Speaker #1J'étais quand même tout petit et j'ai quelques souvenirs, mais pas énormément. Je n'ai que des souvenirs très ponctuels. J'en ai un qui m'émeut encore quand j'y pense, mais ça, on me l'a raconté. Je ne me souviens que partiellement. J'ai dû être opéré d'une mastoidite. C'est une infection de l'os mastoïde qui est derrière l'oreille. A l'époque, c'était considéré comme extrêmement grave, car il n'y avait pas les antibiotiques, et je risquais de mourir. Mon père, qui était à l'époque, qui se cachait, était tellement inquiet qu'il a quand même voulu venir me voir à la clinique. Et il paraît que j'ai sidéré mes parents parce que j'avais 4 ans. Et j'ai dit à mon père, t'es sûr qu'on t'a pas vu ? Et ils ont compris que j'avais compris qu'ils devaient se cacher. lorsque la guerre a éclaté, mon père a été mobilisé comme jeune médecin. Au moment de la défaite, on a retiré à mon père sa nationalité française, puisqu'il l'avait eue par naturalisation, pour montrer qu'il était digne de la nationalité qu'on venait de lui reprendre. Il est entré dans un réseau de résistance. Et parmi mes souvenirs, Je vous répète, il n'y en a pas beaucoup qui soient très précis, j'étais trop jeune. Il y a celui du jour, du matin je devrais dire, où ils sont venus pour arrêter mon père. Ça se situe vers 1943-1944, nous étions à Pau, donc en zone libre. Mon père était entré dans la résistance, il a été recherché comme résistant, puisqu'il a été dénoncé par je ne sais qui. Toujours est-il qu'un matin, à 7h, il était sur le balcon, nous étions dans un immeuble avec une grande cour intérieure et des balcons, il était sur le balcon en train de ranger diverses choses, et il voit entrer dans la cour deux soldats allemands et deux miliciens français, qui le voient, nous étions au premier étage, et qui lui disent « Frétac, c'est où ? » Frétac, c'est notre nom. Il a montré un autre immeuble de l'autre côté en disant « Frétac, c'est là-bas » . Vite, il est venu, il a embrassé ma mère et ma sœur et moi, et il s'est sauvé. Ça, évidemment, on me l'a raconté puisque je n'étais pas sur le balcon. En revanche, ce que je vais vous dire maintenant, je l'ai vu. J'ai encore l'image en mémoire des deux soldats allemands qui avaient l'air pour moi de géants. Je vous rappelle, j'étais tout petit, j'avais 4 ans. Et petit détail qui explique pourquoi je vois bien l'image, c'est qu'il était 7h du matin, j'étais assis sur le pot de chambre, donc les deux soldats allemands avaient l'air de géants pour moi, et il y avait un milicien qui était monté, l'autre étant resté dans la cour. Et maman a joué les idiotes, elle a dit « je ne sais pas, je n'ai pas vu mon mari depuis longtemps, qu'est-ce que vous lui voulez ? » Et le type a osé répondre « j'ai encore la gorge serrée quand je raconte ça » . Il lui a dit « taisez-vous, vous n'êtes même pas française » . Et ce qui était idiot juridiquement, et elle a eu le courage de lui répondre « je ne sais pas » . Je suis plus française que vous. Parce qu'elle, au moins, ne trahissait pas son pays, alors que lui était un collaborateur. Et ça, je l'ai vécu, je l'ai entendu. Et ensuite, il a dit, si votre mari ne s'est pas rendu, et si on ne l'a pas arrêté cet après-midi, on reviendra vous chercher ce soir. Et on vous emmènera. Et maman a dit « Avec les enfants ? » « Oui, avec vos enfants. » Ils sont repartis. Bien sûr, s'ils sont revenus, nous n'étions plus là, car il y avait d'autres parties de la famille qui étaient aussi à Pau, et donc on est allés se cacher chez les autres. Je me force à espérer que ce milicien était impressionné par le courage de maman quand elle lui a répondu « Je suis plus française que vous » et que c'est peut-être ça. qui lui a donné l'idée de ne pas nous emmener tout de suite et de dire on reviendra ce soir ce qui était une façon de dire sauvez-vous et comme ça on ne pourra pas vous prendre je me force à espérer ça on se chauffait au bois Et dans la cave, il y avait un monceau de bûches. Mon père avait un complice qui était résistant. Et ils s'étaient fabriqués tous les deux une cachette à l'intérieur du monceau de bûches. Et je crois qu'une fois, ils ont réussi à éviter d'être emmenés comme ça. Nous avions une nounou qui s'appelait Monique, qui nous emmenait promener à Pau. Le souvenir est flou pour moi, mais on nous l'a dit ensuite. Peut-être était-ce au moment de la défaite des Allemands, puisque nous rentrions du parc Beaumont, la promenade, et des Allemands tiraient partout et ont tiré vers nous. Je me souviens d'un affolement, et il paraît que les balles ont touché le haut de la porte cochère où nous entrions. Je me souviens par exemple du jour de la libération. Moi j'étais élève au lycée, dont évidemment j'ai oublié le nom maintenant. J'allais en classe et tous les jours je revenais avec un petit copain qui habitait la même rue. Et un jour nous sortons du lycée pour rentrer à la maison, pour aller déjeuner. Une agitation incroyable, des gens partout. Et une petite fille qui avait des petits drapeaux bleu, blanc, rouge à vendre, on lui dit « mais on n'a pas d'argent, allez, je vous le donne ! » Il y avait une joie extraordinaire, c'était la libération.
Speaker #0Bien que très jeune pendant la guerre, Alain porte encore les traces indélébiles de cette époque. terrifiante. Il est l'un de ces nombreux enfants qui, malgré une vie professionnelle et personnelle épanouie, porte à jamais les stigmates profonds de ces années sombres. Après la libération, Alain et sa famille restèrent quelques temps à Pau avant de retourner vers la capitale où ses parents poursuivirent avec succès leur carrière de médecin. Aujourd'hui, Alain est un avocat renommé mais aussi un artiste passionné. Il a écrit plusieurs pièces de théâtre et participe activement à des troupes de théâtre amateurs. Merci d'avoir écouté cet épisode. Alors si l'histoire d'Alain vous a ému, je vous encourage à la partager sur les réseaux sociaux, à en discuter avec vos amis, votre famille, vos proches, et surtout la faire découvrir aux plus jeunes. Il est essentiel que les nouvelles générations apprennent l'histoire non seulement à travers les livres, mais aussi à travers ces témoignages vivants. Cruciaux pour comprendre notre passé. Écoutez, partagez, abonnez-vous. Merci de contribuer à la transmission de la mémoire. Ne perdons pas l'histoire, partageons-la. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode. C'était Enfant de la Shoah, un podcast de Catherine Benmaor. Allez, salut !