Speaker #1"Qu'est-ce qu'on va faire de toi ?" On me dit "Tu ne peux pas rester à Marseille. À Marseille, il y a des rafles sans arrêt. La police est aux aguets. Tu seras dénoncé par les uns ou les autres. Tu ne peux pas rester là". "Je peux essayer d'aller en Espagne". "Tu n'y arriveras pas. Tu ne sais pas parler. Tu n'as pas d'argent. Même en tenant quelques sous, tu vas te faire avoir". "En Suisse, c'est pareil". Alors, M. Champenois, ancien colonel: "Tu vas aller à la Légion". Quand j'ai entendu la Légion étrangère, j'avais entendu parler de ça quand j'étais gosse. On parlait de la Fremdenlegion . C'est atroce, c'est des bandits, des voleurs, des trucs, des assassins. On vous envoie dans le désert, crever de soif. Monsieur Champenois me dit, "ce n'est plus comme ça maintenant. Maintenant, la Légion, elle est plus structurée. Et si tu vas à la Légion, dans peu de temps, tu vas pouvoir te battre". Donc, la Légion. Mais pour aller à la Légion, il savait, enfin lui il savait, que la Légion ne prenait ni des Allemands, ni des Juifs. Or, c'était les deux. Alors il fallait faire de moi quelqu'un d'autre. On a fait de moi un luxembourgeois. Comme ça mon accent pouvait passer. Et on m'a donc expliqué tu viens d'une petite ville qui s'appelle Esch-sur-Alzette. "Oui d'accord". "Ton père il tient la pharmacie dans la rue principale. Tes parents t'ont envoyé à l'école en Allemagne parce qu'on étudiait mieux en Allemagne qu'au luxembourg". Une histoire. Donc on va à la Légion des Larmes avec ce fameux copain, on prend le tram. On arrive au camp Sainte-Marthe. Il y avait donc un bureau de recrutement de la Légion. Donc j'arrive devant le sous-off, un type grand costaud, avec un vach'd'accent. J'ai compris après que c'était un Polonais et puis il devait avoir un petit coup dans le nez, parce que... "Alors, papiers". J'ai dit, "j'ai pas de papiers". "Ah bon, mais tu viens d'où" ? Je raconte mon histoire, "je viens du Luxembourg". Il me regarde et me dit "Toi, tu n'es pas luxembourgeois, toi. Toi, tu es alsacien, toi". "Ah ben non, je ne suis pas alsacien, je vous dis que je suis luxembourgeois". Il me regarde et malgré son coup qu'il avait dans le nez, il me dit "Toi, toi, tu es autrichien. Tu es peut-être même un juif autrichien". Les bras m'en sont sont tombés. Je continue à nier, évidemment. Je suis luxembourgeois, mon père, etc. Alors, il a une idée lumineuse qu'on ne pouvait pas imaginer à un type qui avait un coup dans le nez. "Il y a ici un légionnaire en permission. Je sais qu'il vient du Luxembourg. On va vous confronter et puis on va bien voir que tu es un sacré menteur". Il appelle son ordonnance et dit "Va me chercher le légionnaire Intel". J'entends le nom. "Et puis toi, tu vas attendre dehors". Je sors dehors. Puis je me dis, il faut chercher, il faut trouver ce légionnaire intel. Je demande autour de moi, enfin, des gens. Il y avait très peu de légionnaires, parce qu'il n'y avait pas de troupe de légion en Marseille. C'était juste un centre de permissionnaires et de recrutement. Je demande si vous connaissez un tel ou un tel. "Ah oui, oui, je sais qui c'est. Un grand mec avec une grande barbe, il doit être à Marseille en permission. Il n'y a qu'à attendre qu'il rentre par la porte et puis tu verras". Voilà, j'attends. J'attends les tramways qui s'arrêtent, des gens qui descendent, c'est pas une bonne trame, un autre qui arrive et mon légionnaire arrive. Un grand mec, un grand barraqué, il était plus grand que moi, une barbe noire. Quand il rentre dans la crase, je m'approche et je dis, "monsieur, comment c'était Marseille, la permission, c'est bien ?" Il me dit, "mais qu'est-ce que tu veux, espèce de blanc-bec ?" Arrive le gars du sous-officier, il lui dit "écoute, il y a le sergent qui te demandent". Alors l'autre, il commence à crier "quoi ? Ce salopard, Ce… etc. Il n'a qu'à attendre". Alors là, je m'approche à nouveau et puis je lui dis "Ecoutez monsieur, moi aussi j'ai un problème avec le sergent". Alors là, je lui deviens sympathique. Quelqu'un qui a un problème avec le sergent, comme lui, il a un problème, donc je commence à raconter une histoire. J'invente une nouvelle histoire. J'ai eu des histoires à Paris avec les Allemands. Pour me sauver, je suis parti en zone libre. Je vais m'engager à la Légion pour me sauver, etc. Et là, je lui deviens sympathique. Quelqu'un qui a un problème avec la police, pour un type comme lui, c'est quelqu'un de bien. Je lui explique que l'autre il veut nous mettre face à face pour découvrir que je ne comprends pas sa langue. Alors il me dit, "écoute, on va faire un petit sketch". Il n'a pas dit sketch parce que les mots n'existaient pas à l'époque." On va faire un petit truc. Moi je vais te parler en luxembourgeois. Toi tu vas me répondre en une langue, en allemand un peu". Oui, je connaissais à l'époque, je connaissais assez bien le flamand quand j'avais été à Bruxelles. "Tu mélanges ça un peu". Ok, on arrive devant le sous-off, lui se met au garde à vous, le sous-off lui demande, "demande-lui d'où il vient", "d'où tu viens", l'autre l'interrompt, "mais non, parle-lui dans ta langue", alors l'autre il fait l'idiot, il dit, "dans ma langue, pas le droit, ça fait 20 ans que je fais la Légion, je ne parle que le français, Legio patria nostra", ici on parle français". Alors le sergent lui dit, "écoute mon vieux, tu vas lui parler dans ta langue, sinon je te supprime toutes tes permissions". Alors l'autre dit "Ah bon, si c'est comme ça". Alors il se tend la main et dit "Vu wou kenns du". Alors moi je fais l'étonné et je dis "Ech-sur-Alzette" "Ah, Ech-sur-Alzett"e. Et l'autre il dit, il parle en luxembourgeois, "Je connais bien Esch-sur-Alzette, c'est pas loin de chez moi. Tu fais quoi là-bas" ? Alors moi, dans mon langage imaginé, j'ai dit "Ben voilà, mon père il tient la pharmacie dans la grande rue". "Ah ben la pharmacie, je la connais. J'ai peut-être connu ton père et puis"... Donc... On rigole tous les deux, on se tape sur l'épaule, contents d'avoir trouvé un pays, et le sous-officier nous regarde, il nous regarde, il sait comprendre, c'est pas possible. Alors il était donc vexé dans sa dignité de sous-officier, de s'être trompé, il nous fout dehors tous les deux. Et moi, sans coup de pied dans le derrière, puisque je n'étais pas allemand, c'était un vrai doux sombre. C'est comme ça que je me suis engagé dans la légion. Mais il y avait quand même un truc. Le lendemain, il y avait donc un officier, un capitaine, qui venait voir les nouveaux demandeurs". Et le sous-off, il présente untel, untel. Mon nom, c'était Hébert Thomas. Et puis il dit, "voilà, il n'a pas de papier, il dit qu'il vient du Luxembourg". Le capitaine l'interrompt et dit, "bon, engagé sous réserve de visite médicale". C'est là que j'ai compris que l'officier était au courant, que M. Champenois avait été le voir. C'est là que j'ai compris.
Speaker #0Comme bien d'autres quakers, M. Champenois joua un rôle crucial pendant la guerre en fournissant de faux papiers, des cachettes et en soutenant la résistance, aidant ainsi de nombreux juifs. Sous une fausse identité, luxembourgeoise donc, Herbert rejoindra ainsi la Légion étrangère au sein de la 5e Division blindée. Il combattra les nazis en Afrique du Nord, en Provence, en Allemagne, puis en Autriche, sa terre natale, où il célébrera la capitulation nazie le 8 mai 1945. Herbert sera décoré de la croix de guerre. Son père n'aura pas la même chance, il sera déporté à Auschwitz par la rafle du 26 août 1942. Après la guerre, Herbert sera envoyé en Indochine, où il servira comme sous-officier. Mais comme il le dit lui-même, ce n'était pas sa guerre. Il quittera donc la Légion après ses cinq ans, puis reviendra à Paris. Enchaînera alors les petits boulots avant d'intégrer au bas de l'échelle une usine métallurgique. Parallèlement, année après année, il rattrapera ses années d'études perdues en prenant des cours du soir. Il terminera sa carrière professionnelle après 35 ans au sein de la même société avec le poste d'ingénieur, 300 personnes sous ses ordres. Une jolie revanche sur la vie. Je suis particulièrement heureuse de vous offrir ces derniers épisodes aujourd'hui car dans quelques jours, le 15 juillet prochain, Herbert fêtera ses 100 ans. Alors du fond du cœur, joyeux anniversaire très cher Herbert, j'ai été plus qu'heureuse de vous rencontrer et de recueillir vos mémoires. Si vous le pouvez, comme d'habitude, partagez ces récits, partagez ces histoires racontées avec le cœur, partagez ces instants de vie si utiles à la nouvelle génération. Ne perdons pas l'histoire, racontons-la. Allez, salut.