à ce qu'ils font, et aujourd'hui, d'ailleurs, la société forestière s'est faite certifiée FSC, dernièrement. Je pense que cette démarche-là est quand même importante. Et aujourd'hui, on le retrouve dans leur manière de gérer les chantiers, dans la surface des coupes réalisées, dans les choix de gestion à long terme, dans les choix de plantation. On retrouve réellement cette notion-là. Et après, la scierie-farge, eux, s'intègrent dans la gestion durable de manière directe et indirecte, dans la mesure où on ne travaille pas sur des forêts qui leur appartiennent directement, mais néanmoins dans leur politique et dans les pratiques qu'on a avec eux, on est dans une politique de gestion durable, effectivement.
- Delphine Gardin
Et alors vous, vous avez aussi fait le choix d'être certifié PEFC et Cali Territoire. Peut-être qu'on peut expliquer déjà ce que c'est PEFC, et puis surtout pourquoi c'est important pour vous d'avoir entamé ces démarches et puis d'être certifié.
- Thibault Delesalle
Donc PEFC, c'est une certification de gestion durable. qui est une certification européenne, contrairement à FSC qui est davantage une certification mondiale. PEFC, l'importance pour nous, alors les entrepreneurs ne pouvaient pas être certifiés PEFC jusqu'en 2018, quelque chose comme ça. Et nous, nous avons fait ce choix en 2020 de se faire certifier PEFC pour la bonne raison que, déjà, c'était une manière de valider un petit peu nos pratiques. On peut toujours dire qu'on est propre, on peut toujours dire qu'on a des pratiques qui sont correctes, mais si à un moment donné on ne les confronte pas à une réalité, à un référentiel officiel, et qu'on ne les fait pas officialiser, finalement qu'est-ce que ça veut dire ?
- Delphine Gardin
Vous avez un exemple de pratiques propres ou correctes ? Oui,
- Thibault Delesalle
on en a plusieurs. Déjà on ne fonctionne qu'en lubrifiant hydraulique bio, et en lubrifiant de coupe bio également. Les lubrifiants de coupe sont quand même des huiles perdues, il faut le savoir. C'est des huiles qui sont destinées à... comme elles sont sur les chaînes de coupe, pas nécessairement à un moment donné elles partent dans la nature. Donc pour nous il était important qu'on soit en lubrifiant bio. sur la coupe et cela depuis maintenant 2014. Donc c'est quand même un engagement qui est un petit peu ancien.
- Delphine Gardin
J'imagine que ces lubrifiants sont plus chers que des... Pas forcément. Non ? Même pas ?
- Thibault Delesalle
En hydraulique, oui. En hydraulique, on a des tarifs qui sont doubles de l'hydraulique minérale. Par contre, en huile de coupe, on est sur des tarifs qui sont similaires. On a également une politique d'arrêt des chantiers quand les conditions sont trop mauvaises. Je pense que la filière maintenant évolue largement vers ça, mais ça n'a pas forcément été la règle pendant longtemps. Nous, dès qu'on sent que les sols sont trop sensibles ou que ça ne va pas forcément être correct pour le milieu, ou en tout cas pour l'aspect du chantier, on arrête. C'est un principe. Soit on change de chantier, soit on arrête purement et simplement.
- Delphine Gardin
Donc vous perdez de l'argent, quoi. On perd la production, on fait le clair.
- Thibault Delesalle
Mais je pense qu'on le récupère dans la confiance que les clients mettent en nous. Je pense que nos clients apprécient cette démarche-là dans la mesure où on respecte leur milieu aussi. C'est aussi notre réputation. On a aussi une politique de remise en état des chantiers après coupe. Donc quand il y a 6 dégâts, il y a, et quand il y en a, on remet en état. C'est comme ça, c'est une règle.
- Delphine Gardin
Ok. Vous m'avez aussi parlé de technologies assez innovantes pour suivre la gestion de vos chantiers.
- Thibault Delesalle
Oui.
- Delphine Gardin
Je suis curieuse de... Oui,
- Thibault Delesalle
en 2014, on a mis en place la cartographie embarquée dans les engins.
- Delphine Gardin
Donc dans chaque machine, il y a un GPS ?
- Thibault Delesalle
Dans chaque machine, on a un logiciel de cartographie embarqué avec un GPS qui permet à la fois de récupérer des informations que les clients peuvent nous transmettre, des informations géolocalisées, cartographiques, ou alors que nous, on intègre au chantier à la préparation.
- Delphine Gardin
Donc les plans, des parcelles ? Oui,
- Thibault Delesalle
des plans de parcelles, des points particuliers, des zones où on a des obstacles, des zones de traversée de ruisseaux, des zones humides, des zones de régénération, tout ce qui peut être. identifiable géographiquement et donc ces informations là apparaissent à l'écran des machines et ensuite la machine quand elle coupe un arbre géolocalise le bois qu'elle récolte et par tri de qualité donc ça permet en fait aux engins de débardage qui peuvent arriver avec un décalage plus ou moins important de se repérer dans la coupe de repérer les passages, de repérer les qualités de bois et leur répartition dans la parcelle en cas de besoin. Tout ça, ça permet d'optimiser à la fois la production, ça permet de faire un travail plus propre, parce que quand on sait qu'une zone est sensible, d'office on ne va pas s'y aventurer, c'est quand même pas plus mal, ça évite les problèmes, et ça permet aussi de définir parfois des tracés. bien particulier pour justement passer toujours à un endroit et pas rouler un peu partout dans la parcelle et on irait partout et donc ça permet de déterminer les voies de vidange et d'avoir une traçabilité.
- Delphine Gardin
Une traçabilité des bois.
- Thibault Delesalle
Des bois. Et cette traçabilité cartographique, donc elle part de la coupe, ensuite on peut éventuellement faire figurer des piles de bois sur la carto et ce portail cartographique est également ouvert à nos clients. qui leur permet d'avoir un accès à distance à la production en cours et réalisée, ce qui permet de gérer les flux de bois pour eux aussi.
- Delphine Gardin
Ce qui veut dire que quand le bois arrive en Syrie, on peut identifier la parcelle, voire même le point GPS où il a été prélevé.
- Thibault Delesalle
Donc si on sait de quel chantier vient le camion, on peut savoir que ce camion-là vient de cette parcelle-là et de ces bois-là.
- Delphine Gardin
C'est hyper poussé.
- Thibault Delesalle
Oui, c'est un outil qui nous permet, aujourd'hui on ne sait plus faire sans. Je pense que nos clients sont attachés à ça aussi.
- Delphine Gardin
Et c'est un outil qui est beaucoup utilisé dans les entreprises ou finalement vous savez quand même assez ?
- Thibault Delesalle
Alors ça commence à être un petit peu généralisé en tout cas dans l'installation. Maintenant dans l'utilisation telle que nous on l'a, jusqu'à il y a peu on était quand même très en avance. Et je pense qu'aujourd'hui encore assez peu d'entreprises l'intègrent comme nous on l'a intégré. Même nos bûcherons aujourd'hui utilisent ce système là pour intégrer les informations quand ils travaillent. Ça permet de communiquer même au sein de l'équipe, d'avoir une communication, une traçabilité du travail des uns et des autres. Et ça permet de savoir qui a travaillé où et qu'est-ce qu'il a préparé pour quelle personne. Donc finalement, ça simplifie le travail de tout le monde, ça fluidifie beaucoup les tâches.
- Delphine Gardin
Donc les bûchons, ils ont ça sur leur téléphone ?
- Thibault Delesalle
Oui, ils ont ça sur leur téléphone. Alors, ce n'est pas un traçage GPS pour eux. Eux, ils ont juste accès au portail où ils intègrent des informations. Quand ils stockent des piles de bois pour un engin ou qu'ils nous préparent des zones qu'ils ont finalisées, ils peuvent faire figurer les zones qu'ils ont finalisées. Comme ça, on sait que derrière, ça, c'est fait. On a pu y revenir. C'est fini. Même pour le client, il sait où on est. Il sait ce qu'on a fait. Et c'est bien.
- Delphine Gardin
Et puis, on est quand même assez loin de l'image ancienne du bûcheron avec sa petite hache ou sa tronçonneuse. Très loin.
- Thibault Delesalle
On a un métier qui a beaucoup évolué.
- Delphine Gardin
Oui, qui s'est modernisé, qui est moins pénible.
- Thibault Delesalle
On a un métier qui est passé d'une époque où on avait des gens qui avaient du mal à survivre, il y avait un taux de mentalité qui est quand même assez élevé, une espérance de vie qui était relativement courte.
- Delphine Gardin
Avec les accidents.
- Thibault Delesalle
Avec les accidents, avec aussi une usure du corps, des troubles musculosquelétiques qui étaient assez importants. Je pense qu'un bûcheron qui avait bûcheronné pendant 40 ans de sa vie et empilé du bois à la main. Il n'avait pas forcément la même santé à 60 ans qu'aujourd'hui un chauffeur de machine qui va faire ça pendant 40 ans. C'est un métier qui est devenu plus agréable, plus confortable, certes qui nécessite davantage peut-être de connaissances techniques, pour toutes les raisons qu'on peut imaginer, que ce soit mécanique, que ce soit de la technique de franchissement, que ce soit de la technique forestière, parce que je pense qu'on nous a aussi responsabilisés davantage. Nos clients responsabilisent maintenant davantage les entrepreneurs qu'à une certaine époque. Mais c'est un métier qui est quand même devenu plus facile à vivre.
- Delphine Gardin
Et justement, on parle de cette évolution et quand on a échangé au téléphone la dernière fois, vous aviez un discours assez humble face au travail de vos prédécesseurs. Est-ce que vous pouvez m'expliquer pourquoi c'est important pour vous de respecter tout le travail des anciens ?
- Thibault Delesalle
Quand on arrive dans une parcelle, nécessairement, il y a... Pas mal de gens qui sont passés par là avant nous.
- Delphine Gardin
La forêt ne s'est pas construite toute seule.
- Thibault Delesalle
Que ce soit la plantation, que ce soit l'aménagement des pistes, que ce soit les éclaircies qui ont été faites précédemment, il faut y penser parce que déjà ils n'avaient pas forcément les mêmes moyens que nous. Et ce qu'ils ont fait, si on arrive encore à y travailler, c'est qu'ils l'ont bien fait. Et il faut le respecter. Je pense que c'est un métier où on s'inscrit dans le temps long, on s'inscrit dans une durée qui nous dépasse complètement. Moi je sais que notre milieu de travail me dépasse complètement.
- Delphine Gardin
Pourquoi ?
- Thibault Delesalle
Parce qu'en fait, je m'inscris dans une filière où il y a peut-être eu trois générations de forestiers avant moi et j'espère bien qu'il y en aura encore trois ou quatre après moi. Il y a la relève ? J'espère qu'il y a la relève, en tout cas dans notre équipe elle y est. Mais c'est quand même une vision assez vertigineuse de se dire qu'on ne verra pas forcément le fruit de son travail.
- Delphine Gardin
Le cycle de vie d'une forêt ou d'un arbre, c'est combien ? Ça dépend,
- Thibault Delesalle
dans le feuillu, je pense qu'on peut parler en... En plusieurs siècles, 200-250 ans, dans le résineux, localement, sur le Tarn, on est sur des futés qui vont aller de 50, 60 à parfois plus de 100 ans selon les gestionnaires, sachant que je pense qu'on va quand même vers une évolution dans le temps où on va laisser vieillir un peu plus les forêts pour des problématiques d'adaptation au réchauffement climatique. Je pense qu'aujourd'hui les gestionnaires sont tous d'accord pour limiter... certaines coupes comme on faisait avant et qu'on fera de moins en moins et augmenter la régénération et donc faire durer les cycles davantage de temps mais ça il faut en avoir confiance quand on fait ce métier là je sais que je peux repasser parfois dans les parcelles où je suis passé 20 ans en arrière ça m'arrive mais je sais que je ne verrai pas forcément la fin de mon travail mais quelque part c'est ce qui est beau quoi et c'est aussi ce qui me pousse à faire quelque chose de propre c'est que je me dis qu'il faut que je laisse une bonne image de ce que j'ai fait à ceux qui passeront après De la même manière que je trouve que ce qui a été fait avant c'est bien.
- Delphine Gardin
Alors on allait voir en arrière, maintenant on va regarder un peu ce qui se fait dans la filière forêt-bois et puis comment elle évolue, parce que la filière forêt-bois c'est comme tout secteur économique, elle est en perpétuelle évolution et quelles transformations vous avez pu observer ces dernières années ?
- Thibault Delesalle
Moi ça fait 20 ans que je travaille dans la filière bois et en l'occurrence sur les Monts de Lacaune. C'est assez flagrant les changements qu'il y a eu parce que... Il y a 20 ans, on parlait déjà beaucoup moins des problèmes climatiques. On avait moins de problèmes parasitaires. Donc les gestionnaires se posaient sans doute beaucoup moins de questions. On était sur des schémas, on a hérité de schémas, toujours le FFN, le Fonds Forestier National, on a hérité de ces schémas des années 50.
- Delphine Gardin
Donc juste peut-être, on va réexpliquer le FFN.
- Thibault Delesalle
En fait, c'était après-guerre, pour participer à l'effort de reconstruction de notre pays. On avait un exode rural massif, donc des terres agricoles qui étaient abandonnées. Et l'État avait envisagé qu'il fallait reboiser la France pour avoir de la matière et du matériau pour l'avenir, pour récupérer de l'autonomie. Et donc on proposait aux agriculteurs qui quittaient leurs terres, ou qui en tout cas ne les exploitaient plus, de planter sur ces terres qui étaient abandonnées, plutôt que de les laisser partir en friche. L'État fournissait des plans et permettait l'entretien les premières années, et puis on allait avoir des forêts qui permettraient d'avoir du bois dans les décennies qui viendraient. Et donc le Tarn a été le deuxième département à bénéficier de ce plan de subvention massif, en tout cas de ce plan d'aide. Et du coup, c'est pour ça qu'on a eu des forêts qui sont magnifiques. Alors à l'époque, forcément, majoritairement, on a reboisé en résineux à croissance rapide pour avoir du bois le plus rapidement possible.
- Delphine Gardin
Oui, parce que c'est le bois qu'on utilise le plus pour la construction aussi.
- Thibault Delesalle
Par exemple, oui, c'est ça. Donc on a hérité de ces politiques-là où on était parti, à l'époque, on n'avait pas de recul, on était parti sur des monocultures. sur des centaines d'hectares avec une seule essence, des schémas sylvicoles bien particuliers. Et comme la forêt, on réfléchit toujours sur le temps long. Ma foi, nous, quand on a récupéré ça, moi je suis arrivé dans le milieu en 2005, on a hérité de ça et il n'y avait pas de question à se poser, on était dans ces schémas-là. 20 ans après, on s'aperçoit quand même que ces schémas ont leurs limites, que ce soit par rapport au climat, que ce soit par rapport aux parasites, que ce soit par rapport aux paysages tout simplement. Il faut les faire évoluer, mais ça ne se fait pas comme ça, en un claquement de doigts. Donc maintenant, je pense que depuis une dizaine d'années... Les gestionnaires ont pris conscience de ça, travaillent différemment. Il y a une évolution dans les schémas de plantation, il y a une évolution dans les schémas de récolte. On fait de plus en plus de coupes de régénération naturelle. On fait de moins en moins de coupes rases importantes. Quand on les fait, c'est qu'on ne peut généralement pas passer à travers. C'est qu'on est un petit peu obligé pour des problèmes de parasites, pour des problèmes d'impossibilité de régénération.
- Delphine Gardin
Donc en fait, quand il y a des coupes rases, c'est où que les bois sont infestés, notamment les scolites ?
- Thibault Delesalle
Oui.
- Delphine Gardin
Ou que les bois sont arrivés à maturité et comme ils ont été tous plantés en même temps, en gros il faut les récolter, c'est ça ?
- Thibault Delesalle
La notion de maturité est très relative, mais par exemple on va prendre des futés de monoculture d'épicéa commun, la régénération naturelle de l'épicéa commun, pour quelqu'un qui est dans la filière, en tout cas en moyenne montagne ou en plaine, c'est pas forcément un schéma qui est viable, il faut être clair, donc on ne peut pas l'envisager, donc il faut envisager un renouvellement du peuplement. Et donc à ce compte-là, repartir sur une coupe rase, alors peut-être pas sur des surfaces qui correspondent aux massifs qui avaient été plantés à l'époque, mais sur un hectare, deux hectares, trois hectares, et puis repartir sur des parquets de trois hectares avec différentes essences. Peut-être que dans la durée, on arrivera sur des schémas différents. Mais ça, c'est pareil, ce sont des choix qui sont faits maintenant, et on n'en aura les fruits que dans 50-60 ans. Le Douglas, aujourd'hui, selon les sols, selon les stations, selon l'orientation topographique, on arrive... par endroits à faire de la régénération, mais c'est pas non plus une généralité. On peut avoir des stations où le Douglas, aujourd'hui, subit les problèmes du réchauffement climatique. Donc la régénération n'est pas forcément une solution. Donc il y a tout un tas de situations où en fait la coupe rase, elle est un petit peu inévitable. Hélas, même nous ça ne nous fait pas plaisir. Un jour, moi j'ai un étudiant qui m'a demandé pourquoi je préférais faire des éclaircies plutôt que des coupes rases. Et je lui ai simplement répondu que si j'avais envie de revenir dans une parcelle tous les 10 ans, il fallait le claircir, il ne fallait pas la raser. Mais hélas, ça peut être une situation de toute façon à laquelle il faut avoir recours.
- Delphine Gardin
Bon, mais ce que vous êtes en train de me dire, c'est que quand même les pratiques changent. Sauf que ça prend du temps, puisqu'un arbre, ça ne pousse pas en quelques années. Ça prend au moins 50 ans, donc on ne peut pas changer toutes les pratiques du jour au lendemain.
- Thibault Delesalle
Les choix qu'on fait aujourd'hui, on commencera à avoir des effets dans 30-40 ans. Mais c'est une notion de temps long. C'est un petit peu le décalage qu'il y a avec aujourd'hui nos concitoyens et le grand public quand on les croise en forêt, c'est qu'eux voudraient des résultats instantanés. Et on est dans une société de l'instantané. Et nous, nos gestionnaires et nous, forestiers, on s'oriente dans un temps long. On travaille sur des choses qui ont 50, 60 ans, 70 ans. Et on travaille pour des choses qui seront là dans 50 ans, 60 ans. Et cette vision-là, il faut en avoir conscience. Alors oui, les monocultures d'épicéas, c'est pas beau, mais elles sont là, il faut faire avec. Et si on ne veut pas tout raser d'un coup et repartir sur autre chose tout d'un coup, il faut y aller progressivement.
- Delphine Gardin
Justement, hier sur mon compte Instagram, j'avais ouvert une boîte à questions parce que j'ai annoncé que j'allais vous enregistrer. Et il y a une personne qui a demandé si vous rencontrez souvent des personnes réfractaires au prélèvement de bois quand vous travaillez.
- Thibault Delesalle
Oui, ça arrive. Ça arrive, je ne dirais pas de plus en plus. mais par contre Le fait est que quand ça arrive, les gens sont souvent de plus en plus violents avec nous.
- Delphine Gardin
Donc c'est des gens qui se promènent, qui font des randonnées, puis qui tombent sur votre chantier ?
- Thibault Delesalle
Et contrairement à avant où il y avait beaucoup de gens qui avaient un besoin de dialogue, aujourd'hui on est souvent dans une situation de... peut-être pas toujours de confrontation, mais en tout cas où on sent qu'il y a une hostilité.
- Delphine Gardin
Ils n'écoutent pas ?
- Thibault Delesalle
Ils n'écoutent pas forcément. Malgré tout, on essaye quand même toujours de rester ouvert. Moi je sais que sur les chantiers, quand on voit passer des randonneurs... Et on sent une curiosité, on essaie toujours de s'arrêter et de discuter. Je pense que ça fait partie aujourd'hui de notre métier. La communication, c'est devenu un petit peu indispensable.
- Delphine Gardin
Alors ça, c'est pas moi qui vais vous dire le contraire.
- Thibault Delesalle
Ouais, on reste une... En fait, on est une vitrine pour notre métier. C'est-à-dire que même si notre travail est là pour les sieurs, pour les gestionnaires, finalement, ce qu'on voit au bord des routes, c'est des tas de bois et des machines.
- Delphine Gardin
Ouais, c'est clair. Alors, il y a ces personnes qu'on peut rencontrer sur les chantiers. qui sont gérables, si je peux dire. Par contre, vous m'avez raconté des faits qui sont beaucoup moins entendables, qui se sont passés il y a quelques années.
- Thibault Delesalle
Oui, on a eu du vandalisme. Que ce soit de la casse pure et dure, du caillassage.
- Delphine Gardin
Des machines ?
- Thibault Delesalle
Oui, des machines.
- Delphine Gardin
En activité ?
- Thibault Delesalle
Non, non, sur les temps d'arrêt. On a eu des vols, des dégradations. Donc on a mis en place des systèmes de télésurveillance. C'est dommage d'en arriver là, moi j'ai des confrères qui ont carrément eu des machines à incendier.
- Delphine Gardin
Oui ça c'était dans le limousin il me semble ?
- Thibault Delesalle
Ouais mais même dans le secteur ici on en a eu, il y a un peu plus longtemps. C'est des choses qui sont inadmissibles. Il faut quand même que les gens se rendent compte que nous ne sommes pas des grosses entreprises. Et quand bien même on serait des grosses entreprises, je pense que c'est pas possible en fait. On se lève pas le matin pour voir son matériel détruit et l'investissement d'une vie qui part en fumée ou qui est abîmée. Ça fait toujours mal au cœur, ça arrache le cœur. Nous on fait ce métier parce qu'on l'aime, on travaille dans un milieu qu'on aime. On prend soin de ce milieu, je pense qu'aucun forestier n'est là pour anéantir le milieu dans lequel il travaille et il fera vivre les générations d'après. C'est pas après nous le déluge et donc on peut pas admettre de se faire dégrader le matériel comme c'est le cas aujourd'hui. Et même de subir des insultes, c'est tellement dégradant pour nous de se faire insulter et d'avoir ce problème de reconnaissance en fait.
- Delphine Gardin
Ouais, je comprends.
- Thibault Delesalle
C'est-à-dire que chacun utilise du bois chez lui, sans forcément se rendre compte, et oublie un petit peu qu'entre chez lui et la forêt, il y a un lien et ce lien c'est nous.
- Delphine Gardin
Et là, dans ce cas-là, vous avez porté plainte ? Vous avez retrouvé les gens ? Vous avez pu discuter avec eux, peut-être ? Non, non, non.
- Thibault Delesalle
Dépôt de plainte, classé sans suite.
- Delphine Gardin
Classé sans suite. Ouais,
- Thibault Delesalle
alors je suis désolé de dire ça, mais c'est assez systématique. Aujourd'hui, il y a zéro enquête. C'est-à-dire qu'on voit arriver les forces de l'ordre, qui sont là parce qu'il faut être là. Il y a un dépôt de plainte qui est fait parce qu'il faut le faire. Et en fait, il n'y a jamais de suite.
- Delphine Gardin
Ouais, c'est assez malheureux. Ça,
- Thibault Delesalle
c'est assez malheureux, parce que ça a quand même des incidences fortes, sachant que les assurances... ont de plus en plus de mal aussi à prendre en charge cette délinquance. Et donc, en fait, c'est fait en toute impunité.
- Delphine Gardin
Et comment vous voyez l'évolution de la perception de votre métier par le grand public ? Vous restez optimiste ?
- Thibault Delesalle
Non, c'est très inquiétant. Parce qu'on sent qu'on est dans une société où... du fait que les préoccupations écologiques sont fortes on a des associations assez extrémistes qui se montent et qui se permettent des choses sachant pertinemment que de toute façon elles ne seront pas punies et qu'elles ne seront pas ni cadrées ni rien du tout et donc on a envie d'aller abîmer une machine, on va abîmer une machine c'est comme ça et le monde d'aujourd'hui s'exprime de toute façon dans l'hostilité dans la violence les réseaux sociaux alimentent le système Les gens ne sont plus dans le dialogue. Vous savez, aujourd'hui, la longueur d'une discussion, c'est 140 caractères, j'ai envie de dire. Et donc, nécessairement, ça limite un petit peu l'argumentaire.
- Delphine Gardin
Oui, mais je pense aussi qu'il faut saisir justement de cette opportunité des réseaux sociaux. Moi, je fais souvent la comparaison avec l'agriculture et tout ce qui a eu l'agribashing il y a une dizaine, quinzaine d'années. Aujourd'hui, on voit quand même pas mal d'agriculteurs qui sont sur les réseaux sociaux. qui ont pas mal d'abonnés et moi je rêve d'avoir des ETF youtubeurs pour faire connaître le métier, pour justement déconstruire tous ces préjugés.
- Thibault Delesalle
On commence, c'est pas simple.
- Delphine Gardin
C'est pas simple.
- Thibault Delesalle
Et je pense aussi qu'on a un manque de temps, c'est-à-dire que c'est pas forcément rémunérateur.
- Delphine Gardin
Bien sûr.
- Thibault Delesalle
Je pense que mes confrères vous le diront aussi, il y a un moment où on peut pas passer deux heures par jour à faire des vidéos pour YouTube.
- Delphine Gardin
Ouais, je sais. Ou pour Instagram.
- Thibault Delesalle
Je pense que les agriculteurs non plus d'ailleurs, mais la problématique aussi c'est qu'on est resté muet alors qu'en face on a des associations qui prennent le temps de communiquer, qui le font très bien et de manière massive et on a du mal à répondre à ça en fait. Je pense qu'on a été complètement abasourdis par tout ce qui s'est dit sur nous ces dernières années.
- Delphine Gardin
Mais il est temps de changer la donne et puis de communiquer, c'est d'ailleurs l'objet de ce podcast, de faire mieux connaître les métiers de la filière forêt-bois. Et d'ailleurs, si aujourd'hui on veut devenir conducteur d'engin forestier, où est-ce qu'on peut se former ? Alors dans le Tarn ou ailleurs ?
- Thibault Delesalle
Dans le Tarn, on a une école forestière, l'école de Saint-Amand, le lycée André-Alquier, qui est une école qui va former du CAPA jusqu'au BTS, sélection forestière, en passant par le Bac Pro. Dernièrement, cette école s'est équipée de simulateurs, en plus de simulateurs, dernière technologie, donc vraiment des beaux outils. et sont en train de voir pour mettre en place des options ou des formations qui correspondent à nos métiers.
- Delphine Gardin
C'est une école qui attire du monde ?
- Thibault Delesalle
Oui, alors aujourd'hui, ce n'est pas une grande école, c'est une école où il y a 200 ou 250 élèves, mais elle a son succès. Je pense qu'on a la chance d'avoir un établissement scolaire dans le département, mais aujourd'hui, hélas... Pour plusieurs raisons, elle ne répond pas forcément à tous les besoins qu'on aurait. Et pour ça, on a des écoles qui sont un peu plus éloignées, mais comme BAZAS ou MEYMAC, qui peuvent former éventuellement la conduite pour l'instant, tant que Saint-Amand n'a pas mis en place leur formation.
- Delphine Gardin
Donc BAZAS, c'est où ?
- Thibault Delesalle
Donc BAZAS en Aquitaine, en Gironde, et MEYMAC en Corrèze, dans le Limousin. Et ensuite, on a une très bonne formation. En câblage et bûcheronnage sur Pamiers, en Ariège, au centre de formation de Pamiers, où là vraiment par contre il y a une formation de câblage-bûcheronnage qui est vraiment d'exception.
- Delphine Gardin
Donc vous, les gens qui travaillent chez vous, ce n'est pas forcément des gens de Lacaune, c'est des gens qui se sont formés ?
- Thibault Delesalle
Alors ce sont beaucoup des gens du terroir.
- Delphine Gardin
Quand même.
- Thibault Delesalle
Quand même, mais qui ont commencé souvent leur cycle de formation à Saint-Amand et qui ont poursuivi leur cursus dans des écoles d'autres régions. Et qui sont revenus après... Alors là, actuellement, on a un apprenti, par exemple, en conduite, qui a fait son cursus jusqu'au bac pro à Saint-Amand. Et après le bac pro, qui a fait le choix d'aller se former à Bazas, en Nouvelle-Aquitaine, pour la conduite.
- Delphine Gardin
Bon, il est mobile. On arrive à la fin de cet échange. Moi, je voulais savoir quelle vision vous avez de votre métier pour les années à venir. Est-ce que vous pensez qu'il va encore évoluer ? Parce qu'il a déjà quand même pas mal évolué. Est-ce qu'on arrive là à une étape qui stagne ou ça va encore changer ?
- Thibault Delesalle
Alors c'est compliqué de savoir, on n'est pas dans l'avenir. Mais on a un métier je pense qui est de plus en plus passionnant parce qu'aujourd'hui on a une forêt qui évolue. Alors certes elle souffre par moment, mais je pense que la filière fait ce qu'il faut pour que quand même elle reste magnifique. Et nous on a un métier qui évolue bien. dans la mesure où on est passé d'un métier qui était uniquement destiné à la production de matières il y a 20 ans en arrière à aujourd'hui un métier qui est plus tourné vers la sylviculture et la forêt de demain donc ça c'est quand même très encourageant et je pense que de plus on a des chauffeurs, des entrepreneurs, des salariés qui sont mieux en mode formés et qui arrive vraiment de plus en plus là par passion. Donc je pense que quand on travaille avec des passionnés, il n'y a pas de problème, la forêt sera très belle demain.
- Delphine Gardin
Bon c'est rassurant. Et moi j'ai l'habitude de terminer ces entretiens par une question signature qui est sans langue de bois. Quel est le plus gros cliché sur votre métier et surtout en quoi il est faux ?
- Thibault Delesalle
Ouais il y en a, c'est compliqué, il y en a tellement sur notre métier. Alors c'est marrant, quand j'avais eu cette question, il y a deux réflexions qui me sont venues vraiment comme ça à l'esprit. La première c'est qu'on prend toujours les entrepreneurs, les bûcherons et les chauffeurs pour des décérébrés. Alors qu'en réalité, on a souvent affaire à des gens qui ont fait des études, comme moi qui ai fait un BTS en gestion forestière par exemple. On a souvent affaire à des gens qui ont une culture forestière qui est assez énorme et une passion. Donc c'est souvent des décérébrés. Et la seconde réflexion... Et ça aujourd'hui on l'entend beaucoup c'est qu'on est juste là pour couper du bois pour l'argent et puis c'est tout. Alors qu'en fait je pense que notre entretien l'a bien reflété, on est là pour s'inscrire dans une durée et en fait on est juste dans une filière. Il y a eu des gens avant, il y aura des gens après, on travaille pour eux. Bien sûr qu'il faut vivre, il y a une réalité économique qu'il ne faut pas la nier.
- Delphine Gardin
Pour tout le monde.
- Thibault Delesalle
Pour tout le monde, surtout en ce moment, mais l'amour de la forêt il est primordial.
- Delphine Gardin
Bon c'est super. Merci beaucoup Thibault pour cet échange.
- Thibault Delesalle
Merci Delphine d'avoir pris le temps de me poser toutes ces questions.
- Delphine Gardin
C'est vraiment un plaisir. Si on veut vous suivre, vous avez des réseaux sociaux, un site internet ?
- Thibault Delesalle
Ouais, alors site internet non, j'ai une page Instagram à mon nom.
- Delphine Gardin
Donc Thibault Delesalle.
- Thibault Delesalle
C'est ça, Thibault Delesalle. Et ensuite sur LinkedIn, je suis présent, je communique pas forcément beaucoup, mais j'espère que c'est toujours à bon escient. En tout cas, on a une page de l'entreprise qui permet de voir un petit peu nos activités. Et qui peut peut-être donner envie aux jeunes de faire ce métier, parce que l'idée de ces réseaux sociaux, ce n'est pas forcément de trouver davantage de clients, mais c'est aussi de transmettre l'amour du métier aux jeunes et de leur donner envie de se tourner vers nous. Oui,
- Delphine Gardin
je suis allée voir, ça donne envie. En tout cas, vous partagez des belles photos sur Instagram. Continuez.
- Thibault Delesalle
Merci.
- Delphine Gardin
Merci beaucoup Thibault.
- Thibault Delesalle
Merci Delphine.
- Delphine Gardin
Vous venez d'écouter du Pin sur la planche, le podcast. Un grand merci à mon invité pour son temps et son témoignage. Si vous aimez cet épisode, aidez-moi à le faire connaître. N'hésitez pas à mettre des étoiles ou des commentaires sur vos plateformes d'écoute préférées. Et si vous voulez en savoir plus, ça se passe sur Instagram. Rendez-vous sur mon compte Delphine Gardin. A bientôt ! Musique