- Speaker #0
Bienvenue dans le quatrième épisode de la série Mon voyage à travers l'argent en dentisterie Je suis Florence Echeverry, dentiste et créatrice de ce podcast. Si c'est la première fois que vous rejoignez cette série, je vous encourage à commencer par l'épisode intitulé Le commencement pour mieux comprendre mon cheminement sur ce sujet complexe. Aujourd'hui, plongeons dans une dimension peu explorée, l'aspect sociologique de l'argent en dentisterie. En préparant cet épisode, je me suis rendu compte qu'il existait très peu d'études sociologiques sur notre profession, en particulier sur les clichés liés à l'argent qui nous collent à la peau. C'est par le bouche-à-oreille que j'ai appris l'existence d'un sociologue s'intéressant à notre domaine et c'est ainsi que j'ai eu le plaisir de rencontrer Benjamin Derbez, un expert en sociologie de la santé, pour discuter de ces questions. Avant de vous laisser à nos discussions, je tiens à remercier chaleureusement celles et ceux qui ont contribué à la cagnotte Tipeee. Joy, Émilie, Marie, Ronan, Marie-Hélène, Antonin, Aurore. Votre soutien est essentiel pour continuer à produire ce podcast indépendant et sans publicité. Pour ceux qui souhaitent nous rejoindre et entrer dans la communauté d'entretien avec un dentiste, rendez-vous sur la page Tipeee, je vous ai mis le lien dans le descriptif de l'épisode. Maintenant, sans plus tarder, explorons ensemble les dynamiques sociologiques qui façonnent la profession dentaire. Épisode 4 Décryptage sociologique de l'argent en dentisterie. Dans cet épisode, nous allons explorer, à travers les yeux de Benjamin Derbez, sociologue, maître de conférences en sciences sociales, spécialiste des questions de santé, un aspect moins visible mais cependant fondamental, la question de la sociologie, cette discipline qui analyse les rapports humains en observant la société et en se questionnant sur les rapports entre individus ou groupes. Benjamin s'est intéressé à la profession de chirurgien dentiste presque par accident. Cela a commencé lorsqu'une connaissance à lui, infirmière puis récultrice, a décidé de se reconvertir en dentisterie. En suivant son parcours depuis son entrée en 3ème année jusqu'à l'ouverture de son propre cabinet, Benjamin a découvert l'absence notable de travaux sociologiques portant spécifiquement sur cette profession de chirurgien dentiste, comparativement à d'autres professions de santé comme les médecins généralistes par exemple, les infirmiers-infirmières ou les sages-femmes. Il a alors mené sa propre enquête, réalisant des entretiens dans un service d'odontologie du CHU auquel était rattaché son ami, auprès des étudiants et des enseignants-chercheurs. Ces discussions lui ont révélé la position singulière de l'odontologie au sein du paysage médical et universitaire, souvent isolé et perçu comme un domaine fermé, presque secret. Pour vivre heureux, vivons cachés, devise préférée des dentistes selon un confrère entendu lors de l'enquête. Benjamin m'a confié avant l'enregistrement avoir remarqué le rapport complexe des chirurgiens dentistes avec la médecine générale et d'autres professions de santé. Cette exploration l'a poussé à approfondir ses recherches sur la formation des dentistes, la comparant à la formation d'autres professions médicales. Grâce à cette enquête, Benjamin a non seulement percé à jour l'univers souvent méconnu de la dentisterie, mais il a également été conduit à questionner les fondements de la formation et de la profession elle-même. Après avoir examiné les origines de l'intérêt de Benjamin pour la profession dentaire, Abordons le cœur de notre sujet, l'argent dans le monde de la dentisterie. La perception du dentiste est souvent celle d'un professionnel qui réussit financièrement. C'est en partie vrai, mais cette image entraîne également des stéréotypes, comme celui parfois de privilégier le profit au détriment du soin. Cela m'amène à une interrogation que j'ai partagée avec Benjamin. Étant donné que les études dentaires ne sont pas toujours le premier choix pour les étudiants, cela pourrait-il contribuer à une sorte de sentiment de déclassement parmi les futurs dentistes ? Et dans quelle mesure cette perception influence-t-elle la motivation initiale pour rejoindre cette profession ? Est-ce pour l'attrait financier ou l'amour du soin ?
- Speaker #1
C'est une bonne question. C'est vrai que là, je retiens dans ce que tu dis, moi je retiens la notion de perception. C'est vrai qu'il y a énormément de clichés, de stéréotypes. Quand on échangeait, tu parlais d'images d'épinales, je crois que c'est exactement ça. Nous, en sociologie, on parle de prénotions, c'est-à-dire des idées générales un peu qui sont... véhiculé au sujet d'une pratique sociale, au sujet d'une réalité sociale. Et là, en l'occurrence, effectivement, il y a ce lien assez fort entre le métier de chirurgien dentiste et la question de l'argent, avec plusieurs clichés de ce que tu évoques. Le premier, c'est peut-être celui d'un attrait pour l'argent des chirurgiens dentistes, qui a une certaine cupidité ou une avidité. Et deuxièmement, le deuxième cliché que je repère par rapport à la question des études, c'est celle du choix par défaut, du fait que les étudiants choisiraient les études d'odontologie par défaut, avec l'idée que le dentiste est une sorte de médecin raté. On peut avoir cette... cette image, cette idée qui circule un peu dans l'espace public, dans l'opinion. Et donc voilà, avec le troisième cliché peut-être, celui-là c'est encore autre chose, c'est le cliché du menteur, comme on dit, qui est en lien avec la question de l'argent, et donc l'idée qu'on ne serait pas loin de l'escroquerie dans le métier. Donc il y a toute une série de clichés, et nous en sociologie, on adore les clichés parce qu'on adore les déconstruire. On adore les prendre et montrer d'où ils viennent et désamorcer un peu leurs effets sociaux. C'est un peu notre truc et on le fait par l'enquête. Donc on enquête. C'est-à-dire qu'au lieu de s'arrêter aux stéréotypes, on va aller regarder la réalité sociale et on va aller essayer, et c'est ça qui est difficile, comme je disais tout à l'heure, d'aller interroger les chirurgiens dentistes et comprendre leur point de vue. Comprendre sans a priori, sans considérer que... ils auraient une caractéristique psychologique qu'ils réuniraient, qui serait qu'ils aimeraient l'argent. Ça, pour nous, c'est quelque chose qui ne correspond pas à notre démarche. On préfère aller collecter des données, des données empiriques, et faire des enquêtes au plus près des gens, au plus près des acteurs, sur le terrain, pour porter un regard un peu critique sur, non pas les choses, mais sur les stéréotypes. Ça, c'est vraiment l'idée. Donc, moi, j'aurais tendance à dire que l'image qui est associée à un groupe, en l'occurrence les chirurgiens dentistes, d'un rapport à l'argent, d'une forme de vénalité. Elle ne provient certainement pas de l'agrégation de caractéristiques psychologiques de tous les chirurgiens dentistes. Il me semble peu probable que les études de chirurgie dentaire attirent spécialement des jeunes qui sont attirés par l'argent. Ce que j'aurais tendance à faire, c'est de regarder plutôt le contexte. Comment justement se déroulent les... les études, qu'est-ce qu'on apprend dans les études et comment éventuellement le contexte fait que la structure sociale, l'organisation des études et les contextes d'exercice professionnel font que l'argent devient une préoccupation centrale et que, éventuellement, certains puissent en faire une motivation. Autrement dit, je pense que ces motivations sont construites socialement. elles ne sont pas forcément préexistantes. Évidemment, peut-être qu'il y a certains étudiants ou certains parmi les étudiants qui ont un rapport complexe à l'argent, mais je ne pense pas que ce soit la majorité. Après, c'est difficile pour nous, en tant que chercheurs, c'est très difficile d'avoir accès, par des entretiens, de parler de cette question-là. On va avoir des biais assez forts parce que... personne ne va nous dire de manière assez cynique moi j'aime l'argent, je fais ça que pour l'argent C'est assez peu probable qu'on ait ça. Donc on va avoir d'autres discours, des discours un peu effémisants. Moi ce que j'ai repéré, c'est un discours assez classique autour de la notion de confort de vie. On va parler plus de confort de vie, et derrière confort de vie, on va mettre notamment quelque chose qui… qui sera lié à l'argent.
- Speaker #0
Benjamin évoque les clichés qui entourent souvent la profession de dentiste. Ces stéréotypes, tels que l'avidité, le choix de carrière par défaut, et même une certaine image de malhonnêteté, sont des prénotions qui persistent dans l'espace public et influencent la perception sociale de notre métier. En sociologie, le défi est de déconstruire ces images simplistes pour révéler les véritables dynamiques à l'œuvre. Benjamin insiste ici sur l'importance de mener des enquêtes empiriques qui permettent d'aller au-delà des clichés, en explorant le vécu et les perspectives réelles des chirurgiens dentistes. Ils soulignent que ces perceptions autour de l'argent ne sont pas ancrées dans les traits de personnalité intrinsèques, mais sont plutôt le résultat de structures et de contextes sociaux qui orientent les motivations et les actions. À partir de ma propre expérience, je me suis souvent interrogée sur la façon dont nous choisissons notre voie professionnelle. Initialement attirée par la médecine, que je percevais comme une discipline prestigieuse et riche en spécialisations, le classement m'a dirigée vers la dentisterie, domaine que je connaissais moins bien. Cette perception de la médecine comme étant plus noble, mais aussi plus vaste, reflète peut-être la visibilité et la représentation de ces professions dans notre culture. La dentisterie, en revanche, semble parfois rester dans l'ombre, moins discutée et peut-être même mystifiée. Les images du dentiste véhiculées par les médias, souvent cupides, menteurs et parfois sadiques, façonnent subtilement nos préjugés. Souvenez-vous, dans l'épisode précédent avec Olivier Siran, stomatophobe et journaliste, nous avons parlé de ces clichés et de comment ces stéréotypes influençaient la perception publique de notre profession. C'est pourquoi je me demande jusqu'à quel point ces représentations, bien que caricaturales, ont-elles modelé mon propre parcours et celui de mes pairs ? Est-ce que d'une manière ou d'une autre, nous adhérons à ces modèles ou cherchons à les rejeter ?
- Speaker #1
C'est clair qu'il faut... Pour un chirurgien dentiste, il faut se situer par rapport à ça, ne serait-ce que parce que les patients ont parfois ça en tête, cette image-là. Donc, ce n'est pas simple, il faut arriver à s'en distancier. Souvent, moi, ce que j'ai repéré, une forme classique de manière de s'en distancier, c'est l'humour, l'ironie. On voit ça sur les forums de chirurgie dentaire, quand les étudiants, justement, ils parlent de leur orientation. Je me dis, moi... J'ai fait chirurgie dentaire pour jouer au golf et avoir une maîtresse et une grosse voiture. Donc, c'est une manière de désamorcer ce cliché par l'humour. Mais il y a autre chose. Il faut forcément trouver une attitude par rapport à cette représentation sociale, mais il y a d'autres éléments plus profonds qui sont liés non pas seulement aux représentations sociales, mentales, mais aussi aux structures sociales et aux conditions dans lesquelles aujourd'hui le métier s'exerce. comment il s'apprend et comment il s'exerce. Et moi, je te rejoins sur l'orientation mal connue. Les études d'odontologie sont relativement mal connues par les étudiants de première année des études de santé. Beaucoup découvrent. Pour certains, c'est une heureuse découverte. Puis d'autres, ils apprennent à aimer quelque chose qu'ils ne connaissaient pas. Parfois, il y en a forcément des déçus aussi dans le lot. Mais voilà, globalement, on dit que c'est assez mal connu. Mais contrairement, encore une fois... à l'image du médecin raté. Moi, ce que j'ai constaté, et ça revient dans mes entretiens, j'ai vu ça aussi sur des forums, et puis dans une thèse, qui est une thèse intéressante d'Arnaud Aurel, qui a été soutenue à l'Université Rennes 1 en 2020, qui porte sur les choix d'orientation des étudiants, j'ai trouvé l'idée que... en fait contrairement à ce qu'on pense beaucoup d'étudiants en toute une bonne proportion d'étudiants d'odontologie se dirige vers ses études de manière en premier choix y compris des majors j'entends souvent parler oui la major de telles promotions qu'a choisi odontologie alors qu'elle avait le choix voilà donc ça surprend mais en fait c'est une réalité et il y avait ya ya souvent un bon tiers voire plus de la moitié voire peut-être toute une promotion qui s'est dit ou dans les promotions qui ont fait ce choix-là.
- Speaker #0
Et qu'est-ce qui motive ce choix ? C'est des éléments que tu as pu recueillir ?
- Speaker #1
Alors moi, j'ai recueilli indirectement, en épluchant les forums d'étudiants. Mais globalement, on a l'idée quand même que les études sont plus courtes qu'en médecine, qu'il y a une pratique clinique qui est relativement tôt. On a ces patients dès la quatrième année. qui a un côté manuel, etc. Donc, pour ceux qui ne souhaitent pas s'engager dans des études très longues, les études de médecine sont quand même difficiles, ça fait partie des motivations. Et puis aussi, ce fameux confort de vie, l'idée qu'on travaille en libéral et qu'on peut organiser son activité peut-être un peu plus facilement que dans la médecine.
- Speaker #0
La réponse de Benjamin souligne quelque chose qui me semble très important, la perception. Face à ces clichés persistants, il observe que beaucoup de dentistes choisissent l'humour pour s'en distancer. Une tactique observable dans les échanges sur les forums où les étudiants en dentisterie plaisantent sur les raisons superficielles de leur choix de carrière. Cela dit, derrière l'humour, il existe une réelle nécessité de gérer et de réinterpréter ces stéréotypes, pas seulement pour les praticiens, mais aussi dans la manière dont ils sont perçus par les patients. Benjamin évoque aussi que les études en dentisterie attirent une variété d'étudiants, y compris ceux qui les choisissent en premier choix, souvent attirés par la perspective d'une formation plus courte comparée à la médecine et l'opportunité d'une pratique clinique précoce. De nombreux étudiants sont également motivés par la possibilité de concilier travail et passion personnel, un équilibre de vie professionnel plus libre, qui permet une certaine autonomie dans l'organisation de leurs pratiques. Ce thème du confort de vie et de l'indépendance fait écho à des discussions que j'ai eues dans les épisodes précédents avec des invités comme Franck Lignot, qui a pu intégrer sa passion pour l'aviation dans sa vie grâce à la flexibilité de son métier de dentiste jusqu'à devenir pilote de ligne, ou Pierre Lecoq qui a aligné sa carrière dentaire avec son parcours de champion de planche à voile. Ces témoignages renforcent l'idée que les études de dentisterie offrent non seulement une voie vers une profession respectée, mais aussi la possibilité de modeler cette carrière autour de motivations personnelles pour d'autres activités comme le sport, l'entreprenariat ou l'humanitaire par exemple, dépassant ainsi largement les clichés de la cupidité ou de la recherche de richesse. Et sur ce confort, est-ce que tu penses qu'il y a un changement générationnel ? C'est-à-dire que les générations d'aujourd'hui cherchent plus un équilibre de vie et sont peut-être plus attirées par ces études que les générations précédentes qui étaient plus peut-être attachées à la noblesse du titre, au prestige ?
- Speaker #1
Ça, c'est une question qui se pose aussi en médecine. Des collègues médecins qui... qui s'interrogent sur le rapport au travail des nouvelles générations. J'aurais du mal à trancher cette question, mais est-ce qu'il y a plus de pragmatisme dans ces choix-là ? C'est possible, parce que pour en revenir à la question du prestige, nous en sociologie, on va parler du prestige social, on parle en termes, pour utiliser des termes qui sont liés à la sociologie de Pierre Bourdieu, on parle de capital symbolique. Donc c'est la forme de reconnaissance positive qui est associée à des capitaux. Ce sont des ressources qu'on a pour se classer socialement. Il y a deux grands types de capitaux. Je ne vais pas rentrer dans le détail, mais en gros, le capital économique, les revenus, le patrimoine, et puis le capital culturel. Et c'est vrai que la médecine, elle associe les deux. Elle a un capital culturel et un capital économique. Et en France, c'est ça qui est intéressant. les sociologues qui s'intéressent au rapport à l'argent selon les groupes sociaux, ils le montrent, bien en France, on a tendance à accorder un capital symbolique plus important au capital culturel, à tout ce qui est culturel. On va moins avoir tendance à accepter que l'argent, le capital économique, soit classant. Ça, c'est une grosse différence qui a été observée. Il y a un travail... déjà un peu ancien, mais qui est classique de Michel Lamont. Michel Lamont, c'est une sociologue canadienne qui travaille à Harvard et qui a étudié le rapport à l'argent des cadres en France et aux États-Unis et qui montre que les cadres américains se classent par rapport à l'argent. Il y a une transparence par rapport aux revenus. Et les cadres français ont plus de scrupules à le faire. Il y a ce qu'elle appelle une morale anti-socio-économique qui fait que... Ça rejoint un rapport à l'argent, à un lien entre morale et argent qui est assez ancien, notamment au niveau religieux, à une condamnation morale de l'argent dans la religion catholique, qui est prégnante en France, plus prégnante que dans la religion protestante, qui est dominante aux États-Unis. Mais voilà, en gros, on va avoir plus de mal en France à assumer le fait que l'argent est socialement classant. Alors ça, c'est... Michèle Lamand travaillait en 1995. On note aujourd'hui, et c'est Jeanne Lazarus qui le montre notamment, on voit que ces dernières années, il y a une évolution de ce point de vue. Il y a une évolution où le capital économique devient de plus en plus prégnant et socialement classant. Donc c'est possible, si on s'appuie sur cette idée, de dire que peut-être que les générations actuelles qui s'engagent dans les études ont un rapport plus décomplexé. que les générations précédentes à cette question de l'argent. Et puis, c'est vrai que c'est des générations qui ont grandi dans un contexte de crise permanente, avec aussi du chômage, et qu'ils s'engagent dans des études en réfléchissant peut-être plus que dans les générations précédentes au débouché et à l'avenir. Bon, ça, il faudrait enquêter plus précisément auprès des étudiants. Ça, c'est vraiment des chantiers à ouvrir.
- Speaker #0
Benjamin s'interroge sur le pragmatisme des choix professionnels chez les étudiants en dentisterie en soulignant la question du préstice social, élément central de la sociologie de Pierre Bourdieu. Il évoque le concept de capital symbolique divisé en capital économique et culturel. Selon lui, alors que la médecine cumule ces deux capitaux, la dentisterie pourrait être perçue différemment, affectant ainsi la valeur accordée à cette profession. Il explique qu'en France, il existe une réticence historique à valoriser le capital économique comme critère social une tendance enracinée dans une morale antisocio-économique influencée par des croyances religieuses. Cependant, les recherches de Michel Lamont, sociologue et enseignante à Harvard, montrent que cette attitude évolue et que le capital économique devient un facteur de distinction sociale plus accepté. Benjamin souligne également que les nouvelles générations, ayant grandi dans un contexte de crise économique et de chômage, pourraient adopter une approche plus pragmatique et décomplexée vis-à-vis de l'argent, en considérant davantage les débouchés. et la sécurité économique lors du choix de leur carrière. Après avoir exploré l'impact des stéréotypes sur les choix de carrière des étudiants en dentisterie, j'ai voulu creuser un peu plus profondément l'idée du capital symbolique versus le capital économique. En discutant non seulement avec des étudiants en dentisterie, mais également avec des universitaires et des médecins généralistes, une question se pose naturellement. Assiste-t-on à une forme de rattrapage économique de la part des dentistes ? qui pourrait compenser un capital symbolique moindre comparé à celui des médecins ? Cette interrogation sur un possible rattrapage, peut-être inconscient, où le capital économique viendrait pallier le manque de prestige associé à la profession de dentiste, suggère une dynamique complexe et peut-être encore taboue dans le milieu dentaire.
- Speaker #1
Oui, il y a une forme de compensation, probablement. Je pense qu'il y a peut-être quelque chose de ça, mais qui reste un petit peu tabou quand même. Ce n'est pas dit comme ça, mais c'est vrai que c'est frappant. Moi, j'ai fait beaucoup d'entretiens avec des oncologues, avec des médecins, effectivement, et quelque chose qui m'a frappé dans les entretiens que j'ai faits avec les chirurgiens dentistes, c'est cette question de l'argent qui revenait, et notamment qui revenait à travers la... La question de la voiture, ça m'a vraiment marqué puisque la plupart des entretiens que j'ai réalisés avec des chirurgiens dentistes, des collègues, enseignants-chercheurs à la fac, mentionnaient au moins une fois la question de la grosse berline de marque, etc.
- Speaker #0
Le contexte, c'était plutôt pour s'en défendre ? Alors,
- Speaker #1
parfois pour s'en défendre et parfois pour évoquer telle ou telle grande figure de la dentisterie locale. qui roulait en Rolls. Et il y avait une sorte d'équivalence qui était faite entre le fait de rouler en Rolls et le fait d'être un grand praticien. Donc, il y avait une sorte d'évaluation de la qualité du praticien à son véhicule personnel.
- Speaker #0
C'est-à-dire qu'on étalonne un bon chirurgien dentiste quelque part à son chiffre d'affaires ?
- Speaker #1
Il y a quelque chose comme ça. C'est vrai que moi, ce que j'ai pu remarquer, dans l'enquête que j'ai menée, c'est la montée en puissance de cette question du chiffre d'affaires dans les préoccupations des étudiants à partir du moment où ils peuvent faire des remplacements, donc où ils ont le CSCT, je crois, fin de cinquième année, donc ils font un remplacement d'été. À partir de ce moment-là, les discussions vont tourner autour du chiffre qu'on a fait pendant le remplacement, du type d'acte qui est rémunérateur, qu'est-ce qu'on fait payer ou pas. comment on code certains actes, etc. Cette préoccupation devient importante. Et par rapport à ça, je crois que, pour revenir à la question de ce que moi j'appellerais une forme de structure d'opportunité économique, en fait je reprends ce concept aux politistes, à mes collègues qui font des sciences politiques, qui parlent de structure d'opportunité politique pour désigner les conditions d'émergence d'un mouvement social. Il y a des mouvements sociaux qui ne peuvent émerger que dans certaines conditions, donc il y a des sortes de fenêtres d'opportunités. Là, c'est des conditions d'opportunités économiques, c'est-à-dire que dans le travail de chirurgien dentiste, il y a cette souplesse, beaucoup plus qu'en médecine, il y a cette amplitude, il me semble, dans les actes que l'on peut faire déjà. On fait de la radio, on fait de la chirurgie, on fait… On fait de l'implanto, il y a toutes sortes d'actes et on peut suivre le plan de traitement de A à Z. Il y a une forme de latitude qui est laissée au chirurgien dentiste dans les plans de traitement qu'il va proposer. Il y a des options qui sont faisables ou pas. Et là-dedans, le chirurgien dentiste a les moyens de construire son revenu, d'une certaine manière, beaucoup plus qu'un médecin généraliste. Le médecin généraliste fait des consultations, parfois il fait des consultations ROSP pour la santé publique, etc. Mais globalement, il n'a pas cette amplitude, il me semble, et cette souplesse dans la possibilité de construire son revenu. Alors, il a beaucoup moins de charges. Alors ça, c'est aussi une condition structurelle, il me semble, de l'exercice de chirurgien dentiste, c'est qu'il y a énormément de charges. Moi, d'après les informations que j'ai recueillies, il me semble que c'est un petit peu plus du tiers. du chiffre d'affaires qui revient en revenu aux chirurgiens dentistes. Donc, il y a énormément de charges par rapport aux médecins libéraux. Les médecins libéraux, c'est 60% de leur chiffre d'affaires qui fait leur revenu. Et on arrive en fait, pour un omnipraticien, d'après les chiffres de l'adresse, on arrive pour un omnipraticien chirurgien dentiste et un médecin généraliste à peu près au même revenu en moyenne en France. Sauf qu'en fait, il y a des charges énormes. Et il me semble que ces charges, elles pèsent énormément sur le chirurgien dentiste qui doit beaucoup travailler pour rembourser, pour payer toutes ces charges de personnel, de matériel, etc. Ce qui fait que cette condition d'exercice en libéral, il me semble qu'elle place le chirurgien dentiste dans une situation, je ne vais pas dire de précarité, parce que ça serait un peu exagéré de parler de précarité, mais j'ai quand même une collègue qui s'appelle Lise Bernard. qui a parlé de la précarité en col blanc pour s'intéresser aux agents immobiliers. Donc des gens qui peuvent gagner très très bien leur vie. mais quand le marché se retourne, etc., ils peuvent se retrouver aussi en difficulté. Les chirurgiens dentistes, ils ont des charges, beaucoup, et tout repose, c'est des chefs d'entreprise, mais sur lesquels tout repose, finalement, sur leur activité. S'ils ont un pépin, un accident, il n'y a plus d'activité, donc il faut des assurances, etc. Il y a une forme de... Oui, j'allais dire, ça peut générer une sorte d'inquiétude chez certains praticiens qui se disent Bon, il faut que je travaille parce que maintenant, j'ai... plusieurs millions de crédits sur le dos. Il faut que mon activité, voilà, elle soit rentable. Donc, je vais réfléchir à comment, si je veux avoir une vie, une qualité de vie correcte, il va falloir que je réfléchisse à comment je vais mener mon activité, quels types d'actes je vais, qui sont les plus rentables, quels types d'actes je vais privilégier, que je vais prendre les urgences qui arrivent plus qu'il n'en faut, ou est-ce que je vais me concentrer sur des rendez-vous plus longs, sur un... Là, en fait... Ce que je veux dire, c'est que la structure, les conditions d'exercice, avec beaucoup de charges et une forme de souplesse aussi, par ailleurs, pour construire son revenu, fait que, largement, de fait, devient un sujet de préoccupation. Même s'il ne l'était pas, même si on a des personnes qui rentrent là-dedans, comme tu disais tout à l'heure, pour le soin, pour soigner des gens, parce qu'ils aiment bien soigner des gens, parce qu'ils ont cette vocation-là, on peut dire, parfois pour certains. Les conditions d'exercice vont les confronter à la question de l'argent. Et cette question de l'argent, après, elle ne peut pas être résolue seule. Ça s'inscrit aussi dans la structure. Parce que si vous commencez à privilégier tel type d'acte, il faut que vous ayez la patientèle. Donc, c'est une patientèle que vous prenez à d'autres praticiens. Qui c'est qui va prendre les urgences ? Donc, il y a une forme de répartition ensuite sur un territoire qui se fait entre les cabinets.
- Speaker #0
Et comme il y a un isolement dont tu parlais et très peu de communication, finalement, c'est des sujets qui ne sont pas abordés. C'est ça. Il y a des choix qui sont faits sur des critères dont tu parles et qui ne répondent pas du tout aux besoins de la population, finalement.
- Speaker #1
C'est ça. En fait, la difficulté, ça va être d'articuler les besoins de santé publique avec les conditions d'exercice. Et là, on a clairement de tout. Ça, ça renvoie au déficit du nombre d'étudiants formés, donc au déficit du nombre de médecins. Parfois, dans certaines régions, vraiment des situations, comme on dit, de désert au niveau des chirurgiens dentistes. Donc, oui, ça, c'est vraiment des questions importantes. Et après, le troisième point qui me semble important au niveau des conditions structurelles d'exercice du métier, c'est aussi l'assurance maladie. C'est le fait que cette relative précarité de l'activité libérale, elle est aujourd'hui, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, depuis 1945, elle est quand même relativement compensée par les remboursements de l'assurance maladie, qui solvabilisent la clientèle. Et aujourd'hui, ce qu'on voit, c'est que cette solvabilité est menacée. Les conditions d'exercice font qu'il y avait une sorte de droit de tirage sur les finances sociales ou les finances publiques via l'assurance maladie.
- Speaker #0
On a vu qu'il y en avait certains qui abusaient dans l'actualité récente malheureusement. Est-ce qu'à l'avenir ça va être toujours le cas ? C'est une question.
- Speaker #1
Benjamin aborde le thème du capital symbolique versus le capital économique avec une acuité particulière. Selon lui, bien que le sujet reste légèrement tabou, il est évident que l'image de l'argent est omniprésente dans les conversations autour de la profession dentaire. Cette préoccupation financière, il l'a notamment observée lors des entretiens avec des chirurgiens dentistes où le sujet de l'argent et même celui des voitures de luxe comme symbole de réussite revenaient fréquemment. Benjamin souligne un aspect frappant. Dès que les étudiants en dentisterie commencent à pratiquer, souvent lors de remplacements d'été, les discussions tournent rapidement autour du chiffre d'affaires et des actes les plus rémunérateurs. Cette focalisation sur l'aspect financier devient alors une préoccupation majeure dès les premières expériences professionnelles. De plus, la gestion des charges libérales, qui peuvent s'élever à un tiers ou plus du chiffre d'affaires, place les dentistes dans une position où ils doivent constamment équilibrer les coûts et les revenus. Cette situation, comparable à celle d'autres professions libérales, peut parfois mener à une forme de précarité en col blanc, où malgré une apparence de succès, la stabilité financière reste fragile et dépendante de l'activité continue du cabinet. Cette analyse de Benjamin démontre que les décisions prises par les chirurgiens dentistes ne sont pas uniquement guidées par des considérations cliniques, mais sont également influencées par des nécessités économiques. Ces dynamiques économiques, bien que peu discutées ouvertement, structurent fortement. la manière dont la dentisterie est pratiquée aujourd'hui. L'argent, bien loin d'être un simple détail, devient un acteur central dans la carrière des dentistes, dictant souvent les choix de traitement et les stratégies de gestion de cabinet. Les praticiens doivent alors naviguer entre leur désir de fournir des soins de qualité et la nécessité de maintenir une pratique viable économiquement. Benjamin souligne également que les choix faits par les chirurgiens dentistes ne répondent pas toujours aux besoins de la santé publique. Cette dissonance entre les conditions d'exercice et les besoins réels de la population met en perspective un déficit structurel exacerbé par une formation insuffisante qui ne parvient pas à répondre à la demande croissante, particulièrement dans les zones sous-dotées. De plus, la situation est complexifiée par les interactions avec le système de santé public, notamment les remboursements de l'assurance maladie, qui ont historiquement solvabilisé la clientèle. Cette solvabilité est aujourd'hui en péril, remettant en question les conditions d'exercice qui dépendaient largement de ces remboursements. L'avenir de ces remboursements est incertain. ce qui pourrait affecter la viabilité des pratiques dentaires. Benjamin note avec préoccupation que certains abus dans le système ont été mis en lumière récemment, ce qui pourrait entraîner des changements significatifs dans la manière dont les services dentaires sont financés et administrés. En résumé, les conditions d'exercice du métier de chirurgien dentiste sont façonnées par une série de choix qui parfois ne correspondent pas aux besoins sanitaires de la population. La solvabilité assurée par l'assurance maladie, un pilier jusqu'ici relativement stable, et menacés par les changements politiques et économiques actuels. Ces facteurs pourraient redéfinir le paysage de la pratique dentaire en France, forçant les praticiens à reconsidérer leur approche face à une incertitude croissante. Depuis plus de 20 ans que j'exerce, j'ai très souvent entendu dire de la bouche des patients que les soins dentaires étaient très chers. Cette perception me pousse à m'interroger. Les soins dentaires sont-ils réellement plus onéreux par rapport à d'autres interventions médicales courantes, telles que les coloscopies ou les mammographies par exemple, dont les coûts restent obscurs pour la plupart d'entre nous ? Ou bien, est-ce que cette impression de cherté provient du fait que les soins dentaires sont faiblement remboursés et peu valorisés financièrement par les systèmes de santé ? Cette réflexion est importante, car elle touche directement à l'image du dentiste dans l'esprit des patients. Le dentiste est souvent vu sous un angle négatif en lien avec l'argent. Non pas nécessairement parce que ces honoraires seront excessifs, mais plutôt parce que les patients doivent directement puiser dans leurs propres ressources financières pour payer ces soins du fait d'un remboursement insuffisant. Cette situation alimente et perpétue le cliché autour du dentiste cupide, un stéréotype qui mérite d'être examiné de plus près pour démêler ce qui relève de la réalité des coûts ou de ce qui est simplement une impression due à la structure de remboursement.
- Speaker #0
Complètement, tout à fait. Je pense que... Aller se faire soigner à l'hôpital public, c'est parfois faussement perçu comme gratuit par les patients. Et donc, effectivement, on va chez le dentiste en trouvant normal qu'il y ait un équipement de radio, un fauteuil complètement nettoyé, toutes sortes de choses qui sont là. On trouve ça normal et en fait, on se dit, mais tiens, pourquoi il faut payer tout à coup ? Ce n'est pas comme l'hôpital, mais effectivement, il y a quelque chose comme ça. Après... Les soins dentaires, alors moi ça c'est un autre axe de recherche, je pense, qui est assez intéressant et qui pourrait être passionnant. C'est ce rapport entre la médecine et la chirurgie dentaire sur la question de l'utilité médicale, entre guillemets. Le fait qu'il y a beaucoup de médecins, de chirurgiens dentistes qui se plaignent qu'on néglige la dent, en disant que la pathologie des dents, ce n'est pas mortel. Finalement, ça serait un peu non essentiel par rapport à d'autres pathologies d'organes. Et c'est peut-être un peu ce qui a permis aux chirurgiens dentistes de rester autonomes vis-à-vis des médecins. Dans l'histoire, ce que je voulais dire, c'est qu'il y a une tension du point de vue de la médicalisation. de la chirurgie dentaire. Il y a une tendance à vouloir médicaliser l'art dentaire en disant finalement que la santé buccodentaire, elle fait partie intégrante des prises en charge de la santé. Et donc, il faut voir la bouche comme une partie de l'organisme dans son entier, qui communique, qui a vraiment des rapports avec le corps dans son ensemble. Et puis, une tendance à vouloir, par contre, garder une forme d'autonomie. Et ça, ça rapproche cette... Cette tendance-là va rapprocher les chirurgiens dentistes d'interventions qui sont moins nobles, qui sont des interventions de type esthétique. Par exemple, dans une thèse assez passionnante sur l'histoire de la profession, j'ai trouvé un extrait d'un député dans les années 1910 qui comparait la chirurgie dentaire à la coiffure ou à la pédicure, en disant qu'on ne va pas mettre les chirurgiens dentistes chez les médecins, c'est comme si on le mettait les coiffeurs et les pédicures aussi. Autrement dit, il y a cette idée que des belles dents ou des dents saines, c'est surtout pour l'esthétique.
- Speaker #1
C'est la vitrine.
- Speaker #0
C'est la vitrine, voilà. C'est le sourire, etc. Ce n'est pas essentiel. Et donc, on peut se permettre, là je reviens à la question de l'argent, on peut se permettre plus de ne pas rembourser ça. C'est une hypothèse que je fais. C'est-à-dire dire, voilà, si vous voulez avoir des belles dents blanches, bien, etc. Si vous voulez avoir des couronnes. de couleur blanche, vous payez.
- Speaker #1
Ce que Benjamin vient de souligner rejoint une réflexion plus large sur la perception sociale de la santé dentaire. Historiquement, comme lors de l'annonce des 100 dents par François Hollande, le sourire a souvent été vu davantage comme un marqueur social que comme une partie intégrante de la santé globale. Cela met en évidence une hiérarchisation des spécialités médicales qui semblent souvent valoriser les organes en fonction de leur perception de noblesse. La chirurgie cardiaque, par exemple, est considérée comme hautement prestigieuse essentiel à la vie, tout comme les interventions neurologiques qui touchent au cerveau, souvent placées sur un piédestal. Dans ce contexte, la dentisterie semble souvent reléguée à un rang inférieur, non pas en raison de son manque d'importance, mais plutôt en raison d'une sous-estimation de l'organe qu'elle soigne, la bouche.
- Speaker #0
Ça je l'ai remarqué dans la formation. Au niveau de la formation, les enseignants insistent énormément là-dessus. Il faut créer du lien avec les médecins, etc. Après, on voit qu'il y a une forme de condescendance des médecins en pratique vis-à-vis des chirurgiens dentistes. Ils ne prennent même pas le temps de faire des comptes rendus, ils envoient des patients sans donner de courrier, etc. Il y a beaucoup de travail à faire là-dessus. Et c'est clair que ça paraît absurde de traiter la bouche et les dents indépendamment du reste du corps. Mais au niveau de la construction... de la profession de chirurgien dentiste. Je pense que ce que nous, on appellera la médicalisation de la dentisterie, le fait de le mettre dans le giron de la médecine, c'est une vraie question très ancienne et qui a soulevé beaucoup de résistance du côté des chirurgiens dentistes. C'est un vrai enjeu d'autonomie. C'est-à-dire que si la chirurgie dentaire devient une spécialité médicale, C'est-à-dire qu'il faut avoir fait médecine pour ensuite devenir dentiste, un peu comme l'estomato, et bien en fait, un changement radical de la profession, une perte d'autonomie. Moi ça je l'ai ressenti fortement, c'est pour ça que ça explique peut-être, pour revenir à ce qu'on disait tout à l'heure sur le caractère un peu secret de la profession chirurgien-dentiste, pour vivre heureux, vivons cachés, pour vivre heureux, vivons cachés, pour ne pas se faire manger. par les médecins. Donc, en fait, c'est une vraie tension. Et si la résistance vis-à-vis de la profession médicale, parce que la profession médicale est une sorte de profession cannibale qui veut dominer tout. Encore une fois, historiquement, il faut regarder dans le détail, mais les stomatos ont représenté la frange des médecins qui a voulu capter l'art dentaire. Parce que, aussi, et là on revient à l'argent, parce que c'est un marché lucratif. C'est un marché lucratif. Et alors il y a les médecins qui se préoccupent surtout justement du capital culturel et symbolique de la médecine, de sa noblesse, de son prestige, ils résistaient à ça. Et du côté des... des chirurgiens dentistes qui sont d'extraction plus populaire, mais ça, on y reviendra peut-être dans un prochain podcast, historiquement, ils ne voulaient pas y résister en disant s'il faut qu'on fasse 10 ans de médecine pour devenir chirurgien dentiste, ça va être réservé à une élite. Et l'État, là-dessus, a dit non, non, non, si on exige que les dentistes soient médecins, alors à ce moment-là, on ne va plus avoir de dentiste. Donc, il vaut mieux qu'on reste comme ça et que... les chirurgiens dentistes restent à part, mais c'est au prix finalement d'une forme d'exceptionnalité de la dent dans le corps humain qui devient quelque chose qui n'est pas essentiel. Et si ce n'est pas essentiel, ça sera moins remboursé et donc ça va être plus cher pour les patients. Moi, c'est une hypothèse que je fais en disant qu'en fait, l'autonomie de la profession de chirurgien dentiste... C'est à la fois un avantage pour elle et un inconvénient.
- Speaker #1
Toujours.
- Speaker #0
C'est toujours, voilà. Donc, c'est cet équilibre qui est cherché. Et moi, ce qui m'a intéressé dans l'étude que j'ai faite, c'est de comprendre comment les universitaires, notamment, travaillaient à la médicalisation de la chirurgie dentaire tout en restant autonomes, en gardant bien leur distance, parce qu'après, c'est clair que si l'UFR de donontologie devient... devient une... composante un département de l'UFR de médecine. Après, il y a des enjeux très triviaux d'accès à des postes, et les chirurgiens dentistes savent que dans ce domaine-là, ils seront dominés et qu'ils ont beaucoup à perdre là-dedans. Donc, c'est une relation assez complexe avec la médecine, avec des médecins qui parfois, comment dire, jalousent. clairement les chirurgiens dentistes sur la question de l'argent économique, en disant ils ont fait six ans d'études, avant c'était cinq, ils ont fait six ans d'études et ils gagnent plus que moi C'est parfois faux, mais c'est vrai que quand on regarde les chiffres d'affaires en orthodontie, le chiffre d'affaires moyen d'un cabinet d'orthodontie, j'ai trouvé ça en 2017, c'était 500 000 euros. Donc on est à 220 000 euros par an de revenus, et là on est au-dessus du revenu moyen, c'est des moyennes. du revenu moyen des chirurgiens par exemple.
- Speaker #1
Benjamin Derbez apporte un éclairage qui me semble vraiment intéressant sur la formation des chirurgiens dentistes, mettant en avant l'insistance des enseignants sur la nécessité de créer des liens avec les médecins. Malgré ces efforts, il note une condescendance de la part de certains médecins en pratique, souvent manifestée par un manque de communication formelle comme l'absence de compte-rendu détaillé lors de l'envoi de patients. Cette situation souligne une tension persistante dans la profession dentaire où l'autonomie est à la fois un bouclier et une source de vulnérabilité. Historiquement, les chirurgiens dentistes ont résisté à l'idée d'une médicalisation complète de leur domaine, craignant une perte d'autonomie si la chirurgie dentaire devenait une spécialité médicale post-universitaire. L'autonomie de la profession de chirurgien dentiste semblerait s'être maintenue grâce à des décisions étatiques qui, estimant qu'exiger des dentistes qui soient également médecins, réduiraient drastiquement leur nombre. C'est ainsi qu'il a été choisi de garder les dentistes comme une profession distincte. Cependant, cette séparation semblerait avoir des répercussions sur le remboursement des soins dentaires alors perçus comme non essentiels et donc moins couverts par l'assurance maladie, rendant les soins plus coûteux pour les patients. Ce paradigme complexe révèle des tensions palpables entre le désir de reconnaissance de la santé buccodentaire comme essentielle à la santé générale et celui des chirurgiens dentistes de maintenir une certaine distance avec la médecine conventionnelle. Benjamin note également que la relation entre les chirurgiens dentistes et les médecins est teintée de jalousie, particulièrement autour des questions financières. Certains médecins estiment que les chirurgiens dentistes, malgré moins d'années d'études, peuvent parvenir à des revenus supérieurs, notamment dans des spécialités comme l'orthodontie, où les revenus peuvent être très élevés. Pour moi, en avoir discuté aussi avec des médecins, plutôt médecins généralistes, souvent c'était ou en fin d'études, quand nous on a pu s'installer. Et les autres qui passaient l'internat et qui continuaient, qui avaient encore des années d'études et qui me disaient Ah là là, s'il avait su, j'aurais su faire l'enterre Mais ce n'était pas forcément un compliment non plus. C'était du style…
- Speaker #0
C'est ambivalent.
- Speaker #1
C'est plus facile pour vous et en même temps, vous gagnez bien votre vie, c'est injuste. Il y avait cette forme d'injustice.
- Speaker #0
Oui, c'est ça. Mais il manque toujours cette dimension de capital symbolique. La médecine domine. mais dominent toutes les professions médicales, de toute façon, et toutes les professions de santé. Mais voilà, moi ce que je peux dire sur la question de l'argent, c'est que globalement quand même, je ne pense pas qu'on puisse taxer individuellement ou même collectivement les... les chirurgiens dentistes de personnages cupides, d'amour de l'argent, d'avarice, je ne sais quoi, mais la manière dont s'est construite la profession et les conditions structurelles, institutionnelles d'exercice font que ça devient forcément une préoccupation centrale dans le métier et que ça ouvre des opportunités pour se construire des revenus confortables. qui font que certains saisissent l'occasion. Et puis, se rendre compte qu'il y a aussi ce phénomène-là qu'on voit dans les études commencer à émerger au centre de soins dentaires. L'idée de dire, moi je ne vois pas pourquoi, ce serait moi qui soignerais toutes les urgences compliquées, je vais plutôt sélectionner les patients dont je vais m'occuper au centre de soins dentaires. Même chez les étudiants, ça commence comme ça. Je vais essayer de... de déléguer, comme on dit en sociologie, le sale boulot. Dans toutes les professions, il y a ce qu'on appelle du sale boulot, c'est-à-dire des tâches qui sont dévalorisées. Je vais essayer de le déléguer à un collègue. Et moi, je vais me réserver des interventions plus faciles ou des interventions qui vont me permettre de gagner des points dans mon cursus, là où il faut, etc. Et ce qu'on observe là-dedans, c'est qu'effectivement, il y a la tendance à se dire, pour certains, Pourquoi moi, je ferais des gardes ? Pourquoi j'assumerais les impératifs de santé publique alors que d'autres ne le font pas ? C'est à la fois un rapport qui se construit en fonction du type d'exercice lié aux structures matérielles et aux structures institutionnelles dans lesquelles s'exerce la profession. et qu'il prend en compte aussi les collègues, puisqu'il y a une profession qui est organisée, il y a des territoires, et même si, encore une fois, je suis assez d'accord avec toi, les praticiens sont souvent isolés les uns des autres, ils finissent quand même par savoir qui fait quoi, pour construire leur pratique. Et c'est ça qui est… Je pense que même la question… Bon, ça c'est… Ça va aussi dans ce sens-là. La question des spécialités en chirurgie dentaire, c'est assez étonnant, quand on connaît les spécialités en médecine, puisqu'il peut y avoir des spécialités de fait. D'ailleurs, je vais faire de la parodontologie exclusive ou je vais faire de l'endodontie exclusive. Et il n'y a, à ma connaissance, pas de spécialité en tant que telle. Donc, il y a la latitude pour le praticien de construire son type d'activité.
- Speaker #1
Il y a une grande liberté.
- Speaker #0
Il y a une grande liberté. Je crois que c'est vraiment quelque chose qui… Peut-être cette liberté, au fond, que les chirurgiens dentistes veulent protéger et donc essayent de ne pas trop faire connaître leurs pratiques parce qu'il y a cette grande latitude. Et ceux qui se découvrent un intérêt pour l'argent au cours de leurs études ou au moment où ils commencent leur activité, ils peuvent tout à fait très bien gagner leur vie. C'est comme ça que j'expliquerais, plus que par des ressorts psychologiques. En sociologie, on se méfie un petit peu d'aller expliquer les phénomènes sociaux par des ressorts psychologiques ou des caractéristiques individuelles, même si, par ailleurs, on a tous un rapport. Mais même le rapport qu'on a à l'argent, c'est ça qui est intéressant, c'est que notre rapport à l'argent est construit socialement, c'est-à-dire qu'il vient de notre histoire personnelle, mais notre histoire personnelle, c'est une histoire familiale. Quand on vient d'un milieu social, le rapport à l'argent n'est pas du tout le même pour un étudiant qui est issu comme un quart des étudiants dentaires d'une famille où les parents sont au moins un des deux parents et d'une profession médicale, ou si on est étudiant boursier. On va avoir parfois un rapport décomplexé totalement à l'argent quand on vient d'un milieu favorisé, ou on peut avoir un rapport plus revanchard. Au bout du compte, ça aboutit peut-être au même phénomène, mais ce n'est pas le même rapport. Et le rapport, il est socialement construit. Ce n'est jamais quelque chose qui est inné, je ne crois pas qu'on puisse dire ce genre de choses. Donc, il y a un intérêt sociologique à comprendre comment se construit, au cours de la socialisation, notre rapport à l'argent. Mais ensuite, voilà. Je ne crois pas non plus que ce soit la majorité des étudiants qui ont des problèmes de santé, On peut dire que la majorité des étudiants en odontologie s'engagent là-dedans parce qu'il y a des perspectives financières de revenus importants. Ce n'est pas suffisant. C'est une condition non nécessaire et non suffisante à mon avis.
- Speaker #1
Dans cette dernière partie de notre conversation, Benjamin revient sur la manière dont la profession dentaire se construit autour du capital financier et symbolique. Il souligne la dominance de la médecine sur toutes les autres professions de santé et il ne croit pas que les chirurgies dentistes soient guidées par une cupidité innée. mais plutôt que c'est la structure même de leur formation et les conditions institutionnelles de leur exercice qui font de l'argent une préoccupation centrale. Il observe que dès les études, les futurs chirurgien-dentistes sont confrontés à choisir des spécialités ou des pratiques qui maximisent leur obtention de points pour passer dans les années supérieures, s'arrangeant ainsi pour déléguer les actes non rentables en termes de quotas. Cette tendance se renforce lorsqu'ils commencent à pratiquer, notamment lors de remplacements, où le chiffre d'affaires devient un sujet de discussion prédominant comme le soulignait Léna, ma collaboratrice, dans le premier épisode de cette série. Cette focalisation sur les aspects financiers se poursuit dans la carrière professionnelle, où la liberté de choisir son type d'activité permet à certains de se spécialiser dans des domaines plus lucratifs. La profession dentaire, tout en cherchant à se médicaliser pour intégrer davantage le giron de la médecine traditionnelle, maintient une forte volonté d'autonomie. Cette indépendance est vue comme essentielle pour protéger la liberté des praticiens de choisir comment ils gèrent leurs pratiques. ce qui inclut une latitude considérable pour optimiser financièrement leur activité. Benjamin note également que cette autonomie peut conduire à une moins grande prise en charge des besoins en santé publique, avec certains chirurgiens préférant des interventions plus rentables aux urgences et aux soins de base. Cette discussion a révélé une complexité dans la profession dentaire où les choix économiques et les exigences de santé publique sont souvent en tension. Il suggère que comprendre comment les dentistes construisent leur rapport à l'argent pendant leur formation et au début de leur carrière sont nécessaires. Ils proposent qu'une approche sociologique, qui prend en compte les conditions structurelles et personnelles, peut aider à dénouer certains stéréotypes et à mieux comprendre les dynamiques au sein de cette profession. Nous voici arrivés au terme de cet épisode. J'espère que cette exploration vous aura apporté un nouvel éclairage sur les dynamiques sociologiques qui influencent notre profession, notamment en ce qui concerne l'aspect économique. Merci à Camille Covez qui a réalisé l'illustration, à Maxime Moitieu pour la composition musicale et Pauline Bussy pour le montage. Dans notre prochain épisode, nous irons regarder de plus près les aspects juridiques liés à l'argent en dentisterie. Nous examinerons les règles du jeu imposées par la sécurité sociale ainsi que les risques encourus en cas de non-conformité. Un épisode essentiel pour comprendre les enjeux légaux et financiers auxquels nous, professionnels de la santé dentaire, sommes confrontés. Pour ceux qui souhaiteraient nous rejoindre dans cette aventure et soutenir le podcast, je vous ai mis le lien dans le descriptif de l'épisode. Restez à l'écoute et à très bientôt pour continuer ensemble ce voyage à travers l'argent en dentisterie.