Speaker #0Alors en tant que juif, on a commencé à être marqués comme ça, juifs, au moment où ils ont demandé qu'on aille se faire déclarer au commissariat. Et donc, comme des pauvres innocents, je suis allée avec ma mère et je me souviens très très bien de la queue que j'ai faite avec elle au commissariat. C'était rue Ramponneau. Il y avait toute une file de juifs qui étaient là pour aller se faire mettre le tampon juif sur les cartes d'identité. Il y a ceux qui avaient un peu plus d'argent que les autres et qui ont pu refuser de se faire marquer juif et qui ont pu se sauver, mais il fallait avoir un peu d'argent, c'était pas notre cas. À partir de là, il y a eu les lois, les lois raciales, c'est-à-dire dans le métro, prendre le dernier métro. Les juifs n'avaient pas le droit de monter dans toutes les rames du métro. Ils n'avaient le droit qu'au dernier, pas le droit de sortir après 20 heures, ce qui rendait ma mère folle parce que mon frère, à ce moment-là, faisait partie des scouts, des éis, et rentrait quelquefois de ses activités un peu limites. Elle était folle de colère après lui. Elle le menaçait avec son balai, je me souviens. Interdit pour les enfants d'aller dans les jardins, on faisait le grand tour avec maman. On montait la rue Julien Lacroix, la rue de Bénin-Wontan, et on prenait la rue Sorbier. Et on redescendait l'avenue Gambetta de l'autre côté. des grilles du jardin. Il y a eu l'histoire de l'étoile jaune. Un beau jour, on a reçu ces étoiles qu'il fallait coudre. C'était quelque chose quand même. Le premier matin où je suis partie avec l'étoile, je me demandais s'il y aurait beaucoup qui auraient l'étoile aussi. J'en ai vu quelques-unes. On s'est compté à ce moment-là. On ne savait même pas, parce qu'avant, on ne savait pas qui était juif et qui ne l'était pas. Dans le quartier, il y avait deux commerces juifs. Il y avait une épicerie au Billstein et puis un boucher. On ne posait pas tellement de questions, il fallait le faire. Ça semblait normal, il fallait le faire, donc c'était normal. C'est venu progressivement tout ça, une loi après l'autre. Et puis là où c'est devenu cruel, c'est quand ils ont commencé à déporter. emporter nos familles, là c'était dur. Et c'est là qu'on a réalisé quand même ce qui était parce que j'ai vu partir cette tante que j'adorais, qui était d'une gentillesse incroyable, qui était très proche de nous, qui venait des mamans un peu, puis ma grand-mère. J'ai les lettres qu'elle a, les cartes qu'elle a envoyées. Elle demande à ma mère d'aller chez elle, de demander à la concierge qu'elle lui ouvre la porte parce qu'il y a du linge sale qu'il faut laver, puis de prendre quelques petites affaires, de mettre ça dans un oreiller et d'essayer de lui faire parvenir à Drancy. Et elle dit j'espère retrouver mon mari. Lui est parti avant et elle dit j'espère que moi je vais pouvoir le retrouver et qu'on va se retrouver. Ça c'était ma tante, c'était la sœur de maman. Je l'adorais, elle était d'une gentillesse folle. Et comme elle n'avait pas d'enfant, nous on était un petit peu sa famille. Elle m'avait apporté juste avant d'être déportée. J'avais eu une bronchopneumonie qu'on avait dû soigner avec des ventouses scarifiées, un truc barbare. Et pour me consoler, elle était venue avec un... une petite boîte, un coffret avec des petits vêtements de poupées magnifiques dont nos souvenirs en velours, des choses merveilleuses. Et ce coffret, je ne l'ai jamais retrouvé, il me manquera jusqu'à la fin de mes jours. Cette tente qu'on a enlevée, c'était vraiment la première méchanceté que j'ai ressentie. Quand on a su qu'elle avait été prise et qu'on a reçu ses lettres, on n'était pas très loin, on était à une station de métro, même pas, mais elle était chez elle et puis elle n'était pas tous les jours chez nous. On l'a su par la carte qu'elle a envoyée de Drancy. Quelques jours après, ils sont venus chercher ma grand-mère. Et c'est là que c'était le deuxième drame que je n'ai jamais pu oublier non plus. Ma grand-mère vivait avec nous la journée. Alors mon image que j'ai de ma grand-mère, c'était qu'elle était très âgée. Maintenant, je suis plus âgée qu'elle. Quand je me regarde dans la glace, je la vois, elle est là. Elle était là, après on avait une espèce de petit poêle qui nous chauffait. Elle était à côté, elle avait une espèce de bol où elle... Elle avait une seule dent. Et moi, ça me fascinait, cette dent unique. Et alors, donc elle mangeait des panades, des choses comme ça. Elle avait son bol, elle restait là près de... Et alors, elle aimait bien. monter, descendre quand même, elle était tout à fait vaillante, elle avait 84 ans à ce moment-là. C'était mon souffre-douleur, la pauvre, elle avait les cheveux longs, avec un chignon, et moi j'adorais la peigner, je lui tirais les cheveux et tout ça, c'était un des souvenirs, c'était dingue. Elle se laissait tout faire, quoi, c'était... Et le soir, on avait trouvé... une pièce. Nous, on est au 41, elle était au 39. On avait trouvé au deuxième étage, au 39 rue des Maronites, une pièce où elle allait dormir le soir, ce qui lui procurait un peu d'intimité. Et donc, quand on est venu la déporter, elle n'avait pas la protection que nous avions. Et donc, au petit matin, ça a été des grands coups dans la porte, chez nous. à la maison. Et ma mère va ouvrir, et c'était la concierge du 39 qui dit, les policiers sont venus chercher votre maman, je leur ai dit que vous étiez à côté, pour que vous puissiez l'aider à préparer une petite valise. Ils vont revenir tout à l'heure, ils ont dit. Et donc, ma mère est montée chez grand-mère. Et que faire ? Il aurait fallu pouvoir la prendre et s'enfuir avec elle, mais il fallait qu'on parte tous ensemble. C'est le même problème. Donc, on a attendu le flic qui a fini par venir et qui l'a emmenée. Cette concierge, on lui en a tellement voulu parce qu'elle aurait pu... Je pense que le policier avait peut-être envie qu'il laissait une porte de sortie, je vais revenir. Mais tout de suite, elle a dénoncé, donné l'adresse, donné le nom. Donc il n'y avait aucun moyen. Ça, il n'y a pas un jour où je n'y pense pas. C'est un truc, c'était tellement cruel. Ils l'ont emmené, on a su après, parce qu'on ne savait pas où ils l'emmenaient. On l'a emmené à Drancy, on a reçu la carte de Drancy, où elle demandait du pain, elle demandait un petit colis, tout ça. Elle avait retrouvé des cousins là-bas. Et puis, au bout de peut-être quelques semaines, même peut-être quelques jours, je ne sais pas, ils l'ont amenée à l'hospice de vieillard de Rothschild, qui est rue Picpus, je crois. Et on a pu aller la voir. Et j'allais avec ma mère, et on allait dans cet hospice pour la voir, pour lui apporter un petit peu. peu de choses. Et alors ça, je me souviens, il y a une chose qui est restée, c'est l'odeur, l'odeur de vieillard, de pipi, ça sentait tellement mauvais dans ce truc. Et les femmes qui étaient là, j'ai retrouvé, après la guerre, bien longtemps après, dans mon magasin Rue Bergan, Les clients, quelquefois, ils viennent, ils racontent leur vie, tout ça. J'ai retrouvé une dame qui avait été infirmière dans l'hospice au moment où il y avait les déportés qu'on a amenés. Elle a confirmé ce que je disais, ce dont je me souvenais. Ils ont été là pendant quelques semaines. Et même, paraît-il, mais moi, après, on m'a envoyée chez les paysans. Donc, je n'étais pas là directement. Mais elle avait même le droit de sortir de Rothschild pour la journée, à condition de revenir le soir. Si on avait eu un peu d'argent, on avait dix fois l'occasion de se sauver. C'est pour ça que c'est très important. Je fais une guerre à mes enfants, petits-enfants. Ayez un peu d'économie. C'est ridicule peut-être, mais ce souvenir-là, il ne faut pas être sans rien. On a besoin d'un peu d'argent de réserve, tout peut arriver. Ils les ont mis là parce que je suppose qu'il y avait trop peut-être de gens qui arrivaient tous les jours pour être déportés. Ils n'arrivaient peut-être pas à suivre. Et puis c'était une population de vieillards plus ou moins malades. Et ça débordait certainement. Ils les ont mis là jusqu'au jour où ma mère me disait qu'elle était arrivée et qu'elle n'était plus là. d'avoir arraché une vieille femme. Évidemment qu'on voulait, si on avait pu, même s'ils l'avaient emmenée pour mettre dans un camp ailleurs, mais ils l'avaient quand même arrachée. On n'a pas su pendant très longtemps. qu'est-ce qu'ils étaient devenus. À la fin de la guerre, on est allé à l'UTESIA pour voir si quelqu'un rentrait de toute la famille. Évidemment, personne n'est revenu. Et... Bon, c'est comme ça. La première vraie connaissance qu'on a eue, c'était quand Klarsfeld a fait son livre. Parce que là, on a su les dates où ils ont été emmenés et où ils ont été... Ce livre-là, c'est mon cimetière, ça.