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EN ROUE LIVRES !

'La petite femelle" de Philippe Jaenada

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14min |08/02/2025
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'La petite femelle" de Philippe Jaenada

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14min |08/02/2025
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Description

La petite femelle est l’un des livres de Philippe Jaenada aux allures d’affaire classée qui traverse le temps. Il est autant récit juridique et historique que roman biographique puisque le personnage principal, Pauline Dubuisson, a réellement existé.

Pauline Dubuisson a été la scandaleuse, la ravageuse ; celle dont la France entière réclamait la tête en 1953. Elle a été la jeune femme que tout condamne, la femme haïe... la femme dont l’écrivain découvre l’existence en lisant un ouvrage sur celles qui ont commis les plus grands crimes du XXe siècle. Intrigué, il s’intéresse à ce « petit monstre », celle que l’on a surnommée « la hyène du nord », connue pour avoir le diable au corps ; ce corps qui ne pensait qu’à coucher avec le plus grand nombre d’hommes.

Pour Jaenada, ce qu’on appelle l’affaire Dubuisson illustre la misogynie encore forte dans la France des années 50. Ni les policiers, ni les juges, ni l'opinion publique, galvanisée par des journalistes qui se sont vautré.e.s dans la surenchère, n’ont supporté l’attitude de Pauline Dubuisson. Comme il le souligne :

« Elle n’a jamais baissé la tête, ne s’est jamais tordue les doigts en sanglotant de honte comme doit le faire une femme, elle n’a pas poussé de cris hystériques ni jamais ne les suppliés de lui pardonner et cette résistance frontale, cette insolence les a rendus fous. De rage. Ils l’ont vaincue évidemment, ils l’ont détruite. »



La petite femelle de Philippe Jaenada, Julliard, 2015 (et en version poche chez Points)



Extraits sonores :

  • Interview de Philippe Jaenada, On n'est pas couché, France 2, 12 décembre 2015

  • Générique série Cold Case

  • Générique émission, Faites rentrer l'accusé

  • Conférence Jacques Vergès, La passion de défendre, Faculté de droit de Neuchâtel, 14 mai 2009

  • Podcast d’Eric Cobast, Le tour de la culture générale en 80 notions, La post-vérité

  • Reportage La tondue de Chartres, France 3 Centre-Val de Loire, 21 mars 2019



Montage et réalisation : Othmane Jmad


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans En Roue Livres!, le podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres, de toutes les époques et de tous les pays. Parce qu'ici, on n'aime pas trop les cloisonnements, pas plus que les étiquettes. En Roue Livres!, c'est une immersion dans un ouvrage avec passion, avec intérêt, mais aussi avec une bonne dose d'humour et de second degré. Je suis Loubna Serraj, les livres et moi, c'est une vieille, vieille histoire d'amour qui... contrairement à ce que chantent les Rita Mitsouko, ne finit pas mal. Enfin, je crois, du moins j'espère. Bref, les livres donc, vous l'aurez compris. Mais pas n'importe lesquels, spécialement ceux qui me font tourner la tête, le cœur ou les deux. En Roue Livres!, épisode 1, c'est parti !

  • Speaker #1

    "Oui, puisque moi au départ je me suis trompé moi aussi, je voulais écrire un livre sur une femme méchante et perverse. Je me suis rendu compte que même 60 ans plus tard... Moi, en me documentant de manière superficielle, je me compais complètement. Donc je ne me suis pas dit je vais prendre mon glaive de justicier et puis la venger. Simplement, j'ai voulu rétablir une sorte de vérité, de justice en tout cas. Je ne pense pas que c'était une femme extraordinaire, Pauline Dubuisson, mais au moins une femme normale et pas un monstre."

  • Speaker #0

    Lui, c'est l'écrivain français Philippe Jaenada, sur le plateau de l'émission On n'est pas couché du 12 décembre 2015. Et ce livre dont il parle avec humilité, mais non sans enthousiasme, c'est l'un de ses récits les plus marquants. "La petite femelle", publié aux éditions Julliard. Vous vous demandez, mais "La petite femelle", c'est quel genre littéraire au juste ? Un roman ? Un récit ? Il est autant récit juridique et historique que roman biographique, puisque le personnage principal, Pauline Dubuisson, a réellement existé. Pauline Dubuisson a été la scandaleuse, la ravageuse, celle dont la France entière réclamait la tête en 1953. Elle a été la jeune femme que tout condamne, la femme haïe, la femme dont l'écrivain découvre l'existence en lisant un ouvrage sur celles qui ont commis les plus grands crimes du XXe siècle. Intrigué, il s'intéresse à ce "petit monstre", celle que l'on a surnommée "la hyène du Nord", connue pour avoir le diable au corps, ce corps qui ne pensait qu'à coucher avec le plus grand nombre d'hommes. Place aux faits pour mieux comprendre. Nous sommes en 1951. Pauline Dubuisson est accusée d'avoir tué de sang-froid son amant par jalousie. Elle a 26 ans. L'affaire semble claire, limpide. Comme le dit Jaenada lors d'une interview :"c'était vraiment comme les jeux du cirque. Toute une société, représentée par le public, les avocats. le procureur, il y avait une sorte d'unanimité de gens et de journaux très différents". Elle échappe de justesse, d'une voix seulement, celle d'une femme, membre du jury, à la peine de mort. Puis, elle est condamnée, en 1953, aux travaux forcés à perpétuité. Alors qu'à l'époque, l'indulgence était de rigueur pour ceux qu'on qualifiait de crimes passionnels et pour lesquels on prononçait des peines de cinq années de prison maximum quand ce n'était pas l'acquittement. Pour l'anecdote, c'est ce procès auquel assiste Jacques Vergès qui lui aurait confirmé sa vocation pour le métier d'avocat.

  • Speaker #2

    "Et là nous découvrons l'évidence, à savoir qu'un dossier de justice, c'est toujours le début d'un roman, le commencement d'une tragédie. Mais ce roman et cette tragédie sont inachevés. Et de ce drame en train de se dérouler devant nous... Nous sommes, avocats successivement, les spectateurs, puis les confidents, du personnage principal, celui qui donne son nom à la tragédie, Macbeth, Othello, Faust."

  • Speaker #0

    Merci Jacques. Mais revenons à la tragédie de Pauline Dubuisson. Cette affaire qui a l'air si simple est pourtant loin de l'être. Le détective Jaenada va mener une véritable enquête d'investigation d'une année et découvrira que l'instruction a été bâclée et que le procès a été vite expédié. Il confie le résultat dans ce livre "La petite femelle" qui est triplement édifiant. D'abord, le style. Le style jainadesque, qui multiplie les digressions avec des commentaires comiques, acerbes ou nostalgiques mis entre parenthèses. Ensuite, par son regard sensible sur cette femme si incomprise. Et enfin, par le maintien du suspense d'une manière assez remarquable quand on pense que l'on connaît d'emblée l'issue de l'histoire. Et pour connaître Pauline Dubuisson, la criminelle, Jaenada commence par nous parler de ce qui s'est passé avant ce fait divers si dramatique. Dans les 300 premières pages (à ce stade si vous posez la question il y en a 700), dans les 300 premières pages donc, on apprend que Pauline est née en 1927 à Dunkerque dans le nord de la France, que c'est une petite fille précoce grâce notamment à l'éducation quasi exclusive de son père, le colonel André Dubuisson, ancien combattant de la première guerre mondiale. Un homme austère (il est même à l'austérité ce que l'eau est à l'humidité, écrit Jaenada). Ce père lui fait lire du Nietzsche à 12 ans et lui apprend à ne jamais montrer ses faiblesses ni ce qu'elle ressent. La mère, elle, est effacée et presque transparente. "Son père la traite comme un être exceptionnel. Lui passent tous ses caprices, de plus en plus fréquents, forcément. Il en fait à la fois sa prisonnière et la reine de la maison. Seul éducateur, il alterne très équitablement l'autoritarisme et le laxisme. On imagine ce que cela peut causer dans la tête d'une personne de 7 ans. Mais c'est le seul moyen qu'il a trouvé pour se sentir le droit de construire sa fille comme un bateau, de la blinder comme un cuirassé, ou de la dresser comme un pur-sang, de lui apprendre à gagner. Tout à son travail de petit créateur amateur, il oublie juste que les meilleurs des pur-sang se cabrent et ruent souvent plus que les autres d'ailleurs. Et que même un cuirassé peut couler. C'est la mer qui décide." En 1940, avec l'occupation et l'entrée des Allemands dans la ville, passage très intéressant d'ailleurs, l'adolescente est fascinée, fascinée par ses soldats. Elle est même poussée dans leurs bras par son père pour donner un coup de pouce à son entreprise familiale, spécialisée dans les travaux publics. "Pauline fera comme les pieds de vigne qu'on plante sous des tas de pierres, eux pour leur bien, du moins celui du vin qu'ils produiront. Elle va s'endurcir malgré elle, sa sexualité aussi. Elle s'aperçoit vite de deux choses. D'abord que les garçons n'ont pas les entraves, les réticences et pudeurs des filles convenablement élevées. Ils utilisent leurs propres corps sans se poser de questions, prennent ce qu'on leur propose et profitent simplement du plaisir que cela procure. Ensuite, revers de cette heureuse médaille, qu'il est assez simple de les conquérir. De triompher d'eux, dirait son père. à qui elle compte bien donner satisfaction." Au début des années 40, Pauline découvre donc la liberté et son pouvoir sur la jante masculine. Elle en joue même, et elle tombe amoureuse. D'un jeune soldat allemand, puis d'un médecin des troupes occupantes. Des amours qui lui seront reprochées des années plus tard. Mais on y reviendra... Après la guerre, elle entame des études de médecine et une liaison avec Félix Bailley, étudiant lui aussi, qui la supplie de l'épouser. Tout a l'air d'aller aussi bien que possible, sauf qu'elle hésite. Sauf qu'elle se rêve médecin, pédiatre plus précisément, et pas femme de médecin (quelle hérésie!). Sauf qu'elle ne veut pas se faire passer la corde au cou. L'expression n'est pas anodine car Félix refuse que sa femme travaille. Pauline part, revient, ne sait pas. Félix finit par se fiancer à une autre, à une autre qui n'aspire qu'à être une épouse. Cela aurait pu être une histoire banale si, en ce 17 mars 1951, Pauline ne l'avait pas tué avant de tenter de se suicider. Pauline Dubuisson a tué Félix Bailley. Il n'y a aucun doute là-dessus. Mais alors, pourquoi diable toute cette enquête ? Philippe Jaenada serait-il un adepte des vérités alternatives, des post-vérités ?

  • Speaker #3

    "Ce concept de post-truth fait son apparition en effet à la fin du XXe siècle. En 1986, le philosophe américain Harry Frankfurt publie un article intitulé 'De l'art de dire des conneries' dans lequel il établit un degré de parenté entre le mensonge (lie) et ce qu'il appelle le baratin, la connerie. C'est comme ça qu'on pourrait traduire le mot anglais bullshit"

  • Speaker #0

    Alors que le livre de Jaenada est loin de tout bullshit! Ce n'est pas le meurtre en lui-même qui est remis en cause, même si la question de la préméditation est posée. L'objectif est de s'intéresser au déroulement de l'instruction et du procès qui suivront, qui ne condamneront pas celle qui a tué mais celle qui est jugée par les journalistes et la bonne société bourgeoise comme étant trop ; trop libre, trop légère, trop intelligente, trop fière, pas assez repentante. Elle est moquée, humiliée, quitte à inventer des faits pour bien bien noircir le tableau. Jaenada écrit : "Elle sait que ce n'est pas elle qu'on juge, mais une Pauline qu'on a fabriquée et qui se substitue à elle sous ses yeux, sans qu'elle puisse intervenir. Pour tout le monde, c'est la vraie Pauline." C'est donc la cible parfaite pour la rage collective dirigée contre ces femmes qui ont eu des relations sexuelles ou qui ont été amoureuses de soldats allemands. "Ce qu'on attaque et s'allie chez ces femmes boucs-émissaires, ce n'est pas leur esprit de traîtresses, de complices de l'ennemi, on ne les emprisonne pas, on ne les traite pas de collabos, mais de salopes et de putains, on vise avant tout leur féminité, c 'est par là qu'elles sont coupables et c'est sur cela que l'on peut se défouler. Tout ce qui les différencie des hommes est bon à prendre : Leurs cheveux longs qu'on supprime, leurs robes qu'on déchire, leurs corps qu'on expose en public, leurs seins qu'on couvre de croix gammées." On retrouve cet esprit dans un reportage sur "La Tondue de Chartres", diffusé le 21 mars 2019 sur France 3 : "L'épuration en France, période noire de la libération en 44, synonyme de justice sommaire, de scènes expiatoires, de femmes brisées, comme celle immortalisée par Robert Capa dans les rues de Chartres." Pour l'écrivain, ce qu'on appelle l'affaire Dubuisson illustre la misogynie encore forte dans la France des années 50. Ni les policiers, ni les juifs, ni l'opinion publique galvanisée par des journalistes qui se sont vautrés dans la surenchère n'ont supporté l'attitude de Pauline Dubuisson. Comme le souligne l'auteur : "Elle n'a jamais baissé la tête, ne s'est jamais tordu les doigts en sanglotant de honte comme doit le faire une femme, elle n'a pas poussé des cris hystériques, ni jamais ne les a suppliés de lui pardonner. Et cette résistance frontale, cette insolence les a rendus fous. De rage. Ils l'ont vaincue. Évidemment, ils l'ont détruite." Un procès médiatique qui supplante son pendant juridique, voilà quelque chose que l'on connaît bien de nos jours. Et si vous avez un doute sur l'influence de la presse de l'époque, délestée de ces si méchants réseaux sociaux, écoutez plutôt les archives impressionnantes qu'a déterrées Philippe Jaenada: "La hyène, la salope, une misérable petite putain. Une fille sans âme, une garce, un monstre. Une meurtrière qui a tué plus qu'un homme, qui a tué la pureté. Mauvaise, féroce, perverse, diabolique, insensible, amorale, tous ces mots lui ont été appliqués, plutôt jetés dessus, dans la presse et dans les rues, partout en France. Madeleine Jacob, chroniqueuse judiciaire sans pincettes ni scrupules, a écrit dans Libération (le journal qui a été créé dans la clandestinité en 1941 et a couvert l'après-guerre jusqu'en 1964, pas celui de Sartre ou de July), Madeleine Jacob donc écrit : 'Orgueilleuse, obstinée, sensuelle, égoïste, méchante et comédienne. Tout cela se lit au premier regard sur le visage pâle, émacié de Pauline Dubuisson'." Voilà un petit échantillon de ce qui était publié à l'époque. Autant dire que Pauline Dubuisson n'avait que peu de chance, pour ne pas dire aucune, de s'attirer une quelconque empathie. Mais "La petite femelle" n'est pas qu'une tentative de réhabilitation posthume de l'écrivain. Ce livre a une réelle portée littéraire. Même si vous ne savez pas qui est Pauline Dubuisson, même si cela vous passe par-dessus la tête de revenir sur son affaire, aussi tragique soit-elle, ce roman palpitant se lit comme une enquête policière. Le récit, celui de l'intime comme celui de l'histoire, tient en haleine de la bataille de Dunkerque à la France des années pré-68. En fil conducteur, il y a cette recherche, cette volonté d'inviter les lecteurs et les lectrices à se forger leur propre opinion, loin, loin de ce tourbillon de l'époque qui a fait perdre la raison aux plus raisonnables, qui a fait choisir son camp aux plus modérés. Je finirai cet épisode d'En Roue livres! avec quelques mots de l'auteur : "On ne trouvera pas une ombre de qualité à Pauline, uniquement des défauts, et à peu près tous. C'est la ruée vers l'abject. On a du mal à croire quand on connaît vraiment sa vie, son caractère et ses actes (même si elle est loin d'être une sainte, un ange ou une nonne), mais ce jour-là, il faut être bien clairvoyant ou prendre bien du recul, dans ce gros concert d'animosité, de coups bas et d'anathèmes irrévocables, pour réussir à penser que cela ne peut pas être aussi simple, qu'il existe une possibilité pour qu'elle ne soit pas, de manière si primaire, l'incarnation même du mal... Paul Valéry aurait déclaré ou écrit, mais personne ne dit où, je ne trouve pas et j'ai la flemme de chercher partout (que ce soit lui ou ma tante n'a pas grande importance du moment qu'on est d'accord) : 'Il y a plus faux que le faux, c'est le mélange du vrai et du faux'." Pour les cinéphiles, l'histoire de Pauline Dubuisson a inspiré Henri-Georges Clouzot en 1960 dans "La Vérité" où le rôle-titre a été porté par Brigitte Bardot. Soixante et un ans plus tard, un téléfilm, beaucoup plus fidèle au récit de Jaenada, a été réalisé par Philippe Faucon sous le même titre de "La petite femelle". Je m'appelle Loubna Serraj et c'était En Roue Livres!, un podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres et de toutes les époques. Ce premier épisode était consacré à "La petite femelle" de Philippe Jaenada, publié chez Julliard en 2015 et disponible également en version poche aux éditions Point. Merci à Othmane Jmad pour la réalisation et merci à mon amie Bouchra El Azhari pour l'accompagnement à la production. Et merci surtout à vous d'avoir écouté En Roue Livres!

Description

La petite femelle est l’un des livres de Philippe Jaenada aux allures d’affaire classée qui traverse le temps. Il est autant récit juridique et historique que roman biographique puisque le personnage principal, Pauline Dubuisson, a réellement existé.

Pauline Dubuisson a été la scandaleuse, la ravageuse ; celle dont la France entière réclamait la tête en 1953. Elle a été la jeune femme que tout condamne, la femme haïe... la femme dont l’écrivain découvre l’existence en lisant un ouvrage sur celles qui ont commis les plus grands crimes du XXe siècle. Intrigué, il s’intéresse à ce « petit monstre », celle que l’on a surnommée « la hyène du nord », connue pour avoir le diable au corps ; ce corps qui ne pensait qu’à coucher avec le plus grand nombre d’hommes.

Pour Jaenada, ce qu’on appelle l’affaire Dubuisson illustre la misogynie encore forte dans la France des années 50. Ni les policiers, ni les juges, ni l'opinion publique, galvanisée par des journalistes qui se sont vautré.e.s dans la surenchère, n’ont supporté l’attitude de Pauline Dubuisson. Comme il le souligne :

« Elle n’a jamais baissé la tête, ne s’est jamais tordue les doigts en sanglotant de honte comme doit le faire une femme, elle n’a pas poussé de cris hystériques ni jamais ne les suppliés de lui pardonner et cette résistance frontale, cette insolence les a rendus fous. De rage. Ils l’ont vaincue évidemment, ils l’ont détruite. »



La petite femelle de Philippe Jaenada, Julliard, 2015 (et en version poche chez Points)



Extraits sonores :

  • Interview de Philippe Jaenada, On n'est pas couché, France 2, 12 décembre 2015

  • Générique série Cold Case

  • Générique émission, Faites rentrer l'accusé

  • Conférence Jacques Vergès, La passion de défendre, Faculté de droit de Neuchâtel, 14 mai 2009

  • Podcast d’Eric Cobast, Le tour de la culture générale en 80 notions, La post-vérité

  • Reportage La tondue de Chartres, France 3 Centre-Val de Loire, 21 mars 2019



Montage et réalisation : Othmane Jmad


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans En Roue Livres!, le podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres, de toutes les époques et de tous les pays. Parce qu'ici, on n'aime pas trop les cloisonnements, pas plus que les étiquettes. En Roue Livres!, c'est une immersion dans un ouvrage avec passion, avec intérêt, mais aussi avec une bonne dose d'humour et de second degré. Je suis Loubna Serraj, les livres et moi, c'est une vieille, vieille histoire d'amour qui... contrairement à ce que chantent les Rita Mitsouko, ne finit pas mal. Enfin, je crois, du moins j'espère. Bref, les livres donc, vous l'aurez compris. Mais pas n'importe lesquels, spécialement ceux qui me font tourner la tête, le cœur ou les deux. En Roue Livres!, épisode 1, c'est parti !

  • Speaker #1

    "Oui, puisque moi au départ je me suis trompé moi aussi, je voulais écrire un livre sur une femme méchante et perverse. Je me suis rendu compte que même 60 ans plus tard... Moi, en me documentant de manière superficielle, je me compais complètement. Donc je ne me suis pas dit je vais prendre mon glaive de justicier et puis la venger. Simplement, j'ai voulu rétablir une sorte de vérité, de justice en tout cas. Je ne pense pas que c'était une femme extraordinaire, Pauline Dubuisson, mais au moins une femme normale et pas un monstre."

  • Speaker #0

    Lui, c'est l'écrivain français Philippe Jaenada, sur le plateau de l'émission On n'est pas couché du 12 décembre 2015. Et ce livre dont il parle avec humilité, mais non sans enthousiasme, c'est l'un de ses récits les plus marquants. "La petite femelle", publié aux éditions Julliard. Vous vous demandez, mais "La petite femelle", c'est quel genre littéraire au juste ? Un roman ? Un récit ? Il est autant récit juridique et historique que roman biographique, puisque le personnage principal, Pauline Dubuisson, a réellement existé. Pauline Dubuisson a été la scandaleuse, la ravageuse, celle dont la France entière réclamait la tête en 1953. Elle a été la jeune femme que tout condamne, la femme haïe, la femme dont l'écrivain découvre l'existence en lisant un ouvrage sur celles qui ont commis les plus grands crimes du XXe siècle. Intrigué, il s'intéresse à ce "petit monstre", celle que l'on a surnommée "la hyène du Nord", connue pour avoir le diable au corps, ce corps qui ne pensait qu'à coucher avec le plus grand nombre d'hommes. Place aux faits pour mieux comprendre. Nous sommes en 1951. Pauline Dubuisson est accusée d'avoir tué de sang-froid son amant par jalousie. Elle a 26 ans. L'affaire semble claire, limpide. Comme le dit Jaenada lors d'une interview :"c'était vraiment comme les jeux du cirque. Toute une société, représentée par le public, les avocats. le procureur, il y avait une sorte d'unanimité de gens et de journaux très différents". Elle échappe de justesse, d'une voix seulement, celle d'une femme, membre du jury, à la peine de mort. Puis, elle est condamnée, en 1953, aux travaux forcés à perpétuité. Alors qu'à l'époque, l'indulgence était de rigueur pour ceux qu'on qualifiait de crimes passionnels et pour lesquels on prononçait des peines de cinq années de prison maximum quand ce n'était pas l'acquittement. Pour l'anecdote, c'est ce procès auquel assiste Jacques Vergès qui lui aurait confirmé sa vocation pour le métier d'avocat.

  • Speaker #2

    "Et là nous découvrons l'évidence, à savoir qu'un dossier de justice, c'est toujours le début d'un roman, le commencement d'une tragédie. Mais ce roman et cette tragédie sont inachevés. Et de ce drame en train de se dérouler devant nous... Nous sommes, avocats successivement, les spectateurs, puis les confidents, du personnage principal, celui qui donne son nom à la tragédie, Macbeth, Othello, Faust."

  • Speaker #0

    Merci Jacques. Mais revenons à la tragédie de Pauline Dubuisson. Cette affaire qui a l'air si simple est pourtant loin de l'être. Le détective Jaenada va mener une véritable enquête d'investigation d'une année et découvrira que l'instruction a été bâclée et que le procès a été vite expédié. Il confie le résultat dans ce livre "La petite femelle" qui est triplement édifiant. D'abord, le style. Le style jainadesque, qui multiplie les digressions avec des commentaires comiques, acerbes ou nostalgiques mis entre parenthèses. Ensuite, par son regard sensible sur cette femme si incomprise. Et enfin, par le maintien du suspense d'une manière assez remarquable quand on pense que l'on connaît d'emblée l'issue de l'histoire. Et pour connaître Pauline Dubuisson, la criminelle, Jaenada commence par nous parler de ce qui s'est passé avant ce fait divers si dramatique. Dans les 300 premières pages (à ce stade si vous posez la question il y en a 700), dans les 300 premières pages donc, on apprend que Pauline est née en 1927 à Dunkerque dans le nord de la France, que c'est une petite fille précoce grâce notamment à l'éducation quasi exclusive de son père, le colonel André Dubuisson, ancien combattant de la première guerre mondiale. Un homme austère (il est même à l'austérité ce que l'eau est à l'humidité, écrit Jaenada). Ce père lui fait lire du Nietzsche à 12 ans et lui apprend à ne jamais montrer ses faiblesses ni ce qu'elle ressent. La mère, elle, est effacée et presque transparente. "Son père la traite comme un être exceptionnel. Lui passent tous ses caprices, de plus en plus fréquents, forcément. Il en fait à la fois sa prisonnière et la reine de la maison. Seul éducateur, il alterne très équitablement l'autoritarisme et le laxisme. On imagine ce que cela peut causer dans la tête d'une personne de 7 ans. Mais c'est le seul moyen qu'il a trouvé pour se sentir le droit de construire sa fille comme un bateau, de la blinder comme un cuirassé, ou de la dresser comme un pur-sang, de lui apprendre à gagner. Tout à son travail de petit créateur amateur, il oublie juste que les meilleurs des pur-sang se cabrent et ruent souvent plus que les autres d'ailleurs. Et que même un cuirassé peut couler. C'est la mer qui décide." En 1940, avec l'occupation et l'entrée des Allemands dans la ville, passage très intéressant d'ailleurs, l'adolescente est fascinée, fascinée par ses soldats. Elle est même poussée dans leurs bras par son père pour donner un coup de pouce à son entreprise familiale, spécialisée dans les travaux publics. "Pauline fera comme les pieds de vigne qu'on plante sous des tas de pierres, eux pour leur bien, du moins celui du vin qu'ils produiront. Elle va s'endurcir malgré elle, sa sexualité aussi. Elle s'aperçoit vite de deux choses. D'abord que les garçons n'ont pas les entraves, les réticences et pudeurs des filles convenablement élevées. Ils utilisent leurs propres corps sans se poser de questions, prennent ce qu'on leur propose et profitent simplement du plaisir que cela procure. Ensuite, revers de cette heureuse médaille, qu'il est assez simple de les conquérir. De triompher d'eux, dirait son père. à qui elle compte bien donner satisfaction." Au début des années 40, Pauline découvre donc la liberté et son pouvoir sur la jante masculine. Elle en joue même, et elle tombe amoureuse. D'un jeune soldat allemand, puis d'un médecin des troupes occupantes. Des amours qui lui seront reprochées des années plus tard. Mais on y reviendra... Après la guerre, elle entame des études de médecine et une liaison avec Félix Bailley, étudiant lui aussi, qui la supplie de l'épouser. Tout a l'air d'aller aussi bien que possible, sauf qu'elle hésite. Sauf qu'elle se rêve médecin, pédiatre plus précisément, et pas femme de médecin (quelle hérésie!). Sauf qu'elle ne veut pas se faire passer la corde au cou. L'expression n'est pas anodine car Félix refuse que sa femme travaille. Pauline part, revient, ne sait pas. Félix finit par se fiancer à une autre, à une autre qui n'aspire qu'à être une épouse. Cela aurait pu être une histoire banale si, en ce 17 mars 1951, Pauline ne l'avait pas tué avant de tenter de se suicider. Pauline Dubuisson a tué Félix Bailley. Il n'y a aucun doute là-dessus. Mais alors, pourquoi diable toute cette enquête ? Philippe Jaenada serait-il un adepte des vérités alternatives, des post-vérités ?

  • Speaker #3

    "Ce concept de post-truth fait son apparition en effet à la fin du XXe siècle. En 1986, le philosophe américain Harry Frankfurt publie un article intitulé 'De l'art de dire des conneries' dans lequel il établit un degré de parenté entre le mensonge (lie) et ce qu'il appelle le baratin, la connerie. C'est comme ça qu'on pourrait traduire le mot anglais bullshit"

  • Speaker #0

    Alors que le livre de Jaenada est loin de tout bullshit! Ce n'est pas le meurtre en lui-même qui est remis en cause, même si la question de la préméditation est posée. L'objectif est de s'intéresser au déroulement de l'instruction et du procès qui suivront, qui ne condamneront pas celle qui a tué mais celle qui est jugée par les journalistes et la bonne société bourgeoise comme étant trop ; trop libre, trop légère, trop intelligente, trop fière, pas assez repentante. Elle est moquée, humiliée, quitte à inventer des faits pour bien bien noircir le tableau. Jaenada écrit : "Elle sait que ce n'est pas elle qu'on juge, mais une Pauline qu'on a fabriquée et qui se substitue à elle sous ses yeux, sans qu'elle puisse intervenir. Pour tout le monde, c'est la vraie Pauline." C'est donc la cible parfaite pour la rage collective dirigée contre ces femmes qui ont eu des relations sexuelles ou qui ont été amoureuses de soldats allemands. "Ce qu'on attaque et s'allie chez ces femmes boucs-émissaires, ce n'est pas leur esprit de traîtresses, de complices de l'ennemi, on ne les emprisonne pas, on ne les traite pas de collabos, mais de salopes et de putains, on vise avant tout leur féminité, c 'est par là qu'elles sont coupables et c'est sur cela que l'on peut se défouler. Tout ce qui les différencie des hommes est bon à prendre : Leurs cheveux longs qu'on supprime, leurs robes qu'on déchire, leurs corps qu'on expose en public, leurs seins qu'on couvre de croix gammées." On retrouve cet esprit dans un reportage sur "La Tondue de Chartres", diffusé le 21 mars 2019 sur France 3 : "L'épuration en France, période noire de la libération en 44, synonyme de justice sommaire, de scènes expiatoires, de femmes brisées, comme celle immortalisée par Robert Capa dans les rues de Chartres." Pour l'écrivain, ce qu'on appelle l'affaire Dubuisson illustre la misogynie encore forte dans la France des années 50. Ni les policiers, ni les juifs, ni l'opinion publique galvanisée par des journalistes qui se sont vautrés dans la surenchère n'ont supporté l'attitude de Pauline Dubuisson. Comme le souligne l'auteur : "Elle n'a jamais baissé la tête, ne s'est jamais tordu les doigts en sanglotant de honte comme doit le faire une femme, elle n'a pas poussé des cris hystériques, ni jamais ne les a suppliés de lui pardonner. Et cette résistance frontale, cette insolence les a rendus fous. De rage. Ils l'ont vaincue. Évidemment, ils l'ont détruite." Un procès médiatique qui supplante son pendant juridique, voilà quelque chose que l'on connaît bien de nos jours. Et si vous avez un doute sur l'influence de la presse de l'époque, délestée de ces si méchants réseaux sociaux, écoutez plutôt les archives impressionnantes qu'a déterrées Philippe Jaenada: "La hyène, la salope, une misérable petite putain. Une fille sans âme, une garce, un monstre. Une meurtrière qui a tué plus qu'un homme, qui a tué la pureté. Mauvaise, féroce, perverse, diabolique, insensible, amorale, tous ces mots lui ont été appliqués, plutôt jetés dessus, dans la presse et dans les rues, partout en France. Madeleine Jacob, chroniqueuse judiciaire sans pincettes ni scrupules, a écrit dans Libération (le journal qui a été créé dans la clandestinité en 1941 et a couvert l'après-guerre jusqu'en 1964, pas celui de Sartre ou de July), Madeleine Jacob donc écrit : 'Orgueilleuse, obstinée, sensuelle, égoïste, méchante et comédienne. Tout cela se lit au premier regard sur le visage pâle, émacié de Pauline Dubuisson'." Voilà un petit échantillon de ce qui était publié à l'époque. Autant dire que Pauline Dubuisson n'avait que peu de chance, pour ne pas dire aucune, de s'attirer une quelconque empathie. Mais "La petite femelle" n'est pas qu'une tentative de réhabilitation posthume de l'écrivain. Ce livre a une réelle portée littéraire. Même si vous ne savez pas qui est Pauline Dubuisson, même si cela vous passe par-dessus la tête de revenir sur son affaire, aussi tragique soit-elle, ce roman palpitant se lit comme une enquête policière. Le récit, celui de l'intime comme celui de l'histoire, tient en haleine de la bataille de Dunkerque à la France des années pré-68. En fil conducteur, il y a cette recherche, cette volonté d'inviter les lecteurs et les lectrices à se forger leur propre opinion, loin, loin de ce tourbillon de l'époque qui a fait perdre la raison aux plus raisonnables, qui a fait choisir son camp aux plus modérés. Je finirai cet épisode d'En Roue livres! avec quelques mots de l'auteur : "On ne trouvera pas une ombre de qualité à Pauline, uniquement des défauts, et à peu près tous. C'est la ruée vers l'abject. On a du mal à croire quand on connaît vraiment sa vie, son caractère et ses actes (même si elle est loin d'être une sainte, un ange ou une nonne), mais ce jour-là, il faut être bien clairvoyant ou prendre bien du recul, dans ce gros concert d'animosité, de coups bas et d'anathèmes irrévocables, pour réussir à penser que cela ne peut pas être aussi simple, qu'il existe une possibilité pour qu'elle ne soit pas, de manière si primaire, l'incarnation même du mal... Paul Valéry aurait déclaré ou écrit, mais personne ne dit où, je ne trouve pas et j'ai la flemme de chercher partout (que ce soit lui ou ma tante n'a pas grande importance du moment qu'on est d'accord) : 'Il y a plus faux que le faux, c'est le mélange du vrai et du faux'." Pour les cinéphiles, l'histoire de Pauline Dubuisson a inspiré Henri-Georges Clouzot en 1960 dans "La Vérité" où le rôle-titre a été porté par Brigitte Bardot. Soixante et un ans plus tard, un téléfilm, beaucoup plus fidèle au récit de Jaenada, a été réalisé par Philippe Faucon sous le même titre de "La petite femelle". Je m'appelle Loubna Serraj et c'était En Roue Livres!, un podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres et de toutes les époques. Ce premier épisode était consacré à "La petite femelle" de Philippe Jaenada, publié chez Julliard en 2015 et disponible également en version poche aux éditions Point. Merci à Othmane Jmad pour la réalisation et merci à mon amie Bouchra El Azhari pour l'accompagnement à la production. Et merci surtout à vous d'avoir écouté En Roue Livres!

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Description

La petite femelle est l’un des livres de Philippe Jaenada aux allures d’affaire classée qui traverse le temps. Il est autant récit juridique et historique que roman biographique puisque le personnage principal, Pauline Dubuisson, a réellement existé.

Pauline Dubuisson a été la scandaleuse, la ravageuse ; celle dont la France entière réclamait la tête en 1953. Elle a été la jeune femme que tout condamne, la femme haïe... la femme dont l’écrivain découvre l’existence en lisant un ouvrage sur celles qui ont commis les plus grands crimes du XXe siècle. Intrigué, il s’intéresse à ce « petit monstre », celle que l’on a surnommée « la hyène du nord », connue pour avoir le diable au corps ; ce corps qui ne pensait qu’à coucher avec le plus grand nombre d’hommes.

Pour Jaenada, ce qu’on appelle l’affaire Dubuisson illustre la misogynie encore forte dans la France des années 50. Ni les policiers, ni les juges, ni l'opinion publique, galvanisée par des journalistes qui se sont vautré.e.s dans la surenchère, n’ont supporté l’attitude de Pauline Dubuisson. Comme il le souligne :

« Elle n’a jamais baissé la tête, ne s’est jamais tordue les doigts en sanglotant de honte comme doit le faire une femme, elle n’a pas poussé de cris hystériques ni jamais ne les suppliés de lui pardonner et cette résistance frontale, cette insolence les a rendus fous. De rage. Ils l’ont vaincue évidemment, ils l’ont détruite. »



La petite femelle de Philippe Jaenada, Julliard, 2015 (et en version poche chez Points)



Extraits sonores :

  • Interview de Philippe Jaenada, On n'est pas couché, France 2, 12 décembre 2015

  • Générique série Cold Case

  • Générique émission, Faites rentrer l'accusé

  • Conférence Jacques Vergès, La passion de défendre, Faculté de droit de Neuchâtel, 14 mai 2009

  • Podcast d’Eric Cobast, Le tour de la culture générale en 80 notions, La post-vérité

  • Reportage La tondue de Chartres, France 3 Centre-Val de Loire, 21 mars 2019



Montage et réalisation : Othmane Jmad


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans En Roue Livres!, le podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres, de toutes les époques et de tous les pays. Parce qu'ici, on n'aime pas trop les cloisonnements, pas plus que les étiquettes. En Roue Livres!, c'est une immersion dans un ouvrage avec passion, avec intérêt, mais aussi avec une bonne dose d'humour et de second degré. Je suis Loubna Serraj, les livres et moi, c'est une vieille, vieille histoire d'amour qui... contrairement à ce que chantent les Rita Mitsouko, ne finit pas mal. Enfin, je crois, du moins j'espère. Bref, les livres donc, vous l'aurez compris. Mais pas n'importe lesquels, spécialement ceux qui me font tourner la tête, le cœur ou les deux. En Roue Livres!, épisode 1, c'est parti !

  • Speaker #1

    "Oui, puisque moi au départ je me suis trompé moi aussi, je voulais écrire un livre sur une femme méchante et perverse. Je me suis rendu compte que même 60 ans plus tard... Moi, en me documentant de manière superficielle, je me compais complètement. Donc je ne me suis pas dit je vais prendre mon glaive de justicier et puis la venger. Simplement, j'ai voulu rétablir une sorte de vérité, de justice en tout cas. Je ne pense pas que c'était une femme extraordinaire, Pauline Dubuisson, mais au moins une femme normale et pas un monstre."

  • Speaker #0

    Lui, c'est l'écrivain français Philippe Jaenada, sur le plateau de l'émission On n'est pas couché du 12 décembre 2015. Et ce livre dont il parle avec humilité, mais non sans enthousiasme, c'est l'un de ses récits les plus marquants. "La petite femelle", publié aux éditions Julliard. Vous vous demandez, mais "La petite femelle", c'est quel genre littéraire au juste ? Un roman ? Un récit ? Il est autant récit juridique et historique que roman biographique, puisque le personnage principal, Pauline Dubuisson, a réellement existé. Pauline Dubuisson a été la scandaleuse, la ravageuse, celle dont la France entière réclamait la tête en 1953. Elle a été la jeune femme que tout condamne, la femme haïe, la femme dont l'écrivain découvre l'existence en lisant un ouvrage sur celles qui ont commis les plus grands crimes du XXe siècle. Intrigué, il s'intéresse à ce "petit monstre", celle que l'on a surnommée "la hyène du Nord", connue pour avoir le diable au corps, ce corps qui ne pensait qu'à coucher avec le plus grand nombre d'hommes. Place aux faits pour mieux comprendre. Nous sommes en 1951. Pauline Dubuisson est accusée d'avoir tué de sang-froid son amant par jalousie. Elle a 26 ans. L'affaire semble claire, limpide. Comme le dit Jaenada lors d'une interview :"c'était vraiment comme les jeux du cirque. Toute une société, représentée par le public, les avocats. le procureur, il y avait une sorte d'unanimité de gens et de journaux très différents". Elle échappe de justesse, d'une voix seulement, celle d'une femme, membre du jury, à la peine de mort. Puis, elle est condamnée, en 1953, aux travaux forcés à perpétuité. Alors qu'à l'époque, l'indulgence était de rigueur pour ceux qu'on qualifiait de crimes passionnels et pour lesquels on prononçait des peines de cinq années de prison maximum quand ce n'était pas l'acquittement. Pour l'anecdote, c'est ce procès auquel assiste Jacques Vergès qui lui aurait confirmé sa vocation pour le métier d'avocat.

  • Speaker #2

    "Et là nous découvrons l'évidence, à savoir qu'un dossier de justice, c'est toujours le début d'un roman, le commencement d'une tragédie. Mais ce roman et cette tragédie sont inachevés. Et de ce drame en train de se dérouler devant nous... Nous sommes, avocats successivement, les spectateurs, puis les confidents, du personnage principal, celui qui donne son nom à la tragédie, Macbeth, Othello, Faust."

  • Speaker #0

    Merci Jacques. Mais revenons à la tragédie de Pauline Dubuisson. Cette affaire qui a l'air si simple est pourtant loin de l'être. Le détective Jaenada va mener une véritable enquête d'investigation d'une année et découvrira que l'instruction a été bâclée et que le procès a été vite expédié. Il confie le résultat dans ce livre "La petite femelle" qui est triplement édifiant. D'abord, le style. Le style jainadesque, qui multiplie les digressions avec des commentaires comiques, acerbes ou nostalgiques mis entre parenthèses. Ensuite, par son regard sensible sur cette femme si incomprise. Et enfin, par le maintien du suspense d'une manière assez remarquable quand on pense que l'on connaît d'emblée l'issue de l'histoire. Et pour connaître Pauline Dubuisson, la criminelle, Jaenada commence par nous parler de ce qui s'est passé avant ce fait divers si dramatique. Dans les 300 premières pages (à ce stade si vous posez la question il y en a 700), dans les 300 premières pages donc, on apprend que Pauline est née en 1927 à Dunkerque dans le nord de la France, que c'est une petite fille précoce grâce notamment à l'éducation quasi exclusive de son père, le colonel André Dubuisson, ancien combattant de la première guerre mondiale. Un homme austère (il est même à l'austérité ce que l'eau est à l'humidité, écrit Jaenada). Ce père lui fait lire du Nietzsche à 12 ans et lui apprend à ne jamais montrer ses faiblesses ni ce qu'elle ressent. La mère, elle, est effacée et presque transparente. "Son père la traite comme un être exceptionnel. Lui passent tous ses caprices, de plus en plus fréquents, forcément. Il en fait à la fois sa prisonnière et la reine de la maison. Seul éducateur, il alterne très équitablement l'autoritarisme et le laxisme. On imagine ce que cela peut causer dans la tête d'une personne de 7 ans. Mais c'est le seul moyen qu'il a trouvé pour se sentir le droit de construire sa fille comme un bateau, de la blinder comme un cuirassé, ou de la dresser comme un pur-sang, de lui apprendre à gagner. Tout à son travail de petit créateur amateur, il oublie juste que les meilleurs des pur-sang se cabrent et ruent souvent plus que les autres d'ailleurs. Et que même un cuirassé peut couler. C'est la mer qui décide." En 1940, avec l'occupation et l'entrée des Allemands dans la ville, passage très intéressant d'ailleurs, l'adolescente est fascinée, fascinée par ses soldats. Elle est même poussée dans leurs bras par son père pour donner un coup de pouce à son entreprise familiale, spécialisée dans les travaux publics. "Pauline fera comme les pieds de vigne qu'on plante sous des tas de pierres, eux pour leur bien, du moins celui du vin qu'ils produiront. Elle va s'endurcir malgré elle, sa sexualité aussi. Elle s'aperçoit vite de deux choses. D'abord que les garçons n'ont pas les entraves, les réticences et pudeurs des filles convenablement élevées. Ils utilisent leurs propres corps sans se poser de questions, prennent ce qu'on leur propose et profitent simplement du plaisir que cela procure. Ensuite, revers de cette heureuse médaille, qu'il est assez simple de les conquérir. De triompher d'eux, dirait son père. à qui elle compte bien donner satisfaction." Au début des années 40, Pauline découvre donc la liberté et son pouvoir sur la jante masculine. Elle en joue même, et elle tombe amoureuse. D'un jeune soldat allemand, puis d'un médecin des troupes occupantes. Des amours qui lui seront reprochées des années plus tard. Mais on y reviendra... Après la guerre, elle entame des études de médecine et une liaison avec Félix Bailley, étudiant lui aussi, qui la supplie de l'épouser. Tout a l'air d'aller aussi bien que possible, sauf qu'elle hésite. Sauf qu'elle se rêve médecin, pédiatre plus précisément, et pas femme de médecin (quelle hérésie!). Sauf qu'elle ne veut pas se faire passer la corde au cou. L'expression n'est pas anodine car Félix refuse que sa femme travaille. Pauline part, revient, ne sait pas. Félix finit par se fiancer à une autre, à une autre qui n'aspire qu'à être une épouse. Cela aurait pu être une histoire banale si, en ce 17 mars 1951, Pauline ne l'avait pas tué avant de tenter de se suicider. Pauline Dubuisson a tué Félix Bailley. Il n'y a aucun doute là-dessus. Mais alors, pourquoi diable toute cette enquête ? Philippe Jaenada serait-il un adepte des vérités alternatives, des post-vérités ?

  • Speaker #3

    "Ce concept de post-truth fait son apparition en effet à la fin du XXe siècle. En 1986, le philosophe américain Harry Frankfurt publie un article intitulé 'De l'art de dire des conneries' dans lequel il établit un degré de parenté entre le mensonge (lie) et ce qu'il appelle le baratin, la connerie. C'est comme ça qu'on pourrait traduire le mot anglais bullshit"

  • Speaker #0

    Alors que le livre de Jaenada est loin de tout bullshit! Ce n'est pas le meurtre en lui-même qui est remis en cause, même si la question de la préméditation est posée. L'objectif est de s'intéresser au déroulement de l'instruction et du procès qui suivront, qui ne condamneront pas celle qui a tué mais celle qui est jugée par les journalistes et la bonne société bourgeoise comme étant trop ; trop libre, trop légère, trop intelligente, trop fière, pas assez repentante. Elle est moquée, humiliée, quitte à inventer des faits pour bien bien noircir le tableau. Jaenada écrit : "Elle sait que ce n'est pas elle qu'on juge, mais une Pauline qu'on a fabriquée et qui se substitue à elle sous ses yeux, sans qu'elle puisse intervenir. Pour tout le monde, c'est la vraie Pauline." C'est donc la cible parfaite pour la rage collective dirigée contre ces femmes qui ont eu des relations sexuelles ou qui ont été amoureuses de soldats allemands. "Ce qu'on attaque et s'allie chez ces femmes boucs-émissaires, ce n'est pas leur esprit de traîtresses, de complices de l'ennemi, on ne les emprisonne pas, on ne les traite pas de collabos, mais de salopes et de putains, on vise avant tout leur féminité, c 'est par là qu'elles sont coupables et c'est sur cela que l'on peut se défouler. Tout ce qui les différencie des hommes est bon à prendre : Leurs cheveux longs qu'on supprime, leurs robes qu'on déchire, leurs corps qu'on expose en public, leurs seins qu'on couvre de croix gammées." On retrouve cet esprit dans un reportage sur "La Tondue de Chartres", diffusé le 21 mars 2019 sur France 3 : "L'épuration en France, période noire de la libération en 44, synonyme de justice sommaire, de scènes expiatoires, de femmes brisées, comme celle immortalisée par Robert Capa dans les rues de Chartres." Pour l'écrivain, ce qu'on appelle l'affaire Dubuisson illustre la misogynie encore forte dans la France des années 50. Ni les policiers, ni les juifs, ni l'opinion publique galvanisée par des journalistes qui se sont vautrés dans la surenchère n'ont supporté l'attitude de Pauline Dubuisson. Comme le souligne l'auteur : "Elle n'a jamais baissé la tête, ne s'est jamais tordu les doigts en sanglotant de honte comme doit le faire une femme, elle n'a pas poussé des cris hystériques, ni jamais ne les a suppliés de lui pardonner. Et cette résistance frontale, cette insolence les a rendus fous. De rage. Ils l'ont vaincue. Évidemment, ils l'ont détruite." Un procès médiatique qui supplante son pendant juridique, voilà quelque chose que l'on connaît bien de nos jours. Et si vous avez un doute sur l'influence de la presse de l'époque, délestée de ces si méchants réseaux sociaux, écoutez plutôt les archives impressionnantes qu'a déterrées Philippe Jaenada: "La hyène, la salope, une misérable petite putain. Une fille sans âme, une garce, un monstre. Une meurtrière qui a tué plus qu'un homme, qui a tué la pureté. Mauvaise, féroce, perverse, diabolique, insensible, amorale, tous ces mots lui ont été appliqués, plutôt jetés dessus, dans la presse et dans les rues, partout en France. Madeleine Jacob, chroniqueuse judiciaire sans pincettes ni scrupules, a écrit dans Libération (le journal qui a été créé dans la clandestinité en 1941 et a couvert l'après-guerre jusqu'en 1964, pas celui de Sartre ou de July), Madeleine Jacob donc écrit : 'Orgueilleuse, obstinée, sensuelle, égoïste, méchante et comédienne. Tout cela se lit au premier regard sur le visage pâle, émacié de Pauline Dubuisson'." Voilà un petit échantillon de ce qui était publié à l'époque. Autant dire que Pauline Dubuisson n'avait que peu de chance, pour ne pas dire aucune, de s'attirer une quelconque empathie. Mais "La petite femelle" n'est pas qu'une tentative de réhabilitation posthume de l'écrivain. Ce livre a une réelle portée littéraire. Même si vous ne savez pas qui est Pauline Dubuisson, même si cela vous passe par-dessus la tête de revenir sur son affaire, aussi tragique soit-elle, ce roman palpitant se lit comme une enquête policière. Le récit, celui de l'intime comme celui de l'histoire, tient en haleine de la bataille de Dunkerque à la France des années pré-68. En fil conducteur, il y a cette recherche, cette volonté d'inviter les lecteurs et les lectrices à se forger leur propre opinion, loin, loin de ce tourbillon de l'époque qui a fait perdre la raison aux plus raisonnables, qui a fait choisir son camp aux plus modérés. Je finirai cet épisode d'En Roue livres! avec quelques mots de l'auteur : "On ne trouvera pas une ombre de qualité à Pauline, uniquement des défauts, et à peu près tous. C'est la ruée vers l'abject. On a du mal à croire quand on connaît vraiment sa vie, son caractère et ses actes (même si elle est loin d'être une sainte, un ange ou une nonne), mais ce jour-là, il faut être bien clairvoyant ou prendre bien du recul, dans ce gros concert d'animosité, de coups bas et d'anathèmes irrévocables, pour réussir à penser que cela ne peut pas être aussi simple, qu'il existe une possibilité pour qu'elle ne soit pas, de manière si primaire, l'incarnation même du mal... Paul Valéry aurait déclaré ou écrit, mais personne ne dit où, je ne trouve pas et j'ai la flemme de chercher partout (que ce soit lui ou ma tante n'a pas grande importance du moment qu'on est d'accord) : 'Il y a plus faux que le faux, c'est le mélange du vrai et du faux'." Pour les cinéphiles, l'histoire de Pauline Dubuisson a inspiré Henri-Georges Clouzot en 1960 dans "La Vérité" où le rôle-titre a été porté par Brigitte Bardot. Soixante et un ans plus tard, un téléfilm, beaucoup plus fidèle au récit de Jaenada, a été réalisé par Philippe Faucon sous le même titre de "La petite femelle". Je m'appelle Loubna Serraj et c'était En Roue Livres!, un podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres et de toutes les époques. Ce premier épisode était consacré à "La petite femelle" de Philippe Jaenada, publié chez Julliard en 2015 et disponible également en version poche aux éditions Point. Merci à Othmane Jmad pour la réalisation et merci à mon amie Bouchra El Azhari pour l'accompagnement à la production. Et merci surtout à vous d'avoir écouté En Roue Livres!

Description

La petite femelle est l’un des livres de Philippe Jaenada aux allures d’affaire classée qui traverse le temps. Il est autant récit juridique et historique que roman biographique puisque le personnage principal, Pauline Dubuisson, a réellement existé.

Pauline Dubuisson a été la scandaleuse, la ravageuse ; celle dont la France entière réclamait la tête en 1953. Elle a été la jeune femme que tout condamne, la femme haïe... la femme dont l’écrivain découvre l’existence en lisant un ouvrage sur celles qui ont commis les plus grands crimes du XXe siècle. Intrigué, il s’intéresse à ce « petit monstre », celle que l’on a surnommée « la hyène du nord », connue pour avoir le diable au corps ; ce corps qui ne pensait qu’à coucher avec le plus grand nombre d’hommes.

Pour Jaenada, ce qu’on appelle l’affaire Dubuisson illustre la misogynie encore forte dans la France des années 50. Ni les policiers, ni les juges, ni l'opinion publique, galvanisée par des journalistes qui se sont vautré.e.s dans la surenchère, n’ont supporté l’attitude de Pauline Dubuisson. Comme il le souligne :

« Elle n’a jamais baissé la tête, ne s’est jamais tordue les doigts en sanglotant de honte comme doit le faire une femme, elle n’a pas poussé de cris hystériques ni jamais ne les suppliés de lui pardonner et cette résistance frontale, cette insolence les a rendus fous. De rage. Ils l’ont vaincue évidemment, ils l’ont détruite. »



La petite femelle de Philippe Jaenada, Julliard, 2015 (et en version poche chez Points)



Extraits sonores :

  • Interview de Philippe Jaenada, On n'est pas couché, France 2, 12 décembre 2015

  • Générique série Cold Case

  • Générique émission, Faites rentrer l'accusé

  • Conférence Jacques Vergès, La passion de défendre, Faculté de droit de Neuchâtel, 14 mai 2009

  • Podcast d’Eric Cobast, Le tour de la culture générale en 80 notions, La post-vérité

  • Reportage La tondue de Chartres, France 3 Centre-Val de Loire, 21 mars 2019



Montage et réalisation : Othmane Jmad


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans En Roue Livres!, le podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres, de toutes les époques et de tous les pays. Parce qu'ici, on n'aime pas trop les cloisonnements, pas plus que les étiquettes. En Roue Livres!, c'est une immersion dans un ouvrage avec passion, avec intérêt, mais aussi avec une bonne dose d'humour et de second degré. Je suis Loubna Serraj, les livres et moi, c'est une vieille, vieille histoire d'amour qui... contrairement à ce que chantent les Rita Mitsouko, ne finit pas mal. Enfin, je crois, du moins j'espère. Bref, les livres donc, vous l'aurez compris. Mais pas n'importe lesquels, spécialement ceux qui me font tourner la tête, le cœur ou les deux. En Roue Livres!, épisode 1, c'est parti !

  • Speaker #1

    "Oui, puisque moi au départ je me suis trompé moi aussi, je voulais écrire un livre sur une femme méchante et perverse. Je me suis rendu compte que même 60 ans plus tard... Moi, en me documentant de manière superficielle, je me compais complètement. Donc je ne me suis pas dit je vais prendre mon glaive de justicier et puis la venger. Simplement, j'ai voulu rétablir une sorte de vérité, de justice en tout cas. Je ne pense pas que c'était une femme extraordinaire, Pauline Dubuisson, mais au moins une femme normale et pas un monstre."

  • Speaker #0

    Lui, c'est l'écrivain français Philippe Jaenada, sur le plateau de l'émission On n'est pas couché du 12 décembre 2015. Et ce livre dont il parle avec humilité, mais non sans enthousiasme, c'est l'un de ses récits les plus marquants. "La petite femelle", publié aux éditions Julliard. Vous vous demandez, mais "La petite femelle", c'est quel genre littéraire au juste ? Un roman ? Un récit ? Il est autant récit juridique et historique que roman biographique, puisque le personnage principal, Pauline Dubuisson, a réellement existé. Pauline Dubuisson a été la scandaleuse, la ravageuse, celle dont la France entière réclamait la tête en 1953. Elle a été la jeune femme que tout condamne, la femme haïe, la femme dont l'écrivain découvre l'existence en lisant un ouvrage sur celles qui ont commis les plus grands crimes du XXe siècle. Intrigué, il s'intéresse à ce "petit monstre", celle que l'on a surnommée "la hyène du Nord", connue pour avoir le diable au corps, ce corps qui ne pensait qu'à coucher avec le plus grand nombre d'hommes. Place aux faits pour mieux comprendre. Nous sommes en 1951. Pauline Dubuisson est accusée d'avoir tué de sang-froid son amant par jalousie. Elle a 26 ans. L'affaire semble claire, limpide. Comme le dit Jaenada lors d'une interview :"c'était vraiment comme les jeux du cirque. Toute une société, représentée par le public, les avocats. le procureur, il y avait une sorte d'unanimité de gens et de journaux très différents". Elle échappe de justesse, d'une voix seulement, celle d'une femme, membre du jury, à la peine de mort. Puis, elle est condamnée, en 1953, aux travaux forcés à perpétuité. Alors qu'à l'époque, l'indulgence était de rigueur pour ceux qu'on qualifiait de crimes passionnels et pour lesquels on prononçait des peines de cinq années de prison maximum quand ce n'était pas l'acquittement. Pour l'anecdote, c'est ce procès auquel assiste Jacques Vergès qui lui aurait confirmé sa vocation pour le métier d'avocat.

  • Speaker #2

    "Et là nous découvrons l'évidence, à savoir qu'un dossier de justice, c'est toujours le début d'un roman, le commencement d'une tragédie. Mais ce roman et cette tragédie sont inachevés. Et de ce drame en train de se dérouler devant nous... Nous sommes, avocats successivement, les spectateurs, puis les confidents, du personnage principal, celui qui donne son nom à la tragédie, Macbeth, Othello, Faust."

  • Speaker #0

    Merci Jacques. Mais revenons à la tragédie de Pauline Dubuisson. Cette affaire qui a l'air si simple est pourtant loin de l'être. Le détective Jaenada va mener une véritable enquête d'investigation d'une année et découvrira que l'instruction a été bâclée et que le procès a été vite expédié. Il confie le résultat dans ce livre "La petite femelle" qui est triplement édifiant. D'abord, le style. Le style jainadesque, qui multiplie les digressions avec des commentaires comiques, acerbes ou nostalgiques mis entre parenthèses. Ensuite, par son regard sensible sur cette femme si incomprise. Et enfin, par le maintien du suspense d'une manière assez remarquable quand on pense que l'on connaît d'emblée l'issue de l'histoire. Et pour connaître Pauline Dubuisson, la criminelle, Jaenada commence par nous parler de ce qui s'est passé avant ce fait divers si dramatique. Dans les 300 premières pages (à ce stade si vous posez la question il y en a 700), dans les 300 premières pages donc, on apprend que Pauline est née en 1927 à Dunkerque dans le nord de la France, que c'est une petite fille précoce grâce notamment à l'éducation quasi exclusive de son père, le colonel André Dubuisson, ancien combattant de la première guerre mondiale. Un homme austère (il est même à l'austérité ce que l'eau est à l'humidité, écrit Jaenada). Ce père lui fait lire du Nietzsche à 12 ans et lui apprend à ne jamais montrer ses faiblesses ni ce qu'elle ressent. La mère, elle, est effacée et presque transparente. "Son père la traite comme un être exceptionnel. Lui passent tous ses caprices, de plus en plus fréquents, forcément. Il en fait à la fois sa prisonnière et la reine de la maison. Seul éducateur, il alterne très équitablement l'autoritarisme et le laxisme. On imagine ce que cela peut causer dans la tête d'une personne de 7 ans. Mais c'est le seul moyen qu'il a trouvé pour se sentir le droit de construire sa fille comme un bateau, de la blinder comme un cuirassé, ou de la dresser comme un pur-sang, de lui apprendre à gagner. Tout à son travail de petit créateur amateur, il oublie juste que les meilleurs des pur-sang se cabrent et ruent souvent plus que les autres d'ailleurs. Et que même un cuirassé peut couler. C'est la mer qui décide." En 1940, avec l'occupation et l'entrée des Allemands dans la ville, passage très intéressant d'ailleurs, l'adolescente est fascinée, fascinée par ses soldats. Elle est même poussée dans leurs bras par son père pour donner un coup de pouce à son entreprise familiale, spécialisée dans les travaux publics. "Pauline fera comme les pieds de vigne qu'on plante sous des tas de pierres, eux pour leur bien, du moins celui du vin qu'ils produiront. Elle va s'endurcir malgré elle, sa sexualité aussi. Elle s'aperçoit vite de deux choses. D'abord que les garçons n'ont pas les entraves, les réticences et pudeurs des filles convenablement élevées. Ils utilisent leurs propres corps sans se poser de questions, prennent ce qu'on leur propose et profitent simplement du plaisir que cela procure. Ensuite, revers de cette heureuse médaille, qu'il est assez simple de les conquérir. De triompher d'eux, dirait son père. à qui elle compte bien donner satisfaction." Au début des années 40, Pauline découvre donc la liberté et son pouvoir sur la jante masculine. Elle en joue même, et elle tombe amoureuse. D'un jeune soldat allemand, puis d'un médecin des troupes occupantes. Des amours qui lui seront reprochées des années plus tard. Mais on y reviendra... Après la guerre, elle entame des études de médecine et une liaison avec Félix Bailley, étudiant lui aussi, qui la supplie de l'épouser. Tout a l'air d'aller aussi bien que possible, sauf qu'elle hésite. Sauf qu'elle se rêve médecin, pédiatre plus précisément, et pas femme de médecin (quelle hérésie!). Sauf qu'elle ne veut pas se faire passer la corde au cou. L'expression n'est pas anodine car Félix refuse que sa femme travaille. Pauline part, revient, ne sait pas. Félix finit par se fiancer à une autre, à une autre qui n'aspire qu'à être une épouse. Cela aurait pu être une histoire banale si, en ce 17 mars 1951, Pauline ne l'avait pas tué avant de tenter de se suicider. Pauline Dubuisson a tué Félix Bailley. Il n'y a aucun doute là-dessus. Mais alors, pourquoi diable toute cette enquête ? Philippe Jaenada serait-il un adepte des vérités alternatives, des post-vérités ?

  • Speaker #3

    "Ce concept de post-truth fait son apparition en effet à la fin du XXe siècle. En 1986, le philosophe américain Harry Frankfurt publie un article intitulé 'De l'art de dire des conneries' dans lequel il établit un degré de parenté entre le mensonge (lie) et ce qu'il appelle le baratin, la connerie. C'est comme ça qu'on pourrait traduire le mot anglais bullshit"

  • Speaker #0

    Alors que le livre de Jaenada est loin de tout bullshit! Ce n'est pas le meurtre en lui-même qui est remis en cause, même si la question de la préméditation est posée. L'objectif est de s'intéresser au déroulement de l'instruction et du procès qui suivront, qui ne condamneront pas celle qui a tué mais celle qui est jugée par les journalistes et la bonne société bourgeoise comme étant trop ; trop libre, trop légère, trop intelligente, trop fière, pas assez repentante. Elle est moquée, humiliée, quitte à inventer des faits pour bien bien noircir le tableau. Jaenada écrit : "Elle sait que ce n'est pas elle qu'on juge, mais une Pauline qu'on a fabriquée et qui se substitue à elle sous ses yeux, sans qu'elle puisse intervenir. Pour tout le monde, c'est la vraie Pauline." C'est donc la cible parfaite pour la rage collective dirigée contre ces femmes qui ont eu des relations sexuelles ou qui ont été amoureuses de soldats allemands. "Ce qu'on attaque et s'allie chez ces femmes boucs-émissaires, ce n'est pas leur esprit de traîtresses, de complices de l'ennemi, on ne les emprisonne pas, on ne les traite pas de collabos, mais de salopes et de putains, on vise avant tout leur féminité, c 'est par là qu'elles sont coupables et c'est sur cela que l'on peut se défouler. Tout ce qui les différencie des hommes est bon à prendre : Leurs cheveux longs qu'on supprime, leurs robes qu'on déchire, leurs corps qu'on expose en public, leurs seins qu'on couvre de croix gammées." On retrouve cet esprit dans un reportage sur "La Tondue de Chartres", diffusé le 21 mars 2019 sur France 3 : "L'épuration en France, période noire de la libération en 44, synonyme de justice sommaire, de scènes expiatoires, de femmes brisées, comme celle immortalisée par Robert Capa dans les rues de Chartres." Pour l'écrivain, ce qu'on appelle l'affaire Dubuisson illustre la misogynie encore forte dans la France des années 50. Ni les policiers, ni les juifs, ni l'opinion publique galvanisée par des journalistes qui se sont vautrés dans la surenchère n'ont supporté l'attitude de Pauline Dubuisson. Comme le souligne l'auteur : "Elle n'a jamais baissé la tête, ne s'est jamais tordu les doigts en sanglotant de honte comme doit le faire une femme, elle n'a pas poussé des cris hystériques, ni jamais ne les a suppliés de lui pardonner. Et cette résistance frontale, cette insolence les a rendus fous. De rage. Ils l'ont vaincue. Évidemment, ils l'ont détruite." Un procès médiatique qui supplante son pendant juridique, voilà quelque chose que l'on connaît bien de nos jours. Et si vous avez un doute sur l'influence de la presse de l'époque, délestée de ces si méchants réseaux sociaux, écoutez plutôt les archives impressionnantes qu'a déterrées Philippe Jaenada: "La hyène, la salope, une misérable petite putain. Une fille sans âme, une garce, un monstre. Une meurtrière qui a tué plus qu'un homme, qui a tué la pureté. Mauvaise, féroce, perverse, diabolique, insensible, amorale, tous ces mots lui ont été appliqués, plutôt jetés dessus, dans la presse et dans les rues, partout en France. Madeleine Jacob, chroniqueuse judiciaire sans pincettes ni scrupules, a écrit dans Libération (le journal qui a été créé dans la clandestinité en 1941 et a couvert l'après-guerre jusqu'en 1964, pas celui de Sartre ou de July), Madeleine Jacob donc écrit : 'Orgueilleuse, obstinée, sensuelle, égoïste, méchante et comédienne. Tout cela se lit au premier regard sur le visage pâle, émacié de Pauline Dubuisson'." Voilà un petit échantillon de ce qui était publié à l'époque. Autant dire que Pauline Dubuisson n'avait que peu de chance, pour ne pas dire aucune, de s'attirer une quelconque empathie. Mais "La petite femelle" n'est pas qu'une tentative de réhabilitation posthume de l'écrivain. Ce livre a une réelle portée littéraire. Même si vous ne savez pas qui est Pauline Dubuisson, même si cela vous passe par-dessus la tête de revenir sur son affaire, aussi tragique soit-elle, ce roman palpitant se lit comme une enquête policière. Le récit, celui de l'intime comme celui de l'histoire, tient en haleine de la bataille de Dunkerque à la France des années pré-68. En fil conducteur, il y a cette recherche, cette volonté d'inviter les lecteurs et les lectrices à se forger leur propre opinion, loin, loin de ce tourbillon de l'époque qui a fait perdre la raison aux plus raisonnables, qui a fait choisir son camp aux plus modérés. Je finirai cet épisode d'En Roue livres! avec quelques mots de l'auteur : "On ne trouvera pas une ombre de qualité à Pauline, uniquement des défauts, et à peu près tous. C'est la ruée vers l'abject. On a du mal à croire quand on connaît vraiment sa vie, son caractère et ses actes (même si elle est loin d'être une sainte, un ange ou une nonne), mais ce jour-là, il faut être bien clairvoyant ou prendre bien du recul, dans ce gros concert d'animosité, de coups bas et d'anathèmes irrévocables, pour réussir à penser que cela ne peut pas être aussi simple, qu'il existe une possibilité pour qu'elle ne soit pas, de manière si primaire, l'incarnation même du mal... Paul Valéry aurait déclaré ou écrit, mais personne ne dit où, je ne trouve pas et j'ai la flemme de chercher partout (que ce soit lui ou ma tante n'a pas grande importance du moment qu'on est d'accord) : 'Il y a plus faux que le faux, c'est le mélange du vrai et du faux'." Pour les cinéphiles, l'histoire de Pauline Dubuisson a inspiré Henri-Georges Clouzot en 1960 dans "La Vérité" où le rôle-titre a été porté par Brigitte Bardot. Soixante et un ans plus tard, un téléfilm, beaucoup plus fidèle au récit de Jaenada, a été réalisé par Philippe Faucon sous le même titre de "La petite femelle". Je m'appelle Loubna Serraj et c'était En Roue Livres!, un podcast qui vous fait découvrir ou redécouvrir des livres de tous les genres et de toutes les époques. Ce premier épisode était consacré à "La petite femelle" de Philippe Jaenada, publié chez Julliard en 2015 et disponible également en version poche aux éditions Point. Merci à Othmane Jmad pour la réalisation et merci à mon amie Bouchra El Azhari pour l'accompagnement à la production. Et merci surtout à vous d'avoir écouté En Roue Livres!

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