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La RSE, est-ce vraiment un levier de transformation ?

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45min |08/12/2025
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Description

Face à l’urgence climatique et aux attentes croissantes des citoyens, la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) n’est plus un simple outil de communication. Elle devient un moteur de changement, un catalyseur d’innovation… voire un levier de transformation en profondeur.


Mais comment passer d’une RSE symbolique à une véritable métamorphose ? Et surtout, comment repérer les entreprises qui agissent vraiment — et celles qui se cachent derrière le fameux “washing” ?


Impossible d’aborder le sujet sans évoquer Élisabeth Laville, notre première invitée. Pionnière du développement durable en France, elle a fondé en 1993 Utopies, l’un des tout premiers cabinets de conseil en stratégie RSE. Son credo depuis plus de 30 ans : prouver que performance économique et impact positif peuvent aller de pair.


Entrer dans le monde du travail quand on a de fortes convictions n’est pas toujours simple. C’est ce que partage Bérénice Goudet, étudiante à Sciences Po – École du management et de l’impact. D’abord tentée par la recherche, elle voulait rester fidèle à ses valeurs… jusqu’à ce qu’elle découvre qu’une RSE ambitieuse pouvait faire de l’entreprise un lieu d’engagement et d’épanouissement.


En mode impact est un podcast de Sciences Po, produit par Frictions. La musique a été composée par Nils Bertinelli.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    en mode impact.

  • Speaker #1

    Le podcast où l'on explore les grands défis de notre temps et surtout les solutions qui y répondent. La RSE, est-ce vraiment un levier de transformation ?

  • Speaker #2

    Un entrepreneur, c'est quelqu'un qui a envie de relever des défis et là, on a un défi qui donne du sens au travail des gens.

  • Speaker #0

    Ce que j'attends, moi, des entreprises, c'est de l'honnêteté.

  • Speaker #2

    Et de plus en plus chez les jeunes générations, c'est au fond, pourquoi on fait ça et quel sens ça a ?

  • Speaker #0

    J'ai vraiment l'impression cette année d'énormément lutter contre justement cette envie de dire peu importe l'entreprise, peu importe où je vais, même si c'est d'assaut, j'ai besoin d'un stage, j'ai besoin d'expérience.

  • Speaker #2

    C'est une course de fond le développement durable. Donc il faut être capable de tenir les engagements et les initiatives dans la durée. Sinon c'est des coups de pub.

  • Speaker #1

    Face à l'urgence climatique et aux attentes croissantes des citoyens, la responsabilité sociale des entreprises n'est plus un simple accessoire de communication. Elle devient un moteur du changement, un catalyseur d'innovation, voire un véritable levier de transformation. Mais comment passer d'une RSE symbolique à une véritable métamorphose ? Comment repérer les entreprises qui font tout ce qui se termine par washing ?

  • Speaker #2

    J'ai grandi en région parisienne. D'une famille plutôt méditerranéenne, parce que ma mère était marseillaise, et mon père est pied-noir d'Algérie, donc il est arrivé en France à 18 ans, mais donc c'est quand même une famille qui vibre quand elle se rapproche de la Méditerranée.

  • Speaker #1

    Impossible de parler RSE sans évoquer Elisabeth Laville, notre première invitée.

  • Speaker #2

    De sorte que j'ai acheté un appartement à Marseille il y a deux ans, quand ma mère est morte, j'ai renoué avec cette partie-là.

  • Speaker #1

    Pionnière en la matière, elle a fondé dès 1993 Utopie. l'un des tout premiers cabinets de conseil en développement durable en France, bien avant que la RSE ne devienne tendance. Son credo ? Prouver que performances économiques et impacts positifs peuvent et doivent même aller de pair.

  • Speaker #2

    Souvent sur les gens qui travaillent sur le développement durable ou sur les problèmes écologiques, il y a beaucoup de découragement, d'inquiétude, d'éco-anxiété, on appelle ça comme on veut. Et moi je crois au fond... Donc l'enjeu n'est pas d'être optimiste ou pessimiste. Le patron de Patagonia, Yvan Chouinard, que j'aime beaucoup, que j'ai la chance de connaître, dit toujours quand on lui demande est-ce qu'il est optimiste ou pessimiste, il dit qu'il n'y a pas beaucoup de différence entre un pessimiste qui dit tout est foutu et donc qui ne fait rien et un optimiste qui dit tout va s'arranger mais qui ne fait rien non plus. Et lui dit qu'il est un pessimiste attaché à l'action. Et moi, je crois que je suis une optimiste d'action. C'est un peu comme on m'a raconté que le moine Luther avait dit Quand on lui posait la question « qu'est-ce que vous feriez si la fin du monde était pour demain ? » Et il disait « je planterais quand même un pommier » . Voilà ce que je fais depuis 32 ans, je plante des pommiers. Avant HEC, je ne savais pas ce que je voulais faire du tout. Et donc j'ai hésité entre effectivement des études de médecine et je ne savais pas quoi d'autre en réalité. Et puis médecine, je suis allée rencontrer des gens qui faisaient ces études-là, qui m'ont paru très très longues. Et donc, je me suis dit que j'allais opter pour des études de commerce. Comme je ne savais pas ce que je voulais faire, je me disais, ça m'ouvre plus de portes que ça n'enferme. Et on verra plus tard. Je suis entrée à HEC en n'ayant pas du tout d'idée de ce que je voulais faire ensuite. Il y avait une spécialité qui existe toujours, entrepreneur à HEC, que je n'ai pas faite. Quand vous choisissiez cette option entrepreneur, c'était de sauter en parachute et que ça ne m'amusait pas plus que ça. Et que par ailleurs, je n'avais pas de projet d'entreprise particulier. Donc comme je n'avais pas très envie d'entrer dans les banques, comme je n'avais pas très envie d'aller vendre du shampoing, avec le plus profond respect pour ceux qui le font, mais en tout cas ça ne m'attirait pas, je me suis dit que finalement j'allais choisir la publicité à la sortie de l'HEC, quitte à vendre indirectement du shampoing quand même, parce que ça revient à ça un peu. J'avais l'impression qu'au moins c'était des métiers où les gens ne se prenaient pas trop au sérieux. Et surtout parce que j'ai vu à nouveau une citation de, je crois que c'est Einstein qui dit, la créativité, c'est l'intelligence qui s'amuse. Et le job de commercial n'était pas vraiment ce que j'avais envie de faire. Donc, j'ai assez rapidement changé d'agence et basculé sur une fonction qui s'appelle le planning stratégique. C'est déjà travailler sur en quoi ce que propose la marque en question ou ce qu'elle incarne entre en résonance avec des tendances de société, des choses qui sont importantes pour les gens, etc. Et ça, ça posait les prémices du job que je fais maintenant. Et il s'est trouvé que j'avais choisi la deuxième agence où je suis allée exercer ce métier-là de planeur stratégique. C'était CLM BBDO, qui était une agence avec un fondateur qui s'appelait Philippe Michel, qui défendait beaucoup l'idée que les marques peuvent changer le monde. Donc il y avait aussi là quelque chose qui m'intéressait. Et quand j'étais là-bas, mon prof d'anglais, à l'époque on avait des cours d'anglais, il m'a amenée un jour à une revue américaine. qui s'appelle Hutner Reader, qui est une sorte de Reader's Digest de la presse alternative américaine. On devait être du coup en 92 et il m'a amené ça et c'était un numéro, je me souviens très bien, la couverture était un petit clin d'œil à un des parfums de Ben & Jerry's, la marque de crème glacée qui est devenue un de nos clients plus tard. C'était Let Them Eat Rainforest Crunch, Rainforest Crunch étant le nom d'un parfum à Ben & Jerry's. Et le numéro traitait du sommet de la terre à Rio en 92, le sommet des Nations Unies, et du fait qu'un certain nombre d'entreprises allaient à Rio parce qu'elle considérait que les questions écologiques, au fond, ça les intéressait, ça les concernait, elles s'y engageaient, etc. Et donc j'ai commencé à chercher des infos sur ces entreprises-là. C'était un sport, y compris pour les journalistes, pas complètement évident, puisque je vous parle d'une ère où il n'y avait pas Internet. Et puis, dans le même temps, j'ai une amie qui travaillait dans les RH, dans un cabinet RH, avec qui on avait beaucoup parlé de ces sujets-là, du fait que ce que moi je cherchais pour les marques... Au fond, c'est ce qui donnait du sens aux produits. Et elle cherchait la même chose pour ce qu'on appellerait aujourd'hui la marque employeur. Il donne du sens au travail des gens. Et on avait pas mal parlé de ça. Et à un moment, le cabinet petit dans lequel elle bossait a fermé. Et elle m'a dit, je vais créer une boîte. Et j'ai dit, on la crée ensemble. Et voilà, c'est parti comme ça. Donc, on a créé Utopie en 93. D'abord sous forme d'association, parce qu'au fond, on avait un projet un peu militant. qui était de promouvoir une vision plus engagée, plus responsable dans les entreprises. Et d'ailleurs, pour la petite anecdote, à l'époque, il y avait aussi à la tête du CNPF, donc l'ancien MEDEF, une équipe autour de Jean Gandoua qui était arrivée autour d'un projet sur l'entreprise citoyenne. Et donc, j'ai demandé un rendez-vous. On a vu son numéro 2, Jacques Dermagne. Et il nous a reçus, il était très gentil, un peu condescendant parce qu'on était deux filles jeunes, heureusement j'avais le diplôme d'HEC qui me crédibilisait un peu. Et j'ai parlé de François Lemarchand, le fondateur Nature et Découverte, qu'à l'époque je ne connaissais pas, en disant oui voilà, regardez, un entrepreneur qui crée une entreprise pour aider les urbains à mieux comprendre la nature, avec l'idée que s'ils la comprennent mieux, ils la respectent mieux, etc. Il m'a regardé, il m'a dit non mais vous êtes quand même très naïve, en mode François Lemarchand c'est avant tout un commerçant qui veut créer des magasins. Et je me souviens, on est sortis du rendez-vous et sur le trottoir, j'ai dit à Catherine, on va appeler ça utopie, puisqu'on va assumer le fait qu'on est complètement naïves et que pour des gens qui sont dans le business, c'est complètement hallucinant. À l'époque, effectivement, on ne parlait pas du tout de RSE, de développement durable, etc. On parlait d'entreprise citoyenne. L'idée derrière, c'est que les entreprises ne peuvent pas durablement prospérer dans des environnements naturels, humains, sociaux qui dépérissent. et que donc, si elle gagne de l'argent... Elles doivent et peuvent consacrer une partie de cet argent à nourrir la santé, je dirais, un peu globale de ces écosystèmes dans lesquels elles évoluent. Donc ça restait de la philanthropie principalement. Mais on commençait à voir ce pourquoi, par exemple, Coluche avait créé à peu près à cette époque-là, de mémoire aussi, les Restos du Coeur. C'est-à-dire qu'on commençait à voir que quel que soit le bord politique du gouvernement, parfois il n'arrivait pas à résoudre les problèmes sociaux, en l'occurrence plus qu'environnementaux à l'époque. Et donc la sphère privée prenait le relais, entre guillemets, prenait le relais via des associations, des fondations, et puis progressivement via les entreprises. Et nous, on est arrivé là-dedans en disant, en fait, ce n'est pas via la philanthropie qu'il faut faire ça, c'est via le cœur de l'activité de l'entreprise. Ce n'est pas, je vais faire n'importe quelle activité, y compris une qui détruit, entre guillemets, la société ou la planète, et ensuite, par la fondation, je vais réparer un peu, avec ma main gauche, les dégâts que je cause avec ma main droite, ou que je contribue à aggraver avec ma main droite. C'est de se dire, on met ça au cœur de l'activité, et du coup, au cœur de l'offre, et au cœur du modèle économique. Et là, je me rends compte que je dis la même chose depuis 32 ans. Nous, on a, chez Utopie, développé une petite grille d'analyse qui dit, en gros, ça a commencé dans les années 80 avec de la philanthropie, les grandes fondations, etc., jusqu'au sommet de la Terre à Rio. Ça, c'est de la philanthropie, c'est une espèce d'ère préhistorique de la RSE. Tous les gens qui étaient à Rio reviennent, Simone Veil avec d'autres va créer le comité 21 pour essayer de diffuser l'esprit de l'agenda 21 et de tout ce qui s'était discuté à Rio dans les collectivités mais aussi dans les entreprises et dans les administrations. Et donc ça change un peu et là on arrive dans ce que moi j'appellerais la RSE 1.0 qui est en gros continuer à faire l'activité qu'on mène, quelle qu'elle soit, y compris quand elle est nuisible. potentiellement ou qu'elle a des impacts qui ne sont pas que positifs sur la société et la planète, continuer cette activité et essayer de le faire le moins mal possible. Produire moins de déchets, consommer moins d'eau, produire moins de CO2, payer mieux les gens, y compris dans la chaîne de fournisseurs, etc. En général, les entreprises dans une ou deux gammes vertes, qui en général ne marchent pas, parce qu'on ne les soutient pas en marketing, on les fait plus pour dire qu'on les fait. Et l'autre chose, c'est que c'est très incrémental. Il y a ce truc sur la RSE qui revient toujours, c'est le progrès continu. Et donc le progrès continu, ça veut dire que vous progressez très peu, mais que vous allez le faire avec constance très très longtemps. Aujourd'hui, il y a cette idée que l'urgence des défis, notamment écologiques, qui sont devant nous, fait que le progrès continue, ça ne va pas suffire. On a vu ça très clairement pendant le Covid. En 2020, pour la première fois, on a réduit les émissions de CO2 planétaires du niveau qu'il faudrait qu'on fasse chaque année jusqu'en 2050 si on veut atteindre les objectifs de l'accord de Paris, c'est-à-dire moins 7 à moins 8 %. Mais sauf qu'en 2020, on a atteint cet objectif-là uniquement. parce qu'on a arrêté les activités humaines à la surface du globe pendant un peu plus qu'un trimestre. Et la difficulté, c'est d'atteindre ce niveau de réduction en relançant les activités plutôt qu'en les arrêtant. Et donc, pour relever les défis radicaux qui sont devant nous, la progression incrémentale ne suffit pas. Il faut des objectifs radicaux. Et ça, pour moi, ça passe par revoir la mission, la raison d'être, revoir radicalement l'offre, c'est-à-dire prévoir non pas une gamme verte qui ne se vend pas. mais se poser la question de combien de temps je me donne pour transformer 100% de mon offre et l'aligner sur les limites planétaires, si j'ose dire, et du coup revoir mon modèle économique, combien de temps je me donne pour que 100% de mon chiffre d'affaires vienne de produits, de services, d'activités qui soient alignés avec les limites planétaires et radicalement alignés sur les contraintes qu'on a. Si je remplace les gobelets en plastique, Dans une entreprise, par une tasse, c'est très vertueux. Et je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire. En revanche, je dis juste qu'une fois que vous avez fait ça, si le cœur de votre activité, c'est de piller les forêts ou d'une activité chimique qui pollue énormément, vous avez changé un tout petit peu votre activité, d'accord ? À la marge, même si vous servez des repas bio et végétariens à la cantine. Voilà. Genre le PDG peut venir en vélo au bureau plutôt qu'en voiture et se déplacer un peu moins en avion et faire un peu plus de visio. Si le cœur de l'activité ne change pas, évidemment que... 80, 90, 99% des impacts sont dans le cœur de l'activité. Et ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas le faire. Parce que c'est aussi un sujet de cohérence. Et que c'est par l'optimisme d'action, c'est en agissant qu'on a encore plus envie d'agir. Donc il faut bien commencer quelque part. Et évidemment, si vous êtes PDG d'une boîte polluante, c'est plus facile de commencer à dire que vous venez en vélo et que vous prenez moins l'avion que de dire attendez les gars, on va tout changer en deux jours. Et j'avoue que ces derniers temps, ça m'agace un peu. Il y a beaucoup de gens qui arrivent sur ces sujets qui du coup ne disent plus RSE. Comme si ça désignait un truc qui est complètement désuet et qui franchement n'a aucun intérêt, un peu dans l'esprit de ce qu'on disait, parce que cosmétique, superflu, superficiel, etc. Et on dit, notamment parfois, du coup, il faut évoluer vers l'entreprise régénérative. C'est super, moi je suis pour que l'entreprise ne se contente pas de limiter les dégâts qu'elle cause. mais que, un, elle n'en cause plus, et que même, elle essaie de réparer ce qu'elle a causé par le passé, voire même que son activité consiste à réparer ce que d'autres causent. Et donc, évidemment que le régénératif, personne ne peut être contre, mais ce n'est pas parce que vous décidez, vous déclarez que vous êtes régénératif, que vous le devenez. Et je constate quand même que souvent, ce terme est employé à propos d'entreprises qui font, pardon, mais même pas le B.A.B.A. de la RSE 1.0, ni le B.A.B.A. de la RSE 2.0, tout le sens du mot utopie à la base. C'est un objectif qui est inatteignable, qui est loin devant vous. Et il y avait une jolie phrase d'un écrivain qui s'appelle Eduardo Galeano qu'on mettait en exergue de notre manifeste, qui dit « L'utopie est devant moi, j'avance de deux pas, elle recule de deux pas. Bon bref, aussi loin que je pourrais marcher, elle sera toujours très loin de moi. » Et il dit « L'utopie, elle sert à ça, elle sert à avancer. » Bon, donc le régénératif, c'est une jolie utopie. Après, on ne peut pas se contenter de discours. Et c'est difficile de mobiliser les salariés sur la réduction des impacts négatifs. Donc on préfère aller chercher, d'où aussi l'engouement pour la raison d'être, etc. Parce que là, on a au moins une façon de motiver les gens sur quelque chose qui a une contribution positive et pas juste la réduction d'un impact négatif. C'est un peu comme si dans un couple, vous disiez, on va très bien parce qu'on se tape moins sur la figure. Non, ça ne marche pas. Donc c'est un peu pareil, il faut aller chercher quelque chose de plus positif. Et donc, pour savoir si vraiment une entreprise est engagée sur la RSE ou pas, ce n'est pas tellement le terme qu'elle emploie que je regarde. Moi, personnellement, je regarde qu'est-ce qu'elle fait dans son offre, quelle part de son offre, quel part de son chiffre d'affaires est alignée avec les limites planétaires, les principes de ce qu'il faudrait faire en termes de développement durable. Et ce n'est pas le fait qu'elle le dise qui est le critère, c'est sur quelle, notamment, certification opposable, elle s'appuie pour dire qu'elle le fait. Vous êtes une marque alimentaire et vous avez... 2% de produits bio et tout le reste dont vous dites que ça vient d'une agriculture régénératrice qui, je ne sais pas quoi, s'enlabe, ben pour moi c'est du pipeau et je m'en tiens au label Quelle part de votre activité est concernée ? Et souvent, cette question-là, c'est la question qui tue. Un entrepreneur, c'est quelqu'un qui a envie de relever des défis. Et là, on a un défi qui donne du sens au travail des gens. Et de plus en plus, chez les jeunes générations, c'est au fond, pourquoi on fait ça ? Et quel sens ça a ? Comment ça va contribuer à mon utilité, à moi, dans le monde ? Et donc, si vous ne répondez pas à cette question, les gens vont rester un peu pour le salaire, même si vous augmentez beaucoup les salaires. Au bout d'un moment, ils vont partir. Et ça donne du sens aux produits et au fond ce qui fait qu'un consommateur va acheter votre produit ou votre service de préférence à cent mille, dizaines de milliers de produits ou services concurrents, c'est bien l'histoire que vous racontez. Et l'histoire que vous racontez, ce n'est pas une histoire pipo qu'on raconte dans la pub. Vous achetez des baskets Veja, il y a du caoutchouc équitable cultivé au Brésil par des gens qui du coup entretiennent la forêt amazonienne en en tirant subsistance. qui sont payés de manière correcte et qui polluent beaucoup moins que du caoutchouc synthétique. Donc ça raconte une histoire vraie. Comme je suis optimiste, j'ai commencé par la carotte, mais parlons du bâton. Les entreprises, aujourd'hui, sont de manière croissante un peu dans un entonnoir qui se réduit, qui arrive à un micro-tunnel, avec plein de contraintes. Donc les contraintes réglementaires sur tous les marchés de non-toxicité des produits. de qualité, de traçabilité de vos matières premières, etc. Il y a la CSRD, des contraintes sur les entreprises, le pacte vert, même s'il est un peu malmené, mais enfin, le plastique à usage unique, la loi économie circulaire, la loi climat et résilience. Il y a plein de choses qui poussent. Et effectivement, il y a aussi le fait que si vous n'intégrez pas ces considérations dans vos stratégies, vous risquez de vous retrouver face à des crises, des crises de réputation. des crises de pénurie de matières premières. La Californie est le premier producteur d'amandes. Les amandiers, c'est très gourmand en eau. Avec la sécheresse, les incendies, etc., il y a moins d'amandes en Californie. Si vous êtes producteur d'amandes ou de produits à base d'amandes, de pâtes d'amandes en France, vous êtes en pénurie d'amandes parce qu'il n'y en a plus. Le Canada est le premier producteur de blé dur au monde. Le dôme de chaleur après le Covid, soudain, il fait 50 degrés. La production de blé dur, baisse de 30% au Canada. Le prix du blé dur canadien augmente de 30% à peu près. Et la France qui s'approvisionne manque de blé dur et vous avez des pénuries de pâtes. Donc ça ne veut pas dire que si le fabricant de pâtes s'engage sur le climat, il sera le seul à ne pas être en pénurie, puisque évidemment le climat est un phénomène global et que le son d'action va avoir de l'impact, mais une petite partie d'impact dans un phénomène plus large. En revanche, ça veut dire que si l'intègre La question de l'adaptation climatique à son sourcing, il sait qu'aujourd'hui, on ne peut plus dépendre d'une seule source d'approvisionnement parce que les aléas climatiques sont tels que ça vous met en risque et que donc il faut diversifier. Et que s'il diversifie, c'est peut-être pas mal de sourcer une partie de ses matières premières plus près de lui parce qu'au moins, il a un peu plus le contrôle de ce qui se passe. Et puis que si le Canada est défaillant, il pourra s'approvisionner en France ou en Europe, etc. C'est ça, intégrer ces questions dans la stratégie. Vous voyez bien qu'on est très loin du mécénat. Ce qu'on fait depuis toujours chez Utopie, c'est qu'on travaille avec des entreprises. On a un diagnostic de départ, souvent qualitatif. On va interroger les dirigeants, on va interroger des parties prenantes externes, on va interroger des ONG qui travaillent sur ces sujets-là pour essayer d'avoir une vision de quels sont les enjeux principaux, à la fois ceux qui vont avoir un impact sur l'entreprise, mais ceux sur lesquels l'entreprise a un impact. Et puis parfois, dans le diagnostic, il y a aussi des éléments de quantification. Pour savoir si on progresse, il faut mesurer le bilan carbone, une empreinte biodiversité, une empreinte socio-économique, un état des lieux sur le questionnaire d'évaluation bicorps, par exemple, pour savoir si l'entreprise est loin de la certification ou pas. Ça vous donne une note sur 200 points. Il faut avoir 80 points pour être certifié. Si, quand on fait le questionnaire qui est en open source, en ligne, il faut le dire parce que c'est suffisamment rare pour être signalé. vous faites le questionnaire et que vous avez 10 points, même en intégrant de manière un peu large ce que vous ne faites pas encore mais que vous pourriez faire, si vous arrivez à 25 points, vous voyez la marche à franchir. Et puis, à partir de là, on discute avec l'entreprise. Selon nous, de ce qui ne peut pas être ignoré, il y a des choses souvent qui étaient dans l'angle mort avant, dont on ne voyait pas trop, dont on ne voit pas trop l'impact business, etc. Et on essaie, à partir de là, de construire une stratégie cohérente. Et puis, on met en place des indicateurs pour mesurer le progrès. Et l'idée, c'est évidemment de piloter cette progression au fil du temps. Et puis, selon les cas, on est consulté sur certains aspects. L'exemple de Galerie Lafayette, il est intéressant parce qu'on a travaillé sur ce que j'évoquais tout à l'heure, c'est-à-dire sur la transformation de l'offre. Et on avait bien traité, ils avaient bien traité d'ailleurs sans nous, tous les sujets périphériques dont on parlait tout à l'heure. Le recyclage des cintres, ok ? C'est cool de recycler les cintres, mais évidemment, ce n'est pas le cœur de l'activité. Et donc nous, notre boulot, ça consistait à leur dire, tout ce qui est périphérique et qui n'était pas trop compliqué à faire a été fait. Maintenant, il faut s'attaquer au cœur du sujet. Comment je sélectionne les produits que je vends ? Est-ce que ce sont des produits qui sont alignés avec les limites planétaires, le développement durable, etc. ? Et est-ce que je pousse ? Est-ce que je mets en avant, via des promotions, etc., les produits les plus responsables ? Et donc, on leur a proposé de faire ce programme qui s'appelle maintenant Go4Good. Et c'est un exemple hyper intéressant parce que ça existe depuis 2018. Ce n'est pas un sprint. Donc, il faut être capable de tenir les engagements et les initiatives dans la durée. Sinon, c'est des coups de pub. Donc, ils sont allés voir, les acheteurs sont allés voir, et ils le font encore, tous leurs fournisseurs en disant, voilà, on a fait une liste des labels qu'on considérait être mieux disant. Et puis, ils sont allés voir les fournisseurs en disant qu'est-ce que vous avez comme produit qui est dans la plaque ? Et c'est d'ailleurs amusant parce qu'on a eu, nous, des entreprises qui sont venues nous voir après en disant, bon, il faut qu'on travaille vite là-dessus parce qu'on a les acheteurs de Galeries Lafayette qui nous demandent quels sont nos produits labellisés. Et en fait, on n'en a pas ou on s'est rendu compte qu'il y en avait très peu. Et du coup, on ne rentre pas dans leur programme Go4Good, etc. Et dans les discussions initiales, on avait dit, il faut que vous fissiez des objectifs de part de chiffre d'affaires. Et là, super bonne nouvelle, c'est pour ça que je vous dis la persévérance paye. c'est qu'aujourd'hui, ils sont à 28% du chiffre d'affaires en produits go for good. Et ça a été, d'ailleurs, cette démarche, joyeusement, mais très heureusement, imitée par d'autres, la cosmétique, les parfums, le bâtiment, enfin voilà, donc c'est super. On a vraiment réussi à faire avec eux, enfin je veux dire, c'est toujours grâce au client, nous, on est catalyseurs au mieux de quelque chose. Quand j'y vais, en tout cas, je me dis, ah ben là, ça a changé quelque chose. Et moi, je dis toujours à mon équipe, il faut qu'on ait beaucoup d'ambition parce qu'on veut changer le monde et beaucoup d'humilité parce que la plupart du temps, ça ne marche pas. Est-ce que Martin Luther King et Gandhi ont résolu le problème de la guerre et de la paix ? Je n'ai pas l'impression et ils ont eu de l'impact. Donc on ne va pas résoudre, enfin je pense que c'est extrêmement prétentieux et du coup totalement stérile, de dire non mais il faut que chaque mission qu'on mène résolve le problème du climat, etc. chez ce client, voire le problème du climat tout court. Alors là, on confie nos délires. et donc le sujet c'est d'abord trouver du plaisir dans le fait de faire ce boulot là parce qu'on a l'impression d'être utile parce qu'on a l'impression d'être au bon endroit parce que moi j'ai depuis 32 ans sinon je ferais autre chose plutôt que de quelque chose qui se passerait après qu'on ne maîtrise pas parce qu'en plus c'est les stoïciens c'est faire le maximum sur ce qui dépend de moi et lâcher prise sur ce qui ne dépend pas de moi

  • Speaker #1

    Quand on entre sur le marché du travail avec de fortes convictions, pas facile de savoir vers quel job se tourner. Bérénice Goudet, étudiante à Sciences Po au sein de l'école du management et de l'impact, a bien failli fuir le monde de l'entreprise avant même d'y entrer. Tentée par la recherche, elle voulait avant tout rester fidèle à ses valeurs, jusqu'à ce qu'elle réalise qu'une stratégie RSE ambitieuse pouvait justement faire de l'entreprise un lieu où elle pourrait s'épanouir.

  • Speaker #0

    Moi, quand j'avais 15 ans, je me suis investie chez Extinction Rebellion, qui est un mouvement de désobéissance civile non-violent et écologique, qui m'a beaucoup modelé mon adolescence. Je ne me sentais pas forcément très bien dans mon collège et dans mon lycée. Je n'avais pas l'impression que l'école représentait mes valeurs et mes préoccupations. Parce que, mine de rien, je pense que c'est commun à ma génération, mais moi j'ai grandi avec les photos du prix Pulitzer, où on voit un des ours polaires faméliques sur les banquises, où... On étudie la COP 21 en sixième et les accords de Paris. Et en fait, ça faisait beaucoup de stress et de tristesse aussi. Et j'avais l'impression de ne pas vraiment trouver des personnes avec qui je pouvais en discuter, avec qui j'allais essayer, en tout cas, de passer dans l'action. Et Extinction Rebellion, c'est vrai que ça a été très populaire en 2016, 2017. Il faisait beaucoup de mouvements, c'était très attrayant. Moi, à l'origine, j'étais juste venue pour discuter. Et en fait, c'était des gens super. Il y avait beaucoup de profs dans ce mouvement aussi, donc ça me faisait un peu un lien aussi entre moi, ce qui m'inspirait dans le milieu académique et ce qui m'inspirait dans le milieu personnel. Et donc oui, clairement, je passais beaucoup de temps de ma semaine. J'ai un peu séché les cours aussi pour faire des actions. Retirer les pubs sur les panneaux publicitaires à l'aide de clés magiques. À s'allonger devant des avions à Roissy, donc c'est très vaste. J'ai arrêté la désobéissance civile parce que j'ai... J'ai estimé qu'en fait, la force du mouvement, elle reposait beaucoup sur la médiatisation qui s'est en fait arrêtée. Au bout d'un an, puisque forcément les médias se lassent, le public se lasse, et donc j'ai considéré qu'il y avait beaucoup trop de moyens dépensés pour le résultat, et que donc il me fallait une autre approche. Et tout ça, ça a rentré un peu aussi en compte avec mon envie de rentrer à Sciences Po et de passer dans une autre dimension peut-être. En fait, ça a nourri ma réflexion parce que je me suis rendue compte que, mine de rien, ces personnes qui étaient engagées, elles passent quand même 3-5e de leur semaine à travailler pour leur entreprise, et ces entreprises, elles doivent refléter. leurs pensées, elles doivent refléter leurs engagements et surtout on ne peut pas les exclure parce qu'on considère que c'est du capitalisme ou parce qu'on considère qu'elles sont hors spectre, c'est trop facile et moi qui étais passionnée d'économie à ce moment-là, c'était aussi une voie facile un peu de sortie de me dire, moi je vais faire de la macro-économie je vais devenir chercheuse et je ne serai pas dans ce paradigme des entreprises justement et ça me permettait un peu de concilier moi, mon amour pour les maths et l'éco. et aussi mes engagements écolos et sociaux. Mais en fait, l'envie de travailler pour des entreprises m'a rattrapée parce que c'est quand même le cœur de ce qui se passe dans la vie de tous les jours pour tout le monde, pour tous les Français et les Françaises, je pense. Il y a beaucoup de choses à faire. Je me suis dit qu'on ne pouvait pas laisser tomber les entreprises sous prétexte que pour l'instant, ce n'était pas parfait. En fait, c'est en discutant avec des doctorants en économie où je me suis dit que leur travail était super, mais que ça me semblait tellement... Loin des réalités des petites et moyennes entreprises, qui sont en vrai les entreprises dans lesquelles tout un chacun travaille, et qui sont un petit peu isolées et seules dans leurs réflexions, dans leurs transitions, et qui sont parfois un petit peu jugées ou mises de côté. Et donc ça m'a semblé assez évident que la responsabilité sociale des entreprises, elle avait aussi une vocation pour les entreprises, c'est pas qu'un coût pour elles, il y a aussi des énormes bénéfices dont il faut qu'elles entendent parler. qu'elles en prennent conscience. Tout se discute encore, c'est rien de fixe. Moi, je pars du principe que dans 10 ou 15 ans, les modèles que j'utilise, par exemple, je fais de l'évaluation d'entreprise, d'estimer leurs valeurs. Il y a des approches très connues, des modèles que je peux apprendre et appliquer, que ce que je fais. Mais ce qui est important, c'est aussi de savoir l'approche globale parce que dans 10 ou 15 ans, ces modèles seront obsolètes puisqu'on aura découvert que finalement, le risque climatique est devenu tellement important qu'on doit le considérer. dans la façon dont on évalue les entreprises dans 5, 10 ou 15 ans. Et aujourd'hui, c'est déjà le cas. Par exemple, dans le secteur de l'assurance, aujourd'hui, les assurances, elles ont entre 4 et 5 % de frais en plus à payer aux assurés à cause des incendies, inondations, des règlements climatiques de manière générale. Et donc, tout ça, ça déstabilise leur business model et ça pousse les personnes qui évaluent les entreprises à repenser la façon dont elles vont le faire. Et moi, si j'ai envie d'être une bonne professionnelle aussi dans 15 ans... Il faut que je sois capable d'avoir le recul nécessaire pour me dire, le risque environnemental, c'est ça, et je peux le prendre en compte de cette façon parce que je sais ce que c'est. Quand on sort d'école aujourd'hui, on nous propose beaucoup de travail très prestigieux dans des très grandes entreprises, qui sont très bien payées, mais qui ne sont vraiment pas forcément du tout alignées avec des convictions éthiques. Et ce n'est pas si simple de sortir, notamment quand on est science-piste. que depuis qu'on est tout petit, on nous dit qu'on est super, qu'on est très bon à l'école, qu'on est des bons élèves. On a envie de suivre le modèle qui nous est tracé, à savoir d'être dans l'excellence la plus totale jusqu'au bout, même dans sa carrière professionnelle. Clairement, depuis que je suis petite, je suis la bonne élève. Et justement, la finance, ça me pousse à sortir de ça, puisqu'en finance, on n'attend pas des bons élèves, on attend des gens efficaces sur le moment, qui sont parfois, font un travail bâclé, mais qui sont là.

  • Speaker #1

    Je suis en master finance et stratégie.

  • Speaker #0

    Heureusement qu'à Sciences Po, on a justement le centre pour l'entrepreneuriat qui nous permet de soit rencontrer des entrepreneurs ou même de suivre des cours qui nous permettent de sortir un peu de ce paradigme de la sécurité et d'essayer de prendre un peu des risques professionnellement sur nos engagements. Être dans une entreprise responsable, ça compte, mais pour moi, ça ne suffit pas. C'est-à-dire qu'en fait, pour moi, il y a des secteurs qui sont intrinsèquement incompatibles, théoriquement, avec les principes de responsabilité sociale des entreprises. Je ne sais pas si je pense au luxe, au maquillage. à la mode. Et pourtant, ces activités-là et ces entreprises, elles font partie de notre quotidien, de notre culture, de notre confort. Et on ne peut pas les annuler de la société pour autant. Ce que j'attends, moi, des entreprises, c'est de l'honnêteté intellectuelle, de dire « alors on n'est pas la société la plus green puisqu'on est l'Oréal, par exemple, et notre secteur d'activité, il est intrinsèquement, pas forcément de manière environnementale, très pertinent, mais on peut faire d'autres choses. On peut faire quelque chose en matière de droits des femmes, c'est ce qu'ils font, par exemple. » C'est très facile aussi pour moi de me dire que je vais aller travailler chez Ecotone, qui est une marque qui collectionne les marques véganes, par exemple, européennes, style Bjorg, etc. C'est RAL Bio. Sauf qu'en fait, ces entreprises-là, elles ont un bilan super. Elles ont 95% d'émissions de moins, etc. Mais c'est parce que foncièrement, leur activité est très écologiste. Et si on applique des modèles, par exemple, je pense à la Size B Matrix, qui est un modèle de comptabilité, une initiative créée aux Etats-Unis, qui en fait permet de pouvoir comparer des entreprises dans leur secteur parce qu'on leur applique des standards différents selon leur activité. C'est-à-dire qu'une entreprise... agricoles, on va le plus lui appliquer des principes de sécurité de leurs employés ou de gestion des eaux et de gestion des déchets, très important, et moins forcément d'émissions de carbone, parce que c'est moins le sujet. Et donc, tout de suite, quand on regarde Ecotone à ce moment-là, on se dit effectivement, ils se reposent beaucoup sur leurs acquis, de pouvoir faire des émissions très faibles, etc., mais ils ne vont pas challenger ce qui fait qu'ils consomment plus à certains endroits. Et c'est ça qui est le plus dur, je pense, et qui crée la méfiance, puisque pour moi, la RSE, elle repose quand même principalement sur la confiance. La confiance envers les investisseurs de l'entreprise, mais aussi envers les consommateurs et les clients. Et cette confiance, elle est beaucoup remise en question par le fait qu'on a l'impression qu'on est inondé par toutes les entreprises de leurs actions en lien avec l'ESG et leurs responsabilités sociales. Mais on a beaucoup de méthodes qui existent, de labels, mais on n'a pas un seul critère, on n'a pas une seule note. C'est ça qui nous manque. Et la directive CRCRD en Europe, elle avait pour but justement de dire que vous allez compléter ce grand tableau. de 200 pages, mais à la fin, on pourra vous comparer et on pourra vous donner une note qui permettra, en un coup d'œil, pour les investisseurs et pour vos consommateurs, de savoir où vous vous situez. Je pense que ça a beaucoup été une façon marketing ou une obligation que les entreprises se sont imposées en se disant il ne faut pas qu'on sorte de la traîne, il ne faut pas qu'on devienne impopulaire, mais aujourd'hui, je ne pense pas, notamment parce que les managers, les dirigeants d'entreprises, ils ont des enfants. Ils ont grandi, ils sont matures et ils savent, ils ont envie de créer un monde un peu différent. A l'origine, si l'entreprise elle existe, c'est qu'il y a un besoin, et cette entreprise répond à ce besoin, et c'est ça qui lui permet de générer du profit. Et donc, penser la RSE, c'est vraiment penser, revenir à notre modèle de société et se dire c'est quoi une entreprise et pourquoi est-ce qu'on crée ces entreprises. Et en ça, c'est forcément un levier de transformation puisque ça nous pousse à revenir à l'origine et forcément, ça change un petit peu le résultat final. D'aujourd'hui, avoir des sociétés à mission qui se donnent des buts et des objectifs, alors oui, c'est très imparfait, c'est pas toujours concret, et il y a beaucoup sûrement qui l'utilisent à des fins très lucratives à court terme, de ne pas sortir de la course, mais il y a aussi des entreprises qui pensent très long terme et qui pensent que ça va devenir un avantage considérable. Ce qui est un peu énervant aujourd'hui, c'est de voir... toutes les entreprises, si on lit leurs rapports, parce que moi je passe mes semaines à lire les rapports d'entreprises, soit destinés aux investisseurs, soit les fameux documents d'enregistrement universel, qui font 700 pages, mais aujourd'hui sur les 700 pages, il y en a quand même, je pense, au moins 500 qui sont consacrés aux critères extra-financiers, donc environnementaux, sociaux, et de gouvernance. Et ça, c'est assez difficile d'avoir le recul, puisque au bout d'un moment, si on lit le rapport de Nestlé, d'Anon, au Total, on a l'impression que c'est les leaders de la transition climatique. Or, effectivement, quand on prend un peu de recul, on se dit... Est-ce qu'il y a quelque chose qui ne va pas là-dedans ? Donc l'engagement, il doit surtout être honnête. Et je pense qu'on attend de travailler dans une entreprise qui justement peut avoir l'honnêteté et la confiance envers ses collaborateurs de leur dire ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Et certaines entreprises le font très bien. Pour moi, une entreprise modèle dans cette relation de confiance, c'est BNP Paribas. Alors a priori, on se dit, comment ça, une banque ? Mais en fait, ça a été un des premiers, il y a 15 ans, à dire... Il nous faut quelqu'un déjà au COMEX qui s'occupe de ces questions-là. A l'époque, ce n'était même pas une question de salariés. On va créer 200-300 postes de personnes qui s'occupent des questions RSE, qui vont conseiller les équipes et qui vont aussi faire de la communication, mais qui seront dans toutes les équipes, de tous les pôles, de tous les secteurs, de toute notre activité. Et ça, c'est très fort et ça paye au bout de 10 ans, 15 ans, puisque je pense qu'aujourd'hui, en termes de secteur bancaire, c'est les leaders. de la transition écologique. Et clairement, ça va s'accélérer pour eux, et ça s'accélérera bien, puisqu'ils ont posé les bases, déjà, et pas essayé d'en deux ans construire un plan pour drastiquement tout changer qui n'aurait pas de sens. C'est d'accepter de parfois être à contre-courant, parce que je trouve qu'il y a un petit peu trop cette idée reçue qu'une entreprise qui va mettre en place des mesures environnementales et sociales, elle va forcément gagner en popularité. Aujourd'hui, on voit que ce n'est pas le cas. Il n'y a qu'à penser à la politique de Donald Trump en ce moment, anti-inclusion, au point de vouloir rompre, de rompre, tous ses partenariats avec des entreprises françaises qui ont des contrats avec le gouvernement. qui respectent des politiques d'inclusivité. Elles doivent respecter des politiques de non-inclusivité pour pouvoir travailler avec le gouvernement américain. Donc là, on est complètement dans une injonction contradictoire pour les entreprises de se dire, en fait, qu'est-ce qu'on attend de moi ? Qu'est-ce qu'il faut que je fasse ? Et puis, d'un côté, des investisseurs aussi. On a beaucoup d'entreprises qui, justement, essayent de protéger leur intérêt social et général et commun. En nommant un CEO qui est très engagé pour ces questions-là, qui est dans l'entreprise depuis très longtemps, pour justement essayer d'avoir cette valeur d'entreprise. Là, je pense par exemple à Michelin. Et en fait, au bout d'un moment, on va avoir des actionnaires, des investisseurs qui vont dire, mais en fait, là, ce que vous faites, ce n'est pas maximiser le profit pour nous dans deux ans, trois ans, cinq ans. Donc, on vous vire. C'est très problématique. C'est des petits pas en avant, des petits pas en arrière. Les entreprises ne savent pas très bien où se positionner. Et il faut avoir le courage quand même de se dire qu'à long terme, ça vaut le coup, qu'il y a de la demande et que justement, aussi de mettre en avant que ce n'est pas un coût forcément l'ARSE. Aujourd'hui, c'est prouvé par Goldman Sachs, par J.P. Morgan, par tous les institutions que vous voulez qu'avoir au moins la moitié des femmes dans les postes de direction, ça augmente considérablement, très factuellement, les cours des actions des entreprises, mais aussi leur rentabilité, leur profitabilité, le bien-être au travail, etc. Et je suis sûre que... Mais malheureusement, il n'y a pas vraiment d'études encore que c'est pareil pour la diversité ethnique, pour l'inclusivité des personnes en situation de handicap. C'est une évidence. La diversité, le bénéfice, il s'applique pour tout le monde. Et donc ça, ça va rentrer au fur et à mesure dans les mœurs, parce que c'est de la rationalité, tout simplement. Mais on n'est pas encore à ce stade-là, je pense. Donc évidemment, à Sciences Po, dans mon école, on a le tronc commun, qui nous permet de faire des sciences sociales, mais aussi des enjeux du numérique. et des questions RSE et on a aussi des outils qui nous permettent de sortir un peu du paradigme de l'excellence carriériste et professionnelle traditionnelle et ça passe par le Centre pour l'entrepreneuriat et moi un cursus dans lequel je suis très investie cette année avec l'Impact Studio qui nous permet de rejoindre des projets menés par des entreprises ou des associations qui viennent à la rencontre d'étudiants pour résoudre leurs problèmes stratégiques ou très concrets en lien avec la RSE. Moi cette année je collabore avec Natixis IM pour justement revoir avec eux une stratégie RSE, faire une évaluation de leur stratégie par rapport aux autres banques qui font la même chose qu'eux, mais aussi par rapport à leurs collaborateurs en interne sur leur stratégie de communication, sur est-ce que les collaborateurs sont dans le bateau avec eux sur les questions RSE, et à la fin de l'année proposer un prototype qui permettrait... d'une manière un peu originale, de penser cette solution, qui soit peut-être un peu plus aussi à notre échelle d'âge, en disant, nous, si on était chez Natixis IM, voilà ce qu'on aimerait qu'on nous propose, qu'il soit un petit peu différent. Le but, c'est que ce soit le plus concret possible. C'est inévitable que la RSE soit au centre de nos formations, puisque justement, on ne peut pas avoir de modèle contradictoire. On ne peut pas avoir des cours de management où on nous dit que promouvoir l'inclusivité, c'est super pour l'entreprise, et à côté... où on nous dit qu'en fait, il faut évaluer les employés sur leur rentabilité à court terme et se séparer de ceux qui ne sont pas au niveau. Donc en fait, c'est une question aussi de cohérence, d'un moment faire le choix de... Non, en fait, c'est ça le modèle qu'on veut et donc c'est ça qu'on va apprendre aux étudiants. Moi, en tout cas, en finance, j'ai l'impression d'avoir des cours de Sustainable Finance qui sont effectivement, là pour le coup, très centrés sur ces questions-là, mais je n'ai pas l'impression que celles-ci sont contredites. dans mes autres cours de finance, puisque ça revient sur le tapis à un moment ou à un autre. Les questions de gouvernance, j'en parle dans tous mes cours, parce qu'il y a des enjeux très forts à la clé et que ça va être important dans mes emplois. Notre principal rôle, c'est de faire un peu pression, donc c'est d'être très intransigeant sur ce qu'on veut et ce qu'on ne veut pas. En fait, c'est de montrer aux entreprises que si elles veulent trouver des talents dans les prochaines années, il va falloir qu'elles soient aussi attractives pour ces talents-là. Aujourd'hui, on parle beaucoup, par exemple, du télétravail et que les entreprises se trouvent un peu coincées si elles n'en offrent pas. Mais ça va beaucoup plus loin que ça. Je pense que certaines entreprises, et justement, c'est aussi pour ça qu'elles essayent de mettre en avant les critères ESG, parce qu'elles savent que dans cinq ans, elles auront du mal à trouver des étudiants prêts, en tout cas les meilleurs talents, prêts à rentrer dans leur entreprise si jamais elles ne se remettent pas en question. C'est très, très dur. Moi, j'ai vraiment l'impression cette année d'énormément lutter. contre justement cette envie de dire peu importe l'entreprise, peu importe où je vais même si c'est d'assaut j'ai besoin d'un stage, j'ai besoin d'expérience parce qu'on n'a pas envie de se priver justement de cette expérience personnellement moi j'aimerais à terme comme ambition d'être dans une institution publique que ce soit le FMI ou la BCE, de pouvoir être à l'échelle mondiale. Mais pour ça, il faut de l'expérience. Et on ne peut pas commencer par là, malheureusement, quand on a tout le système qui fonctionne différemment. Si tout le système fonctionne sur un capitalisme américain, il faut le comprendre, il faut travailler pour les entreprises qui le font fonctionner et adopter leur point de vue de manière vraiment réelle et honnête, de se dire pourquoi est-ce qu'elle fonctionne comme ça. Parce que c'est trop facile aussi de dire que... Les dirigeants d'entreprises sont des très grands méchants qui ne veulent que notre mal, qui ne pensent pas au bien de leurs salariés ou au bien de la société. Ce n'est pas vrai, c'est simplement qu'ils n'ont pas du tout le même paradigme. Et si on comprend ce paradigme, c'est après, j'espère, en tout cas dans notre antenne, qu'on pourra au moins, c'est sûr, se réorienter, créer notre entreprise qui n'ira pas forcément dans ce modèle, mais en tout cas rentrer dans des institutions qui vont se battre contre ça. Mais avec ! les entreprises, pas contre elles. Avoir un travail qui a du sens, pour moi, c'est essentiel. C'est un besoin que tout le monde a. Sauf que le sens, s'il y a mille façons de le trouver, ça peut être un sens éthique. Dans ce cas-là, effectivement, on va penser aux questions environnementales, sociales, au bien commun, à la justice, à la solidarité. Mais ça peut aussi être un sens intellectuel. On peut très bien s'épanouir parce qu'on a des super collègues, parce qu'on a des responsabilités, parce que nos tâches nous plaisent. Ça s'éloigne très vite des questions ESG. Dans une époque où on parle beaucoup de travail passion, que l'ambition professionnelle doit être très alignée avec l'ambition personnelle, il faut quand même rappeler qu'avoir un job alimentaire, c'est aussi très courant, et qu'avoir un travail alimentaire, ce n'est pas forcément mal. On n'est pas obligé d'accomplir 100% de sa personnalité au travail, et que justement, en véhiculant parfois le message qu'on doit être parfaitement aligné avec son travail, marginalise des personnes qui n'ont pas les moyens, l'éducation, la capacité, au moment donné, de s'investir dans leur éthique au travail. Et donc essayer de déculpabiliser ça un petit peu, de dire que c'est aussi très bien qu'il y a plein d'autres façons de s'investir politiquement, socialement, en dehors de son travail. Et que ce n'est pas incompatible avec le fait d'avoir un travail qui n'est pas aligné avec son éthique personnelle au moment donné. Je ne me mets pas la pression pour me dire qu'il faut que mon premier job soit forcément parfait. J'ai besoin de tester, j'ai besoin d'expérimenter, de me confronter aux choses qui ne me plaisent pas avant de choisir. Et c'est ça qui coule aussi dans le fait d'être jeune, c'est qu'on a un petit peu de temps pour se positionner. Et je suis totalement ouverte à me dire qu'en fait, peut-être dans trois ans, j'en aurais marre de la finance, mes collègues ne me plairont pas et dans ce cas-là, je déciderai de monter ma boîte et on verra. J'espère en tout cas que ma personnalité est un de mes atouts, même pour les entreprises en finance. Et je mets en avant, je ne me cache pas, je mets en avant tout. tous mes engagements, tout mon passé, tout ce que je pense, parce que j'ai envie que mon entreprise me recrute pour qui je suis. Et ça marche.

  • Speaker #1

    À quel moment vous vous êtes dit, là, j'ai vraiment eu de l'impact ?

  • Speaker #2

    Il y a une quinzaine, une vingtaine d'années, j'ai co-écrit un livre qui s'appelait Un métier pour la planète et surtout pour moi. Et j'avoue que ces derniers temps, je reçois beaucoup de mails où je vois beaucoup de gens l'autre jour... Une dame est venue me voir avant la conférence que je faisais en me disant je voulais vous remercier parce que c'est ce livre qui a déterminé mon engagement et maintenant je suis ceci cela, j'ai fait tel parcours. Et en fait ce truc là, c'est bête mais un par un, c'est comme dans cette histoire, je ne sais pas si vous connaissez cette histoire où une petite fille se retrouve avec sa mère sur une plage où il y a plein de poissons volants qui se sont échoués. et elle commence à les attraper un par un et à les remettre dans l'eau et sa mère lui dit non mais attends tu vas rien changer parce qu'en fait regarde il y en a des milliers Et elle dit, ouais, non, je ne changerai pas tout, mais ça change quelque chose pour celui-là et pour celui-là et pour celui-là. Et one by one, on y arrive et ça me fait plaisir, en fait. J'ai presque l'impression, j'ai écrit une dizaine de livres, que c'est le plus utile.

  • Speaker #0

    Il y a un jour très marquant, quand j'étais encore à Extinction Rebellion, où on était dans les locaux de BlackRock, un asset manager, un des plus grands au monde, dans lequel j'ai discuté avec les salariés et j'ai eu une très longue conversation avec un salarié pendant... Pendant vraiment une demi-heure, où moi je parlais de mes idées, de mes idéaux, et lui aussi, et en fait c'était très ouvert, et j'ai senti vraiment dans ses yeux qu'il lui fallait ce déclic, et qu'il avait besoin en fait que quelqu'un lui parle et lui dise franco face à face, et je ne sais pas qui est cette personne, et je ne sais pas ce qu'elle fait aujourd'hui, mais je suis persuadée qu'elle ne travaille plus forcément là-bas, et en tout cas qu'elle a changé sa manière d'aborder son rapport au travail aussi.

  • Speaker #1

    En mode impact est un podcast de Sciences Po, produit par FriXion. La musique a été composée par Nils Bertinelli.

Description

Face à l’urgence climatique et aux attentes croissantes des citoyens, la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) n’est plus un simple outil de communication. Elle devient un moteur de changement, un catalyseur d’innovation… voire un levier de transformation en profondeur.


Mais comment passer d’une RSE symbolique à une véritable métamorphose ? Et surtout, comment repérer les entreprises qui agissent vraiment — et celles qui se cachent derrière le fameux “washing” ?


Impossible d’aborder le sujet sans évoquer Élisabeth Laville, notre première invitée. Pionnière du développement durable en France, elle a fondé en 1993 Utopies, l’un des tout premiers cabinets de conseil en stratégie RSE. Son credo depuis plus de 30 ans : prouver que performance économique et impact positif peuvent aller de pair.


Entrer dans le monde du travail quand on a de fortes convictions n’est pas toujours simple. C’est ce que partage Bérénice Goudet, étudiante à Sciences Po – École du management et de l’impact. D’abord tentée par la recherche, elle voulait rester fidèle à ses valeurs… jusqu’à ce qu’elle découvre qu’une RSE ambitieuse pouvait faire de l’entreprise un lieu d’engagement et d’épanouissement.


En mode impact est un podcast de Sciences Po, produit par Frictions. La musique a été composée par Nils Bertinelli.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    en mode impact.

  • Speaker #1

    Le podcast où l'on explore les grands défis de notre temps et surtout les solutions qui y répondent. La RSE, est-ce vraiment un levier de transformation ?

  • Speaker #2

    Un entrepreneur, c'est quelqu'un qui a envie de relever des défis et là, on a un défi qui donne du sens au travail des gens.

  • Speaker #0

    Ce que j'attends, moi, des entreprises, c'est de l'honnêteté.

  • Speaker #2

    Et de plus en plus chez les jeunes générations, c'est au fond, pourquoi on fait ça et quel sens ça a ?

  • Speaker #0

    J'ai vraiment l'impression cette année d'énormément lutter contre justement cette envie de dire peu importe l'entreprise, peu importe où je vais, même si c'est d'assaut, j'ai besoin d'un stage, j'ai besoin d'expérience.

  • Speaker #2

    C'est une course de fond le développement durable. Donc il faut être capable de tenir les engagements et les initiatives dans la durée. Sinon c'est des coups de pub.

  • Speaker #1

    Face à l'urgence climatique et aux attentes croissantes des citoyens, la responsabilité sociale des entreprises n'est plus un simple accessoire de communication. Elle devient un moteur du changement, un catalyseur d'innovation, voire un véritable levier de transformation. Mais comment passer d'une RSE symbolique à une véritable métamorphose ? Comment repérer les entreprises qui font tout ce qui se termine par washing ?

  • Speaker #2

    J'ai grandi en région parisienne. D'une famille plutôt méditerranéenne, parce que ma mère était marseillaise, et mon père est pied-noir d'Algérie, donc il est arrivé en France à 18 ans, mais donc c'est quand même une famille qui vibre quand elle se rapproche de la Méditerranée.

  • Speaker #1

    Impossible de parler RSE sans évoquer Elisabeth Laville, notre première invitée.

  • Speaker #2

    De sorte que j'ai acheté un appartement à Marseille il y a deux ans, quand ma mère est morte, j'ai renoué avec cette partie-là.

  • Speaker #1

    Pionnière en la matière, elle a fondé dès 1993 Utopie. l'un des tout premiers cabinets de conseil en développement durable en France, bien avant que la RSE ne devienne tendance. Son credo ? Prouver que performances économiques et impacts positifs peuvent et doivent même aller de pair.

  • Speaker #2

    Souvent sur les gens qui travaillent sur le développement durable ou sur les problèmes écologiques, il y a beaucoup de découragement, d'inquiétude, d'éco-anxiété, on appelle ça comme on veut. Et moi je crois au fond... Donc l'enjeu n'est pas d'être optimiste ou pessimiste. Le patron de Patagonia, Yvan Chouinard, que j'aime beaucoup, que j'ai la chance de connaître, dit toujours quand on lui demande est-ce qu'il est optimiste ou pessimiste, il dit qu'il n'y a pas beaucoup de différence entre un pessimiste qui dit tout est foutu et donc qui ne fait rien et un optimiste qui dit tout va s'arranger mais qui ne fait rien non plus. Et lui dit qu'il est un pessimiste attaché à l'action. Et moi, je crois que je suis une optimiste d'action. C'est un peu comme on m'a raconté que le moine Luther avait dit Quand on lui posait la question « qu'est-ce que vous feriez si la fin du monde était pour demain ? » Et il disait « je planterais quand même un pommier » . Voilà ce que je fais depuis 32 ans, je plante des pommiers. Avant HEC, je ne savais pas ce que je voulais faire du tout. Et donc j'ai hésité entre effectivement des études de médecine et je ne savais pas quoi d'autre en réalité. Et puis médecine, je suis allée rencontrer des gens qui faisaient ces études-là, qui m'ont paru très très longues. Et donc, je me suis dit que j'allais opter pour des études de commerce. Comme je ne savais pas ce que je voulais faire, je me disais, ça m'ouvre plus de portes que ça n'enferme. Et on verra plus tard. Je suis entrée à HEC en n'ayant pas du tout d'idée de ce que je voulais faire ensuite. Il y avait une spécialité qui existe toujours, entrepreneur à HEC, que je n'ai pas faite. Quand vous choisissiez cette option entrepreneur, c'était de sauter en parachute et que ça ne m'amusait pas plus que ça. Et que par ailleurs, je n'avais pas de projet d'entreprise particulier. Donc comme je n'avais pas très envie d'entrer dans les banques, comme je n'avais pas très envie d'aller vendre du shampoing, avec le plus profond respect pour ceux qui le font, mais en tout cas ça ne m'attirait pas, je me suis dit que finalement j'allais choisir la publicité à la sortie de l'HEC, quitte à vendre indirectement du shampoing quand même, parce que ça revient à ça un peu. J'avais l'impression qu'au moins c'était des métiers où les gens ne se prenaient pas trop au sérieux. Et surtout parce que j'ai vu à nouveau une citation de, je crois que c'est Einstein qui dit, la créativité, c'est l'intelligence qui s'amuse. Et le job de commercial n'était pas vraiment ce que j'avais envie de faire. Donc, j'ai assez rapidement changé d'agence et basculé sur une fonction qui s'appelle le planning stratégique. C'est déjà travailler sur en quoi ce que propose la marque en question ou ce qu'elle incarne entre en résonance avec des tendances de société, des choses qui sont importantes pour les gens, etc. Et ça, ça posait les prémices du job que je fais maintenant. Et il s'est trouvé que j'avais choisi la deuxième agence où je suis allée exercer ce métier-là de planeur stratégique. C'était CLM BBDO, qui était une agence avec un fondateur qui s'appelait Philippe Michel, qui défendait beaucoup l'idée que les marques peuvent changer le monde. Donc il y avait aussi là quelque chose qui m'intéressait. Et quand j'étais là-bas, mon prof d'anglais, à l'époque on avait des cours d'anglais, il m'a amenée un jour à une revue américaine. qui s'appelle Hutner Reader, qui est une sorte de Reader's Digest de la presse alternative américaine. On devait être du coup en 92 et il m'a amené ça et c'était un numéro, je me souviens très bien, la couverture était un petit clin d'œil à un des parfums de Ben & Jerry's, la marque de crème glacée qui est devenue un de nos clients plus tard. C'était Let Them Eat Rainforest Crunch, Rainforest Crunch étant le nom d'un parfum à Ben & Jerry's. Et le numéro traitait du sommet de la terre à Rio en 92, le sommet des Nations Unies, et du fait qu'un certain nombre d'entreprises allaient à Rio parce qu'elle considérait que les questions écologiques, au fond, ça les intéressait, ça les concernait, elles s'y engageaient, etc. Et donc j'ai commencé à chercher des infos sur ces entreprises-là. C'était un sport, y compris pour les journalistes, pas complètement évident, puisque je vous parle d'une ère où il n'y avait pas Internet. Et puis, dans le même temps, j'ai une amie qui travaillait dans les RH, dans un cabinet RH, avec qui on avait beaucoup parlé de ces sujets-là, du fait que ce que moi je cherchais pour les marques... Au fond, c'est ce qui donnait du sens aux produits. Et elle cherchait la même chose pour ce qu'on appellerait aujourd'hui la marque employeur. Il donne du sens au travail des gens. Et on avait pas mal parlé de ça. Et à un moment, le cabinet petit dans lequel elle bossait a fermé. Et elle m'a dit, je vais créer une boîte. Et j'ai dit, on la crée ensemble. Et voilà, c'est parti comme ça. Donc, on a créé Utopie en 93. D'abord sous forme d'association, parce qu'au fond, on avait un projet un peu militant. qui était de promouvoir une vision plus engagée, plus responsable dans les entreprises. Et d'ailleurs, pour la petite anecdote, à l'époque, il y avait aussi à la tête du CNPF, donc l'ancien MEDEF, une équipe autour de Jean Gandoua qui était arrivée autour d'un projet sur l'entreprise citoyenne. Et donc, j'ai demandé un rendez-vous. On a vu son numéro 2, Jacques Dermagne. Et il nous a reçus, il était très gentil, un peu condescendant parce qu'on était deux filles jeunes, heureusement j'avais le diplôme d'HEC qui me crédibilisait un peu. Et j'ai parlé de François Lemarchand, le fondateur Nature et Découverte, qu'à l'époque je ne connaissais pas, en disant oui voilà, regardez, un entrepreneur qui crée une entreprise pour aider les urbains à mieux comprendre la nature, avec l'idée que s'ils la comprennent mieux, ils la respectent mieux, etc. Il m'a regardé, il m'a dit non mais vous êtes quand même très naïve, en mode François Lemarchand c'est avant tout un commerçant qui veut créer des magasins. Et je me souviens, on est sortis du rendez-vous et sur le trottoir, j'ai dit à Catherine, on va appeler ça utopie, puisqu'on va assumer le fait qu'on est complètement naïves et que pour des gens qui sont dans le business, c'est complètement hallucinant. À l'époque, effectivement, on ne parlait pas du tout de RSE, de développement durable, etc. On parlait d'entreprise citoyenne. L'idée derrière, c'est que les entreprises ne peuvent pas durablement prospérer dans des environnements naturels, humains, sociaux qui dépérissent. et que donc, si elle gagne de l'argent... Elles doivent et peuvent consacrer une partie de cet argent à nourrir la santé, je dirais, un peu globale de ces écosystèmes dans lesquels elles évoluent. Donc ça restait de la philanthropie principalement. Mais on commençait à voir ce pourquoi, par exemple, Coluche avait créé à peu près à cette époque-là, de mémoire aussi, les Restos du Coeur. C'est-à-dire qu'on commençait à voir que quel que soit le bord politique du gouvernement, parfois il n'arrivait pas à résoudre les problèmes sociaux, en l'occurrence plus qu'environnementaux à l'époque. Et donc la sphère privée prenait le relais, entre guillemets, prenait le relais via des associations, des fondations, et puis progressivement via les entreprises. Et nous, on est arrivé là-dedans en disant, en fait, ce n'est pas via la philanthropie qu'il faut faire ça, c'est via le cœur de l'activité de l'entreprise. Ce n'est pas, je vais faire n'importe quelle activité, y compris une qui détruit, entre guillemets, la société ou la planète, et ensuite, par la fondation, je vais réparer un peu, avec ma main gauche, les dégâts que je cause avec ma main droite, ou que je contribue à aggraver avec ma main droite. C'est de se dire, on met ça au cœur de l'activité, et du coup, au cœur de l'offre, et au cœur du modèle économique. Et là, je me rends compte que je dis la même chose depuis 32 ans. Nous, on a, chez Utopie, développé une petite grille d'analyse qui dit, en gros, ça a commencé dans les années 80 avec de la philanthropie, les grandes fondations, etc., jusqu'au sommet de la Terre à Rio. Ça, c'est de la philanthropie, c'est une espèce d'ère préhistorique de la RSE. Tous les gens qui étaient à Rio reviennent, Simone Veil avec d'autres va créer le comité 21 pour essayer de diffuser l'esprit de l'agenda 21 et de tout ce qui s'était discuté à Rio dans les collectivités mais aussi dans les entreprises et dans les administrations. Et donc ça change un peu et là on arrive dans ce que moi j'appellerais la RSE 1.0 qui est en gros continuer à faire l'activité qu'on mène, quelle qu'elle soit, y compris quand elle est nuisible. potentiellement ou qu'elle a des impacts qui ne sont pas que positifs sur la société et la planète, continuer cette activité et essayer de le faire le moins mal possible. Produire moins de déchets, consommer moins d'eau, produire moins de CO2, payer mieux les gens, y compris dans la chaîne de fournisseurs, etc. En général, les entreprises dans une ou deux gammes vertes, qui en général ne marchent pas, parce qu'on ne les soutient pas en marketing, on les fait plus pour dire qu'on les fait. Et l'autre chose, c'est que c'est très incrémental. Il y a ce truc sur la RSE qui revient toujours, c'est le progrès continu. Et donc le progrès continu, ça veut dire que vous progressez très peu, mais que vous allez le faire avec constance très très longtemps. Aujourd'hui, il y a cette idée que l'urgence des défis, notamment écologiques, qui sont devant nous, fait que le progrès continue, ça ne va pas suffire. On a vu ça très clairement pendant le Covid. En 2020, pour la première fois, on a réduit les émissions de CO2 planétaires du niveau qu'il faudrait qu'on fasse chaque année jusqu'en 2050 si on veut atteindre les objectifs de l'accord de Paris, c'est-à-dire moins 7 à moins 8 %. Mais sauf qu'en 2020, on a atteint cet objectif-là uniquement. parce qu'on a arrêté les activités humaines à la surface du globe pendant un peu plus qu'un trimestre. Et la difficulté, c'est d'atteindre ce niveau de réduction en relançant les activités plutôt qu'en les arrêtant. Et donc, pour relever les défis radicaux qui sont devant nous, la progression incrémentale ne suffit pas. Il faut des objectifs radicaux. Et ça, pour moi, ça passe par revoir la mission, la raison d'être, revoir radicalement l'offre, c'est-à-dire prévoir non pas une gamme verte qui ne se vend pas. mais se poser la question de combien de temps je me donne pour transformer 100% de mon offre et l'aligner sur les limites planétaires, si j'ose dire, et du coup revoir mon modèle économique, combien de temps je me donne pour que 100% de mon chiffre d'affaires vienne de produits, de services, d'activités qui soient alignés avec les limites planétaires et radicalement alignés sur les contraintes qu'on a. Si je remplace les gobelets en plastique, Dans une entreprise, par une tasse, c'est très vertueux. Et je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire. En revanche, je dis juste qu'une fois que vous avez fait ça, si le cœur de votre activité, c'est de piller les forêts ou d'une activité chimique qui pollue énormément, vous avez changé un tout petit peu votre activité, d'accord ? À la marge, même si vous servez des repas bio et végétariens à la cantine. Voilà. Genre le PDG peut venir en vélo au bureau plutôt qu'en voiture et se déplacer un peu moins en avion et faire un peu plus de visio. Si le cœur de l'activité ne change pas, évidemment que... 80, 90, 99% des impacts sont dans le cœur de l'activité. Et ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas le faire. Parce que c'est aussi un sujet de cohérence. Et que c'est par l'optimisme d'action, c'est en agissant qu'on a encore plus envie d'agir. Donc il faut bien commencer quelque part. Et évidemment, si vous êtes PDG d'une boîte polluante, c'est plus facile de commencer à dire que vous venez en vélo et que vous prenez moins l'avion que de dire attendez les gars, on va tout changer en deux jours. Et j'avoue que ces derniers temps, ça m'agace un peu. Il y a beaucoup de gens qui arrivent sur ces sujets qui du coup ne disent plus RSE. Comme si ça désignait un truc qui est complètement désuet et qui franchement n'a aucun intérêt, un peu dans l'esprit de ce qu'on disait, parce que cosmétique, superflu, superficiel, etc. Et on dit, notamment parfois, du coup, il faut évoluer vers l'entreprise régénérative. C'est super, moi je suis pour que l'entreprise ne se contente pas de limiter les dégâts qu'elle cause. mais que, un, elle n'en cause plus, et que même, elle essaie de réparer ce qu'elle a causé par le passé, voire même que son activité consiste à réparer ce que d'autres causent. Et donc, évidemment que le régénératif, personne ne peut être contre, mais ce n'est pas parce que vous décidez, vous déclarez que vous êtes régénératif, que vous le devenez. Et je constate quand même que souvent, ce terme est employé à propos d'entreprises qui font, pardon, mais même pas le B.A.B.A. de la RSE 1.0, ni le B.A.B.A. de la RSE 2.0, tout le sens du mot utopie à la base. C'est un objectif qui est inatteignable, qui est loin devant vous. Et il y avait une jolie phrase d'un écrivain qui s'appelle Eduardo Galeano qu'on mettait en exergue de notre manifeste, qui dit « L'utopie est devant moi, j'avance de deux pas, elle recule de deux pas. Bon bref, aussi loin que je pourrais marcher, elle sera toujours très loin de moi. » Et il dit « L'utopie, elle sert à ça, elle sert à avancer. » Bon, donc le régénératif, c'est une jolie utopie. Après, on ne peut pas se contenter de discours. Et c'est difficile de mobiliser les salariés sur la réduction des impacts négatifs. Donc on préfère aller chercher, d'où aussi l'engouement pour la raison d'être, etc. Parce que là, on a au moins une façon de motiver les gens sur quelque chose qui a une contribution positive et pas juste la réduction d'un impact négatif. C'est un peu comme si dans un couple, vous disiez, on va très bien parce qu'on se tape moins sur la figure. Non, ça ne marche pas. Donc c'est un peu pareil, il faut aller chercher quelque chose de plus positif. Et donc, pour savoir si vraiment une entreprise est engagée sur la RSE ou pas, ce n'est pas tellement le terme qu'elle emploie que je regarde. Moi, personnellement, je regarde qu'est-ce qu'elle fait dans son offre, quelle part de son offre, quel part de son chiffre d'affaires est alignée avec les limites planétaires, les principes de ce qu'il faudrait faire en termes de développement durable. Et ce n'est pas le fait qu'elle le dise qui est le critère, c'est sur quelle, notamment, certification opposable, elle s'appuie pour dire qu'elle le fait. Vous êtes une marque alimentaire et vous avez... 2% de produits bio et tout le reste dont vous dites que ça vient d'une agriculture régénératrice qui, je ne sais pas quoi, s'enlabe, ben pour moi c'est du pipeau et je m'en tiens au label Quelle part de votre activité est concernée ? Et souvent, cette question-là, c'est la question qui tue. Un entrepreneur, c'est quelqu'un qui a envie de relever des défis. Et là, on a un défi qui donne du sens au travail des gens. Et de plus en plus, chez les jeunes générations, c'est au fond, pourquoi on fait ça ? Et quel sens ça a ? Comment ça va contribuer à mon utilité, à moi, dans le monde ? Et donc, si vous ne répondez pas à cette question, les gens vont rester un peu pour le salaire, même si vous augmentez beaucoup les salaires. Au bout d'un moment, ils vont partir. Et ça donne du sens aux produits et au fond ce qui fait qu'un consommateur va acheter votre produit ou votre service de préférence à cent mille, dizaines de milliers de produits ou services concurrents, c'est bien l'histoire que vous racontez. Et l'histoire que vous racontez, ce n'est pas une histoire pipo qu'on raconte dans la pub. Vous achetez des baskets Veja, il y a du caoutchouc équitable cultivé au Brésil par des gens qui du coup entretiennent la forêt amazonienne en en tirant subsistance. qui sont payés de manière correcte et qui polluent beaucoup moins que du caoutchouc synthétique. Donc ça raconte une histoire vraie. Comme je suis optimiste, j'ai commencé par la carotte, mais parlons du bâton. Les entreprises, aujourd'hui, sont de manière croissante un peu dans un entonnoir qui se réduit, qui arrive à un micro-tunnel, avec plein de contraintes. Donc les contraintes réglementaires sur tous les marchés de non-toxicité des produits. de qualité, de traçabilité de vos matières premières, etc. Il y a la CSRD, des contraintes sur les entreprises, le pacte vert, même s'il est un peu malmené, mais enfin, le plastique à usage unique, la loi économie circulaire, la loi climat et résilience. Il y a plein de choses qui poussent. Et effectivement, il y a aussi le fait que si vous n'intégrez pas ces considérations dans vos stratégies, vous risquez de vous retrouver face à des crises, des crises de réputation. des crises de pénurie de matières premières. La Californie est le premier producteur d'amandes. Les amandiers, c'est très gourmand en eau. Avec la sécheresse, les incendies, etc., il y a moins d'amandes en Californie. Si vous êtes producteur d'amandes ou de produits à base d'amandes, de pâtes d'amandes en France, vous êtes en pénurie d'amandes parce qu'il n'y en a plus. Le Canada est le premier producteur de blé dur au monde. Le dôme de chaleur après le Covid, soudain, il fait 50 degrés. La production de blé dur, baisse de 30% au Canada. Le prix du blé dur canadien augmente de 30% à peu près. Et la France qui s'approvisionne manque de blé dur et vous avez des pénuries de pâtes. Donc ça ne veut pas dire que si le fabricant de pâtes s'engage sur le climat, il sera le seul à ne pas être en pénurie, puisque évidemment le climat est un phénomène global et que le son d'action va avoir de l'impact, mais une petite partie d'impact dans un phénomène plus large. En revanche, ça veut dire que si l'intègre La question de l'adaptation climatique à son sourcing, il sait qu'aujourd'hui, on ne peut plus dépendre d'une seule source d'approvisionnement parce que les aléas climatiques sont tels que ça vous met en risque et que donc il faut diversifier. Et que s'il diversifie, c'est peut-être pas mal de sourcer une partie de ses matières premières plus près de lui parce qu'au moins, il a un peu plus le contrôle de ce qui se passe. Et puis que si le Canada est défaillant, il pourra s'approvisionner en France ou en Europe, etc. C'est ça, intégrer ces questions dans la stratégie. Vous voyez bien qu'on est très loin du mécénat. Ce qu'on fait depuis toujours chez Utopie, c'est qu'on travaille avec des entreprises. On a un diagnostic de départ, souvent qualitatif. On va interroger les dirigeants, on va interroger des parties prenantes externes, on va interroger des ONG qui travaillent sur ces sujets-là pour essayer d'avoir une vision de quels sont les enjeux principaux, à la fois ceux qui vont avoir un impact sur l'entreprise, mais ceux sur lesquels l'entreprise a un impact. Et puis parfois, dans le diagnostic, il y a aussi des éléments de quantification. Pour savoir si on progresse, il faut mesurer le bilan carbone, une empreinte biodiversité, une empreinte socio-économique, un état des lieux sur le questionnaire d'évaluation bicorps, par exemple, pour savoir si l'entreprise est loin de la certification ou pas. Ça vous donne une note sur 200 points. Il faut avoir 80 points pour être certifié. Si, quand on fait le questionnaire qui est en open source, en ligne, il faut le dire parce que c'est suffisamment rare pour être signalé. vous faites le questionnaire et que vous avez 10 points, même en intégrant de manière un peu large ce que vous ne faites pas encore mais que vous pourriez faire, si vous arrivez à 25 points, vous voyez la marche à franchir. Et puis, à partir de là, on discute avec l'entreprise. Selon nous, de ce qui ne peut pas être ignoré, il y a des choses souvent qui étaient dans l'angle mort avant, dont on ne voyait pas trop, dont on ne voit pas trop l'impact business, etc. Et on essaie, à partir de là, de construire une stratégie cohérente. Et puis, on met en place des indicateurs pour mesurer le progrès. Et l'idée, c'est évidemment de piloter cette progression au fil du temps. Et puis, selon les cas, on est consulté sur certains aspects. L'exemple de Galerie Lafayette, il est intéressant parce qu'on a travaillé sur ce que j'évoquais tout à l'heure, c'est-à-dire sur la transformation de l'offre. Et on avait bien traité, ils avaient bien traité d'ailleurs sans nous, tous les sujets périphériques dont on parlait tout à l'heure. Le recyclage des cintres, ok ? C'est cool de recycler les cintres, mais évidemment, ce n'est pas le cœur de l'activité. Et donc nous, notre boulot, ça consistait à leur dire, tout ce qui est périphérique et qui n'était pas trop compliqué à faire a été fait. Maintenant, il faut s'attaquer au cœur du sujet. Comment je sélectionne les produits que je vends ? Est-ce que ce sont des produits qui sont alignés avec les limites planétaires, le développement durable, etc. ? Et est-ce que je pousse ? Est-ce que je mets en avant, via des promotions, etc., les produits les plus responsables ? Et donc, on leur a proposé de faire ce programme qui s'appelle maintenant Go4Good. Et c'est un exemple hyper intéressant parce que ça existe depuis 2018. Ce n'est pas un sprint. Donc, il faut être capable de tenir les engagements et les initiatives dans la durée. Sinon, c'est des coups de pub. Donc, ils sont allés voir, les acheteurs sont allés voir, et ils le font encore, tous leurs fournisseurs en disant, voilà, on a fait une liste des labels qu'on considérait être mieux disant. Et puis, ils sont allés voir les fournisseurs en disant qu'est-ce que vous avez comme produit qui est dans la plaque ? Et c'est d'ailleurs amusant parce qu'on a eu, nous, des entreprises qui sont venues nous voir après en disant, bon, il faut qu'on travaille vite là-dessus parce qu'on a les acheteurs de Galeries Lafayette qui nous demandent quels sont nos produits labellisés. Et en fait, on n'en a pas ou on s'est rendu compte qu'il y en avait très peu. Et du coup, on ne rentre pas dans leur programme Go4Good, etc. Et dans les discussions initiales, on avait dit, il faut que vous fissiez des objectifs de part de chiffre d'affaires. Et là, super bonne nouvelle, c'est pour ça que je vous dis la persévérance paye. c'est qu'aujourd'hui, ils sont à 28% du chiffre d'affaires en produits go for good. Et ça a été, d'ailleurs, cette démarche, joyeusement, mais très heureusement, imitée par d'autres, la cosmétique, les parfums, le bâtiment, enfin voilà, donc c'est super. On a vraiment réussi à faire avec eux, enfin je veux dire, c'est toujours grâce au client, nous, on est catalyseurs au mieux de quelque chose. Quand j'y vais, en tout cas, je me dis, ah ben là, ça a changé quelque chose. Et moi, je dis toujours à mon équipe, il faut qu'on ait beaucoup d'ambition parce qu'on veut changer le monde et beaucoup d'humilité parce que la plupart du temps, ça ne marche pas. Est-ce que Martin Luther King et Gandhi ont résolu le problème de la guerre et de la paix ? Je n'ai pas l'impression et ils ont eu de l'impact. Donc on ne va pas résoudre, enfin je pense que c'est extrêmement prétentieux et du coup totalement stérile, de dire non mais il faut que chaque mission qu'on mène résolve le problème du climat, etc. chez ce client, voire le problème du climat tout court. Alors là, on confie nos délires. et donc le sujet c'est d'abord trouver du plaisir dans le fait de faire ce boulot là parce qu'on a l'impression d'être utile parce qu'on a l'impression d'être au bon endroit parce que moi j'ai depuis 32 ans sinon je ferais autre chose plutôt que de quelque chose qui se passerait après qu'on ne maîtrise pas parce qu'en plus c'est les stoïciens c'est faire le maximum sur ce qui dépend de moi et lâcher prise sur ce qui ne dépend pas de moi

  • Speaker #1

    Quand on entre sur le marché du travail avec de fortes convictions, pas facile de savoir vers quel job se tourner. Bérénice Goudet, étudiante à Sciences Po au sein de l'école du management et de l'impact, a bien failli fuir le monde de l'entreprise avant même d'y entrer. Tentée par la recherche, elle voulait avant tout rester fidèle à ses valeurs, jusqu'à ce qu'elle réalise qu'une stratégie RSE ambitieuse pouvait justement faire de l'entreprise un lieu où elle pourrait s'épanouir.

  • Speaker #0

    Moi, quand j'avais 15 ans, je me suis investie chez Extinction Rebellion, qui est un mouvement de désobéissance civile non-violent et écologique, qui m'a beaucoup modelé mon adolescence. Je ne me sentais pas forcément très bien dans mon collège et dans mon lycée. Je n'avais pas l'impression que l'école représentait mes valeurs et mes préoccupations. Parce que, mine de rien, je pense que c'est commun à ma génération, mais moi j'ai grandi avec les photos du prix Pulitzer, où on voit un des ours polaires faméliques sur les banquises, où... On étudie la COP 21 en sixième et les accords de Paris. Et en fait, ça faisait beaucoup de stress et de tristesse aussi. Et j'avais l'impression de ne pas vraiment trouver des personnes avec qui je pouvais en discuter, avec qui j'allais essayer, en tout cas, de passer dans l'action. Et Extinction Rebellion, c'est vrai que ça a été très populaire en 2016, 2017. Il faisait beaucoup de mouvements, c'était très attrayant. Moi, à l'origine, j'étais juste venue pour discuter. Et en fait, c'était des gens super. Il y avait beaucoup de profs dans ce mouvement aussi, donc ça me faisait un peu un lien aussi entre moi, ce qui m'inspirait dans le milieu académique et ce qui m'inspirait dans le milieu personnel. Et donc oui, clairement, je passais beaucoup de temps de ma semaine. J'ai un peu séché les cours aussi pour faire des actions. Retirer les pubs sur les panneaux publicitaires à l'aide de clés magiques. À s'allonger devant des avions à Roissy, donc c'est très vaste. J'ai arrêté la désobéissance civile parce que j'ai... J'ai estimé qu'en fait, la force du mouvement, elle reposait beaucoup sur la médiatisation qui s'est en fait arrêtée. Au bout d'un an, puisque forcément les médias se lassent, le public se lasse, et donc j'ai considéré qu'il y avait beaucoup trop de moyens dépensés pour le résultat, et que donc il me fallait une autre approche. Et tout ça, ça a rentré un peu aussi en compte avec mon envie de rentrer à Sciences Po et de passer dans une autre dimension peut-être. En fait, ça a nourri ma réflexion parce que je me suis rendue compte que, mine de rien, ces personnes qui étaient engagées, elles passent quand même 3-5e de leur semaine à travailler pour leur entreprise, et ces entreprises, elles doivent refléter. leurs pensées, elles doivent refléter leurs engagements et surtout on ne peut pas les exclure parce qu'on considère que c'est du capitalisme ou parce qu'on considère qu'elles sont hors spectre, c'est trop facile et moi qui étais passionnée d'économie à ce moment-là, c'était aussi une voie facile un peu de sortie de me dire, moi je vais faire de la macro-économie je vais devenir chercheuse et je ne serai pas dans ce paradigme des entreprises justement et ça me permettait un peu de concilier moi, mon amour pour les maths et l'éco. et aussi mes engagements écolos et sociaux. Mais en fait, l'envie de travailler pour des entreprises m'a rattrapée parce que c'est quand même le cœur de ce qui se passe dans la vie de tous les jours pour tout le monde, pour tous les Français et les Françaises, je pense. Il y a beaucoup de choses à faire. Je me suis dit qu'on ne pouvait pas laisser tomber les entreprises sous prétexte que pour l'instant, ce n'était pas parfait. En fait, c'est en discutant avec des doctorants en économie où je me suis dit que leur travail était super, mais que ça me semblait tellement... Loin des réalités des petites et moyennes entreprises, qui sont en vrai les entreprises dans lesquelles tout un chacun travaille, et qui sont un petit peu isolées et seules dans leurs réflexions, dans leurs transitions, et qui sont parfois un petit peu jugées ou mises de côté. Et donc ça m'a semblé assez évident que la responsabilité sociale des entreprises, elle avait aussi une vocation pour les entreprises, c'est pas qu'un coût pour elles, il y a aussi des énormes bénéfices dont il faut qu'elles entendent parler. qu'elles en prennent conscience. Tout se discute encore, c'est rien de fixe. Moi, je pars du principe que dans 10 ou 15 ans, les modèles que j'utilise, par exemple, je fais de l'évaluation d'entreprise, d'estimer leurs valeurs. Il y a des approches très connues, des modèles que je peux apprendre et appliquer, que ce que je fais. Mais ce qui est important, c'est aussi de savoir l'approche globale parce que dans 10 ou 15 ans, ces modèles seront obsolètes puisqu'on aura découvert que finalement, le risque climatique est devenu tellement important qu'on doit le considérer. dans la façon dont on évalue les entreprises dans 5, 10 ou 15 ans. Et aujourd'hui, c'est déjà le cas. Par exemple, dans le secteur de l'assurance, aujourd'hui, les assurances, elles ont entre 4 et 5 % de frais en plus à payer aux assurés à cause des incendies, inondations, des règlements climatiques de manière générale. Et donc, tout ça, ça déstabilise leur business model et ça pousse les personnes qui évaluent les entreprises à repenser la façon dont elles vont le faire. Et moi, si j'ai envie d'être une bonne professionnelle aussi dans 15 ans... Il faut que je sois capable d'avoir le recul nécessaire pour me dire, le risque environnemental, c'est ça, et je peux le prendre en compte de cette façon parce que je sais ce que c'est. Quand on sort d'école aujourd'hui, on nous propose beaucoup de travail très prestigieux dans des très grandes entreprises, qui sont très bien payées, mais qui ne sont vraiment pas forcément du tout alignées avec des convictions éthiques. Et ce n'est pas si simple de sortir, notamment quand on est science-piste. que depuis qu'on est tout petit, on nous dit qu'on est super, qu'on est très bon à l'école, qu'on est des bons élèves. On a envie de suivre le modèle qui nous est tracé, à savoir d'être dans l'excellence la plus totale jusqu'au bout, même dans sa carrière professionnelle. Clairement, depuis que je suis petite, je suis la bonne élève. Et justement, la finance, ça me pousse à sortir de ça, puisqu'en finance, on n'attend pas des bons élèves, on attend des gens efficaces sur le moment, qui sont parfois, font un travail bâclé, mais qui sont là.

  • Speaker #1

    Je suis en master finance et stratégie.

  • Speaker #0

    Heureusement qu'à Sciences Po, on a justement le centre pour l'entrepreneuriat qui nous permet de soit rencontrer des entrepreneurs ou même de suivre des cours qui nous permettent de sortir un peu de ce paradigme de la sécurité et d'essayer de prendre un peu des risques professionnellement sur nos engagements. Être dans une entreprise responsable, ça compte, mais pour moi, ça ne suffit pas. C'est-à-dire qu'en fait, pour moi, il y a des secteurs qui sont intrinsèquement incompatibles, théoriquement, avec les principes de responsabilité sociale des entreprises. Je ne sais pas si je pense au luxe, au maquillage. à la mode. Et pourtant, ces activités-là et ces entreprises, elles font partie de notre quotidien, de notre culture, de notre confort. Et on ne peut pas les annuler de la société pour autant. Ce que j'attends, moi, des entreprises, c'est de l'honnêteté intellectuelle, de dire « alors on n'est pas la société la plus green puisqu'on est l'Oréal, par exemple, et notre secteur d'activité, il est intrinsèquement, pas forcément de manière environnementale, très pertinent, mais on peut faire d'autres choses. On peut faire quelque chose en matière de droits des femmes, c'est ce qu'ils font, par exemple. » C'est très facile aussi pour moi de me dire que je vais aller travailler chez Ecotone, qui est une marque qui collectionne les marques véganes, par exemple, européennes, style Bjorg, etc. C'est RAL Bio. Sauf qu'en fait, ces entreprises-là, elles ont un bilan super. Elles ont 95% d'émissions de moins, etc. Mais c'est parce que foncièrement, leur activité est très écologiste. Et si on applique des modèles, par exemple, je pense à la Size B Matrix, qui est un modèle de comptabilité, une initiative créée aux Etats-Unis, qui en fait permet de pouvoir comparer des entreprises dans leur secteur parce qu'on leur applique des standards différents selon leur activité. C'est-à-dire qu'une entreprise... agricoles, on va le plus lui appliquer des principes de sécurité de leurs employés ou de gestion des eaux et de gestion des déchets, très important, et moins forcément d'émissions de carbone, parce que c'est moins le sujet. Et donc, tout de suite, quand on regarde Ecotone à ce moment-là, on se dit effectivement, ils se reposent beaucoup sur leurs acquis, de pouvoir faire des émissions très faibles, etc., mais ils ne vont pas challenger ce qui fait qu'ils consomment plus à certains endroits. Et c'est ça qui est le plus dur, je pense, et qui crée la méfiance, puisque pour moi, la RSE, elle repose quand même principalement sur la confiance. La confiance envers les investisseurs de l'entreprise, mais aussi envers les consommateurs et les clients. Et cette confiance, elle est beaucoup remise en question par le fait qu'on a l'impression qu'on est inondé par toutes les entreprises de leurs actions en lien avec l'ESG et leurs responsabilités sociales. Mais on a beaucoup de méthodes qui existent, de labels, mais on n'a pas un seul critère, on n'a pas une seule note. C'est ça qui nous manque. Et la directive CRCRD en Europe, elle avait pour but justement de dire que vous allez compléter ce grand tableau. de 200 pages, mais à la fin, on pourra vous comparer et on pourra vous donner une note qui permettra, en un coup d'œil, pour les investisseurs et pour vos consommateurs, de savoir où vous vous situez. Je pense que ça a beaucoup été une façon marketing ou une obligation que les entreprises se sont imposées en se disant il ne faut pas qu'on sorte de la traîne, il ne faut pas qu'on devienne impopulaire, mais aujourd'hui, je ne pense pas, notamment parce que les managers, les dirigeants d'entreprises, ils ont des enfants. Ils ont grandi, ils sont matures et ils savent, ils ont envie de créer un monde un peu différent. A l'origine, si l'entreprise elle existe, c'est qu'il y a un besoin, et cette entreprise répond à ce besoin, et c'est ça qui lui permet de générer du profit. Et donc, penser la RSE, c'est vraiment penser, revenir à notre modèle de société et se dire c'est quoi une entreprise et pourquoi est-ce qu'on crée ces entreprises. Et en ça, c'est forcément un levier de transformation puisque ça nous pousse à revenir à l'origine et forcément, ça change un petit peu le résultat final. D'aujourd'hui, avoir des sociétés à mission qui se donnent des buts et des objectifs, alors oui, c'est très imparfait, c'est pas toujours concret, et il y a beaucoup sûrement qui l'utilisent à des fins très lucratives à court terme, de ne pas sortir de la course, mais il y a aussi des entreprises qui pensent très long terme et qui pensent que ça va devenir un avantage considérable. Ce qui est un peu énervant aujourd'hui, c'est de voir... toutes les entreprises, si on lit leurs rapports, parce que moi je passe mes semaines à lire les rapports d'entreprises, soit destinés aux investisseurs, soit les fameux documents d'enregistrement universel, qui font 700 pages, mais aujourd'hui sur les 700 pages, il y en a quand même, je pense, au moins 500 qui sont consacrés aux critères extra-financiers, donc environnementaux, sociaux, et de gouvernance. Et ça, c'est assez difficile d'avoir le recul, puisque au bout d'un moment, si on lit le rapport de Nestlé, d'Anon, au Total, on a l'impression que c'est les leaders de la transition climatique. Or, effectivement, quand on prend un peu de recul, on se dit... Est-ce qu'il y a quelque chose qui ne va pas là-dedans ? Donc l'engagement, il doit surtout être honnête. Et je pense qu'on attend de travailler dans une entreprise qui justement peut avoir l'honnêteté et la confiance envers ses collaborateurs de leur dire ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Et certaines entreprises le font très bien. Pour moi, une entreprise modèle dans cette relation de confiance, c'est BNP Paribas. Alors a priori, on se dit, comment ça, une banque ? Mais en fait, ça a été un des premiers, il y a 15 ans, à dire... Il nous faut quelqu'un déjà au COMEX qui s'occupe de ces questions-là. A l'époque, ce n'était même pas une question de salariés. On va créer 200-300 postes de personnes qui s'occupent des questions RSE, qui vont conseiller les équipes et qui vont aussi faire de la communication, mais qui seront dans toutes les équipes, de tous les pôles, de tous les secteurs, de toute notre activité. Et ça, c'est très fort et ça paye au bout de 10 ans, 15 ans, puisque je pense qu'aujourd'hui, en termes de secteur bancaire, c'est les leaders. de la transition écologique. Et clairement, ça va s'accélérer pour eux, et ça s'accélérera bien, puisqu'ils ont posé les bases, déjà, et pas essayé d'en deux ans construire un plan pour drastiquement tout changer qui n'aurait pas de sens. C'est d'accepter de parfois être à contre-courant, parce que je trouve qu'il y a un petit peu trop cette idée reçue qu'une entreprise qui va mettre en place des mesures environnementales et sociales, elle va forcément gagner en popularité. Aujourd'hui, on voit que ce n'est pas le cas. Il n'y a qu'à penser à la politique de Donald Trump en ce moment, anti-inclusion, au point de vouloir rompre, de rompre, tous ses partenariats avec des entreprises françaises qui ont des contrats avec le gouvernement. qui respectent des politiques d'inclusivité. Elles doivent respecter des politiques de non-inclusivité pour pouvoir travailler avec le gouvernement américain. Donc là, on est complètement dans une injonction contradictoire pour les entreprises de se dire, en fait, qu'est-ce qu'on attend de moi ? Qu'est-ce qu'il faut que je fasse ? Et puis, d'un côté, des investisseurs aussi. On a beaucoup d'entreprises qui, justement, essayent de protéger leur intérêt social et général et commun. En nommant un CEO qui est très engagé pour ces questions-là, qui est dans l'entreprise depuis très longtemps, pour justement essayer d'avoir cette valeur d'entreprise. Là, je pense par exemple à Michelin. Et en fait, au bout d'un moment, on va avoir des actionnaires, des investisseurs qui vont dire, mais en fait, là, ce que vous faites, ce n'est pas maximiser le profit pour nous dans deux ans, trois ans, cinq ans. Donc, on vous vire. C'est très problématique. C'est des petits pas en avant, des petits pas en arrière. Les entreprises ne savent pas très bien où se positionner. Et il faut avoir le courage quand même de se dire qu'à long terme, ça vaut le coup, qu'il y a de la demande et que justement, aussi de mettre en avant que ce n'est pas un coût forcément l'ARSE. Aujourd'hui, c'est prouvé par Goldman Sachs, par J.P. Morgan, par tous les institutions que vous voulez qu'avoir au moins la moitié des femmes dans les postes de direction, ça augmente considérablement, très factuellement, les cours des actions des entreprises, mais aussi leur rentabilité, leur profitabilité, le bien-être au travail, etc. Et je suis sûre que... Mais malheureusement, il n'y a pas vraiment d'études encore que c'est pareil pour la diversité ethnique, pour l'inclusivité des personnes en situation de handicap. C'est une évidence. La diversité, le bénéfice, il s'applique pour tout le monde. Et donc ça, ça va rentrer au fur et à mesure dans les mœurs, parce que c'est de la rationalité, tout simplement. Mais on n'est pas encore à ce stade-là, je pense. Donc évidemment, à Sciences Po, dans mon école, on a le tronc commun, qui nous permet de faire des sciences sociales, mais aussi des enjeux du numérique. et des questions RSE et on a aussi des outils qui nous permettent de sortir un peu du paradigme de l'excellence carriériste et professionnelle traditionnelle et ça passe par le Centre pour l'entrepreneuriat et moi un cursus dans lequel je suis très investie cette année avec l'Impact Studio qui nous permet de rejoindre des projets menés par des entreprises ou des associations qui viennent à la rencontre d'étudiants pour résoudre leurs problèmes stratégiques ou très concrets en lien avec la RSE. Moi cette année je collabore avec Natixis IM pour justement revoir avec eux une stratégie RSE, faire une évaluation de leur stratégie par rapport aux autres banques qui font la même chose qu'eux, mais aussi par rapport à leurs collaborateurs en interne sur leur stratégie de communication, sur est-ce que les collaborateurs sont dans le bateau avec eux sur les questions RSE, et à la fin de l'année proposer un prototype qui permettrait... d'une manière un peu originale, de penser cette solution, qui soit peut-être un peu plus aussi à notre échelle d'âge, en disant, nous, si on était chez Natixis IM, voilà ce qu'on aimerait qu'on nous propose, qu'il soit un petit peu différent. Le but, c'est que ce soit le plus concret possible. C'est inévitable que la RSE soit au centre de nos formations, puisque justement, on ne peut pas avoir de modèle contradictoire. On ne peut pas avoir des cours de management où on nous dit que promouvoir l'inclusivité, c'est super pour l'entreprise, et à côté... où on nous dit qu'en fait, il faut évaluer les employés sur leur rentabilité à court terme et se séparer de ceux qui ne sont pas au niveau. Donc en fait, c'est une question aussi de cohérence, d'un moment faire le choix de... Non, en fait, c'est ça le modèle qu'on veut et donc c'est ça qu'on va apprendre aux étudiants. Moi, en tout cas, en finance, j'ai l'impression d'avoir des cours de Sustainable Finance qui sont effectivement, là pour le coup, très centrés sur ces questions-là, mais je n'ai pas l'impression que celles-ci sont contredites. dans mes autres cours de finance, puisque ça revient sur le tapis à un moment ou à un autre. Les questions de gouvernance, j'en parle dans tous mes cours, parce qu'il y a des enjeux très forts à la clé et que ça va être important dans mes emplois. Notre principal rôle, c'est de faire un peu pression, donc c'est d'être très intransigeant sur ce qu'on veut et ce qu'on ne veut pas. En fait, c'est de montrer aux entreprises que si elles veulent trouver des talents dans les prochaines années, il va falloir qu'elles soient aussi attractives pour ces talents-là. Aujourd'hui, on parle beaucoup, par exemple, du télétravail et que les entreprises se trouvent un peu coincées si elles n'en offrent pas. Mais ça va beaucoup plus loin que ça. Je pense que certaines entreprises, et justement, c'est aussi pour ça qu'elles essayent de mettre en avant les critères ESG, parce qu'elles savent que dans cinq ans, elles auront du mal à trouver des étudiants prêts, en tout cas les meilleurs talents, prêts à rentrer dans leur entreprise si jamais elles ne se remettent pas en question. C'est très, très dur. Moi, j'ai vraiment l'impression cette année d'énormément lutter. contre justement cette envie de dire peu importe l'entreprise, peu importe où je vais même si c'est d'assaut j'ai besoin d'un stage, j'ai besoin d'expérience parce qu'on n'a pas envie de se priver justement de cette expérience personnellement moi j'aimerais à terme comme ambition d'être dans une institution publique que ce soit le FMI ou la BCE, de pouvoir être à l'échelle mondiale. Mais pour ça, il faut de l'expérience. Et on ne peut pas commencer par là, malheureusement, quand on a tout le système qui fonctionne différemment. Si tout le système fonctionne sur un capitalisme américain, il faut le comprendre, il faut travailler pour les entreprises qui le font fonctionner et adopter leur point de vue de manière vraiment réelle et honnête, de se dire pourquoi est-ce qu'elle fonctionne comme ça. Parce que c'est trop facile aussi de dire que... Les dirigeants d'entreprises sont des très grands méchants qui ne veulent que notre mal, qui ne pensent pas au bien de leurs salariés ou au bien de la société. Ce n'est pas vrai, c'est simplement qu'ils n'ont pas du tout le même paradigme. Et si on comprend ce paradigme, c'est après, j'espère, en tout cas dans notre antenne, qu'on pourra au moins, c'est sûr, se réorienter, créer notre entreprise qui n'ira pas forcément dans ce modèle, mais en tout cas rentrer dans des institutions qui vont se battre contre ça. Mais avec ! les entreprises, pas contre elles. Avoir un travail qui a du sens, pour moi, c'est essentiel. C'est un besoin que tout le monde a. Sauf que le sens, s'il y a mille façons de le trouver, ça peut être un sens éthique. Dans ce cas-là, effectivement, on va penser aux questions environnementales, sociales, au bien commun, à la justice, à la solidarité. Mais ça peut aussi être un sens intellectuel. On peut très bien s'épanouir parce qu'on a des super collègues, parce qu'on a des responsabilités, parce que nos tâches nous plaisent. Ça s'éloigne très vite des questions ESG. Dans une époque où on parle beaucoup de travail passion, que l'ambition professionnelle doit être très alignée avec l'ambition personnelle, il faut quand même rappeler qu'avoir un job alimentaire, c'est aussi très courant, et qu'avoir un travail alimentaire, ce n'est pas forcément mal. On n'est pas obligé d'accomplir 100% de sa personnalité au travail, et que justement, en véhiculant parfois le message qu'on doit être parfaitement aligné avec son travail, marginalise des personnes qui n'ont pas les moyens, l'éducation, la capacité, au moment donné, de s'investir dans leur éthique au travail. Et donc essayer de déculpabiliser ça un petit peu, de dire que c'est aussi très bien qu'il y a plein d'autres façons de s'investir politiquement, socialement, en dehors de son travail. Et que ce n'est pas incompatible avec le fait d'avoir un travail qui n'est pas aligné avec son éthique personnelle au moment donné. Je ne me mets pas la pression pour me dire qu'il faut que mon premier job soit forcément parfait. J'ai besoin de tester, j'ai besoin d'expérimenter, de me confronter aux choses qui ne me plaisent pas avant de choisir. Et c'est ça qui coule aussi dans le fait d'être jeune, c'est qu'on a un petit peu de temps pour se positionner. Et je suis totalement ouverte à me dire qu'en fait, peut-être dans trois ans, j'en aurais marre de la finance, mes collègues ne me plairont pas et dans ce cas-là, je déciderai de monter ma boîte et on verra. J'espère en tout cas que ma personnalité est un de mes atouts, même pour les entreprises en finance. Et je mets en avant, je ne me cache pas, je mets en avant tout. tous mes engagements, tout mon passé, tout ce que je pense, parce que j'ai envie que mon entreprise me recrute pour qui je suis. Et ça marche.

  • Speaker #1

    À quel moment vous vous êtes dit, là, j'ai vraiment eu de l'impact ?

  • Speaker #2

    Il y a une quinzaine, une vingtaine d'années, j'ai co-écrit un livre qui s'appelait Un métier pour la planète et surtout pour moi. Et j'avoue que ces derniers temps, je reçois beaucoup de mails où je vois beaucoup de gens l'autre jour... Une dame est venue me voir avant la conférence que je faisais en me disant je voulais vous remercier parce que c'est ce livre qui a déterminé mon engagement et maintenant je suis ceci cela, j'ai fait tel parcours. Et en fait ce truc là, c'est bête mais un par un, c'est comme dans cette histoire, je ne sais pas si vous connaissez cette histoire où une petite fille se retrouve avec sa mère sur une plage où il y a plein de poissons volants qui se sont échoués. et elle commence à les attraper un par un et à les remettre dans l'eau et sa mère lui dit non mais attends tu vas rien changer parce qu'en fait regarde il y en a des milliers Et elle dit, ouais, non, je ne changerai pas tout, mais ça change quelque chose pour celui-là et pour celui-là et pour celui-là. Et one by one, on y arrive et ça me fait plaisir, en fait. J'ai presque l'impression, j'ai écrit une dizaine de livres, que c'est le plus utile.

  • Speaker #0

    Il y a un jour très marquant, quand j'étais encore à Extinction Rebellion, où on était dans les locaux de BlackRock, un asset manager, un des plus grands au monde, dans lequel j'ai discuté avec les salariés et j'ai eu une très longue conversation avec un salarié pendant... Pendant vraiment une demi-heure, où moi je parlais de mes idées, de mes idéaux, et lui aussi, et en fait c'était très ouvert, et j'ai senti vraiment dans ses yeux qu'il lui fallait ce déclic, et qu'il avait besoin en fait que quelqu'un lui parle et lui dise franco face à face, et je ne sais pas qui est cette personne, et je ne sais pas ce qu'elle fait aujourd'hui, mais je suis persuadée qu'elle ne travaille plus forcément là-bas, et en tout cas qu'elle a changé sa manière d'aborder son rapport au travail aussi.

  • Speaker #1

    En mode impact est un podcast de Sciences Po, produit par FriXion. La musique a été composée par Nils Bertinelli.

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Description

Face à l’urgence climatique et aux attentes croissantes des citoyens, la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) n’est plus un simple outil de communication. Elle devient un moteur de changement, un catalyseur d’innovation… voire un levier de transformation en profondeur.


Mais comment passer d’une RSE symbolique à une véritable métamorphose ? Et surtout, comment repérer les entreprises qui agissent vraiment — et celles qui se cachent derrière le fameux “washing” ?


Impossible d’aborder le sujet sans évoquer Élisabeth Laville, notre première invitée. Pionnière du développement durable en France, elle a fondé en 1993 Utopies, l’un des tout premiers cabinets de conseil en stratégie RSE. Son credo depuis plus de 30 ans : prouver que performance économique et impact positif peuvent aller de pair.


Entrer dans le monde du travail quand on a de fortes convictions n’est pas toujours simple. C’est ce que partage Bérénice Goudet, étudiante à Sciences Po – École du management et de l’impact. D’abord tentée par la recherche, elle voulait rester fidèle à ses valeurs… jusqu’à ce qu’elle découvre qu’une RSE ambitieuse pouvait faire de l’entreprise un lieu d’engagement et d’épanouissement.


En mode impact est un podcast de Sciences Po, produit par Frictions. La musique a été composée par Nils Bertinelli.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    en mode impact.

  • Speaker #1

    Le podcast où l'on explore les grands défis de notre temps et surtout les solutions qui y répondent. La RSE, est-ce vraiment un levier de transformation ?

  • Speaker #2

    Un entrepreneur, c'est quelqu'un qui a envie de relever des défis et là, on a un défi qui donne du sens au travail des gens.

  • Speaker #0

    Ce que j'attends, moi, des entreprises, c'est de l'honnêteté.

  • Speaker #2

    Et de plus en plus chez les jeunes générations, c'est au fond, pourquoi on fait ça et quel sens ça a ?

  • Speaker #0

    J'ai vraiment l'impression cette année d'énormément lutter contre justement cette envie de dire peu importe l'entreprise, peu importe où je vais, même si c'est d'assaut, j'ai besoin d'un stage, j'ai besoin d'expérience.

  • Speaker #2

    C'est une course de fond le développement durable. Donc il faut être capable de tenir les engagements et les initiatives dans la durée. Sinon c'est des coups de pub.

  • Speaker #1

    Face à l'urgence climatique et aux attentes croissantes des citoyens, la responsabilité sociale des entreprises n'est plus un simple accessoire de communication. Elle devient un moteur du changement, un catalyseur d'innovation, voire un véritable levier de transformation. Mais comment passer d'une RSE symbolique à une véritable métamorphose ? Comment repérer les entreprises qui font tout ce qui se termine par washing ?

  • Speaker #2

    J'ai grandi en région parisienne. D'une famille plutôt méditerranéenne, parce que ma mère était marseillaise, et mon père est pied-noir d'Algérie, donc il est arrivé en France à 18 ans, mais donc c'est quand même une famille qui vibre quand elle se rapproche de la Méditerranée.

  • Speaker #1

    Impossible de parler RSE sans évoquer Elisabeth Laville, notre première invitée.

  • Speaker #2

    De sorte que j'ai acheté un appartement à Marseille il y a deux ans, quand ma mère est morte, j'ai renoué avec cette partie-là.

  • Speaker #1

    Pionnière en la matière, elle a fondé dès 1993 Utopie. l'un des tout premiers cabinets de conseil en développement durable en France, bien avant que la RSE ne devienne tendance. Son credo ? Prouver que performances économiques et impacts positifs peuvent et doivent même aller de pair.

  • Speaker #2

    Souvent sur les gens qui travaillent sur le développement durable ou sur les problèmes écologiques, il y a beaucoup de découragement, d'inquiétude, d'éco-anxiété, on appelle ça comme on veut. Et moi je crois au fond... Donc l'enjeu n'est pas d'être optimiste ou pessimiste. Le patron de Patagonia, Yvan Chouinard, que j'aime beaucoup, que j'ai la chance de connaître, dit toujours quand on lui demande est-ce qu'il est optimiste ou pessimiste, il dit qu'il n'y a pas beaucoup de différence entre un pessimiste qui dit tout est foutu et donc qui ne fait rien et un optimiste qui dit tout va s'arranger mais qui ne fait rien non plus. Et lui dit qu'il est un pessimiste attaché à l'action. Et moi, je crois que je suis une optimiste d'action. C'est un peu comme on m'a raconté que le moine Luther avait dit Quand on lui posait la question « qu'est-ce que vous feriez si la fin du monde était pour demain ? » Et il disait « je planterais quand même un pommier » . Voilà ce que je fais depuis 32 ans, je plante des pommiers. Avant HEC, je ne savais pas ce que je voulais faire du tout. Et donc j'ai hésité entre effectivement des études de médecine et je ne savais pas quoi d'autre en réalité. Et puis médecine, je suis allée rencontrer des gens qui faisaient ces études-là, qui m'ont paru très très longues. Et donc, je me suis dit que j'allais opter pour des études de commerce. Comme je ne savais pas ce que je voulais faire, je me disais, ça m'ouvre plus de portes que ça n'enferme. Et on verra plus tard. Je suis entrée à HEC en n'ayant pas du tout d'idée de ce que je voulais faire ensuite. Il y avait une spécialité qui existe toujours, entrepreneur à HEC, que je n'ai pas faite. Quand vous choisissiez cette option entrepreneur, c'était de sauter en parachute et que ça ne m'amusait pas plus que ça. Et que par ailleurs, je n'avais pas de projet d'entreprise particulier. Donc comme je n'avais pas très envie d'entrer dans les banques, comme je n'avais pas très envie d'aller vendre du shampoing, avec le plus profond respect pour ceux qui le font, mais en tout cas ça ne m'attirait pas, je me suis dit que finalement j'allais choisir la publicité à la sortie de l'HEC, quitte à vendre indirectement du shampoing quand même, parce que ça revient à ça un peu. J'avais l'impression qu'au moins c'était des métiers où les gens ne se prenaient pas trop au sérieux. Et surtout parce que j'ai vu à nouveau une citation de, je crois que c'est Einstein qui dit, la créativité, c'est l'intelligence qui s'amuse. Et le job de commercial n'était pas vraiment ce que j'avais envie de faire. Donc, j'ai assez rapidement changé d'agence et basculé sur une fonction qui s'appelle le planning stratégique. C'est déjà travailler sur en quoi ce que propose la marque en question ou ce qu'elle incarne entre en résonance avec des tendances de société, des choses qui sont importantes pour les gens, etc. Et ça, ça posait les prémices du job que je fais maintenant. Et il s'est trouvé que j'avais choisi la deuxième agence où je suis allée exercer ce métier-là de planeur stratégique. C'était CLM BBDO, qui était une agence avec un fondateur qui s'appelait Philippe Michel, qui défendait beaucoup l'idée que les marques peuvent changer le monde. Donc il y avait aussi là quelque chose qui m'intéressait. Et quand j'étais là-bas, mon prof d'anglais, à l'époque on avait des cours d'anglais, il m'a amenée un jour à une revue américaine. qui s'appelle Hutner Reader, qui est une sorte de Reader's Digest de la presse alternative américaine. On devait être du coup en 92 et il m'a amené ça et c'était un numéro, je me souviens très bien, la couverture était un petit clin d'œil à un des parfums de Ben & Jerry's, la marque de crème glacée qui est devenue un de nos clients plus tard. C'était Let Them Eat Rainforest Crunch, Rainforest Crunch étant le nom d'un parfum à Ben & Jerry's. Et le numéro traitait du sommet de la terre à Rio en 92, le sommet des Nations Unies, et du fait qu'un certain nombre d'entreprises allaient à Rio parce qu'elle considérait que les questions écologiques, au fond, ça les intéressait, ça les concernait, elles s'y engageaient, etc. Et donc j'ai commencé à chercher des infos sur ces entreprises-là. C'était un sport, y compris pour les journalistes, pas complètement évident, puisque je vous parle d'une ère où il n'y avait pas Internet. Et puis, dans le même temps, j'ai une amie qui travaillait dans les RH, dans un cabinet RH, avec qui on avait beaucoup parlé de ces sujets-là, du fait que ce que moi je cherchais pour les marques... Au fond, c'est ce qui donnait du sens aux produits. Et elle cherchait la même chose pour ce qu'on appellerait aujourd'hui la marque employeur. Il donne du sens au travail des gens. Et on avait pas mal parlé de ça. Et à un moment, le cabinet petit dans lequel elle bossait a fermé. Et elle m'a dit, je vais créer une boîte. Et j'ai dit, on la crée ensemble. Et voilà, c'est parti comme ça. Donc, on a créé Utopie en 93. D'abord sous forme d'association, parce qu'au fond, on avait un projet un peu militant. qui était de promouvoir une vision plus engagée, plus responsable dans les entreprises. Et d'ailleurs, pour la petite anecdote, à l'époque, il y avait aussi à la tête du CNPF, donc l'ancien MEDEF, une équipe autour de Jean Gandoua qui était arrivée autour d'un projet sur l'entreprise citoyenne. Et donc, j'ai demandé un rendez-vous. On a vu son numéro 2, Jacques Dermagne. Et il nous a reçus, il était très gentil, un peu condescendant parce qu'on était deux filles jeunes, heureusement j'avais le diplôme d'HEC qui me crédibilisait un peu. Et j'ai parlé de François Lemarchand, le fondateur Nature et Découverte, qu'à l'époque je ne connaissais pas, en disant oui voilà, regardez, un entrepreneur qui crée une entreprise pour aider les urbains à mieux comprendre la nature, avec l'idée que s'ils la comprennent mieux, ils la respectent mieux, etc. Il m'a regardé, il m'a dit non mais vous êtes quand même très naïve, en mode François Lemarchand c'est avant tout un commerçant qui veut créer des magasins. Et je me souviens, on est sortis du rendez-vous et sur le trottoir, j'ai dit à Catherine, on va appeler ça utopie, puisqu'on va assumer le fait qu'on est complètement naïves et que pour des gens qui sont dans le business, c'est complètement hallucinant. À l'époque, effectivement, on ne parlait pas du tout de RSE, de développement durable, etc. On parlait d'entreprise citoyenne. L'idée derrière, c'est que les entreprises ne peuvent pas durablement prospérer dans des environnements naturels, humains, sociaux qui dépérissent. et que donc, si elle gagne de l'argent... Elles doivent et peuvent consacrer une partie de cet argent à nourrir la santé, je dirais, un peu globale de ces écosystèmes dans lesquels elles évoluent. Donc ça restait de la philanthropie principalement. Mais on commençait à voir ce pourquoi, par exemple, Coluche avait créé à peu près à cette époque-là, de mémoire aussi, les Restos du Coeur. C'est-à-dire qu'on commençait à voir que quel que soit le bord politique du gouvernement, parfois il n'arrivait pas à résoudre les problèmes sociaux, en l'occurrence plus qu'environnementaux à l'époque. Et donc la sphère privée prenait le relais, entre guillemets, prenait le relais via des associations, des fondations, et puis progressivement via les entreprises. Et nous, on est arrivé là-dedans en disant, en fait, ce n'est pas via la philanthropie qu'il faut faire ça, c'est via le cœur de l'activité de l'entreprise. Ce n'est pas, je vais faire n'importe quelle activité, y compris une qui détruit, entre guillemets, la société ou la planète, et ensuite, par la fondation, je vais réparer un peu, avec ma main gauche, les dégâts que je cause avec ma main droite, ou que je contribue à aggraver avec ma main droite. C'est de se dire, on met ça au cœur de l'activité, et du coup, au cœur de l'offre, et au cœur du modèle économique. Et là, je me rends compte que je dis la même chose depuis 32 ans. Nous, on a, chez Utopie, développé une petite grille d'analyse qui dit, en gros, ça a commencé dans les années 80 avec de la philanthropie, les grandes fondations, etc., jusqu'au sommet de la Terre à Rio. Ça, c'est de la philanthropie, c'est une espèce d'ère préhistorique de la RSE. Tous les gens qui étaient à Rio reviennent, Simone Veil avec d'autres va créer le comité 21 pour essayer de diffuser l'esprit de l'agenda 21 et de tout ce qui s'était discuté à Rio dans les collectivités mais aussi dans les entreprises et dans les administrations. Et donc ça change un peu et là on arrive dans ce que moi j'appellerais la RSE 1.0 qui est en gros continuer à faire l'activité qu'on mène, quelle qu'elle soit, y compris quand elle est nuisible. potentiellement ou qu'elle a des impacts qui ne sont pas que positifs sur la société et la planète, continuer cette activité et essayer de le faire le moins mal possible. Produire moins de déchets, consommer moins d'eau, produire moins de CO2, payer mieux les gens, y compris dans la chaîne de fournisseurs, etc. En général, les entreprises dans une ou deux gammes vertes, qui en général ne marchent pas, parce qu'on ne les soutient pas en marketing, on les fait plus pour dire qu'on les fait. Et l'autre chose, c'est que c'est très incrémental. Il y a ce truc sur la RSE qui revient toujours, c'est le progrès continu. Et donc le progrès continu, ça veut dire que vous progressez très peu, mais que vous allez le faire avec constance très très longtemps. Aujourd'hui, il y a cette idée que l'urgence des défis, notamment écologiques, qui sont devant nous, fait que le progrès continue, ça ne va pas suffire. On a vu ça très clairement pendant le Covid. En 2020, pour la première fois, on a réduit les émissions de CO2 planétaires du niveau qu'il faudrait qu'on fasse chaque année jusqu'en 2050 si on veut atteindre les objectifs de l'accord de Paris, c'est-à-dire moins 7 à moins 8 %. Mais sauf qu'en 2020, on a atteint cet objectif-là uniquement. parce qu'on a arrêté les activités humaines à la surface du globe pendant un peu plus qu'un trimestre. Et la difficulté, c'est d'atteindre ce niveau de réduction en relançant les activités plutôt qu'en les arrêtant. Et donc, pour relever les défis radicaux qui sont devant nous, la progression incrémentale ne suffit pas. Il faut des objectifs radicaux. Et ça, pour moi, ça passe par revoir la mission, la raison d'être, revoir radicalement l'offre, c'est-à-dire prévoir non pas une gamme verte qui ne se vend pas. mais se poser la question de combien de temps je me donne pour transformer 100% de mon offre et l'aligner sur les limites planétaires, si j'ose dire, et du coup revoir mon modèle économique, combien de temps je me donne pour que 100% de mon chiffre d'affaires vienne de produits, de services, d'activités qui soient alignés avec les limites planétaires et radicalement alignés sur les contraintes qu'on a. Si je remplace les gobelets en plastique, Dans une entreprise, par une tasse, c'est très vertueux. Et je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire. En revanche, je dis juste qu'une fois que vous avez fait ça, si le cœur de votre activité, c'est de piller les forêts ou d'une activité chimique qui pollue énormément, vous avez changé un tout petit peu votre activité, d'accord ? À la marge, même si vous servez des repas bio et végétariens à la cantine. Voilà. Genre le PDG peut venir en vélo au bureau plutôt qu'en voiture et se déplacer un peu moins en avion et faire un peu plus de visio. Si le cœur de l'activité ne change pas, évidemment que... 80, 90, 99% des impacts sont dans le cœur de l'activité. Et ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas le faire. Parce que c'est aussi un sujet de cohérence. Et que c'est par l'optimisme d'action, c'est en agissant qu'on a encore plus envie d'agir. Donc il faut bien commencer quelque part. Et évidemment, si vous êtes PDG d'une boîte polluante, c'est plus facile de commencer à dire que vous venez en vélo et que vous prenez moins l'avion que de dire attendez les gars, on va tout changer en deux jours. Et j'avoue que ces derniers temps, ça m'agace un peu. Il y a beaucoup de gens qui arrivent sur ces sujets qui du coup ne disent plus RSE. Comme si ça désignait un truc qui est complètement désuet et qui franchement n'a aucun intérêt, un peu dans l'esprit de ce qu'on disait, parce que cosmétique, superflu, superficiel, etc. Et on dit, notamment parfois, du coup, il faut évoluer vers l'entreprise régénérative. C'est super, moi je suis pour que l'entreprise ne se contente pas de limiter les dégâts qu'elle cause. mais que, un, elle n'en cause plus, et que même, elle essaie de réparer ce qu'elle a causé par le passé, voire même que son activité consiste à réparer ce que d'autres causent. Et donc, évidemment que le régénératif, personne ne peut être contre, mais ce n'est pas parce que vous décidez, vous déclarez que vous êtes régénératif, que vous le devenez. Et je constate quand même que souvent, ce terme est employé à propos d'entreprises qui font, pardon, mais même pas le B.A.B.A. de la RSE 1.0, ni le B.A.B.A. de la RSE 2.0, tout le sens du mot utopie à la base. C'est un objectif qui est inatteignable, qui est loin devant vous. Et il y avait une jolie phrase d'un écrivain qui s'appelle Eduardo Galeano qu'on mettait en exergue de notre manifeste, qui dit « L'utopie est devant moi, j'avance de deux pas, elle recule de deux pas. Bon bref, aussi loin que je pourrais marcher, elle sera toujours très loin de moi. » Et il dit « L'utopie, elle sert à ça, elle sert à avancer. » Bon, donc le régénératif, c'est une jolie utopie. Après, on ne peut pas se contenter de discours. Et c'est difficile de mobiliser les salariés sur la réduction des impacts négatifs. Donc on préfère aller chercher, d'où aussi l'engouement pour la raison d'être, etc. Parce que là, on a au moins une façon de motiver les gens sur quelque chose qui a une contribution positive et pas juste la réduction d'un impact négatif. C'est un peu comme si dans un couple, vous disiez, on va très bien parce qu'on se tape moins sur la figure. Non, ça ne marche pas. Donc c'est un peu pareil, il faut aller chercher quelque chose de plus positif. Et donc, pour savoir si vraiment une entreprise est engagée sur la RSE ou pas, ce n'est pas tellement le terme qu'elle emploie que je regarde. Moi, personnellement, je regarde qu'est-ce qu'elle fait dans son offre, quelle part de son offre, quel part de son chiffre d'affaires est alignée avec les limites planétaires, les principes de ce qu'il faudrait faire en termes de développement durable. Et ce n'est pas le fait qu'elle le dise qui est le critère, c'est sur quelle, notamment, certification opposable, elle s'appuie pour dire qu'elle le fait. Vous êtes une marque alimentaire et vous avez... 2% de produits bio et tout le reste dont vous dites que ça vient d'une agriculture régénératrice qui, je ne sais pas quoi, s'enlabe, ben pour moi c'est du pipeau et je m'en tiens au label Quelle part de votre activité est concernée ? Et souvent, cette question-là, c'est la question qui tue. Un entrepreneur, c'est quelqu'un qui a envie de relever des défis. Et là, on a un défi qui donne du sens au travail des gens. Et de plus en plus, chez les jeunes générations, c'est au fond, pourquoi on fait ça ? Et quel sens ça a ? Comment ça va contribuer à mon utilité, à moi, dans le monde ? Et donc, si vous ne répondez pas à cette question, les gens vont rester un peu pour le salaire, même si vous augmentez beaucoup les salaires. Au bout d'un moment, ils vont partir. Et ça donne du sens aux produits et au fond ce qui fait qu'un consommateur va acheter votre produit ou votre service de préférence à cent mille, dizaines de milliers de produits ou services concurrents, c'est bien l'histoire que vous racontez. Et l'histoire que vous racontez, ce n'est pas une histoire pipo qu'on raconte dans la pub. Vous achetez des baskets Veja, il y a du caoutchouc équitable cultivé au Brésil par des gens qui du coup entretiennent la forêt amazonienne en en tirant subsistance. qui sont payés de manière correcte et qui polluent beaucoup moins que du caoutchouc synthétique. Donc ça raconte une histoire vraie. Comme je suis optimiste, j'ai commencé par la carotte, mais parlons du bâton. Les entreprises, aujourd'hui, sont de manière croissante un peu dans un entonnoir qui se réduit, qui arrive à un micro-tunnel, avec plein de contraintes. Donc les contraintes réglementaires sur tous les marchés de non-toxicité des produits. de qualité, de traçabilité de vos matières premières, etc. Il y a la CSRD, des contraintes sur les entreprises, le pacte vert, même s'il est un peu malmené, mais enfin, le plastique à usage unique, la loi économie circulaire, la loi climat et résilience. Il y a plein de choses qui poussent. Et effectivement, il y a aussi le fait que si vous n'intégrez pas ces considérations dans vos stratégies, vous risquez de vous retrouver face à des crises, des crises de réputation. des crises de pénurie de matières premières. La Californie est le premier producteur d'amandes. Les amandiers, c'est très gourmand en eau. Avec la sécheresse, les incendies, etc., il y a moins d'amandes en Californie. Si vous êtes producteur d'amandes ou de produits à base d'amandes, de pâtes d'amandes en France, vous êtes en pénurie d'amandes parce qu'il n'y en a plus. Le Canada est le premier producteur de blé dur au monde. Le dôme de chaleur après le Covid, soudain, il fait 50 degrés. La production de blé dur, baisse de 30% au Canada. Le prix du blé dur canadien augmente de 30% à peu près. Et la France qui s'approvisionne manque de blé dur et vous avez des pénuries de pâtes. Donc ça ne veut pas dire que si le fabricant de pâtes s'engage sur le climat, il sera le seul à ne pas être en pénurie, puisque évidemment le climat est un phénomène global et que le son d'action va avoir de l'impact, mais une petite partie d'impact dans un phénomène plus large. En revanche, ça veut dire que si l'intègre La question de l'adaptation climatique à son sourcing, il sait qu'aujourd'hui, on ne peut plus dépendre d'une seule source d'approvisionnement parce que les aléas climatiques sont tels que ça vous met en risque et que donc il faut diversifier. Et que s'il diversifie, c'est peut-être pas mal de sourcer une partie de ses matières premières plus près de lui parce qu'au moins, il a un peu plus le contrôle de ce qui se passe. Et puis que si le Canada est défaillant, il pourra s'approvisionner en France ou en Europe, etc. C'est ça, intégrer ces questions dans la stratégie. Vous voyez bien qu'on est très loin du mécénat. Ce qu'on fait depuis toujours chez Utopie, c'est qu'on travaille avec des entreprises. On a un diagnostic de départ, souvent qualitatif. On va interroger les dirigeants, on va interroger des parties prenantes externes, on va interroger des ONG qui travaillent sur ces sujets-là pour essayer d'avoir une vision de quels sont les enjeux principaux, à la fois ceux qui vont avoir un impact sur l'entreprise, mais ceux sur lesquels l'entreprise a un impact. Et puis parfois, dans le diagnostic, il y a aussi des éléments de quantification. Pour savoir si on progresse, il faut mesurer le bilan carbone, une empreinte biodiversité, une empreinte socio-économique, un état des lieux sur le questionnaire d'évaluation bicorps, par exemple, pour savoir si l'entreprise est loin de la certification ou pas. Ça vous donne une note sur 200 points. Il faut avoir 80 points pour être certifié. Si, quand on fait le questionnaire qui est en open source, en ligne, il faut le dire parce que c'est suffisamment rare pour être signalé. vous faites le questionnaire et que vous avez 10 points, même en intégrant de manière un peu large ce que vous ne faites pas encore mais que vous pourriez faire, si vous arrivez à 25 points, vous voyez la marche à franchir. Et puis, à partir de là, on discute avec l'entreprise. Selon nous, de ce qui ne peut pas être ignoré, il y a des choses souvent qui étaient dans l'angle mort avant, dont on ne voyait pas trop, dont on ne voit pas trop l'impact business, etc. Et on essaie, à partir de là, de construire une stratégie cohérente. Et puis, on met en place des indicateurs pour mesurer le progrès. Et l'idée, c'est évidemment de piloter cette progression au fil du temps. Et puis, selon les cas, on est consulté sur certains aspects. L'exemple de Galerie Lafayette, il est intéressant parce qu'on a travaillé sur ce que j'évoquais tout à l'heure, c'est-à-dire sur la transformation de l'offre. Et on avait bien traité, ils avaient bien traité d'ailleurs sans nous, tous les sujets périphériques dont on parlait tout à l'heure. Le recyclage des cintres, ok ? C'est cool de recycler les cintres, mais évidemment, ce n'est pas le cœur de l'activité. Et donc nous, notre boulot, ça consistait à leur dire, tout ce qui est périphérique et qui n'était pas trop compliqué à faire a été fait. Maintenant, il faut s'attaquer au cœur du sujet. Comment je sélectionne les produits que je vends ? Est-ce que ce sont des produits qui sont alignés avec les limites planétaires, le développement durable, etc. ? Et est-ce que je pousse ? Est-ce que je mets en avant, via des promotions, etc., les produits les plus responsables ? Et donc, on leur a proposé de faire ce programme qui s'appelle maintenant Go4Good. Et c'est un exemple hyper intéressant parce que ça existe depuis 2018. Ce n'est pas un sprint. Donc, il faut être capable de tenir les engagements et les initiatives dans la durée. Sinon, c'est des coups de pub. Donc, ils sont allés voir, les acheteurs sont allés voir, et ils le font encore, tous leurs fournisseurs en disant, voilà, on a fait une liste des labels qu'on considérait être mieux disant. Et puis, ils sont allés voir les fournisseurs en disant qu'est-ce que vous avez comme produit qui est dans la plaque ? Et c'est d'ailleurs amusant parce qu'on a eu, nous, des entreprises qui sont venues nous voir après en disant, bon, il faut qu'on travaille vite là-dessus parce qu'on a les acheteurs de Galeries Lafayette qui nous demandent quels sont nos produits labellisés. Et en fait, on n'en a pas ou on s'est rendu compte qu'il y en avait très peu. Et du coup, on ne rentre pas dans leur programme Go4Good, etc. Et dans les discussions initiales, on avait dit, il faut que vous fissiez des objectifs de part de chiffre d'affaires. Et là, super bonne nouvelle, c'est pour ça que je vous dis la persévérance paye. c'est qu'aujourd'hui, ils sont à 28% du chiffre d'affaires en produits go for good. Et ça a été, d'ailleurs, cette démarche, joyeusement, mais très heureusement, imitée par d'autres, la cosmétique, les parfums, le bâtiment, enfin voilà, donc c'est super. On a vraiment réussi à faire avec eux, enfin je veux dire, c'est toujours grâce au client, nous, on est catalyseurs au mieux de quelque chose. Quand j'y vais, en tout cas, je me dis, ah ben là, ça a changé quelque chose. Et moi, je dis toujours à mon équipe, il faut qu'on ait beaucoup d'ambition parce qu'on veut changer le monde et beaucoup d'humilité parce que la plupart du temps, ça ne marche pas. Est-ce que Martin Luther King et Gandhi ont résolu le problème de la guerre et de la paix ? Je n'ai pas l'impression et ils ont eu de l'impact. Donc on ne va pas résoudre, enfin je pense que c'est extrêmement prétentieux et du coup totalement stérile, de dire non mais il faut que chaque mission qu'on mène résolve le problème du climat, etc. chez ce client, voire le problème du climat tout court. Alors là, on confie nos délires. et donc le sujet c'est d'abord trouver du plaisir dans le fait de faire ce boulot là parce qu'on a l'impression d'être utile parce qu'on a l'impression d'être au bon endroit parce que moi j'ai depuis 32 ans sinon je ferais autre chose plutôt que de quelque chose qui se passerait après qu'on ne maîtrise pas parce qu'en plus c'est les stoïciens c'est faire le maximum sur ce qui dépend de moi et lâcher prise sur ce qui ne dépend pas de moi

  • Speaker #1

    Quand on entre sur le marché du travail avec de fortes convictions, pas facile de savoir vers quel job se tourner. Bérénice Goudet, étudiante à Sciences Po au sein de l'école du management et de l'impact, a bien failli fuir le monde de l'entreprise avant même d'y entrer. Tentée par la recherche, elle voulait avant tout rester fidèle à ses valeurs, jusqu'à ce qu'elle réalise qu'une stratégie RSE ambitieuse pouvait justement faire de l'entreprise un lieu où elle pourrait s'épanouir.

  • Speaker #0

    Moi, quand j'avais 15 ans, je me suis investie chez Extinction Rebellion, qui est un mouvement de désobéissance civile non-violent et écologique, qui m'a beaucoup modelé mon adolescence. Je ne me sentais pas forcément très bien dans mon collège et dans mon lycée. Je n'avais pas l'impression que l'école représentait mes valeurs et mes préoccupations. Parce que, mine de rien, je pense que c'est commun à ma génération, mais moi j'ai grandi avec les photos du prix Pulitzer, où on voit un des ours polaires faméliques sur les banquises, où... On étudie la COP 21 en sixième et les accords de Paris. Et en fait, ça faisait beaucoup de stress et de tristesse aussi. Et j'avais l'impression de ne pas vraiment trouver des personnes avec qui je pouvais en discuter, avec qui j'allais essayer, en tout cas, de passer dans l'action. Et Extinction Rebellion, c'est vrai que ça a été très populaire en 2016, 2017. Il faisait beaucoup de mouvements, c'était très attrayant. Moi, à l'origine, j'étais juste venue pour discuter. Et en fait, c'était des gens super. Il y avait beaucoup de profs dans ce mouvement aussi, donc ça me faisait un peu un lien aussi entre moi, ce qui m'inspirait dans le milieu académique et ce qui m'inspirait dans le milieu personnel. Et donc oui, clairement, je passais beaucoup de temps de ma semaine. J'ai un peu séché les cours aussi pour faire des actions. Retirer les pubs sur les panneaux publicitaires à l'aide de clés magiques. À s'allonger devant des avions à Roissy, donc c'est très vaste. J'ai arrêté la désobéissance civile parce que j'ai... J'ai estimé qu'en fait, la force du mouvement, elle reposait beaucoup sur la médiatisation qui s'est en fait arrêtée. Au bout d'un an, puisque forcément les médias se lassent, le public se lasse, et donc j'ai considéré qu'il y avait beaucoup trop de moyens dépensés pour le résultat, et que donc il me fallait une autre approche. Et tout ça, ça a rentré un peu aussi en compte avec mon envie de rentrer à Sciences Po et de passer dans une autre dimension peut-être. En fait, ça a nourri ma réflexion parce que je me suis rendue compte que, mine de rien, ces personnes qui étaient engagées, elles passent quand même 3-5e de leur semaine à travailler pour leur entreprise, et ces entreprises, elles doivent refléter. leurs pensées, elles doivent refléter leurs engagements et surtout on ne peut pas les exclure parce qu'on considère que c'est du capitalisme ou parce qu'on considère qu'elles sont hors spectre, c'est trop facile et moi qui étais passionnée d'économie à ce moment-là, c'était aussi une voie facile un peu de sortie de me dire, moi je vais faire de la macro-économie je vais devenir chercheuse et je ne serai pas dans ce paradigme des entreprises justement et ça me permettait un peu de concilier moi, mon amour pour les maths et l'éco. et aussi mes engagements écolos et sociaux. Mais en fait, l'envie de travailler pour des entreprises m'a rattrapée parce que c'est quand même le cœur de ce qui se passe dans la vie de tous les jours pour tout le monde, pour tous les Français et les Françaises, je pense. Il y a beaucoup de choses à faire. Je me suis dit qu'on ne pouvait pas laisser tomber les entreprises sous prétexte que pour l'instant, ce n'était pas parfait. En fait, c'est en discutant avec des doctorants en économie où je me suis dit que leur travail était super, mais que ça me semblait tellement... Loin des réalités des petites et moyennes entreprises, qui sont en vrai les entreprises dans lesquelles tout un chacun travaille, et qui sont un petit peu isolées et seules dans leurs réflexions, dans leurs transitions, et qui sont parfois un petit peu jugées ou mises de côté. Et donc ça m'a semblé assez évident que la responsabilité sociale des entreprises, elle avait aussi une vocation pour les entreprises, c'est pas qu'un coût pour elles, il y a aussi des énormes bénéfices dont il faut qu'elles entendent parler. qu'elles en prennent conscience. Tout se discute encore, c'est rien de fixe. Moi, je pars du principe que dans 10 ou 15 ans, les modèles que j'utilise, par exemple, je fais de l'évaluation d'entreprise, d'estimer leurs valeurs. Il y a des approches très connues, des modèles que je peux apprendre et appliquer, que ce que je fais. Mais ce qui est important, c'est aussi de savoir l'approche globale parce que dans 10 ou 15 ans, ces modèles seront obsolètes puisqu'on aura découvert que finalement, le risque climatique est devenu tellement important qu'on doit le considérer. dans la façon dont on évalue les entreprises dans 5, 10 ou 15 ans. Et aujourd'hui, c'est déjà le cas. Par exemple, dans le secteur de l'assurance, aujourd'hui, les assurances, elles ont entre 4 et 5 % de frais en plus à payer aux assurés à cause des incendies, inondations, des règlements climatiques de manière générale. Et donc, tout ça, ça déstabilise leur business model et ça pousse les personnes qui évaluent les entreprises à repenser la façon dont elles vont le faire. Et moi, si j'ai envie d'être une bonne professionnelle aussi dans 15 ans... Il faut que je sois capable d'avoir le recul nécessaire pour me dire, le risque environnemental, c'est ça, et je peux le prendre en compte de cette façon parce que je sais ce que c'est. Quand on sort d'école aujourd'hui, on nous propose beaucoup de travail très prestigieux dans des très grandes entreprises, qui sont très bien payées, mais qui ne sont vraiment pas forcément du tout alignées avec des convictions éthiques. Et ce n'est pas si simple de sortir, notamment quand on est science-piste. que depuis qu'on est tout petit, on nous dit qu'on est super, qu'on est très bon à l'école, qu'on est des bons élèves. On a envie de suivre le modèle qui nous est tracé, à savoir d'être dans l'excellence la plus totale jusqu'au bout, même dans sa carrière professionnelle. Clairement, depuis que je suis petite, je suis la bonne élève. Et justement, la finance, ça me pousse à sortir de ça, puisqu'en finance, on n'attend pas des bons élèves, on attend des gens efficaces sur le moment, qui sont parfois, font un travail bâclé, mais qui sont là.

  • Speaker #1

    Je suis en master finance et stratégie.

  • Speaker #0

    Heureusement qu'à Sciences Po, on a justement le centre pour l'entrepreneuriat qui nous permet de soit rencontrer des entrepreneurs ou même de suivre des cours qui nous permettent de sortir un peu de ce paradigme de la sécurité et d'essayer de prendre un peu des risques professionnellement sur nos engagements. Être dans une entreprise responsable, ça compte, mais pour moi, ça ne suffit pas. C'est-à-dire qu'en fait, pour moi, il y a des secteurs qui sont intrinsèquement incompatibles, théoriquement, avec les principes de responsabilité sociale des entreprises. Je ne sais pas si je pense au luxe, au maquillage. à la mode. Et pourtant, ces activités-là et ces entreprises, elles font partie de notre quotidien, de notre culture, de notre confort. Et on ne peut pas les annuler de la société pour autant. Ce que j'attends, moi, des entreprises, c'est de l'honnêteté intellectuelle, de dire « alors on n'est pas la société la plus green puisqu'on est l'Oréal, par exemple, et notre secteur d'activité, il est intrinsèquement, pas forcément de manière environnementale, très pertinent, mais on peut faire d'autres choses. On peut faire quelque chose en matière de droits des femmes, c'est ce qu'ils font, par exemple. » C'est très facile aussi pour moi de me dire que je vais aller travailler chez Ecotone, qui est une marque qui collectionne les marques véganes, par exemple, européennes, style Bjorg, etc. C'est RAL Bio. Sauf qu'en fait, ces entreprises-là, elles ont un bilan super. Elles ont 95% d'émissions de moins, etc. Mais c'est parce que foncièrement, leur activité est très écologiste. Et si on applique des modèles, par exemple, je pense à la Size B Matrix, qui est un modèle de comptabilité, une initiative créée aux Etats-Unis, qui en fait permet de pouvoir comparer des entreprises dans leur secteur parce qu'on leur applique des standards différents selon leur activité. C'est-à-dire qu'une entreprise... agricoles, on va le plus lui appliquer des principes de sécurité de leurs employés ou de gestion des eaux et de gestion des déchets, très important, et moins forcément d'émissions de carbone, parce que c'est moins le sujet. Et donc, tout de suite, quand on regarde Ecotone à ce moment-là, on se dit effectivement, ils se reposent beaucoup sur leurs acquis, de pouvoir faire des émissions très faibles, etc., mais ils ne vont pas challenger ce qui fait qu'ils consomment plus à certains endroits. Et c'est ça qui est le plus dur, je pense, et qui crée la méfiance, puisque pour moi, la RSE, elle repose quand même principalement sur la confiance. La confiance envers les investisseurs de l'entreprise, mais aussi envers les consommateurs et les clients. Et cette confiance, elle est beaucoup remise en question par le fait qu'on a l'impression qu'on est inondé par toutes les entreprises de leurs actions en lien avec l'ESG et leurs responsabilités sociales. Mais on a beaucoup de méthodes qui existent, de labels, mais on n'a pas un seul critère, on n'a pas une seule note. C'est ça qui nous manque. Et la directive CRCRD en Europe, elle avait pour but justement de dire que vous allez compléter ce grand tableau. de 200 pages, mais à la fin, on pourra vous comparer et on pourra vous donner une note qui permettra, en un coup d'œil, pour les investisseurs et pour vos consommateurs, de savoir où vous vous situez. Je pense que ça a beaucoup été une façon marketing ou une obligation que les entreprises se sont imposées en se disant il ne faut pas qu'on sorte de la traîne, il ne faut pas qu'on devienne impopulaire, mais aujourd'hui, je ne pense pas, notamment parce que les managers, les dirigeants d'entreprises, ils ont des enfants. Ils ont grandi, ils sont matures et ils savent, ils ont envie de créer un monde un peu différent. A l'origine, si l'entreprise elle existe, c'est qu'il y a un besoin, et cette entreprise répond à ce besoin, et c'est ça qui lui permet de générer du profit. Et donc, penser la RSE, c'est vraiment penser, revenir à notre modèle de société et se dire c'est quoi une entreprise et pourquoi est-ce qu'on crée ces entreprises. Et en ça, c'est forcément un levier de transformation puisque ça nous pousse à revenir à l'origine et forcément, ça change un petit peu le résultat final. D'aujourd'hui, avoir des sociétés à mission qui se donnent des buts et des objectifs, alors oui, c'est très imparfait, c'est pas toujours concret, et il y a beaucoup sûrement qui l'utilisent à des fins très lucratives à court terme, de ne pas sortir de la course, mais il y a aussi des entreprises qui pensent très long terme et qui pensent que ça va devenir un avantage considérable. Ce qui est un peu énervant aujourd'hui, c'est de voir... toutes les entreprises, si on lit leurs rapports, parce que moi je passe mes semaines à lire les rapports d'entreprises, soit destinés aux investisseurs, soit les fameux documents d'enregistrement universel, qui font 700 pages, mais aujourd'hui sur les 700 pages, il y en a quand même, je pense, au moins 500 qui sont consacrés aux critères extra-financiers, donc environnementaux, sociaux, et de gouvernance. Et ça, c'est assez difficile d'avoir le recul, puisque au bout d'un moment, si on lit le rapport de Nestlé, d'Anon, au Total, on a l'impression que c'est les leaders de la transition climatique. Or, effectivement, quand on prend un peu de recul, on se dit... Est-ce qu'il y a quelque chose qui ne va pas là-dedans ? Donc l'engagement, il doit surtout être honnête. Et je pense qu'on attend de travailler dans une entreprise qui justement peut avoir l'honnêteté et la confiance envers ses collaborateurs de leur dire ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Et certaines entreprises le font très bien. Pour moi, une entreprise modèle dans cette relation de confiance, c'est BNP Paribas. Alors a priori, on se dit, comment ça, une banque ? Mais en fait, ça a été un des premiers, il y a 15 ans, à dire... Il nous faut quelqu'un déjà au COMEX qui s'occupe de ces questions-là. A l'époque, ce n'était même pas une question de salariés. On va créer 200-300 postes de personnes qui s'occupent des questions RSE, qui vont conseiller les équipes et qui vont aussi faire de la communication, mais qui seront dans toutes les équipes, de tous les pôles, de tous les secteurs, de toute notre activité. Et ça, c'est très fort et ça paye au bout de 10 ans, 15 ans, puisque je pense qu'aujourd'hui, en termes de secteur bancaire, c'est les leaders. de la transition écologique. Et clairement, ça va s'accélérer pour eux, et ça s'accélérera bien, puisqu'ils ont posé les bases, déjà, et pas essayé d'en deux ans construire un plan pour drastiquement tout changer qui n'aurait pas de sens. C'est d'accepter de parfois être à contre-courant, parce que je trouve qu'il y a un petit peu trop cette idée reçue qu'une entreprise qui va mettre en place des mesures environnementales et sociales, elle va forcément gagner en popularité. Aujourd'hui, on voit que ce n'est pas le cas. Il n'y a qu'à penser à la politique de Donald Trump en ce moment, anti-inclusion, au point de vouloir rompre, de rompre, tous ses partenariats avec des entreprises françaises qui ont des contrats avec le gouvernement. qui respectent des politiques d'inclusivité. Elles doivent respecter des politiques de non-inclusivité pour pouvoir travailler avec le gouvernement américain. Donc là, on est complètement dans une injonction contradictoire pour les entreprises de se dire, en fait, qu'est-ce qu'on attend de moi ? Qu'est-ce qu'il faut que je fasse ? Et puis, d'un côté, des investisseurs aussi. On a beaucoup d'entreprises qui, justement, essayent de protéger leur intérêt social et général et commun. En nommant un CEO qui est très engagé pour ces questions-là, qui est dans l'entreprise depuis très longtemps, pour justement essayer d'avoir cette valeur d'entreprise. Là, je pense par exemple à Michelin. Et en fait, au bout d'un moment, on va avoir des actionnaires, des investisseurs qui vont dire, mais en fait, là, ce que vous faites, ce n'est pas maximiser le profit pour nous dans deux ans, trois ans, cinq ans. Donc, on vous vire. C'est très problématique. C'est des petits pas en avant, des petits pas en arrière. Les entreprises ne savent pas très bien où se positionner. Et il faut avoir le courage quand même de se dire qu'à long terme, ça vaut le coup, qu'il y a de la demande et que justement, aussi de mettre en avant que ce n'est pas un coût forcément l'ARSE. Aujourd'hui, c'est prouvé par Goldman Sachs, par J.P. Morgan, par tous les institutions que vous voulez qu'avoir au moins la moitié des femmes dans les postes de direction, ça augmente considérablement, très factuellement, les cours des actions des entreprises, mais aussi leur rentabilité, leur profitabilité, le bien-être au travail, etc. Et je suis sûre que... Mais malheureusement, il n'y a pas vraiment d'études encore que c'est pareil pour la diversité ethnique, pour l'inclusivité des personnes en situation de handicap. C'est une évidence. La diversité, le bénéfice, il s'applique pour tout le monde. Et donc ça, ça va rentrer au fur et à mesure dans les mœurs, parce que c'est de la rationalité, tout simplement. Mais on n'est pas encore à ce stade-là, je pense. Donc évidemment, à Sciences Po, dans mon école, on a le tronc commun, qui nous permet de faire des sciences sociales, mais aussi des enjeux du numérique. et des questions RSE et on a aussi des outils qui nous permettent de sortir un peu du paradigme de l'excellence carriériste et professionnelle traditionnelle et ça passe par le Centre pour l'entrepreneuriat et moi un cursus dans lequel je suis très investie cette année avec l'Impact Studio qui nous permet de rejoindre des projets menés par des entreprises ou des associations qui viennent à la rencontre d'étudiants pour résoudre leurs problèmes stratégiques ou très concrets en lien avec la RSE. Moi cette année je collabore avec Natixis IM pour justement revoir avec eux une stratégie RSE, faire une évaluation de leur stratégie par rapport aux autres banques qui font la même chose qu'eux, mais aussi par rapport à leurs collaborateurs en interne sur leur stratégie de communication, sur est-ce que les collaborateurs sont dans le bateau avec eux sur les questions RSE, et à la fin de l'année proposer un prototype qui permettrait... d'une manière un peu originale, de penser cette solution, qui soit peut-être un peu plus aussi à notre échelle d'âge, en disant, nous, si on était chez Natixis IM, voilà ce qu'on aimerait qu'on nous propose, qu'il soit un petit peu différent. Le but, c'est que ce soit le plus concret possible. C'est inévitable que la RSE soit au centre de nos formations, puisque justement, on ne peut pas avoir de modèle contradictoire. On ne peut pas avoir des cours de management où on nous dit que promouvoir l'inclusivité, c'est super pour l'entreprise, et à côté... où on nous dit qu'en fait, il faut évaluer les employés sur leur rentabilité à court terme et se séparer de ceux qui ne sont pas au niveau. Donc en fait, c'est une question aussi de cohérence, d'un moment faire le choix de... Non, en fait, c'est ça le modèle qu'on veut et donc c'est ça qu'on va apprendre aux étudiants. Moi, en tout cas, en finance, j'ai l'impression d'avoir des cours de Sustainable Finance qui sont effectivement, là pour le coup, très centrés sur ces questions-là, mais je n'ai pas l'impression que celles-ci sont contredites. dans mes autres cours de finance, puisque ça revient sur le tapis à un moment ou à un autre. Les questions de gouvernance, j'en parle dans tous mes cours, parce qu'il y a des enjeux très forts à la clé et que ça va être important dans mes emplois. Notre principal rôle, c'est de faire un peu pression, donc c'est d'être très intransigeant sur ce qu'on veut et ce qu'on ne veut pas. En fait, c'est de montrer aux entreprises que si elles veulent trouver des talents dans les prochaines années, il va falloir qu'elles soient aussi attractives pour ces talents-là. Aujourd'hui, on parle beaucoup, par exemple, du télétravail et que les entreprises se trouvent un peu coincées si elles n'en offrent pas. Mais ça va beaucoup plus loin que ça. Je pense que certaines entreprises, et justement, c'est aussi pour ça qu'elles essayent de mettre en avant les critères ESG, parce qu'elles savent que dans cinq ans, elles auront du mal à trouver des étudiants prêts, en tout cas les meilleurs talents, prêts à rentrer dans leur entreprise si jamais elles ne se remettent pas en question. C'est très, très dur. Moi, j'ai vraiment l'impression cette année d'énormément lutter. contre justement cette envie de dire peu importe l'entreprise, peu importe où je vais même si c'est d'assaut j'ai besoin d'un stage, j'ai besoin d'expérience parce qu'on n'a pas envie de se priver justement de cette expérience personnellement moi j'aimerais à terme comme ambition d'être dans une institution publique que ce soit le FMI ou la BCE, de pouvoir être à l'échelle mondiale. Mais pour ça, il faut de l'expérience. Et on ne peut pas commencer par là, malheureusement, quand on a tout le système qui fonctionne différemment. Si tout le système fonctionne sur un capitalisme américain, il faut le comprendre, il faut travailler pour les entreprises qui le font fonctionner et adopter leur point de vue de manière vraiment réelle et honnête, de se dire pourquoi est-ce qu'elle fonctionne comme ça. Parce que c'est trop facile aussi de dire que... Les dirigeants d'entreprises sont des très grands méchants qui ne veulent que notre mal, qui ne pensent pas au bien de leurs salariés ou au bien de la société. Ce n'est pas vrai, c'est simplement qu'ils n'ont pas du tout le même paradigme. Et si on comprend ce paradigme, c'est après, j'espère, en tout cas dans notre antenne, qu'on pourra au moins, c'est sûr, se réorienter, créer notre entreprise qui n'ira pas forcément dans ce modèle, mais en tout cas rentrer dans des institutions qui vont se battre contre ça. Mais avec ! les entreprises, pas contre elles. Avoir un travail qui a du sens, pour moi, c'est essentiel. C'est un besoin que tout le monde a. Sauf que le sens, s'il y a mille façons de le trouver, ça peut être un sens éthique. Dans ce cas-là, effectivement, on va penser aux questions environnementales, sociales, au bien commun, à la justice, à la solidarité. Mais ça peut aussi être un sens intellectuel. On peut très bien s'épanouir parce qu'on a des super collègues, parce qu'on a des responsabilités, parce que nos tâches nous plaisent. Ça s'éloigne très vite des questions ESG. Dans une époque où on parle beaucoup de travail passion, que l'ambition professionnelle doit être très alignée avec l'ambition personnelle, il faut quand même rappeler qu'avoir un job alimentaire, c'est aussi très courant, et qu'avoir un travail alimentaire, ce n'est pas forcément mal. On n'est pas obligé d'accomplir 100% de sa personnalité au travail, et que justement, en véhiculant parfois le message qu'on doit être parfaitement aligné avec son travail, marginalise des personnes qui n'ont pas les moyens, l'éducation, la capacité, au moment donné, de s'investir dans leur éthique au travail. Et donc essayer de déculpabiliser ça un petit peu, de dire que c'est aussi très bien qu'il y a plein d'autres façons de s'investir politiquement, socialement, en dehors de son travail. Et que ce n'est pas incompatible avec le fait d'avoir un travail qui n'est pas aligné avec son éthique personnelle au moment donné. Je ne me mets pas la pression pour me dire qu'il faut que mon premier job soit forcément parfait. J'ai besoin de tester, j'ai besoin d'expérimenter, de me confronter aux choses qui ne me plaisent pas avant de choisir. Et c'est ça qui coule aussi dans le fait d'être jeune, c'est qu'on a un petit peu de temps pour se positionner. Et je suis totalement ouverte à me dire qu'en fait, peut-être dans trois ans, j'en aurais marre de la finance, mes collègues ne me plairont pas et dans ce cas-là, je déciderai de monter ma boîte et on verra. J'espère en tout cas que ma personnalité est un de mes atouts, même pour les entreprises en finance. Et je mets en avant, je ne me cache pas, je mets en avant tout. tous mes engagements, tout mon passé, tout ce que je pense, parce que j'ai envie que mon entreprise me recrute pour qui je suis. Et ça marche.

  • Speaker #1

    À quel moment vous vous êtes dit, là, j'ai vraiment eu de l'impact ?

  • Speaker #2

    Il y a une quinzaine, une vingtaine d'années, j'ai co-écrit un livre qui s'appelait Un métier pour la planète et surtout pour moi. Et j'avoue que ces derniers temps, je reçois beaucoup de mails où je vois beaucoup de gens l'autre jour... Une dame est venue me voir avant la conférence que je faisais en me disant je voulais vous remercier parce que c'est ce livre qui a déterminé mon engagement et maintenant je suis ceci cela, j'ai fait tel parcours. Et en fait ce truc là, c'est bête mais un par un, c'est comme dans cette histoire, je ne sais pas si vous connaissez cette histoire où une petite fille se retrouve avec sa mère sur une plage où il y a plein de poissons volants qui se sont échoués. et elle commence à les attraper un par un et à les remettre dans l'eau et sa mère lui dit non mais attends tu vas rien changer parce qu'en fait regarde il y en a des milliers Et elle dit, ouais, non, je ne changerai pas tout, mais ça change quelque chose pour celui-là et pour celui-là et pour celui-là. Et one by one, on y arrive et ça me fait plaisir, en fait. J'ai presque l'impression, j'ai écrit une dizaine de livres, que c'est le plus utile.

  • Speaker #0

    Il y a un jour très marquant, quand j'étais encore à Extinction Rebellion, où on était dans les locaux de BlackRock, un asset manager, un des plus grands au monde, dans lequel j'ai discuté avec les salariés et j'ai eu une très longue conversation avec un salarié pendant... Pendant vraiment une demi-heure, où moi je parlais de mes idées, de mes idéaux, et lui aussi, et en fait c'était très ouvert, et j'ai senti vraiment dans ses yeux qu'il lui fallait ce déclic, et qu'il avait besoin en fait que quelqu'un lui parle et lui dise franco face à face, et je ne sais pas qui est cette personne, et je ne sais pas ce qu'elle fait aujourd'hui, mais je suis persuadée qu'elle ne travaille plus forcément là-bas, et en tout cas qu'elle a changé sa manière d'aborder son rapport au travail aussi.

  • Speaker #1

    En mode impact est un podcast de Sciences Po, produit par FriXion. La musique a été composée par Nils Bertinelli.

Description

Face à l’urgence climatique et aux attentes croissantes des citoyens, la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) n’est plus un simple outil de communication. Elle devient un moteur de changement, un catalyseur d’innovation… voire un levier de transformation en profondeur.


Mais comment passer d’une RSE symbolique à une véritable métamorphose ? Et surtout, comment repérer les entreprises qui agissent vraiment — et celles qui se cachent derrière le fameux “washing” ?


Impossible d’aborder le sujet sans évoquer Élisabeth Laville, notre première invitée. Pionnière du développement durable en France, elle a fondé en 1993 Utopies, l’un des tout premiers cabinets de conseil en stratégie RSE. Son credo depuis plus de 30 ans : prouver que performance économique et impact positif peuvent aller de pair.


Entrer dans le monde du travail quand on a de fortes convictions n’est pas toujours simple. C’est ce que partage Bérénice Goudet, étudiante à Sciences Po – École du management et de l’impact. D’abord tentée par la recherche, elle voulait rester fidèle à ses valeurs… jusqu’à ce qu’elle découvre qu’une RSE ambitieuse pouvait faire de l’entreprise un lieu d’engagement et d’épanouissement.


En mode impact est un podcast de Sciences Po, produit par Frictions. La musique a été composée par Nils Bertinelli.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    en mode impact.

  • Speaker #1

    Le podcast où l'on explore les grands défis de notre temps et surtout les solutions qui y répondent. La RSE, est-ce vraiment un levier de transformation ?

  • Speaker #2

    Un entrepreneur, c'est quelqu'un qui a envie de relever des défis et là, on a un défi qui donne du sens au travail des gens.

  • Speaker #0

    Ce que j'attends, moi, des entreprises, c'est de l'honnêteté.

  • Speaker #2

    Et de plus en plus chez les jeunes générations, c'est au fond, pourquoi on fait ça et quel sens ça a ?

  • Speaker #0

    J'ai vraiment l'impression cette année d'énormément lutter contre justement cette envie de dire peu importe l'entreprise, peu importe où je vais, même si c'est d'assaut, j'ai besoin d'un stage, j'ai besoin d'expérience.

  • Speaker #2

    C'est une course de fond le développement durable. Donc il faut être capable de tenir les engagements et les initiatives dans la durée. Sinon c'est des coups de pub.

  • Speaker #1

    Face à l'urgence climatique et aux attentes croissantes des citoyens, la responsabilité sociale des entreprises n'est plus un simple accessoire de communication. Elle devient un moteur du changement, un catalyseur d'innovation, voire un véritable levier de transformation. Mais comment passer d'une RSE symbolique à une véritable métamorphose ? Comment repérer les entreprises qui font tout ce qui se termine par washing ?

  • Speaker #2

    J'ai grandi en région parisienne. D'une famille plutôt méditerranéenne, parce que ma mère était marseillaise, et mon père est pied-noir d'Algérie, donc il est arrivé en France à 18 ans, mais donc c'est quand même une famille qui vibre quand elle se rapproche de la Méditerranée.

  • Speaker #1

    Impossible de parler RSE sans évoquer Elisabeth Laville, notre première invitée.

  • Speaker #2

    De sorte que j'ai acheté un appartement à Marseille il y a deux ans, quand ma mère est morte, j'ai renoué avec cette partie-là.

  • Speaker #1

    Pionnière en la matière, elle a fondé dès 1993 Utopie. l'un des tout premiers cabinets de conseil en développement durable en France, bien avant que la RSE ne devienne tendance. Son credo ? Prouver que performances économiques et impacts positifs peuvent et doivent même aller de pair.

  • Speaker #2

    Souvent sur les gens qui travaillent sur le développement durable ou sur les problèmes écologiques, il y a beaucoup de découragement, d'inquiétude, d'éco-anxiété, on appelle ça comme on veut. Et moi je crois au fond... Donc l'enjeu n'est pas d'être optimiste ou pessimiste. Le patron de Patagonia, Yvan Chouinard, que j'aime beaucoup, que j'ai la chance de connaître, dit toujours quand on lui demande est-ce qu'il est optimiste ou pessimiste, il dit qu'il n'y a pas beaucoup de différence entre un pessimiste qui dit tout est foutu et donc qui ne fait rien et un optimiste qui dit tout va s'arranger mais qui ne fait rien non plus. Et lui dit qu'il est un pessimiste attaché à l'action. Et moi, je crois que je suis une optimiste d'action. C'est un peu comme on m'a raconté que le moine Luther avait dit Quand on lui posait la question « qu'est-ce que vous feriez si la fin du monde était pour demain ? » Et il disait « je planterais quand même un pommier » . Voilà ce que je fais depuis 32 ans, je plante des pommiers. Avant HEC, je ne savais pas ce que je voulais faire du tout. Et donc j'ai hésité entre effectivement des études de médecine et je ne savais pas quoi d'autre en réalité. Et puis médecine, je suis allée rencontrer des gens qui faisaient ces études-là, qui m'ont paru très très longues. Et donc, je me suis dit que j'allais opter pour des études de commerce. Comme je ne savais pas ce que je voulais faire, je me disais, ça m'ouvre plus de portes que ça n'enferme. Et on verra plus tard. Je suis entrée à HEC en n'ayant pas du tout d'idée de ce que je voulais faire ensuite. Il y avait une spécialité qui existe toujours, entrepreneur à HEC, que je n'ai pas faite. Quand vous choisissiez cette option entrepreneur, c'était de sauter en parachute et que ça ne m'amusait pas plus que ça. Et que par ailleurs, je n'avais pas de projet d'entreprise particulier. Donc comme je n'avais pas très envie d'entrer dans les banques, comme je n'avais pas très envie d'aller vendre du shampoing, avec le plus profond respect pour ceux qui le font, mais en tout cas ça ne m'attirait pas, je me suis dit que finalement j'allais choisir la publicité à la sortie de l'HEC, quitte à vendre indirectement du shampoing quand même, parce que ça revient à ça un peu. J'avais l'impression qu'au moins c'était des métiers où les gens ne se prenaient pas trop au sérieux. Et surtout parce que j'ai vu à nouveau une citation de, je crois que c'est Einstein qui dit, la créativité, c'est l'intelligence qui s'amuse. Et le job de commercial n'était pas vraiment ce que j'avais envie de faire. Donc, j'ai assez rapidement changé d'agence et basculé sur une fonction qui s'appelle le planning stratégique. C'est déjà travailler sur en quoi ce que propose la marque en question ou ce qu'elle incarne entre en résonance avec des tendances de société, des choses qui sont importantes pour les gens, etc. Et ça, ça posait les prémices du job que je fais maintenant. Et il s'est trouvé que j'avais choisi la deuxième agence où je suis allée exercer ce métier-là de planeur stratégique. C'était CLM BBDO, qui était une agence avec un fondateur qui s'appelait Philippe Michel, qui défendait beaucoup l'idée que les marques peuvent changer le monde. Donc il y avait aussi là quelque chose qui m'intéressait. Et quand j'étais là-bas, mon prof d'anglais, à l'époque on avait des cours d'anglais, il m'a amenée un jour à une revue américaine. qui s'appelle Hutner Reader, qui est une sorte de Reader's Digest de la presse alternative américaine. On devait être du coup en 92 et il m'a amené ça et c'était un numéro, je me souviens très bien, la couverture était un petit clin d'œil à un des parfums de Ben & Jerry's, la marque de crème glacée qui est devenue un de nos clients plus tard. C'était Let Them Eat Rainforest Crunch, Rainforest Crunch étant le nom d'un parfum à Ben & Jerry's. Et le numéro traitait du sommet de la terre à Rio en 92, le sommet des Nations Unies, et du fait qu'un certain nombre d'entreprises allaient à Rio parce qu'elle considérait que les questions écologiques, au fond, ça les intéressait, ça les concernait, elles s'y engageaient, etc. Et donc j'ai commencé à chercher des infos sur ces entreprises-là. C'était un sport, y compris pour les journalistes, pas complètement évident, puisque je vous parle d'une ère où il n'y avait pas Internet. Et puis, dans le même temps, j'ai une amie qui travaillait dans les RH, dans un cabinet RH, avec qui on avait beaucoup parlé de ces sujets-là, du fait que ce que moi je cherchais pour les marques... Au fond, c'est ce qui donnait du sens aux produits. Et elle cherchait la même chose pour ce qu'on appellerait aujourd'hui la marque employeur. Il donne du sens au travail des gens. Et on avait pas mal parlé de ça. Et à un moment, le cabinet petit dans lequel elle bossait a fermé. Et elle m'a dit, je vais créer une boîte. Et j'ai dit, on la crée ensemble. Et voilà, c'est parti comme ça. Donc, on a créé Utopie en 93. D'abord sous forme d'association, parce qu'au fond, on avait un projet un peu militant. qui était de promouvoir une vision plus engagée, plus responsable dans les entreprises. Et d'ailleurs, pour la petite anecdote, à l'époque, il y avait aussi à la tête du CNPF, donc l'ancien MEDEF, une équipe autour de Jean Gandoua qui était arrivée autour d'un projet sur l'entreprise citoyenne. Et donc, j'ai demandé un rendez-vous. On a vu son numéro 2, Jacques Dermagne. Et il nous a reçus, il était très gentil, un peu condescendant parce qu'on était deux filles jeunes, heureusement j'avais le diplôme d'HEC qui me crédibilisait un peu. Et j'ai parlé de François Lemarchand, le fondateur Nature et Découverte, qu'à l'époque je ne connaissais pas, en disant oui voilà, regardez, un entrepreneur qui crée une entreprise pour aider les urbains à mieux comprendre la nature, avec l'idée que s'ils la comprennent mieux, ils la respectent mieux, etc. Il m'a regardé, il m'a dit non mais vous êtes quand même très naïve, en mode François Lemarchand c'est avant tout un commerçant qui veut créer des magasins. Et je me souviens, on est sortis du rendez-vous et sur le trottoir, j'ai dit à Catherine, on va appeler ça utopie, puisqu'on va assumer le fait qu'on est complètement naïves et que pour des gens qui sont dans le business, c'est complètement hallucinant. À l'époque, effectivement, on ne parlait pas du tout de RSE, de développement durable, etc. On parlait d'entreprise citoyenne. L'idée derrière, c'est que les entreprises ne peuvent pas durablement prospérer dans des environnements naturels, humains, sociaux qui dépérissent. et que donc, si elle gagne de l'argent... Elles doivent et peuvent consacrer une partie de cet argent à nourrir la santé, je dirais, un peu globale de ces écosystèmes dans lesquels elles évoluent. Donc ça restait de la philanthropie principalement. Mais on commençait à voir ce pourquoi, par exemple, Coluche avait créé à peu près à cette époque-là, de mémoire aussi, les Restos du Coeur. C'est-à-dire qu'on commençait à voir que quel que soit le bord politique du gouvernement, parfois il n'arrivait pas à résoudre les problèmes sociaux, en l'occurrence plus qu'environnementaux à l'époque. Et donc la sphère privée prenait le relais, entre guillemets, prenait le relais via des associations, des fondations, et puis progressivement via les entreprises. Et nous, on est arrivé là-dedans en disant, en fait, ce n'est pas via la philanthropie qu'il faut faire ça, c'est via le cœur de l'activité de l'entreprise. Ce n'est pas, je vais faire n'importe quelle activité, y compris une qui détruit, entre guillemets, la société ou la planète, et ensuite, par la fondation, je vais réparer un peu, avec ma main gauche, les dégâts que je cause avec ma main droite, ou que je contribue à aggraver avec ma main droite. C'est de se dire, on met ça au cœur de l'activité, et du coup, au cœur de l'offre, et au cœur du modèle économique. Et là, je me rends compte que je dis la même chose depuis 32 ans. Nous, on a, chez Utopie, développé une petite grille d'analyse qui dit, en gros, ça a commencé dans les années 80 avec de la philanthropie, les grandes fondations, etc., jusqu'au sommet de la Terre à Rio. Ça, c'est de la philanthropie, c'est une espèce d'ère préhistorique de la RSE. Tous les gens qui étaient à Rio reviennent, Simone Veil avec d'autres va créer le comité 21 pour essayer de diffuser l'esprit de l'agenda 21 et de tout ce qui s'était discuté à Rio dans les collectivités mais aussi dans les entreprises et dans les administrations. Et donc ça change un peu et là on arrive dans ce que moi j'appellerais la RSE 1.0 qui est en gros continuer à faire l'activité qu'on mène, quelle qu'elle soit, y compris quand elle est nuisible. potentiellement ou qu'elle a des impacts qui ne sont pas que positifs sur la société et la planète, continuer cette activité et essayer de le faire le moins mal possible. Produire moins de déchets, consommer moins d'eau, produire moins de CO2, payer mieux les gens, y compris dans la chaîne de fournisseurs, etc. En général, les entreprises dans une ou deux gammes vertes, qui en général ne marchent pas, parce qu'on ne les soutient pas en marketing, on les fait plus pour dire qu'on les fait. Et l'autre chose, c'est que c'est très incrémental. Il y a ce truc sur la RSE qui revient toujours, c'est le progrès continu. Et donc le progrès continu, ça veut dire que vous progressez très peu, mais que vous allez le faire avec constance très très longtemps. Aujourd'hui, il y a cette idée que l'urgence des défis, notamment écologiques, qui sont devant nous, fait que le progrès continue, ça ne va pas suffire. On a vu ça très clairement pendant le Covid. En 2020, pour la première fois, on a réduit les émissions de CO2 planétaires du niveau qu'il faudrait qu'on fasse chaque année jusqu'en 2050 si on veut atteindre les objectifs de l'accord de Paris, c'est-à-dire moins 7 à moins 8 %. Mais sauf qu'en 2020, on a atteint cet objectif-là uniquement. parce qu'on a arrêté les activités humaines à la surface du globe pendant un peu plus qu'un trimestre. Et la difficulté, c'est d'atteindre ce niveau de réduction en relançant les activités plutôt qu'en les arrêtant. Et donc, pour relever les défis radicaux qui sont devant nous, la progression incrémentale ne suffit pas. Il faut des objectifs radicaux. Et ça, pour moi, ça passe par revoir la mission, la raison d'être, revoir radicalement l'offre, c'est-à-dire prévoir non pas une gamme verte qui ne se vend pas. mais se poser la question de combien de temps je me donne pour transformer 100% de mon offre et l'aligner sur les limites planétaires, si j'ose dire, et du coup revoir mon modèle économique, combien de temps je me donne pour que 100% de mon chiffre d'affaires vienne de produits, de services, d'activités qui soient alignés avec les limites planétaires et radicalement alignés sur les contraintes qu'on a. Si je remplace les gobelets en plastique, Dans une entreprise, par une tasse, c'est très vertueux. Et je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire. En revanche, je dis juste qu'une fois que vous avez fait ça, si le cœur de votre activité, c'est de piller les forêts ou d'une activité chimique qui pollue énormément, vous avez changé un tout petit peu votre activité, d'accord ? À la marge, même si vous servez des repas bio et végétariens à la cantine. Voilà. Genre le PDG peut venir en vélo au bureau plutôt qu'en voiture et se déplacer un peu moins en avion et faire un peu plus de visio. Si le cœur de l'activité ne change pas, évidemment que... 80, 90, 99% des impacts sont dans le cœur de l'activité. Et ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas le faire. Parce que c'est aussi un sujet de cohérence. Et que c'est par l'optimisme d'action, c'est en agissant qu'on a encore plus envie d'agir. Donc il faut bien commencer quelque part. Et évidemment, si vous êtes PDG d'une boîte polluante, c'est plus facile de commencer à dire que vous venez en vélo et que vous prenez moins l'avion que de dire attendez les gars, on va tout changer en deux jours. Et j'avoue que ces derniers temps, ça m'agace un peu. Il y a beaucoup de gens qui arrivent sur ces sujets qui du coup ne disent plus RSE. Comme si ça désignait un truc qui est complètement désuet et qui franchement n'a aucun intérêt, un peu dans l'esprit de ce qu'on disait, parce que cosmétique, superflu, superficiel, etc. Et on dit, notamment parfois, du coup, il faut évoluer vers l'entreprise régénérative. C'est super, moi je suis pour que l'entreprise ne se contente pas de limiter les dégâts qu'elle cause. mais que, un, elle n'en cause plus, et que même, elle essaie de réparer ce qu'elle a causé par le passé, voire même que son activité consiste à réparer ce que d'autres causent. Et donc, évidemment que le régénératif, personne ne peut être contre, mais ce n'est pas parce que vous décidez, vous déclarez que vous êtes régénératif, que vous le devenez. Et je constate quand même que souvent, ce terme est employé à propos d'entreprises qui font, pardon, mais même pas le B.A.B.A. de la RSE 1.0, ni le B.A.B.A. de la RSE 2.0, tout le sens du mot utopie à la base. C'est un objectif qui est inatteignable, qui est loin devant vous. Et il y avait une jolie phrase d'un écrivain qui s'appelle Eduardo Galeano qu'on mettait en exergue de notre manifeste, qui dit « L'utopie est devant moi, j'avance de deux pas, elle recule de deux pas. Bon bref, aussi loin que je pourrais marcher, elle sera toujours très loin de moi. » Et il dit « L'utopie, elle sert à ça, elle sert à avancer. » Bon, donc le régénératif, c'est une jolie utopie. Après, on ne peut pas se contenter de discours. Et c'est difficile de mobiliser les salariés sur la réduction des impacts négatifs. Donc on préfère aller chercher, d'où aussi l'engouement pour la raison d'être, etc. Parce que là, on a au moins une façon de motiver les gens sur quelque chose qui a une contribution positive et pas juste la réduction d'un impact négatif. C'est un peu comme si dans un couple, vous disiez, on va très bien parce qu'on se tape moins sur la figure. Non, ça ne marche pas. Donc c'est un peu pareil, il faut aller chercher quelque chose de plus positif. Et donc, pour savoir si vraiment une entreprise est engagée sur la RSE ou pas, ce n'est pas tellement le terme qu'elle emploie que je regarde. Moi, personnellement, je regarde qu'est-ce qu'elle fait dans son offre, quelle part de son offre, quel part de son chiffre d'affaires est alignée avec les limites planétaires, les principes de ce qu'il faudrait faire en termes de développement durable. Et ce n'est pas le fait qu'elle le dise qui est le critère, c'est sur quelle, notamment, certification opposable, elle s'appuie pour dire qu'elle le fait. Vous êtes une marque alimentaire et vous avez... 2% de produits bio et tout le reste dont vous dites que ça vient d'une agriculture régénératrice qui, je ne sais pas quoi, s'enlabe, ben pour moi c'est du pipeau et je m'en tiens au label Quelle part de votre activité est concernée ? Et souvent, cette question-là, c'est la question qui tue. Un entrepreneur, c'est quelqu'un qui a envie de relever des défis. Et là, on a un défi qui donne du sens au travail des gens. Et de plus en plus, chez les jeunes générations, c'est au fond, pourquoi on fait ça ? Et quel sens ça a ? Comment ça va contribuer à mon utilité, à moi, dans le monde ? Et donc, si vous ne répondez pas à cette question, les gens vont rester un peu pour le salaire, même si vous augmentez beaucoup les salaires. Au bout d'un moment, ils vont partir. Et ça donne du sens aux produits et au fond ce qui fait qu'un consommateur va acheter votre produit ou votre service de préférence à cent mille, dizaines de milliers de produits ou services concurrents, c'est bien l'histoire que vous racontez. Et l'histoire que vous racontez, ce n'est pas une histoire pipo qu'on raconte dans la pub. Vous achetez des baskets Veja, il y a du caoutchouc équitable cultivé au Brésil par des gens qui du coup entretiennent la forêt amazonienne en en tirant subsistance. qui sont payés de manière correcte et qui polluent beaucoup moins que du caoutchouc synthétique. Donc ça raconte une histoire vraie. Comme je suis optimiste, j'ai commencé par la carotte, mais parlons du bâton. Les entreprises, aujourd'hui, sont de manière croissante un peu dans un entonnoir qui se réduit, qui arrive à un micro-tunnel, avec plein de contraintes. Donc les contraintes réglementaires sur tous les marchés de non-toxicité des produits. de qualité, de traçabilité de vos matières premières, etc. Il y a la CSRD, des contraintes sur les entreprises, le pacte vert, même s'il est un peu malmené, mais enfin, le plastique à usage unique, la loi économie circulaire, la loi climat et résilience. Il y a plein de choses qui poussent. Et effectivement, il y a aussi le fait que si vous n'intégrez pas ces considérations dans vos stratégies, vous risquez de vous retrouver face à des crises, des crises de réputation. des crises de pénurie de matières premières. La Californie est le premier producteur d'amandes. Les amandiers, c'est très gourmand en eau. Avec la sécheresse, les incendies, etc., il y a moins d'amandes en Californie. Si vous êtes producteur d'amandes ou de produits à base d'amandes, de pâtes d'amandes en France, vous êtes en pénurie d'amandes parce qu'il n'y en a plus. Le Canada est le premier producteur de blé dur au monde. Le dôme de chaleur après le Covid, soudain, il fait 50 degrés. La production de blé dur, baisse de 30% au Canada. Le prix du blé dur canadien augmente de 30% à peu près. Et la France qui s'approvisionne manque de blé dur et vous avez des pénuries de pâtes. Donc ça ne veut pas dire que si le fabricant de pâtes s'engage sur le climat, il sera le seul à ne pas être en pénurie, puisque évidemment le climat est un phénomène global et que le son d'action va avoir de l'impact, mais une petite partie d'impact dans un phénomène plus large. En revanche, ça veut dire que si l'intègre La question de l'adaptation climatique à son sourcing, il sait qu'aujourd'hui, on ne peut plus dépendre d'une seule source d'approvisionnement parce que les aléas climatiques sont tels que ça vous met en risque et que donc il faut diversifier. Et que s'il diversifie, c'est peut-être pas mal de sourcer une partie de ses matières premières plus près de lui parce qu'au moins, il a un peu plus le contrôle de ce qui se passe. Et puis que si le Canada est défaillant, il pourra s'approvisionner en France ou en Europe, etc. C'est ça, intégrer ces questions dans la stratégie. Vous voyez bien qu'on est très loin du mécénat. Ce qu'on fait depuis toujours chez Utopie, c'est qu'on travaille avec des entreprises. On a un diagnostic de départ, souvent qualitatif. On va interroger les dirigeants, on va interroger des parties prenantes externes, on va interroger des ONG qui travaillent sur ces sujets-là pour essayer d'avoir une vision de quels sont les enjeux principaux, à la fois ceux qui vont avoir un impact sur l'entreprise, mais ceux sur lesquels l'entreprise a un impact. Et puis parfois, dans le diagnostic, il y a aussi des éléments de quantification. Pour savoir si on progresse, il faut mesurer le bilan carbone, une empreinte biodiversité, une empreinte socio-économique, un état des lieux sur le questionnaire d'évaluation bicorps, par exemple, pour savoir si l'entreprise est loin de la certification ou pas. Ça vous donne une note sur 200 points. Il faut avoir 80 points pour être certifié. Si, quand on fait le questionnaire qui est en open source, en ligne, il faut le dire parce que c'est suffisamment rare pour être signalé. vous faites le questionnaire et que vous avez 10 points, même en intégrant de manière un peu large ce que vous ne faites pas encore mais que vous pourriez faire, si vous arrivez à 25 points, vous voyez la marche à franchir. Et puis, à partir de là, on discute avec l'entreprise. Selon nous, de ce qui ne peut pas être ignoré, il y a des choses souvent qui étaient dans l'angle mort avant, dont on ne voyait pas trop, dont on ne voit pas trop l'impact business, etc. Et on essaie, à partir de là, de construire une stratégie cohérente. Et puis, on met en place des indicateurs pour mesurer le progrès. Et l'idée, c'est évidemment de piloter cette progression au fil du temps. Et puis, selon les cas, on est consulté sur certains aspects. L'exemple de Galerie Lafayette, il est intéressant parce qu'on a travaillé sur ce que j'évoquais tout à l'heure, c'est-à-dire sur la transformation de l'offre. Et on avait bien traité, ils avaient bien traité d'ailleurs sans nous, tous les sujets périphériques dont on parlait tout à l'heure. Le recyclage des cintres, ok ? C'est cool de recycler les cintres, mais évidemment, ce n'est pas le cœur de l'activité. Et donc nous, notre boulot, ça consistait à leur dire, tout ce qui est périphérique et qui n'était pas trop compliqué à faire a été fait. Maintenant, il faut s'attaquer au cœur du sujet. Comment je sélectionne les produits que je vends ? Est-ce que ce sont des produits qui sont alignés avec les limites planétaires, le développement durable, etc. ? Et est-ce que je pousse ? Est-ce que je mets en avant, via des promotions, etc., les produits les plus responsables ? Et donc, on leur a proposé de faire ce programme qui s'appelle maintenant Go4Good. Et c'est un exemple hyper intéressant parce que ça existe depuis 2018. Ce n'est pas un sprint. Donc, il faut être capable de tenir les engagements et les initiatives dans la durée. Sinon, c'est des coups de pub. Donc, ils sont allés voir, les acheteurs sont allés voir, et ils le font encore, tous leurs fournisseurs en disant, voilà, on a fait une liste des labels qu'on considérait être mieux disant. Et puis, ils sont allés voir les fournisseurs en disant qu'est-ce que vous avez comme produit qui est dans la plaque ? Et c'est d'ailleurs amusant parce qu'on a eu, nous, des entreprises qui sont venues nous voir après en disant, bon, il faut qu'on travaille vite là-dessus parce qu'on a les acheteurs de Galeries Lafayette qui nous demandent quels sont nos produits labellisés. Et en fait, on n'en a pas ou on s'est rendu compte qu'il y en avait très peu. Et du coup, on ne rentre pas dans leur programme Go4Good, etc. Et dans les discussions initiales, on avait dit, il faut que vous fissiez des objectifs de part de chiffre d'affaires. Et là, super bonne nouvelle, c'est pour ça que je vous dis la persévérance paye. c'est qu'aujourd'hui, ils sont à 28% du chiffre d'affaires en produits go for good. Et ça a été, d'ailleurs, cette démarche, joyeusement, mais très heureusement, imitée par d'autres, la cosmétique, les parfums, le bâtiment, enfin voilà, donc c'est super. On a vraiment réussi à faire avec eux, enfin je veux dire, c'est toujours grâce au client, nous, on est catalyseurs au mieux de quelque chose. Quand j'y vais, en tout cas, je me dis, ah ben là, ça a changé quelque chose. Et moi, je dis toujours à mon équipe, il faut qu'on ait beaucoup d'ambition parce qu'on veut changer le monde et beaucoup d'humilité parce que la plupart du temps, ça ne marche pas. Est-ce que Martin Luther King et Gandhi ont résolu le problème de la guerre et de la paix ? Je n'ai pas l'impression et ils ont eu de l'impact. Donc on ne va pas résoudre, enfin je pense que c'est extrêmement prétentieux et du coup totalement stérile, de dire non mais il faut que chaque mission qu'on mène résolve le problème du climat, etc. chez ce client, voire le problème du climat tout court. Alors là, on confie nos délires. et donc le sujet c'est d'abord trouver du plaisir dans le fait de faire ce boulot là parce qu'on a l'impression d'être utile parce qu'on a l'impression d'être au bon endroit parce que moi j'ai depuis 32 ans sinon je ferais autre chose plutôt que de quelque chose qui se passerait après qu'on ne maîtrise pas parce qu'en plus c'est les stoïciens c'est faire le maximum sur ce qui dépend de moi et lâcher prise sur ce qui ne dépend pas de moi

  • Speaker #1

    Quand on entre sur le marché du travail avec de fortes convictions, pas facile de savoir vers quel job se tourner. Bérénice Goudet, étudiante à Sciences Po au sein de l'école du management et de l'impact, a bien failli fuir le monde de l'entreprise avant même d'y entrer. Tentée par la recherche, elle voulait avant tout rester fidèle à ses valeurs, jusqu'à ce qu'elle réalise qu'une stratégie RSE ambitieuse pouvait justement faire de l'entreprise un lieu où elle pourrait s'épanouir.

  • Speaker #0

    Moi, quand j'avais 15 ans, je me suis investie chez Extinction Rebellion, qui est un mouvement de désobéissance civile non-violent et écologique, qui m'a beaucoup modelé mon adolescence. Je ne me sentais pas forcément très bien dans mon collège et dans mon lycée. Je n'avais pas l'impression que l'école représentait mes valeurs et mes préoccupations. Parce que, mine de rien, je pense que c'est commun à ma génération, mais moi j'ai grandi avec les photos du prix Pulitzer, où on voit un des ours polaires faméliques sur les banquises, où... On étudie la COP 21 en sixième et les accords de Paris. Et en fait, ça faisait beaucoup de stress et de tristesse aussi. Et j'avais l'impression de ne pas vraiment trouver des personnes avec qui je pouvais en discuter, avec qui j'allais essayer, en tout cas, de passer dans l'action. Et Extinction Rebellion, c'est vrai que ça a été très populaire en 2016, 2017. Il faisait beaucoup de mouvements, c'était très attrayant. Moi, à l'origine, j'étais juste venue pour discuter. Et en fait, c'était des gens super. Il y avait beaucoup de profs dans ce mouvement aussi, donc ça me faisait un peu un lien aussi entre moi, ce qui m'inspirait dans le milieu académique et ce qui m'inspirait dans le milieu personnel. Et donc oui, clairement, je passais beaucoup de temps de ma semaine. J'ai un peu séché les cours aussi pour faire des actions. Retirer les pubs sur les panneaux publicitaires à l'aide de clés magiques. À s'allonger devant des avions à Roissy, donc c'est très vaste. J'ai arrêté la désobéissance civile parce que j'ai... J'ai estimé qu'en fait, la force du mouvement, elle reposait beaucoup sur la médiatisation qui s'est en fait arrêtée. Au bout d'un an, puisque forcément les médias se lassent, le public se lasse, et donc j'ai considéré qu'il y avait beaucoup trop de moyens dépensés pour le résultat, et que donc il me fallait une autre approche. Et tout ça, ça a rentré un peu aussi en compte avec mon envie de rentrer à Sciences Po et de passer dans une autre dimension peut-être. En fait, ça a nourri ma réflexion parce que je me suis rendue compte que, mine de rien, ces personnes qui étaient engagées, elles passent quand même 3-5e de leur semaine à travailler pour leur entreprise, et ces entreprises, elles doivent refléter. leurs pensées, elles doivent refléter leurs engagements et surtout on ne peut pas les exclure parce qu'on considère que c'est du capitalisme ou parce qu'on considère qu'elles sont hors spectre, c'est trop facile et moi qui étais passionnée d'économie à ce moment-là, c'était aussi une voie facile un peu de sortie de me dire, moi je vais faire de la macro-économie je vais devenir chercheuse et je ne serai pas dans ce paradigme des entreprises justement et ça me permettait un peu de concilier moi, mon amour pour les maths et l'éco. et aussi mes engagements écolos et sociaux. Mais en fait, l'envie de travailler pour des entreprises m'a rattrapée parce que c'est quand même le cœur de ce qui se passe dans la vie de tous les jours pour tout le monde, pour tous les Français et les Françaises, je pense. Il y a beaucoup de choses à faire. Je me suis dit qu'on ne pouvait pas laisser tomber les entreprises sous prétexte que pour l'instant, ce n'était pas parfait. En fait, c'est en discutant avec des doctorants en économie où je me suis dit que leur travail était super, mais que ça me semblait tellement... Loin des réalités des petites et moyennes entreprises, qui sont en vrai les entreprises dans lesquelles tout un chacun travaille, et qui sont un petit peu isolées et seules dans leurs réflexions, dans leurs transitions, et qui sont parfois un petit peu jugées ou mises de côté. Et donc ça m'a semblé assez évident que la responsabilité sociale des entreprises, elle avait aussi une vocation pour les entreprises, c'est pas qu'un coût pour elles, il y a aussi des énormes bénéfices dont il faut qu'elles entendent parler. qu'elles en prennent conscience. Tout se discute encore, c'est rien de fixe. Moi, je pars du principe que dans 10 ou 15 ans, les modèles que j'utilise, par exemple, je fais de l'évaluation d'entreprise, d'estimer leurs valeurs. Il y a des approches très connues, des modèles que je peux apprendre et appliquer, que ce que je fais. Mais ce qui est important, c'est aussi de savoir l'approche globale parce que dans 10 ou 15 ans, ces modèles seront obsolètes puisqu'on aura découvert que finalement, le risque climatique est devenu tellement important qu'on doit le considérer. dans la façon dont on évalue les entreprises dans 5, 10 ou 15 ans. Et aujourd'hui, c'est déjà le cas. Par exemple, dans le secteur de l'assurance, aujourd'hui, les assurances, elles ont entre 4 et 5 % de frais en plus à payer aux assurés à cause des incendies, inondations, des règlements climatiques de manière générale. Et donc, tout ça, ça déstabilise leur business model et ça pousse les personnes qui évaluent les entreprises à repenser la façon dont elles vont le faire. Et moi, si j'ai envie d'être une bonne professionnelle aussi dans 15 ans... Il faut que je sois capable d'avoir le recul nécessaire pour me dire, le risque environnemental, c'est ça, et je peux le prendre en compte de cette façon parce que je sais ce que c'est. Quand on sort d'école aujourd'hui, on nous propose beaucoup de travail très prestigieux dans des très grandes entreprises, qui sont très bien payées, mais qui ne sont vraiment pas forcément du tout alignées avec des convictions éthiques. Et ce n'est pas si simple de sortir, notamment quand on est science-piste. que depuis qu'on est tout petit, on nous dit qu'on est super, qu'on est très bon à l'école, qu'on est des bons élèves. On a envie de suivre le modèle qui nous est tracé, à savoir d'être dans l'excellence la plus totale jusqu'au bout, même dans sa carrière professionnelle. Clairement, depuis que je suis petite, je suis la bonne élève. Et justement, la finance, ça me pousse à sortir de ça, puisqu'en finance, on n'attend pas des bons élèves, on attend des gens efficaces sur le moment, qui sont parfois, font un travail bâclé, mais qui sont là.

  • Speaker #1

    Je suis en master finance et stratégie.

  • Speaker #0

    Heureusement qu'à Sciences Po, on a justement le centre pour l'entrepreneuriat qui nous permet de soit rencontrer des entrepreneurs ou même de suivre des cours qui nous permettent de sortir un peu de ce paradigme de la sécurité et d'essayer de prendre un peu des risques professionnellement sur nos engagements. Être dans une entreprise responsable, ça compte, mais pour moi, ça ne suffit pas. C'est-à-dire qu'en fait, pour moi, il y a des secteurs qui sont intrinsèquement incompatibles, théoriquement, avec les principes de responsabilité sociale des entreprises. Je ne sais pas si je pense au luxe, au maquillage. à la mode. Et pourtant, ces activités-là et ces entreprises, elles font partie de notre quotidien, de notre culture, de notre confort. Et on ne peut pas les annuler de la société pour autant. Ce que j'attends, moi, des entreprises, c'est de l'honnêteté intellectuelle, de dire « alors on n'est pas la société la plus green puisqu'on est l'Oréal, par exemple, et notre secteur d'activité, il est intrinsèquement, pas forcément de manière environnementale, très pertinent, mais on peut faire d'autres choses. On peut faire quelque chose en matière de droits des femmes, c'est ce qu'ils font, par exemple. » C'est très facile aussi pour moi de me dire que je vais aller travailler chez Ecotone, qui est une marque qui collectionne les marques véganes, par exemple, européennes, style Bjorg, etc. C'est RAL Bio. Sauf qu'en fait, ces entreprises-là, elles ont un bilan super. Elles ont 95% d'émissions de moins, etc. Mais c'est parce que foncièrement, leur activité est très écologiste. Et si on applique des modèles, par exemple, je pense à la Size B Matrix, qui est un modèle de comptabilité, une initiative créée aux Etats-Unis, qui en fait permet de pouvoir comparer des entreprises dans leur secteur parce qu'on leur applique des standards différents selon leur activité. C'est-à-dire qu'une entreprise... agricoles, on va le plus lui appliquer des principes de sécurité de leurs employés ou de gestion des eaux et de gestion des déchets, très important, et moins forcément d'émissions de carbone, parce que c'est moins le sujet. Et donc, tout de suite, quand on regarde Ecotone à ce moment-là, on se dit effectivement, ils se reposent beaucoup sur leurs acquis, de pouvoir faire des émissions très faibles, etc., mais ils ne vont pas challenger ce qui fait qu'ils consomment plus à certains endroits. Et c'est ça qui est le plus dur, je pense, et qui crée la méfiance, puisque pour moi, la RSE, elle repose quand même principalement sur la confiance. La confiance envers les investisseurs de l'entreprise, mais aussi envers les consommateurs et les clients. Et cette confiance, elle est beaucoup remise en question par le fait qu'on a l'impression qu'on est inondé par toutes les entreprises de leurs actions en lien avec l'ESG et leurs responsabilités sociales. Mais on a beaucoup de méthodes qui existent, de labels, mais on n'a pas un seul critère, on n'a pas une seule note. C'est ça qui nous manque. Et la directive CRCRD en Europe, elle avait pour but justement de dire que vous allez compléter ce grand tableau. de 200 pages, mais à la fin, on pourra vous comparer et on pourra vous donner une note qui permettra, en un coup d'œil, pour les investisseurs et pour vos consommateurs, de savoir où vous vous situez. Je pense que ça a beaucoup été une façon marketing ou une obligation que les entreprises se sont imposées en se disant il ne faut pas qu'on sorte de la traîne, il ne faut pas qu'on devienne impopulaire, mais aujourd'hui, je ne pense pas, notamment parce que les managers, les dirigeants d'entreprises, ils ont des enfants. Ils ont grandi, ils sont matures et ils savent, ils ont envie de créer un monde un peu différent. A l'origine, si l'entreprise elle existe, c'est qu'il y a un besoin, et cette entreprise répond à ce besoin, et c'est ça qui lui permet de générer du profit. Et donc, penser la RSE, c'est vraiment penser, revenir à notre modèle de société et se dire c'est quoi une entreprise et pourquoi est-ce qu'on crée ces entreprises. Et en ça, c'est forcément un levier de transformation puisque ça nous pousse à revenir à l'origine et forcément, ça change un petit peu le résultat final. D'aujourd'hui, avoir des sociétés à mission qui se donnent des buts et des objectifs, alors oui, c'est très imparfait, c'est pas toujours concret, et il y a beaucoup sûrement qui l'utilisent à des fins très lucratives à court terme, de ne pas sortir de la course, mais il y a aussi des entreprises qui pensent très long terme et qui pensent que ça va devenir un avantage considérable. Ce qui est un peu énervant aujourd'hui, c'est de voir... toutes les entreprises, si on lit leurs rapports, parce que moi je passe mes semaines à lire les rapports d'entreprises, soit destinés aux investisseurs, soit les fameux documents d'enregistrement universel, qui font 700 pages, mais aujourd'hui sur les 700 pages, il y en a quand même, je pense, au moins 500 qui sont consacrés aux critères extra-financiers, donc environnementaux, sociaux, et de gouvernance. Et ça, c'est assez difficile d'avoir le recul, puisque au bout d'un moment, si on lit le rapport de Nestlé, d'Anon, au Total, on a l'impression que c'est les leaders de la transition climatique. Or, effectivement, quand on prend un peu de recul, on se dit... Est-ce qu'il y a quelque chose qui ne va pas là-dedans ? Donc l'engagement, il doit surtout être honnête. Et je pense qu'on attend de travailler dans une entreprise qui justement peut avoir l'honnêteté et la confiance envers ses collaborateurs de leur dire ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Et certaines entreprises le font très bien. Pour moi, une entreprise modèle dans cette relation de confiance, c'est BNP Paribas. Alors a priori, on se dit, comment ça, une banque ? Mais en fait, ça a été un des premiers, il y a 15 ans, à dire... Il nous faut quelqu'un déjà au COMEX qui s'occupe de ces questions-là. A l'époque, ce n'était même pas une question de salariés. On va créer 200-300 postes de personnes qui s'occupent des questions RSE, qui vont conseiller les équipes et qui vont aussi faire de la communication, mais qui seront dans toutes les équipes, de tous les pôles, de tous les secteurs, de toute notre activité. Et ça, c'est très fort et ça paye au bout de 10 ans, 15 ans, puisque je pense qu'aujourd'hui, en termes de secteur bancaire, c'est les leaders. de la transition écologique. Et clairement, ça va s'accélérer pour eux, et ça s'accélérera bien, puisqu'ils ont posé les bases, déjà, et pas essayé d'en deux ans construire un plan pour drastiquement tout changer qui n'aurait pas de sens. C'est d'accepter de parfois être à contre-courant, parce que je trouve qu'il y a un petit peu trop cette idée reçue qu'une entreprise qui va mettre en place des mesures environnementales et sociales, elle va forcément gagner en popularité. Aujourd'hui, on voit que ce n'est pas le cas. Il n'y a qu'à penser à la politique de Donald Trump en ce moment, anti-inclusion, au point de vouloir rompre, de rompre, tous ses partenariats avec des entreprises françaises qui ont des contrats avec le gouvernement. qui respectent des politiques d'inclusivité. Elles doivent respecter des politiques de non-inclusivité pour pouvoir travailler avec le gouvernement américain. Donc là, on est complètement dans une injonction contradictoire pour les entreprises de se dire, en fait, qu'est-ce qu'on attend de moi ? Qu'est-ce qu'il faut que je fasse ? Et puis, d'un côté, des investisseurs aussi. On a beaucoup d'entreprises qui, justement, essayent de protéger leur intérêt social et général et commun. En nommant un CEO qui est très engagé pour ces questions-là, qui est dans l'entreprise depuis très longtemps, pour justement essayer d'avoir cette valeur d'entreprise. Là, je pense par exemple à Michelin. Et en fait, au bout d'un moment, on va avoir des actionnaires, des investisseurs qui vont dire, mais en fait, là, ce que vous faites, ce n'est pas maximiser le profit pour nous dans deux ans, trois ans, cinq ans. Donc, on vous vire. C'est très problématique. C'est des petits pas en avant, des petits pas en arrière. Les entreprises ne savent pas très bien où se positionner. Et il faut avoir le courage quand même de se dire qu'à long terme, ça vaut le coup, qu'il y a de la demande et que justement, aussi de mettre en avant que ce n'est pas un coût forcément l'ARSE. Aujourd'hui, c'est prouvé par Goldman Sachs, par J.P. Morgan, par tous les institutions que vous voulez qu'avoir au moins la moitié des femmes dans les postes de direction, ça augmente considérablement, très factuellement, les cours des actions des entreprises, mais aussi leur rentabilité, leur profitabilité, le bien-être au travail, etc. Et je suis sûre que... Mais malheureusement, il n'y a pas vraiment d'études encore que c'est pareil pour la diversité ethnique, pour l'inclusivité des personnes en situation de handicap. C'est une évidence. La diversité, le bénéfice, il s'applique pour tout le monde. Et donc ça, ça va rentrer au fur et à mesure dans les mœurs, parce que c'est de la rationalité, tout simplement. Mais on n'est pas encore à ce stade-là, je pense. Donc évidemment, à Sciences Po, dans mon école, on a le tronc commun, qui nous permet de faire des sciences sociales, mais aussi des enjeux du numérique. et des questions RSE et on a aussi des outils qui nous permettent de sortir un peu du paradigme de l'excellence carriériste et professionnelle traditionnelle et ça passe par le Centre pour l'entrepreneuriat et moi un cursus dans lequel je suis très investie cette année avec l'Impact Studio qui nous permet de rejoindre des projets menés par des entreprises ou des associations qui viennent à la rencontre d'étudiants pour résoudre leurs problèmes stratégiques ou très concrets en lien avec la RSE. Moi cette année je collabore avec Natixis IM pour justement revoir avec eux une stratégie RSE, faire une évaluation de leur stratégie par rapport aux autres banques qui font la même chose qu'eux, mais aussi par rapport à leurs collaborateurs en interne sur leur stratégie de communication, sur est-ce que les collaborateurs sont dans le bateau avec eux sur les questions RSE, et à la fin de l'année proposer un prototype qui permettrait... d'une manière un peu originale, de penser cette solution, qui soit peut-être un peu plus aussi à notre échelle d'âge, en disant, nous, si on était chez Natixis IM, voilà ce qu'on aimerait qu'on nous propose, qu'il soit un petit peu différent. Le but, c'est que ce soit le plus concret possible. C'est inévitable que la RSE soit au centre de nos formations, puisque justement, on ne peut pas avoir de modèle contradictoire. On ne peut pas avoir des cours de management où on nous dit que promouvoir l'inclusivité, c'est super pour l'entreprise, et à côté... où on nous dit qu'en fait, il faut évaluer les employés sur leur rentabilité à court terme et se séparer de ceux qui ne sont pas au niveau. Donc en fait, c'est une question aussi de cohérence, d'un moment faire le choix de... Non, en fait, c'est ça le modèle qu'on veut et donc c'est ça qu'on va apprendre aux étudiants. Moi, en tout cas, en finance, j'ai l'impression d'avoir des cours de Sustainable Finance qui sont effectivement, là pour le coup, très centrés sur ces questions-là, mais je n'ai pas l'impression que celles-ci sont contredites. dans mes autres cours de finance, puisque ça revient sur le tapis à un moment ou à un autre. Les questions de gouvernance, j'en parle dans tous mes cours, parce qu'il y a des enjeux très forts à la clé et que ça va être important dans mes emplois. Notre principal rôle, c'est de faire un peu pression, donc c'est d'être très intransigeant sur ce qu'on veut et ce qu'on ne veut pas. En fait, c'est de montrer aux entreprises que si elles veulent trouver des talents dans les prochaines années, il va falloir qu'elles soient aussi attractives pour ces talents-là. Aujourd'hui, on parle beaucoup, par exemple, du télétravail et que les entreprises se trouvent un peu coincées si elles n'en offrent pas. Mais ça va beaucoup plus loin que ça. Je pense que certaines entreprises, et justement, c'est aussi pour ça qu'elles essayent de mettre en avant les critères ESG, parce qu'elles savent que dans cinq ans, elles auront du mal à trouver des étudiants prêts, en tout cas les meilleurs talents, prêts à rentrer dans leur entreprise si jamais elles ne se remettent pas en question. C'est très, très dur. Moi, j'ai vraiment l'impression cette année d'énormément lutter. contre justement cette envie de dire peu importe l'entreprise, peu importe où je vais même si c'est d'assaut j'ai besoin d'un stage, j'ai besoin d'expérience parce qu'on n'a pas envie de se priver justement de cette expérience personnellement moi j'aimerais à terme comme ambition d'être dans une institution publique que ce soit le FMI ou la BCE, de pouvoir être à l'échelle mondiale. Mais pour ça, il faut de l'expérience. Et on ne peut pas commencer par là, malheureusement, quand on a tout le système qui fonctionne différemment. Si tout le système fonctionne sur un capitalisme américain, il faut le comprendre, il faut travailler pour les entreprises qui le font fonctionner et adopter leur point de vue de manière vraiment réelle et honnête, de se dire pourquoi est-ce qu'elle fonctionne comme ça. Parce que c'est trop facile aussi de dire que... Les dirigeants d'entreprises sont des très grands méchants qui ne veulent que notre mal, qui ne pensent pas au bien de leurs salariés ou au bien de la société. Ce n'est pas vrai, c'est simplement qu'ils n'ont pas du tout le même paradigme. Et si on comprend ce paradigme, c'est après, j'espère, en tout cas dans notre antenne, qu'on pourra au moins, c'est sûr, se réorienter, créer notre entreprise qui n'ira pas forcément dans ce modèle, mais en tout cas rentrer dans des institutions qui vont se battre contre ça. Mais avec ! les entreprises, pas contre elles. Avoir un travail qui a du sens, pour moi, c'est essentiel. C'est un besoin que tout le monde a. Sauf que le sens, s'il y a mille façons de le trouver, ça peut être un sens éthique. Dans ce cas-là, effectivement, on va penser aux questions environnementales, sociales, au bien commun, à la justice, à la solidarité. Mais ça peut aussi être un sens intellectuel. On peut très bien s'épanouir parce qu'on a des super collègues, parce qu'on a des responsabilités, parce que nos tâches nous plaisent. Ça s'éloigne très vite des questions ESG. Dans une époque où on parle beaucoup de travail passion, que l'ambition professionnelle doit être très alignée avec l'ambition personnelle, il faut quand même rappeler qu'avoir un job alimentaire, c'est aussi très courant, et qu'avoir un travail alimentaire, ce n'est pas forcément mal. On n'est pas obligé d'accomplir 100% de sa personnalité au travail, et que justement, en véhiculant parfois le message qu'on doit être parfaitement aligné avec son travail, marginalise des personnes qui n'ont pas les moyens, l'éducation, la capacité, au moment donné, de s'investir dans leur éthique au travail. Et donc essayer de déculpabiliser ça un petit peu, de dire que c'est aussi très bien qu'il y a plein d'autres façons de s'investir politiquement, socialement, en dehors de son travail. Et que ce n'est pas incompatible avec le fait d'avoir un travail qui n'est pas aligné avec son éthique personnelle au moment donné. Je ne me mets pas la pression pour me dire qu'il faut que mon premier job soit forcément parfait. J'ai besoin de tester, j'ai besoin d'expérimenter, de me confronter aux choses qui ne me plaisent pas avant de choisir. Et c'est ça qui coule aussi dans le fait d'être jeune, c'est qu'on a un petit peu de temps pour se positionner. Et je suis totalement ouverte à me dire qu'en fait, peut-être dans trois ans, j'en aurais marre de la finance, mes collègues ne me plairont pas et dans ce cas-là, je déciderai de monter ma boîte et on verra. J'espère en tout cas que ma personnalité est un de mes atouts, même pour les entreprises en finance. Et je mets en avant, je ne me cache pas, je mets en avant tout. tous mes engagements, tout mon passé, tout ce que je pense, parce que j'ai envie que mon entreprise me recrute pour qui je suis. Et ça marche.

  • Speaker #1

    À quel moment vous vous êtes dit, là, j'ai vraiment eu de l'impact ?

  • Speaker #2

    Il y a une quinzaine, une vingtaine d'années, j'ai co-écrit un livre qui s'appelait Un métier pour la planète et surtout pour moi. Et j'avoue que ces derniers temps, je reçois beaucoup de mails où je vois beaucoup de gens l'autre jour... Une dame est venue me voir avant la conférence que je faisais en me disant je voulais vous remercier parce que c'est ce livre qui a déterminé mon engagement et maintenant je suis ceci cela, j'ai fait tel parcours. Et en fait ce truc là, c'est bête mais un par un, c'est comme dans cette histoire, je ne sais pas si vous connaissez cette histoire où une petite fille se retrouve avec sa mère sur une plage où il y a plein de poissons volants qui se sont échoués. et elle commence à les attraper un par un et à les remettre dans l'eau et sa mère lui dit non mais attends tu vas rien changer parce qu'en fait regarde il y en a des milliers Et elle dit, ouais, non, je ne changerai pas tout, mais ça change quelque chose pour celui-là et pour celui-là et pour celui-là. Et one by one, on y arrive et ça me fait plaisir, en fait. J'ai presque l'impression, j'ai écrit une dizaine de livres, que c'est le plus utile.

  • Speaker #0

    Il y a un jour très marquant, quand j'étais encore à Extinction Rebellion, où on était dans les locaux de BlackRock, un asset manager, un des plus grands au monde, dans lequel j'ai discuté avec les salariés et j'ai eu une très longue conversation avec un salarié pendant... Pendant vraiment une demi-heure, où moi je parlais de mes idées, de mes idéaux, et lui aussi, et en fait c'était très ouvert, et j'ai senti vraiment dans ses yeux qu'il lui fallait ce déclic, et qu'il avait besoin en fait que quelqu'un lui parle et lui dise franco face à face, et je ne sais pas qui est cette personne, et je ne sais pas ce qu'elle fait aujourd'hui, mais je suis persuadée qu'elle ne travaille plus forcément là-bas, et en tout cas qu'elle a changé sa manière d'aborder son rapport au travail aussi.

  • Speaker #1

    En mode impact est un podcast de Sciences Po, produit par FriXion. La musique a été composée par Nils Bertinelli.

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