- Delphine Gardin
Vous écoutez Du Pin sur la planche, le podcast qui vous plonge au cœur de la filière forêt-bois. Je suis Delphine Gardin et mon quotidien, c'est d'aider les acteurs de ce secteur à mieux communiquer. Qui sont-ils ? Pourquoi le bois est une ressource clé pour relever les défis de la transition écologique ? Si toutes ces questions vous intéressent, vous êtes au bon endroit. Ici, une fois par mois et sans langue de bois, je vous emmène à la découverte de cet univers et de ses experts.
- Laure Ferré
Il y a le scieur, c'est vraiment la clé de voûte entre deux mondes parce qu'on passe après les bois à la scie et après ils vont donc chez les particuliers, chez les charpentiers, chez les menuisiers, etc.
- Delphine Gardin
Bonjour à toutes, bonjour à tous. Bienvenue dans Du Pin sur la planche, le podcast qui vous emmène au plus près de celles et ceux qui façonnent et transforment la forêt et le bois. Aujourd'hui... direction Lavaur dans le Tarn pour rencontrer Laure Ferré, gérante d'une scierie familiale qu'elle a choisi de reprendre à la suite de son père. Avec Laure, on a donc parlé de transmission et du quotidien dans une scierie. Elle m'a raconté ses projets pour faire évoluer l'entreprise, les transformations du métier et aussi ce que ça implique d'être une femme dans une filière encore très masculine. Un échange riche, sincère, qui dit beaucoup sur la réalité des PME de la filière, sur les héritages qu'on choisit de faire vivre et sur l'envie d'y mettre sa propre touche. Alors installez-vous confortablement et bonne écoute ! Bonjour Laure !
- Laure Ferré
Bonjour Delphine !
- Delphine Gardin
Tu vas bien ?
- Laure Ferré
Ça va et toi ?
- Delphine Gardin
Oui ça va, merci. Merci de m'accueillir ici.
- Laure Ferré
Avec grand plaisir.
- Delphine Gardin
Est-ce que tu peux te présenter ?
- Laure Ferré
Oui, je m'appelle Laure, j'ai 37 ans, ça fait 10 ans que j'ai repris la scierie de mes parents.
- Delphine Gardin
D'accord, et du coup tu peux nous décrire un peu l'endroit dans lequel on se trouve ?
- Laure Ferré
Oui, alors là, on est chez moi, on est dans la maison familiale qui est juste à côté de la scierie. Et du coup, la scierie est installée au centre de Lavaur. C'est un peu atypique mais on tient le coup encore.
- Delphine Gardin
c'est exactement ce que je me disais en arrivant. C'est rare d'avoir des scieries implantées comme ça dans le centre d'une ville ou d'un village comme c'est ici.
- Laure Ferré
Oui. Du coup, la scierie existe depuis les années... Au milieu des années 30, c'est mon grand-père qui était sabotier à la base. Et je pense qu'il était à l'extérieur de la ville de Lavaur. Il était en campagne, donc l'implantation n'a pas bougé. C'est la ville qui s'est agrandie autour de la scierie.
- Delphine Gardin
Donc tu nous l'as dit, ton grand-père était sabotier. J'aimerais bien comprendre l'histoire de cette entreprise et puis comment tu as réussi à trouver ta place dans cette histoire et dans cette lignée familiale.
- Laure Ferré
Oui, donc mon grand-père a commencé en tant que sabotier. Et je pense que dans les années 50, à la disparition du sabot, il a dû se réinventer ou trouver une nouvelle activité. Du coup, il a installé la scie à grume. Je pense qu'au début, c'était une scie avec une chaudière à bois.
- Delphine Gardin
Ah ouais ?
- Laure Ferré
Ouais, et il faisait de l'exploitation dans les alentours, au bord de la goutte ou chez des agriculteurs aux alentours. Il allait chercher ses bois ? Oui. Ok. Oui. Il faisait vraiment le bûcheronnage, le débordage et se transportait ses bois. Donc plutôt des essences locales, peupliers, chênes, ormes, des choses comme ça. Et donc il a commencé à scier des charpentes. Donc après c'est mon père qui a repris dans les années fin 70, je pense, 76 ou quelque chose comme ça. Entre temps ça a été électrifié, du coup le bâti...
- Delphine Gardin
Le bâtiment a évolué, tu veux dire ?
- Laure Ferré
Ils ont changé le bâti et le chariot pour que ce soit un peu plus moderne pendant les années 80.
- Delphine Gardin
Donc ils ont gagné en confort, j'imagine, à cette période-là.
- Laure Ferré
Et du coup, moi j'ai repris en 2016.
- Delphine Gardin
D'accord, donc ça va faire 10 ans quasiment que tu as repris. Si j'ai bien compris, au début tu ne te destinais pas forcément à reprendre l'entreprise familiale. Est-ce que tu peux nous raconter un peu cette période et puis surtout qu'est-ce qui t'a motivée à faire ce choix ?
- Laure Ferré
Oui. Du coup, j'étais partie pour faire des études de droit que j'ai abandonnées. En fait, quand mon père a commencé à me parler de prendre la retraite, j'ai eu un comment tilt. Je me suis dit que c'était dommage, qu'il y avait eu deux générations. Je me disais, je vais reprendre. Mais je pense que je manquais un peu de confiance en moi et je ne savais pas du tout de quoi je parlais. Donc, c'était un peu le saut dans le vide.
- Delphine Gardin
Et puis, il faut dire que ton père ne t'a peut-être pas aidé non plus.
- Laure Ferré
Il ne voulait pas que je reprenne parce que c'est un métier qui est difficile. On est tout le temps dehors, c'est physique, c'est stressant. Il y a beaucoup d'aspects négatifs qui sont à prendre en compte et qui demandent beaucoup d'investissement. Donc, je comprends qu'il n'ait pas voulu me pousser dans ce sens-là. Mais du coup, j'ai été assez tenace et de fil en aiguille, j'ai repris. Sauf qu'au début, je ne sais pas scier parce qu'il ne veut pas me montrer. En fait, il ne veut pas que j'utilise sa scie parce qu'elle n'est pas en sécurité. D'accord.
- Delphine Gardin
Il a peur en fait. Oui, il a peur.
- Laure Ferré
Donc, je commence un peu toute seule et finalement, il est venu m'aider. Et après, il n'a jamais lâché.
- Delphine Gardin
Il t'a appris à scier, à affuter les lames.
- Laure Ferré
Il m'a appris l'affûtage, le sillage, la gestion des commandes, comment s'organiser, billonner, charger, la conduite du manitou et tout ça.
- Delphine Gardin
Il t'a tout transmis.
- Laure Ferré
Voilà, il m'a tout transmis. Et puis, il y a la transmission et il y a beaucoup de motivation, je pense.
- Delphine Gardin
Et donc, tu n'as pas eu besoin de retourner sur les bancs de l'école pour apprendre ou à scier ou à jeter ? Non,
- Laure Ferré
j'ai fait juste deux stages avec Maurice Chalaillet d'affûtage. D'accord. Et après, j'ai rencontré des gens comme Étienne Nescur qui m'ont aidé dans le parcours. Et d'autres scieurs aussi qui m'ont donné des conseils, etc.
- Delphine Gardin
D'accord. Et alors, tu peux nous raconter le quotidien d'une, on dit une scieuse, c'est ça ? Oui,
- Laure Ferré
je pense. Donc, je commence à 7h, 7h30 je roule à la scierie. En général, je mets en premier, j'affûte la lame que j'ai sur le bâti de la veille. Ensuite, mes collègues nettoient la scie, font tout ce qui est entretien, tout ça, on le fait tous les matins.
- Delphine Gardin
Ce qu'on n'a pas dit, c'est que tu as une équipe de cinq personnes. Oui,
- Laure Ferré
aujourd'hui, on est cinq. Donc, je ne suis plus tout le temps à la scie. J'ai un scieur qui a mi-temps et qui me décharge énormément.
- Delphine Gardin
Oui, parce que tu as... Toi, tu as tout le reste qui concerne la gestion d'une entreprise. Oui,
- Laure Ferré
c'est ça. C'est ça aussi,
- Delphine Gardin
quoi.
- Laure Ferré
Du coup, on commence par nettoyage, entretien. Après, on met en place, on définit à peu près ce qu'on fait dans la journée. Quelles sont les commandes qui sont en priorité pour la semaine ? Est-ce qu'il y a des commandes qui se sont rajoutées, qu'on doit faire rapidement, des choses comme ça ? Donc, on fait un petit point. Et ensuite, tout le monde se met à son poste et on lance les hostilités.
- Delphine Gardin
Donc, les postes, c'est ?
- Laure Ferré
Alors, on a Jules qui est à la scie, Thomas qui billonne et qui est beaucoup sur l'élévateur et qui s'occupe des appros et de la mise en palette d'organisation du parc. Et ensuite, il y a Mathieu qui est derrière la scie et qui fait le tri.
- Delphine Gardin
Le tri des... Planche ?
- Laure Ferré
Oui, planche, chute de la scierie. On fait des fagots de chute pour que ce soit arrangé et propre en permanence, pour qu'on puisse s'évacuer facilement. On monte des fagots, ça s'appelle. D'accord. Qu'on ficelle et qu'on empile. Après, c'est des choses qui partent pour être broyées, pour faire de la plaquette et des choses comme ça. D'accord.
- Delphine Gardin
Et ils trient aussi, j'imagine, les planches en fonction des qualités de bois ?
- Laure Ferré
Oui, il y a une question de qualité, mais après il y a une question de produit. Ils trient tout ce qui est volige en fonction d'épaisseur. Donc la volige, c'est du 18, la planche, c'est du 27. Ils trient tout ça. On remet sur des palettes quand on doit passer certaines choses au délignage. C'est-à-dire que, par exemple, la volige, on la déligne. Donc on enlève l'écorce qui est sur les côtés après les premiers découverts à la scie.
- Delphine Gardin
D'accord.
- Laure Ferré
Et il fait le tri aussi des commandes. Comme on fait beaucoup de débit sur liste, il y a beaucoup de commandes et on est obligé de gérer ça au fur et à mesure.
- Delphine Gardin
Donc le débit sur liste, tu peux expliquer ce que c'est ?
- Laure Ferré
Oui, alors le débit sur liste, c'est compliqué, alors que c'est très simple. C'est juste qu'on fait sur commande, c'est-à-dire que les clients nous demandent, par exemple, une poutre de 6,20 mètres, ou 10,22 mètres, ou voilà. Le débit sur liste, c'est juste. Un débit qui est signifié par le client.
- Delphine Gardin
D'accord. Moi, je voulais justement savoir quels sont les produits que tu fabriques et à qui tu les vends.
- Laure Ferré
Oui. Alors, on a des charpentiers. Je suis contente de travailler avec des charpentiers qui taillent des fermes et qui font de la charpente traditionnelle. Quand c'est comme ça, on nous demande souvent tout le bois pour fabriquer une ferme traditionnelle. Donc il y a l'entrée, les arbalétriers, le poinçon, etc. Et du coup, en fonction des dimensions des fermes, on fait les pièces de bois en fonction. Par exemple, un 20-25 avec des arbres en 10-22, ou le poinçon en 20-20, 18-18, des choses comme ça.
- Delphine Gardin
D'accord. Et les essences de bois que tu travailles ?
- Laure Ferré
Alors, on travaille beaucoup. Donc on a la montagne noire qui est à côté de chez nous, donc on travaille beaucoup avec du Douglas.
- Delphine Gardin
Beaucoup de Douglas, donc du résineux, qui est beaucoup utilisé en construction, et notamment dans l'écharpente dont tu nous parlais là ?
- Laure Ferré
Voilà, c'est ça.
- Delphine Gardin
D'accord. Quand on s'est rencontré la dernière fois, tu m'expliquais que toi, t'aimais beaucoup être à la scie, que vraiment, ça te procurait beaucoup d'énergie. Et moi, je me suis demandé comment t'appréhendais chaque billon qui arrivait, comment tu sais, comment tu vas le découper. Voilà, qu'est-ce que tu observes sur la grume ?
- Laure Ferré
Alors ça, c'est quelque chose qui est très compliqué à expliquer. Je me suis rendu compte. Parce que j'ai travaillé plusieurs années un peu dans ma bulle et à être vraiment qu'avec moi-même à la scie. J'étais pas obligée d'expliquer ce qui se passait vraiment dans ma façon de sciller. Et là, comme je partage avec un scieur et que je suis en train de former aussi Thomas, qui est intéressé par le sillage, j'aimerais bien que tout le monde puisse tourner parce que c'est quand même vachement plaisant. comme métier et comme savoir-faire. Donc, je suis obligée un peu de me bousculer pour savoir expliquer comment ça se passe. Ce n'est pas si facile que ça. Ce n'est pas facile du tout. C'est l'intuition, en fait. Oui, il y a une histoire d'intuition. Et puis, Etienne Nescure, il expliquerait bien ça. En fonction des pièces, dans leur finalité, où elles vont se positionner, etc., on choisit en général... un certain sens dans la bille, etc. pour que la pièce ait une certaine force dans un certain sens. Et en fait, de fil en aiguille, on ne voit plus qu'on le fait. Donc c'est super difficile dans la matière à expliquer. Mais du coup, en général, le choix d'une bille, il se fait visuellement. En fait, on regarde qu'il n'y ait pas trop de nœuds en fonction des sections qu'on va avoir. Si c'est des petites sections, il ne faut pas qu'on ait des gros nœuds. des choses basiques comme ça. On choisit... Pour toi. Oui, mais qui sont logiques. C'est-à-dire que si on veut faire, par exemple, dans une bille, on veut faire des 8-10. Et si c'est une bille de pied dans un arbre, par exemple, qui a été en bordure de forêt ou du côté de la lumière, il a développé beaucoup de branches parce qu'il n'y a pas eu de délagage naturel, etc. On ne peut pas choisir cette bille parce qu'on sait que les nœuds, par exemple... peuvent faire 7 ou 8 de diamètre. Donc, il risque d'y avoir de la casse et des choses comme ça. Donc, du coup, ça se choisit en fonction de ça, en fonction de la taille. La taille de la poutre, évidemment, il faut qu'elle rentre dans la bille qu'on choisit et tout le long, pour éviter qu'il y ait du flash et des choses comme ça. Donc, il y a beaucoup. beaucoup de choses à prendre en compte.
- Delphine Gardin
Mais qui sont devenues naturelles pour ça.
- Laure Ferré
Oui, mais je pense que n'importe quel scieur, à force de faire... C'est ce qui me plaît aussi dans la taille de la scie. En fait, les débits standards, ça ne m'intéresse pas trop. De scier dans des billes bien cylindriques et toujours les mêmes sections, ça ne me plaît pas. Moi, ce que j'aime bien, c'est avoir plusieurs commandes à faire, d'être obligée de calculer, de recouper, de reprendre. J'aime bien que ce soit bien fourni.
- Delphine Gardin
D'ailleurs, on peut peut-être préciser combien de mètres cubes de bois tu scies, alors ou par jour ou par an, je ne sais pas comment.
- Laure Ferré
Par an, ça doit être à 1300, quelque chose comme ça. D'accord.
- Delphine Gardin
Donc toi, tu vas en forêt choisir tes arbres ou comment ça se passe ?
- Laure Ferré
Oui, ça fait quelques années que je vais en forêt, ça fait 3-4 ans que j'achète des bois sur pied, on dit. Donc, à la différence que... Habituellement, si je n'ai pas envie de me déplacer, j'appelle des exploitants forestiers et je leur dis que je voudrais tel type de grume. Et ils choisissent pour toi ? Et ils choisissent pour moi.
- Delphine Gardin
C'est peut-être mieux quand il va te voir pour ces détails dont tu nous parlais.
- Laure Ferré
Oui, il y a ça, il y a le choix des billes et puis il y a aussi le choix de la pratique civicole qui a été utilisée dans la forêt, qui a pour moi de l'importance, même si je ne peux pas le faire toute l'année. J'essaie de choisir des forêts dans lesquelles on pratique les éclaircies. C'est juste une goutte dans le vase, mais c'est une direction que j'aimerais prendre. Ok.
- Delphine Gardin
Et par rapport au fait d'être implantée ici dans le Tarn, est-ce qu'il y a des particularités ? Je veux dire par là, est-ce que ton métier de sieur ou de sieuse, pardon, il serait le même ici ou en Bretagne ou en Alsace ? Est-ce que les produits pour la construction sont les mêmes ? Est-ce que les essences sont les mêmes ?
- Laure Ferré
Alors oui, c'est une question que je me suis déjà posée et moi j'ai l'impression que je n'ai pas visité des scieries en Bretagne ni rien. Je pense que non, déjà ça ne serait pas les mêmes essences. Ça dépend de l'architecture des maisons aussi. Il y a des maisons qui ont des pentes plus importantes que nous dans le coin. Donc non, je pense que dans le fond, ça serait pareil, mais il y aurait quelques différences. Et après, j'ai l'impression que chacun a sa manière de travailler. C'est très personnel aux régions ou aux départements, ou à la manière qu'a de faire le scieur, comment il a appris, etc. Je trouve que les scieries, elles sont assez personnelles en fonction des personnes, des gens.
- Delphine Gardin
Et du coup, toi, tu scies comme ton père ou tu as changé des choses ?
- Laure Ferré
Ah oui, ça, c'est une bonne question. Moi, je pense que je me suis quand même pas mal calquée. Je pense que je dois faire à peu près pareil.
- Delphine Gardin
À peu près pareil. Avec quand même un nouvel outil de production.
- Laure Ferré
Voilà. Donc, tu le parles. C'est l'objet de la scie qui a été l'objet de beaucoup de débats. Donc, l'installation de la scie horizontale, alors que non, une scie horizontale, ça ne peut pas... pas marcher comme une scie verticale. Alors ça,
- Delphine Gardin
c'est ce qu'on t'a beaucoup dit apparemment.
- Laure Ferré
Ouais. Du coup, je suis allée un peu à contre-courant et j'ai un peu suivi mon instinct et les conseils qu'on m'a donnés aussi. J'ai préféré installer une scie horizontale. D'abord parce que la mise en place était quand même beaucoup plus simple. Donc, il y a une dalle, il n'y a pas besoin de fosse, il n'y a pas besoin de rehausser. C'est vraiment un outil qui est posé sur une dalle. Après je trouve ça vachement polyvalent et je trouvais que dans le type de sillage et les demandes que j'avais je trouvais que c'était intéressant pour pouvoir faire du débit sur liste, pouvoir faire un peu de scierie quand j'ai besoin et pour les sillages à façon. Donc les sillages à façon c'est des particuliers qui m'amènent leurs arbres et je leur vends la prestation de sillage en fonction de leurs besoins et ils repartent avec leurs plantes. Du coup, je suis allée un peu à contre-courant avec cette scie, mais je ne regrette pas.
- Delphine Gardin
Donc toi, tu as investi dans une nouvelle scie et dans un nouveau bâtiment, puisque vous n'avez pas installé la scie dans le bâtiment qui était existant. Pourquoi ces choix ?
- Laure Ferré
Déjà, le manque de hauteur. Ensuite, je ne voulais pas m'arrêter de travailler pendant l'installation de la scie, donc j'ai quand même beaucoup continué avec l'ancienne scie.
- Delphine Gardin
Ça a duré combien de temps, l'installation de la scie ?
- Laure Ferré
Ça a duré... Pas longtemps du tout. Ça a duré trois semaines, je crois. D'accord. Trois semaines, même pas. C'était rapide. Oui, c'était assez rapide. Même pas, je pense qu'en une semaine, c'était fait.
- Delphine Gardin
Pour ça, tu avais déjà scié le bois pour le bâtiment ?
- Laure Ferré
Oui, alors il y a eu quand même beaucoup de travaux. Il y a eu du terrassement. Il a fallu faire la dalle avant de poser. Du coup, j'avais fait ça avec un copain charpentier qui est un très bon ami à moi. Et donc, on a scié le débit. Pour fabriquer les fermes, il y a une ferme de 12,50 mètres de long, avec une entrée de 12,50 mètres, et trois demi-fermes de 11,50 mètres croisées en travers. La charpente, je l'avais sciée un peu avant l'installation, parce que lui, il a taillé les fermes chez lui. Par contre, la volige, je me suis sciée la volige un peu pliée, directement le jour J. On sciait, on posait, tout au fur et à mesure. C'était une expérience assez incroyable. Et on a mis trois semaines pour poser le bâtiment, pour mettre en place le bâtiment, poser les fermes.
- Delphine Gardin
Parce qu'elle était rapide en fait.
- Laure Ferré
Ouais, on a fait ça super vite. C'était très sportif, mais pareil.
- Delphine Gardin
Beaucoup dormir quand même.
- Laure Ferré
Non, c'est pas beaucoup dormir. On n'a pas pris beaucoup de jours de repos. Et du coup, poser, couvert, on a mis trois semaines je pense.
- Delphine Gardin
Ok, donc c'est vrai que tu peux en être fière. C'est un beau projet. Et juste pour préciser, tu me disais que c'était un investissement de 300 000 euros quand même, pour qu'on se rende compte.
- Laure Ferré
Oui, il y a 200 000 sur la scie à peu près, et un peu plus de 100 000 euros, tout ce qui est bâtiments, terrassements, dalles, etc. Et j'ai eu une aide de la région de 40 000 euros.
- Delphine Gardin
Et aujourd'hui, dans ton quotidien et dans ton travail, j'imagine que tu vois les bénéfices ? Pas que financier, je veux dire, par là, peut-être la qualité de travail ? Oui,
- Laure Ferré
il y a la qualité de travail, on est plus rapide, la scie a moins de défauts que l'ancienne, donc les bois sont plus précis. Tous les débits qu'on sort sont plus précis. Après, par rapport au bâtiment, je tenais aussi à avoir un bâtiment en bois pour montrer que c'était toujours possible de faire ça et qu'il n'y a pas que des bâtiments métalliques. Et du coup, quand je sors un peu la tête de l'eau, je me dis que c'est chouette de pouvoir mettre un scieur sur la scie, que ce soit sécurisé. C'est chouette d'avoir une équipe, de pouvoir donner cet outil de travail à une équipe qui est motivée pour s'en servir et que ça marche bien, etc.
- Delphine Gardin
Oui,
- Laure Ferré
c'est un projet qui a beaucoup de chance. Vraiment, je ne le regrette pas, malgré les efforts et l'investissement.
- Delphine Gardin
D'ailleurs, tu me disais que sur le coup, tu ne t'étais pas forcément rendu compte de tout ce travail que tu avais mené. Puis c'est qu'après, en sortant un peu la tête de l'eau, justement, que tu t'étais dit, oui, quand même,
- Laure Ferré
je vais bien avancer. Je suis assez exigeante avec moi-même. J'ai du mal à me dire c'est bien. Mais là, c'est vrai que j'ai bien avancé. C'est une bonne dynamique et ça m'ouvre des portes parce que j'ai encore des projets. Ça m'ouvre des portes pour évoluer encore.
- Delphine Gardin
Tu as encore des projets ?
- Laure Ferré
Oui. Je ne parlais pas.
- Delphine Gardin
Tu veux nous en parler ?
- Laure Ferré
Oui, après, c'est des projets de scierie. Moi, j'aimerais bien développer un peu le rabotage.
- Delphine Gardin
Tu peux expliquer peut-être le rabotage, si les gens ne savent pas ce que c'est ?
- Laure Ferré
Alors, le rabotage, c'est quand on passe les bois dans une machine qui lisse en gros la fibre du bois pour la rendre, entre guillemets, plus jolie.
- Delphine Gardin
D'accord. Plus prête à être utilisée dans les intérieurs ?
- Laure Ferré
Oui, voilà. Comme ça, ok. Parce que c'est une demande qu'on a. Moi, je trouve que le bois est joli en sortie de scie, mais bon, après, des fois, il faut s'adapter aux demandes aussi.
- Delphine Gardin
Un peu moins brut. Oui. Un peu moins brut, d'accord. Donc, tu veux développer le rabotage ?
- Laure Ferré
J'aimerais bien aussi installer des racks de stockage, mais les faire en bois. Oui. Donc, ça, pareil, je pense que d'ici la fin de l'année, on commencera à en installer. Bon, voilà, déjà pour cette année, ça serait pas mal.
- Delphine Gardin
C'est clair. J'aurais préféré ne pas avoir à te poser cette question, mais on ne va pas se mentir, la filière bois et peut-être même plus la cirie, c'est quand même un univers très masculin. Je crois que dans la filière bois, on est à 19% de femmes. Est-ce que tu veux bien nous parler de comment tu as vécu le fait d'être une femme et comment tu le vis peut-être encore aujourd'hui dans ce milieu ?
- Laure Ferré
Alors au début, c'est toujours pareil. Je me suis mis une pression, je pense supplémentaire, en me disant, ben voilà parce que du coup mon père me dit En gros, je suis une fille, donc ils ne voulaient pas que ces enfants travaillent dans ce milieu. Mais en plus, j'étais une fille, donc il y a eu ça de rajouté. Et en fait, moi, ça m'a mis un challenge supplémentaire. Donc, j'ai été hyper exigeante avec moi pour trouver une légitimité dans ce que je faisais. Et du coup, je me suis mise à fond à bosser, mais vraiment à fond. Je pense qu'au début, on a dû un peu se moquer de moi ou dire qu'elle ne va pas y arriver ou qu'elle va tenir deux ans et que ça ne va pas marcher. En fait, non. Mais fille, garçon, je pense que ce qui compte, c'est la motivation, la volonté et l'investissement qu'on met dans le projet. Moi, j'aime bien. Je suis hyper sociable avec mes clients. J'aime bien parler. J'aime bien savoir. ce qu'ils font comme projet. Donc, les maçons, surtout que là, c'était la fin de... Quand j'ai repris, il y avait une génération qui est partie maintenant, une fin de génération qui travaillait à l'ancienne, que j'ai trouvée très intéressante. J'ai appris avec eux et j'étais intéressée. Et du coup, je pense que j'ai eu un retour quand même assez positif. Et puis comme j'étais bosseuse, je ne m'arrêtais pas. J'essayais de tout le temps répondre rapidement à la demande et de la meilleure façon que je pouvais faire. Du coup, je pense que ça... Je me suis mis beaucoup la pression, mais je pense que ça a porté ses fruits.
- Delphine Gardin
Et la pression, elle est redescendue aujourd'hui ?
- Laure Ferré
Pas du tout.
- Delphine Gardin
Tu me disais quand même que tu te sentais plus légitime.
- Laure Ferré
Je me sens plus légitime dans mon travail. C'est-à-dire que je vois les retours, je suis prise au sérieux. Après, je pense que je me mets toujours un peu de pression. Mais non, je me sens dans la famille des scieurs.
- Delphine Gardin
C'est bon.
- Laure Ferré
Aujourd'hui, c'est bon. Je pense que j'ai fait un peu mes preuves.
- Delphine Gardin
D'ailleurs, c'est une question que je voulais te poser au début et je crois que je ne te l'ai pas posée. C'est qu'est-ce qui t'a motivée à reprendre ? Je crois que tu m'avais parlé d'un esprit un peu contestataire.
- Laure Ferré
Oui, ce qui m'a motivée à reprendre, c'était contredire mon père. Soit lui prouver, soit lui prouver que j'étais capable, soit l'esprit de contradiction. On a toujours un peu fonctionné, c'est bienveillant, mais on a toujours un peu fonctionné comme ça avec mon père. Et j'aime bien un peu lui rentrer dedans. Du coup, je pense que ça a été, je ne sais pas si ça aurait été la même chose si j'avais été portée. et bien soutenu parce que je dis pas qu'il m'a pas soutenu mais j'ai vraiment été seul à beaucoup de moments et je pense que ça m'a donné un peu de niaque quoi c'est ça qui porte oui c'est sûr on va poser quelques questions maintenant plutôt tourner vers l'avenir pour finir cet
- Delphine Gardin
entretien c'est je voulais savoir quel regard tu portes sur l'évolution de ton métier il a quand même évolué ces dernières années et puis avec toutes les nouvelles technologies qui arrivent je ne sais pas, l'intelligence artificielle ou peut-être même d'autres sujets. Est-ce que tu vois des évolutions récentes déjà qui ont eu lieu et qui vont peut-être arriver prochainement ? Alors,
- Laure Ferré
moi, je suis quand même pour préserver l'aspect artisanal de la scierie. Je trouve qu'il y a un savoir-faire humain qui est hyper important et qu'on a besoin de transmettre. J'espère vraiment que les petites scieries, je pense que là, ça redémarre un peu, qu'il y ait des scieries artisanales avec... même juste un scieur ou un salarié qui reprennent. Et en fait, dans les petites scieries comme ça, je pense qu'on a un autre regard que dans les grosses, où on aime bien choisir nos bois, on fait attention de ce qu'on achète, on fait des suivis de chantier, on sait travailler avec les clients en aval aussi, donc pour la charpente, la menuiserie, etc. Et je trouve qu'il faut de tout pour faire un monde. Bien sûr, on a besoin de productivité aussi. Mais je trouve que c'est vachement important de garder ce côté savoir-faire. Et même dans la civil culture, on est en train de perdre en France beaucoup de choses pour faire savoir-faire pousser nos bois, entretenir nos forêts et pour l'avenir. Donc, je pense que c'est important de garder ce contact avec la matière et de transmettre ça. Et le savoir-faire. Oui,
- Delphine Gardin
la transmission, c'est important finalement.
- Laure Ferré
Oui, oui.
- Delphine Gardin
Et d'ailleurs, en parlant de transmission, si tu avais un conseil à donner à une personne qui souhaite se lancer, monter une scierie ou travailler en scierie ?
- Laure Ferré
Il faut s'accrocher, ce n'est pas facile. Il ne faut pas se mentir, c'est un travail de tous les instants. Ça prend la tête, on est tout le temps en train de se poser des questions. Il faut parler, essayer de communiquer, essayer de trouver des gens. Les chers ne parlent pas beaucoup, non ? Est-ce que ce n'est pas un cliché, ça ?
- Delphine Gardin
Ah, tu me spoiles ma dernière question.
- Laure Ferré
Je pense que, oui, les ciliaires, c'est un peu enfermé dans ça. Un peu enfermé, oui. Et ça,
- Delphine Gardin
ça peut changer,
- Laure Ferré
tu crois ? J'espère. Oui ? Oui. Je pense qu'on a besoin de communiquer sur notre métier et de dire, ben voilà, là, par exemple, je suis en ville, il y a encore des gens qui viennent me voir et qui me disent, est-ce que vous vendez au particulier ? Oui, il y a des petites scieries qui vendent un chevron, quelques planches, etc. Oui, ça fait venir du monde. On peut expliquer, on peut regarder un peu la machine tournée. Je trouve que c'est vachement important de s'ouvrir et d'accueillir surtout les gens et de voir que pour acheter du bois, il n'y a pas que les grandes surfaces de bricolage, etc. Il y a d'autres endroits. Je pense que beaucoup de mes collègues scieurs sont OK pour que les particuliers viennent. dans leurs entreprises.
- Delphine Gardin
C'est vrai que peut-être que c'est les particuliers qui ne savent pas qu'on peut aujourd'hui aller acheter notre bois dans une scierie sans passer par un intermédiaire.
- Laure Ferré
C'est ça.
- Delphine Gardin
Alors, on arrive à la dernière question, qui est la question signature, qui est sans langue de bois, quel est le plus gros cliché sur ton métier et puis surtout, en quoi il est faux ?
- Laure Ferré
Du coup, je vais utiliser celui sur les sillards. Ils sont un peu renfermés dans leur bulle. donc... C'est un peu vrai, mais en faisant ce podcast, c'est un peu fou aussi.
- Delphine Gardin
Exactement. Je te remercie d'ailleurs d'en parler, de parler de ton métier. C'est important, comme on l'a dit, de faire connaître ces métiers qui sont quand même assez peu connus. Et puis maintenant, avec les jeunes qui sont de plus en plus habitants en ville, c'est vrai que ce n'est pas forcément des métiers qui attirent, mais pourtant, c'est des métiers quand même plein de sens, comme tu viens de nous l'expliquer. et qui sont importants si on veut continuer à construire, à construire en bois.
- Laure Ferré
C'est ça, et puis c'est une filière. Le bois, il n'y a pas que la scierie, il y a beaucoup d'autres métiers à prendre en compte, de l'arbre sur pied, donc il y a le silviculteur, après il y a le bûcheron, le débardeur, il y a le transporteur et le grumier, après il y a le scieur. C'est vraiment la clé de voûte entre deux mondes parce qu'on passe après les bois à la scie. Et après, ils vont chez les particuliers, chez les charpentiers, chez les menuisiers, etc. Donc, on fait vraiment partie d'une chaîne. Et je trouve que c'est vachement important tout le long du processus. Il y a beaucoup de métiers qui valent le coup d'être mis en lumière. Et merci à toi pour ça.
- Delphine Gardin
Avec plaisir. C'est vrai que je voulais juste terminer sur le fait que tu as appris le métier de sueur, mais tu as aussi découvert toute cette filière. Oui. qui est passionnante, en tout cas moi je trouve qu'elle est passionnante et c'est ça aussi quand on rentre par un bout de la filière on découvre l'ensemble qui est aussi qu'on appelle souvent une petite famille la filière bois Laure, je te remercie vraiment beaucoup d'avoir joué le jeu de répondre à mes questions pour ce podcast du Peur sur la planche
- Laure Ferré
Merci à toi.
- Delphine Gardin
Si on veut te suivre ou te retrouver sur Internet, est-ce que tu as des réseaux sociaux ?
- Laure Ferré
Oui, on a un site Internet, on a Facebook et Instagram.
- Delphine Gardin
Ok, super. Ça s'appelle la Scierie Ferré.
- Laure Ferré
Scierie Ferré, oui. C'est pas original.
- Delphine Gardin
Super, merci beaucoup. Bonne journée.
- Laure Ferré
Merci à toi. Au revoir.
- Delphine Gardin
Vous venez d'écouter du Pin sur la planche, le podcast. Un grand merci à mon invité pour son temps et son témoignage. Si vous aimez cet épisode, aidez-moi à le faire connaître. N'hésitez pas à mettre des étoiles ou des commentaires sur vos plateformes d'écoute préférées. Et si vous voulez en savoir plus, ça se passe sur Instagram. Rendez-vous sur mon compte Delphine Gardin. A bientôt !