Speaker #0Quelques temps après le départ de ma grand-mère, il devait venir chercher mon frère et ma mère. Mon frère, il a su. par une organisation à l'intérieur des EI, des Scouts, qui s'appelait la Sixième. C'était une organisation de résistance. Et eux, ils ont prévenu mon frère que demain, on vient chercher les femmes de prisonniers, donc sauvez-vous ! Et à ce moment-là, il n'y avait plus de moyens autrement. Ma mère a prévenu mon oncle qui était à Grenoble. Et ils sont partis du jour au lendemain avec des faux papiers que les scouts leur ont donnés, mon frère et ma mère. Et ils ont eu la chance, à un moment, quelqu'un dans le wagon leur a dit, ça y est, on a passé la ligne de démarcation. Et ils sont arrivés à Grenoble sans encombre. Et là, mon oncle avait un joli appartement sur le cours Jean Jaurès. Ils ont cru qu'ils allaient être bien mieux logés, mais pas du tout. Ils leur avaient trouvé à 8 kilomètres de là, à Penteclès, un deux-pièces dans un ancien camp, ça s'appelait le camp de Verdun. C'était un camp qui datait de la guerre de 1914, c'est pour ça qu'il s'appelait Verdun, où c'était des baraques, en fait. J'étais à ce moment-là dans les Landes, un village qui s'appelait Misson. C'était des bonnes années pour moi. J'ai mangé là-bas des choses tellement exquises, tellement formidables. Alors que moi, je n'étais pas une mangeuse du tout. Je rechignais, mais là, c'était que des confits de canard, des poêlés de champignons, de trucs. Enfin, c'était fou. Et un jour, une femme est venue. Je pense une infirmière. Je ne sais pas pourquoi il me semble. Je ne sais pas qui c'était. Je n'ai jamais su qui était cette femme, ni d'où elle venait, ni qui l'avait envoyée. Elle est venue me chercher chez les paysans. Nous avons pris le train et elle m'a emmenée jusqu'à chez maman, là à Penteclès. Je suis arrivée là, quand j'ai vu l'endroit où ils vivaient, c'était la déception, c'était vraiment moche. On a vécu, je pense, deux ans peut-être dans cet endroit, alors sans étoile jaune évidemment. On ne déclarait pas qu'on était juif, mais enfin, le maire du village, en fait de la petite ville, qui était médecin en même temps, c'était le docteur Roland. Il a dû comprendre parce qu'on était déclaré sous Morcelevic, donc déjà c'était un nom un peu étranger. Ma mère étant employée par la mairie de Pontclair, tout ça c'était catholique, donc elle s'est déclarée catholique. Donc j'ai eu droit à aller au patronage, à faire la communion privée, enfin tout le bazar. Quand j'ai dû aller à l'église pour le catéchisme, je ne connaissais rien. Alors je me souviens être allée à Grenoble avec ma mère et j'ai acheté un petit missel, joli comme tout, avec les prières qu'on doit faire quand on va se confesser. quand on va... J'aime être... tellement ça. J'étais la plus catholique des catholiques. J'adorais aller à l'église, les bonnes sœurs, j'étais bonne au catéchisme, tout ça, c'était incroyable. Et mon frère, par contre, il voulait continuer à aller au scout. Alors, scout juif, il n'y en avait pas, mais il y avait les... les scouts protestants, les éclaireurs unionistes. Alors il a dit ça, ça peut cadrer. Alors les gens ont dit, mais comment ça se fait que lui, il va chez les protestants et votre fille, chez les catholiques ? Alors elle a dit, voilà, c'est mon mari protestant. Il y avait un bazar. Et on est resté là jusqu'à la fin de la guerre. Et puis un jour, les Américains sont arrivés, avec des chewing-gums, avec des boîtes de corned beef, avec du chocolat épais, que jamais j'ai mangé un si bon chocolat, que celui-là, c'était... Vraiment, on a ressenti cette chose-là, une grande joie. Et on ne savait toujours rien de ce qui était devenu des prisonniers. On n'avait même plus de lettres à un moment. C'était un peu la bagaille partout. Donc on est resté quelques mois comme ça. Et on est rentré à Paris grâce aux Américains. Je ne sais pas comment ma mère s'est débrouillée, mais bon, elle a trouvé un camion américain avec. des soldats. Alors il y avait parmi eux, il y avait un noir et il y avait un hindou. Je me souviens bien de l'hindou parce qu'il a commencé à mettre son turban autour de la tête. Ça a duré des heures et des heures. Il avait tellement ce truc, on l'observait. Alors c'était un camion ouvert et ils ont mis dessus les quelques meubles qu'on avait. table, je ne sais pas, on n'avait rien, mais bon, c'était dessus. Et on est rentrés à Paris avec eux et ils nous ont déposés jusqu'à la rue des Maronnites et quand on a voulu monter premier chez nous, on est allés voir la concierge. Ah, vous êtes revenus ? C'était comme ça. Je me souviens très bien quand on est arrivé devant la porte avec les scellés sur la porte. Donc on a déchiré les scellés et on a ouvert la porte. Déjà c'était un taudis avant, mais un taudis habité quoi, c'était quand même... Et là il y avait juste un fil électrique qui pendait au plafond, il n'y avait pas une lumière, rien. Ils avaient vraiment tiré dessus, enlevé les... Les trucs, il n'y avait rien. La maison, vide, vide, vide. Nous avions des livres, des prix. Mon frère amenait de Voltaire des piles de prix d'excellence, de beaux livres. Ma poupée ! Mais rien, rien, tout vide, pas une chaise, pas Paris, et noir, et sombre, et humide, dégueulasse. Mais bon, on était rentrés là, et pas découragés, maman elle a dit génial, c'est génial, on a installé les quelques trucs qu'on avait, et puis... La vie, elle s'est reprise. Mon frère a passé la même année la deuxième partie de bac et le PCB pour entrer à la faculté de médecine, parce qu'il n'a pas perdu un jour d'études. Ça a été incroyable. Et moi, j'ai repris l'école, et voilà.
Speaker #0Je pense que quand on parle aux gens, au cœur des gens, c'est plus fort que quand on raconte l'histoire, les faits eux-mêmes. Je m'étais dit... Bon, ça intéresse les Juifs, mais les Goyes, finalement, ils ont vu faire ça, ils n'ont pas fait grand-chose pour empêcher. Ils ont été témoins, il y a eu quelques-uns qui ont été plus courageux, même qui ont risqué leur vie, mais tellement minoritaires. La majorité, ils étaient parfaitement indifférents. Et la seule façon maintenant, c'est que je... Je pense qu'au premier accroc, il faut le signaler, il faut se battre. On ne doit pas accepter qu'on permette une discrimination. C'est très important, ça finit toujours mal. On ne doit pas permettre l'injustice. Il ne faut pas avoir peur de parler aux gens et au cœur. Moi, je gardais des séquelles. Mais je crois que mes enfants ont gardé des séquelles pires. Parce que même si je n'en ai pas spécialement parlé, évidemment j'ai réagi tout au long de ma vie en fonction de ça. Et ils n'ont pas eu la même jeunesse que dans une famille où les parents n'ont pas eu cette... Parce que je crois que c'était inconscient. mais ça a été un guide pour notre vie entière. Et les enfants, il y en a qui m'ont mal supportée, qui ont été malheureux, parce qu'on les chargeait d'un poids, d'un fléau, même si on n'en parlait pas. Ce n'était pas dramatique tout le temps, au contraire, il y a eu pendant ces cinq ans, six ans. Il y a eu des moments joyeux, il y avait quand même, on avait reformé un groupe familial à nous trois, on se faisait de la musique, on se faisait des jeux, on a vécu. Mais à la fin du compte, il y a des choses qui nous ont marquées, et c'est vrai, je réalise maintenant plus que même au moment où ça se passait.