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EN ROUE LIVRES !

Philippe Jaenada, soutien moral de En Roue Livres!

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45min |21/02/2025
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Description

Il paraît qu’il n’y a pas de hasard dans la vie. Peut-être est-ce un hasard si j’ai choisi de commencer ce podcast avec un livre de Philippe Jaenada… J’ai bien dit peut-être !

En tout cas, ce n’est certainement pas un hasard si j’ai décidé de lui demander d’être une sorte de soutien moral pour En Roue Livres ! (Un soutien, parce que les parrains et moi ne faisons pas vraiment bon ménage 🙄).

Après quelques bouteilles à la mer, j’arrive à entrer en contact avec lui, à lui parler de mon projet et à lui faire écouter l’épisode consacré à La Petite femelle. Lui, fidèle à l’image que l’on peut avoir si l’on suit toutes ses confidences disséminées au fil de ses digressions, accepte.

Le résultat est cet échange qui devait, initialement, ne durer qu’une quinzaine de minutes mais qui s’est poursuivi au-delà… non sans parenthèses, bien sûr, qui vont de sa méthodologie d’écriture aux soupes lyophilisées en passant par les fourmis ou le rôle de l’inconscient.

Oui, je sais, ça a l’air un peu dur à suivre… Mais vous savez quoi, c’était un très bon moment… que je tenais à partager avec vous!



Crédit photo : Jean-Luc Bertini - Revue La Femelle du Requin


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Il paraît qu'il n'y a pas de hasard dans la vie. Peut-être est-ce un hasard si j'ai choisi de commencer ce podcast avec un livre de Philippe Jaenada. J'ai bien dit peut-être. En tout cas, ce n'est certainement pas hasard si j'ai décidé de lui demander d'être une sorte de soutien moral pour En Roue Livres! (Un soutien parce que les parrains et moi ne faisons vraiment pas bon ménage). Après quelques bouteilles à la mer, j'arrive à entrer en contact avec lui, à lui parler de mon projet et à lui faire écouter l'épisode consacré à "La petite femelle". Lui. fidèle à l'image que l'on peut avoir si l'on suit toutes ces confidences disséminées au fil de ces digressions, accepte. Le résultat est cet échange qui devait, initialement, ne durer qu'une quinzaine de minutes, mais qui s'est poursuivi au-delà. Non sans parenthèses, bien sûr, qui vont de sa méthodologie d'écriture aux soupes lyophilisées, en passant par les fourmis, le café ou encore le rôle de l'inconscient. Oui, je sais, ça a l'air un peu dur à suivre, mais vous savez quoi, c'était un très très bon moment que je tenais à partager avec vous. Il est, pour reprendre ses mots, obsédé, voire fasciné par le temps qui passe, par ce qui disparaît et par ce qui reste. Ancien journaliste, il dépoussière aujourd'hui des tonnes d'archives sans avoir peur de nous perdre dans leur foisonnement. Ou alors, il s'en fiche, on lui demandera. Il a fait des parenthèses et des digressions teintées d'humour et d'autodérision presque un genre littéraire en soi. Philippe Jaenada, bonjour.

  • Speaker #1

    Bonjour Loubna.

  • Speaker #0

    Merci d'avoir accepté d'être le soutien moral de ce podcast, car oui, nous sommes dits que la notion de soutien moral couronne peut-être mieux que celle de parrain.

  • Speaker #1

    Avec plaisir, je vais soutenir comme je peux, mais de bon cœur.

  • Speaker #0

    Merci. Les auditeurs et les auditrices de En Roue Livres! ont découvert le premier épisode dédié à "La petite femelle". Pauline Dubuisson a hanté nombre de vos lecteurs et de vos lectrices (alors vous aurez compris que j'en fais partie). On a l'impression qu'elle continue aussi de vous accompagner, puisqu'on la retrouve, un peu, dans votre dernier livre, "La désinvolture est une bien belle chose". Est-ce que c'est le cas ? Est-ce que vous êtes toujours hanté, obsédé par Pauline Dubuisson ?

  • Speaker #1

    Hanté, obsédé, non. Mais elle m'accompagne, on me pose souvent la question, on me demande, comme à peu près tous mes livres sont consacrés à une personne en particulier, enfin avec tout son entourage, mais une personne en particulier. On me demande souvent, mais comment vous faites quand vous commencez par exemple à écrire La Serpe, comment vous faites pour oublier Pauline Dubuisson, La Petite Femelle ? Comment vous faites là pour le livre que je suis en train d'écrire maintenant ? On me demande, j'ai sorti un livre l'année dernière, comment vous faites pour oublier Kaki et les moineaux qui étaient les personnages de mon livre ? Et en fait, bien entendu, on n'a pas besoin d'oublier, c'est-à-dire que je n'oublie pas du tout. C'est comme si on me demandait, c'est comme si j'ai un ami, disons qu'il s'appelle François. et que deux ou trois ans plus tard, je rencontre un ami ou une amie que j'aime bien et qui s'appellerait Isabelle ou Thierry, et on me dirait, « Ah, ben, t'es amie avec Thierry, mais comment t'as fait pour oublier François ? » On n'a pas besoin, on a de la place dans le cœur et dans la tête. Donc, évidemment, je n'oublie pas des gens avec qui j'ai passé, même de manière, comment peut-on dire, virtuelle presque, puisque, évidemment, je n'ai jamais rencontré ces gens. Et quand je travaille, par exemple, sur Pauline Dubuisson, pendant deux ans, jour et nuit, presque la nuit, souvent, oui, en tout cas, sept jours sur sept, je ne suis qu'avec elle. C'est-à-dire, je vis en 1950, je passe mes journées à étudier des rapports, des auditions, des choses qui la concernent, à les organiser, puis ensuite à les relater en écrivant. C'est vrai, je la connais mieux que ma mère pour une raison toute simple. Moi, si je m'intéresse à des affaires judiciaires, ce n'est pas que je sois fasciné par les crimes, le meurtre, le sang, les faits divers. C'est simplement parce que quand il y a eu une affaire judiciaire, il y a eu une enquête de la police, et qu'une enquête de la police, c'est une mine d'or pour un écrivain. C'est-à-dire que les enquêteurs ou le juge d'instruction interrogent absolument toutes les personnes qui ont côtoyé plus ou moins longtemps, de près ou de loin, la victime ou d'ailleurs le coupable, ses amis d'enfance, ses professeurs, ses amoureux, ses copains de fac, ceux qui l'ont vu 10 minutes avant sa mort et ceux qui l'ont vu pendant des années, 20 ans avant sa mort. Et puis surtout, quand on répond à la police, on est obligé de dire la vérité. Il n'y a pas d'intimité, il n'y a pas de secret, en théorie du moins. Et évidemment, moi, sur ma mère, je n'ai pas 50 personnes qui ont connu ma mère à tous les âges de sa vie. et qui me donnerait une sorte de gros dossier où on me raconte tout sur elle. Donc, même si je dis à la fin de La Petite Femelle, il faut quand même que je reste la tête froide et lucide. J'ai l'impression de connaître Pauline Dubuisson, mais je ne connais même pas le son de sa voix, ce qui est pourtant élémentaire, c'est la première chose qu'on entend, qu'on sait de quelqu'un. Donc, je ne deviens pas complètement fou à m'imaginer que je connais Pauline Dubuisson, mais en tout cas, j'ai plus d'informations sur sa vie que sur la vie de ma mère.

  • Speaker #0

    Et dans votre carrière d'écrivain, il y a eu un avant et un après, ce livre ?

  • Speaker #1

    Oh non, pas spécialement, il y a en avant et en après tous mes livres. À chaque fois, j'ai l'impression que, là d'ailleurs, c'est en train de m'arriver en ce moment, à chaque fois quand je suis plongé dans un travail, c'est-à-dire soit le travail de préparation, de recherche, etc., soit le travail d'écriture en lui-même qui vient après, j'ai l'impression que rien d'autre n'existe. C'est-à-dire que quand je travaillais sur La Petite Femelle, j'ai l'impression qu'il y avait une seule personne qui avait vécu sur la planète, c'était Pauline Dubuisson en 1900. 1927 et 1963. Et puis, dès que j'en ressors, c'est comme si je m'ouvrais ou si j'ouvrais les fenêtres. Et du coup, d'autres choses existent. Là, il y a, je ne sais pas, on va dire cinq mois, quand j'étais entre la fin de l'écriture et puis le début de la sortie de mon livre, de mon dernier livre, si vous m'en aviez parlé, je vous aurais dit, je vais me mettre des années à en sortir. Là, je suis sur le prochain et déjà, je ne pense pas. qu'à celui sur lequel je travaille en ce moment.

  • Speaker #0

    On va revenir à ce livre-là, mais d'abord je rappelle que vous avez commencé votre carrière d'écrivain avec des récits plutôt autobiographiques, il y en a sept, même si le premier, Le Chameau Sauvage, démarre avec un fait divers, puis vous semblez vous passionner pour ce genre. Avant La Petite Femelle, il y a eu Celac, consacré au célèbre braqueur des années 70. Vous avez ensuite suivi la trace d'Henri Girard dans La Serpe, puis celle de Lucien Léger dans Au printemps des monstres. Et puis, il y a eu aussi Alain Lapry, qui est toujours en prison pour l'assassinat de sa tante dans un livre qui s'appelle « Sans preuve et sans aveu » , mais qui n'est pas vraiment un roman.

  • Speaker #1

    Exactement.

  • Speaker #0

    Et « Jusqu'au suicide » de Jacqueline Harris, qui se dit qu'à qui dans « La désinvolture est une bien belle chose » . Alors, vous avez déclaré il y a quelques mois dans une interview pour le magazine Lire, « Je n'aime pas écrire de la fiction, ça ne m'amuse pas » . Alors, la fiction imaginaire, définitivement pas assez intéressante pour vous.

  • Speaker #1

    Alors, en tant que lecteur, si. Par exemple, je lis beaucoup de romans policiers, donc évidemment, dans la grande majorité des cas, c'est de la fiction. Donc, en tant que lecteur, j'aime ça. En tant qu'auteur, à la fois, d'une part, sincèrement, ça ne m'intéresse pas, et d'autre part, je pense que je ne dois pas être très doué pour ça. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, après mes sept premiers livres, je suis plus ou moins autobiographe. Tu as quand même l'autobiographie. Ce n'était même pas de l'autofiction, c'était de l'autobiographie assez romancée, ou en tout cas modifiée. Ma vie, c'est-à-dire que ça suivait, ces sept premiers livres suivent l'évolution de ma vie personnelle. Le premier, Le Chameau Sauvage, c'est un jeune homme qui cherche l'amour et qui n'est pas bien doué, qui est un peu naïf. Le deuxième, c'est à peu près le même jeune homme, même s'il n'a pas le même nom, que Coup de Foudre, qui rencontre la femme de sa vie qui est à moitié dingue. Le troisième, c'est le cauchemar de la vie conjugale, etc. Ça suivait les étapes de ma vie. Il y a la naissance de notre enfant. Et puis, disons vers les années 2009-2010, ma vie, notre fils avait grandi, notre vie de couple s'était stabilisée, moi j'avais pris de l'âge, je ne m'amusais plus à aller faire le fou toutes les nuits dans Paris. Et donc, je n'avais plus rien à raconter en fait. C'est-à-dire que ma vie ne pouvait plus me servir de... de matières premières pour mes livres. Ou alors ça aurait été les livres les plus ennuyeux de l'histoire de la littérature, je pense. Et donc je me suis dit, qu'est-ce que je vais devenir ? Qu'est-ce que je vais faire ? Qu'est-ce que je vais écrire ? J'ai fait deux, trois essais de fiction et je me suis rendu compte, non seulement encore une fois, je crois que ce n'était pas terrible, mais surtout que je m'ennuyais terriblement en écrivant. Et puis, il m'est venu à l'esprit une chose toute bête, c'est que je n'étais pas le seul sur Terre et que donc je pouvais tout à fait raconter la vie d'autres personnes que moi-même. Mais donc, dans mon esprit, c'est vrai que vu de l'extérieur, et pour les critiques ou les lecteurs même, ce sont deux périodes très différentes. Dans mon esprit, c'est simplement la continuité. Sauf que voilà, au lieu de parler de moi, et comme vous disiez tout à l'heure, quand je parlais de moi, c'était des sortes de petits faits divers aussi, des choses évidemment intimes, anecdotiques et minimes par rapport à des crimes ou à des grandes histoires. judiciaire, mais enfin c'était quand même le même principe. Là je me décale, donc depuis mon premier dans ce genre là, c'est en 2013, je me décale vers d'autres personnes et non seulement je... Je ne suis pas le mieux placé pour juger, mais je pense que les livres sont plus intéressants. Et surtout, en tout cas, une certitude, c'est que pour moi, c'est plus intéressant, plus distrayant, plus amusant à écrire. À la fin, mes deux, trois derniers livres où je parlais de moi, de ma vie en tout cas, quand j'écrivais mes derniers livres, pour moi, je disais que ce n'était pas une corvée, ce serait trop dire une corvée, mais enfin, j'avais peu d'entrain et d'enthousiasme. Et quand je me suis mis à écrire sur d'autres personnes, je me rends compte que je suis le pire. le premier lecteur, c'est-à-dire que je décours ces histoires avant les gens qui, j'espère, les découvriront de bonne manière avec mes livres. Donc ça me passionne, ça m'excite, ça m'intéresse et j'écris avec beaucoup plus d'allant, d'entrain, de plaisir quand je parle des autres que quand je parle de moi. Mais pour moi, dans mon esprit, il n'y a pas une différence énorme entre ces premiers romans personnels, on va dire, et puis tous les derniers plus ouverts vers les autres.

  • Speaker #0

    Justement, vous parliez de critique tout à l'heure dans la presse et dans la critique, on vous a souvent qualifié d'écrivain justicier, de spécialiste dans la littérature du fait divers, d'auteur de true crime, ça vous agace, ça vous plaît, ça vous indiffère, vous en fichez ?

  • Speaker #1

    Ça ne m'agace pas du tout, ça ne me fiche pas spécialement non plus, je m'en fiche un peu, c'est-à-dire que chacun voit… Alors justicier, c'est un peu curieux, parce que d'abord je ne prétends pas évidemment détenir une quelconque vérité. des enquêtes criminelles sur lesquelles des dizaines de personnes ont travaillé pendant des mois et des mois, et moi je débarque et je dis non, non, vous avez tort, c'est moi qui ai raison. Donc il faut que je reste très humble là-dessus. Et puis aussi, quand j'écris sur Pauline Dubuisson, lui rendre justice, je ne sais pas trop ce que ça veut dire, puisque Pauline Dubuisson n'existe plus. Je ne pense pas qu'elle soit assise sur un petit nuage, et qu'en regardant vers le bas, elle dise, merci Philippe, c'est gentil, tu m'as rendu justice. Donc non, moi je me vois comme... Et puis on me dit « vous auriez fait un bon policier, un bon avocat, etc. » Ce n'est pas vrai. J'emprunte quelques petits trucs qu'il y a des policiers ou des avocats, mais écrire un livre, c'est beaucoup plus simple. Moi, je peux affirmer, dans « La petite femelle » , par exemple, puisqu'on en parle, je peux affirmer que Pauline Dubuisson n'est pas vraiment coupable, que c'est un homicide involontaire, qu'elle voulait réellement se tuer. Ça, c'est moi, c'est ma conviction et j'essaye de la... de la transmettre au lecteur, mais les jurés qui ont eu à la juger, c'est beaucoup moins évident, il faut des choses plus concrètes. Donc je ne me prends pas pour un justicier ni pour un policier, peut-être pour un avocat, mais un avocat amateur, dans le sens où j'essaye de défendre des gens qui, selon moi, ont été injustement accusés ou injustement traités par le regard de la société. Mais voilà, et puis on ne peut pas dire, quand on dit spécialiste des faits divers, des true crimes, etc., on ne peut pas dire que c'est faux, puisque c'est à peu près ce que je fais. Dans le dernier, ce n'était pas un crime, ni une erreur judiciaire, ni quelque chose comme ça, mais ça revient toujours au même, ce sont des sortes d'enquêtes plus ou moins axées sur l'humain, c'est en tout cas au moins autant axé sur l'enquête policière proprement dite. Pour Pauline Dubuisson, par exemple, si on étudie vraiment l'autopsie, la balistique, etc., on a la preuve que ça ne s'est pas passé comme l'accusation l'a affirmé, c'est-à-dire qu'elle n'a pas tué de sang-froid son amoureux avant de l'exécuter d'une balle dans la nuque. Ça, c'est une preuve tangible. Mais sinon, c'est surtout humainement que j'essaye de me pencher sur ces gens, avec le plus de bienveillance, peut-être pas d'objectivité, mais de lucidité possible. Ça reste la vie d'une personne, d'un être humain, moi en l'occurrence, et donc ça reste très subjectif.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, dans votre… Alors, je n'aime pas le mot, mais je n'en trouve pas d'autre là tout de suite. Dans le processus, on va dire, quelle est la période qui vous intéresse le plus ? Est-ce que c'est celle où vous cherchez le sujet, celle où vous menez votre enquête, cette investigation ? C'est passionnant d'ailleurs, dans chaque livre, que ce soit dans La Petite Femelle ou par exemple dans le dernier, dans La Dédain Vauture, et toutes les dernières belles choses, on suit avec vous, pas à pas, comme on vous fête. Est-ce que c'est plutôt la… Partie là où vous êtes en train d'écrire, quelle est la période la plus excitante ?

  • Speaker #1

    Ce qui est formidable, c'est qu'elles le sont toutes. En plus, je travaille de manière très rigide, routinière. J'ai besoin de ça, j'ai besoin d'une discipline presque scolaire pour travailler. Et je travaille toujours exactement de la même manière. C'est-à-dire que les deux, disons, pour schématiser, pour simplifier, il y a une période de recherche et une période d'écriture. Les deux ne se chevauchent pas. jamais, c'est-à-dire que je ne commence pas à écrire le premier mot du livre si je n'ai pas la certitude d'avoir terminé toutes mes recherches. et même d'avoir terminé ensuite la mise en forme, le tri, le classement, toutes les informations que j'ai recueillies, pour en faire une sorte de fichier de base, comme un sculpteur prendrait un bloc d'argile, il faut que mon bloc d'argile soit bien là, que je sache que je ne vais pas en rajouter après, et là je commence à travailler. Donc c'est deux périodes vraiment distinctes, et dans chaque période, qui sont en plus sur des temps, disons que si j'écris un livre, si je publie un livre tous les deux ans, on va dire que... Comme il y a la promo du livre et tout ça, on va dire 20 mois de travail. Sur 20 mois de travail, j'ai presque précisément 10 mois de recherche et 10 mois d'effectu. Donc, c'est deux périodes équivalentes qui ne se chevauchent pas et qui sont les deux aussi intéressantes de manière différente, qui m'apportent des choses et des émotions différentes, mais j'aime les deux. C'est-à-dire que quand j'ai terminé un livre, il me tarde une seule chose, c'est après la tournée d'automne de… me pencher sur un autre pour retourner dans les salles d'archives, dans les vieux dossiers. Et c'est vraiment, c'est un plaisir enfantin. C'est vraiment quelque chose de l'ordre de formidable, je vais me plonger dans une nouvelle enquête, c'est un vrai plaisir et qui n'a rien à voir avec la littérature. C'est-à-dire que vraiment, si j'étais simplement archiviste, je ne sais pas si quelqu'un me faisait une commande, je voudrais retrouver l'histoire de mon grand-père, je ne sais pas quoi, j'aurais le même plaisir exactement. Et puis tout d'un coup, une fois que j'ai terminé tout ça, Alors qu'une semaine avant la fin, je me dis, c'est bientôt fini, les recherches sont un peu déconfies, je me dis bon. Et puis dès que j'ai terminé, que j'admets que c'est fini, je ne considère plus que c'est une histoire vraie, je considère que c'est la matière première dont je dispose, ce sont en général des fichiers qui peuvent faire 700-800 pages d'informations. Je me dis maintenant, il faut que je les transforme en littérature, il faut que j'écrive. Et là, tout à coup, je bascule et là je deviens… écrivain et seulement écrivain, je me détache du fait que ceux dont je parle sont des personnages qui ont existé, des gens qui ont existé, des histoires vraies, des faits réels, etc. Je m'en détache comme si un scénariste m'avait donné le matériau pour écrire mon livre. Et c'est un autre plaisir qui est complètement différent mais qui est très sincèrement... Je pourrais mettre aucun des deux devant l'autre. Ils sont successifs, pas opposés mais en tout cas très différents. Et pour moi, c'est formidable parce que ça évite toute lassitude. Là, je commence, pour le prochain, je suis dans la phase de fin des recherches, de l'alimentation. Et ça fait, j'ai dû travailler dessus, je ne sais pas, 8 mois, quelque chose comme ça, 8 ou 9 mois. Et je commence à en avoir marre. C'est-à-dire qu'en fait, c'est bien fait. Je commence à me dire, bon, allez. Il me tarde maintenant de me mettre à écrire. Et donc, il y a la période la moins agréable, a priori, c'est entre les deux. C'est-à-dire, c'est pile ce que je suis en train de faire là, ce que j'ai fait au moment où on s'est retrouvés sur la plateforme. C'est parce que j'ai des méthodes de travail très précises. Je ne sais pas si ça vous embête ou pas, mais j'essaye de vous expliquer vite fait. Bon, alors je vais... Donc... L'essentiel du travail, ce sont les archives de dossiers d'enquête ou de choses comme ça. Je fais des photos. Je vais dans les salles d'archives de lecture, je fais des photos. Ça peut être des centaines, des milliers de photos. Ensuite, je ramène ces photos chez moi et là, il faut que je les transforme en une matière utilisable. Donc, il y a une deuxième étape que j'aime bien parce que ça me permet de me remettre tout en tête. Je relis à voix haute. Toutes ces photos, ça peut prendre deux mois, il y a beaucoup, dans un dictaphone. Là, par exemple, je viens de terminer, j'ai 3000 fichiers de choses que je lis. Mercredi 3 avril 1949, l'inspecteur interroge le boulanger Bidule, et je lis les dépositions. Ça, c'est quelque chose qui me plaît, ça me permet de me remettre toute l'histoire en tête, etc. Ensuite, il y a quelque chose qui est un peu plus fastidieux, qui est ce que je suis en train de faire là. Je réécoute ces milliers de fichiers son que j'ai enregistrés moi-même et je tape tout sur mon traitement de texte. Je recopie tout à la main comme si j'étais secrétaire ou sténodactylo ou je ne sais quoi. Sans recopier mot à mot, je sélectionne ce qui peut être intéressant ou pas. Là, c'est un travail qui peut être pénible, c'est aussi très long, c'est des semaines et des semaines. D'ailleurs, pas mal de gens me disent « mais t'es con, il y a des logiciels » . que ce soit les photos, même on peut passer directement des photos au traitement de texte, je suis obligé de le faire parce que si sur un dossier qui fait 2000 pages, si page 18, j'ai lu « Il est entré dans la pièce à 14h10 avec un pantalon rouge » , trois mois plus tard, page 1950, je lis quelqu'un d'autre qui dit « Oui, il devait être à peu près 15h20, il avait son pantalon jaune » , je me dis « Oh là là, je crois que j'ai lu, je ne sais plus quand ni où, j'ai lu l'inverse » . Et donc évidemment, parmi une masse de photos ou de fichiers sans, c'est impossible à retrouver, il faudrait que je revoie tout. Alors que sur un traitement texte, je tape pantalon, voilà, et je vois très vite. Donc là, je suis dans cette période qui est la plus fastidieuse, et en même temps, je me rends compte, tout en le faisant, comme c'est un travail très mécanique, de recopier simplement ce que j'entends, mon cerveau, mon modeste cerveau... met en place des choses. Je me rends compte, après, quand je vais commencer à écrire dans quelques mois, à écrire vraiment le texte, c'est-à-dire la première phrase du texte, je me rends compte que j'ai déjà, pendant ce temps-là, préparé, je me dis, ça, je vais en parler vers le premier tiers du livre, cet épisode-là, je vais en dire une moitié au début, et puis après, plutôt vers la fin, je donnerai la solution. Je sens que ça se fait. C'est quelque chose qui est extrêmement chronophage, qui prend beaucoup de temps et qui n'est pas très joyeux à faire, mais je sais que c'est utile et que... Moi, je crois beaucoup à l'inconscient quand on écrit ou quand on fait n'importe quoi dans la vie, d'ailleurs. Quand on va vers quelqu'un, que ce soit dans le domaine de l'amour ou de l'amitié, on est porté vers des gens, on ne sait pas vraiment pourquoi. On ne se dit pas parce qu'il a de belles oreilles ou qu'elle n'aura plus le rouge et que j'aime bien les pulls rouges. Enfin bon, il y a un truc d'inconscient. On se rend compte après pourquoi on est allé vers telle ou telle personne. Et je pense, moi, que dans l'écriture, même si on dirait, je pense, en lisant mes livres, que c'est extrêmement... travailler, calculer, prévu, qu'il y a un plan très strict. Il y a ça, parce que c'est indispensable pour ne pas dire de bêtises, mais je sais qu'il y a aussi des choses qui se passent à l'intérieur sans que j'en ai vraiment conscience et que je laisse faire. Et donc là, c'est ce qui est en train de se passer en ce moment.

  • Speaker #0

    Et qui se construit à mesure presque de tout le process.

  • Speaker #1

    Oui, qui se construit. Là, je suis en train de recopier... C'est une scène de... Bon, je ne vous dis pas de quoi. Il faut que je garde un peu de temps. Mais bref, je me rencontre en même temps que la recopie, je pense, je me dis, je vais parler de la déposition d'un tel tout début du livre, quand ce sera en progression narrative, et ensuite, je laisserai, je ferai comme si, voilà, et à la fin, je donnerai la clé du truc. Donc, ça se construit. Pas tout le monde,

  • Speaker #0

    parce que je tiens à le souligner, le récit peut parfois être dramatique, les faits sont... accablants, des dessins brisés, on suit avec vous des êtres quand même qui sont très malmenés. Pourtant, on se surprend à sourire beaucoup, voire à rire franchement. L'humour, pour vous, c'est votre manière de... La formule est peut-être facile, mais je l'apprends quand même, je l'assume, de construire une sorte de rempart contre le sordide ou est-ce que c'est une envie répressive ? Est-ce que c'est plus fort que vous ?

  • Speaker #1

    Alors, c'est une envie irrépressible, c'est même pour moi une nécessité. Alors, dans la littérature, mais même dans la vie de tous les jours. C'est-à-dire, alors je ne sais pas, je suis content quand on me dit « ça m'a fait sourire » ou « ça m'a fait rire » . Alors, pour moi, c'est légèrement différent de l'humour, c'est plutôt une forme de recul, de détachement. Et forcément, quand on se regarde avec un peu d'écart, de distance, un peu plus loin ou un peu plus haut, on se trouve un peu, les choses les plus graves, tout d'un coup, perdent de leur… de leur gravité, de leur lourdeur. Donc moi, j'essaye de faire ça dans ma vie, pour moi, toujours. Je me vois, j'ai souvent, depuis très longtemps, depuis que j'ai 20-25 ans, je m'imagine perché sur un réverbère, assis en haut du réverbère et me regarder en dessous. Et ça permet de déconnecter, de désactiver pas mal de tensions, de problèmes, de choses qui paraissent insurmontables. Et dans les livres, alors moi, c'est facilité. extrêmement facilité par le fait que je parle d'affaires anciennes. Donc déjà, de toute manière, il y a le recul du temps. Vous parliez tout à l'heure d'un livre que j'ai écrit qui ne fait pas vraiment partie de mes romans, qui est sans preuve et sans aveu. C'est simplement, en 2021, j'étais en train de dédicacer mes livres dans une librairie, il y a un monsieur qui arrive et qui me dit « je vais être incarcéré la semaine prochaine, je suis victime d'une erreur judiciaire terrible, au secours, aidez-moi » . Donc j'ai écrit juste un petit livre qui fait même pas le quart de mes livres habituels, et c'était simplement pour alerter les médias, c'est une affaire dont on ne parlait pas, et simplement profiter de ma petite notoriété pour que les médias alertent sur l'injustice qui a été faite à cet homme. Bref, dans ce livre-là, il n'y a pas d'humour, c'est pas drôle, c'est-à-dire que je ne peux pas prendre du recul par rapport au drame d'un homme et d'une femme, de sa femme qui est... qu'il attend désespérément, il n'est toujours pas sorti, donc ça fait 5 ans. Et là, le détachement est impossible, l'auto-dérision, même l'auto-dérision par rapport à moi, qui ne suis pas en prison. Ne me voyez pas dans un livre qui parle d'une histoire tellement lourde, faire des petites blagues pour faire plaisir au lecteur, parce qu'en fait, ça sert à ça dans les livres. L'histoire de Pauline Dubuisson, par exemple, c'est une histoire, vraiment, quand on la regarde, si on la donne à un ordinateur, si on donne ce qu'on sait de sa vie, c'est très noir, très triste, il n'y a pas de lumière, il n'y a pas de légèreté, il n'y a pas de sourire. Je n'ai pas envie, moi, de mettre dans les mains des lectrices et des lecteurs un gros bloc noir et désespérant, donc j'injecte des choses qui me concernent, moi, des petites mésaventures qui m'arrivent pendant l'écriture, ou une manière d'écrire un peu plus légère, parce que mon but, en fait, c'est d'essayer et je n'y arriverai jamais, personne n'y arrivera jamais, mais on peut toujours essayer, que mes livres soient le reflet de la vie, de la réalité. Or, je sais que dans la vie de Pauline Dubuisson, même si elle a été courte, qu'elle s'est finie de manière tragique et qu'il y a eu plein d'épisodes extrêmement douloureux, il y a des moments de légèreté, d'insouciance. Pauline Dubuisson, elle a dû rigoler, elle a dû se dire « ah, c'est le printemps, la vie est belle aujourd'hui » , etc. Mais dans un dossier de police ou dans la plus… plupart des souvenirs d'ailleurs ou des traces qu'on peut garder des gens ça n'apparaît pas ce qui apparaît c'est comme je sais pas quand on regarde les chaînes info ce qui apparaît c'est que les choses graves et voilà c'est pareil moi dans le dossier de police je n'ai plus trace d'aucun moment de légèreté d'insouciance de pauline dubuisson j'ai pas envie de les inventer parce que j'aime pas inventer sur d'autres personnes qui m'ont rien demandé donc j'injecte moi un peu artificiellement j'ai souvent l'image de Les petits trucs, les bolinos, je ne sais pas si ça existe encore, les bolinos, les petites nourrises ou les soupes chinoises lyophilisées. Vous savez, ça oui, mais les bolinos, comme de la poudre, on rajoute de l'eau et hop, ça pâte. Moi, j'ai l'impression qu'il me reste de l'histoire des gens le truc lyophilisé, que donc ça ne ressemble pas à la vie. Il y a l'essence même de ce qu'a été leur existence, peut-être, mais ça ne ressemble pas. Et donc moi, c'est pour ça que je me mets en scène tout le temps. toujours dans mes livres, ce n'est pas par plaisir de parler de moi, mais avec ma présence et surtout les choses plus légères, un peu absurdes et tout ça qui m'arrive, ça reconstitue un peu ce que j'espère, où je prends souvent aussi l'image du café, c'est-à-dire que s'il y a un extraterrestre qui arrive, qui n'a jamais bu de café, je ne sais pas ce que c'est. Et que pour lui faire comprendre ce que c'est, on lui montre un filtre après le passage du café, on lui montre le filtre où il reste cette espèce de matière noire, etc. Il ne va pas se dire « je goûterais bien un peu de café » . Alors que le café sans eau, c'est ça. Moi, je suis un peu l'eau, disons, pour irriguer un peu des choses que le temps a asséchées et durcies et noircies.

  • Speaker #0

    Et la désinvolture, pour vous, vous essayez de l'apprivoiser ? Vous dites non très peu pour moi. Je rappelle quand même que le dernier livre, « La désinvolture est une bien belle chose » . Très beau titre d'ailleurs.

  • Speaker #1

    Tu voulais me demander ? Je veux bien merci, d'autant que ce n'est pas de moi, c'est pour moi qui ai écrit l'info. La désinvolture, moi, c'est quelque chose que je recherche beaucoup, dans le sens où je me rends compte en regardant, en lisant les journaux, ou en écoutant la radio, il y a un sens qui n'est pas le mien, qui n'est pas celui vers lequel je veux aller, et il y a un sens à la désinvolture qui peut être… Le laxisme, le j'm'en foutis, les choses comme ça. On entend des phrases...

  • Speaker #0

    Superficialité, oui.

  • Speaker #1

    Voilà, voilà. Superficialité ou mollesse. S'il y a des problèmes de criminalité à Grenoble, c'est à cause de la désinvolture des pouvoirs publics. Enfin, des trucs comme ça. Moi, je le prends dans le sens étymologique.

  • Speaker #0

    ça vient de l'italien, involto en italien, ça veut dire enveloppé, enroulé, ligoté, comme les involtini qui sont des petits, c'est du fromage avec du jambon enroulé autour, bref. Donc des involto, c'est ce qui n'est pas enveloppé, pas ligoté, c'est ce qui est libre, détaché, sans contrainte, et évidemment, c'est plutôt agréable d'essayer d'aller vers ça, c'est inaccessible sur la durée. Moi, pendant l'écriture de ce livre, La désinvolture est une bien belle chose, enfin juste avant de commencer l'écriture, j'ai fait le tour de France tout seul, par les bords, par les côtés. Je suis parti de Dunkerque, j'ai fait le tour de France par les côtes, en m'arrêtant tous les 200-300 kilomètres dans une ville, en allant au bistrot, au restaurant, en dormant à l'hôtel. Et ça a duré 24 jours, je n'ai eu absolument rien à faire, rien d'autre à faire que de rouler en écoutant la radio, trouver un bon bar, un bon restaurant, et d'aller dormir à l'hôtel. sans aucune contrainte, aucune obligation. J'étais seul, je n'ai pas de téléphone portable, donc personne ne pouvait me joindre. J'étais dans une liberté absolue. C'était vraiment, pour le coup, la désinvolture totale. Ça a duré 24 jours. C'est extraordinaire pour moi, c'est un souvenir très fort. Mais je sais que ça n'aurait pas pu durer plus longtemps. C'est-à-dire que je n'aurais pas pu vivre comme ça pendant trois mois. Déjà, je me serais ennuyé. En plus, ça m'aurait coûté très cher. Et puis, ma vie m'aurait semblé assez rapidement vide, creuse, avec rien dedans. Donc voilà, c'est peut-être comme, moi je rapporte ça, on parle du bonheur, on cherche le bonheur, on court après le bonheur, on peut trouver le bonheur comme ça sur quelques heures, quelques jours, mais si on vivait en permanence dans un état de bonheur, déjà c'est impossible, et puis on serait complètement, on aurait l'air complètement bené, complètement crétin à toujours sourire aux anges et tout ça. La désinvolture c'est pareil, je la cherche, c'est dur à trouver, parce que c'est dur de se détacher, je dis dans le livre aussi, même les souvenirs, qu'ils soient bons ou mauvais, Ils sont à l'intérieur de nous, mais ils nous tiennent quand même, ils nous ligotent quand même. Donc se détacher de tout pour être léger et vivre sans contraintes, comme on vit quand on a 8 ou 9 ans, où les seules contraintes qu'on a c'est qu'il faut faire le devoir de maths pour le lundi. Voilà, ce n'est pas évident, mais avec l'âge, je me dis, j'essaie de m'en approcher.

  • Speaker #1

    Vous avez choisi de mettre une phrase en exergue qui est empruntée à Jean-Marie Aspotolides. Toutes les existences sont solidaires les unes des autres. Vous croyez vraiment que toutes les existences sont solidaires les unes aux autres ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est quelque chose qui me touche beaucoup. Alors, j'ai mis aussi cette phrase en exergue parce qu'il m'a beaucoup aidé pendant le livre et il est mort pendant l'écrire. Donc, je voulais lui rendre un peu hommage. Mais c'est quelque chose qui me touche beaucoup. Alors, encore une fois, il ne faut pas devenir fou en pensant des choses comme ça. Mais quand je parle de Pauline Dubuisson, de Kaki qui s'est suicidée, de la femme de mon prochain livre, j'ai une sensation très forte de... Alors quand je dis qu'il ne faut pas devenir fou, c'est que je ne crois pas, il n'y a rien de plus qui m'énerve que les écrivains ou les autres genres d'artistes qui, sous prétexte qu'ils sont artistes, ont l'impression qu'ils sont en contact avec les muses, avec le ciel, avec l'intangible, et que l'âme de ceux dont ils parlent passe à travers eux, avec leurs doigts, et bon, ça, ça me... Mais en revanche, de pouvoir s'approcher de quelqu'un, de pouvoir essayer de comprendre ou essayer de ressentir, moi j'ai vraiment ce... J'ai cette envie et cette conviction, c'est-à-dire que, et je commence même, là où je me demande si je ne perds pas un peu la boule, mais je commence même à me dire, j'ai lu un truc, un livre, il peut paraître un peu clou, c'est un livre sur les histoires de vie après la mort, etc. Il y a quelque chose là-dedans qui m'a touché, que j'ai ressenti. Il dit, on a l'impression que chacun d'entre nous, vous, moi, on a notre conscience à nous et qui est enfermée dans notre corps. dans notre crâne. Et il prend un exemple, il dit, c'est un peu comme un téléphone sur lequel on passe une vidéo d'un chat qui tombe d'un mur. Et le téléphone, si on lui demandait, il croirait que la vidéo vient de lui et que lui a à voir cette vidéo. Il n'a pas conscience, le téléphone, qu'il est relié à un réseau Wi-Fi. Et moi, j'aime bien, même si ça peut sembler un peu ridicule, ou un peu kitsch, j'aime bien penser ça, qu'en fait, on est relié, c'est-à-dire que vous et moi, là, on a chacun, on prend une partie du réseau Wi-Fi, mais qu'en fait, on n'est pas si… Alors évidemment, votre conscience m'est inaccessible, ou la conscience de Pauline Dubuisson ou de Kaki m'est inaccessible, mais on fait quand même partie du même réseau, je ressens presque physiquement cette Ausha, et en tout cas, ça me plaît de penser que c'est possible, ça me plaît de penser qu'on est tous… quel que soit l'espace et le temps, parce que moi je vais sur les lieux des... des personnes dont je raconte l'histoire dans mes livres, donc je suis pile au même endroit dans l'espace, mais évidemment il y a 50 ou 60 ans de différence de temps, ce qui est encore plus important et rédhibitoire pour le contact que les distances en mètres ou en kilomètres. Mais j'aime bien me dire qu'on est quand même liés, soit poétiquement... psychologiquement en soi, ou même de manière un peu plus concrète, qu'on ait lié les uns aux autres. J'aime aussi l'anecdote de la fourmi. Je ne sais pas comment des chercheurs ont pu établir ça, mais il paraît que quand on voit une longue file de fourmis qui chacune porte une petite miette, les amener à un endroit pour construire je ne sais pas quoi ou faire des réserves, si on pouvait interviewer l'une de ces fourmis et qu'on lui disait « qu'est-ce que vous êtes en train de faire ? » Elle dit « rien, je ne fais rien de spécial, j'ai trouvé une miette, je me promène avec. » pas conscience de l'ensemble. J'aime bien penser que toutes les existences sont liées et solidaires les unes des autres.

  • Speaker #1

    Alors, vous avez cette phrase qui, évidemment, m'interpelle. Vous dites, moi, lire, ça m'aide tellement. Les livres me tiennent dans la vie. C'est ce qui m'amène à cette question. Quel lecteur êtes-vous ? Est-ce que vous êtes un boulimie qui dévore plusieurs ouvrages en même temps ? Un infidèle qui va papillonner de l'un à l'autre ? Un perfectionniste qui veut absolument arriver à la dernière ligne ? même si le livre ne l'emballe pas, ou alors un récidiviste qui aime lire,

  • Speaker #0

    redire encore et encore et encore les mêmes livres ? Bien, je vous le dis. Aucun des quatre. Bah super ! On peut reprendre les quatre, aucun des quatre. Alors, est-ce que je vais m'en rappeler ? Donc déjà, pour la question d'aller au bout de tous les livres, non, pas du tout. C'est-à-dire que si un livre ne me plaît pas, il faut quand même que je lui laisse le temps d'être sûr que ça ne me plaît pas. Mais si un livre ne me plaît pas, je le referme. J'ai d'ailleurs essayé d'apprendre ça à mon fils. Il n'est pas évident de faire lire les enfants ou les adolescents. Là maintenant il n'est plus grand, mais ça a marché. Ma technique, parce qu'il lit maintenant, c'est de ne pas considérer que la lecture est un devoir, une obligation, une corvée, ce qu'on veut. Je lui disais quand il avait, je ne sais pas, 15 ans, quand tu regardes une série, surtout que maintenant tout est en accès, alors les livres… La seule petite différence, c'est que les livres, il faut les acheter. Évidemment, on se dit, c'est un peu con, j'ai acheté 20 euros pour un livre et j'en ai lu 10 par jour. Mais en tout cas, c'est le même principe. Quand tu regardes une série et qu'à la fin du premier épisode, tu vois que ça t'ennuie, que ça ne te plaît pas, que tu trouves ça nul ou quoi, tu ne vas pas te forcer à continuer. Il faut faire pareil avec les livres, il faut que ça reste un plaisir. Moi, je suis vraiment, mais très profondément convaincu que la lecture doit être et seulement être un plaisir avec... Le plaisir, ça peut être parce qu'on rigole ou parce qu'on est ému, mais ça peut être aussi le plaisir d'apprendre des choses, le plaisir de ressentir des choses, etc. Mais il ne faut surtout pas que ça soit quelque chose d'imposé. C'est un des problèmes avec l'école, même si les profs, c'est difficile pour les profs, parce qu'on ne peut pas dire, s'ils se mettent à dire aux enfants, vous lisez tel livre si vous avez envie, sinon vous ne lisez pas. Il va y avoir beaucoup de livres lus. Mais enfin, voilà. Donc ça, non, vraiment, j'arrête. J'en ai arrêté un, 7 000 d'ailleurs. Un lecteur boulimique qui lit plusieurs choses en même temps, non. Je suis un homme, donc j'ai un cerveau un peu primaire, un peu simplet, impossible. Enfin, je dis ça, je connais, je discutais il y a une dizaine de jours avec un ami, puisque je ne le connais pas, on ne se parle que par internet, quelqu'un qui m'a aussi aidé pour un de mes livres, et qui lit six livres en même temps. Alors là, moi, c'est... Je suis, mais c'est impossible pour moi, j'en suis complètement incapable. Je me perdrais déjà, je n'ai pas des facultés de mémoire phénoménale. Donc, voilà, je ne lis qu'un livre l'un après l'autre. Ensuite, je ne sais plus quels étaient vos... Vos propositions ? Non, ça non, je reste sur un livre, sauf que je l'abandonne dès qu'il ne me plaît plus. Bon, ça va. Voilà, c'est ça. Je relis ça, les livres. J'aimerais, là aussi, je connais des gens qui le font, mais alors cette chose qui n'est pas une angoisse, ça serait trop dire, mais j'ai l'impression que chaque livre que je relis, c'est un livre que je ne lirai pas. Je sais que quand je vais mourir dans très longtemps, à 99 ans, j'aurai lu peut-être un dixième, un vingtième des livres que je pourrais lire. Et parfois, j'ai envie de... des choses dont je me souviens qu'elles m'ont vraiment plu, soit pour vérifier d'ailleurs des trucs que j'ai lus à 20 ans, pour voir si je les aime toujours aujourd'hui. Enfin bon, il y a plusieurs raisons de relire des livres, mais j'ai un truc de, pas de culpabilité, mais d'anxiété à me dire ce que je suis en train de faire, ça va m'empêcher de lire le tout dernier livre. Donc non, je ne relis pas, alors que je pourrais, parce que vraiment... Là, par exemple, parce que vraiment, je vais finir ma phrase quand même, je prends les livres, encore une fois, comme des émotions, comme des sensations, mais comme beaucoup de gens, j'espère, je ne suis pas le plus crétin de tous les lecteurs, mais je l'oublie vite, j'oublie, mais parfois un an ou deux ans après. Et là, je suis en train, pour les besoins de mon prochain livre, de relire tous les... je ne les avais évidemment pas lus tous, mais de relire tous les Maigrets de Simenon, à 75. Et disons que depuis 20 ans, mais même il y a encore 2-3 ans, j'ai dû en lire peut-être une quinzaine ou une vingtaine, et là je les relis tous les uns et les autres. Et je me rends compte, mais parfois tout à la fin du livre, que j'ai lu déjà ce livre et que j'ai quand même pu passer 200 pages sans me rappeler qu'il y a 5 ans je l'avais déjà lu. Donc je pourrais, ça ne serait pas un problème de relire les livres, Un problème de temps et cette impression qu'on a un livre imparti.

  • Speaker #1

    Les livres tiennent dans la vie et qu'écrivez des livres qui aident. Vous avez un mot ou plusieurs pour les auditeurs et les auditrices de ce podcast ?

  • Speaker #0

    Ce n'est pas, c'est comme si vous disiez à quelqu'un qui aime boire du whisky, moi. ou à quelqu'un qui aime faire du sport, vous disiez comment vous pourriez... Moi, c'est absolument indispensable. C'est-à-dire, je ne comprends pas, très sincèrement, comment les gens peuvent vivre, ne serait-ce qu'une semaine ou un mois, sans lire, simplement parce que j'en ai besoin. Moi, je discute avec des gens qui me disent, mais comment tu fais pour passer un mois sans courir ? Alors que je peux passer 40 sans courir. Donc voilà, c'est indispensable, je trouve, mais même de manière plus prosaïque. Quand on se couche, moi je ne lis que... Alors d'ailleurs, je ne suis pas un de ces lecteurs qui lisent du matin au soir, qui lisent deux livres par jour, etc. Je fais pas mal d'autres choses, je travaille, je regarde la télé, j'ai l'impression que j'ai besoin aussi de regarder des trucs un peu débiles à la télé, au bistrot, discuter avec des gens, etc. Donc je lis uniquement le soir. Sauf quand c'est pour mon travail ou là je lis la journée. Mais mes lectures personnelles et de loisirs, on va dire, c'est uniquement le soir dans mon lit. Et je ne comprends pas comment on peut se coucher, se mettre dans son lit, ramener la couette sur soi, éteindre la lumière et dormir. Pour moi, ça me semble… Alors là, pour le coup, ce n'est pas intellectuel, il n'y a rien. C'est technique. Je ne comprends pas comment les gens font. Alors là, les gens me disent « Non, mais je regarde mon portable et je finis par m'endormir. » En tout cas, je ne veux pas faire le vieux schnock, mais… Ce n'est pas moi. Tout ce que je sais dans la vie, tout ce que j'ai l'impression que je suis constitué de tout ce que j'ai lu, et évidemment de tout ce que j'ai vu et vécu en vrai, sauf que dans mes rapports avec les gens, que ce soit dans mon métier d'écrivain quand je fais des salons du livre, des librairies ou au comptoir en bas, mes lectures me permettent de discuter avec les gens, m'aident à mieux comprendre les gens, ou à mieux trouver ma place en face d'eux, ou à mieux me comporter, je ne sais rien. J'ai l'impression... Là on va tomber dans des gros clichés, mais c'est comme l'eau à une plante ou le soleil à une plante. Je ne comprends pas comment on peut vivre sans... Alors ça peut être aussi, parce qu'il y a des gens pour plein de raisons qui n'aiment pas lire, ça peut être le cinéma, il peut y avoir des gens qui ont besoin de voir un film par jour et ça les nourrit, ou le théâtre ou la peinture, j'en sais rien. Mais en tout cas, je ne vois pas comment on peut exister sans se nourrir. intellectuellement, ça fait un peu lourd comme mot, mais mentalement, comment on peut vivre sans se nourrir de choses extérieures. Et c'est pas en courant autour du pâté de maison ni d'ailleurs en buvant whisky ou en faisant des puzzles qu'on peut se nourrir. Il faut que ça vienne de dehors. Moi, c'est de la lecture et j'ai l'impression que je me dessécherais complètement ou que je me mettrais à stagner complètement si j'arrêtais de lire.

  • Speaker #1

    Ce n'est pas moi qui vais vous dire le contraire.

  • Speaker #0

    Oui, j'imagine bien. Mais encore une fois, c'est un plaisir. C'est-à-dire qu'il faut que ce soit comme... Moi, c'est comme si on disait arrêter de manger des pâtes, par exemple, ou des choses comme ça. Et moi, il y a des choses qui sont un plaisir pour d'autres personnes qui seraient des corvées pour moi. Ma femme aime beaucoup aller dans les musées, par exemple, dans les expositions. Moi, ça me saoule. Ce n'est pas le truc qui me nourrit, donc je n'y vais pas. Donc, je... comprends que pour certaines personnes, la lecture, ce soit fastidieux, soit ennuyeux, j'en sais rien, et que donc elle n'est pas en vie. Mais en tout cas, je pense que si, et moi j'en parle souvent au bar avec des potes de comptoir que je n'aurais pas rencontrés, c'est pour ça que j'aime les bars que je n'aurais pas rencontrés, je ne me fréquente pas les mêmes milieux, mais qui me disent… Je m'ennuie le soir et tout. Et moi, j'essaye de les pousser à lire. Alors, certains s'y mettent et sont contents. Il a fallu que j'attende 50 ans pour découvrir que ça faisait du bien de lire. Et d'autres qui me disent, non, j'ai essayé, ce n'est pas pour moi, je n'arrive pas à me concentrer, ou je n'arrive pas, c'est trop lent pour moi. Enfin bon, bref, en tout cas, il faut que ça reste un plaisir. Mais si c'est un plaisir, il ne faut pas hésiter à l'utiliser à fond.

  • Speaker #1

    J'aime beaucoup cette phrase. Philippe Jéranada, je rappelle que le premier épisode de ce podcast a été consacré à La Petite Femelle, que vous avez publié en 2015, et que votre dernier livre, La Désinvolture, est une bien belle chose, est sorti au mois d'août dernier chez Mélanie Barraud, et qui fait à peine, à peine, 482 pages.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas énorme, c'est la moitié de mes précédents. Mais voilà.

  • Speaker #1

    Merci, merci infiniment, Philippe Jéranada, pour cet échange, et merci encore, de tout cœur, d'avoir accepté de soutenir Enrouille.

  • Speaker #0

    Merci à vous, Loubna, et je vous souhaite au podcast tout le beau parcours qu'il mérite, parce que pour l'instant, je n'ai entendu qu'un seul épisode, qui est celui de Petite Femelle, et je l'ai trouvé très sincèrement, sinon je ne serais pas là à vous parler, formidable, parfaitement équilibré, vif et profond et léger en même temps. Donc, bravo Loubna et merci, et bonne chance, bonne route. Merci, merci beaucoup.

  • Speaker #1

    Et voilà, un peu plus de 40 minutes plus tard, c'était mon précieux échange avec Philippe Jehanada, qui a bien voulu être le soutien moral de ce podcast, et que je remercie pour sa générosité et son humilité, car c'est ce qu'on aime aussi dans la littérature. Si quelques-uns et quelques-unes pouvaient en prendre de la graine, mais bon, ceci est une autre histoire. A bientôt dans En Roue Livre.

Description

Il paraît qu’il n’y a pas de hasard dans la vie. Peut-être est-ce un hasard si j’ai choisi de commencer ce podcast avec un livre de Philippe Jaenada… J’ai bien dit peut-être !

En tout cas, ce n’est certainement pas un hasard si j’ai décidé de lui demander d’être une sorte de soutien moral pour En Roue Livres ! (Un soutien, parce que les parrains et moi ne faisons pas vraiment bon ménage 🙄).

Après quelques bouteilles à la mer, j’arrive à entrer en contact avec lui, à lui parler de mon projet et à lui faire écouter l’épisode consacré à La Petite femelle. Lui, fidèle à l’image que l’on peut avoir si l’on suit toutes ses confidences disséminées au fil de ses digressions, accepte.

Le résultat est cet échange qui devait, initialement, ne durer qu’une quinzaine de minutes mais qui s’est poursuivi au-delà… non sans parenthèses, bien sûr, qui vont de sa méthodologie d’écriture aux soupes lyophilisées en passant par les fourmis ou le rôle de l’inconscient.

Oui, je sais, ça a l’air un peu dur à suivre… Mais vous savez quoi, c’était un très bon moment… que je tenais à partager avec vous!



Crédit photo : Jean-Luc Bertini - Revue La Femelle du Requin


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Il paraît qu'il n'y a pas de hasard dans la vie. Peut-être est-ce un hasard si j'ai choisi de commencer ce podcast avec un livre de Philippe Jaenada. J'ai bien dit peut-être. En tout cas, ce n'est certainement pas hasard si j'ai décidé de lui demander d'être une sorte de soutien moral pour En Roue Livres! (Un soutien parce que les parrains et moi ne faisons vraiment pas bon ménage). Après quelques bouteilles à la mer, j'arrive à entrer en contact avec lui, à lui parler de mon projet et à lui faire écouter l'épisode consacré à "La petite femelle". Lui. fidèle à l'image que l'on peut avoir si l'on suit toutes ces confidences disséminées au fil de ces digressions, accepte. Le résultat est cet échange qui devait, initialement, ne durer qu'une quinzaine de minutes, mais qui s'est poursuivi au-delà. Non sans parenthèses, bien sûr, qui vont de sa méthodologie d'écriture aux soupes lyophilisées, en passant par les fourmis, le café ou encore le rôle de l'inconscient. Oui, je sais, ça a l'air un peu dur à suivre, mais vous savez quoi, c'était un très très bon moment que je tenais à partager avec vous. Il est, pour reprendre ses mots, obsédé, voire fasciné par le temps qui passe, par ce qui disparaît et par ce qui reste. Ancien journaliste, il dépoussière aujourd'hui des tonnes d'archives sans avoir peur de nous perdre dans leur foisonnement. Ou alors, il s'en fiche, on lui demandera. Il a fait des parenthèses et des digressions teintées d'humour et d'autodérision presque un genre littéraire en soi. Philippe Jaenada, bonjour.

  • Speaker #1

    Bonjour Loubna.

  • Speaker #0

    Merci d'avoir accepté d'être le soutien moral de ce podcast, car oui, nous sommes dits que la notion de soutien moral couronne peut-être mieux que celle de parrain.

  • Speaker #1

    Avec plaisir, je vais soutenir comme je peux, mais de bon cœur.

  • Speaker #0

    Merci. Les auditeurs et les auditrices de En Roue Livres! ont découvert le premier épisode dédié à "La petite femelle". Pauline Dubuisson a hanté nombre de vos lecteurs et de vos lectrices (alors vous aurez compris que j'en fais partie). On a l'impression qu'elle continue aussi de vous accompagner, puisqu'on la retrouve, un peu, dans votre dernier livre, "La désinvolture est une bien belle chose". Est-ce que c'est le cas ? Est-ce que vous êtes toujours hanté, obsédé par Pauline Dubuisson ?

  • Speaker #1

    Hanté, obsédé, non. Mais elle m'accompagne, on me pose souvent la question, on me demande, comme à peu près tous mes livres sont consacrés à une personne en particulier, enfin avec tout son entourage, mais une personne en particulier. On me demande souvent, mais comment vous faites quand vous commencez par exemple à écrire La Serpe, comment vous faites pour oublier Pauline Dubuisson, La Petite Femelle ? Comment vous faites là pour le livre que je suis en train d'écrire maintenant ? On me demande, j'ai sorti un livre l'année dernière, comment vous faites pour oublier Kaki et les moineaux qui étaient les personnages de mon livre ? Et en fait, bien entendu, on n'a pas besoin d'oublier, c'est-à-dire que je n'oublie pas du tout. C'est comme si on me demandait, c'est comme si j'ai un ami, disons qu'il s'appelle François. et que deux ou trois ans plus tard, je rencontre un ami ou une amie que j'aime bien et qui s'appellerait Isabelle ou Thierry, et on me dirait, « Ah, ben, t'es amie avec Thierry, mais comment t'as fait pour oublier François ? » On n'a pas besoin, on a de la place dans le cœur et dans la tête. Donc, évidemment, je n'oublie pas des gens avec qui j'ai passé, même de manière, comment peut-on dire, virtuelle presque, puisque, évidemment, je n'ai jamais rencontré ces gens. Et quand je travaille, par exemple, sur Pauline Dubuisson, pendant deux ans, jour et nuit, presque la nuit, souvent, oui, en tout cas, sept jours sur sept, je ne suis qu'avec elle. C'est-à-dire, je vis en 1950, je passe mes journées à étudier des rapports, des auditions, des choses qui la concernent, à les organiser, puis ensuite à les relater en écrivant. C'est vrai, je la connais mieux que ma mère pour une raison toute simple. Moi, si je m'intéresse à des affaires judiciaires, ce n'est pas que je sois fasciné par les crimes, le meurtre, le sang, les faits divers. C'est simplement parce que quand il y a eu une affaire judiciaire, il y a eu une enquête de la police, et qu'une enquête de la police, c'est une mine d'or pour un écrivain. C'est-à-dire que les enquêteurs ou le juge d'instruction interrogent absolument toutes les personnes qui ont côtoyé plus ou moins longtemps, de près ou de loin, la victime ou d'ailleurs le coupable, ses amis d'enfance, ses professeurs, ses amoureux, ses copains de fac, ceux qui l'ont vu 10 minutes avant sa mort et ceux qui l'ont vu pendant des années, 20 ans avant sa mort. Et puis surtout, quand on répond à la police, on est obligé de dire la vérité. Il n'y a pas d'intimité, il n'y a pas de secret, en théorie du moins. Et évidemment, moi, sur ma mère, je n'ai pas 50 personnes qui ont connu ma mère à tous les âges de sa vie. et qui me donnerait une sorte de gros dossier où on me raconte tout sur elle. Donc, même si je dis à la fin de La Petite Femelle, il faut quand même que je reste la tête froide et lucide. J'ai l'impression de connaître Pauline Dubuisson, mais je ne connais même pas le son de sa voix, ce qui est pourtant élémentaire, c'est la première chose qu'on entend, qu'on sait de quelqu'un. Donc, je ne deviens pas complètement fou à m'imaginer que je connais Pauline Dubuisson, mais en tout cas, j'ai plus d'informations sur sa vie que sur la vie de ma mère.

  • Speaker #0

    Et dans votre carrière d'écrivain, il y a eu un avant et un après, ce livre ?

  • Speaker #1

    Oh non, pas spécialement, il y a en avant et en après tous mes livres. À chaque fois, j'ai l'impression que, là d'ailleurs, c'est en train de m'arriver en ce moment, à chaque fois quand je suis plongé dans un travail, c'est-à-dire soit le travail de préparation, de recherche, etc., soit le travail d'écriture en lui-même qui vient après, j'ai l'impression que rien d'autre n'existe. C'est-à-dire que quand je travaillais sur La Petite Femelle, j'ai l'impression qu'il y avait une seule personne qui avait vécu sur la planète, c'était Pauline Dubuisson en 1900. 1927 et 1963. Et puis, dès que j'en ressors, c'est comme si je m'ouvrais ou si j'ouvrais les fenêtres. Et du coup, d'autres choses existent. Là, il y a, je ne sais pas, on va dire cinq mois, quand j'étais entre la fin de l'écriture et puis le début de la sortie de mon livre, de mon dernier livre, si vous m'en aviez parlé, je vous aurais dit, je vais me mettre des années à en sortir. Là, je suis sur le prochain et déjà, je ne pense pas. qu'à celui sur lequel je travaille en ce moment.

  • Speaker #0

    On va revenir à ce livre-là, mais d'abord je rappelle que vous avez commencé votre carrière d'écrivain avec des récits plutôt autobiographiques, il y en a sept, même si le premier, Le Chameau Sauvage, démarre avec un fait divers, puis vous semblez vous passionner pour ce genre. Avant La Petite Femelle, il y a eu Celac, consacré au célèbre braqueur des années 70. Vous avez ensuite suivi la trace d'Henri Girard dans La Serpe, puis celle de Lucien Léger dans Au printemps des monstres. Et puis, il y a eu aussi Alain Lapry, qui est toujours en prison pour l'assassinat de sa tante dans un livre qui s'appelle « Sans preuve et sans aveu » , mais qui n'est pas vraiment un roman.

  • Speaker #1

    Exactement.

  • Speaker #0

    Et « Jusqu'au suicide » de Jacqueline Harris, qui se dit qu'à qui dans « La désinvolture est une bien belle chose » . Alors, vous avez déclaré il y a quelques mois dans une interview pour le magazine Lire, « Je n'aime pas écrire de la fiction, ça ne m'amuse pas » . Alors, la fiction imaginaire, définitivement pas assez intéressante pour vous.

  • Speaker #1

    Alors, en tant que lecteur, si. Par exemple, je lis beaucoup de romans policiers, donc évidemment, dans la grande majorité des cas, c'est de la fiction. Donc, en tant que lecteur, j'aime ça. En tant qu'auteur, à la fois, d'une part, sincèrement, ça ne m'intéresse pas, et d'autre part, je pense que je ne dois pas être très doué pour ça. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, après mes sept premiers livres, je suis plus ou moins autobiographe. Tu as quand même l'autobiographie. Ce n'était même pas de l'autofiction, c'était de l'autobiographie assez romancée, ou en tout cas modifiée. Ma vie, c'est-à-dire que ça suivait, ces sept premiers livres suivent l'évolution de ma vie personnelle. Le premier, Le Chameau Sauvage, c'est un jeune homme qui cherche l'amour et qui n'est pas bien doué, qui est un peu naïf. Le deuxième, c'est à peu près le même jeune homme, même s'il n'a pas le même nom, que Coup de Foudre, qui rencontre la femme de sa vie qui est à moitié dingue. Le troisième, c'est le cauchemar de la vie conjugale, etc. Ça suivait les étapes de ma vie. Il y a la naissance de notre enfant. Et puis, disons vers les années 2009-2010, ma vie, notre fils avait grandi, notre vie de couple s'était stabilisée, moi j'avais pris de l'âge, je ne m'amusais plus à aller faire le fou toutes les nuits dans Paris. Et donc, je n'avais plus rien à raconter en fait. C'est-à-dire que ma vie ne pouvait plus me servir de... de matières premières pour mes livres. Ou alors ça aurait été les livres les plus ennuyeux de l'histoire de la littérature, je pense. Et donc je me suis dit, qu'est-ce que je vais devenir ? Qu'est-ce que je vais faire ? Qu'est-ce que je vais écrire ? J'ai fait deux, trois essais de fiction et je me suis rendu compte, non seulement encore une fois, je crois que ce n'était pas terrible, mais surtout que je m'ennuyais terriblement en écrivant. Et puis, il m'est venu à l'esprit une chose toute bête, c'est que je n'étais pas le seul sur Terre et que donc je pouvais tout à fait raconter la vie d'autres personnes que moi-même. Mais donc, dans mon esprit, c'est vrai que vu de l'extérieur, et pour les critiques ou les lecteurs même, ce sont deux périodes très différentes. Dans mon esprit, c'est simplement la continuité. Sauf que voilà, au lieu de parler de moi, et comme vous disiez tout à l'heure, quand je parlais de moi, c'était des sortes de petits faits divers aussi, des choses évidemment intimes, anecdotiques et minimes par rapport à des crimes ou à des grandes histoires. judiciaire, mais enfin c'était quand même le même principe. Là je me décale, donc depuis mon premier dans ce genre là, c'est en 2013, je me décale vers d'autres personnes et non seulement je... Je ne suis pas le mieux placé pour juger, mais je pense que les livres sont plus intéressants. Et surtout, en tout cas, une certitude, c'est que pour moi, c'est plus intéressant, plus distrayant, plus amusant à écrire. À la fin, mes deux, trois derniers livres où je parlais de moi, de ma vie en tout cas, quand j'écrivais mes derniers livres, pour moi, je disais que ce n'était pas une corvée, ce serait trop dire une corvée, mais enfin, j'avais peu d'entrain et d'enthousiasme. Et quand je me suis mis à écrire sur d'autres personnes, je me rends compte que je suis le pire. le premier lecteur, c'est-à-dire que je décours ces histoires avant les gens qui, j'espère, les découvriront de bonne manière avec mes livres. Donc ça me passionne, ça m'excite, ça m'intéresse et j'écris avec beaucoup plus d'allant, d'entrain, de plaisir quand je parle des autres que quand je parle de moi. Mais pour moi, dans mon esprit, il n'y a pas une différence énorme entre ces premiers romans personnels, on va dire, et puis tous les derniers plus ouverts vers les autres.

  • Speaker #0

    Justement, vous parliez de critique tout à l'heure dans la presse et dans la critique, on vous a souvent qualifié d'écrivain justicier, de spécialiste dans la littérature du fait divers, d'auteur de true crime, ça vous agace, ça vous plaît, ça vous indiffère, vous en fichez ?

  • Speaker #1

    Ça ne m'agace pas du tout, ça ne me fiche pas spécialement non plus, je m'en fiche un peu, c'est-à-dire que chacun voit… Alors justicier, c'est un peu curieux, parce que d'abord je ne prétends pas évidemment détenir une quelconque vérité. des enquêtes criminelles sur lesquelles des dizaines de personnes ont travaillé pendant des mois et des mois, et moi je débarque et je dis non, non, vous avez tort, c'est moi qui ai raison. Donc il faut que je reste très humble là-dessus. Et puis aussi, quand j'écris sur Pauline Dubuisson, lui rendre justice, je ne sais pas trop ce que ça veut dire, puisque Pauline Dubuisson n'existe plus. Je ne pense pas qu'elle soit assise sur un petit nuage, et qu'en regardant vers le bas, elle dise, merci Philippe, c'est gentil, tu m'as rendu justice. Donc non, moi je me vois comme... Et puis on me dit « vous auriez fait un bon policier, un bon avocat, etc. » Ce n'est pas vrai. J'emprunte quelques petits trucs qu'il y a des policiers ou des avocats, mais écrire un livre, c'est beaucoup plus simple. Moi, je peux affirmer, dans « La petite femelle » , par exemple, puisqu'on en parle, je peux affirmer que Pauline Dubuisson n'est pas vraiment coupable, que c'est un homicide involontaire, qu'elle voulait réellement se tuer. Ça, c'est moi, c'est ma conviction et j'essaye de la... de la transmettre au lecteur, mais les jurés qui ont eu à la juger, c'est beaucoup moins évident, il faut des choses plus concrètes. Donc je ne me prends pas pour un justicier ni pour un policier, peut-être pour un avocat, mais un avocat amateur, dans le sens où j'essaye de défendre des gens qui, selon moi, ont été injustement accusés ou injustement traités par le regard de la société. Mais voilà, et puis on ne peut pas dire, quand on dit spécialiste des faits divers, des true crimes, etc., on ne peut pas dire que c'est faux, puisque c'est à peu près ce que je fais. Dans le dernier, ce n'était pas un crime, ni une erreur judiciaire, ni quelque chose comme ça, mais ça revient toujours au même, ce sont des sortes d'enquêtes plus ou moins axées sur l'humain, c'est en tout cas au moins autant axé sur l'enquête policière proprement dite. Pour Pauline Dubuisson, par exemple, si on étudie vraiment l'autopsie, la balistique, etc., on a la preuve que ça ne s'est pas passé comme l'accusation l'a affirmé, c'est-à-dire qu'elle n'a pas tué de sang-froid son amoureux avant de l'exécuter d'une balle dans la nuque. Ça, c'est une preuve tangible. Mais sinon, c'est surtout humainement que j'essaye de me pencher sur ces gens, avec le plus de bienveillance, peut-être pas d'objectivité, mais de lucidité possible. Ça reste la vie d'une personne, d'un être humain, moi en l'occurrence, et donc ça reste très subjectif.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, dans votre… Alors, je n'aime pas le mot, mais je n'en trouve pas d'autre là tout de suite. Dans le processus, on va dire, quelle est la période qui vous intéresse le plus ? Est-ce que c'est celle où vous cherchez le sujet, celle où vous menez votre enquête, cette investigation ? C'est passionnant d'ailleurs, dans chaque livre, que ce soit dans La Petite Femelle ou par exemple dans le dernier, dans La Dédain Vauture, et toutes les dernières belles choses, on suit avec vous, pas à pas, comme on vous fête. Est-ce que c'est plutôt la… Partie là où vous êtes en train d'écrire, quelle est la période la plus excitante ?

  • Speaker #1

    Ce qui est formidable, c'est qu'elles le sont toutes. En plus, je travaille de manière très rigide, routinière. J'ai besoin de ça, j'ai besoin d'une discipline presque scolaire pour travailler. Et je travaille toujours exactement de la même manière. C'est-à-dire que les deux, disons, pour schématiser, pour simplifier, il y a une période de recherche et une période d'écriture. Les deux ne se chevauchent pas. jamais, c'est-à-dire que je ne commence pas à écrire le premier mot du livre si je n'ai pas la certitude d'avoir terminé toutes mes recherches. et même d'avoir terminé ensuite la mise en forme, le tri, le classement, toutes les informations que j'ai recueillies, pour en faire une sorte de fichier de base, comme un sculpteur prendrait un bloc d'argile, il faut que mon bloc d'argile soit bien là, que je sache que je ne vais pas en rajouter après, et là je commence à travailler. Donc c'est deux périodes vraiment distinctes, et dans chaque période, qui sont en plus sur des temps, disons que si j'écris un livre, si je publie un livre tous les deux ans, on va dire que... Comme il y a la promo du livre et tout ça, on va dire 20 mois de travail. Sur 20 mois de travail, j'ai presque précisément 10 mois de recherche et 10 mois d'effectu. Donc, c'est deux périodes équivalentes qui ne se chevauchent pas et qui sont les deux aussi intéressantes de manière différente, qui m'apportent des choses et des émotions différentes, mais j'aime les deux. C'est-à-dire que quand j'ai terminé un livre, il me tarde une seule chose, c'est après la tournée d'automne de… me pencher sur un autre pour retourner dans les salles d'archives, dans les vieux dossiers. Et c'est vraiment, c'est un plaisir enfantin. C'est vraiment quelque chose de l'ordre de formidable, je vais me plonger dans une nouvelle enquête, c'est un vrai plaisir et qui n'a rien à voir avec la littérature. C'est-à-dire que vraiment, si j'étais simplement archiviste, je ne sais pas si quelqu'un me faisait une commande, je voudrais retrouver l'histoire de mon grand-père, je ne sais pas quoi, j'aurais le même plaisir exactement. Et puis tout d'un coup, une fois que j'ai terminé tout ça, Alors qu'une semaine avant la fin, je me dis, c'est bientôt fini, les recherches sont un peu déconfies, je me dis bon. Et puis dès que j'ai terminé, que j'admets que c'est fini, je ne considère plus que c'est une histoire vraie, je considère que c'est la matière première dont je dispose, ce sont en général des fichiers qui peuvent faire 700-800 pages d'informations. Je me dis maintenant, il faut que je les transforme en littérature, il faut que j'écrive. Et là, tout à coup, je bascule et là je deviens… écrivain et seulement écrivain, je me détache du fait que ceux dont je parle sont des personnages qui ont existé, des gens qui ont existé, des histoires vraies, des faits réels, etc. Je m'en détache comme si un scénariste m'avait donné le matériau pour écrire mon livre. Et c'est un autre plaisir qui est complètement différent mais qui est très sincèrement... Je pourrais mettre aucun des deux devant l'autre. Ils sont successifs, pas opposés mais en tout cas très différents. Et pour moi, c'est formidable parce que ça évite toute lassitude. Là, je commence, pour le prochain, je suis dans la phase de fin des recherches, de l'alimentation. Et ça fait, j'ai dû travailler dessus, je ne sais pas, 8 mois, quelque chose comme ça, 8 ou 9 mois. Et je commence à en avoir marre. C'est-à-dire qu'en fait, c'est bien fait. Je commence à me dire, bon, allez. Il me tarde maintenant de me mettre à écrire. Et donc, il y a la période la moins agréable, a priori, c'est entre les deux. C'est-à-dire, c'est pile ce que je suis en train de faire là, ce que j'ai fait au moment où on s'est retrouvés sur la plateforme. C'est parce que j'ai des méthodes de travail très précises. Je ne sais pas si ça vous embête ou pas, mais j'essaye de vous expliquer vite fait. Bon, alors je vais... Donc... L'essentiel du travail, ce sont les archives de dossiers d'enquête ou de choses comme ça. Je fais des photos. Je vais dans les salles d'archives de lecture, je fais des photos. Ça peut être des centaines, des milliers de photos. Ensuite, je ramène ces photos chez moi et là, il faut que je les transforme en une matière utilisable. Donc, il y a une deuxième étape que j'aime bien parce que ça me permet de me remettre tout en tête. Je relis à voix haute. Toutes ces photos, ça peut prendre deux mois, il y a beaucoup, dans un dictaphone. Là, par exemple, je viens de terminer, j'ai 3000 fichiers de choses que je lis. Mercredi 3 avril 1949, l'inspecteur interroge le boulanger Bidule, et je lis les dépositions. Ça, c'est quelque chose qui me plaît, ça me permet de me remettre toute l'histoire en tête, etc. Ensuite, il y a quelque chose qui est un peu plus fastidieux, qui est ce que je suis en train de faire là. Je réécoute ces milliers de fichiers son que j'ai enregistrés moi-même et je tape tout sur mon traitement de texte. Je recopie tout à la main comme si j'étais secrétaire ou sténodactylo ou je ne sais quoi. Sans recopier mot à mot, je sélectionne ce qui peut être intéressant ou pas. Là, c'est un travail qui peut être pénible, c'est aussi très long, c'est des semaines et des semaines. D'ailleurs, pas mal de gens me disent « mais t'es con, il y a des logiciels » . que ce soit les photos, même on peut passer directement des photos au traitement de texte, je suis obligé de le faire parce que si sur un dossier qui fait 2000 pages, si page 18, j'ai lu « Il est entré dans la pièce à 14h10 avec un pantalon rouge » , trois mois plus tard, page 1950, je lis quelqu'un d'autre qui dit « Oui, il devait être à peu près 15h20, il avait son pantalon jaune » , je me dis « Oh là là, je crois que j'ai lu, je ne sais plus quand ni où, j'ai lu l'inverse » . Et donc évidemment, parmi une masse de photos ou de fichiers sans, c'est impossible à retrouver, il faudrait que je revoie tout. Alors que sur un traitement texte, je tape pantalon, voilà, et je vois très vite. Donc là, je suis dans cette période qui est la plus fastidieuse, et en même temps, je me rends compte, tout en le faisant, comme c'est un travail très mécanique, de recopier simplement ce que j'entends, mon cerveau, mon modeste cerveau... met en place des choses. Je me rends compte, après, quand je vais commencer à écrire dans quelques mois, à écrire vraiment le texte, c'est-à-dire la première phrase du texte, je me rends compte que j'ai déjà, pendant ce temps-là, préparé, je me dis, ça, je vais en parler vers le premier tiers du livre, cet épisode-là, je vais en dire une moitié au début, et puis après, plutôt vers la fin, je donnerai la solution. Je sens que ça se fait. C'est quelque chose qui est extrêmement chronophage, qui prend beaucoup de temps et qui n'est pas très joyeux à faire, mais je sais que c'est utile et que... Moi, je crois beaucoup à l'inconscient quand on écrit ou quand on fait n'importe quoi dans la vie, d'ailleurs. Quand on va vers quelqu'un, que ce soit dans le domaine de l'amour ou de l'amitié, on est porté vers des gens, on ne sait pas vraiment pourquoi. On ne se dit pas parce qu'il a de belles oreilles ou qu'elle n'aura plus le rouge et que j'aime bien les pulls rouges. Enfin bon, il y a un truc d'inconscient. On se rend compte après pourquoi on est allé vers telle ou telle personne. Et je pense, moi, que dans l'écriture, même si on dirait, je pense, en lisant mes livres, que c'est extrêmement... travailler, calculer, prévu, qu'il y a un plan très strict. Il y a ça, parce que c'est indispensable pour ne pas dire de bêtises, mais je sais qu'il y a aussi des choses qui se passent à l'intérieur sans que j'en ai vraiment conscience et que je laisse faire. Et donc là, c'est ce qui est en train de se passer en ce moment.

  • Speaker #0

    Et qui se construit à mesure presque de tout le process.

  • Speaker #1

    Oui, qui se construit. Là, je suis en train de recopier... C'est une scène de... Bon, je ne vous dis pas de quoi. Il faut que je garde un peu de temps. Mais bref, je me rencontre en même temps que la recopie, je pense, je me dis, je vais parler de la déposition d'un tel tout début du livre, quand ce sera en progression narrative, et ensuite, je laisserai, je ferai comme si, voilà, et à la fin, je donnerai la clé du truc. Donc, ça se construit. Pas tout le monde,

  • Speaker #0

    parce que je tiens à le souligner, le récit peut parfois être dramatique, les faits sont... accablants, des dessins brisés, on suit avec vous des êtres quand même qui sont très malmenés. Pourtant, on se surprend à sourire beaucoup, voire à rire franchement. L'humour, pour vous, c'est votre manière de... La formule est peut-être facile, mais je l'apprends quand même, je l'assume, de construire une sorte de rempart contre le sordide ou est-ce que c'est une envie répressive ? Est-ce que c'est plus fort que vous ?

  • Speaker #1

    Alors, c'est une envie irrépressible, c'est même pour moi une nécessité. Alors, dans la littérature, mais même dans la vie de tous les jours. C'est-à-dire, alors je ne sais pas, je suis content quand on me dit « ça m'a fait sourire » ou « ça m'a fait rire » . Alors, pour moi, c'est légèrement différent de l'humour, c'est plutôt une forme de recul, de détachement. Et forcément, quand on se regarde avec un peu d'écart, de distance, un peu plus loin ou un peu plus haut, on se trouve un peu, les choses les plus graves, tout d'un coup, perdent de leur… de leur gravité, de leur lourdeur. Donc moi, j'essaye de faire ça dans ma vie, pour moi, toujours. Je me vois, j'ai souvent, depuis très longtemps, depuis que j'ai 20-25 ans, je m'imagine perché sur un réverbère, assis en haut du réverbère et me regarder en dessous. Et ça permet de déconnecter, de désactiver pas mal de tensions, de problèmes, de choses qui paraissent insurmontables. Et dans les livres, alors moi, c'est facilité. extrêmement facilité par le fait que je parle d'affaires anciennes. Donc déjà, de toute manière, il y a le recul du temps. Vous parliez tout à l'heure d'un livre que j'ai écrit qui ne fait pas vraiment partie de mes romans, qui est sans preuve et sans aveu. C'est simplement, en 2021, j'étais en train de dédicacer mes livres dans une librairie, il y a un monsieur qui arrive et qui me dit « je vais être incarcéré la semaine prochaine, je suis victime d'une erreur judiciaire terrible, au secours, aidez-moi » . Donc j'ai écrit juste un petit livre qui fait même pas le quart de mes livres habituels, et c'était simplement pour alerter les médias, c'est une affaire dont on ne parlait pas, et simplement profiter de ma petite notoriété pour que les médias alertent sur l'injustice qui a été faite à cet homme. Bref, dans ce livre-là, il n'y a pas d'humour, c'est pas drôle, c'est-à-dire que je ne peux pas prendre du recul par rapport au drame d'un homme et d'une femme, de sa femme qui est... qu'il attend désespérément, il n'est toujours pas sorti, donc ça fait 5 ans. Et là, le détachement est impossible, l'auto-dérision, même l'auto-dérision par rapport à moi, qui ne suis pas en prison. Ne me voyez pas dans un livre qui parle d'une histoire tellement lourde, faire des petites blagues pour faire plaisir au lecteur, parce qu'en fait, ça sert à ça dans les livres. L'histoire de Pauline Dubuisson, par exemple, c'est une histoire, vraiment, quand on la regarde, si on la donne à un ordinateur, si on donne ce qu'on sait de sa vie, c'est très noir, très triste, il n'y a pas de lumière, il n'y a pas de légèreté, il n'y a pas de sourire. Je n'ai pas envie, moi, de mettre dans les mains des lectrices et des lecteurs un gros bloc noir et désespérant, donc j'injecte des choses qui me concernent, moi, des petites mésaventures qui m'arrivent pendant l'écriture, ou une manière d'écrire un peu plus légère, parce que mon but, en fait, c'est d'essayer et je n'y arriverai jamais, personne n'y arrivera jamais, mais on peut toujours essayer, que mes livres soient le reflet de la vie, de la réalité. Or, je sais que dans la vie de Pauline Dubuisson, même si elle a été courte, qu'elle s'est finie de manière tragique et qu'il y a eu plein d'épisodes extrêmement douloureux, il y a des moments de légèreté, d'insouciance. Pauline Dubuisson, elle a dû rigoler, elle a dû se dire « ah, c'est le printemps, la vie est belle aujourd'hui » , etc. Mais dans un dossier de police ou dans la plus… plupart des souvenirs d'ailleurs ou des traces qu'on peut garder des gens ça n'apparaît pas ce qui apparaît c'est comme je sais pas quand on regarde les chaînes info ce qui apparaît c'est que les choses graves et voilà c'est pareil moi dans le dossier de police je n'ai plus trace d'aucun moment de légèreté d'insouciance de pauline dubuisson j'ai pas envie de les inventer parce que j'aime pas inventer sur d'autres personnes qui m'ont rien demandé donc j'injecte moi un peu artificiellement j'ai souvent l'image de Les petits trucs, les bolinos, je ne sais pas si ça existe encore, les bolinos, les petites nourrises ou les soupes chinoises lyophilisées. Vous savez, ça oui, mais les bolinos, comme de la poudre, on rajoute de l'eau et hop, ça pâte. Moi, j'ai l'impression qu'il me reste de l'histoire des gens le truc lyophilisé, que donc ça ne ressemble pas à la vie. Il y a l'essence même de ce qu'a été leur existence, peut-être, mais ça ne ressemble pas. Et donc moi, c'est pour ça que je me mets en scène tout le temps. toujours dans mes livres, ce n'est pas par plaisir de parler de moi, mais avec ma présence et surtout les choses plus légères, un peu absurdes et tout ça qui m'arrive, ça reconstitue un peu ce que j'espère, où je prends souvent aussi l'image du café, c'est-à-dire que s'il y a un extraterrestre qui arrive, qui n'a jamais bu de café, je ne sais pas ce que c'est. Et que pour lui faire comprendre ce que c'est, on lui montre un filtre après le passage du café, on lui montre le filtre où il reste cette espèce de matière noire, etc. Il ne va pas se dire « je goûterais bien un peu de café » . Alors que le café sans eau, c'est ça. Moi, je suis un peu l'eau, disons, pour irriguer un peu des choses que le temps a asséchées et durcies et noircies.

  • Speaker #0

    Et la désinvolture, pour vous, vous essayez de l'apprivoiser ? Vous dites non très peu pour moi. Je rappelle quand même que le dernier livre, « La désinvolture est une bien belle chose » . Très beau titre d'ailleurs.

  • Speaker #1

    Tu voulais me demander ? Je veux bien merci, d'autant que ce n'est pas de moi, c'est pour moi qui ai écrit l'info. La désinvolture, moi, c'est quelque chose que je recherche beaucoup, dans le sens où je me rends compte en regardant, en lisant les journaux, ou en écoutant la radio, il y a un sens qui n'est pas le mien, qui n'est pas celui vers lequel je veux aller, et il y a un sens à la désinvolture qui peut être… Le laxisme, le j'm'en foutis, les choses comme ça. On entend des phrases...

  • Speaker #0

    Superficialité, oui.

  • Speaker #1

    Voilà, voilà. Superficialité ou mollesse. S'il y a des problèmes de criminalité à Grenoble, c'est à cause de la désinvolture des pouvoirs publics. Enfin, des trucs comme ça. Moi, je le prends dans le sens étymologique.

  • Speaker #0

    ça vient de l'italien, involto en italien, ça veut dire enveloppé, enroulé, ligoté, comme les involtini qui sont des petits, c'est du fromage avec du jambon enroulé autour, bref. Donc des involto, c'est ce qui n'est pas enveloppé, pas ligoté, c'est ce qui est libre, détaché, sans contrainte, et évidemment, c'est plutôt agréable d'essayer d'aller vers ça, c'est inaccessible sur la durée. Moi, pendant l'écriture de ce livre, La désinvolture est une bien belle chose, enfin juste avant de commencer l'écriture, j'ai fait le tour de France tout seul, par les bords, par les côtés. Je suis parti de Dunkerque, j'ai fait le tour de France par les côtes, en m'arrêtant tous les 200-300 kilomètres dans une ville, en allant au bistrot, au restaurant, en dormant à l'hôtel. Et ça a duré 24 jours, je n'ai eu absolument rien à faire, rien d'autre à faire que de rouler en écoutant la radio, trouver un bon bar, un bon restaurant, et d'aller dormir à l'hôtel. sans aucune contrainte, aucune obligation. J'étais seul, je n'ai pas de téléphone portable, donc personne ne pouvait me joindre. J'étais dans une liberté absolue. C'était vraiment, pour le coup, la désinvolture totale. Ça a duré 24 jours. C'est extraordinaire pour moi, c'est un souvenir très fort. Mais je sais que ça n'aurait pas pu durer plus longtemps. C'est-à-dire que je n'aurais pas pu vivre comme ça pendant trois mois. Déjà, je me serais ennuyé. En plus, ça m'aurait coûté très cher. Et puis, ma vie m'aurait semblé assez rapidement vide, creuse, avec rien dedans. Donc voilà, c'est peut-être comme, moi je rapporte ça, on parle du bonheur, on cherche le bonheur, on court après le bonheur, on peut trouver le bonheur comme ça sur quelques heures, quelques jours, mais si on vivait en permanence dans un état de bonheur, déjà c'est impossible, et puis on serait complètement, on aurait l'air complètement bené, complètement crétin à toujours sourire aux anges et tout ça. La désinvolture c'est pareil, je la cherche, c'est dur à trouver, parce que c'est dur de se détacher, je dis dans le livre aussi, même les souvenirs, qu'ils soient bons ou mauvais, Ils sont à l'intérieur de nous, mais ils nous tiennent quand même, ils nous ligotent quand même. Donc se détacher de tout pour être léger et vivre sans contraintes, comme on vit quand on a 8 ou 9 ans, où les seules contraintes qu'on a c'est qu'il faut faire le devoir de maths pour le lundi. Voilà, ce n'est pas évident, mais avec l'âge, je me dis, j'essaie de m'en approcher.

  • Speaker #1

    Vous avez choisi de mettre une phrase en exergue qui est empruntée à Jean-Marie Aspotolides. Toutes les existences sont solidaires les unes des autres. Vous croyez vraiment que toutes les existences sont solidaires les unes aux autres ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est quelque chose qui me touche beaucoup. Alors, j'ai mis aussi cette phrase en exergue parce qu'il m'a beaucoup aidé pendant le livre et il est mort pendant l'écrire. Donc, je voulais lui rendre un peu hommage. Mais c'est quelque chose qui me touche beaucoup. Alors, encore une fois, il ne faut pas devenir fou en pensant des choses comme ça. Mais quand je parle de Pauline Dubuisson, de Kaki qui s'est suicidée, de la femme de mon prochain livre, j'ai une sensation très forte de... Alors quand je dis qu'il ne faut pas devenir fou, c'est que je ne crois pas, il n'y a rien de plus qui m'énerve que les écrivains ou les autres genres d'artistes qui, sous prétexte qu'ils sont artistes, ont l'impression qu'ils sont en contact avec les muses, avec le ciel, avec l'intangible, et que l'âme de ceux dont ils parlent passe à travers eux, avec leurs doigts, et bon, ça, ça me... Mais en revanche, de pouvoir s'approcher de quelqu'un, de pouvoir essayer de comprendre ou essayer de ressentir, moi j'ai vraiment ce... J'ai cette envie et cette conviction, c'est-à-dire que, et je commence même, là où je me demande si je ne perds pas un peu la boule, mais je commence même à me dire, j'ai lu un truc, un livre, il peut paraître un peu clou, c'est un livre sur les histoires de vie après la mort, etc. Il y a quelque chose là-dedans qui m'a touché, que j'ai ressenti. Il dit, on a l'impression que chacun d'entre nous, vous, moi, on a notre conscience à nous et qui est enfermée dans notre corps. dans notre crâne. Et il prend un exemple, il dit, c'est un peu comme un téléphone sur lequel on passe une vidéo d'un chat qui tombe d'un mur. Et le téléphone, si on lui demandait, il croirait que la vidéo vient de lui et que lui a à voir cette vidéo. Il n'a pas conscience, le téléphone, qu'il est relié à un réseau Wi-Fi. Et moi, j'aime bien, même si ça peut sembler un peu ridicule, ou un peu kitsch, j'aime bien penser ça, qu'en fait, on est relié, c'est-à-dire que vous et moi, là, on a chacun, on prend une partie du réseau Wi-Fi, mais qu'en fait, on n'est pas si… Alors évidemment, votre conscience m'est inaccessible, ou la conscience de Pauline Dubuisson ou de Kaki m'est inaccessible, mais on fait quand même partie du même réseau, je ressens presque physiquement cette Ausha, et en tout cas, ça me plaît de penser que c'est possible, ça me plaît de penser qu'on est tous… quel que soit l'espace et le temps, parce que moi je vais sur les lieux des... des personnes dont je raconte l'histoire dans mes livres, donc je suis pile au même endroit dans l'espace, mais évidemment il y a 50 ou 60 ans de différence de temps, ce qui est encore plus important et rédhibitoire pour le contact que les distances en mètres ou en kilomètres. Mais j'aime bien me dire qu'on est quand même liés, soit poétiquement... psychologiquement en soi, ou même de manière un peu plus concrète, qu'on ait lié les uns aux autres. J'aime aussi l'anecdote de la fourmi. Je ne sais pas comment des chercheurs ont pu établir ça, mais il paraît que quand on voit une longue file de fourmis qui chacune porte une petite miette, les amener à un endroit pour construire je ne sais pas quoi ou faire des réserves, si on pouvait interviewer l'une de ces fourmis et qu'on lui disait « qu'est-ce que vous êtes en train de faire ? » Elle dit « rien, je ne fais rien de spécial, j'ai trouvé une miette, je me promène avec. » pas conscience de l'ensemble. J'aime bien penser que toutes les existences sont liées et solidaires les unes des autres.

  • Speaker #1

    Alors, vous avez cette phrase qui, évidemment, m'interpelle. Vous dites, moi, lire, ça m'aide tellement. Les livres me tiennent dans la vie. C'est ce qui m'amène à cette question. Quel lecteur êtes-vous ? Est-ce que vous êtes un boulimie qui dévore plusieurs ouvrages en même temps ? Un infidèle qui va papillonner de l'un à l'autre ? Un perfectionniste qui veut absolument arriver à la dernière ligne ? même si le livre ne l'emballe pas, ou alors un récidiviste qui aime lire,

  • Speaker #0

    redire encore et encore et encore les mêmes livres ? Bien, je vous le dis. Aucun des quatre. Bah super ! On peut reprendre les quatre, aucun des quatre. Alors, est-ce que je vais m'en rappeler ? Donc déjà, pour la question d'aller au bout de tous les livres, non, pas du tout. C'est-à-dire que si un livre ne me plaît pas, il faut quand même que je lui laisse le temps d'être sûr que ça ne me plaît pas. Mais si un livre ne me plaît pas, je le referme. J'ai d'ailleurs essayé d'apprendre ça à mon fils. Il n'est pas évident de faire lire les enfants ou les adolescents. Là maintenant il n'est plus grand, mais ça a marché. Ma technique, parce qu'il lit maintenant, c'est de ne pas considérer que la lecture est un devoir, une obligation, une corvée, ce qu'on veut. Je lui disais quand il avait, je ne sais pas, 15 ans, quand tu regardes une série, surtout que maintenant tout est en accès, alors les livres… La seule petite différence, c'est que les livres, il faut les acheter. Évidemment, on se dit, c'est un peu con, j'ai acheté 20 euros pour un livre et j'en ai lu 10 par jour. Mais en tout cas, c'est le même principe. Quand tu regardes une série et qu'à la fin du premier épisode, tu vois que ça t'ennuie, que ça ne te plaît pas, que tu trouves ça nul ou quoi, tu ne vas pas te forcer à continuer. Il faut faire pareil avec les livres, il faut que ça reste un plaisir. Moi, je suis vraiment, mais très profondément convaincu que la lecture doit être et seulement être un plaisir avec... Le plaisir, ça peut être parce qu'on rigole ou parce qu'on est ému, mais ça peut être aussi le plaisir d'apprendre des choses, le plaisir de ressentir des choses, etc. Mais il ne faut surtout pas que ça soit quelque chose d'imposé. C'est un des problèmes avec l'école, même si les profs, c'est difficile pour les profs, parce qu'on ne peut pas dire, s'ils se mettent à dire aux enfants, vous lisez tel livre si vous avez envie, sinon vous ne lisez pas. Il va y avoir beaucoup de livres lus. Mais enfin, voilà. Donc ça, non, vraiment, j'arrête. J'en ai arrêté un, 7 000 d'ailleurs. Un lecteur boulimique qui lit plusieurs choses en même temps, non. Je suis un homme, donc j'ai un cerveau un peu primaire, un peu simplet, impossible. Enfin, je dis ça, je connais, je discutais il y a une dizaine de jours avec un ami, puisque je ne le connais pas, on ne se parle que par internet, quelqu'un qui m'a aussi aidé pour un de mes livres, et qui lit six livres en même temps. Alors là, moi, c'est... Je suis, mais c'est impossible pour moi, j'en suis complètement incapable. Je me perdrais déjà, je n'ai pas des facultés de mémoire phénoménale. Donc, voilà, je ne lis qu'un livre l'un après l'autre. Ensuite, je ne sais plus quels étaient vos... Vos propositions ? Non, ça non, je reste sur un livre, sauf que je l'abandonne dès qu'il ne me plaît plus. Bon, ça va. Voilà, c'est ça. Je relis ça, les livres. J'aimerais, là aussi, je connais des gens qui le font, mais alors cette chose qui n'est pas une angoisse, ça serait trop dire, mais j'ai l'impression que chaque livre que je relis, c'est un livre que je ne lirai pas. Je sais que quand je vais mourir dans très longtemps, à 99 ans, j'aurai lu peut-être un dixième, un vingtième des livres que je pourrais lire. Et parfois, j'ai envie de... des choses dont je me souviens qu'elles m'ont vraiment plu, soit pour vérifier d'ailleurs des trucs que j'ai lus à 20 ans, pour voir si je les aime toujours aujourd'hui. Enfin bon, il y a plusieurs raisons de relire des livres, mais j'ai un truc de, pas de culpabilité, mais d'anxiété à me dire ce que je suis en train de faire, ça va m'empêcher de lire le tout dernier livre. Donc non, je ne relis pas, alors que je pourrais, parce que vraiment... Là, par exemple, parce que vraiment, je vais finir ma phrase quand même, je prends les livres, encore une fois, comme des émotions, comme des sensations, mais comme beaucoup de gens, j'espère, je ne suis pas le plus crétin de tous les lecteurs, mais je l'oublie vite, j'oublie, mais parfois un an ou deux ans après. Et là, je suis en train, pour les besoins de mon prochain livre, de relire tous les... je ne les avais évidemment pas lus tous, mais de relire tous les Maigrets de Simenon, à 75. Et disons que depuis 20 ans, mais même il y a encore 2-3 ans, j'ai dû en lire peut-être une quinzaine ou une vingtaine, et là je les relis tous les uns et les autres. Et je me rends compte, mais parfois tout à la fin du livre, que j'ai lu déjà ce livre et que j'ai quand même pu passer 200 pages sans me rappeler qu'il y a 5 ans je l'avais déjà lu. Donc je pourrais, ça ne serait pas un problème de relire les livres, Un problème de temps et cette impression qu'on a un livre imparti.

  • Speaker #1

    Les livres tiennent dans la vie et qu'écrivez des livres qui aident. Vous avez un mot ou plusieurs pour les auditeurs et les auditrices de ce podcast ?

  • Speaker #0

    Ce n'est pas, c'est comme si vous disiez à quelqu'un qui aime boire du whisky, moi. ou à quelqu'un qui aime faire du sport, vous disiez comment vous pourriez... Moi, c'est absolument indispensable. C'est-à-dire, je ne comprends pas, très sincèrement, comment les gens peuvent vivre, ne serait-ce qu'une semaine ou un mois, sans lire, simplement parce que j'en ai besoin. Moi, je discute avec des gens qui me disent, mais comment tu fais pour passer un mois sans courir ? Alors que je peux passer 40 sans courir. Donc voilà, c'est indispensable, je trouve, mais même de manière plus prosaïque. Quand on se couche, moi je ne lis que... Alors d'ailleurs, je ne suis pas un de ces lecteurs qui lisent du matin au soir, qui lisent deux livres par jour, etc. Je fais pas mal d'autres choses, je travaille, je regarde la télé, j'ai l'impression que j'ai besoin aussi de regarder des trucs un peu débiles à la télé, au bistrot, discuter avec des gens, etc. Donc je lis uniquement le soir. Sauf quand c'est pour mon travail ou là je lis la journée. Mais mes lectures personnelles et de loisirs, on va dire, c'est uniquement le soir dans mon lit. Et je ne comprends pas comment on peut se coucher, se mettre dans son lit, ramener la couette sur soi, éteindre la lumière et dormir. Pour moi, ça me semble… Alors là, pour le coup, ce n'est pas intellectuel, il n'y a rien. C'est technique. Je ne comprends pas comment les gens font. Alors là, les gens me disent « Non, mais je regarde mon portable et je finis par m'endormir. » En tout cas, je ne veux pas faire le vieux schnock, mais… Ce n'est pas moi. Tout ce que je sais dans la vie, tout ce que j'ai l'impression que je suis constitué de tout ce que j'ai lu, et évidemment de tout ce que j'ai vu et vécu en vrai, sauf que dans mes rapports avec les gens, que ce soit dans mon métier d'écrivain quand je fais des salons du livre, des librairies ou au comptoir en bas, mes lectures me permettent de discuter avec les gens, m'aident à mieux comprendre les gens, ou à mieux trouver ma place en face d'eux, ou à mieux me comporter, je ne sais rien. J'ai l'impression... Là on va tomber dans des gros clichés, mais c'est comme l'eau à une plante ou le soleil à une plante. Je ne comprends pas comment on peut vivre sans... Alors ça peut être aussi, parce qu'il y a des gens pour plein de raisons qui n'aiment pas lire, ça peut être le cinéma, il peut y avoir des gens qui ont besoin de voir un film par jour et ça les nourrit, ou le théâtre ou la peinture, j'en sais rien. Mais en tout cas, je ne vois pas comment on peut exister sans se nourrir. intellectuellement, ça fait un peu lourd comme mot, mais mentalement, comment on peut vivre sans se nourrir de choses extérieures. Et c'est pas en courant autour du pâté de maison ni d'ailleurs en buvant whisky ou en faisant des puzzles qu'on peut se nourrir. Il faut que ça vienne de dehors. Moi, c'est de la lecture et j'ai l'impression que je me dessécherais complètement ou que je me mettrais à stagner complètement si j'arrêtais de lire.

  • Speaker #1

    Ce n'est pas moi qui vais vous dire le contraire.

  • Speaker #0

    Oui, j'imagine bien. Mais encore une fois, c'est un plaisir. C'est-à-dire qu'il faut que ce soit comme... Moi, c'est comme si on disait arrêter de manger des pâtes, par exemple, ou des choses comme ça. Et moi, il y a des choses qui sont un plaisir pour d'autres personnes qui seraient des corvées pour moi. Ma femme aime beaucoup aller dans les musées, par exemple, dans les expositions. Moi, ça me saoule. Ce n'est pas le truc qui me nourrit, donc je n'y vais pas. Donc, je... comprends que pour certaines personnes, la lecture, ce soit fastidieux, soit ennuyeux, j'en sais rien, et que donc elle n'est pas en vie. Mais en tout cas, je pense que si, et moi j'en parle souvent au bar avec des potes de comptoir que je n'aurais pas rencontrés, c'est pour ça que j'aime les bars que je n'aurais pas rencontrés, je ne me fréquente pas les mêmes milieux, mais qui me disent… Je m'ennuie le soir et tout. Et moi, j'essaye de les pousser à lire. Alors, certains s'y mettent et sont contents. Il a fallu que j'attende 50 ans pour découvrir que ça faisait du bien de lire. Et d'autres qui me disent, non, j'ai essayé, ce n'est pas pour moi, je n'arrive pas à me concentrer, ou je n'arrive pas, c'est trop lent pour moi. Enfin bon, bref, en tout cas, il faut que ça reste un plaisir. Mais si c'est un plaisir, il ne faut pas hésiter à l'utiliser à fond.

  • Speaker #1

    J'aime beaucoup cette phrase. Philippe Jéranada, je rappelle que le premier épisode de ce podcast a été consacré à La Petite Femelle, que vous avez publié en 2015, et que votre dernier livre, La Désinvolture, est une bien belle chose, est sorti au mois d'août dernier chez Mélanie Barraud, et qui fait à peine, à peine, 482 pages.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas énorme, c'est la moitié de mes précédents. Mais voilà.

  • Speaker #1

    Merci, merci infiniment, Philippe Jéranada, pour cet échange, et merci encore, de tout cœur, d'avoir accepté de soutenir Enrouille.

  • Speaker #0

    Merci à vous, Loubna, et je vous souhaite au podcast tout le beau parcours qu'il mérite, parce que pour l'instant, je n'ai entendu qu'un seul épisode, qui est celui de Petite Femelle, et je l'ai trouvé très sincèrement, sinon je ne serais pas là à vous parler, formidable, parfaitement équilibré, vif et profond et léger en même temps. Donc, bravo Loubna et merci, et bonne chance, bonne route. Merci, merci beaucoup.

  • Speaker #1

    Et voilà, un peu plus de 40 minutes plus tard, c'était mon précieux échange avec Philippe Jehanada, qui a bien voulu être le soutien moral de ce podcast, et que je remercie pour sa générosité et son humilité, car c'est ce qu'on aime aussi dans la littérature. Si quelques-uns et quelques-unes pouvaient en prendre de la graine, mais bon, ceci est une autre histoire. A bientôt dans En Roue Livre.

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Description

Il paraît qu’il n’y a pas de hasard dans la vie. Peut-être est-ce un hasard si j’ai choisi de commencer ce podcast avec un livre de Philippe Jaenada… J’ai bien dit peut-être !

En tout cas, ce n’est certainement pas un hasard si j’ai décidé de lui demander d’être une sorte de soutien moral pour En Roue Livres ! (Un soutien, parce que les parrains et moi ne faisons pas vraiment bon ménage 🙄).

Après quelques bouteilles à la mer, j’arrive à entrer en contact avec lui, à lui parler de mon projet et à lui faire écouter l’épisode consacré à La Petite femelle. Lui, fidèle à l’image que l’on peut avoir si l’on suit toutes ses confidences disséminées au fil de ses digressions, accepte.

Le résultat est cet échange qui devait, initialement, ne durer qu’une quinzaine de minutes mais qui s’est poursuivi au-delà… non sans parenthèses, bien sûr, qui vont de sa méthodologie d’écriture aux soupes lyophilisées en passant par les fourmis ou le rôle de l’inconscient.

Oui, je sais, ça a l’air un peu dur à suivre… Mais vous savez quoi, c’était un très bon moment… que je tenais à partager avec vous!



Crédit photo : Jean-Luc Bertini - Revue La Femelle du Requin


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Il paraît qu'il n'y a pas de hasard dans la vie. Peut-être est-ce un hasard si j'ai choisi de commencer ce podcast avec un livre de Philippe Jaenada. J'ai bien dit peut-être. En tout cas, ce n'est certainement pas hasard si j'ai décidé de lui demander d'être une sorte de soutien moral pour En Roue Livres! (Un soutien parce que les parrains et moi ne faisons vraiment pas bon ménage). Après quelques bouteilles à la mer, j'arrive à entrer en contact avec lui, à lui parler de mon projet et à lui faire écouter l'épisode consacré à "La petite femelle". Lui. fidèle à l'image que l'on peut avoir si l'on suit toutes ces confidences disséminées au fil de ces digressions, accepte. Le résultat est cet échange qui devait, initialement, ne durer qu'une quinzaine de minutes, mais qui s'est poursuivi au-delà. Non sans parenthèses, bien sûr, qui vont de sa méthodologie d'écriture aux soupes lyophilisées, en passant par les fourmis, le café ou encore le rôle de l'inconscient. Oui, je sais, ça a l'air un peu dur à suivre, mais vous savez quoi, c'était un très très bon moment que je tenais à partager avec vous. Il est, pour reprendre ses mots, obsédé, voire fasciné par le temps qui passe, par ce qui disparaît et par ce qui reste. Ancien journaliste, il dépoussière aujourd'hui des tonnes d'archives sans avoir peur de nous perdre dans leur foisonnement. Ou alors, il s'en fiche, on lui demandera. Il a fait des parenthèses et des digressions teintées d'humour et d'autodérision presque un genre littéraire en soi. Philippe Jaenada, bonjour.

  • Speaker #1

    Bonjour Loubna.

  • Speaker #0

    Merci d'avoir accepté d'être le soutien moral de ce podcast, car oui, nous sommes dits que la notion de soutien moral couronne peut-être mieux que celle de parrain.

  • Speaker #1

    Avec plaisir, je vais soutenir comme je peux, mais de bon cœur.

  • Speaker #0

    Merci. Les auditeurs et les auditrices de En Roue Livres! ont découvert le premier épisode dédié à "La petite femelle". Pauline Dubuisson a hanté nombre de vos lecteurs et de vos lectrices (alors vous aurez compris que j'en fais partie). On a l'impression qu'elle continue aussi de vous accompagner, puisqu'on la retrouve, un peu, dans votre dernier livre, "La désinvolture est une bien belle chose". Est-ce que c'est le cas ? Est-ce que vous êtes toujours hanté, obsédé par Pauline Dubuisson ?

  • Speaker #1

    Hanté, obsédé, non. Mais elle m'accompagne, on me pose souvent la question, on me demande, comme à peu près tous mes livres sont consacrés à une personne en particulier, enfin avec tout son entourage, mais une personne en particulier. On me demande souvent, mais comment vous faites quand vous commencez par exemple à écrire La Serpe, comment vous faites pour oublier Pauline Dubuisson, La Petite Femelle ? Comment vous faites là pour le livre que je suis en train d'écrire maintenant ? On me demande, j'ai sorti un livre l'année dernière, comment vous faites pour oublier Kaki et les moineaux qui étaient les personnages de mon livre ? Et en fait, bien entendu, on n'a pas besoin d'oublier, c'est-à-dire que je n'oublie pas du tout. C'est comme si on me demandait, c'est comme si j'ai un ami, disons qu'il s'appelle François. et que deux ou trois ans plus tard, je rencontre un ami ou une amie que j'aime bien et qui s'appellerait Isabelle ou Thierry, et on me dirait, « Ah, ben, t'es amie avec Thierry, mais comment t'as fait pour oublier François ? » On n'a pas besoin, on a de la place dans le cœur et dans la tête. Donc, évidemment, je n'oublie pas des gens avec qui j'ai passé, même de manière, comment peut-on dire, virtuelle presque, puisque, évidemment, je n'ai jamais rencontré ces gens. Et quand je travaille, par exemple, sur Pauline Dubuisson, pendant deux ans, jour et nuit, presque la nuit, souvent, oui, en tout cas, sept jours sur sept, je ne suis qu'avec elle. C'est-à-dire, je vis en 1950, je passe mes journées à étudier des rapports, des auditions, des choses qui la concernent, à les organiser, puis ensuite à les relater en écrivant. C'est vrai, je la connais mieux que ma mère pour une raison toute simple. Moi, si je m'intéresse à des affaires judiciaires, ce n'est pas que je sois fasciné par les crimes, le meurtre, le sang, les faits divers. C'est simplement parce que quand il y a eu une affaire judiciaire, il y a eu une enquête de la police, et qu'une enquête de la police, c'est une mine d'or pour un écrivain. C'est-à-dire que les enquêteurs ou le juge d'instruction interrogent absolument toutes les personnes qui ont côtoyé plus ou moins longtemps, de près ou de loin, la victime ou d'ailleurs le coupable, ses amis d'enfance, ses professeurs, ses amoureux, ses copains de fac, ceux qui l'ont vu 10 minutes avant sa mort et ceux qui l'ont vu pendant des années, 20 ans avant sa mort. Et puis surtout, quand on répond à la police, on est obligé de dire la vérité. Il n'y a pas d'intimité, il n'y a pas de secret, en théorie du moins. Et évidemment, moi, sur ma mère, je n'ai pas 50 personnes qui ont connu ma mère à tous les âges de sa vie. et qui me donnerait une sorte de gros dossier où on me raconte tout sur elle. Donc, même si je dis à la fin de La Petite Femelle, il faut quand même que je reste la tête froide et lucide. J'ai l'impression de connaître Pauline Dubuisson, mais je ne connais même pas le son de sa voix, ce qui est pourtant élémentaire, c'est la première chose qu'on entend, qu'on sait de quelqu'un. Donc, je ne deviens pas complètement fou à m'imaginer que je connais Pauline Dubuisson, mais en tout cas, j'ai plus d'informations sur sa vie que sur la vie de ma mère.

  • Speaker #0

    Et dans votre carrière d'écrivain, il y a eu un avant et un après, ce livre ?

  • Speaker #1

    Oh non, pas spécialement, il y a en avant et en après tous mes livres. À chaque fois, j'ai l'impression que, là d'ailleurs, c'est en train de m'arriver en ce moment, à chaque fois quand je suis plongé dans un travail, c'est-à-dire soit le travail de préparation, de recherche, etc., soit le travail d'écriture en lui-même qui vient après, j'ai l'impression que rien d'autre n'existe. C'est-à-dire que quand je travaillais sur La Petite Femelle, j'ai l'impression qu'il y avait une seule personne qui avait vécu sur la planète, c'était Pauline Dubuisson en 1900. 1927 et 1963. Et puis, dès que j'en ressors, c'est comme si je m'ouvrais ou si j'ouvrais les fenêtres. Et du coup, d'autres choses existent. Là, il y a, je ne sais pas, on va dire cinq mois, quand j'étais entre la fin de l'écriture et puis le début de la sortie de mon livre, de mon dernier livre, si vous m'en aviez parlé, je vous aurais dit, je vais me mettre des années à en sortir. Là, je suis sur le prochain et déjà, je ne pense pas. qu'à celui sur lequel je travaille en ce moment.

  • Speaker #0

    On va revenir à ce livre-là, mais d'abord je rappelle que vous avez commencé votre carrière d'écrivain avec des récits plutôt autobiographiques, il y en a sept, même si le premier, Le Chameau Sauvage, démarre avec un fait divers, puis vous semblez vous passionner pour ce genre. Avant La Petite Femelle, il y a eu Celac, consacré au célèbre braqueur des années 70. Vous avez ensuite suivi la trace d'Henri Girard dans La Serpe, puis celle de Lucien Léger dans Au printemps des monstres. Et puis, il y a eu aussi Alain Lapry, qui est toujours en prison pour l'assassinat de sa tante dans un livre qui s'appelle « Sans preuve et sans aveu » , mais qui n'est pas vraiment un roman.

  • Speaker #1

    Exactement.

  • Speaker #0

    Et « Jusqu'au suicide » de Jacqueline Harris, qui se dit qu'à qui dans « La désinvolture est une bien belle chose » . Alors, vous avez déclaré il y a quelques mois dans une interview pour le magazine Lire, « Je n'aime pas écrire de la fiction, ça ne m'amuse pas » . Alors, la fiction imaginaire, définitivement pas assez intéressante pour vous.

  • Speaker #1

    Alors, en tant que lecteur, si. Par exemple, je lis beaucoup de romans policiers, donc évidemment, dans la grande majorité des cas, c'est de la fiction. Donc, en tant que lecteur, j'aime ça. En tant qu'auteur, à la fois, d'une part, sincèrement, ça ne m'intéresse pas, et d'autre part, je pense que je ne dois pas être très doué pour ça. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, après mes sept premiers livres, je suis plus ou moins autobiographe. Tu as quand même l'autobiographie. Ce n'était même pas de l'autofiction, c'était de l'autobiographie assez romancée, ou en tout cas modifiée. Ma vie, c'est-à-dire que ça suivait, ces sept premiers livres suivent l'évolution de ma vie personnelle. Le premier, Le Chameau Sauvage, c'est un jeune homme qui cherche l'amour et qui n'est pas bien doué, qui est un peu naïf. Le deuxième, c'est à peu près le même jeune homme, même s'il n'a pas le même nom, que Coup de Foudre, qui rencontre la femme de sa vie qui est à moitié dingue. Le troisième, c'est le cauchemar de la vie conjugale, etc. Ça suivait les étapes de ma vie. Il y a la naissance de notre enfant. Et puis, disons vers les années 2009-2010, ma vie, notre fils avait grandi, notre vie de couple s'était stabilisée, moi j'avais pris de l'âge, je ne m'amusais plus à aller faire le fou toutes les nuits dans Paris. Et donc, je n'avais plus rien à raconter en fait. C'est-à-dire que ma vie ne pouvait plus me servir de... de matières premières pour mes livres. Ou alors ça aurait été les livres les plus ennuyeux de l'histoire de la littérature, je pense. Et donc je me suis dit, qu'est-ce que je vais devenir ? Qu'est-ce que je vais faire ? Qu'est-ce que je vais écrire ? J'ai fait deux, trois essais de fiction et je me suis rendu compte, non seulement encore une fois, je crois que ce n'était pas terrible, mais surtout que je m'ennuyais terriblement en écrivant. Et puis, il m'est venu à l'esprit une chose toute bête, c'est que je n'étais pas le seul sur Terre et que donc je pouvais tout à fait raconter la vie d'autres personnes que moi-même. Mais donc, dans mon esprit, c'est vrai que vu de l'extérieur, et pour les critiques ou les lecteurs même, ce sont deux périodes très différentes. Dans mon esprit, c'est simplement la continuité. Sauf que voilà, au lieu de parler de moi, et comme vous disiez tout à l'heure, quand je parlais de moi, c'était des sortes de petits faits divers aussi, des choses évidemment intimes, anecdotiques et minimes par rapport à des crimes ou à des grandes histoires. judiciaire, mais enfin c'était quand même le même principe. Là je me décale, donc depuis mon premier dans ce genre là, c'est en 2013, je me décale vers d'autres personnes et non seulement je... Je ne suis pas le mieux placé pour juger, mais je pense que les livres sont plus intéressants. Et surtout, en tout cas, une certitude, c'est que pour moi, c'est plus intéressant, plus distrayant, plus amusant à écrire. À la fin, mes deux, trois derniers livres où je parlais de moi, de ma vie en tout cas, quand j'écrivais mes derniers livres, pour moi, je disais que ce n'était pas une corvée, ce serait trop dire une corvée, mais enfin, j'avais peu d'entrain et d'enthousiasme. Et quand je me suis mis à écrire sur d'autres personnes, je me rends compte que je suis le pire. le premier lecteur, c'est-à-dire que je décours ces histoires avant les gens qui, j'espère, les découvriront de bonne manière avec mes livres. Donc ça me passionne, ça m'excite, ça m'intéresse et j'écris avec beaucoup plus d'allant, d'entrain, de plaisir quand je parle des autres que quand je parle de moi. Mais pour moi, dans mon esprit, il n'y a pas une différence énorme entre ces premiers romans personnels, on va dire, et puis tous les derniers plus ouverts vers les autres.

  • Speaker #0

    Justement, vous parliez de critique tout à l'heure dans la presse et dans la critique, on vous a souvent qualifié d'écrivain justicier, de spécialiste dans la littérature du fait divers, d'auteur de true crime, ça vous agace, ça vous plaît, ça vous indiffère, vous en fichez ?

  • Speaker #1

    Ça ne m'agace pas du tout, ça ne me fiche pas spécialement non plus, je m'en fiche un peu, c'est-à-dire que chacun voit… Alors justicier, c'est un peu curieux, parce que d'abord je ne prétends pas évidemment détenir une quelconque vérité. des enquêtes criminelles sur lesquelles des dizaines de personnes ont travaillé pendant des mois et des mois, et moi je débarque et je dis non, non, vous avez tort, c'est moi qui ai raison. Donc il faut que je reste très humble là-dessus. Et puis aussi, quand j'écris sur Pauline Dubuisson, lui rendre justice, je ne sais pas trop ce que ça veut dire, puisque Pauline Dubuisson n'existe plus. Je ne pense pas qu'elle soit assise sur un petit nuage, et qu'en regardant vers le bas, elle dise, merci Philippe, c'est gentil, tu m'as rendu justice. Donc non, moi je me vois comme... Et puis on me dit « vous auriez fait un bon policier, un bon avocat, etc. » Ce n'est pas vrai. J'emprunte quelques petits trucs qu'il y a des policiers ou des avocats, mais écrire un livre, c'est beaucoup plus simple. Moi, je peux affirmer, dans « La petite femelle » , par exemple, puisqu'on en parle, je peux affirmer que Pauline Dubuisson n'est pas vraiment coupable, que c'est un homicide involontaire, qu'elle voulait réellement se tuer. Ça, c'est moi, c'est ma conviction et j'essaye de la... de la transmettre au lecteur, mais les jurés qui ont eu à la juger, c'est beaucoup moins évident, il faut des choses plus concrètes. Donc je ne me prends pas pour un justicier ni pour un policier, peut-être pour un avocat, mais un avocat amateur, dans le sens où j'essaye de défendre des gens qui, selon moi, ont été injustement accusés ou injustement traités par le regard de la société. Mais voilà, et puis on ne peut pas dire, quand on dit spécialiste des faits divers, des true crimes, etc., on ne peut pas dire que c'est faux, puisque c'est à peu près ce que je fais. Dans le dernier, ce n'était pas un crime, ni une erreur judiciaire, ni quelque chose comme ça, mais ça revient toujours au même, ce sont des sortes d'enquêtes plus ou moins axées sur l'humain, c'est en tout cas au moins autant axé sur l'enquête policière proprement dite. Pour Pauline Dubuisson, par exemple, si on étudie vraiment l'autopsie, la balistique, etc., on a la preuve que ça ne s'est pas passé comme l'accusation l'a affirmé, c'est-à-dire qu'elle n'a pas tué de sang-froid son amoureux avant de l'exécuter d'une balle dans la nuque. Ça, c'est une preuve tangible. Mais sinon, c'est surtout humainement que j'essaye de me pencher sur ces gens, avec le plus de bienveillance, peut-être pas d'objectivité, mais de lucidité possible. Ça reste la vie d'une personne, d'un être humain, moi en l'occurrence, et donc ça reste très subjectif.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, dans votre… Alors, je n'aime pas le mot, mais je n'en trouve pas d'autre là tout de suite. Dans le processus, on va dire, quelle est la période qui vous intéresse le plus ? Est-ce que c'est celle où vous cherchez le sujet, celle où vous menez votre enquête, cette investigation ? C'est passionnant d'ailleurs, dans chaque livre, que ce soit dans La Petite Femelle ou par exemple dans le dernier, dans La Dédain Vauture, et toutes les dernières belles choses, on suit avec vous, pas à pas, comme on vous fête. Est-ce que c'est plutôt la… Partie là où vous êtes en train d'écrire, quelle est la période la plus excitante ?

  • Speaker #1

    Ce qui est formidable, c'est qu'elles le sont toutes. En plus, je travaille de manière très rigide, routinière. J'ai besoin de ça, j'ai besoin d'une discipline presque scolaire pour travailler. Et je travaille toujours exactement de la même manière. C'est-à-dire que les deux, disons, pour schématiser, pour simplifier, il y a une période de recherche et une période d'écriture. Les deux ne se chevauchent pas. jamais, c'est-à-dire que je ne commence pas à écrire le premier mot du livre si je n'ai pas la certitude d'avoir terminé toutes mes recherches. et même d'avoir terminé ensuite la mise en forme, le tri, le classement, toutes les informations que j'ai recueillies, pour en faire une sorte de fichier de base, comme un sculpteur prendrait un bloc d'argile, il faut que mon bloc d'argile soit bien là, que je sache que je ne vais pas en rajouter après, et là je commence à travailler. Donc c'est deux périodes vraiment distinctes, et dans chaque période, qui sont en plus sur des temps, disons que si j'écris un livre, si je publie un livre tous les deux ans, on va dire que... Comme il y a la promo du livre et tout ça, on va dire 20 mois de travail. Sur 20 mois de travail, j'ai presque précisément 10 mois de recherche et 10 mois d'effectu. Donc, c'est deux périodes équivalentes qui ne se chevauchent pas et qui sont les deux aussi intéressantes de manière différente, qui m'apportent des choses et des émotions différentes, mais j'aime les deux. C'est-à-dire que quand j'ai terminé un livre, il me tarde une seule chose, c'est après la tournée d'automne de… me pencher sur un autre pour retourner dans les salles d'archives, dans les vieux dossiers. Et c'est vraiment, c'est un plaisir enfantin. C'est vraiment quelque chose de l'ordre de formidable, je vais me plonger dans une nouvelle enquête, c'est un vrai plaisir et qui n'a rien à voir avec la littérature. C'est-à-dire que vraiment, si j'étais simplement archiviste, je ne sais pas si quelqu'un me faisait une commande, je voudrais retrouver l'histoire de mon grand-père, je ne sais pas quoi, j'aurais le même plaisir exactement. Et puis tout d'un coup, une fois que j'ai terminé tout ça, Alors qu'une semaine avant la fin, je me dis, c'est bientôt fini, les recherches sont un peu déconfies, je me dis bon. Et puis dès que j'ai terminé, que j'admets que c'est fini, je ne considère plus que c'est une histoire vraie, je considère que c'est la matière première dont je dispose, ce sont en général des fichiers qui peuvent faire 700-800 pages d'informations. Je me dis maintenant, il faut que je les transforme en littérature, il faut que j'écrive. Et là, tout à coup, je bascule et là je deviens… écrivain et seulement écrivain, je me détache du fait que ceux dont je parle sont des personnages qui ont existé, des gens qui ont existé, des histoires vraies, des faits réels, etc. Je m'en détache comme si un scénariste m'avait donné le matériau pour écrire mon livre. Et c'est un autre plaisir qui est complètement différent mais qui est très sincèrement... Je pourrais mettre aucun des deux devant l'autre. Ils sont successifs, pas opposés mais en tout cas très différents. Et pour moi, c'est formidable parce que ça évite toute lassitude. Là, je commence, pour le prochain, je suis dans la phase de fin des recherches, de l'alimentation. Et ça fait, j'ai dû travailler dessus, je ne sais pas, 8 mois, quelque chose comme ça, 8 ou 9 mois. Et je commence à en avoir marre. C'est-à-dire qu'en fait, c'est bien fait. Je commence à me dire, bon, allez. Il me tarde maintenant de me mettre à écrire. Et donc, il y a la période la moins agréable, a priori, c'est entre les deux. C'est-à-dire, c'est pile ce que je suis en train de faire là, ce que j'ai fait au moment où on s'est retrouvés sur la plateforme. C'est parce que j'ai des méthodes de travail très précises. Je ne sais pas si ça vous embête ou pas, mais j'essaye de vous expliquer vite fait. Bon, alors je vais... Donc... L'essentiel du travail, ce sont les archives de dossiers d'enquête ou de choses comme ça. Je fais des photos. Je vais dans les salles d'archives de lecture, je fais des photos. Ça peut être des centaines, des milliers de photos. Ensuite, je ramène ces photos chez moi et là, il faut que je les transforme en une matière utilisable. Donc, il y a une deuxième étape que j'aime bien parce que ça me permet de me remettre tout en tête. Je relis à voix haute. Toutes ces photos, ça peut prendre deux mois, il y a beaucoup, dans un dictaphone. Là, par exemple, je viens de terminer, j'ai 3000 fichiers de choses que je lis. Mercredi 3 avril 1949, l'inspecteur interroge le boulanger Bidule, et je lis les dépositions. Ça, c'est quelque chose qui me plaît, ça me permet de me remettre toute l'histoire en tête, etc. Ensuite, il y a quelque chose qui est un peu plus fastidieux, qui est ce que je suis en train de faire là. Je réécoute ces milliers de fichiers son que j'ai enregistrés moi-même et je tape tout sur mon traitement de texte. Je recopie tout à la main comme si j'étais secrétaire ou sténodactylo ou je ne sais quoi. Sans recopier mot à mot, je sélectionne ce qui peut être intéressant ou pas. Là, c'est un travail qui peut être pénible, c'est aussi très long, c'est des semaines et des semaines. D'ailleurs, pas mal de gens me disent « mais t'es con, il y a des logiciels » . que ce soit les photos, même on peut passer directement des photos au traitement de texte, je suis obligé de le faire parce que si sur un dossier qui fait 2000 pages, si page 18, j'ai lu « Il est entré dans la pièce à 14h10 avec un pantalon rouge » , trois mois plus tard, page 1950, je lis quelqu'un d'autre qui dit « Oui, il devait être à peu près 15h20, il avait son pantalon jaune » , je me dis « Oh là là, je crois que j'ai lu, je ne sais plus quand ni où, j'ai lu l'inverse » . Et donc évidemment, parmi une masse de photos ou de fichiers sans, c'est impossible à retrouver, il faudrait que je revoie tout. Alors que sur un traitement texte, je tape pantalon, voilà, et je vois très vite. Donc là, je suis dans cette période qui est la plus fastidieuse, et en même temps, je me rends compte, tout en le faisant, comme c'est un travail très mécanique, de recopier simplement ce que j'entends, mon cerveau, mon modeste cerveau... met en place des choses. Je me rends compte, après, quand je vais commencer à écrire dans quelques mois, à écrire vraiment le texte, c'est-à-dire la première phrase du texte, je me rends compte que j'ai déjà, pendant ce temps-là, préparé, je me dis, ça, je vais en parler vers le premier tiers du livre, cet épisode-là, je vais en dire une moitié au début, et puis après, plutôt vers la fin, je donnerai la solution. Je sens que ça se fait. C'est quelque chose qui est extrêmement chronophage, qui prend beaucoup de temps et qui n'est pas très joyeux à faire, mais je sais que c'est utile et que... Moi, je crois beaucoup à l'inconscient quand on écrit ou quand on fait n'importe quoi dans la vie, d'ailleurs. Quand on va vers quelqu'un, que ce soit dans le domaine de l'amour ou de l'amitié, on est porté vers des gens, on ne sait pas vraiment pourquoi. On ne se dit pas parce qu'il a de belles oreilles ou qu'elle n'aura plus le rouge et que j'aime bien les pulls rouges. Enfin bon, il y a un truc d'inconscient. On se rend compte après pourquoi on est allé vers telle ou telle personne. Et je pense, moi, que dans l'écriture, même si on dirait, je pense, en lisant mes livres, que c'est extrêmement... travailler, calculer, prévu, qu'il y a un plan très strict. Il y a ça, parce que c'est indispensable pour ne pas dire de bêtises, mais je sais qu'il y a aussi des choses qui se passent à l'intérieur sans que j'en ai vraiment conscience et que je laisse faire. Et donc là, c'est ce qui est en train de se passer en ce moment.

  • Speaker #0

    Et qui se construit à mesure presque de tout le process.

  • Speaker #1

    Oui, qui se construit. Là, je suis en train de recopier... C'est une scène de... Bon, je ne vous dis pas de quoi. Il faut que je garde un peu de temps. Mais bref, je me rencontre en même temps que la recopie, je pense, je me dis, je vais parler de la déposition d'un tel tout début du livre, quand ce sera en progression narrative, et ensuite, je laisserai, je ferai comme si, voilà, et à la fin, je donnerai la clé du truc. Donc, ça se construit. Pas tout le monde,

  • Speaker #0

    parce que je tiens à le souligner, le récit peut parfois être dramatique, les faits sont... accablants, des dessins brisés, on suit avec vous des êtres quand même qui sont très malmenés. Pourtant, on se surprend à sourire beaucoup, voire à rire franchement. L'humour, pour vous, c'est votre manière de... La formule est peut-être facile, mais je l'apprends quand même, je l'assume, de construire une sorte de rempart contre le sordide ou est-ce que c'est une envie répressive ? Est-ce que c'est plus fort que vous ?

  • Speaker #1

    Alors, c'est une envie irrépressible, c'est même pour moi une nécessité. Alors, dans la littérature, mais même dans la vie de tous les jours. C'est-à-dire, alors je ne sais pas, je suis content quand on me dit « ça m'a fait sourire » ou « ça m'a fait rire » . Alors, pour moi, c'est légèrement différent de l'humour, c'est plutôt une forme de recul, de détachement. Et forcément, quand on se regarde avec un peu d'écart, de distance, un peu plus loin ou un peu plus haut, on se trouve un peu, les choses les plus graves, tout d'un coup, perdent de leur… de leur gravité, de leur lourdeur. Donc moi, j'essaye de faire ça dans ma vie, pour moi, toujours. Je me vois, j'ai souvent, depuis très longtemps, depuis que j'ai 20-25 ans, je m'imagine perché sur un réverbère, assis en haut du réverbère et me regarder en dessous. Et ça permet de déconnecter, de désactiver pas mal de tensions, de problèmes, de choses qui paraissent insurmontables. Et dans les livres, alors moi, c'est facilité. extrêmement facilité par le fait que je parle d'affaires anciennes. Donc déjà, de toute manière, il y a le recul du temps. Vous parliez tout à l'heure d'un livre que j'ai écrit qui ne fait pas vraiment partie de mes romans, qui est sans preuve et sans aveu. C'est simplement, en 2021, j'étais en train de dédicacer mes livres dans une librairie, il y a un monsieur qui arrive et qui me dit « je vais être incarcéré la semaine prochaine, je suis victime d'une erreur judiciaire terrible, au secours, aidez-moi » . Donc j'ai écrit juste un petit livre qui fait même pas le quart de mes livres habituels, et c'était simplement pour alerter les médias, c'est une affaire dont on ne parlait pas, et simplement profiter de ma petite notoriété pour que les médias alertent sur l'injustice qui a été faite à cet homme. Bref, dans ce livre-là, il n'y a pas d'humour, c'est pas drôle, c'est-à-dire que je ne peux pas prendre du recul par rapport au drame d'un homme et d'une femme, de sa femme qui est... qu'il attend désespérément, il n'est toujours pas sorti, donc ça fait 5 ans. Et là, le détachement est impossible, l'auto-dérision, même l'auto-dérision par rapport à moi, qui ne suis pas en prison. Ne me voyez pas dans un livre qui parle d'une histoire tellement lourde, faire des petites blagues pour faire plaisir au lecteur, parce qu'en fait, ça sert à ça dans les livres. L'histoire de Pauline Dubuisson, par exemple, c'est une histoire, vraiment, quand on la regarde, si on la donne à un ordinateur, si on donne ce qu'on sait de sa vie, c'est très noir, très triste, il n'y a pas de lumière, il n'y a pas de légèreté, il n'y a pas de sourire. Je n'ai pas envie, moi, de mettre dans les mains des lectrices et des lecteurs un gros bloc noir et désespérant, donc j'injecte des choses qui me concernent, moi, des petites mésaventures qui m'arrivent pendant l'écriture, ou une manière d'écrire un peu plus légère, parce que mon but, en fait, c'est d'essayer et je n'y arriverai jamais, personne n'y arrivera jamais, mais on peut toujours essayer, que mes livres soient le reflet de la vie, de la réalité. Or, je sais que dans la vie de Pauline Dubuisson, même si elle a été courte, qu'elle s'est finie de manière tragique et qu'il y a eu plein d'épisodes extrêmement douloureux, il y a des moments de légèreté, d'insouciance. Pauline Dubuisson, elle a dû rigoler, elle a dû se dire « ah, c'est le printemps, la vie est belle aujourd'hui » , etc. Mais dans un dossier de police ou dans la plus… plupart des souvenirs d'ailleurs ou des traces qu'on peut garder des gens ça n'apparaît pas ce qui apparaît c'est comme je sais pas quand on regarde les chaînes info ce qui apparaît c'est que les choses graves et voilà c'est pareil moi dans le dossier de police je n'ai plus trace d'aucun moment de légèreté d'insouciance de pauline dubuisson j'ai pas envie de les inventer parce que j'aime pas inventer sur d'autres personnes qui m'ont rien demandé donc j'injecte moi un peu artificiellement j'ai souvent l'image de Les petits trucs, les bolinos, je ne sais pas si ça existe encore, les bolinos, les petites nourrises ou les soupes chinoises lyophilisées. Vous savez, ça oui, mais les bolinos, comme de la poudre, on rajoute de l'eau et hop, ça pâte. Moi, j'ai l'impression qu'il me reste de l'histoire des gens le truc lyophilisé, que donc ça ne ressemble pas à la vie. Il y a l'essence même de ce qu'a été leur existence, peut-être, mais ça ne ressemble pas. Et donc moi, c'est pour ça que je me mets en scène tout le temps. toujours dans mes livres, ce n'est pas par plaisir de parler de moi, mais avec ma présence et surtout les choses plus légères, un peu absurdes et tout ça qui m'arrive, ça reconstitue un peu ce que j'espère, où je prends souvent aussi l'image du café, c'est-à-dire que s'il y a un extraterrestre qui arrive, qui n'a jamais bu de café, je ne sais pas ce que c'est. Et que pour lui faire comprendre ce que c'est, on lui montre un filtre après le passage du café, on lui montre le filtre où il reste cette espèce de matière noire, etc. Il ne va pas se dire « je goûterais bien un peu de café » . Alors que le café sans eau, c'est ça. Moi, je suis un peu l'eau, disons, pour irriguer un peu des choses que le temps a asséchées et durcies et noircies.

  • Speaker #0

    Et la désinvolture, pour vous, vous essayez de l'apprivoiser ? Vous dites non très peu pour moi. Je rappelle quand même que le dernier livre, « La désinvolture est une bien belle chose » . Très beau titre d'ailleurs.

  • Speaker #1

    Tu voulais me demander ? Je veux bien merci, d'autant que ce n'est pas de moi, c'est pour moi qui ai écrit l'info. La désinvolture, moi, c'est quelque chose que je recherche beaucoup, dans le sens où je me rends compte en regardant, en lisant les journaux, ou en écoutant la radio, il y a un sens qui n'est pas le mien, qui n'est pas celui vers lequel je veux aller, et il y a un sens à la désinvolture qui peut être… Le laxisme, le j'm'en foutis, les choses comme ça. On entend des phrases...

  • Speaker #0

    Superficialité, oui.

  • Speaker #1

    Voilà, voilà. Superficialité ou mollesse. S'il y a des problèmes de criminalité à Grenoble, c'est à cause de la désinvolture des pouvoirs publics. Enfin, des trucs comme ça. Moi, je le prends dans le sens étymologique.

  • Speaker #0

    ça vient de l'italien, involto en italien, ça veut dire enveloppé, enroulé, ligoté, comme les involtini qui sont des petits, c'est du fromage avec du jambon enroulé autour, bref. Donc des involto, c'est ce qui n'est pas enveloppé, pas ligoté, c'est ce qui est libre, détaché, sans contrainte, et évidemment, c'est plutôt agréable d'essayer d'aller vers ça, c'est inaccessible sur la durée. Moi, pendant l'écriture de ce livre, La désinvolture est une bien belle chose, enfin juste avant de commencer l'écriture, j'ai fait le tour de France tout seul, par les bords, par les côtés. Je suis parti de Dunkerque, j'ai fait le tour de France par les côtes, en m'arrêtant tous les 200-300 kilomètres dans une ville, en allant au bistrot, au restaurant, en dormant à l'hôtel. Et ça a duré 24 jours, je n'ai eu absolument rien à faire, rien d'autre à faire que de rouler en écoutant la radio, trouver un bon bar, un bon restaurant, et d'aller dormir à l'hôtel. sans aucune contrainte, aucune obligation. J'étais seul, je n'ai pas de téléphone portable, donc personne ne pouvait me joindre. J'étais dans une liberté absolue. C'était vraiment, pour le coup, la désinvolture totale. Ça a duré 24 jours. C'est extraordinaire pour moi, c'est un souvenir très fort. Mais je sais que ça n'aurait pas pu durer plus longtemps. C'est-à-dire que je n'aurais pas pu vivre comme ça pendant trois mois. Déjà, je me serais ennuyé. En plus, ça m'aurait coûté très cher. Et puis, ma vie m'aurait semblé assez rapidement vide, creuse, avec rien dedans. Donc voilà, c'est peut-être comme, moi je rapporte ça, on parle du bonheur, on cherche le bonheur, on court après le bonheur, on peut trouver le bonheur comme ça sur quelques heures, quelques jours, mais si on vivait en permanence dans un état de bonheur, déjà c'est impossible, et puis on serait complètement, on aurait l'air complètement bené, complètement crétin à toujours sourire aux anges et tout ça. La désinvolture c'est pareil, je la cherche, c'est dur à trouver, parce que c'est dur de se détacher, je dis dans le livre aussi, même les souvenirs, qu'ils soient bons ou mauvais, Ils sont à l'intérieur de nous, mais ils nous tiennent quand même, ils nous ligotent quand même. Donc se détacher de tout pour être léger et vivre sans contraintes, comme on vit quand on a 8 ou 9 ans, où les seules contraintes qu'on a c'est qu'il faut faire le devoir de maths pour le lundi. Voilà, ce n'est pas évident, mais avec l'âge, je me dis, j'essaie de m'en approcher.

  • Speaker #1

    Vous avez choisi de mettre une phrase en exergue qui est empruntée à Jean-Marie Aspotolides. Toutes les existences sont solidaires les unes des autres. Vous croyez vraiment que toutes les existences sont solidaires les unes aux autres ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est quelque chose qui me touche beaucoup. Alors, j'ai mis aussi cette phrase en exergue parce qu'il m'a beaucoup aidé pendant le livre et il est mort pendant l'écrire. Donc, je voulais lui rendre un peu hommage. Mais c'est quelque chose qui me touche beaucoup. Alors, encore une fois, il ne faut pas devenir fou en pensant des choses comme ça. Mais quand je parle de Pauline Dubuisson, de Kaki qui s'est suicidée, de la femme de mon prochain livre, j'ai une sensation très forte de... Alors quand je dis qu'il ne faut pas devenir fou, c'est que je ne crois pas, il n'y a rien de plus qui m'énerve que les écrivains ou les autres genres d'artistes qui, sous prétexte qu'ils sont artistes, ont l'impression qu'ils sont en contact avec les muses, avec le ciel, avec l'intangible, et que l'âme de ceux dont ils parlent passe à travers eux, avec leurs doigts, et bon, ça, ça me... Mais en revanche, de pouvoir s'approcher de quelqu'un, de pouvoir essayer de comprendre ou essayer de ressentir, moi j'ai vraiment ce... J'ai cette envie et cette conviction, c'est-à-dire que, et je commence même, là où je me demande si je ne perds pas un peu la boule, mais je commence même à me dire, j'ai lu un truc, un livre, il peut paraître un peu clou, c'est un livre sur les histoires de vie après la mort, etc. Il y a quelque chose là-dedans qui m'a touché, que j'ai ressenti. Il dit, on a l'impression que chacun d'entre nous, vous, moi, on a notre conscience à nous et qui est enfermée dans notre corps. dans notre crâne. Et il prend un exemple, il dit, c'est un peu comme un téléphone sur lequel on passe une vidéo d'un chat qui tombe d'un mur. Et le téléphone, si on lui demandait, il croirait que la vidéo vient de lui et que lui a à voir cette vidéo. Il n'a pas conscience, le téléphone, qu'il est relié à un réseau Wi-Fi. Et moi, j'aime bien, même si ça peut sembler un peu ridicule, ou un peu kitsch, j'aime bien penser ça, qu'en fait, on est relié, c'est-à-dire que vous et moi, là, on a chacun, on prend une partie du réseau Wi-Fi, mais qu'en fait, on n'est pas si… Alors évidemment, votre conscience m'est inaccessible, ou la conscience de Pauline Dubuisson ou de Kaki m'est inaccessible, mais on fait quand même partie du même réseau, je ressens presque physiquement cette Ausha, et en tout cas, ça me plaît de penser que c'est possible, ça me plaît de penser qu'on est tous… quel que soit l'espace et le temps, parce que moi je vais sur les lieux des... des personnes dont je raconte l'histoire dans mes livres, donc je suis pile au même endroit dans l'espace, mais évidemment il y a 50 ou 60 ans de différence de temps, ce qui est encore plus important et rédhibitoire pour le contact que les distances en mètres ou en kilomètres. Mais j'aime bien me dire qu'on est quand même liés, soit poétiquement... psychologiquement en soi, ou même de manière un peu plus concrète, qu'on ait lié les uns aux autres. J'aime aussi l'anecdote de la fourmi. Je ne sais pas comment des chercheurs ont pu établir ça, mais il paraît que quand on voit une longue file de fourmis qui chacune porte une petite miette, les amener à un endroit pour construire je ne sais pas quoi ou faire des réserves, si on pouvait interviewer l'une de ces fourmis et qu'on lui disait « qu'est-ce que vous êtes en train de faire ? » Elle dit « rien, je ne fais rien de spécial, j'ai trouvé une miette, je me promène avec. » pas conscience de l'ensemble. J'aime bien penser que toutes les existences sont liées et solidaires les unes des autres.

  • Speaker #1

    Alors, vous avez cette phrase qui, évidemment, m'interpelle. Vous dites, moi, lire, ça m'aide tellement. Les livres me tiennent dans la vie. C'est ce qui m'amène à cette question. Quel lecteur êtes-vous ? Est-ce que vous êtes un boulimie qui dévore plusieurs ouvrages en même temps ? Un infidèle qui va papillonner de l'un à l'autre ? Un perfectionniste qui veut absolument arriver à la dernière ligne ? même si le livre ne l'emballe pas, ou alors un récidiviste qui aime lire,

  • Speaker #0

    redire encore et encore et encore les mêmes livres ? Bien, je vous le dis. Aucun des quatre. Bah super ! On peut reprendre les quatre, aucun des quatre. Alors, est-ce que je vais m'en rappeler ? Donc déjà, pour la question d'aller au bout de tous les livres, non, pas du tout. C'est-à-dire que si un livre ne me plaît pas, il faut quand même que je lui laisse le temps d'être sûr que ça ne me plaît pas. Mais si un livre ne me plaît pas, je le referme. J'ai d'ailleurs essayé d'apprendre ça à mon fils. Il n'est pas évident de faire lire les enfants ou les adolescents. Là maintenant il n'est plus grand, mais ça a marché. Ma technique, parce qu'il lit maintenant, c'est de ne pas considérer que la lecture est un devoir, une obligation, une corvée, ce qu'on veut. Je lui disais quand il avait, je ne sais pas, 15 ans, quand tu regardes une série, surtout que maintenant tout est en accès, alors les livres… La seule petite différence, c'est que les livres, il faut les acheter. Évidemment, on se dit, c'est un peu con, j'ai acheté 20 euros pour un livre et j'en ai lu 10 par jour. Mais en tout cas, c'est le même principe. Quand tu regardes une série et qu'à la fin du premier épisode, tu vois que ça t'ennuie, que ça ne te plaît pas, que tu trouves ça nul ou quoi, tu ne vas pas te forcer à continuer. Il faut faire pareil avec les livres, il faut que ça reste un plaisir. Moi, je suis vraiment, mais très profondément convaincu que la lecture doit être et seulement être un plaisir avec... Le plaisir, ça peut être parce qu'on rigole ou parce qu'on est ému, mais ça peut être aussi le plaisir d'apprendre des choses, le plaisir de ressentir des choses, etc. Mais il ne faut surtout pas que ça soit quelque chose d'imposé. C'est un des problèmes avec l'école, même si les profs, c'est difficile pour les profs, parce qu'on ne peut pas dire, s'ils se mettent à dire aux enfants, vous lisez tel livre si vous avez envie, sinon vous ne lisez pas. Il va y avoir beaucoup de livres lus. Mais enfin, voilà. Donc ça, non, vraiment, j'arrête. J'en ai arrêté un, 7 000 d'ailleurs. Un lecteur boulimique qui lit plusieurs choses en même temps, non. Je suis un homme, donc j'ai un cerveau un peu primaire, un peu simplet, impossible. Enfin, je dis ça, je connais, je discutais il y a une dizaine de jours avec un ami, puisque je ne le connais pas, on ne se parle que par internet, quelqu'un qui m'a aussi aidé pour un de mes livres, et qui lit six livres en même temps. Alors là, moi, c'est... Je suis, mais c'est impossible pour moi, j'en suis complètement incapable. Je me perdrais déjà, je n'ai pas des facultés de mémoire phénoménale. Donc, voilà, je ne lis qu'un livre l'un après l'autre. Ensuite, je ne sais plus quels étaient vos... Vos propositions ? Non, ça non, je reste sur un livre, sauf que je l'abandonne dès qu'il ne me plaît plus. Bon, ça va. Voilà, c'est ça. Je relis ça, les livres. J'aimerais, là aussi, je connais des gens qui le font, mais alors cette chose qui n'est pas une angoisse, ça serait trop dire, mais j'ai l'impression que chaque livre que je relis, c'est un livre que je ne lirai pas. Je sais que quand je vais mourir dans très longtemps, à 99 ans, j'aurai lu peut-être un dixième, un vingtième des livres que je pourrais lire. Et parfois, j'ai envie de... des choses dont je me souviens qu'elles m'ont vraiment plu, soit pour vérifier d'ailleurs des trucs que j'ai lus à 20 ans, pour voir si je les aime toujours aujourd'hui. Enfin bon, il y a plusieurs raisons de relire des livres, mais j'ai un truc de, pas de culpabilité, mais d'anxiété à me dire ce que je suis en train de faire, ça va m'empêcher de lire le tout dernier livre. Donc non, je ne relis pas, alors que je pourrais, parce que vraiment... Là, par exemple, parce que vraiment, je vais finir ma phrase quand même, je prends les livres, encore une fois, comme des émotions, comme des sensations, mais comme beaucoup de gens, j'espère, je ne suis pas le plus crétin de tous les lecteurs, mais je l'oublie vite, j'oublie, mais parfois un an ou deux ans après. Et là, je suis en train, pour les besoins de mon prochain livre, de relire tous les... je ne les avais évidemment pas lus tous, mais de relire tous les Maigrets de Simenon, à 75. Et disons que depuis 20 ans, mais même il y a encore 2-3 ans, j'ai dû en lire peut-être une quinzaine ou une vingtaine, et là je les relis tous les uns et les autres. Et je me rends compte, mais parfois tout à la fin du livre, que j'ai lu déjà ce livre et que j'ai quand même pu passer 200 pages sans me rappeler qu'il y a 5 ans je l'avais déjà lu. Donc je pourrais, ça ne serait pas un problème de relire les livres, Un problème de temps et cette impression qu'on a un livre imparti.

  • Speaker #1

    Les livres tiennent dans la vie et qu'écrivez des livres qui aident. Vous avez un mot ou plusieurs pour les auditeurs et les auditrices de ce podcast ?

  • Speaker #0

    Ce n'est pas, c'est comme si vous disiez à quelqu'un qui aime boire du whisky, moi. ou à quelqu'un qui aime faire du sport, vous disiez comment vous pourriez... Moi, c'est absolument indispensable. C'est-à-dire, je ne comprends pas, très sincèrement, comment les gens peuvent vivre, ne serait-ce qu'une semaine ou un mois, sans lire, simplement parce que j'en ai besoin. Moi, je discute avec des gens qui me disent, mais comment tu fais pour passer un mois sans courir ? Alors que je peux passer 40 sans courir. Donc voilà, c'est indispensable, je trouve, mais même de manière plus prosaïque. Quand on se couche, moi je ne lis que... Alors d'ailleurs, je ne suis pas un de ces lecteurs qui lisent du matin au soir, qui lisent deux livres par jour, etc. Je fais pas mal d'autres choses, je travaille, je regarde la télé, j'ai l'impression que j'ai besoin aussi de regarder des trucs un peu débiles à la télé, au bistrot, discuter avec des gens, etc. Donc je lis uniquement le soir. Sauf quand c'est pour mon travail ou là je lis la journée. Mais mes lectures personnelles et de loisirs, on va dire, c'est uniquement le soir dans mon lit. Et je ne comprends pas comment on peut se coucher, se mettre dans son lit, ramener la couette sur soi, éteindre la lumière et dormir. Pour moi, ça me semble… Alors là, pour le coup, ce n'est pas intellectuel, il n'y a rien. C'est technique. Je ne comprends pas comment les gens font. Alors là, les gens me disent « Non, mais je regarde mon portable et je finis par m'endormir. » En tout cas, je ne veux pas faire le vieux schnock, mais… Ce n'est pas moi. Tout ce que je sais dans la vie, tout ce que j'ai l'impression que je suis constitué de tout ce que j'ai lu, et évidemment de tout ce que j'ai vu et vécu en vrai, sauf que dans mes rapports avec les gens, que ce soit dans mon métier d'écrivain quand je fais des salons du livre, des librairies ou au comptoir en bas, mes lectures me permettent de discuter avec les gens, m'aident à mieux comprendre les gens, ou à mieux trouver ma place en face d'eux, ou à mieux me comporter, je ne sais rien. J'ai l'impression... Là on va tomber dans des gros clichés, mais c'est comme l'eau à une plante ou le soleil à une plante. Je ne comprends pas comment on peut vivre sans... Alors ça peut être aussi, parce qu'il y a des gens pour plein de raisons qui n'aiment pas lire, ça peut être le cinéma, il peut y avoir des gens qui ont besoin de voir un film par jour et ça les nourrit, ou le théâtre ou la peinture, j'en sais rien. Mais en tout cas, je ne vois pas comment on peut exister sans se nourrir. intellectuellement, ça fait un peu lourd comme mot, mais mentalement, comment on peut vivre sans se nourrir de choses extérieures. Et c'est pas en courant autour du pâté de maison ni d'ailleurs en buvant whisky ou en faisant des puzzles qu'on peut se nourrir. Il faut que ça vienne de dehors. Moi, c'est de la lecture et j'ai l'impression que je me dessécherais complètement ou que je me mettrais à stagner complètement si j'arrêtais de lire.

  • Speaker #1

    Ce n'est pas moi qui vais vous dire le contraire.

  • Speaker #0

    Oui, j'imagine bien. Mais encore une fois, c'est un plaisir. C'est-à-dire qu'il faut que ce soit comme... Moi, c'est comme si on disait arrêter de manger des pâtes, par exemple, ou des choses comme ça. Et moi, il y a des choses qui sont un plaisir pour d'autres personnes qui seraient des corvées pour moi. Ma femme aime beaucoup aller dans les musées, par exemple, dans les expositions. Moi, ça me saoule. Ce n'est pas le truc qui me nourrit, donc je n'y vais pas. Donc, je... comprends que pour certaines personnes, la lecture, ce soit fastidieux, soit ennuyeux, j'en sais rien, et que donc elle n'est pas en vie. Mais en tout cas, je pense que si, et moi j'en parle souvent au bar avec des potes de comptoir que je n'aurais pas rencontrés, c'est pour ça que j'aime les bars que je n'aurais pas rencontrés, je ne me fréquente pas les mêmes milieux, mais qui me disent… Je m'ennuie le soir et tout. Et moi, j'essaye de les pousser à lire. Alors, certains s'y mettent et sont contents. Il a fallu que j'attende 50 ans pour découvrir que ça faisait du bien de lire. Et d'autres qui me disent, non, j'ai essayé, ce n'est pas pour moi, je n'arrive pas à me concentrer, ou je n'arrive pas, c'est trop lent pour moi. Enfin bon, bref, en tout cas, il faut que ça reste un plaisir. Mais si c'est un plaisir, il ne faut pas hésiter à l'utiliser à fond.

  • Speaker #1

    J'aime beaucoup cette phrase. Philippe Jéranada, je rappelle que le premier épisode de ce podcast a été consacré à La Petite Femelle, que vous avez publié en 2015, et que votre dernier livre, La Désinvolture, est une bien belle chose, est sorti au mois d'août dernier chez Mélanie Barraud, et qui fait à peine, à peine, 482 pages.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas énorme, c'est la moitié de mes précédents. Mais voilà.

  • Speaker #1

    Merci, merci infiniment, Philippe Jéranada, pour cet échange, et merci encore, de tout cœur, d'avoir accepté de soutenir Enrouille.

  • Speaker #0

    Merci à vous, Loubna, et je vous souhaite au podcast tout le beau parcours qu'il mérite, parce que pour l'instant, je n'ai entendu qu'un seul épisode, qui est celui de Petite Femelle, et je l'ai trouvé très sincèrement, sinon je ne serais pas là à vous parler, formidable, parfaitement équilibré, vif et profond et léger en même temps. Donc, bravo Loubna et merci, et bonne chance, bonne route. Merci, merci beaucoup.

  • Speaker #1

    Et voilà, un peu plus de 40 minutes plus tard, c'était mon précieux échange avec Philippe Jehanada, qui a bien voulu être le soutien moral de ce podcast, et que je remercie pour sa générosité et son humilité, car c'est ce qu'on aime aussi dans la littérature. Si quelques-uns et quelques-unes pouvaient en prendre de la graine, mais bon, ceci est une autre histoire. A bientôt dans En Roue Livre.

Description

Il paraît qu’il n’y a pas de hasard dans la vie. Peut-être est-ce un hasard si j’ai choisi de commencer ce podcast avec un livre de Philippe Jaenada… J’ai bien dit peut-être !

En tout cas, ce n’est certainement pas un hasard si j’ai décidé de lui demander d’être une sorte de soutien moral pour En Roue Livres ! (Un soutien, parce que les parrains et moi ne faisons pas vraiment bon ménage 🙄).

Après quelques bouteilles à la mer, j’arrive à entrer en contact avec lui, à lui parler de mon projet et à lui faire écouter l’épisode consacré à La Petite femelle. Lui, fidèle à l’image que l’on peut avoir si l’on suit toutes ses confidences disséminées au fil de ses digressions, accepte.

Le résultat est cet échange qui devait, initialement, ne durer qu’une quinzaine de minutes mais qui s’est poursuivi au-delà… non sans parenthèses, bien sûr, qui vont de sa méthodologie d’écriture aux soupes lyophilisées en passant par les fourmis ou le rôle de l’inconscient.

Oui, je sais, ça a l’air un peu dur à suivre… Mais vous savez quoi, c’était un très bon moment… que je tenais à partager avec vous!



Crédit photo : Jean-Luc Bertini - Revue La Femelle du Requin


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Il paraît qu'il n'y a pas de hasard dans la vie. Peut-être est-ce un hasard si j'ai choisi de commencer ce podcast avec un livre de Philippe Jaenada. J'ai bien dit peut-être. En tout cas, ce n'est certainement pas hasard si j'ai décidé de lui demander d'être une sorte de soutien moral pour En Roue Livres! (Un soutien parce que les parrains et moi ne faisons vraiment pas bon ménage). Après quelques bouteilles à la mer, j'arrive à entrer en contact avec lui, à lui parler de mon projet et à lui faire écouter l'épisode consacré à "La petite femelle". Lui. fidèle à l'image que l'on peut avoir si l'on suit toutes ces confidences disséminées au fil de ces digressions, accepte. Le résultat est cet échange qui devait, initialement, ne durer qu'une quinzaine de minutes, mais qui s'est poursuivi au-delà. Non sans parenthèses, bien sûr, qui vont de sa méthodologie d'écriture aux soupes lyophilisées, en passant par les fourmis, le café ou encore le rôle de l'inconscient. Oui, je sais, ça a l'air un peu dur à suivre, mais vous savez quoi, c'était un très très bon moment que je tenais à partager avec vous. Il est, pour reprendre ses mots, obsédé, voire fasciné par le temps qui passe, par ce qui disparaît et par ce qui reste. Ancien journaliste, il dépoussière aujourd'hui des tonnes d'archives sans avoir peur de nous perdre dans leur foisonnement. Ou alors, il s'en fiche, on lui demandera. Il a fait des parenthèses et des digressions teintées d'humour et d'autodérision presque un genre littéraire en soi. Philippe Jaenada, bonjour.

  • Speaker #1

    Bonjour Loubna.

  • Speaker #0

    Merci d'avoir accepté d'être le soutien moral de ce podcast, car oui, nous sommes dits que la notion de soutien moral couronne peut-être mieux que celle de parrain.

  • Speaker #1

    Avec plaisir, je vais soutenir comme je peux, mais de bon cœur.

  • Speaker #0

    Merci. Les auditeurs et les auditrices de En Roue Livres! ont découvert le premier épisode dédié à "La petite femelle". Pauline Dubuisson a hanté nombre de vos lecteurs et de vos lectrices (alors vous aurez compris que j'en fais partie). On a l'impression qu'elle continue aussi de vous accompagner, puisqu'on la retrouve, un peu, dans votre dernier livre, "La désinvolture est une bien belle chose". Est-ce que c'est le cas ? Est-ce que vous êtes toujours hanté, obsédé par Pauline Dubuisson ?

  • Speaker #1

    Hanté, obsédé, non. Mais elle m'accompagne, on me pose souvent la question, on me demande, comme à peu près tous mes livres sont consacrés à une personne en particulier, enfin avec tout son entourage, mais une personne en particulier. On me demande souvent, mais comment vous faites quand vous commencez par exemple à écrire La Serpe, comment vous faites pour oublier Pauline Dubuisson, La Petite Femelle ? Comment vous faites là pour le livre que je suis en train d'écrire maintenant ? On me demande, j'ai sorti un livre l'année dernière, comment vous faites pour oublier Kaki et les moineaux qui étaient les personnages de mon livre ? Et en fait, bien entendu, on n'a pas besoin d'oublier, c'est-à-dire que je n'oublie pas du tout. C'est comme si on me demandait, c'est comme si j'ai un ami, disons qu'il s'appelle François. et que deux ou trois ans plus tard, je rencontre un ami ou une amie que j'aime bien et qui s'appellerait Isabelle ou Thierry, et on me dirait, « Ah, ben, t'es amie avec Thierry, mais comment t'as fait pour oublier François ? » On n'a pas besoin, on a de la place dans le cœur et dans la tête. Donc, évidemment, je n'oublie pas des gens avec qui j'ai passé, même de manière, comment peut-on dire, virtuelle presque, puisque, évidemment, je n'ai jamais rencontré ces gens. Et quand je travaille, par exemple, sur Pauline Dubuisson, pendant deux ans, jour et nuit, presque la nuit, souvent, oui, en tout cas, sept jours sur sept, je ne suis qu'avec elle. C'est-à-dire, je vis en 1950, je passe mes journées à étudier des rapports, des auditions, des choses qui la concernent, à les organiser, puis ensuite à les relater en écrivant. C'est vrai, je la connais mieux que ma mère pour une raison toute simple. Moi, si je m'intéresse à des affaires judiciaires, ce n'est pas que je sois fasciné par les crimes, le meurtre, le sang, les faits divers. C'est simplement parce que quand il y a eu une affaire judiciaire, il y a eu une enquête de la police, et qu'une enquête de la police, c'est une mine d'or pour un écrivain. C'est-à-dire que les enquêteurs ou le juge d'instruction interrogent absolument toutes les personnes qui ont côtoyé plus ou moins longtemps, de près ou de loin, la victime ou d'ailleurs le coupable, ses amis d'enfance, ses professeurs, ses amoureux, ses copains de fac, ceux qui l'ont vu 10 minutes avant sa mort et ceux qui l'ont vu pendant des années, 20 ans avant sa mort. Et puis surtout, quand on répond à la police, on est obligé de dire la vérité. Il n'y a pas d'intimité, il n'y a pas de secret, en théorie du moins. Et évidemment, moi, sur ma mère, je n'ai pas 50 personnes qui ont connu ma mère à tous les âges de sa vie. et qui me donnerait une sorte de gros dossier où on me raconte tout sur elle. Donc, même si je dis à la fin de La Petite Femelle, il faut quand même que je reste la tête froide et lucide. J'ai l'impression de connaître Pauline Dubuisson, mais je ne connais même pas le son de sa voix, ce qui est pourtant élémentaire, c'est la première chose qu'on entend, qu'on sait de quelqu'un. Donc, je ne deviens pas complètement fou à m'imaginer que je connais Pauline Dubuisson, mais en tout cas, j'ai plus d'informations sur sa vie que sur la vie de ma mère.

  • Speaker #0

    Et dans votre carrière d'écrivain, il y a eu un avant et un après, ce livre ?

  • Speaker #1

    Oh non, pas spécialement, il y a en avant et en après tous mes livres. À chaque fois, j'ai l'impression que, là d'ailleurs, c'est en train de m'arriver en ce moment, à chaque fois quand je suis plongé dans un travail, c'est-à-dire soit le travail de préparation, de recherche, etc., soit le travail d'écriture en lui-même qui vient après, j'ai l'impression que rien d'autre n'existe. C'est-à-dire que quand je travaillais sur La Petite Femelle, j'ai l'impression qu'il y avait une seule personne qui avait vécu sur la planète, c'était Pauline Dubuisson en 1900. 1927 et 1963. Et puis, dès que j'en ressors, c'est comme si je m'ouvrais ou si j'ouvrais les fenêtres. Et du coup, d'autres choses existent. Là, il y a, je ne sais pas, on va dire cinq mois, quand j'étais entre la fin de l'écriture et puis le début de la sortie de mon livre, de mon dernier livre, si vous m'en aviez parlé, je vous aurais dit, je vais me mettre des années à en sortir. Là, je suis sur le prochain et déjà, je ne pense pas. qu'à celui sur lequel je travaille en ce moment.

  • Speaker #0

    On va revenir à ce livre-là, mais d'abord je rappelle que vous avez commencé votre carrière d'écrivain avec des récits plutôt autobiographiques, il y en a sept, même si le premier, Le Chameau Sauvage, démarre avec un fait divers, puis vous semblez vous passionner pour ce genre. Avant La Petite Femelle, il y a eu Celac, consacré au célèbre braqueur des années 70. Vous avez ensuite suivi la trace d'Henri Girard dans La Serpe, puis celle de Lucien Léger dans Au printemps des monstres. Et puis, il y a eu aussi Alain Lapry, qui est toujours en prison pour l'assassinat de sa tante dans un livre qui s'appelle « Sans preuve et sans aveu » , mais qui n'est pas vraiment un roman.

  • Speaker #1

    Exactement.

  • Speaker #0

    Et « Jusqu'au suicide » de Jacqueline Harris, qui se dit qu'à qui dans « La désinvolture est une bien belle chose » . Alors, vous avez déclaré il y a quelques mois dans une interview pour le magazine Lire, « Je n'aime pas écrire de la fiction, ça ne m'amuse pas » . Alors, la fiction imaginaire, définitivement pas assez intéressante pour vous.

  • Speaker #1

    Alors, en tant que lecteur, si. Par exemple, je lis beaucoup de romans policiers, donc évidemment, dans la grande majorité des cas, c'est de la fiction. Donc, en tant que lecteur, j'aime ça. En tant qu'auteur, à la fois, d'une part, sincèrement, ça ne m'intéresse pas, et d'autre part, je pense que je ne dois pas être très doué pour ça. C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, après mes sept premiers livres, je suis plus ou moins autobiographe. Tu as quand même l'autobiographie. Ce n'était même pas de l'autofiction, c'était de l'autobiographie assez romancée, ou en tout cas modifiée. Ma vie, c'est-à-dire que ça suivait, ces sept premiers livres suivent l'évolution de ma vie personnelle. Le premier, Le Chameau Sauvage, c'est un jeune homme qui cherche l'amour et qui n'est pas bien doué, qui est un peu naïf. Le deuxième, c'est à peu près le même jeune homme, même s'il n'a pas le même nom, que Coup de Foudre, qui rencontre la femme de sa vie qui est à moitié dingue. Le troisième, c'est le cauchemar de la vie conjugale, etc. Ça suivait les étapes de ma vie. Il y a la naissance de notre enfant. Et puis, disons vers les années 2009-2010, ma vie, notre fils avait grandi, notre vie de couple s'était stabilisée, moi j'avais pris de l'âge, je ne m'amusais plus à aller faire le fou toutes les nuits dans Paris. Et donc, je n'avais plus rien à raconter en fait. C'est-à-dire que ma vie ne pouvait plus me servir de... de matières premières pour mes livres. Ou alors ça aurait été les livres les plus ennuyeux de l'histoire de la littérature, je pense. Et donc je me suis dit, qu'est-ce que je vais devenir ? Qu'est-ce que je vais faire ? Qu'est-ce que je vais écrire ? J'ai fait deux, trois essais de fiction et je me suis rendu compte, non seulement encore une fois, je crois que ce n'était pas terrible, mais surtout que je m'ennuyais terriblement en écrivant. Et puis, il m'est venu à l'esprit une chose toute bête, c'est que je n'étais pas le seul sur Terre et que donc je pouvais tout à fait raconter la vie d'autres personnes que moi-même. Mais donc, dans mon esprit, c'est vrai que vu de l'extérieur, et pour les critiques ou les lecteurs même, ce sont deux périodes très différentes. Dans mon esprit, c'est simplement la continuité. Sauf que voilà, au lieu de parler de moi, et comme vous disiez tout à l'heure, quand je parlais de moi, c'était des sortes de petits faits divers aussi, des choses évidemment intimes, anecdotiques et minimes par rapport à des crimes ou à des grandes histoires. judiciaire, mais enfin c'était quand même le même principe. Là je me décale, donc depuis mon premier dans ce genre là, c'est en 2013, je me décale vers d'autres personnes et non seulement je... Je ne suis pas le mieux placé pour juger, mais je pense que les livres sont plus intéressants. Et surtout, en tout cas, une certitude, c'est que pour moi, c'est plus intéressant, plus distrayant, plus amusant à écrire. À la fin, mes deux, trois derniers livres où je parlais de moi, de ma vie en tout cas, quand j'écrivais mes derniers livres, pour moi, je disais que ce n'était pas une corvée, ce serait trop dire une corvée, mais enfin, j'avais peu d'entrain et d'enthousiasme. Et quand je me suis mis à écrire sur d'autres personnes, je me rends compte que je suis le pire. le premier lecteur, c'est-à-dire que je décours ces histoires avant les gens qui, j'espère, les découvriront de bonne manière avec mes livres. Donc ça me passionne, ça m'excite, ça m'intéresse et j'écris avec beaucoup plus d'allant, d'entrain, de plaisir quand je parle des autres que quand je parle de moi. Mais pour moi, dans mon esprit, il n'y a pas une différence énorme entre ces premiers romans personnels, on va dire, et puis tous les derniers plus ouverts vers les autres.

  • Speaker #0

    Justement, vous parliez de critique tout à l'heure dans la presse et dans la critique, on vous a souvent qualifié d'écrivain justicier, de spécialiste dans la littérature du fait divers, d'auteur de true crime, ça vous agace, ça vous plaît, ça vous indiffère, vous en fichez ?

  • Speaker #1

    Ça ne m'agace pas du tout, ça ne me fiche pas spécialement non plus, je m'en fiche un peu, c'est-à-dire que chacun voit… Alors justicier, c'est un peu curieux, parce que d'abord je ne prétends pas évidemment détenir une quelconque vérité. des enquêtes criminelles sur lesquelles des dizaines de personnes ont travaillé pendant des mois et des mois, et moi je débarque et je dis non, non, vous avez tort, c'est moi qui ai raison. Donc il faut que je reste très humble là-dessus. Et puis aussi, quand j'écris sur Pauline Dubuisson, lui rendre justice, je ne sais pas trop ce que ça veut dire, puisque Pauline Dubuisson n'existe plus. Je ne pense pas qu'elle soit assise sur un petit nuage, et qu'en regardant vers le bas, elle dise, merci Philippe, c'est gentil, tu m'as rendu justice. Donc non, moi je me vois comme... Et puis on me dit « vous auriez fait un bon policier, un bon avocat, etc. » Ce n'est pas vrai. J'emprunte quelques petits trucs qu'il y a des policiers ou des avocats, mais écrire un livre, c'est beaucoup plus simple. Moi, je peux affirmer, dans « La petite femelle » , par exemple, puisqu'on en parle, je peux affirmer que Pauline Dubuisson n'est pas vraiment coupable, que c'est un homicide involontaire, qu'elle voulait réellement se tuer. Ça, c'est moi, c'est ma conviction et j'essaye de la... de la transmettre au lecteur, mais les jurés qui ont eu à la juger, c'est beaucoup moins évident, il faut des choses plus concrètes. Donc je ne me prends pas pour un justicier ni pour un policier, peut-être pour un avocat, mais un avocat amateur, dans le sens où j'essaye de défendre des gens qui, selon moi, ont été injustement accusés ou injustement traités par le regard de la société. Mais voilà, et puis on ne peut pas dire, quand on dit spécialiste des faits divers, des true crimes, etc., on ne peut pas dire que c'est faux, puisque c'est à peu près ce que je fais. Dans le dernier, ce n'était pas un crime, ni une erreur judiciaire, ni quelque chose comme ça, mais ça revient toujours au même, ce sont des sortes d'enquêtes plus ou moins axées sur l'humain, c'est en tout cas au moins autant axé sur l'enquête policière proprement dite. Pour Pauline Dubuisson, par exemple, si on étudie vraiment l'autopsie, la balistique, etc., on a la preuve que ça ne s'est pas passé comme l'accusation l'a affirmé, c'est-à-dire qu'elle n'a pas tué de sang-froid son amoureux avant de l'exécuter d'une balle dans la nuque. Ça, c'est une preuve tangible. Mais sinon, c'est surtout humainement que j'essaye de me pencher sur ces gens, avec le plus de bienveillance, peut-être pas d'objectivité, mais de lucidité possible. Ça reste la vie d'une personne, d'un être humain, moi en l'occurrence, et donc ça reste très subjectif.

  • Speaker #0

    Et d'ailleurs, dans votre… Alors, je n'aime pas le mot, mais je n'en trouve pas d'autre là tout de suite. Dans le processus, on va dire, quelle est la période qui vous intéresse le plus ? Est-ce que c'est celle où vous cherchez le sujet, celle où vous menez votre enquête, cette investigation ? C'est passionnant d'ailleurs, dans chaque livre, que ce soit dans La Petite Femelle ou par exemple dans le dernier, dans La Dédain Vauture, et toutes les dernières belles choses, on suit avec vous, pas à pas, comme on vous fête. Est-ce que c'est plutôt la… Partie là où vous êtes en train d'écrire, quelle est la période la plus excitante ?

  • Speaker #1

    Ce qui est formidable, c'est qu'elles le sont toutes. En plus, je travaille de manière très rigide, routinière. J'ai besoin de ça, j'ai besoin d'une discipline presque scolaire pour travailler. Et je travaille toujours exactement de la même manière. C'est-à-dire que les deux, disons, pour schématiser, pour simplifier, il y a une période de recherche et une période d'écriture. Les deux ne se chevauchent pas. jamais, c'est-à-dire que je ne commence pas à écrire le premier mot du livre si je n'ai pas la certitude d'avoir terminé toutes mes recherches. et même d'avoir terminé ensuite la mise en forme, le tri, le classement, toutes les informations que j'ai recueillies, pour en faire une sorte de fichier de base, comme un sculpteur prendrait un bloc d'argile, il faut que mon bloc d'argile soit bien là, que je sache que je ne vais pas en rajouter après, et là je commence à travailler. Donc c'est deux périodes vraiment distinctes, et dans chaque période, qui sont en plus sur des temps, disons que si j'écris un livre, si je publie un livre tous les deux ans, on va dire que... Comme il y a la promo du livre et tout ça, on va dire 20 mois de travail. Sur 20 mois de travail, j'ai presque précisément 10 mois de recherche et 10 mois d'effectu. Donc, c'est deux périodes équivalentes qui ne se chevauchent pas et qui sont les deux aussi intéressantes de manière différente, qui m'apportent des choses et des émotions différentes, mais j'aime les deux. C'est-à-dire que quand j'ai terminé un livre, il me tarde une seule chose, c'est après la tournée d'automne de… me pencher sur un autre pour retourner dans les salles d'archives, dans les vieux dossiers. Et c'est vraiment, c'est un plaisir enfantin. C'est vraiment quelque chose de l'ordre de formidable, je vais me plonger dans une nouvelle enquête, c'est un vrai plaisir et qui n'a rien à voir avec la littérature. C'est-à-dire que vraiment, si j'étais simplement archiviste, je ne sais pas si quelqu'un me faisait une commande, je voudrais retrouver l'histoire de mon grand-père, je ne sais pas quoi, j'aurais le même plaisir exactement. Et puis tout d'un coup, une fois que j'ai terminé tout ça, Alors qu'une semaine avant la fin, je me dis, c'est bientôt fini, les recherches sont un peu déconfies, je me dis bon. Et puis dès que j'ai terminé, que j'admets que c'est fini, je ne considère plus que c'est une histoire vraie, je considère que c'est la matière première dont je dispose, ce sont en général des fichiers qui peuvent faire 700-800 pages d'informations. Je me dis maintenant, il faut que je les transforme en littérature, il faut que j'écrive. Et là, tout à coup, je bascule et là je deviens… écrivain et seulement écrivain, je me détache du fait que ceux dont je parle sont des personnages qui ont existé, des gens qui ont existé, des histoires vraies, des faits réels, etc. Je m'en détache comme si un scénariste m'avait donné le matériau pour écrire mon livre. Et c'est un autre plaisir qui est complètement différent mais qui est très sincèrement... Je pourrais mettre aucun des deux devant l'autre. Ils sont successifs, pas opposés mais en tout cas très différents. Et pour moi, c'est formidable parce que ça évite toute lassitude. Là, je commence, pour le prochain, je suis dans la phase de fin des recherches, de l'alimentation. Et ça fait, j'ai dû travailler dessus, je ne sais pas, 8 mois, quelque chose comme ça, 8 ou 9 mois. Et je commence à en avoir marre. C'est-à-dire qu'en fait, c'est bien fait. Je commence à me dire, bon, allez. Il me tarde maintenant de me mettre à écrire. Et donc, il y a la période la moins agréable, a priori, c'est entre les deux. C'est-à-dire, c'est pile ce que je suis en train de faire là, ce que j'ai fait au moment où on s'est retrouvés sur la plateforme. C'est parce que j'ai des méthodes de travail très précises. Je ne sais pas si ça vous embête ou pas, mais j'essaye de vous expliquer vite fait. Bon, alors je vais... Donc... L'essentiel du travail, ce sont les archives de dossiers d'enquête ou de choses comme ça. Je fais des photos. Je vais dans les salles d'archives de lecture, je fais des photos. Ça peut être des centaines, des milliers de photos. Ensuite, je ramène ces photos chez moi et là, il faut que je les transforme en une matière utilisable. Donc, il y a une deuxième étape que j'aime bien parce que ça me permet de me remettre tout en tête. Je relis à voix haute. Toutes ces photos, ça peut prendre deux mois, il y a beaucoup, dans un dictaphone. Là, par exemple, je viens de terminer, j'ai 3000 fichiers de choses que je lis. Mercredi 3 avril 1949, l'inspecteur interroge le boulanger Bidule, et je lis les dépositions. Ça, c'est quelque chose qui me plaît, ça me permet de me remettre toute l'histoire en tête, etc. Ensuite, il y a quelque chose qui est un peu plus fastidieux, qui est ce que je suis en train de faire là. Je réécoute ces milliers de fichiers son que j'ai enregistrés moi-même et je tape tout sur mon traitement de texte. Je recopie tout à la main comme si j'étais secrétaire ou sténodactylo ou je ne sais quoi. Sans recopier mot à mot, je sélectionne ce qui peut être intéressant ou pas. Là, c'est un travail qui peut être pénible, c'est aussi très long, c'est des semaines et des semaines. D'ailleurs, pas mal de gens me disent « mais t'es con, il y a des logiciels » . que ce soit les photos, même on peut passer directement des photos au traitement de texte, je suis obligé de le faire parce que si sur un dossier qui fait 2000 pages, si page 18, j'ai lu « Il est entré dans la pièce à 14h10 avec un pantalon rouge » , trois mois plus tard, page 1950, je lis quelqu'un d'autre qui dit « Oui, il devait être à peu près 15h20, il avait son pantalon jaune » , je me dis « Oh là là, je crois que j'ai lu, je ne sais plus quand ni où, j'ai lu l'inverse » . Et donc évidemment, parmi une masse de photos ou de fichiers sans, c'est impossible à retrouver, il faudrait que je revoie tout. Alors que sur un traitement texte, je tape pantalon, voilà, et je vois très vite. Donc là, je suis dans cette période qui est la plus fastidieuse, et en même temps, je me rends compte, tout en le faisant, comme c'est un travail très mécanique, de recopier simplement ce que j'entends, mon cerveau, mon modeste cerveau... met en place des choses. Je me rends compte, après, quand je vais commencer à écrire dans quelques mois, à écrire vraiment le texte, c'est-à-dire la première phrase du texte, je me rends compte que j'ai déjà, pendant ce temps-là, préparé, je me dis, ça, je vais en parler vers le premier tiers du livre, cet épisode-là, je vais en dire une moitié au début, et puis après, plutôt vers la fin, je donnerai la solution. Je sens que ça se fait. C'est quelque chose qui est extrêmement chronophage, qui prend beaucoup de temps et qui n'est pas très joyeux à faire, mais je sais que c'est utile et que... Moi, je crois beaucoup à l'inconscient quand on écrit ou quand on fait n'importe quoi dans la vie, d'ailleurs. Quand on va vers quelqu'un, que ce soit dans le domaine de l'amour ou de l'amitié, on est porté vers des gens, on ne sait pas vraiment pourquoi. On ne se dit pas parce qu'il a de belles oreilles ou qu'elle n'aura plus le rouge et que j'aime bien les pulls rouges. Enfin bon, il y a un truc d'inconscient. On se rend compte après pourquoi on est allé vers telle ou telle personne. Et je pense, moi, que dans l'écriture, même si on dirait, je pense, en lisant mes livres, que c'est extrêmement... travailler, calculer, prévu, qu'il y a un plan très strict. Il y a ça, parce que c'est indispensable pour ne pas dire de bêtises, mais je sais qu'il y a aussi des choses qui se passent à l'intérieur sans que j'en ai vraiment conscience et que je laisse faire. Et donc là, c'est ce qui est en train de se passer en ce moment.

  • Speaker #0

    Et qui se construit à mesure presque de tout le process.

  • Speaker #1

    Oui, qui se construit. Là, je suis en train de recopier... C'est une scène de... Bon, je ne vous dis pas de quoi. Il faut que je garde un peu de temps. Mais bref, je me rencontre en même temps que la recopie, je pense, je me dis, je vais parler de la déposition d'un tel tout début du livre, quand ce sera en progression narrative, et ensuite, je laisserai, je ferai comme si, voilà, et à la fin, je donnerai la clé du truc. Donc, ça se construit. Pas tout le monde,

  • Speaker #0

    parce que je tiens à le souligner, le récit peut parfois être dramatique, les faits sont... accablants, des dessins brisés, on suit avec vous des êtres quand même qui sont très malmenés. Pourtant, on se surprend à sourire beaucoup, voire à rire franchement. L'humour, pour vous, c'est votre manière de... La formule est peut-être facile, mais je l'apprends quand même, je l'assume, de construire une sorte de rempart contre le sordide ou est-ce que c'est une envie répressive ? Est-ce que c'est plus fort que vous ?

  • Speaker #1

    Alors, c'est une envie irrépressible, c'est même pour moi une nécessité. Alors, dans la littérature, mais même dans la vie de tous les jours. C'est-à-dire, alors je ne sais pas, je suis content quand on me dit « ça m'a fait sourire » ou « ça m'a fait rire » . Alors, pour moi, c'est légèrement différent de l'humour, c'est plutôt une forme de recul, de détachement. Et forcément, quand on se regarde avec un peu d'écart, de distance, un peu plus loin ou un peu plus haut, on se trouve un peu, les choses les plus graves, tout d'un coup, perdent de leur… de leur gravité, de leur lourdeur. Donc moi, j'essaye de faire ça dans ma vie, pour moi, toujours. Je me vois, j'ai souvent, depuis très longtemps, depuis que j'ai 20-25 ans, je m'imagine perché sur un réverbère, assis en haut du réverbère et me regarder en dessous. Et ça permet de déconnecter, de désactiver pas mal de tensions, de problèmes, de choses qui paraissent insurmontables. Et dans les livres, alors moi, c'est facilité. extrêmement facilité par le fait que je parle d'affaires anciennes. Donc déjà, de toute manière, il y a le recul du temps. Vous parliez tout à l'heure d'un livre que j'ai écrit qui ne fait pas vraiment partie de mes romans, qui est sans preuve et sans aveu. C'est simplement, en 2021, j'étais en train de dédicacer mes livres dans une librairie, il y a un monsieur qui arrive et qui me dit « je vais être incarcéré la semaine prochaine, je suis victime d'une erreur judiciaire terrible, au secours, aidez-moi » . Donc j'ai écrit juste un petit livre qui fait même pas le quart de mes livres habituels, et c'était simplement pour alerter les médias, c'est une affaire dont on ne parlait pas, et simplement profiter de ma petite notoriété pour que les médias alertent sur l'injustice qui a été faite à cet homme. Bref, dans ce livre-là, il n'y a pas d'humour, c'est pas drôle, c'est-à-dire que je ne peux pas prendre du recul par rapport au drame d'un homme et d'une femme, de sa femme qui est... qu'il attend désespérément, il n'est toujours pas sorti, donc ça fait 5 ans. Et là, le détachement est impossible, l'auto-dérision, même l'auto-dérision par rapport à moi, qui ne suis pas en prison. Ne me voyez pas dans un livre qui parle d'une histoire tellement lourde, faire des petites blagues pour faire plaisir au lecteur, parce qu'en fait, ça sert à ça dans les livres. L'histoire de Pauline Dubuisson, par exemple, c'est une histoire, vraiment, quand on la regarde, si on la donne à un ordinateur, si on donne ce qu'on sait de sa vie, c'est très noir, très triste, il n'y a pas de lumière, il n'y a pas de légèreté, il n'y a pas de sourire. Je n'ai pas envie, moi, de mettre dans les mains des lectrices et des lecteurs un gros bloc noir et désespérant, donc j'injecte des choses qui me concernent, moi, des petites mésaventures qui m'arrivent pendant l'écriture, ou une manière d'écrire un peu plus légère, parce que mon but, en fait, c'est d'essayer et je n'y arriverai jamais, personne n'y arrivera jamais, mais on peut toujours essayer, que mes livres soient le reflet de la vie, de la réalité. Or, je sais que dans la vie de Pauline Dubuisson, même si elle a été courte, qu'elle s'est finie de manière tragique et qu'il y a eu plein d'épisodes extrêmement douloureux, il y a des moments de légèreté, d'insouciance. Pauline Dubuisson, elle a dû rigoler, elle a dû se dire « ah, c'est le printemps, la vie est belle aujourd'hui » , etc. Mais dans un dossier de police ou dans la plus… plupart des souvenirs d'ailleurs ou des traces qu'on peut garder des gens ça n'apparaît pas ce qui apparaît c'est comme je sais pas quand on regarde les chaînes info ce qui apparaît c'est que les choses graves et voilà c'est pareil moi dans le dossier de police je n'ai plus trace d'aucun moment de légèreté d'insouciance de pauline dubuisson j'ai pas envie de les inventer parce que j'aime pas inventer sur d'autres personnes qui m'ont rien demandé donc j'injecte moi un peu artificiellement j'ai souvent l'image de Les petits trucs, les bolinos, je ne sais pas si ça existe encore, les bolinos, les petites nourrises ou les soupes chinoises lyophilisées. Vous savez, ça oui, mais les bolinos, comme de la poudre, on rajoute de l'eau et hop, ça pâte. Moi, j'ai l'impression qu'il me reste de l'histoire des gens le truc lyophilisé, que donc ça ne ressemble pas à la vie. Il y a l'essence même de ce qu'a été leur existence, peut-être, mais ça ne ressemble pas. Et donc moi, c'est pour ça que je me mets en scène tout le temps. toujours dans mes livres, ce n'est pas par plaisir de parler de moi, mais avec ma présence et surtout les choses plus légères, un peu absurdes et tout ça qui m'arrive, ça reconstitue un peu ce que j'espère, où je prends souvent aussi l'image du café, c'est-à-dire que s'il y a un extraterrestre qui arrive, qui n'a jamais bu de café, je ne sais pas ce que c'est. Et que pour lui faire comprendre ce que c'est, on lui montre un filtre après le passage du café, on lui montre le filtre où il reste cette espèce de matière noire, etc. Il ne va pas se dire « je goûterais bien un peu de café » . Alors que le café sans eau, c'est ça. Moi, je suis un peu l'eau, disons, pour irriguer un peu des choses que le temps a asséchées et durcies et noircies.

  • Speaker #0

    Et la désinvolture, pour vous, vous essayez de l'apprivoiser ? Vous dites non très peu pour moi. Je rappelle quand même que le dernier livre, « La désinvolture est une bien belle chose » . Très beau titre d'ailleurs.

  • Speaker #1

    Tu voulais me demander ? Je veux bien merci, d'autant que ce n'est pas de moi, c'est pour moi qui ai écrit l'info. La désinvolture, moi, c'est quelque chose que je recherche beaucoup, dans le sens où je me rends compte en regardant, en lisant les journaux, ou en écoutant la radio, il y a un sens qui n'est pas le mien, qui n'est pas celui vers lequel je veux aller, et il y a un sens à la désinvolture qui peut être… Le laxisme, le j'm'en foutis, les choses comme ça. On entend des phrases...

  • Speaker #0

    Superficialité, oui.

  • Speaker #1

    Voilà, voilà. Superficialité ou mollesse. S'il y a des problèmes de criminalité à Grenoble, c'est à cause de la désinvolture des pouvoirs publics. Enfin, des trucs comme ça. Moi, je le prends dans le sens étymologique.

  • Speaker #0

    ça vient de l'italien, involto en italien, ça veut dire enveloppé, enroulé, ligoté, comme les involtini qui sont des petits, c'est du fromage avec du jambon enroulé autour, bref. Donc des involto, c'est ce qui n'est pas enveloppé, pas ligoté, c'est ce qui est libre, détaché, sans contrainte, et évidemment, c'est plutôt agréable d'essayer d'aller vers ça, c'est inaccessible sur la durée. Moi, pendant l'écriture de ce livre, La désinvolture est une bien belle chose, enfin juste avant de commencer l'écriture, j'ai fait le tour de France tout seul, par les bords, par les côtés. Je suis parti de Dunkerque, j'ai fait le tour de France par les côtes, en m'arrêtant tous les 200-300 kilomètres dans une ville, en allant au bistrot, au restaurant, en dormant à l'hôtel. Et ça a duré 24 jours, je n'ai eu absolument rien à faire, rien d'autre à faire que de rouler en écoutant la radio, trouver un bon bar, un bon restaurant, et d'aller dormir à l'hôtel. sans aucune contrainte, aucune obligation. J'étais seul, je n'ai pas de téléphone portable, donc personne ne pouvait me joindre. J'étais dans une liberté absolue. C'était vraiment, pour le coup, la désinvolture totale. Ça a duré 24 jours. C'est extraordinaire pour moi, c'est un souvenir très fort. Mais je sais que ça n'aurait pas pu durer plus longtemps. C'est-à-dire que je n'aurais pas pu vivre comme ça pendant trois mois. Déjà, je me serais ennuyé. En plus, ça m'aurait coûté très cher. Et puis, ma vie m'aurait semblé assez rapidement vide, creuse, avec rien dedans. Donc voilà, c'est peut-être comme, moi je rapporte ça, on parle du bonheur, on cherche le bonheur, on court après le bonheur, on peut trouver le bonheur comme ça sur quelques heures, quelques jours, mais si on vivait en permanence dans un état de bonheur, déjà c'est impossible, et puis on serait complètement, on aurait l'air complètement bené, complètement crétin à toujours sourire aux anges et tout ça. La désinvolture c'est pareil, je la cherche, c'est dur à trouver, parce que c'est dur de se détacher, je dis dans le livre aussi, même les souvenirs, qu'ils soient bons ou mauvais, Ils sont à l'intérieur de nous, mais ils nous tiennent quand même, ils nous ligotent quand même. Donc se détacher de tout pour être léger et vivre sans contraintes, comme on vit quand on a 8 ou 9 ans, où les seules contraintes qu'on a c'est qu'il faut faire le devoir de maths pour le lundi. Voilà, ce n'est pas évident, mais avec l'âge, je me dis, j'essaie de m'en approcher.

  • Speaker #1

    Vous avez choisi de mettre une phrase en exergue qui est empruntée à Jean-Marie Aspotolides. Toutes les existences sont solidaires les unes des autres. Vous croyez vraiment que toutes les existences sont solidaires les unes aux autres ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est quelque chose qui me touche beaucoup. Alors, j'ai mis aussi cette phrase en exergue parce qu'il m'a beaucoup aidé pendant le livre et il est mort pendant l'écrire. Donc, je voulais lui rendre un peu hommage. Mais c'est quelque chose qui me touche beaucoup. Alors, encore une fois, il ne faut pas devenir fou en pensant des choses comme ça. Mais quand je parle de Pauline Dubuisson, de Kaki qui s'est suicidée, de la femme de mon prochain livre, j'ai une sensation très forte de... Alors quand je dis qu'il ne faut pas devenir fou, c'est que je ne crois pas, il n'y a rien de plus qui m'énerve que les écrivains ou les autres genres d'artistes qui, sous prétexte qu'ils sont artistes, ont l'impression qu'ils sont en contact avec les muses, avec le ciel, avec l'intangible, et que l'âme de ceux dont ils parlent passe à travers eux, avec leurs doigts, et bon, ça, ça me... Mais en revanche, de pouvoir s'approcher de quelqu'un, de pouvoir essayer de comprendre ou essayer de ressentir, moi j'ai vraiment ce... J'ai cette envie et cette conviction, c'est-à-dire que, et je commence même, là où je me demande si je ne perds pas un peu la boule, mais je commence même à me dire, j'ai lu un truc, un livre, il peut paraître un peu clou, c'est un livre sur les histoires de vie après la mort, etc. Il y a quelque chose là-dedans qui m'a touché, que j'ai ressenti. Il dit, on a l'impression que chacun d'entre nous, vous, moi, on a notre conscience à nous et qui est enfermée dans notre corps. dans notre crâne. Et il prend un exemple, il dit, c'est un peu comme un téléphone sur lequel on passe une vidéo d'un chat qui tombe d'un mur. Et le téléphone, si on lui demandait, il croirait que la vidéo vient de lui et que lui a à voir cette vidéo. Il n'a pas conscience, le téléphone, qu'il est relié à un réseau Wi-Fi. Et moi, j'aime bien, même si ça peut sembler un peu ridicule, ou un peu kitsch, j'aime bien penser ça, qu'en fait, on est relié, c'est-à-dire que vous et moi, là, on a chacun, on prend une partie du réseau Wi-Fi, mais qu'en fait, on n'est pas si… Alors évidemment, votre conscience m'est inaccessible, ou la conscience de Pauline Dubuisson ou de Kaki m'est inaccessible, mais on fait quand même partie du même réseau, je ressens presque physiquement cette Ausha, et en tout cas, ça me plaît de penser que c'est possible, ça me plaît de penser qu'on est tous… quel que soit l'espace et le temps, parce que moi je vais sur les lieux des... des personnes dont je raconte l'histoire dans mes livres, donc je suis pile au même endroit dans l'espace, mais évidemment il y a 50 ou 60 ans de différence de temps, ce qui est encore plus important et rédhibitoire pour le contact que les distances en mètres ou en kilomètres. Mais j'aime bien me dire qu'on est quand même liés, soit poétiquement... psychologiquement en soi, ou même de manière un peu plus concrète, qu'on ait lié les uns aux autres. J'aime aussi l'anecdote de la fourmi. Je ne sais pas comment des chercheurs ont pu établir ça, mais il paraît que quand on voit une longue file de fourmis qui chacune porte une petite miette, les amener à un endroit pour construire je ne sais pas quoi ou faire des réserves, si on pouvait interviewer l'une de ces fourmis et qu'on lui disait « qu'est-ce que vous êtes en train de faire ? » Elle dit « rien, je ne fais rien de spécial, j'ai trouvé une miette, je me promène avec. » pas conscience de l'ensemble. J'aime bien penser que toutes les existences sont liées et solidaires les unes des autres.

  • Speaker #1

    Alors, vous avez cette phrase qui, évidemment, m'interpelle. Vous dites, moi, lire, ça m'aide tellement. Les livres me tiennent dans la vie. C'est ce qui m'amène à cette question. Quel lecteur êtes-vous ? Est-ce que vous êtes un boulimie qui dévore plusieurs ouvrages en même temps ? Un infidèle qui va papillonner de l'un à l'autre ? Un perfectionniste qui veut absolument arriver à la dernière ligne ? même si le livre ne l'emballe pas, ou alors un récidiviste qui aime lire,

  • Speaker #0

    redire encore et encore et encore les mêmes livres ? Bien, je vous le dis. Aucun des quatre. Bah super ! On peut reprendre les quatre, aucun des quatre. Alors, est-ce que je vais m'en rappeler ? Donc déjà, pour la question d'aller au bout de tous les livres, non, pas du tout. C'est-à-dire que si un livre ne me plaît pas, il faut quand même que je lui laisse le temps d'être sûr que ça ne me plaît pas. Mais si un livre ne me plaît pas, je le referme. J'ai d'ailleurs essayé d'apprendre ça à mon fils. Il n'est pas évident de faire lire les enfants ou les adolescents. Là maintenant il n'est plus grand, mais ça a marché. Ma technique, parce qu'il lit maintenant, c'est de ne pas considérer que la lecture est un devoir, une obligation, une corvée, ce qu'on veut. Je lui disais quand il avait, je ne sais pas, 15 ans, quand tu regardes une série, surtout que maintenant tout est en accès, alors les livres… La seule petite différence, c'est que les livres, il faut les acheter. Évidemment, on se dit, c'est un peu con, j'ai acheté 20 euros pour un livre et j'en ai lu 10 par jour. Mais en tout cas, c'est le même principe. Quand tu regardes une série et qu'à la fin du premier épisode, tu vois que ça t'ennuie, que ça ne te plaît pas, que tu trouves ça nul ou quoi, tu ne vas pas te forcer à continuer. Il faut faire pareil avec les livres, il faut que ça reste un plaisir. Moi, je suis vraiment, mais très profondément convaincu que la lecture doit être et seulement être un plaisir avec... Le plaisir, ça peut être parce qu'on rigole ou parce qu'on est ému, mais ça peut être aussi le plaisir d'apprendre des choses, le plaisir de ressentir des choses, etc. Mais il ne faut surtout pas que ça soit quelque chose d'imposé. C'est un des problèmes avec l'école, même si les profs, c'est difficile pour les profs, parce qu'on ne peut pas dire, s'ils se mettent à dire aux enfants, vous lisez tel livre si vous avez envie, sinon vous ne lisez pas. Il va y avoir beaucoup de livres lus. Mais enfin, voilà. Donc ça, non, vraiment, j'arrête. J'en ai arrêté un, 7 000 d'ailleurs. Un lecteur boulimique qui lit plusieurs choses en même temps, non. Je suis un homme, donc j'ai un cerveau un peu primaire, un peu simplet, impossible. Enfin, je dis ça, je connais, je discutais il y a une dizaine de jours avec un ami, puisque je ne le connais pas, on ne se parle que par internet, quelqu'un qui m'a aussi aidé pour un de mes livres, et qui lit six livres en même temps. Alors là, moi, c'est... Je suis, mais c'est impossible pour moi, j'en suis complètement incapable. Je me perdrais déjà, je n'ai pas des facultés de mémoire phénoménale. Donc, voilà, je ne lis qu'un livre l'un après l'autre. Ensuite, je ne sais plus quels étaient vos... Vos propositions ? Non, ça non, je reste sur un livre, sauf que je l'abandonne dès qu'il ne me plaît plus. Bon, ça va. Voilà, c'est ça. Je relis ça, les livres. J'aimerais, là aussi, je connais des gens qui le font, mais alors cette chose qui n'est pas une angoisse, ça serait trop dire, mais j'ai l'impression que chaque livre que je relis, c'est un livre que je ne lirai pas. Je sais que quand je vais mourir dans très longtemps, à 99 ans, j'aurai lu peut-être un dixième, un vingtième des livres que je pourrais lire. Et parfois, j'ai envie de... des choses dont je me souviens qu'elles m'ont vraiment plu, soit pour vérifier d'ailleurs des trucs que j'ai lus à 20 ans, pour voir si je les aime toujours aujourd'hui. Enfin bon, il y a plusieurs raisons de relire des livres, mais j'ai un truc de, pas de culpabilité, mais d'anxiété à me dire ce que je suis en train de faire, ça va m'empêcher de lire le tout dernier livre. Donc non, je ne relis pas, alors que je pourrais, parce que vraiment... Là, par exemple, parce que vraiment, je vais finir ma phrase quand même, je prends les livres, encore une fois, comme des émotions, comme des sensations, mais comme beaucoup de gens, j'espère, je ne suis pas le plus crétin de tous les lecteurs, mais je l'oublie vite, j'oublie, mais parfois un an ou deux ans après. Et là, je suis en train, pour les besoins de mon prochain livre, de relire tous les... je ne les avais évidemment pas lus tous, mais de relire tous les Maigrets de Simenon, à 75. Et disons que depuis 20 ans, mais même il y a encore 2-3 ans, j'ai dû en lire peut-être une quinzaine ou une vingtaine, et là je les relis tous les uns et les autres. Et je me rends compte, mais parfois tout à la fin du livre, que j'ai lu déjà ce livre et que j'ai quand même pu passer 200 pages sans me rappeler qu'il y a 5 ans je l'avais déjà lu. Donc je pourrais, ça ne serait pas un problème de relire les livres, Un problème de temps et cette impression qu'on a un livre imparti.

  • Speaker #1

    Les livres tiennent dans la vie et qu'écrivez des livres qui aident. Vous avez un mot ou plusieurs pour les auditeurs et les auditrices de ce podcast ?

  • Speaker #0

    Ce n'est pas, c'est comme si vous disiez à quelqu'un qui aime boire du whisky, moi. ou à quelqu'un qui aime faire du sport, vous disiez comment vous pourriez... Moi, c'est absolument indispensable. C'est-à-dire, je ne comprends pas, très sincèrement, comment les gens peuvent vivre, ne serait-ce qu'une semaine ou un mois, sans lire, simplement parce que j'en ai besoin. Moi, je discute avec des gens qui me disent, mais comment tu fais pour passer un mois sans courir ? Alors que je peux passer 40 sans courir. Donc voilà, c'est indispensable, je trouve, mais même de manière plus prosaïque. Quand on se couche, moi je ne lis que... Alors d'ailleurs, je ne suis pas un de ces lecteurs qui lisent du matin au soir, qui lisent deux livres par jour, etc. Je fais pas mal d'autres choses, je travaille, je regarde la télé, j'ai l'impression que j'ai besoin aussi de regarder des trucs un peu débiles à la télé, au bistrot, discuter avec des gens, etc. Donc je lis uniquement le soir. Sauf quand c'est pour mon travail ou là je lis la journée. Mais mes lectures personnelles et de loisirs, on va dire, c'est uniquement le soir dans mon lit. Et je ne comprends pas comment on peut se coucher, se mettre dans son lit, ramener la couette sur soi, éteindre la lumière et dormir. Pour moi, ça me semble… Alors là, pour le coup, ce n'est pas intellectuel, il n'y a rien. C'est technique. Je ne comprends pas comment les gens font. Alors là, les gens me disent « Non, mais je regarde mon portable et je finis par m'endormir. » En tout cas, je ne veux pas faire le vieux schnock, mais… Ce n'est pas moi. Tout ce que je sais dans la vie, tout ce que j'ai l'impression que je suis constitué de tout ce que j'ai lu, et évidemment de tout ce que j'ai vu et vécu en vrai, sauf que dans mes rapports avec les gens, que ce soit dans mon métier d'écrivain quand je fais des salons du livre, des librairies ou au comptoir en bas, mes lectures me permettent de discuter avec les gens, m'aident à mieux comprendre les gens, ou à mieux trouver ma place en face d'eux, ou à mieux me comporter, je ne sais rien. J'ai l'impression... Là on va tomber dans des gros clichés, mais c'est comme l'eau à une plante ou le soleil à une plante. Je ne comprends pas comment on peut vivre sans... Alors ça peut être aussi, parce qu'il y a des gens pour plein de raisons qui n'aiment pas lire, ça peut être le cinéma, il peut y avoir des gens qui ont besoin de voir un film par jour et ça les nourrit, ou le théâtre ou la peinture, j'en sais rien. Mais en tout cas, je ne vois pas comment on peut exister sans se nourrir. intellectuellement, ça fait un peu lourd comme mot, mais mentalement, comment on peut vivre sans se nourrir de choses extérieures. Et c'est pas en courant autour du pâté de maison ni d'ailleurs en buvant whisky ou en faisant des puzzles qu'on peut se nourrir. Il faut que ça vienne de dehors. Moi, c'est de la lecture et j'ai l'impression que je me dessécherais complètement ou que je me mettrais à stagner complètement si j'arrêtais de lire.

  • Speaker #1

    Ce n'est pas moi qui vais vous dire le contraire.

  • Speaker #0

    Oui, j'imagine bien. Mais encore une fois, c'est un plaisir. C'est-à-dire qu'il faut que ce soit comme... Moi, c'est comme si on disait arrêter de manger des pâtes, par exemple, ou des choses comme ça. Et moi, il y a des choses qui sont un plaisir pour d'autres personnes qui seraient des corvées pour moi. Ma femme aime beaucoup aller dans les musées, par exemple, dans les expositions. Moi, ça me saoule. Ce n'est pas le truc qui me nourrit, donc je n'y vais pas. Donc, je... comprends que pour certaines personnes, la lecture, ce soit fastidieux, soit ennuyeux, j'en sais rien, et que donc elle n'est pas en vie. Mais en tout cas, je pense que si, et moi j'en parle souvent au bar avec des potes de comptoir que je n'aurais pas rencontrés, c'est pour ça que j'aime les bars que je n'aurais pas rencontrés, je ne me fréquente pas les mêmes milieux, mais qui me disent… Je m'ennuie le soir et tout. Et moi, j'essaye de les pousser à lire. Alors, certains s'y mettent et sont contents. Il a fallu que j'attende 50 ans pour découvrir que ça faisait du bien de lire. Et d'autres qui me disent, non, j'ai essayé, ce n'est pas pour moi, je n'arrive pas à me concentrer, ou je n'arrive pas, c'est trop lent pour moi. Enfin bon, bref, en tout cas, il faut que ça reste un plaisir. Mais si c'est un plaisir, il ne faut pas hésiter à l'utiliser à fond.

  • Speaker #1

    J'aime beaucoup cette phrase. Philippe Jéranada, je rappelle que le premier épisode de ce podcast a été consacré à La Petite Femelle, que vous avez publié en 2015, et que votre dernier livre, La Désinvolture, est une bien belle chose, est sorti au mois d'août dernier chez Mélanie Barraud, et qui fait à peine, à peine, 482 pages.

  • Speaker #0

    Ce n'est pas énorme, c'est la moitié de mes précédents. Mais voilà.

  • Speaker #1

    Merci, merci infiniment, Philippe Jéranada, pour cet échange, et merci encore, de tout cœur, d'avoir accepté de soutenir Enrouille.

  • Speaker #0

    Merci à vous, Loubna, et je vous souhaite au podcast tout le beau parcours qu'il mérite, parce que pour l'instant, je n'ai entendu qu'un seul épisode, qui est celui de Petite Femelle, et je l'ai trouvé très sincèrement, sinon je ne serais pas là à vous parler, formidable, parfaitement équilibré, vif et profond et léger en même temps. Donc, bravo Loubna et merci, et bonne chance, bonne route. Merci, merci beaucoup.

  • Speaker #1

    Et voilà, un peu plus de 40 minutes plus tard, c'était mon précieux échange avec Philippe Jehanada, qui a bien voulu être le soutien moral de ce podcast, et que je remercie pour sa générosité et son humilité, car c'est ce qu'on aime aussi dans la littérature. Si quelques-uns et quelques-unes pouvaient en prendre de la graine, mais bon, ceci est une autre histoire. A bientôt dans En Roue Livre.

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