- Speaker #0
Bonjour et bienvenue dans Étrange Droit, le podcast consacré aux droits des étrangers, par et pour celles et ceux qui le font vivre. Pendant la prochaine demi-heure, je vous emmène au cœur de ce droit et de sa pratique. Je suis Salomé Bensadi, je suis avocate au barreau de la Seine-Saint-Denis. et j'enregistre cet épisode dans les locaux de mon cabinet à Pantin. Et sachez que le son du podcast est composé et réalisé par des musiciens exilés qui ont repris le chemin de la musique grâce à l'association Pax Musica. Aujourd'hui, on s'attaque à un sujet qui est devenu le quotidien de beaucoup d'étrangers en France et en particulier des personnes qui ont obtenu une protection internationale, les blocages liés à la plateforme de la Nef. avec notre invité Eva Rouillet. juriste en droit des étrangers à l'Association des travailleurs maghrébins de France. Bonjour Eva.
- Speaker #1
Bonjour Salome.
- Speaker #0
Obtenir le statut de réfugié ou la protection subsidiaire marque la fin d'un long parcours d'exil et la fin de la procédure d'asile en France, qu'on a détaillé dans trois autres épisodes. Alors pourquoi un épisode sur ce qui se passe après avoir obtenu l'asile en France ? On pourrait croire que les difficultés administratives s'arrêtent. Avec la fin de la procédure, et je rappelle qu'en principe, une fois qu'une personne obtient la protection internationale, la préfecture a trois mois pour lui délivrer soit une carte de résident si elle a obtenu le statut de réfugié, soit une carte de séjour pluriannuel si elle a obtenu la protection subsidiaire. Et cette carte doit être renouvelée tant que la personne reste protégée en France. Mais en pratique, pour beaucoup, tout ne se passe pas comme prévu et surtout depuis le passage à la nef. Donc l'ANEF, qu'est-ce que c'est ? C'est l'administration numérique pour les étrangers en France et c'est une plateforme de dépôt de demandes diverses, de manière dématérialisée, là où avant ces demandes se faisaient auprès des préfectures directement. Les difficultés qui sont posées par cette plateforme, on va les aborder dans plusieurs épisodes, mais aujourd'hui on va se concentrer sur les problèmes que rencontrent les BPI, donc les bénéficiaires d'une protection internationale, qui sont donc protégées par la France, comme le nom l'indique, mais qui ne sont pas préservées des dysfonctionnements de la nef, bien au contraire. Et on va discuter de tout ça avec Eva. Eva, est-ce que pour commencer, tu peux te présenter et expliquer les activités qui t'ont amenée à te spécialiser dans le sujet qu'on va aborder aujourd'hui ?
- Speaker #1
Du coup, moi, je travaille à l'ATMF en tant que juriste depuis un an et demi maintenant. Et à la base, j'étais éducatrice spécialisée. dans des centres d'hébergement pour demandeurs d'asile. Et ensuite, je me suis dit que je voulais encore plus me spécialiser dans ce sujet et devenir juriste. Et donc, voilà, je suis arrivée à la'ATMF. La'ATMF, on fait trois permanences par semaine. Une spécialisée dans la demande d'asile, donc qui est interassociative, donc en particulier avec le logistique d'hommes asiles. Et deux autres jours par semaine, on... C'est une permanence pour tout type de demandes, donc droits des étrangers, droits sociaux. Et on a beaucoup de personnes BPI qui viennent et donc beaucoup d'ANEF. Et pas que, on a aussi des personnes, voilà, parents d'enfants français, membres de familles de réfugiés. Donc on fait beaucoup d'ANEF.
- Speaker #0
Oui, aujourd'hui, on va se concentrer sur les bénéficiaires de la protection internationale, mais ce ne sont pas les seuls qui ont... passent, qui doivent passer par le site, par la plateforme de l'ANEF pour leur demande de titre et leur autre demande. Et donc justement, pour bien poser le cadre, une question qui revient souvent, c'est est-ce que l'ANEF, c'est une préfecture à domicile, donc est-ce qu'elle a une compétence propre pour prendre des décisions, pour traiter les dossiers ou non ?
- Speaker #1
Non, l'ANEF, elle n'a pas de compétence propre. C'est un peu, c'est assez opaque l'ANEF, en fait, on ne sait pas vraiment comment concrètement ça fonctionne entre pour... L'ANEF et les préfectures, mais il y a des agents de l'ANEF qui sont plus sur le côté technique. Par exemple, quand on appelle le CCC de l'ANEF, c'est des agents de l'ANEF qui sont vraiment sur le côté site internet. Et ensuite, le fonds des dossiers, tout ce qui est demande de complément, traitement des dossiers, etc., c'est les agents de la préfecture. Mais du coup, l'ANEF en tant que telle, ça n'a pas de compétences propres.
- Speaker #0
Est-ce que justement tu peux revenir sur la mise en place de l'ANEF et son application au BPI ?
- Speaker #1
Ça a commencé à être déployé en 2019 l'ANEF. Donc à la base, c'était pour faciliter toutes les démarches pour les personnes étrangères, limiter les files d'attente dans les préfectures, faciliter le travail des agents en préfecture. Et donc la mise en place, elle s'est faite au fur et à mesure. Les premiers, je crois que c'était les personnes étudiantes. Et pour les BPI, ça s'est fait en 2021, avec l'arrêté du 27 avril 2021. Et donc pour toutes leurs démarches. Tite de séjour, DCEM, tite de voyage, changement d'adresse, tout ce qui touche les BPI, maintenant c'est sur l'ANEF, à partir de cette date-là.
- Speaker #0
DCEM, c'est document de circulation pour étrangers mineurs, donc c'est dans le cas où un étranger qui s'est vu reconnaître le statut de réfugié a des enfants mineurs en France, et il voudrait alors obtenir un document pour voyager, donc maintenant tout cela doit être fait sur le site de la nef, il n'y a plus d'autres possibilités. Le problème, c'est qu'il y a plusieurs problèmes, justement plusieurs dysfonctionnements qui sont constatés sur cette plateforme. On peut espérer que la plateforme soit progressivement améliorée, comme tout site internet peut l'être. Mais j'aimerais bien qu'on revienne justement sur les problèmes rencontrés sur cette plateforme. Et si ça te va, on peut suivre une distinction que moi j'opère entre trois types de blocages. Ça permet d'identifier, de catégoriser les types de blocages et puis on verra par la suite du coup comment les résoudre. Mais je trouve que cette étape-là d'identifier dans quel type de blocage on se trouve, elle est importante. Donc le premier type de blocage, ce seraient les limites de conception de la plateforme. Ensuite, on a des réels bugs techniques qui peuvent survenir. Et puis les problèmes liés aux attestations qui sont générées sur la plateforme. Donc on ne pourra pas être exhaustif sur tous les problèmes, les micro-problèmes rencontrés à chaque fois, mais est-ce que tu peux d'abord nous parler des limites de la conception de la plateforme de l'ANef ?
- Speaker #1
Je dirais que les plus importantes, c'est l'impossibilité de faire plusieurs démarches en même temps. Donc en fait, une personne qui demande son titre de séjour, elle ne pourra pas faire un changement d'adresse, elle ne pourra pas faire une demande de titre de voyage. C'est vraiment une démarche par une démarche. Et donc ça, c'est quand même une grosse difficulté, en sachant aussi les délais. Donc par exemple, une personne qui va attendre un an et demi son titre de séjour, ça veut dire que pendant un an et demi, elle ne pourra pas faire de demande de titre de voyage. Après, il y a le fait de ne pas pouvoir avoir d'historique des demandes. Donc on ne voit pas les documents qui ont été mis dans une demande. Parfois, on ne voit même pas les demandes. Par exemple, un titre de voyage, ça n'apparaît pas forcément. On ne peut pas modifier la demande. Donc si on veut rajouter un document, si on veut modifier un document, c'est impossible. On ne peut pas supprimer une demande. Donc si on se trompe et que la demande a été déposée, c'est trop tard. Il n'y a pas de retour en arrière et c'est très compliqué après de faire annuler la demande.
- Speaker #0
Il y en a une autre, mais qui ne se pose pas non plus régulièrement. Mais on ne peut pas faire une demande de titre de séjour sur deux fondements depuis le passage à la nef. Parce que quand on demande un titre de séjour, il y a des petites cases à cocher. On ne peut en cocher qu'une seule. Donc là où avant en préfecture on pouvait expliquer à l'agent qu'on était à la fois parents d'enfants français et conjoints de français, maintenant sur l'Anef on doit choisir le fondement. Donc il y a à chaque fois des manières de contourner ces limites de conception mais voilà c'est pour avoir déjà un panorama. Et concernant les bugs techniques est-ce que tu peux nous donner des exemples là aussi ?
- Speaker #1
Pareil il y en a beaucoup mais il y a par exemple les cases qui sont grisées. donc on ne peut pas cliquer sur la case. Par exemple, sur les BPI, quand il y a une demande de titre de voyage, la case « Moi-même » , elle est grisée, donc les personnes ne peuvent pas déposer leur demande. Il y a tout ce qui est, qui sont à la fois des bugs de la nef et des problèmes qui viennent des agents en préfecture, mais par exemple les titres non remis. Ça, ça va bloquer le compte à nef, mais en fait, à la base, c'est parce que la personne en préfecture n'a pas cliqué sur la bonne case. Pareil, si il y a une demande de duplicata, la carte, elle n'a pas été remise. Si la préfecture n'a pas connaissance du statut de la protection internationale, ça va bloquer la NEF. Et pareil, ça, c'est un agent en préfecture qui n'a pas cliqué sur la case. Donc c'est à la fois des bugs de la NEF parce que du coup, ça bloque complètement le site et à la fois quand même des problématiques qui sont liées aux agents directement de la préfecture. Il y a aussi des bugs vraiment très... Bug du site, impossibilité de déposer la demande parce qu'il y a une erreur dans les formulaires. Alors qu'il n'y a pas d'erreur dans le formulaire, mais ça va faire apparaître une bande rouge et on ne peut pas déposer. Et là, c'est vraiment... purement bug technique.
- Speaker #0
Ou l'impossibilité de créer un compte alors qu'on a un numéro étranger. Souvent, ces bugs techniques, il y en a tellement qu'on ne peut pas faire de généralité, mais parfois, pour le coup, d'envoyer un mail à la nef, en tout cas pour des problèmes de connexion, ils peuvent, eux, nous renvoyer vers un lien pour faire son mot de passe. C'est ce genre de choses qu'on pourrait finalement avoir avec d'autres sites internet, mais qui, là, ont parfois des conséquences désastreuses sur les situations des personnes.
- Speaker #1
Et aussi dû au fait qu'il n'y ait pas pareil au niveau agent technique à l'intérieur de l'ANEF, je pense qu'il n'y en a pas beaucoup et c'est très long. Et par exemple, il y a un blocage que je rencontre souvent, c'est les changements d'adresse mail. Donc quand une personne va perdre sa boîte mail, perdre son mot de passe, en fait, la moyenne pour changer une adresse mail dans l'ANEF, c'est trois mois. donc c'est pas concrètement un bug technique mais c'est quand même une limitation du site qui permet pas de changer l'adresse mail par exemple un numéro de téléphone comme on pourrait avoir dans d'autres sites. Et en plus, les agents sont dépassés par ça, il ne doit pas y en avoir beaucoup. Et donc, c'est des délais hyper longs pour un changement d'adresse mail, ce qui bloque complètement toute démarche pour la personne.
- Speaker #0
Et enfin, les attestations. Donc l'ANEF, ça a rénové, renouvelé, les récépissés qu'on obtenait en préfecture. Et maintenant, on a différents types d'attestations qui sont générées sur ce site. Est-ce que tu peux nous les présenter ? Je sais qu'il y a des particularités pour les bénéficiaires de la protection internationale concernant ces attestations.
- Speaker #1
Pour les bénéficiaires de la protection internationale, en fait, il n'y a pas d'attestation de dépôt, ce qu'il peut y avoir pour d'autres personnes. Eux, ils ont directement une attestation de prolongation d'instruction. Donc, dès le dépôt du dossier, c'est ça qui va... qui va apparaître dans leur compte. Et c'est une attestation qui va être renouvelée tous les six mois, en principe, automatiquement. Par exemple, pour les membres de familles de réfugiés, donc par exemple parents d'enfants réfugiés, eux, ils vont avoir une attestation de dépôt avant d'avoir l'attestation de prolongation d'instruction.
- Speaker #0
La grosse différence, c'est qu'une attestation de dépôt, il est explicitement mentionné qu'elle ne confère aucun droit, alors que l'attestation de prolongation d'instruction... ouvre déjà des droits pour des personnes qui n'ont pas eu de titre de séjour par le passé ou prolonge les droits d'un précédent titre. Donc c'est pour ça qu'il y a un vrai enjeu à avoir soit une attestation de dépôt, soit une attestation de prolongation d'instruction et je te laisse poursuivre.
- Speaker #1
Donc il y a ces API qui sont mises automatiquement, mais un énorme problème de l'ANEF ou de la préfecture plutôt, parce que c'est aussi les agents de la préfecture qui... C'est pareil, ce n'est pas un bug technique les attestations, c'est vraiment Les agents derrière qui n'activent pas le renouvellement de l'attestation. Et donc il y a énormément de personnes BPI qui se retrouvent après 6 mois, donc après la première attestation qui arrive tout de suite, sans attestation. En fait elle n'est pas renouvelée. On fait des messages à l'ANEF, des mails à la préfecture, etc. Mais ça peut être des trous dans leur régularité de plusieurs semaines, plusieurs mois. où il n'y a pas d'API qui arrive dans le compte ANEF. Et donc ça, c'est extrêmement fréquent. En tout cas, nous, à l'ATMF, on envoie pratiquement toutes les permanences et plusieurs par permanence des personnes qui viennent et où c'est pas renouvelé.
- Speaker #0
Et le dernier type d'attestation qu'on voit sur l'ANEF, c'est les attestations de décision favorable.
- Speaker #1
Ça, ça arrive en toute fin de procédure. Donc c'est quand le dossier a été accepté. Et pareil, ce n'est pas vraiment automatique. Il y a beaucoup de personnes qui ne la reçoivent pas, qui vont recevoir par exemple SMS pour venir chercher le titre, alors qu'ils n'ont pas reçu d'attestation favorable. Et c'est aussi une attestation qui est un peu compliquée, parce que les employeurs et les... Les organismes sociaux, par exemple la CAF, etc., ne reconnaissent pas forcément les droits de cette attestation. Et c'est pas mal les employeurs, surtout parce que je crois que c'est pas clairement écrit qu'il y a une autorisation de travail liée à l'attestation. Et donc, certains employeurs ne l'acceptent pas. Et pareil avec toutes les difficultés qu'on connaît à récupérer le titre. Les gens peuvent avoir longtemps cette attestation. Donc ça crée aussi pas mal de difficultés.
- Speaker #0
Oui, c'est le problème d'avoir mis en place des nouvelles attestations qui ne sont pas connues par le grand public, comme tu le disais, concernant les employeurs et qui ne sont pas connues par certaines administrations. Et donc, on se retrouve avec des personnes qui arrivent finalement à avoir une API ou une attestation de décision favorable, mais il faut faire des coups. pour expliquer à telle administration qu'elle vale titre de séjour, ou en tout cas qu'elle ouvre certains droits sociaux, etc. Donc ça c'est pour les attestations. Et puis on le disait, les BPI, les bénéficiaires de la protection internationale, ils ont le privilège d'avoir automatiquement une API quand ils déposent une demande de titre de séjour. Donc le problème se pose au moment de l'expiration de cette première API. je voulais parler d'un d'une nuance qui est qu'au moment du renouvellement d'un titre de séjour pour une personne BPI, donc une personne qui a déjà eu, disons, une carte de résident, au moment où l'ANEF n'avait pas été mise en place, si cette personne demande le renouvellement de ce titre, mais tardivement, c'est-à-dire qu'elle dépasse les délais maintenant exigés pour déposer sa demande de renouvellement sur l'ANEF, à ce moment-là, il est possible qu'elle n'obtienne, elle, qu'une attestation de dépôt, et pas une attestation de prolongation d'instruction. On voit qu'il y a plein de règles à respecter depuis le passage à l'ANEF et notamment les délais. Il faut faire attention que ce soit pour les BPI ou pour les autres à déposer une demande de renouvellement dans les délais parce que si elle est tardive, on n'aura pas accès à cette fameuse API qui prolonge les droits du précédent titre. Avant de passer à la résolution de tous ces problèmes qu'on a abordés, je voulais demander s'il y avait des problèmes spécifiques pour les parents d'enfants réfugiés et de manière générale pour les membres de famille des BPI, parce que je rappelle que ces personnes-là ont normalement un droit au séjour qui leur est offert du fait du statut de la protection internationale obtenu par le membre de la famille.
- Speaker #1
Oui, il y a beaucoup de problèmes aussi. C'est un public qu'on a beaucoup aussi, les parents d'enfants réfugiés, nous particulièrement à l'ATMF. et en fait donc eux comme je disais avant ils ont pas directement une API. Donc ils ont une attestation de dépôt qui ne vous repart le droit au travail ni aux droits sociaux. Et en fait, c'est une attestation qui peut rester comme... Donc normalement, il y a cette attestation puis au moment de l'instruction du dossier, elle est censée se transformer en API. Mais en fait, le passage à l'instruction du dossier, il peut durer pendant des mois. Donc moi, j'ai certaines familles où pendant un an, Elles avaient une attestation de dépôt sans aucun droit, alors que leur enfant est réfugié et que ça devrait être rapide, de plein droit, automatique.
- Speaker #0
C'est ça, je le rappelle pour l'instant, les demandes qu'on fait sur la nef, ce sont des demandes de séjour de plein droit. On aurait peut-être dû commencer par là. Et donc, légalement, ces personnes devraient être mises en possession d'un récépissé les autorisant à séjourner en France, mais aussi à y travailler dans la plupart des cas, dès le dépôt de la demande. Donc cette attestation de dépôt ne devrait pas exister en fait. Avant, elles obtenaient un récépissé et maintenant on attend des mois, des années pour obtenir cette API.
- Speaker #1
Et c'est eux aussi, ce qui arrive souvent, c'est qu'ils reçoivent une API sans autorisation de travail par la suite. Donc pareil, ce qui est complètement contraire à la législation les concernant. Et pour le coup, c'est assez difficile de... d'après obtenir une API avec autorisation de travail. Il y a aussi le problème des parents d'enfants réfugiés qui n'ont pas de numéro AGDREF. Donc s'ils n'ont pas fait une demande d'asile avant que leur enfant obtienne le statut de réfugié, en fait ils n'ont pas de numéro AGDREF et il n'y a pas la possibilité sur l'ANEF de déposer la demande sans le numéro AGDREF. Oui,
- Speaker #0
le numéro AGDREF, c'est le numéro étranger aussi, on appelle ça, c'est un numéro de 10 chiffres qui... qui est attribué à un étranger une fois qu'il a fait une première démarche en France. Et c'est vrai que pour les parents d'enfants réfugiés, leur première démarche peut consister dans la demande de ce type de séjour en tant que parent d'enfant réfugié. Et ce que tu expliques, c'est que... Parce qu'on peut créer un compte à nef avec une adresse mail quand c'est une première demande de titre. Mais parfois, ce qui se passe, c'est que quand il crée un compte à nef avec une adresse mail, la case... parents d'enfants réfugiés n'est pas disponible. C'est ça, ils n'arrivent pas à déposer en plus pour le bon fondement.
- Speaker #1
Donc on imagine le parcours si une personne n'a pas de numéro à GDREF. Donc c'est quand même une bataille pour créer le compte à neuf, puis une bataille pour avoir une API qui autorise à travailler. Donc c'est un parcours extrêmement long pour un type de séjour qu'on répète de plein droit.
- Speaker #0
Tous les blocages qu'on a abordés, ils peuvent aboutir à une même situation, c'est-à-dire une rupture des droits. On a déjà commencé à l'aborder, mais est-ce que tu peux nous parler plus en détail de cette rupture des droits qu'il faut absolument éviter ? Je ne pourrais jamais assez le dire, mais il ne faut pas rester passif face à des blocages du site ANEF ou des blocages préfectoraux de manière plus globale, parce que cette rupture de droits... des conséquences, comme tu vas nous l'expliquer.
- Speaker #1
La rupture des droits, en fait, elle arrive quand la personne, elle est, entre guillemets, plus en situation, en tout cas, elle n'a plus les preuves de sa situation régulière. Donc, pour une personne BPI, quand l'attestation de prolongation d'instruction n'est pas renouvelée, elle n'a plus les droits associés à cette attestation. Donc, ça veut dire perte potentiellement du travail, des droits à la CAF. Les droits à l'assurance maladie, tous les droits associés à un séjour régulier et qui souvent vont en escalade, une perte de droit. Par exemple, j'avais eu un monsieur, l'attestation n'a pas été renouvelée, donc perte de travail, dette de loyer, risque ensuite d'expulsion du logement. C'est aussi une escalade de perte de droit due à un non-renouvellement d'attestation.
- Speaker #0
Oui, et parmi les droits, il y a aussi celui de voyager, puisque ça devient compliqué de quitter le territoire français quand on n'a aucune preuve de son séjour régulier en France, puisque pour revenir sur le territoire, on ne peut rien présenter comme document. Eva, face à un blocage de la nef, qu'est-ce que tu vas conseiller aux personnes qui viennent te voir en permanence, et quels sont les réflexes pour éviter au maximum cette situation de rupture de droit ?
- Speaker #1
Pour éviter la rupture de droit et quand il y a une situation de blocage, il faut être très réactif. Donc tu l'as dit, il ne faut jamais rester passif. Donc faire des messages au CCC de la NEF. Donc il y a une case « nous contacter » . Donc en cas de blocage, d'attestation non renouvelée, tout de suite faire un message avec ce dispositif-là. Faire des mails à la préfecture. Aller voir une association en général, moi je dis. souvent aux personnes, dès qu'il y a une situation de blocage, aller voir une association tout de suite. Et aussi aller au PAN.
- Speaker #0
Au point d'accès numérique.
- Speaker #1
Au point d'accès numérique, qui est censé être dans chaque préfecture et accessible dans chaque préfecture, ce qui n'est pas vraiment le cas. Et de garder toutes les preuves de ça. Alors, les messages à l'intérieur de l'ANEF, les mails, etc., c'est facile parce qu'il y a un accusé de réception. directement dans le mail de la personne, mais aussi garder le rendez-vous, la copie du rendez-vous au PAN, garder la copie des lettres qu'on pourrait faire à la préfecture, vraiment tout garder, même les blocages, les captures d'écran, faire des captures d'écran régulièrement du même blocage pour montrer que ça dure sur plusieurs jours. Il faut vraiment garder la preuve de tout ce qui est fait.
- Speaker #0
Il faut documenter non seulement les blocages qu'on rencontre, parce que il ne faudra pas juste de... expliquer que telle case n'était pas disponible, etc. Il faut vraiment avoir des captures d'écran et puis documenter aussi les démarches et les diligences qu'ont fait les personnes pour venir à bout de ce blocage. Donc les captures d'écran, c'est vrai que c'est vraiment important. Et puis, par rapport à ce que tu disais sur les limites de conception de l'ANEF, pour aussi prouver qu'on a déposé un dossier complet, qu'on a déposé sur tel fondement, c'est vrai que ça peut aider d'avoir des captures d'écran de chaque étape de dépôt. Et même si sur le coup, on pense qu'il n'y a pas de blocage, on ne sait pas ce qui va se passer par la suite. Donc, il faut vraiment mieux prendre les devants et documenter tout ça. Et tu parlais des associations, on peut aussi saisir le Défenseur des droits, qui a écrit de nombreux rapports, dont un assez fourni en 2024 sur les dysfonctionnements de l'ANEF. Et donc, non seulement le défenseur des droits peut nous apporter des réponses concrètes parce qu'ils ont des contacts privilégiés avec la préfecture, mais je considère que c'est aussi important de les saisir pour qu'eux puissent continuer à documenter tous ces problèmes et que ça ne reste pas dans chaque association, dans chaque cabinet d'avocats. Mais voilà que ça remonte pour pouvoir, pour espérer, pouvoir changer à terme tout le fonctionnement de l'ANEF. Donc j'incite vraiment à saisir le défenseur des droits. dans des cas de blocage récurrent ou isolé. Et donc tu as déjà commencé à nous parler des étapes qu'on peut suivre avant d'aller devant le juge, parce qu'on verra que c'est quand même l'étape ultime, le passage devant le juge. Donc il y a ce qu'on appelle un protocole précontentieux, ce que nous on dit dans le jargon, avec ces captures d'écran, la saisine du centre de contact citoyen, le CCC. que tu as abordé, le point d'accès numérique, les mails à la préfecture. Donc c'est vrai que c'est très important. Quand je récupère un dossier et que je me dis que je vais aller au contentieux, c'est important que ces démarches-là aient été faites, même si elles aboutissent assez peu. Est-ce que tu peux nous parler des limites à la fois du centre de contact citoyen et du point d'accès numérique ?
- Speaker #1
Déjà... Je pense que c'est important de comprendre quel est le blocage dans le compte ANEF et d'où ça part, parce qu'il y a des blocages qui viennent vraiment de l'ANEF et d'autres des agents. Et le CCC, c'est vraiment des agents techniques. Donc il y a plein de blocages qu'ils ne peuvent pas régler. Par exemple, si on les appelle pour une API expirée, pour une attestation de dépôt, tout ça, ils ne peuvent pas régler. Donc déjà, ça enlève une grosse partie des blocages ANF. et pour plein d'autres types de blocages, en fait, ils n'ont pas la main, ils transmettent aux services techniques pendant des semaines et il n'y a pas de déblocage de la situation. Le CCC marche très rarement. Il y a quelques cas où ils peuvent envoyer un lien qui nous permet de faire la demande autrement, par exemple quand la case est grisée, mais de manière générale, c'est pas efficace et aussi c'est extrêmement long de les avoir au téléphone. Ça peut être en moyenne, moi, c'est 40 minutes pour les avoir au téléphone. Donc, c'est quand même difficile.
- Speaker #0
Oui, c'est vrai que le CCC, on ne l'a pas dit, mais il y a deux manières de prendre attache avec ce centre. Soit par voie dématérialisée, donc avec le formulaire qui est disponible sur l'ANEF. Et là, on a quand même très souvent des réponses stéréotypées. Il y a très peu de réponses individualisées qui permettent de résoudre le problème. Et il y a un numéro de téléphone qui est accessible. Et donc là, la manière de prouver qu'on a appelé ce numéro de téléphone, c'est aussi des captures d'écran qui montrent qu'on a parfois une heure, deux heures d'attente avant d'avoir quelqu'un au téléphone. Mais c'est vrai que vu qu'après, ce sont des échanges téléphoniques, on n'a pas vraiment de preuves de ce qui nous a été dit. Et comme tu le dis, c'est donc très difficile d'entrer en contact avec eux.
- Speaker #1
Et concernant le pan ? C'est un peu pareil, il y a plein de blocages qui ne peuvent pas régler. Alors il y a aussi des pannes qui ne sont pas accessibles dans les préfectures. Donc c'est quand même normalement pour permettre aux gens qui n'ont pas accès à l'informatique de déposer des demandes. Mais dans certaines préfectures, c'est un système informatique pour prendre le rendez-vous aux pannes. Ce qui est quand même... Et en plus de ça, c'est des gens qui ne sont pas formés, qui travaillent, c'est beaucoup des services civiques. Et donc, ils connaissent mal les procédures. Ils n'ont aussi certainement pas accès à plein de choses qui permettraient de débloquer. Donc, souvent, c'est inefficace. Des fois, on peut avoir de la chance et les personnes vont donner rendez-vous, par contre, à la préfecture directement. Mais ce n'est pas toujours le cas. Et quand ce n'est pas le cas, généralement, il n'y a pas de réponse proposée par le PAN non plus.
- Speaker #0
Pour pallier à tous ces problèmes et toutes ces insuffisances, le Conseil d'État est venu en 2022 ordonner aux préfectures de créer une solution de substitution. Puisque, on le sait, il y a une fracture numérique, il y a des personnes qui ne savent pas comment utiliser les outils numériques. Il y a aussi tous ces problèmes où même si on sait les utiliser, ils ne fonctionnent pas. Et donc pour tout ça, les préfectures sont censées. proposer une solution de substitution et concrètement en fait c'est une alternative à la voie numérique, que ce soit par un rendez-vous physique en préfecture ou par un dépôt du dossier par voie postale, par mail, en tout cas les préfectures sont censées prévoir une alternative. Est-ce que ce droit il est effectif ?
- Speaker #1
Non, le droit n'est pas effectif. Déjà pour que le droit soit supposé être effectif, donc il faut bien prouver tout ça, les démarches qui ont été faites avant, la sollicitation du... Du PAN ou du CCC. Et ensuite, ces personnes-là vont nous indiquer « Prenez attache avec la préfecture parce qu'on n'est pas compétent sur le sujet. » Et donc, grâce à ça, on fait un mail à la préfecture pour demander un rendez-vous. Généralement, en tout cas, moi, c'est comme ça que je fonctionne, pour demander la solution de substitution. C'est très rare qu'il y ait une réponse des préfectures, qu'il y ait une convocation. C'est quasi jamais arrivé. Donc non, elle n'est pas du tout effective. Et à part faire un mail en demandant cette solution, il n'y a pas d'autre moyen d'obtenir un rendez-vous en préfecture ? Il n'y a pas de case dans les préfectures pour prendre un rendez-vous qui dirait « je n'ai pas accès à telle ou telle démarche » . Ils ne proposent pas de dépôt par courrier, ou alors on ne sait pas vraiment si ça va fonctionner. Donc il n'y a pas d'autre solution que les solliciter par mail, et il n'y a pas de réponse.
- Speaker #0
Oui, il y a plein de sites internet de préfectures qui n'ont pas été mis à jour depuis l'entrée en vigueur de cette solution de substitution. Et donc on ne trouve même pas les modalités pour en demander l'accès effectif. Et donc on se retrouve à envoyer des mails aux adresses génériques des préfectures. Et vu qu'elles sont saturées de mails, on ne l'obtient pas. Et donc en pratique, finalement, c'est le juge qui semble être cette solution de substitution. C'est pour ça que les tribunaux administratifs sont de plus en plus sollicités sur ces questions de dysfonctionnement de l'ANEF. Quelles sont les procédures qu'on peut faire devant le juge en cas de problème ANEF ?
- Speaker #1
Je dirais qu'il y en a trois, mais deux qui sont plus souvent utilisées. Le référé mesure utile et le référé suspension. Il y a aussi le référé liberté. Moi, je vais m'en parler parce que je l'utilise. Enfin, je ne l'envoie jamais vers ce référé-là. C'est les deux procédures qui sont les plus utilisées pour tout ce qui est blocage ANEF ou non-renouvellement des documents. Donc, du coup, les deux ne vont pas être utilisées pour les mêmes blocages. Tout ce qui est API expiré pour les BPI, donc c'est une API qui dure six mois. Donc, en fait, au bout de quatre mois, il y a une décision qui est prise sur le dossier implicitement. Et donc, c'est le référé suspension qui va être utilisé pour attaquer cette décision implicite et essayer d'obtenir du coup le récépissé. Et après, pour le référé mesure utile, ça va être tout ce qui est blocage technique. Donc là, on va demander au juge de prendre les mesures pour que la personne puisse déposer son dossier.
- Speaker #0
Oui, ça n'intervient pas au même stade de la procédure. On saisit le tribunal en référé mesures utiles pour vraiment obtenir un rendez-vous en préfecture. C'est souvent ce qu'on essaye d'obtenir par ce référé. Donc c'est quand vraiment le blocage à nef est tel qu'on n'arrive pas à déposer un dossier. Alors que quand un dossier est déposé et qu'on n'a pas de réponse au bout de quatre mois, on va se tourner vers le référé suspension pour obtenir à minima un récépissé, souvent... La simple saisine du juge réveille la préfecture et miraculeusement on obtient cette API parce qu'on a enclenché ce contentieux. C'est pour ça que je parlais du contentieux comme étant finalement la solution de substitution, ce qui est déplorable. Parce que les personnes ne devraient pas avoir à aller devant le juge pour obtenir ce résultat, mais c'est souvent ce qui est constaté.
- Speaker #1
Moi il y a aussi un recours que je trouve intéressant dans les cas des blocages ANEF, c'est le recours indemnitaire. qui est moins utilisée parce que c'est moins d'urgence. C'est peut-être un peu plus long et difficile à mettre en place, aussi pour les personnes, parce que ça demande des ressources. Mais je trouve que c'est un recours qui est intéressant parce que ces blocages de l'ANEF, ils ont des conséquences énormes dans la vie des gens. Il y a plein de ruptures de droits, pertes d'emplois, etc. Et donc, je trouve que c'est intéressant de se diriger aussi vers ce recours pour que les personnes puissent être dédommagées des... des préjudices que la préfecture a commises dans leur situation. Et il y a des cas où c'est assez, entre guillemets, facile à prouver. Pour des personnes BPI où c'est du plein droit, c'est assez facile, entre guillemets, à prouver. Donc je trouve que c'est un recours intéressant dans tous ces cas-là.
- Speaker #0
Et le référé liberté, tu l'as mentionné. C'est vrai que c'est compliqué, en fait, de faire un référé liberté. Parce que le degré d'urgence attendu est vraiment très élevé, puisque c'est un référé de l'extrême urgence, puisque le juge va statuer dans les 48 heures. Donc je ne veux pas non plus être trop pessimiste. Il y a certains référés liberté qui fonctionnent. Quand on arrive à prouver que la suspension d'un contrat de travail est vraiment immédiate, certains juges peuvent faire droit à un référé liberté. Donc là, c'est vrai que pour le coup, c'est la procédure la plus efficace dans ces cas-là, parce qu'en 48 heures, on a une réponse du juge. Mais souvent, le référé suspension est quand même qui lui prend plutôt une dizaine, une quinzaine de jours pour qu'on obtienne une réponse du juge. Ça va être la voie de droit la plus abordable, en tout cas où ce sera le moins compliqué d'avoir une réponse favorable du juge. Et ça me permet de te demander comment on peut prouver une urgence devant un juge, puisque que ce soit le référé mesures utiles, le référé liberté dont j'ai parlé ou le référé suspension, Ces référés sont des procédures d'urgence. Donc il va falloir documenter cette urgence pour avoir une réponse rapide du juge.
- Speaker #1
Une urgence, elle se prouve dès qu'il y a une situation de perte de droit ou de blocage dû à la situation. Donc on va reprendre l'API expirée, mais perte de travail, perte de droits sociaux ou menace aussi de perte, ça c'est aussi presque mieux encore parce qu'on démontre l'urgence. Donc, par exemple... Une attestation d'un employeur qui va dire, dans une semaine, s'il n'y a toujours pas de récépissé, je suspends le contrat.
- Speaker #0
Souvent, l'assurance maladie, ils envoient un premier courrier. expliquant que sans production du titre de séjour en cours de validité, la personne perdra ses droits. C'est vrai que ça peut permettre de prouver l'urgence et puis on n'attend pas comme ça la réelle rupture de droit. Donc les preuves d'urgence recoupent les preuves de rupture de droit en fait, où on va essayer de prouver que la personne va, dans l'immédiat ou dans un avenir très proche, perdre certains droits qui lui sont pourtant... reconnu en France du fait de son séjour régulier.
- Speaker #1
Et après, les preuves d'urgence, ça se crée un peu aussi. Par exemple, des refus d'inscription à Pôle emploi, des refus d'inscription dans une agence intérime. C'est aussi des fois aider les gens à les trouver, ces preuves d'urgence, et les amener à créer des refus pour ensuite prouver l'urgence.
- Speaker #0
Oui, pour une personne qui n'a pas encore d'emploi et donc qui ne peut pas avoir une attestation d'un employeur, on peut aussi conseiller à la personne de faire des démarches pour trouver un emploi. Et avec une promesse d'embauche où l'employeur explique qu'il est dans l'attente d'un titre de séjour, tous les moyens sont bons. Moi, je trouve que c'est quand même des bons conseils à donner parce qu'encore une fois, ce sont des personnes qui ont des droits, qui ont le droit à obtenir un récépissé. Et s'il faut en passer par là pour obtenir une réponse rapide du juge, je trouve que ce sont... Ce sont des choses à faire, à conseiller en tout cas. Eva, dans les permanences dans lesquelles tu interviens, tu es donc de plus en plus sollicitée sur ces sujets-là par des BPI ou par des membres de leur famille. Au-delà de la bataille juridique qu'on vient d'évoquer, quel est l'impact humain à long terme de ces blocages ? Comment un bénéficiaire de la protection qui, je le disais au début, a lutté pour obtenir... L'asile en France, il va vivre cette nouvelle phase d'incertitude administrative face à un état qui est, je le rappelle, censé le protéger. Donc il y a vraiment une absurdité. Comment tu la ressens dans tes permanences ?
- Speaker #1
C'est extrêmement difficile pour les personnes, que ce soit psychologiquement ou matériellement. Ça crée énormément d'anxiété. D'incompréhension aussi parce que comme tu l'as dit, c'est des personnes qui ont déjà eu un parcours du combattant pour obtenir une protection et une fois qu'ils sont protégés, leurs droits ne sont pas effectifs. Donc pour eux, c'est beaucoup d'incompréhension de la situation et aussi un peu une forme des fois de culpabilité, de se dire je ne comprends pas ce que j'ai mal fait dans mon dossier, est-ce que ça va m'être refusé ? Il y a aussi beaucoup d'angoisse alors même qu'il n'y a pas encore de blocage ou de perte d'API par exemple. Mais parce que c'est quelque chose de tellement fréquent et qui peut subvenir tous les 6 mois, pour le cas des API, que les personnes en amont du problème, elles sont déjà en situation de stress, de potentiellement un blocage qui risque d'arriver, une perte qui risque d'arriver. Il faut dire que c'est des gens qui tous les 6 mois... Ou à chaque fois qu'il va y avoir un renouvellement ou une nouvelle utilisation de l'ANEF pour un type de voyage, qu'ils vont être en situation de stress, de se dire « je ne vais peut-être pas l'obtenir, je vais peut-être reperdre mon travail, perdre mon logement » . Et aussi cette opacité, parce qu'ils ne comprennent pas pourquoi c'est bloqué, ils n'ont pas de réponse, ils ne comprennent pas pourquoi ils doivent passer devant le juge pour avoir un récépissé. On peut élargir ça aussi, là on parle des BPI, mais c'est le cas pour tous les utilisateurs de l'ANEF de manière générale.
- Speaker #0
Oui, j'ai l'exemple en tête d'une personne qui voulait obtenir un titre de voyage. C'est un document qui permet aux bénéficiaires de la protection internationale de quitter le territoire et de revenir en France, puisqu'ils n'ont pas souvent de passeport, étant donné les liens qu'ils ont avec leur pays d'origine. Cette personne voulait se marier à l'étranger l'été dernier. Il s'est rendu compte à cette occasion que la préfecture s'était trompée dans son dossier. Elle lui avait donné une carte de séjour pluriannuelle alors qu'il était réfugié. Il aurait dû avoir une carte de résidence, quelque chose qui ne l'avait pas alerté à l'époque. Sauf que là, en faisant sa demande de titre de voyage, la préfecture s'en est rendue compte. Il a d'abord fallu obtenir le bon titre de séjour pour ensuite demander le titre de voyage. c'est des démarches qui ont été très... très très longue et lui ne savait pas s'il allait pouvoir se déplacer pour son mariage. Donc on est vraiment dans des situations concrètes de stress, d'anxiété, comme tu le disais, de rupture parfois de liens familiaux, en tout cas des vraies conséquences et qui sont d'autant plus absurdes pour les BPI, mais qui sont absurdes dans l'absolu pour toutes les personnes qui ont des droits et qui ne peuvent pas les voir s'appliquer.
- Speaker #1
Et pour des personnes qui sont là aussi depuis très longtemps, je parle peut-être plus d'un point de vue des primo-arrivants parce que c'est ce que j'ai le plus, mais j'ai aussi eu des cas de personnes qui sont en France depuis 40 ans, donc qui ont eu des quarts de séjour hors ANEF et qui d'un coup se retrouvent à passer par l'ANEF et il y a un blocage et ils perdent leur droit. et j'ai eu une personne qui était là depuis j'ai plus 20 ou 30 ans et qui d'un coup s'est retrouvée sans papier pendant presque un an dû à des blocages à nef Alors qu'il est réfugié. Donc là, c'est encore plus d'incompréhension.
- Speaker #0
Et je rebondis sur ce que tu disais. C'est vrai qu'on ne l'a peut-être pas assez dit, mais souvent, il n'y a pas de problème dans le dossier de telle personne. Parce que c'est le premier réflexe que les personnes qui viennent nous voir. Mais qu'est-ce que j'ai fait de mal ? Est-ce que j'aurais dû passer par autre chose ? Très souvent, quand on a... Un blocage, un refus implicite, comme tu le disais, donc un refus qui n'est pas formulé par la préfecture, mais bon, il ne se passe rien pendant plus de quatre mois. Les personnes se disent, c'est qu'il manquait des documents, c'est que non, en fait, la plupart du temps, c'est un manque d'effectifs dans les préfectures, des dysfonctionnements à nef, et donc il faut bien comprendre que le problème ne vient souvent pas du dossier, et c'est pour ça que je réinsiste sur l'importance de tout documenter. de montrer que de notre côté, on a tout bien fait, on a bien envoyé les bonnes pièces et que le problème vient uniquement de la dématérialisation finalement. Justement, en guise de conclusion, je voudrais avoir ton point de vue sur ce que deviennent nos métiers de juriste et d'avocat qui accompagnent des personnes étrangères. Est-ce que tu as le sentiment que notre rôle, il évolue avec la dématérialisation ? On parle des juges administratifs comme étant des doctolibs de la préfecture, parce qu'on le disait, c'est en faisant appel aux juges qu'on obtient des rendez-vous maintenant. Est-ce que nous, avocats, juristes, on devient des débuggeurs de l'administration, des informaticiens qui sont censés mieux connaître le site ANEF que les personnes qui l'ont créé ? Qu'est-ce que tu penses de tout ça ?
- Speaker #1
C'est un peu difficile à dire pour moi parce que du coup je suis jeune professionnelle, donc en fait j'ai uniquement connu la nef et la dématérialisation. Mais je pense que oui dans la pratique ça diffère parce qu'on se retrouve avec des blocages différents, mais qu'en soi on est toujours à essayer de pallier les défaillances de l'État, que ce soit par des rendez-vous ou par de la dématérialisation. Je trouve qu'il faut vraiment voir la nef comme, pas comme des blocages purement techniques internet, mais vraiment comme un manque de moyens mis à l'intérieur du site, un manque de moyens mis pour les personnes qui travaillent derrière le site, pour les agents en préfecture. Le site, il pourrait très bien fonctionner, il pourrait être amélioré, ou il pourrait ne pas très bien fonctionner, mais qu'en tout cas, il y ait toutes les solutions derrière d'agents en préfecture qui reçoivent, etc. Je pense qu'il ne faut pas limiter la plateforme à des problèmes informatiques, mais vraiment comme l'extension et un outil d'exclusion des personnes étrangères. La NEF fabrique des sans-papiers, des personnes qui sont réfugiées, elle les transforme en sans-papiers.
- Speaker #0
Merci à toi, Eva, de nous avoir... permis d'explorer les méandres de cette plateforme de l'ANEF qui cause beaucoup de difficultés. Et merci à vous d'avoir écouté Étranges Droits. Avant de se quitter, je vous rappelle que chaque situation est unique et que les informations qu'on partage ici ne remplacent pas les conseils personnalisés d'associations et d'avocats. Et je vous renvoie vers le site du GISTI pour trouver une assistance près de chez vous. Et puis aussi, si vous êtes en région parisienne, aux permanences de l'ATMF. Et je vous dis à dans deux semaines. pour un nouvel épisode où nous continuerons à explorer ensemble cet étrange droit qu'est le droit des étrangers.