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"La fille de cinquante ans" de Malin Lindroth cover
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EN ROUE LIVRES !

"La fille de cinquante ans" de Malin Lindroth

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13min |25/02/2025
Play
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EN ROUE LIVRES !

"La fille de cinquante ans" de Malin Lindroth

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13min |25/02/2025
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Description

« Avec ce livre, je veux redonner de la noblesse (au mot) qui désigne la femme de cinquante ans, sans enfants, involontairement seule et qui ne s’est jamais reconnue dans les récits de vie de célibataire que proposent nos cultures. Je veux remettre au goût du jour les termes de vieille fille. Il y a une cinquantaine d’années, l’expression vieille fille était censée effrayer les jeunes femmes. ''Fais attention, sinon tu vas finir vieille fille !'' Aujourd’hui, je rêve d’une vieille fille qui sorte du placard de la honte, qui cultive sa position et qui devienne propriétaire de son histoire. »

La fille de cinquante ans est un récit, d’une centaine de pages. Un récit très touchant, ni victimaire ni revanchard. C’est aussi un plaidoyer pour la différence et pour le refus du pire… qui n’est pas le célibat à n’importe quel âge. Le pire étant plutôt que l’on vous oblige à être dans une vie cachée.

Malin Lindroth y pose la question qu’il faut : « Qu’est-ce qui est si dérangeant chez la vieille fille ? Que cette figure résume tout le catalogue des grandes peurs d’aujourd’hui est certainement une partie de l’explication. Elle n’est pas seulement vieille, seule, sans enfants et communément considérée comme Celle Qui N’a Rien, elle n’a même pas le bon goût d’être en phase avec notre époque. »



La fille de cinquante ans de Malin Lindroth, Globe, 2021 (traduction du suédois de Marianne Ségol-Samoy)



Extraits sonores :

  • Vieille fille de France Gall (1968), paroles et musique de Joe Dassin et de Jean-Michel Rivat

  • Résiste de France Gall (1981), paroles et musiques de Michel Berger

  • Sketch de La revue de presse de Catherine et Liliane, Avoir 50 ans c’est comme en avoir 20, 19 février 2019

  • Bande sonore du film Le journal de Bridget Jones, All by myself, Jamie O'Neal, 2001

  • Bande sonore de la série Sex and the city, Douglas J. Cuomo, 1998

  • Réplique de Louis de Funès dans le film Fantomas contre Scotland yard de André Hunebelle, 1967

  • Répliques du film La vieille fille de Jean-Pierre Blanc avec Annie Girardot et Philippe Noiret, 1972

  • Juice de Lizzo (2019), paroles et musique de Melissa Jefferson, Eric Frederic, Theron Thomas, Sam Sumser et Sean Small



Montage et réalisation : Othmane Jmad


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans En Roue Livres!, le podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres, de toutes les époques et de tous les pays. Parce qu'ici on n'aime pas trop les cloisonnements, pas plus que les étiquettes. En Roue Livres!, c'est une immersion dans un ouvrage avec passion, avec intérêt, mais aussi avec une bonne dose d'humour et de second degré. Je suis Loubna Serraj, les livres et moi, c'est une vieille, vieille histoire d'amour qui... contrairement à ce que chantent les Rita Mitsouko, ne finit pas mal, enfin je crois, du moins j'espère. Bref, les livres donc, vous l'aurez compris. Mais pas n'importe lesquels, spécialement ceux qui me font tourner la tête ou le cœur ou les deux. En Roue Livres!, épisode 2, c'est parti ! Vous avez bien entendu, en 1968, France Gall suppliait d'avoir un homme, quel qu'il soit... tout, plutôt que de rester vieille fille! Des paroles écrites par un homme, Jean-Michel Rivat. On ne fera pas ici de procès à France Gall, qui chantera 13 ans plus tard son inoubliable Résiste dont les paroles seront aussi écrites par un autre homme, Michel Berger. Mais cela me permet de poser d'emblée cette expression de vieille fille... objet du livre d'aujourd'hui intitulé "La fille de 50 ans", de l'écrivaine et dramaturge suédoise Malin Lindroth, parue en 2018 puis publié en français en 2021 aux éditions Globe. Le titre vient en écho au célèbre roman "La femme de 30 ans" d'Honoré de Balzac, écrit lui entre 1829 et 1842. Rappelons que ce dernier évoque cette femme de 30 ans embarquée, suite à son âge fort avancé, dans un mariage avec un époux qu'elle n'aime pas. Ce qui lui fait dire ceci : "Nous sommes, nous femmes, plus maltraitées par la civilisation que nous le serions par la nature. Telle est notre destinée, vue sous ses deux faces : une prostitution publique et la honte, une prostitution secrète et le malheur." Allez, quelques secondes pour se donner du courage...

  • Speaker #1

    (Extrait musical)

  • Speaker #0

    Voilà! Je ne sais pas vous, mais moi, ça va beaucoup mieux! Revenons à cette fille de 50 ans et à son point commun avec son aïeule de moins de 30 ans. Pour Malin Lindroth, ce point commun est la honte. Et elle l'exprime dès la préface : "Avec ce livre, je veux redonner de la noblesse (au mot) qui désigne la femme de 50 ans, sans enfant, involontairement seule et qui ne s'est jamais reconnue dans les récits de vie de célibataires que proposent nos cultures. Je veux remettre au goût du jour les termes de vieille fille. Il y a une cinquantaine d'années, l'expression vieille fille était censée effrayer les jeunes femmes. 'Fais attention, sinon tu vas finir vieille fille.' (Une spéciale dédicace à France Gall, vous croyez ?) Aujourd'hui, je rêve d'une vieille fille qui sorte du placard de la honte, qui cultive sa position et qui devienne propriétaire de son histoire." D'autant que, comme dirait Catherine et Eliane...

  • Speaker #2

    (Extrait sketch)

  • Speaker #0

    En fait, la fille de 50 ans est ce que voulait à tout prix éviter la femme de 30 ans : être le repoussoir, l'épouvantail de nos cultures passées et actuelles. D'ailleurs, Balzac, bien qu'empathique avec beaucoup de femmes de son époque, avait visiblement du mal avec celle qui ne se mariait pas à un âge dit avancé. On peut lire ceci dans sa nouvelle "Les Célibataires" : "En restant fille, une créature de sexe féminin n'est plus qu'un non-sens : égoïste et froide, elle fait horreur. Cet arrêt implacable est malheureusement trop juste pour que les vieilles filles en ignorent les motifs." Oui, il n'était pas très commode le petit Honoré de Balzac! Et cela vaut tout autant en France qu'en Suède où vieille fille se dit "nucka", un mot qui signifie "vieille femme voûtée" ou encore au Maroc avec ses vocables si gentils de "bayra" ou de "aanis" qui font référence à l'âge bien bien avancé des femmes. Dans sa quête du terme approprié, Lindroth a hésité entre Célibataire involontaire? Célibataire volontaire? Femme à chats? Elle a essayé toutes les variantes possibles avant de tomber sur Vieille fille. "La nucka que je veux côtoyer, écrit-elle, n'est pas la figure de la sorcière habitant à la lisière du village mais plutôt celle qui se trouve tout en bas de l'échelle de la hiérarchie du bec. La racaille la plus méprisable, la prétendue non baisable. Dans une publication de l'Encyclopédie nationale suédoise datant des années 40, le sens donné à nucka était d'un mépris débridé. Elle n'était pas seulement émotionnellement sèche, dénuée d'érotisme, non aimable, parfois tout simplement répugnante, mais aussi terriblement bigote et faisant preuve d'une attitude froide envers la jeunesse." L'essayiste nous apprend également que ce terme, aujourd'hui péjoratif, ne l'a pas toujours été. Elle raconte qu'il fut un temps où les femmes célibataires d'un certain âge n'étaient pas considérées comme des femmes étranges. Avant le XIXe siècle, par exemple, faute d'hommes partis en guerre ou en voyage dans des contrées lointaines, les femmes non mariées n'étaient pas rares. Et puis, le XXe siècle a été, disons, moins clément. Et cela a duré jusqu'à maintenant. Certains ou certaines d'entre vous pensent que Lindroth exagère ? Bande son de Bridget Jones, son pot de glace et son désarroi en pleine rupture amoureuse... Voilà ce que dit l'autrice à propos de ce personnage : "La période la plus frustrante a été celle dans les années 90 où la célibataire a pris place dans la culture populaire sous la forme de la rigolote Bridget Jones. D'un point de vue caricatural, la vieille fille a toujours été une femme inhibée et asexuée. Dans 'Le journal de Bridget Jones' de Helen Fielding, le stéréotype de la femme seule a pris une autre ampleur (...) Ce qui nous amusait chez Bridget n'était pas très clair. Il faut espérer que notre rire était chaleureux et empathique. Peut-être même un rire de soulagement après la honte qui avait collé à la peau des femmes seules durant la génération de nos mères et celles de nos grands-mères. Mais il est tout aussi probable que les fans de Bridget avaient un petit sourire sadique aux lèvres en voyant cette femme qui ratait toujours tout." Et Malin Lindroth de poursuivre : "Dans les années 2000, l'image de la célibataire a changé. Lorsque coach de vie est devenu un métier et que les librairies croulaient sous les bouquins de développement personnel, il est soudain devenu légitime de parler des avantages d'une vie de célibat choisi. C'était bien vu d'être seule, à condition de ne pas avoir la bouche barbouillée de crème glacée. La solitude devait maintenant s'inscrire dans une histoire faite de potentiel et de réussite. Au revoir Bridget Jones. Bonjour Carrie Bradshaw de Sex and the City avec son entourage cool et ses amies célibataires aux vêtements griffés." En fait, Lindroth pointe du doigt le fait que les modèles changent mais que le présupposé est le même... Elle l'exprime ainsi : "Ce qui pesait sur mes aïeules n'est vraisemblablement pas ce qui accable la vieille fille d'aujourd'hui. Les vieilles filles du XIXe étaient avant tout un problème de société, une plaie dans la vie sociale. Celles allongées sur le divan de Freud étaient plutôt vues comme des figures de la névrose, de la maladie et probablement de l'absence de morale. Aujourd'hui, être vieille fille, c'est porter sa situation comme un échec personnel. En tout cas, c'est ce que la culture veut me faire croire." Un échec personnel. Un échec si cuisant que la notion de célibat est plus acceptable si on la présente comme une expérience d'une vie à deux, mais avec soi-même ; le fameux "cultiver sa relation à soi". Un échec personnel. Ne pas être à la hauteur de ce que la société attend d'une femme. Et ce, quel que soit ce qu'on réussit à accomplir par ailleurs. Quel que soit le choix ou non pour cette vie en solitaire. Puisque l'amour d'un conjoint constitue le sommet de la hiérarchie relationnelle alors qu'il existe de multiples façons d'aimer et de nombreuses relations que Lindroth invite à découvrir ou à redécouvrir, comme l'amour pour la famille, la tribu, la flore ou la faune. (Extrait film) Alors, merle ou pas? L'on pourrait se poser la question si cet échec de la vie à deux est considéré de la même manière pour un homme? Ça tombe bien, puisque l'essayiste y a réfléchi avant d'écrire cela : "Plusieurs amis masculins prétendent que oui, mais il y a un hic. De la même manière que des termes tels que pute, traînée et mégère sont attribués à la gent féminine, traiter quelqu'un de vieille fille est une raillerie qui est traditionnellement réservée à la femme. Dans la langue suédoise, il n'y a aucun équivalent pour l'homme (Et il ne me semble pas que ce soit le cas pour la darija). Il n'y a aucun terme qui englobe à la fois un sexe, une honte et une situation familiale. Même ces ados qui restent au domicile parental jusqu'à l'âge de la retraite et au-delà, et sur lesquels on a collé l'étiquette de Peter Pan, ne sont pas dotés d'une qualification comparable. L'utilisation de la langue est révélatrice. La différence avec laquelle les médias parlent des femmes seules et des hommes seuls est abyssale (...) Un homme seul, c'est un cow-boy, un grand artiste, un célibataire aimant faire la fête - tous les rôles culturellement ou physiquement virils - mais avant tout, il est une menace sexuelle (un pédophile, un violeur, un exhibitionniste potentiel) au sujet duquel on met en garde les enfants et les femmes. Mais jamais, jamais, il n'est dépossédé de sa sexualité. Ce qui est souvent le cas des femmes telles que moi." Et cette dernière phrase me permet de faire la transition sur la forme de cet ouvrage. Un témoignage-essai, voire plus proche du témoignage que de l'essai, où Maline Lindroth se livre sans prétendre à l'exhaustivité ou à la généralisation. Elle puise dans ce qu'elle a vécu, dans ses propres expériences, dans son cheminement, dans ses anecdotes, sans dichotomie aucune. Elle n'est pas là en train de torpiller la vie à deux, ni de vanter la vie de célibataire endurcie. Comme elle le dit : "S'enfermer dans l'exclusion est aussi peu intéressant que s'enfermer dans l'inclusion. Je préfère flâner librement entre la périphérie et le centre." Je ne sais pas pour vous, mais j'aime beaucoup cette phrase : "Flâner librement entre la périphérie et le centre." Elle revendique son droit à la différence, à être une vieille fille sans être enfermée dans cette case de vieille fille.

  • Speaker #1

    (Extrait de film)

  • Speaker #0

    Lindroth pose la question qu'il faut : "Qu'est-ce qui est si dérangeant chez la vieille fille ? Que cette figure résume tout le catalogue des grandes peurs d'aujourd'hui est certainement une partie de l'explication. Elle n'est pas seulement vieille, seule, sans enfant et communément considérée comme Celle Qui N'a Rien, elle n'a même pas le bon goût d'être en phase avec notre époque." L'essayiste qualifie d'ailleurs cette époque de celle de la littéralité et de l'explicite. Puisqu'aucune équivoque n'est possible. Une époque où il n'existe, pour ainsi dire, pas d'espace pour une collision entre le hasard et le choix, le potentiel et le manque. Ce que l'autrice appelle "un état". Pour elle, nous sommes dans un temps où nous voulons des héros et des victimes. L'émoticône du pouce levé, du cœur ou du visage mécontent. Nous ne voulons surtout pas de quelqu'un qui nous rappelle que la vie est plus complexe que la somme des choix libres et conscients. La vieille fille devient une invitée mal vue dans un canapé de talk show. Mal considérée au point que beaucoup veulent spontanément proclamer sa mort. Et Lindroth de préciser : "Si, en fait, je comprends ce que disent les actrices vieillissantes qui font de la pub vantant la qualité de crèmes pour peaux matures, je ne suis simplement pas d'accord avec elles sur le fait que ce soit l'invisibilité qui rend libre. J'ai déjà été invisible, et cet état ne m'a rien apporté. Je veux que la liberté soit comme dans mon rêve. Qu'elle parle de mouvement et de regard." "La fille de 50 ans" est un récit d'une centaine de pages. Un récit très touchant, ni victimaire, ni revanchard. C'est aussi un plaidoyer pour la différence et pour le refus du pire, qui n'est pas le célibat à n'importe quel âge. Le pire étant plutôt que l'on vous oblige à être dans une vie cachée. Je m'appelle Loubna Serraj et c'était En Roue livres!, un podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres et de toutes les époques. Dans cet épisode, il était question de "La fille de 50 ans" de Malin Lindroth, traduit du suédois par Marianne Ségol-Samoy et publié chez Globe en 2021. Merci infiniment à Othmane Jmad pour la réalisation. Merci à mon amie Bouchra El Azhari pour l'accompagnement à la production. Et merci à vous d'avoir écouté En Roue livres!

Description

« Avec ce livre, je veux redonner de la noblesse (au mot) qui désigne la femme de cinquante ans, sans enfants, involontairement seule et qui ne s’est jamais reconnue dans les récits de vie de célibataire que proposent nos cultures. Je veux remettre au goût du jour les termes de vieille fille. Il y a une cinquantaine d’années, l’expression vieille fille était censée effrayer les jeunes femmes. ''Fais attention, sinon tu vas finir vieille fille !'' Aujourd’hui, je rêve d’une vieille fille qui sorte du placard de la honte, qui cultive sa position et qui devienne propriétaire de son histoire. »

La fille de cinquante ans est un récit, d’une centaine de pages. Un récit très touchant, ni victimaire ni revanchard. C’est aussi un plaidoyer pour la différence et pour le refus du pire… qui n’est pas le célibat à n’importe quel âge. Le pire étant plutôt que l’on vous oblige à être dans une vie cachée.

Malin Lindroth y pose la question qu’il faut : « Qu’est-ce qui est si dérangeant chez la vieille fille ? Que cette figure résume tout le catalogue des grandes peurs d’aujourd’hui est certainement une partie de l’explication. Elle n’est pas seulement vieille, seule, sans enfants et communément considérée comme Celle Qui N’a Rien, elle n’a même pas le bon goût d’être en phase avec notre époque. »



La fille de cinquante ans de Malin Lindroth, Globe, 2021 (traduction du suédois de Marianne Ségol-Samoy)



Extraits sonores :

  • Vieille fille de France Gall (1968), paroles et musique de Joe Dassin et de Jean-Michel Rivat

  • Résiste de France Gall (1981), paroles et musiques de Michel Berger

  • Sketch de La revue de presse de Catherine et Liliane, Avoir 50 ans c’est comme en avoir 20, 19 février 2019

  • Bande sonore du film Le journal de Bridget Jones, All by myself, Jamie O'Neal, 2001

  • Bande sonore de la série Sex and the city, Douglas J. Cuomo, 1998

  • Réplique de Louis de Funès dans le film Fantomas contre Scotland yard de André Hunebelle, 1967

  • Répliques du film La vieille fille de Jean-Pierre Blanc avec Annie Girardot et Philippe Noiret, 1972

  • Juice de Lizzo (2019), paroles et musique de Melissa Jefferson, Eric Frederic, Theron Thomas, Sam Sumser et Sean Small



Montage et réalisation : Othmane Jmad


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans En Roue Livres!, le podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres, de toutes les époques et de tous les pays. Parce qu'ici on n'aime pas trop les cloisonnements, pas plus que les étiquettes. En Roue Livres!, c'est une immersion dans un ouvrage avec passion, avec intérêt, mais aussi avec une bonne dose d'humour et de second degré. Je suis Loubna Serraj, les livres et moi, c'est une vieille, vieille histoire d'amour qui... contrairement à ce que chantent les Rita Mitsouko, ne finit pas mal, enfin je crois, du moins j'espère. Bref, les livres donc, vous l'aurez compris. Mais pas n'importe lesquels, spécialement ceux qui me font tourner la tête ou le cœur ou les deux. En Roue Livres!, épisode 2, c'est parti ! Vous avez bien entendu, en 1968, France Gall suppliait d'avoir un homme, quel qu'il soit... tout, plutôt que de rester vieille fille! Des paroles écrites par un homme, Jean-Michel Rivat. On ne fera pas ici de procès à France Gall, qui chantera 13 ans plus tard son inoubliable Résiste dont les paroles seront aussi écrites par un autre homme, Michel Berger. Mais cela me permet de poser d'emblée cette expression de vieille fille... objet du livre d'aujourd'hui intitulé "La fille de 50 ans", de l'écrivaine et dramaturge suédoise Malin Lindroth, parue en 2018 puis publié en français en 2021 aux éditions Globe. Le titre vient en écho au célèbre roman "La femme de 30 ans" d'Honoré de Balzac, écrit lui entre 1829 et 1842. Rappelons que ce dernier évoque cette femme de 30 ans embarquée, suite à son âge fort avancé, dans un mariage avec un époux qu'elle n'aime pas. Ce qui lui fait dire ceci : "Nous sommes, nous femmes, plus maltraitées par la civilisation que nous le serions par la nature. Telle est notre destinée, vue sous ses deux faces : une prostitution publique et la honte, une prostitution secrète et le malheur." Allez, quelques secondes pour se donner du courage...

  • Speaker #1

    (Extrait musical)

  • Speaker #0

    Voilà! Je ne sais pas vous, mais moi, ça va beaucoup mieux! Revenons à cette fille de 50 ans et à son point commun avec son aïeule de moins de 30 ans. Pour Malin Lindroth, ce point commun est la honte. Et elle l'exprime dès la préface : "Avec ce livre, je veux redonner de la noblesse (au mot) qui désigne la femme de 50 ans, sans enfant, involontairement seule et qui ne s'est jamais reconnue dans les récits de vie de célibataires que proposent nos cultures. Je veux remettre au goût du jour les termes de vieille fille. Il y a une cinquantaine d'années, l'expression vieille fille était censée effrayer les jeunes femmes. 'Fais attention, sinon tu vas finir vieille fille.' (Une spéciale dédicace à France Gall, vous croyez ?) Aujourd'hui, je rêve d'une vieille fille qui sorte du placard de la honte, qui cultive sa position et qui devienne propriétaire de son histoire." D'autant que, comme dirait Catherine et Eliane...

  • Speaker #2

    (Extrait sketch)

  • Speaker #0

    En fait, la fille de 50 ans est ce que voulait à tout prix éviter la femme de 30 ans : être le repoussoir, l'épouvantail de nos cultures passées et actuelles. D'ailleurs, Balzac, bien qu'empathique avec beaucoup de femmes de son époque, avait visiblement du mal avec celle qui ne se mariait pas à un âge dit avancé. On peut lire ceci dans sa nouvelle "Les Célibataires" : "En restant fille, une créature de sexe féminin n'est plus qu'un non-sens : égoïste et froide, elle fait horreur. Cet arrêt implacable est malheureusement trop juste pour que les vieilles filles en ignorent les motifs." Oui, il n'était pas très commode le petit Honoré de Balzac! Et cela vaut tout autant en France qu'en Suède où vieille fille se dit "nucka", un mot qui signifie "vieille femme voûtée" ou encore au Maroc avec ses vocables si gentils de "bayra" ou de "aanis" qui font référence à l'âge bien bien avancé des femmes. Dans sa quête du terme approprié, Lindroth a hésité entre Célibataire involontaire? Célibataire volontaire? Femme à chats? Elle a essayé toutes les variantes possibles avant de tomber sur Vieille fille. "La nucka que je veux côtoyer, écrit-elle, n'est pas la figure de la sorcière habitant à la lisière du village mais plutôt celle qui se trouve tout en bas de l'échelle de la hiérarchie du bec. La racaille la plus méprisable, la prétendue non baisable. Dans une publication de l'Encyclopédie nationale suédoise datant des années 40, le sens donné à nucka était d'un mépris débridé. Elle n'était pas seulement émotionnellement sèche, dénuée d'érotisme, non aimable, parfois tout simplement répugnante, mais aussi terriblement bigote et faisant preuve d'une attitude froide envers la jeunesse." L'essayiste nous apprend également que ce terme, aujourd'hui péjoratif, ne l'a pas toujours été. Elle raconte qu'il fut un temps où les femmes célibataires d'un certain âge n'étaient pas considérées comme des femmes étranges. Avant le XIXe siècle, par exemple, faute d'hommes partis en guerre ou en voyage dans des contrées lointaines, les femmes non mariées n'étaient pas rares. Et puis, le XXe siècle a été, disons, moins clément. Et cela a duré jusqu'à maintenant. Certains ou certaines d'entre vous pensent que Lindroth exagère ? Bande son de Bridget Jones, son pot de glace et son désarroi en pleine rupture amoureuse... Voilà ce que dit l'autrice à propos de ce personnage : "La période la plus frustrante a été celle dans les années 90 où la célibataire a pris place dans la culture populaire sous la forme de la rigolote Bridget Jones. D'un point de vue caricatural, la vieille fille a toujours été une femme inhibée et asexuée. Dans 'Le journal de Bridget Jones' de Helen Fielding, le stéréotype de la femme seule a pris une autre ampleur (...) Ce qui nous amusait chez Bridget n'était pas très clair. Il faut espérer que notre rire était chaleureux et empathique. Peut-être même un rire de soulagement après la honte qui avait collé à la peau des femmes seules durant la génération de nos mères et celles de nos grands-mères. Mais il est tout aussi probable que les fans de Bridget avaient un petit sourire sadique aux lèvres en voyant cette femme qui ratait toujours tout." Et Malin Lindroth de poursuivre : "Dans les années 2000, l'image de la célibataire a changé. Lorsque coach de vie est devenu un métier et que les librairies croulaient sous les bouquins de développement personnel, il est soudain devenu légitime de parler des avantages d'une vie de célibat choisi. C'était bien vu d'être seule, à condition de ne pas avoir la bouche barbouillée de crème glacée. La solitude devait maintenant s'inscrire dans une histoire faite de potentiel et de réussite. Au revoir Bridget Jones. Bonjour Carrie Bradshaw de Sex and the City avec son entourage cool et ses amies célibataires aux vêtements griffés." En fait, Lindroth pointe du doigt le fait que les modèles changent mais que le présupposé est le même... Elle l'exprime ainsi : "Ce qui pesait sur mes aïeules n'est vraisemblablement pas ce qui accable la vieille fille d'aujourd'hui. Les vieilles filles du XIXe étaient avant tout un problème de société, une plaie dans la vie sociale. Celles allongées sur le divan de Freud étaient plutôt vues comme des figures de la névrose, de la maladie et probablement de l'absence de morale. Aujourd'hui, être vieille fille, c'est porter sa situation comme un échec personnel. En tout cas, c'est ce que la culture veut me faire croire." Un échec personnel. Un échec si cuisant que la notion de célibat est plus acceptable si on la présente comme une expérience d'une vie à deux, mais avec soi-même ; le fameux "cultiver sa relation à soi". Un échec personnel. Ne pas être à la hauteur de ce que la société attend d'une femme. Et ce, quel que soit ce qu'on réussit à accomplir par ailleurs. Quel que soit le choix ou non pour cette vie en solitaire. Puisque l'amour d'un conjoint constitue le sommet de la hiérarchie relationnelle alors qu'il existe de multiples façons d'aimer et de nombreuses relations que Lindroth invite à découvrir ou à redécouvrir, comme l'amour pour la famille, la tribu, la flore ou la faune. (Extrait film) Alors, merle ou pas? L'on pourrait se poser la question si cet échec de la vie à deux est considéré de la même manière pour un homme? Ça tombe bien, puisque l'essayiste y a réfléchi avant d'écrire cela : "Plusieurs amis masculins prétendent que oui, mais il y a un hic. De la même manière que des termes tels que pute, traînée et mégère sont attribués à la gent féminine, traiter quelqu'un de vieille fille est une raillerie qui est traditionnellement réservée à la femme. Dans la langue suédoise, il n'y a aucun équivalent pour l'homme (Et il ne me semble pas que ce soit le cas pour la darija). Il n'y a aucun terme qui englobe à la fois un sexe, une honte et une situation familiale. Même ces ados qui restent au domicile parental jusqu'à l'âge de la retraite et au-delà, et sur lesquels on a collé l'étiquette de Peter Pan, ne sont pas dotés d'une qualification comparable. L'utilisation de la langue est révélatrice. La différence avec laquelle les médias parlent des femmes seules et des hommes seuls est abyssale (...) Un homme seul, c'est un cow-boy, un grand artiste, un célibataire aimant faire la fête - tous les rôles culturellement ou physiquement virils - mais avant tout, il est une menace sexuelle (un pédophile, un violeur, un exhibitionniste potentiel) au sujet duquel on met en garde les enfants et les femmes. Mais jamais, jamais, il n'est dépossédé de sa sexualité. Ce qui est souvent le cas des femmes telles que moi." Et cette dernière phrase me permet de faire la transition sur la forme de cet ouvrage. Un témoignage-essai, voire plus proche du témoignage que de l'essai, où Maline Lindroth se livre sans prétendre à l'exhaustivité ou à la généralisation. Elle puise dans ce qu'elle a vécu, dans ses propres expériences, dans son cheminement, dans ses anecdotes, sans dichotomie aucune. Elle n'est pas là en train de torpiller la vie à deux, ni de vanter la vie de célibataire endurcie. Comme elle le dit : "S'enfermer dans l'exclusion est aussi peu intéressant que s'enfermer dans l'inclusion. Je préfère flâner librement entre la périphérie et le centre." Je ne sais pas pour vous, mais j'aime beaucoup cette phrase : "Flâner librement entre la périphérie et le centre." Elle revendique son droit à la différence, à être une vieille fille sans être enfermée dans cette case de vieille fille.

  • Speaker #1

    (Extrait de film)

  • Speaker #0

    Lindroth pose la question qu'il faut : "Qu'est-ce qui est si dérangeant chez la vieille fille ? Que cette figure résume tout le catalogue des grandes peurs d'aujourd'hui est certainement une partie de l'explication. Elle n'est pas seulement vieille, seule, sans enfant et communément considérée comme Celle Qui N'a Rien, elle n'a même pas le bon goût d'être en phase avec notre époque." L'essayiste qualifie d'ailleurs cette époque de celle de la littéralité et de l'explicite. Puisqu'aucune équivoque n'est possible. Une époque où il n'existe, pour ainsi dire, pas d'espace pour une collision entre le hasard et le choix, le potentiel et le manque. Ce que l'autrice appelle "un état". Pour elle, nous sommes dans un temps où nous voulons des héros et des victimes. L'émoticône du pouce levé, du cœur ou du visage mécontent. Nous ne voulons surtout pas de quelqu'un qui nous rappelle que la vie est plus complexe que la somme des choix libres et conscients. La vieille fille devient une invitée mal vue dans un canapé de talk show. Mal considérée au point que beaucoup veulent spontanément proclamer sa mort. Et Lindroth de préciser : "Si, en fait, je comprends ce que disent les actrices vieillissantes qui font de la pub vantant la qualité de crèmes pour peaux matures, je ne suis simplement pas d'accord avec elles sur le fait que ce soit l'invisibilité qui rend libre. J'ai déjà été invisible, et cet état ne m'a rien apporté. Je veux que la liberté soit comme dans mon rêve. Qu'elle parle de mouvement et de regard." "La fille de 50 ans" est un récit d'une centaine de pages. Un récit très touchant, ni victimaire, ni revanchard. C'est aussi un plaidoyer pour la différence et pour le refus du pire, qui n'est pas le célibat à n'importe quel âge. Le pire étant plutôt que l'on vous oblige à être dans une vie cachée. Je m'appelle Loubna Serraj et c'était En Roue livres!, un podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres et de toutes les époques. Dans cet épisode, il était question de "La fille de 50 ans" de Malin Lindroth, traduit du suédois par Marianne Ségol-Samoy et publié chez Globe en 2021. Merci infiniment à Othmane Jmad pour la réalisation. Merci à mon amie Bouchra El Azhari pour l'accompagnement à la production. Et merci à vous d'avoir écouté En Roue livres!

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Description

« Avec ce livre, je veux redonner de la noblesse (au mot) qui désigne la femme de cinquante ans, sans enfants, involontairement seule et qui ne s’est jamais reconnue dans les récits de vie de célibataire que proposent nos cultures. Je veux remettre au goût du jour les termes de vieille fille. Il y a une cinquantaine d’années, l’expression vieille fille était censée effrayer les jeunes femmes. ''Fais attention, sinon tu vas finir vieille fille !'' Aujourd’hui, je rêve d’une vieille fille qui sorte du placard de la honte, qui cultive sa position et qui devienne propriétaire de son histoire. »

La fille de cinquante ans est un récit, d’une centaine de pages. Un récit très touchant, ni victimaire ni revanchard. C’est aussi un plaidoyer pour la différence et pour le refus du pire… qui n’est pas le célibat à n’importe quel âge. Le pire étant plutôt que l’on vous oblige à être dans une vie cachée.

Malin Lindroth y pose la question qu’il faut : « Qu’est-ce qui est si dérangeant chez la vieille fille ? Que cette figure résume tout le catalogue des grandes peurs d’aujourd’hui est certainement une partie de l’explication. Elle n’est pas seulement vieille, seule, sans enfants et communément considérée comme Celle Qui N’a Rien, elle n’a même pas le bon goût d’être en phase avec notre époque. »



La fille de cinquante ans de Malin Lindroth, Globe, 2021 (traduction du suédois de Marianne Ségol-Samoy)



Extraits sonores :

  • Vieille fille de France Gall (1968), paroles et musique de Joe Dassin et de Jean-Michel Rivat

  • Résiste de France Gall (1981), paroles et musiques de Michel Berger

  • Sketch de La revue de presse de Catherine et Liliane, Avoir 50 ans c’est comme en avoir 20, 19 février 2019

  • Bande sonore du film Le journal de Bridget Jones, All by myself, Jamie O'Neal, 2001

  • Bande sonore de la série Sex and the city, Douglas J. Cuomo, 1998

  • Réplique de Louis de Funès dans le film Fantomas contre Scotland yard de André Hunebelle, 1967

  • Répliques du film La vieille fille de Jean-Pierre Blanc avec Annie Girardot et Philippe Noiret, 1972

  • Juice de Lizzo (2019), paroles et musique de Melissa Jefferson, Eric Frederic, Theron Thomas, Sam Sumser et Sean Small



Montage et réalisation : Othmane Jmad


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans En Roue Livres!, le podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres, de toutes les époques et de tous les pays. Parce qu'ici on n'aime pas trop les cloisonnements, pas plus que les étiquettes. En Roue Livres!, c'est une immersion dans un ouvrage avec passion, avec intérêt, mais aussi avec une bonne dose d'humour et de second degré. Je suis Loubna Serraj, les livres et moi, c'est une vieille, vieille histoire d'amour qui... contrairement à ce que chantent les Rita Mitsouko, ne finit pas mal, enfin je crois, du moins j'espère. Bref, les livres donc, vous l'aurez compris. Mais pas n'importe lesquels, spécialement ceux qui me font tourner la tête ou le cœur ou les deux. En Roue Livres!, épisode 2, c'est parti ! Vous avez bien entendu, en 1968, France Gall suppliait d'avoir un homme, quel qu'il soit... tout, plutôt que de rester vieille fille! Des paroles écrites par un homme, Jean-Michel Rivat. On ne fera pas ici de procès à France Gall, qui chantera 13 ans plus tard son inoubliable Résiste dont les paroles seront aussi écrites par un autre homme, Michel Berger. Mais cela me permet de poser d'emblée cette expression de vieille fille... objet du livre d'aujourd'hui intitulé "La fille de 50 ans", de l'écrivaine et dramaturge suédoise Malin Lindroth, parue en 2018 puis publié en français en 2021 aux éditions Globe. Le titre vient en écho au célèbre roman "La femme de 30 ans" d'Honoré de Balzac, écrit lui entre 1829 et 1842. Rappelons que ce dernier évoque cette femme de 30 ans embarquée, suite à son âge fort avancé, dans un mariage avec un époux qu'elle n'aime pas. Ce qui lui fait dire ceci : "Nous sommes, nous femmes, plus maltraitées par la civilisation que nous le serions par la nature. Telle est notre destinée, vue sous ses deux faces : une prostitution publique et la honte, une prostitution secrète et le malheur." Allez, quelques secondes pour se donner du courage...

  • Speaker #1

    (Extrait musical)

  • Speaker #0

    Voilà! Je ne sais pas vous, mais moi, ça va beaucoup mieux! Revenons à cette fille de 50 ans et à son point commun avec son aïeule de moins de 30 ans. Pour Malin Lindroth, ce point commun est la honte. Et elle l'exprime dès la préface : "Avec ce livre, je veux redonner de la noblesse (au mot) qui désigne la femme de 50 ans, sans enfant, involontairement seule et qui ne s'est jamais reconnue dans les récits de vie de célibataires que proposent nos cultures. Je veux remettre au goût du jour les termes de vieille fille. Il y a une cinquantaine d'années, l'expression vieille fille était censée effrayer les jeunes femmes. 'Fais attention, sinon tu vas finir vieille fille.' (Une spéciale dédicace à France Gall, vous croyez ?) Aujourd'hui, je rêve d'une vieille fille qui sorte du placard de la honte, qui cultive sa position et qui devienne propriétaire de son histoire." D'autant que, comme dirait Catherine et Eliane...

  • Speaker #2

    (Extrait sketch)

  • Speaker #0

    En fait, la fille de 50 ans est ce que voulait à tout prix éviter la femme de 30 ans : être le repoussoir, l'épouvantail de nos cultures passées et actuelles. D'ailleurs, Balzac, bien qu'empathique avec beaucoup de femmes de son époque, avait visiblement du mal avec celle qui ne se mariait pas à un âge dit avancé. On peut lire ceci dans sa nouvelle "Les Célibataires" : "En restant fille, une créature de sexe féminin n'est plus qu'un non-sens : égoïste et froide, elle fait horreur. Cet arrêt implacable est malheureusement trop juste pour que les vieilles filles en ignorent les motifs." Oui, il n'était pas très commode le petit Honoré de Balzac! Et cela vaut tout autant en France qu'en Suède où vieille fille se dit "nucka", un mot qui signifie "vieille femme voûtée" ou encore au Maroc avec ses vocables si gentils de "bayra" ou de "aanis" qui font référence à l'âge bien bien avancé des femmes. Dans sa quête du terme approprié, Lindroth a hésité entre Célibataire involontaire? Célibataire volontaire? Femme à chats? Elle a essayé toutes les variantes possibles avant de tomber sur Vieille fille. "La nucka que je veux côtoyer, écrit-elle, n'est pas la figure de la sorcière habitant à la lisière du village mais plutôt celle qui se trouve tout en bas de l'échelle de la hiérarchie du bec. La racaille la plus méprisable, la prétendue non baisable. Dans une publication de l'Encyclopédie nationale suédoise datant des années 40, le sens donné à nucka était d'un mépris débridé. Elle n'était pas seulement émotionnellement sèche, dénuée d'érotisme, non aimable, parfois tout simplement répugnante, mais aussi terriblement bigote et faisant preuve d'une attitude froide envers la jeunesse." L'essayiste nous apprend également que ce terme, aujourd'hui péjoratif, ne l'a pas toujours été. Elle raconte qu'il fut un temps où les femmes célibataires d'un certain âge n'étaient pas considérées comme des femmes étranges. Avant le XIXe siècle, par exemple, faute d'hommes partis en guerre ou en voyage dans des contrées lointaines, les femmes non mariées n'étaient pas rares. Et puis, le XXe siècle a été, disons, moins clément. Et cela a duré jusqu'à maintenant. Certains ou certaines d'entre vous pensent que Lindroth exagère ? Bande son de Bridget Jones, son pot de glace et son désarroi en pleine rupture amoureuse... Voilà ce que dit l'autrice à propos de ce personnage : "La période la plus frustrante a été celle dans les années 90 où la célibataire a pris place dans la culture populaire sous la forme de la rigolote Bridget Jones. D'un point de vue caricatural, la vieille fille a toujours été une femme inhibée et asexuée. Dans 'Le journal de Bridget Jones' de Helen Fielding, le stéréotype de la femme seule a pris une autre ampleur (...) Ce qui nous amusait chez Bridget n'était pas très clair. Il faut espérer que notre rire était chaleureux et empathique. Peut-être même un rire de soulagement après la honte qui avait collé à la peau des femmes seules durant la génération de nos mères et celles de nos grands-mères. Mais il est tout aussi probable que les fans de Bridget avaient un petit sourire sadique aux lèvres en voyant cette femme qui ratait toujours tout." Et Malin Lindroth de poursuivre : "Dans les années 2000, l'image de la célibataire a changé. Lorsque coach de vie est devenu un métier et que les librairies croulaient sous les bouquins de développement personnel, il est soudain devenu légitime de parler des avantages d'une vie de célibat choisi. C'était bien vu d'être seule, à condition de ne pas avoir la bouche barbouillée de crème glacée. La solitude devait maintenant s'inscrire dans une histoire faite de potentiel et de réussite. Au revoir Bridget Jones. Bonjour Carrie Bradshaw de Sex and the City avec son entourage cool et ses amies célibataires aux vêtements griffés." En fait, Lindroth pointe du doigt le fait que les modèles changent mais que le présupposé est le même... Elle l'exprime ainsi : "Ce qui pesait sur mes aïeules n'est vraisemblablement pas ce qui accable la vieille fille d'aujourd'hui. Les vieilles filles du XIXe étaient avant tout un problème de société, une plaie dans la vie sociale. Celles allongées sur le divan de Freud étaient plutôt vues comme des figures de la névrose, de la maladie et probablement de l'absence de morale. Aujourd'hui, être vieille fille, c'est porter sa situation comme un échec personnel. En tout cas, c'est ce que la culture veut me faire croire." Un échec personnel. Un échec si cuisant que la notion de célibat est plus acceptable si on la présente comme une expérience d'une vie à deux, mais avec soi-même ; le fameux "cultiver sa relation à soi". Un échec personnel. Ne pas être à la hauteur de ce que la société attend d'une femme. Et ce, quel que soit ce qu'on réussit à accomplir par ailleurs. Quel que soit le choix ou non pour cette vie en solitaire. Puisque l'amour d'un conjoint constitue le sommet de la hiérarchie relationnelle alors qu'il existe de multiples façons d'aimer et de nombreuses relations que Lindroth invite à découvrir ou à redécouvrir, comme l'amour pour la famille, la tribu, la flore ou la faune. (Extrait film) Alors, merle ou pas? L'on pourrait se poser la question si cet échec de la vie à deux est considéré de la même manière pour un homme? Ça tombe bien, puisque l'essayiste y a réfléchi avant d'écrire cela : "Plusieurs amis masculins prétendent que oui, mais il y a un hic. De la même manière que des termes tels que pute, traînée et mégère sont attribués à la gent féminine, traiter quelqu'un de vieille fille est une raillerie qui est traditionnellement réservée à la femme. Dans la langue suédoise, il n'y a aucun équivalent pour l'homme (Et il ne me semble pas que ce soit le cas pour la darija). Il n'y a aucun terme qui englobe à la fois un sexe, une honte et une situation familiale. Même ces ados qui restent au domicile parental jusqu'à l'âge de la retraite et au-delà, et sur lesquels on a collé l'étiquette de Peter Pan, ne sont pas dotés d'une qualification comparable. L'utilisation de la langue est révélatrice. La différence avec laquelle les médias parlent des femmes seules et des hommes seuls est abyssale (...) Un homme seul, c'est un cow-boy, un grand artiste, un célibataire aimant faire la fête - tous les rôles culturellement ou physiquement virils - mais avant tout, il est une menace sexuelle (un pédophile, un violeur, un exhibitionniste potentiel) au sujet duquel on met en garde les enfants et les femmes. Mais jamais, jamais, il n'est dépossédé de sa sexualité. Ce qui est souvent le cas des femmes telles que moi." Et cette dernière phrase me permet de faire la transition sur la forme de cet ouvrage. Un témoignage-essai, voire plus proche du témoignage que de l'essai, où Maline Lindroth se livre sans prétendre à l'exhaustivité ou à la généralisation. Elle puise dans ce qu'elle a vécu, dans ses propres expériences, dans son cheminement, dans ses anecdotes, sans dichotomie aucune. Elle n'est pas là en train de torpiller la vie à deux, ni de vanter la vie de célibataire endurcie. Comme elle le dit : "S'enfermer dans l'exclusion est aussi peu intéressant que s'enfermer dans l'inclusion. Je préfère flâner librement entre la périphérie et le centre." Je ne sais pas pour vous, mais j'aime beaucoup cette phrase : "Flâner librement entre la périphérie et le centre." Elle revendique son droit à la différence, à être une vieille fille sans être enfermée dans cette case de vieille fille.

  • Speaker #1

    (Extrait de film)

  • Speaker #0

    Lindroth pose la question qu'il faut : "Qu'est-ce qui est si dérangeant chez la vieille fille ? Que cette figure résume tout le catalogue des grandes peurs d'aujourd'hui est certainement une partie de l'explication. Elle n'est pas seulement vieille, seule, sans enfant et communément considérée comme Celle Qui N'a Rien, elle n'a même pas le bon goût d'être en phase avec notre époque." L'essayiste qualifie d'ailleurs cette époque de celle de la littéralité et de l'explicite. Puisqu'aucune équivoque n'est possible. Une époque où il n'existe, pour ainsi dire, pas d'espace pour une collision entre le hasard et le choix, le potentiel et le manque. Ce que l'autrice appelle "un état". Pour elle, nous sommes dans un temps où nous voulons des héros et des victimes. L'émoticône du pouce levé, du cœur ou du visage mécontent. Nous ne voulons surtout pas de quelqu'un qui nous rappelle que la vie est plus complexe que la somme des choix libres et conscients. La vieille fille devient une invitée mal vue dans un canapé de talk show. Mal considérée au point que beaucoup veulent spontanément proclamer sa mort. Et Lindroth de préciser : "Si, en fait, je comprends ce que disent les actrices vieillissantes qui font de la pub vantant la qualité de crèmes pour peaux matures, je ne suis simplement pas d'accord avec elles sur le fait que ce soit l'invisibilité qui rend libre. J'ai déjà été invisible, et cet état ne m'a rien apporté. Je veux que la liberté soit comme dans mon rêve. Qu'elle parle de mouvement et de regard." "La fille de 50 ans" est un récit d'une centaine de pages. Un récit très touchant, ni victimaire, ni revanchard. C'est aussi un plaidoyer pour la différence et pour le refus du pire, qui n'est pas le célibat à n'importe quel âge. Le pire étant plutôt que l'on vous oblige à être dans une vie cachée. Je m'appelle Loubna Serraj et c'était En Roue livres!, un podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres et de toutes les époques. Dans cet épisode, il était question de "La fille de 50 ans" de Malin Lindroth, traduit du suédois par Marianne Ségol-Samoy et publié chez Globe en 2021. Merci infiniment à Othmane Jmad pour la réalisation. Merci à mon amie Bouchra El Azhari pour l'accompagnement à la production. Et merci à vous d'avoir écouté En Roue livres!

Description

« Avec ce livre, je veux redonner de la noblesse (au mot) qui désigne la femme de cinquante ans, sans enfants, involontairement seule et qui ne s’est jamais reconnue dans les récits de vie de célibataire que proposent nos cultures. Je veux remettre au goût du jour les termes de vieille fille. Il y a une cinquantaine d’années, l’expression vieille fille était censée effrayer les jeunes femmes. ''Fais attention, sinon tu vas finir vieille fille !'' Aujourd’hui, je rêve d’une vieille fille qui sorte du placard de la honte, qui cultive sa position et qui devienne propriétaire de son histoire. »

La fille de cinquante ans est un récit, d’une centaine de pages. Un récit très touchant, ni victimaire ni revanchard. C’est aussi un plaidoyer pour la différence et pour le refus du pire… qui n’est pas le célibat à n’importe quel âge. Le pire étant plutôt que l’on vous oblige à être dans une vie cachée.

Malin Lindroth y pose la question qu’il faut : « Qu’est-ce qui est si dérangeant chez la vieille fille ? Que cette figure résume tout le catalogue des grandes peurs d’aujourd’hui est certainement une partie de l’explication. Elle n’est pas seulement vieille, seule, sans enfants et communément considérée comme Celle Qui N’a Rien, elle n’a même pas le bon goût d’être en phase avec notre époque. »



La fille de cinquante ans de Malin Lindroth, Globe, 2021 (traduction du suédois de Marianne Ségol-Samoy)



Extraits sonores :

  • Vieille fille de France Gall (1968), paroles et musique de Joe Dassin et de Jean-Michel Rivat

  • Résiste de France Gall (1981), paroles et musiques de Michel Berger

  • Sketch de La revue de presse de Catherine et Liliane, Avoir 50 ans c’est comme en avoir 20, 19 février 2019

  • Bande sonore du film Le journal de Bridget Jones, All by myself, Jamie O'Neal, 2001

  • Bande sonore de la série Sex and the city, Douglas J. Cuomo, 1998

  • Réplique de Louis de Funès dans le film Fantomas contre Scotland yard de André Hunebelle, 1967

  • Répliques du film La vieille fille de Jean-Pierre Blanc avec Annie Girardot et Philippe Noiret, 1972

  • Juice de Lizzo (2019), paroles et musique de Melissa Jefferson, Eric Frederic, Theron Thomas, Sam Sumser et Sean Small



Montage et réalisation : Othmane Jmad


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans En Roue Livres!, le podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres, de toutes les époques et de tous les pays. Parce qu'ici on n'aime pas trop les cloisonnements, pas plus que les étiquettes. En Roue Livres!, c'est une immersion dans un ouvrage avec passion, avec intérêt, mais aussi avec une bonne dose d'humour et de second degré. Je suis Loubna Serraj, les livres et moi, c'est une vieille, vieille histoire d'amour qui... contrairement à ce que chantent les Rita Mitsouko, ne finit pas mal, enfin je crois, du moins j'espère. Bref, les livres donc, vous l'aurez compris. Mais pas n'importe lesquels, spécialement ceux qui me font tourner la tête ou le cœur ou les deux. En Roue Livres!, épisode 2, c'est parti ! Vous avez bien entendu, en 1968, France Gall suppliait d'avoir un homme, quel qu'il soit... tout, plutôt que de rester vieille fille! Des paroles écrites par un homme, Jean-Michel Rivat. On ne fera pas ici de procès à France Gall, qui chantera 13 ans plus tard son inoubliable Résiste dont les paroles seront aussi écrites par un autre homme, Michel Berger. Mais cela me permet de poser d'emblée cette expression de vieille fille... objet du livre d'aujourd'hui intitulé "La fille de 50 ans", de l'écrivaine et dramaturge suédoise Malin Lindroth, parue en 2018 puis publié en français en 2021 aux éditions Globe. Le titre vient en écho au célèbre roman "La femme de 30 ans" d'Honoré de Balzac, écrit lui entre 1829 et 1842. Rappelons que ce dernier évoque cette femme de 30 ans embarquée, suite à son âge fort avancé, dans un mariage avec un époux qu'elle n'aime pas. Ce qui lui fait dire ceci : "Nous sommes, nous femmes, plus maltraitées par la civilisation que nous le serions par la nature. Telle est notre destinée, vue sous ses deux faces : une prostitution publique et la honte, une prostitution secrète et le malheur." Allez, quelques secondes pour se donner du courage...

  • Speaker #1

    (Extrait musical)

  • Speaker #0

    Voilà! Je ne sais pas vous, mais moi, ça va beaucoup mieux! Revenons à cette fille de 50 ans et à son point commun avec son aïeule de moins de 30 ans. Pour Malin Lindroth, ce point commun est la honte. Et elle l'exprime dès la préface : "Avec ce livre, je veux redonner de la noblesse (au mot) qui désigne la femme de 50 ans, sans enfant, involontairement seule et qui ne s'est jamais reconnue dans les récits de vie de célibataires que proposent nos cultures. Je veux remettre au goût du jour les termes de vieille fille. Il y a une cinquantaine d'années, l'expression vieille fille était censée effrayer les jeunes femmes. 'Fais attention, sinon tu vas finir vieille fille.' (Une spéciale dédicace à France Gall, vous croyez ?) Aujourd'hui, je rêve d'une vieille fille qui sorte du placard de la honte, qui cultive sa position et qui devienne propriétaire de son histoire." D'autant que, comme dirait Catherine et Eliane...

  • Speaker #2

    (Extrait sketch)

  • Speaker #0

    En fait, la fille de 50 ans est ce que voulait à tout prix éviter la femme de 30 ans : être le repoussoir, l'épouvantail de nos cultures passées et actuelles. D'ailleurs, Balzac, bien qu'empathique avec beaucoup de femmes de son époque, avait visiblement du mal avec celle qui ne se mariait pas à un âge dit avancé. On peut lire ceci dans sa nouvelle "Les Célibataires" : "En restant fille, une créature de sexe féminin n'est plus qu'un non-sens : égoïste et froide, elle fait horreur. Cet arrêt implacable est malheureusement trop juste pour que les vieilles filles en ignorent les motifs." Oui, il n'était pas très commode le petit Honoré de Balzac! Et cela vaut tout autant en France qu'en Suède où vieille fille se dit "nucka", un mot qui signifie "vieille femme voûtée" ou encore au Maroc avec ses vocables si gentils de "bayra" ou de "aanis" qui font référence à l'âge bien bien avancé des femmes. Dans sa quête du terme approprié, Lindroth a hésité entre Célibataire involontaire? Célibataire volontaire? Femme à chats? Elle a essayé toutes les variantes possibles avant de tomber sur Vieille fille. "La nucka que je veux côtoyer, écrit-elle, n'est pas la figure de la sorcière habitant à la lisière du village mais plutôt celle qui se trouve tout en bas de l'échelle de la hiérarchie du bec. La racaille la plus méprisable, la prétendue non baisable. Dans une publication de l'Encyclopédie nationale suédoise datant des années 40, le sens donné à nucka était d'un mépris débridé. Elle n'était pas seulement émotionnellement sèche, dénuée d'érotisme, non aimable, parfois tout simplement répugnante, mais aussi terriblement bigote et faisant preuve d'une attitude froide envers la jeunesse." L'essayiste nous apprend également que ce terme, aujourd'hui péjoratif, ne l'a pas toujours été. Elle raconte qu'il fut un temps où les femmes célibataires d'un certain âge n'étaient pas considérées comme des femmes étranges. Avant le XIXe siècle, par exemple, faute d'hommes partis en guerre ou en voyage dans des contrées lointaines, les femmes non mariées n'étaient pas rares. Et puis, le XXe siècle a été, disons, moins clément. Et cela a duré jusqu'à maintenant. Certains ou certaines d'entre vous pensent que Lindroth exagère ? Bande son de Bridget Jones, son pot de glace et son désarroi en pleine rupture amoureuse... Voilà ce que dit l'autrice à propos de ce personnage : "La période la plus frustrante a été celle dans les années 90 où la célibataire a pris place dans la culture populaire sous la forme de la rigolote Bridget Jones. D'un point de vue caricatural, la vieille fille a toujours été une femme inhibée et asexuée. Dans 'Le journal de Bridget Jones' de Helen Fielding, le stéréotype de la femme seule a pris une autre ampleur (...) Ce qui nous amusait chez Bridget n'était pas très clair. Il faut espérer que notre rire était chaleureux et empathique. Peut-être même un rire de soulagement après la honte qui avait collé à la peau des femmes seules durant la génération de nos mères et celles de nos grands-mères. Mais il est tout aussi probable que les fans de Bridget avaient un petit sourire sadique aux lèvres en voyant cette femme qui ratait toujours tout." Et Malin Lindroth de poursuivre : "Dans les années 2000, l'image de la célibataire a changé. Lorsque coach de vie est devenu un métier et que les librairies croulaient sous les bouquins de développement personnel, il est soudain devenu légitime de parler des avantages d'une vie de célibat choisi. C'était bien vu d'être seule, à condition de ne pas avoir la bouche barbouillée de crème glacée. La solitude devait maintenant s'inscrire dans une histoire faite de potentiel et de réussite. Au revoir Bridget Jones. Bonjour Carrie Bradshaw de Sex and the City avec son entourage cool et ses amies célibataires aux vêtements griffés." En fait, Lindroth pointe du doigt le fait que les modèles changent mais que le présupposé est le même... Elle l'exprime ainsi : "Ce qui pesait sur mes aïeules n'est vraisemblablement pas ce qui accable la vieille fille d'aujourd'hui. Les vieilles filles du XIXe étaient avant tout un problème de société, une plaie dans la vie sociale. Celles allongées sur le divan de Freud étaient plutôt vues comme des figures de la névrose, de la maladie et probablement de l'absence de morale. Aujourd'hui, être vieille fille, c'est porter sa situation comme un échec personnel. En tout cas, c'est ce que la culture veut me faire croire." Un échec personnel. Un échec si cuisant que la notion de célibat est plus acceptable si on la présente comme une expérience d'une vie à deux, mais avec soi-même ; le fameux "cultiver sa relation à soi". Un échec personnel. Ne pas être à la hauteur de ce que la société attend d'une femme. Et ce, quel que soit ce qu'on réussit à accomplir par ailleurs. Quel que soit le choix ou non pour cette vie en solitaire. Puisque l'amour d'un conjoint constitue le sommet de la hiérarchie relationnelle alors qu'il existe de multiples façons d'aimer et de nombreuses relations que Lindroth invite à découvrir ou à redécouvrir, comme l'amour pour la famille, la tribu, la flore ou la faune. (Extrait film) Alors, merle ou pas? L'on pourrait se poser la question si cet échec de la vie à deux est considéré de la même manière pour un homme? Ça tombe bien, puisque l'essayiste y a réfléchi avant d'écrire cela : "Plusieurs amis masculins prétendent que oui, mais il y a un hic. De la même manière que des termes tels que pute, traînée et mégère sont attribués à la gent féminine, traiter quelqu'un de vieille fille est une raillerie qui est traditionnellement réservée à la femme. Dans la langue suédoise, il n'y a aucun équivalent pour l'homme (Et il ne me semble pas que ce soit le cas pour la darija). Il n'y a aucun terme qui englobe à la fois un sexe, une honte et une situation familiale. Même ces ados qui restent au domicile parental jusqu'à l'âge de la retraite et au-delà, et sur lesquels on a collé l'étiquette de Peter Pan, ne sont pas dotés d'une qualification comparable. L'utilisation de la langue est révélatrice. La différence avec laquelle les médias parlent des femmes seules et des hommes seuls est abyssale (...) Un homme seul, c'est un cow-boy, un grand artiste, un célibataire aimant faire la fête - tous les rôles culturellement ou physiquement virils - mais avant tout, il est une menace sexuelle (un pédophile, un violeur, un exhibitionniste potentiel) au sujet duquel on met en garde les enfants et les femmes. Mais jamais, jamais, il n'est dépossédé de sa sexualité. Ce qui est souvent le cas des femmes telles que moi." Et cette dernière phrase me permet de faire la transition sur la forme de cet ouvrage. Un témoignage-essai, voire plus proche du témoignage que de l'essai, où Maline Lindroth se livre sans prétendre à l'exhaustivité ou à la généralisation. Elle puise dans ce qu'elle a vécu, dans ses propres expériences, dans son cheminement, dans ses anecdotes, sans dichotomie aucune. Elle n'est pas là en train de torpiller la vie à deux, ni de vanter la vie de célibataire endurcie. Comme elle le dit : "S'enfermer dans l'exclusion est aussi peu intéressant que s'enfermer dans l'inclusion. Je préfère flâner librement entre la périphérie et le centre." Je ne sais pas pour vous, mais j'aime beaucoup cette phrase : "Flâner librement entre la périphérie et le centre." Elle revendique son droit à la différence, à être une vieille fille sans être enfermée dans cette case de vieille fille.

  • Speaker #1

    (Extrait de film)

  • Speaker #0

    Lindroth pose la question qu'il faut : "Qu'est-ce qui est si dérangeant chez la vieille fille ? Que cette figure résume tout le catalogue des grandes peurs d'aujourd'hui est certainement une partie de l'explication. Elle n'est pas seulement vieille, seule, sans enfant et communément considérée comme Celle Qui N'a Rien, elle n'a même pas le bon goût d'être en phase avec notre époque." L'essayiste qualifie d'ailleurs cette époque de celle de la littéralité et de l'explicite. Puisqu'aucune équivoque n'est possible. Une époque où il n'existe, pour ainsi dire, pas d'espace pour une collision entre le hasard et le choix, le potentiel et le manque. Ce que l'autrice appelle "un état". Pour elle, nous sommes dans un temps où nous voulons des héros et des victimes. L'émoticône du pouce levé, du cœur ou du visage mécontent. Nous ne voulons surtout pas de quelqu'un qui nous rappelle que la vie est plus complexe que la somme des choix libres et conscients. La vieille fille devient une invitée mal vue dans un canapé de talk show. Mal considérée au point que beaucoup veulent spontanément proclamer sa mort. Et Lindroth de préciser : "Si, en fait, je comprends ce que disent les actrices vieillissantes qui font de la pub vantant la qualité de crèmes pour peaux matures, je ne suis simplement pas d'accord avec elles sur le fait que ce soit l'invisibilité qui rend libre. J'ai déjà été invisible, et cet état ne m'a rien apporté. Je veux que la liberté soit comme dans mon rêve. Qu'elle parle de mouvement et de regard." "La fille de 50 ans" est un récit d'une centaine de pages. Un récit très touchant, ni victimaire, ni revanchard. C'est aussi un plaidoyer pour la différence et pour le refus du pire, qui n'est pas le célibat à n'importe quel âge. Le pire étant plutôt que l'on vous oblige à être dans une vie cachée. Je m'appelle Loubna Serraj et c'était En Roue livres!, un podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres et de toutes les époques. Dans cet épisode, il était question de "La fille de 50 ans" de Malin Lindroth, traduit du suédois par Marianne Ségol-Samoy et publié chez Globe en 2021. Merci infiniment à Othmane Jmad pour la réalisation. Merci à mon amie Bouchra El Azhari pour l'accompagnement à la production. Et merci à vous d'avoir écouté En Roue livres!

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