Speaker #0Mon père travaillait dans la fourrure. Son patron était juif, bien sûr. Il a été arrêté, déporté. Il n'est pas rentré, d'ailleurs. Et ils avaient mis un gérant aryen. Mais mon père n'avait plus le droit d'être là parce qu'il n'avait plus le droit de voir du public. Les juifs n'avaient pas le droit de côtoyer des gens, comme s'ils étaient pestiférés. Tu sais que dans le métro à Paris, ils n'avaient le droit qu'au dernier wagon. Dans les squares, c'était marqué « interdit aux chiens et aux juifs » . Donc mon père, il avait trouvé du travail. C'est un monsieur qui faisait de la porcelaine. Et mon père, il allait livrer avec le fils du patron qui, lui, allait voir les clients. Mon père s'arrêtait devant et il n'avait pas le droit de voir les gens. Et un jour, je crois que c'est place Clichy, il y a un rond-point. Il a pris le sens normal. C'était le 13 octobre 1940 exactement. Il y a une voiture allemande qui est arrivée dans le mauvais sens. Ils ont fait descendre mon père, ils lui ont foutu un coup de matraque et puis ils l'ont emmené. Alors le fils du patron a dû aller saisir le client puis prévenir son père. Et c'est son père qui nous a téléphoné. Enfin, on n'avait pas le téléphone, mais il y avait le téléphone dans un café en bas. Et la dame, elle se mettait dans la cour, puis elle criait. Et il a dit à ma mère, "votre mari a été arrêté". Elle a dit, "qu'est-ce que je fais" ? Il lui a dit, "allez voir au commissariat, ils vous diront". Elle est allée voir au commissariat. Ils ont dit, "nous, on ne sait pas, mais téléphonez aux prisons". Ma mère, elle a dit, "mon mari, ce n'est pas un bandit". "Oui, mais maintenant"... Donc elle a téléphoné à toutes les prisons et au cercle midi, effectivement, il était là. Et après, il l'a envoyé à la prison de Dijon. Il a été condamné à trois mois de prison pour avoir fait freiner une voiture allemande. C'est marqué sur le papier. Et donc, il a été libéré trois mois après, le 13 janvier 1941. Alors, avant, il avait été se faire recenser. Donc, il avait "juif" sur la carte d'identité quand même. Et quand il est rentré, on leur a demandé de venir chercher l'étoile. Et là, mon père a dit, "ça ne va pas". et je me rappelle, on a vendu tout ce qu'on avait d'un peu de valeur dans la maison pour lui payer le passage pour Marseille. Vous savez, les cheminots, ils avaient fait des doubles fonds. Et il voyageait comme ça, allongés dessous. Il entendait les gens qui passaient au-dessus. mais c'était payant, cher. Je m'en rappelle, on avait des casseroles de cuivre. On avait des beaux livres et on avait un beau service de verre et tout ça. On a vendu tout pour lui payer le passage. Il est parti et donc à Marseille. Bon, nous, on n'était pas... Enfin... Ce n'était pas marqué "juif" sur la carte pour ma mère. Sur la porte, au lieu de LISCHMEWSKY, elle avait remis son nom de jeune fille pour pas que ça attire l'œil. LISCHMEWSKY, ça fait étranger. Ça fait russe et ça fait juif. Donc, il est parti à Marseille, jusqu'à ce que Marseille soit occupée aussi. Et là, il a un copain avec qui il avait fait la guerre, qui lui a dit, "viens chez moi, je suis au fin fond du limousin. Il n'y a pas d'occupation là", il n'allaient pas dans les campagnes. Donc, il est allé là-bas. Il a trouvé du travail dans une ferme. Ça changeait de la fourrure. Et il est resté jusqu'à la fin de la guerre là-bas. Ma mère avait une sœur dans la meuse. Et alors à Paris, à la fin, on n'avait plus rien à manger. sOn crevait complètement de faim. Et ma tante, elle était à la campagne. Et à la campagne, ils n'ont pas été malheureux comme nous. Il y avait des fermes autour d'eux. En plus, ma tante, elle avait une épicerie. Donc ils arrivaient, ils faisaient du Marseillois. Ils s'en aient, ils avaient du lait, ils avaient du beurre. Et quand elle a vu que vraiment, on n'avait plus rien, elle a écrit à maman, "mais venez, venez, restez pas à Paris". On a pris le dernier train parce que le lendemain, ce train-là, il a été bombardé. Donc, on est arrivés sains et sauts dans la Meuse. Et le 28 août 1944, je me rappelle, on était dans un champ en train de glaner. Mon oncle est arrivé en disant « Venez, les Américains sont là ! » Alors, on a couru vite et on s'est trouvés en face des chars qui nous jetaient par-dessus bord des cigarettes. du chocolat et des préservatifs. Alors, tout le monde a allumé une cigarette. Bon, alors moi, j'avais 13 ans. J'ai fait comme tout le monde, j'ai allumé une cigarette. J'ai tiré une bouffée. j'ai jeté ça, je n'ai jamais recommencé. C'est horrible. J'ai mangé du chocolat. Les préservatifs, je n'avais pas l'âge de m'en servir. Mais voilà ce qu'ils nous ont jeté. Je me rappelle, ça a été la liesse. Alors, on avait organisé un bal dans la salle du café chez mon oncle, là. Non, ça a été la fête. Ah oui, ça, je m'en souviens. Mais par contre, il n'y avait plus de transport pour rentrer à Paris, après. Donc, il y a un bonhomme qui avait un camion avec rien derrière, quoi juste les riddelles. Et il faisait ça, il mettait des espèces de... de siège,de bancs, je sais pas…. Et on payait pour remonter à Paris, et on est remonté comme ça. Faut pas croire que la nourriture est revenue comme ça. On a eu des tickets, moi j'ai des cartes d'alimentation que je montre aux enfants, jusqu'à début 48. Il y en avait un peu plus mais… le linge, c'est pareil. Moi, je me suis mariée en 1950. On commençait à retrouver du linge. Des serviettes de toilette, des draps, tout ça. Mais avant, il n'y avait plus rien. Heureusement, les femmes, dans le temps, elles mettaient beaucoup de linge dans les armoires. Elles faisaient des trousseaux, tout ça. Je sais que ma mère, des torchons, des draps, tout ça, on n'a pas manqué les serviettes de toilette parce qu'elle en avait. Mais les ménages, les jeunes ménages, ils n'avaient rien. Et ceux qui se sont mariés après la guerre, tout de suite après la guerre, ils étaient obligés de vivre chez les parents, parce qu'il n'y avait plus de maison, il y avait eu tellement de bombardés. J'avais un oncle, u n oncle avec sa femme et ses deux filles, qui avaient 4 et 6 ans, elles. Et les Allemands sont venus, ils ont frappé très fort. Mon oncle s'est dit, "ce n'est pas des gens de chez nous, ça". Il n'a pas ouvert. Ils sont redescendus et la concierge leur a dit, "si, si, ils sont là, je ne les ai pas vus sortir". Ils sont remontés, ils ont défoncé la porte. Ils ont arrêté tout le monde et ils les ont emmenés à la mairie du quatrième. C'est ça le problème. Nous, ma mère avait été malade avant la guerre et on lui avait dit, il faut la campagne. Alors, on avait quitté Paris et on habitait à Nogentsur Marne. C'est pas vraiment la campagne, mais il y a le bois de Vincennes, il y a les bords de Marne. C'est vrai que c'était... Et on n'était pas dans le milieu juif, quoi. Mais tous les autres, rue Claude de Caen, connaissez ?. Et puis, dans le quatrième... Donc ils les ont emmenés et ils les ont déposés chez un commissaire de police. Et je ne sais pas ce qui s'est passé. Quand il a vu les deux petites, c'est vrai qu'elles étaient adorables, et ma tante, il a dit à ma tante, "partez madame, partez". Elle ne voulait pas, elle ne voulait pas laisser son mari. Et lui, il lui a dit, "va-t'en, va-t'en"… il leur a sauvé la vie en fait. Parce que mon oncle, il n'est pas rentré, il n'est pas revenu. il était dans les mines de sel là-haut je sais pas où il est mort comme ça après la guerre on a eu les livres avec tous les dates et tout ça des décès. j'ai eu oncles, cousins cousines très proche déporté plus un tas de de collatéraux, les frères de mes tantes, enfin de mes tantes par alliance. Donc en tout, ça fait une vingtaine de gens qui ont été déportés avec des enfants. Et sur ces vingt, deux sont rentrés. Pour la plupart, les juifs, ils disaient, "on est français, on a fait la guerre. On ne va rien nous faire".