- Speaker #0
Minute papillon.
- Speaker #1
Minute papillon. Cette semaine, l'invité de Minute Papillon est Alain Damasio, auteur de science-fiction. Il participait début octobre à une conférence organisée pour les 30 ans de la Maison de l'Environnement et que j'ai eu le plaisir d'animer. Conférence que vous pouvez d'ailleurs retrouver en intégralité dans En un battement d'ailes. Vous allez l'entendre, Alain Damasio, ce livre sans phare en toute franchise. Bonne écoute ! Qu'est-ce qui vous indigne ?
- Speaker #0
Ce qui m'indigne profondément, c'est la justice, mais comme beaucoup de gens. C'est-à -dire que quelque chose qui devrait être parfaitement normal et équilibré, n'est absolument pas et que des gens profondément abusent ou tuent ou exagèrent. Donc ça, c'est la première source du combat politique.
- Speaker #1
Un événement ? ou une expérience qui a créé un déclic écologique ?
- Speaker #0
Oui, il y en a eu plusieurs, mais il y a eu des choses étonnantes. Des fois, c'est d'une simplicité presque bizarre. Je me souviens, c'était à Lyon, justement, j'étais avec mon père. On allait à la gare et il pleuvait à verse comme ça. Et mon père avait du mal à conduire et à voir. Il était déjà un peu diminué. Et je voyais les voitures autour de nous. Et il y avait des espèces de blocs sous la pluie, gris, avec les lumières rouges derrière et tout. Et je me sentais dans mon cocon, sous cette pluie protégée, avec ces machines qui étaient capables de faire de la lumière, de se guider dans une tempête quasi, en tout cas très forte. Et tout d'un coup, j'ai vu les voitures comme des espèces de blocs de métal roulant sur du caoutchouc. Et l'espèce d'immensité. de la technologie pour arriver à ça quoi pour arriver à déplacer un corps dans une espèce de cube comme ça d'une tonne et de le faire rouler et de le protéger et qui s'éclaire et ça m'a paru délirant ça m'a paru délirant je me suis dit mais il ya une gabegie complètement dingue quoi c'était l'air que c'est c'est luxueux quoi c'est c'est fastueux de pouvoir faire ça quoi et je sais pas pourquoi ça s'est passé sous la pluie pourquoi c'est à ce moment là J'avais lu d'autres choses. Tu vois, c'est assez marrant les prises de conscience, que c'est un mélange de conceptuel et de perceptif. Moi, je crois que les vraies prises de conscience sont perceptives. C'est-à -dire que tout d'un coup, tu deviens attentif à quelque chose que tu ne voyais pas ou tu le vois autrement. Des voitures, j'en ai vu des millions dans ma vie. Et là , tout d'un coup, je voyais l'exploit hallucinant que c'est de construire une voiture et de la faire rouler et de mettre un corps dedans et de le protéger de la pluie et de lui permettre de s'auto-éclairer, etc. Et c'est... Et je me suis dit, mais c'est n'importe quoi, tu vois. Et ça, c'était vraiment étonnant comme moment. Donc ça, ça a été un drôle de moment de conscientisation, en fait.
- Speaker #1
Une rencontre qui vous a marqué ?
- Speaker #0
Il y en a plein. Dans les rencontres très marquantes récemment, c'est le philosophe Baptiste Morisot que j'ai rencontré au moment où j'écrivais Les Furtifs. J'ai rencontré lui d'abord et ses livres ensuite. C'est quelqu'un dont l'impact... Sur ma conception du monde, sur ma vision du monde, sur ma vision du vivant, a été considérable. Je n'ai plus vu les choses comme avant, après l'avoir rencontré. Ça a été pareil aussi avec Vinciane Desprez, qui est aussi une philosophe du vivant, qui a été un gros choc parce qu'elle articule à la fois une vision éthologique très fine et un côté extrêmement chaleureux, extrêmement... vivant et vibrant. Et c'est des gens qui t'aident à te construire, qui t'aident à acquérir une finesse que tu n'avais pas. Donc, ouais, des rencontres comme ça. Mais après, il y en a plein avec des artistes et tout. Mais ces deux rencontres-là , elles sont très fortes.
- Speaker #1
Un livre, un documentaire, un film, un podcast qui vous a influencé ?
- Speaker #0
Ouais, pareil, il y en a plein, mais tu vois, un film comme Matrix, l'idée que des corps humains puissent être des piles qui alimentent la matrice, c'est une métaphore tellement juste, tellement dingue, tellement extrême, c'est ça la force de la science-fiction aussi, c'est que tout d'un coup tu trouves la métaphore auquel personne n'avait pensé, mais de dire que c'est les corps humains qui sont des piles électriques pour faire tourner la matrice, c'est-à -dire ce monde de simulation dans lequel on vit, ce technococon dans lequel on vit, il n'y a pas grand-chose de plus parfait comme... Comme coup de génie, ouais, métaphorique pour moi. Ça, c'était très fort. Après, j'ai revu Soleil vert, là , il n'y a pas longtemps. Je l'ai même commenté dans le cadre d'un cinéma. Très impressionnant de le revoir, de voir à quel point, justement, d'utiliser les corps humains comme du compost, de nourrir les gens avec des corps humains, de voir cette espèce de film final qu'on passe aux gens quand ils décident d'accepter d'être euthanasiés, et où tu vois ces images de nature. Mais ce génie de la mise en scène où enfin tu vois la nature comme jamais tu l'as vue, parce que tu es tellement investi dans le personnage que tu vois une rivière comme jamais personne pourra la voir, c'est-à -dire comme une étrangeté absolue et comme un miracle, comme une grâce. Et cette grâce-là , on l'oublie complètement. Et c'est toute la force d'une mise en scène de te redonner cette grâce à voir.
- Speaker #1
Si vous Ă©tiez un animal en voie de disparition, lequel seriez-vous ? et pourquoi ?
- Speaker #0
Ah, c'est sympa ça. On voit de disparition, il y en a un paquet quand même. Ouais, je prendrais le rhinocéros blanc en fait, parce qu'il se trouve que j'ai eu la chance d'en voir un récemment dans un parc réserve en France et c'est fantastique parce que c'est un animal qui dégage une puissance absolument colossale et qui... presque l'incarnation de quelque chose de vraiment dangereux à cause de la corne et tout. Et en fait, tu le vois brouter dans l'herbe comme une vache, là il y en avait trois, avec une douceur, une tranquillité, c'est pour être une brebis. Et ce mélange de très grosses forces viriles et d'incarnation même de la vérité par la corne et de douceur presque maternante de cette espèce qui est un herbivore, je trouve ça tellement beau, cette arculation yin et yang sur un seul animal, que tu as vraiment envie que ça continue à vivre. C'est tellement choupignon en fait, et pourtant quelle masse, quelle puissance, tu vois. Et ça c'est la grâce aussi du vivant de montrer ça, donc j'aimerais bien avoir à la fois cette force et cette douceur en moi. C'est pas mal comme animal.
- Speaker #1
Imaginez que vous avez le pouvoir de donner la parole à une plante, laquelle choisiriez-vous et quel serait son message à l'humanité ?
- Speaker #0
Ok, qu'est-ce que je prendrais ? Je prendrais une plante du maquis. Je prendrais quelque chose comme l'arbousier, ou le ciste, ou la myrte. Tu vois, c'est des plantes vraiment que j'ai beaucoup côtoyées dans les calanques à Marseille et en Corse. Et je dirais, vous voyez, vous les humains, vous avez fait du maquis le symbole de la résistance et du combat. Et vous êtes abrités chez nous, en nous. Vous verrez que la force du maquis, c'est qu'un maquis qui a brûlé, quand il repousse, il repousse avec une diversité magnifique. C'est-à -dire que ce n'est pas une seule plante qui va reprendre la main. Ça ne va pas être que le si, ça ne va pas être que la bruyère, ça ne va pas être que le romarin, ça ne va pas être que l'antispistachier. On va tous repousser dans notre polyphonie. Et le maquis, c'est fabuleux parce que chaque plante prend son espace, mais ne bouffe pas l'espace des autres. C'est-à -dire que ça coexiste hyper naturellement. Et t'as vraiment une biodiversité, en tout cas t'as une biodiversité végétale qui reste très forte. Et de dire, voilà c'est ça que vous devriez faire politiquement. C'est quand vous prenez votre place, chacun a le droit de prendre sa place, chacun a le droit d'utiliser un espace, un territoire, des ressources. Mais quand vous la prenez, laissez la place aussi pour les autres, et laissez les autres pousser. Et si on accepte que tous les autres poussent, et qu'on se bouffe pas la place mutuellement, on arrivera à faire une société qui mérite de tenir. Et c'est l'énorme problème humain, c'est que tout d'un coup il y a un buisson qui pousse, il prend tout quoi. où il devient un arbre et il assèche tout autour de lui.
- Speaker #1
Si vous pouviez organiser un dîner avec trois figures emblématiques de l'écologie, vivantes ou décédées, qui inviteriez-vous et quel serait le menu ?
- Speaker #0
Bon là c'est assez facile parce que j'inviterais mon pote Baptiste Morisot, j'inviterais Marciane Després, ça c'est sûr. J'inviterais peut-être pour compléter Corine Morel-Larleux. J'aime beaucoup aussi parce qu'elle a cette... Évidemment cette pensée écolo est très forte, mais elle a été élue, elle a beaucoup travaillé politiquement, elle a beaucoup milité, elle a beaucoup été dans l'apprêté de ce combat, et je trouve que c'est intéressant d'avoir cette vision politique-là . Au menu, on fait un barbecue exprès, avec d'énormes côtes de bœuf. J'aime bien manger de la viande, mais je suis assez opposé à l'espèce de radicalisme sur ce qui est végan et végétarien. C'est-à -dire qu'on est une espèce qui a été et peut continuer d'être carnivore, mais évidemment sur la viande locale, sur la viande en circuit court, sur des animaux comme je les ai moi dans ma zone d'expérimentation, où tu as des vaches dans des conditions magnifiques de vie, qui sont en plein air et qui vont se faire abattre à 20 km seulement. Donc là , je trouve que ça peut avoir du sens. J'assume mon côté viandard.
- Speaker #1
Quel est votre péché mignon non écolo dont vous avez du mal à vous passer ?
- Speaker #0
Ah putain, il y en a un qui est horrible mais qui est très compliqué à défaire. C'est partir en voyage très loin et aller découvrir d'autres cultures que tu ne pourras jamais sinon comprendre, explorer. On l'a fait, on est parti à Bali, là on va peut-être partir au Japon, là je risque de partir en Chine. Donc ça, on sait que c'est catastrophique en termes de dépenses. et de rejet de CO2, et pourtant tu te dis, bon Dieu, qu'est-ce que c'est important de se confronter à ce qui n'est pas nous, à une autre culture, à une autre vision du monde, et du coup c'est très compliqué. Donc du coup chaque fois que je fais ça, j'essaye d'en tirer des choses pour mes livres, j'essaye d'en tirer des choses pour ma création, j'essaye de faire en sorte que le voyage c'est pas juste carboniser une baignoire de kérosène pour mon plaisir. Donc j'essaie de compenser en m'en servant pour ce que je fais, pour ce que je crée. Mais oui, c'est un gros péché mignon.
- Speaker #1
Depuis novembre 2002, avec Audrey Ranchin, nous menons une expérience intitulée Au creux de mon arbre, l'écho du vivant Nous avons fabriqué un arbre cabane dans lequel nous invitons les gens à venir raconter leurs souvenirs de nature. Alors je vais vous demander, à votre tour, un souvenir de nature qui a laissé une trace importante dans votre vie.
- Speaker #0
Oui, j'en dirais deux récents, mais justement tirés d'un voyage qu'on avait fait en Malaisie. C'était qu'il y avait des tortues énormes, des tortues vraiment qui font... qui doivent faire 2 mètres de long. Et on était sur une plage. On savait qu'il y en avait, mais on n'arrivait pas à les trouver. On ne savait pas où elles étaient du tout. Et on savait qu'elles broutaient les algues sur le... Et tout d'un coup, j'étais avec mes filles, qui avaient une dizaine d'années. Et on avance comme ça avec les masques, en essayant de chercher un peu dans le... l'immensité de la baie, et tout d'un coup, on repère une espèce de masse, ça paraissait un énorme caillou, un énorme Ausha 6 mètres de fond, et on se rend compte que c'est une espèce vivante, et qu'elle était effectivement en train de brouter, et t'avais cette espèce de flou, et tout d'un coup, de précision qui apparaît, où tu vois la tortue, et j'avais vraiment l'impression d'une espèce antédélivienne qui tout d'un coup revenait, j'ai l'impression que c'était une préhistoire qui revenait me... parler et avec cette forme du vivant qui est complètement dingue quoi puisque le donc tu la regardais et tu la regardais trois quatre minutes et tout d'un coup elle remonte pour aller respirer et là tu vois cet immense bloc hyper lourd qui te paraît et qui je crois sur terre doit peser 400 kg etc et qui remonte avec la légèreté si tu veux d'un bouchon quoi comme ça tu as l'impression qu'elle est en apesanteur complètement elle arrive à la surface et elle sort juste à côté de toi elle respire tu la vois respirer donc c'est à dire prendre le même air que toi parce que tu dis merde C'est une créature terrestre, quoi, alors qu'elle est restée... Et tout d'un coup, elle replonge, elle redescend, elle se met au fond. Et c'était magnifique. Et la voir dans la suspension comme ça, de la gravité, donc c'est des grands moments de grâce. Moi, je crois que c'est ça qui te change aussi. J'ai eu ça sur des chamois, juste à côté de chez moi, où j'habite, dans la montagne, où tout d'un coup, je vois une arde de chamois, de quatre chamois, qui se met à tracer sur une pente comme ça, qui était... Voilà , c'est des moments de... Et l'autre, c'était sur des singes, c'était sur la même île, où quand tu traversais l'île par le centre, t'arrivais à une espèce de petit col. Et là , il y avait des singes, et pour la première fois de ma vie, j'ai vu des singes sauvages, j'avais vu évidemment zoos, etc. Et là , je les voyais vivre, et je suis resté comme ça une heure, aller juste les regarder vivre, et de me dire, c'est incroyable de pouvoir être présent et d'avoir cette expérience de... Ça n'a rien à voir les animaux sauvages, ça n'a absolument rien à voir. C'est que tout d'un coup tu les vois dans leur liberté, tu les vois totalement libres et tu regardes ce qu'ils font. Et ça, vu qu'on ne voit que des animaux domestiqués, que des animaux familiers, que des bêtes à bétail, que c'est 97% des choses que nous on voit, tout d'un coup tu vois un animal sauvage. Et ça, ça te marque à vivre, c'est vraiment des choses qui... Après tu n'oublies pas, c'est vraiment un truc. Mais voilà , j'ai conscience que c'est une immense chance de pouvoir avoir vu ça en vrai. Mais tant mieux pour mes filles aussi qui l'ont vu, tant mieux. Je pense que cette marque, après tu ne regardes plus pareil les choses.
- Speaker #1
Minute papillon