- Speaker #0
Bonjour et bienvenue dans Étranges Droits, le podcast consacré aux droits des étrangers, par et pour celles et ceux qui le font vivre. Pendant la prochaine demi-heure, je vous emmène au cœur de ce droit. droit et de sa pratique. Je suis Salomé Bensadi, je suis avocate au barreau de la Seine-Saint-Denis et j'enregistre cet épisode dans les locaux de mon cabinet à Pantin. Et sachez que le son du podcast est composé et réalisé par des musiciens exilés qui ont repris le chemin de la musique grâce à l'association Pax Musica. Aujourd'hui, on s'attaque à un moment décisif de la demande d'asile, l'entretien auprès de l'officier de protection. Avec ma consoeur, maître Domiti Nicolet. avocate au barreau de Paris et qui a la particularité d'accompagner très régulièrement ses clients au cours de cet entretien à l'OFPRA, ce qui est finalement assez rarement le cas pour les avocats de faire cet accompagnement. Bonjour Domiti.
- Speaker #1
Bonjour Salomé.
- Speaker #0
Donc personnellement, je ne suis jamais allée en entretien à l'OFPRA encore et donc mon vécu, mes connaissances sur le déroulé de cet entretien, en fait, ils viennent du compte-rendu qu'on a de cet entretien au moment du contentieux devant la CNDA. Et donc toi ? Au contraire, tu as la chance d'être régulièrement aux premières loges de cet entretien et ton expérience de terrain va nous être essentielle aujourd'hui pour comprendre comment se préparer le mieux à cette étape. Puisqu'il faut bien comprendre que l'entretien Ouvpra, ce n'est pas un simple rendez-vous administratif. C'est une vraie confrontation, je dirais, intime et intense où pendant une heure, deux heures, trois heures, tu nous diras comment se déroule l'entretien. Mais en tout cas, pendant le temps qui nous est compté, on va devoir convaincre. Un récit d'exil va devoir convaincre l'officier. Et on peut dire que c'est la crédibilité entière d'un parcours et même d'une vie qui se joue à travers l'attitude, les réponses que le demandeur d'asile va donner à l'officier de l'OFPRA. Et je caricature à peine en disant qu'un mot mal choisi, qu'une date oubliée, qu'une question mal comprise peut faire tout basculer. Bon, sans plus attendre, place aux questions. Domiti, est-ce que tu peux commencer par te présenter, s'il te plaît ?
- Speaker #1
Oui, alors moi j'ai commencé mon métier d'avocat il y a une dizaine d'années. J'ai exercé pendant à peu près trois ans en avocat, deux comme collaboratrice en droit public, et puis j'ai travaillé un peu moins de dix ans dans le milieu associatif, et principalement en Grèce en fait. Je suis partie à l'appel d'une de mes consoeurs. Norma Julien pour le Palacité qui a créé le Legal Center Lesbos. Et je devais partir trois mois et je suis restée quasiment sept ans. J'ai juste copié leur idée de faire un mélange de soutien de nos confrères grecs qui sont vraiment dépassés sur tous les hotspots, avec le nombre d'arrivées de personnes, et de se dire qu'on est plein d'avocates, avocats, juristes, assistants sociaux européens qui ont un petit peu envie de proposer un autre accueil. et donc de faire de l'accueil et de l'accompagnement juridique inconditionnel pour toutes les personnes qui arrivaient. Et je suis revenue en France et j'ai travaillé un temps pour Amnesty et là je me suis réinscrite comme avocate au mois de janvier au barreau de Paris.
- Speaker #0
De janvier 2025 ?
- Speaker #1
Oui, tout à fait.
- Speaker #0
D'accord. Est-ce que pour commencer, tu peux nous expliquer comment va se dérouler concrètement un entretien à l'OFPRA pour que vraiment on visualise ce moment, quelle va être sa durée ? On sait que ça diffère à chaque dossier. Quelles sont les étapes d'un entretien ? Quelles vont être les rubriques, les types de questions qui vont être posées ? Est-ce que tu peux nous parler de tout ça ?
- Speaker #1
Bien sûr. Alors quand tu es convoquée à ton entretien, donc tu arrives à l'OFPRA qui est à Fontenay. Tu vas être convoquée par exemple à 9h du matin. Il faut savoir que les entretiens ne démarrent jamais à 9h du matin. Alors moi, je décide d'arriver quand même à l'heure avec ma cliente ou mon client. munie de tous les documents originaux qu'on aura pu fournir en amont. Parce qu'il faut savoir que les personnes, quand elles demandent l'asile en France, elles remplissent un formulaire écrit en fait. Elles racontent leur histoire plus ou moins longue, et elles l'envoient par la poste ou elles le déposent au courrier de l'OFPRA. Et donc l'OFPRA a déjà de la matière, sait de quoi on va parler en fait. Et c'est pour ça que votre dossier va atterrir dans une section particulière, la rubrique asile, le département Afrique, etc. Et donc vous êtes censé avoir un officier qui a... des pays et des thématiques plus ou moins identifiées, sur lesquelles il a une certaine expertise, mais on en reparlera. Et donc le jour de l'entretien, si la personne a envoyé, avec ce qu'on appelle le dossier OFPRA, qu'on a rempli, quelques éléments de preuves... Un de mes conseils, c'est en tout cas de les ramener, pour s'assurer que ça a été bien pris en compte, ou de les redonner du coup, et puis les originer si elle les a. On arrive, on attend, on est contrôlé par un agent de la sécurité, on va être placé dans une salle d'attente soit assez grande, il y en a une assez principale, où on peut être franchement je dirais une cinquantaine de personnes à attendre. Effectivement, je suis la seule avocate, les trois quarts du temps, à être sur place, et les gens me regardent avec des grands yeux. puisque une fois sur deux je décide de prendre ma robe alors c'est pas du tout pour avoir l'arrogance de l'avocat auquel je ne suis pas très sensible du tout mais c'est juste pour poser quelque chose je pense que c'est comme quand on est au tribunal c'est une façon de dire la fonction qu'on a c'est une façon de dire les mots que je vais employer s'inscrivent dans ce cadre là et non pas un cadre amical etc un cadre professionnel, un cadre d'une personne spécialisée et donc j'attends avec cette On est convoqué, franchement, ça peut prendre entre une heure d'attente et 15 minutes. Il y a toutes les possibilités, mais c'est jamais à 9h, en tout cas, ça c'est sûr. Et puis, on rentrera, on nous accompagne. On arrive dans une première salle, très petite. Il faut savoir que les salles d'entretien, je ne peux pas vous dire leur nombre exact. Moi, j'en ai fait déjà une quinzaine de différentes. C'est des boxes, donc c'est des murs en papier. donc quand vous avez Trois boxes à côté, trois entretiens qui se passent en même temps, on peut s'entendre. Donc se pose déjà la question de la confidentialité, de se sentir bien, de se sentir à l'aise. On arrive, alors en fonction du fait que la personne ait demandé un interprète ou pas, il y a une personne qui est déjà installée ou pas. Et puis évidemment l'intervieweur, enfin l'officier de l'OFPRA. Donc on va être entre trois et quatre personnes, quatre si il y a un interprète ou une interprète. À ce stade-là, normalement en amont, vous avez eu le choix de choisir. Le genre. Vous avez pu exprimer, encore une fois, soit sur l'alias Off-Prague, vous avez rempli, soit moi, quand je suis saisie du dossier, c'est quelque chose que je vérifie systématiquement avec les bénéficiaires et les clients que j'accompagne, en leur disant, est-ce que c'est important pour vous ? Notamment, je pense à des cas d'homosexualité, je pense à des cas où les personnes sont victimes de violences sexuelles ou genrées, qu'il y ait une confiance qui s'installe, et ça peut passer par qui va vous interviewer, en tout cas l'interprète, ça c'est quelque chose qu'on peut essayer de mesurer, et donc de contrôler. L'officier, moins. Après, je vous avouerai que les retours d'expérience que j'ai, c'est un conseil qui m'avait été donné par une consoeur, elle m'avait dit, si tu accompagnes quelqu'un, annonce-le. Informe l'OFPRA de le faire. Déjà par courtoisie, c'est pas vraiment ça, mais pour dire, voilà, elle sera accompagnée, par transparence, on va dire. Et puis, je pense que c'est un impact sur la qualité de l'officier que nous allons avoir. et Là, mon intérêt, ce n'est que l'intérêt de mon client et que la personne se sente le mieux possible. Si c'est potentiellement un impact qu'on peut un peu contrôler, alors moi, c'est quelque chose que je fais systématiquement. En effet, de mes retours d'expérience en France, parce que j'ai fait beaucoup d'accompagnement d'équivalents en Grèce, d'entretien asile, je trouve que jusque-là, la qualité de l'entretien, la personne qui a interviewé mes clients, était plutôt bonne. Et donc ? Les grands chapitres sur lesquels cet intervieweur va revenir, cet officier de l'OFPRA, sont à peu près identiques. Je vais les classer en quatre catégories. On va dire qu'il y a une première partie sur vraiment rappeler les droits de la personne, c'est-à-dire que l'officier de l'OFPRA va rappeler que c'est enregistré, va rappeler qu'il y a un interprète, s'il y en a un, que s'il ne comprend pas, la personne peut le demander, que tout est confidentiel. et que la décision sera prise dans un temps indéterminé, le plus rapidement possible, etc. Donc ça, on va dire que c'est l'introduction de comment va se passer l'entretien, chose que normalement, moi j'ai déjà expliqué à la personne, à mon cabinet évidemment, mais c'est très bien qu'il le réentende et pas de ma bouche. Deuxième partie, l'officier va reprendre ce qu'on appelle un peu les données personnelles de la personne. Donc vraiment revérifier avec lui ou avec elle, le nom, le prénom, la date de naissance, etc. L'ethnie, la religion. si c'est des informations qui ont été indiquées dans le formulaire et qui a potentiellement un impact sur la demande d'asile et sur le récit. Donc ça, c'est variable. Ça peut être assez long, assez court, le nombre de frères et sœurs, leur prénom, si la personne est mariée. Donc c'est ce que j'appelle, moi, quand je prépare encore une fois les personnes, des questions fermées, des questions courtes. Il n'y a pas 15 000 choses à répondre, hormis si on s'est trompé dans les informations écrites. Et ça, je dois le dire, les officiers le disent toujours, le rappel, le dire... Ce qui est important et ce qui domine, ce sont vos déclarations orales. S'il y a des erreurs sur l'écrit, vous pouvez tout à fait les rectifier, c'est ça qui sera pris en compte. Je ne sais pas si c'est aussi simple comme lecture et qu'ils ne vont pas quand même l'utiliser dans des formes de contradiction, mais en tout cas c'est ce qui est dit. La deuxième chose, ce sera le parcours potentiellement migratoire de la personne. Donc par exemple, si des gens sont partis d'Afghanistan, ont transité par l'Iran, la Turquie, la Grèce, etc., c'est de voir un peu s'il y a eu des vulnérabilités. C'est un concept, on pourra en reparler, mais sur le trajet, c'est-à-dire quelqu'un qui a été victime d'un trafic, quelqu'un qui aurait été encore une fois victime d'un viol sur son parcours migratoire, de violences policières, pour ne parler que de la Grèce avec les refoulements et les push-backs. Enfin voilà, c'est des questions qui peuvent être un peu creusées, analysées, comprendre aussi Dublin. Maintenant, si on arrive devant l'OFPRA, c'est qu'on n'est plus Dubliné et que la France a accepté d'être en tout cas responsable de la demande d'asile. Donc normalement, ce n'est pas trop des enjeux. Mais voilà, ils retracent un peu la durée. Je pense qu'il y a aussi évidemment une logique de est-ce que la personne ne donne pas des informations contradictoires ? Ce n'est pas gratuit. Il faut aussi cette partie-là être très cohérente avec la suite, les dates d'arrivée, etc. Et puis arrive en dernière partie la partie, alors elles sont toutes importantes, mais c'est la plus importante, le récit lui-même. Et donc il y a en général une question assez large proposée d'abord, c'est quelles sont les raisons du départ de votre pays d'origine ? Et après, en fonction de la réponse que va donner la personne, s'enchaînent toute une série de questions pour clarifier, préciser les interrogations ou les faits selon la méthode de l'officier qu'on a en face de soi.
- Speaker #0
Et la fin de l'entretien intervient quand la personne a répondu à toutes les questions ? Absolument.
- Speaker #1
La fin de l'entretien intervient, alors encore une fois, c'est ce que tu disais en introduction, très variable à durer. Moi, je dois pareil le reconnaître. que quand je lis des entretiens, j'en lis beaucoup, auxquels je ne suis évidemment pas présente, je vois beaucoup de clients au stade de la CNDH que je n'ai évidemment pas accompagnés, je vois des durées d'entretien absolument honteuses de 42 minutes, 37 avec un interprète, c'est-à-dire que vous divisez le temps de parole, on est sur des entretiens de durée de 20 minutes, pour expliquer l'histoire d'une vie, je trouve ça quand même très très critiquable, et ce n'est pas que moi qui le dis, c'est les textes aussi, les directives, etc. Donc c'est très très critiquable. Avec le fait que j'ai accompagné, est-ce que ça a un lien ? Moi j'en vois un. Les durées sont plus longues. Ça ne veut pas dire que le résultat sera positif, je n'ai pas dit ça. Mais on a en tout cas une qualité d'échange et un temps de parole laissé qui a été, moi j'ai fait des entretiens jusque-là entre 2h30 et 4h30. Avec une conclusion qui est toujours la même, elle est en deux temps, l'officier demande est-ce que la personne veut rajouter quelque chose ? Donc il y a encore un temps laissé à un élément, une émotion que la personne voudrait partager. Et puis arrive moi mon temps de réactivité, c'est-à-dire qu'on me laisse la parole en tant qu'avocate. Je pense que c'est la même chose pour les personnels de la CIMAD, qui est une association agréée qui peut accompagner les personnes en entretien. On propose à l'accompagnant, donc moi en ma qualité d'avocate, de « est-ce que vous voulez intervenir et dire quelque chose ? » Et là, moi, ce que je fais... J'applique la même chose qu'au stade de la CNDA, c'est-à-dire que vraiment je fais une plaidoirie. On appelle ça des observations, mais c'est vraiment le même poids. Et à la CNDA, je fais pareil, je ne parle pas quatre heures. On sait qu'on perd l'attention. On a dit beaucoup de choses. Normalement, un client qui a été bien préparé, de toute façon, je ne fais que renforcer ce qu'il a déjà dit et sa parole devrait suffire. Mais ce poids-là est quand même à son importance pour plein de raisons. je trouve que ça permet de clarifier sur des dossiers notamment où les gens ont des protections internationales dans d'autres états, de revenir vraiment sur les étapes, de forcer l'officier à faire ce travail de recherche de non-effectivité et de revenir sur des points clés. Et comme moi j'ai l'avantage d'avoir travaillé très longtemps en Grèce, je peux vraiment me sentir légitime et parler et leur faire prendre conscience de l'état grec, des autorités grecques et du traitement qui est fait tant qu'on est demandeur d'asile aux réfugiés. Et je me rappelle d'un exemple, j'avais suivi la journée porte ouverte de l'OFPRA justement l'année dernière. que je vous invite tous à faire, quand vous êtes travailleur social, c'est sur inscription, c'est extraordinaire, on a accès, on peut vraiment leur poser des questions très librement, je trouve qu'ils jouent le jeu, le temps d'une journée, d'être dans un échange. Et je me rappelle qu'il y avait une intervenante, je ne sais plus pour quelle association, qui avait un peu challengé une officier de l'OFPRA en disant « mais c'est pas possible, moi j'ai des décisions sur des cas similaires, même si encore une fois chaque histoire est différente, mais en tout cas de personnes passées par la Grèce dans le même camp, à Samos, à Kios, à Lesbos, et bien pour un, la décision passe, c'est-à-dire qu'on reconnaît que le caractère est ineffectif et on laisse la personne raconter son histoire et obtient éventuellement une protection internationale. Et puis pour un autre dossier, ça ne passe pas et en une ligne, vous êtes balayé en disant « Monsieur ou Madame n'a pas démontré le caractère ineffectif de sa protection internationale » . Et donc elle posait la question en disant « Mais sur quoi vous vous basez ? » Ça a l'air d'être tellement la loterie, sur quoi vous vous basez ? Et donc l'officier, ne se démontant pas, commence à dire un exemple, notamment... vous voyez, si la personne nous parle de violence dans le camp, on est sensible au fait que la personne ait pu porter plainte. Et je me suis permise de lever la main en disant, mais est-ce que vous savez combien ça coûte de porter plainte en Grèce ? Et là, l'officier ne se démonte pas trop. Nous, c'est gratuit. Je dis, mais non, un piège. En fait, je ne sais plus, je crois que c'est 50 euros. C'est entre 30 et 50 euros. Vous savez combien ils ont comme aide mensuelle par mois un demandeur d'asile en Grèce ? Bref, j'ai tout démontré. En fait, ce n'est pas possible. Vous ne pouvez pas prendre ça comme critère parce que l'accès... à la justice en Grèce. Pour les Grecs, elle est déjà très compliquée. Pour les personnes exilées, elle est quasiment impossible. Donc, ça ne peut pas être votre critère de réflexion de vous baser sur le fait d'avoir porté plainte ou pas. Celui qui a porté plainte, c'est celui qui a eu de la chance, qui a trouvé l'association, qui a été accepté de porter ses frais, qui a pris son courage à deux mains, qui s'est dit « je perds les trois quarts de mon aide mensuelle pour faire valoir un droit plus fort » . Et puis, il y a tout le reste qui a peur, qui est terrorisé, qui n'a pas accès à l'interprète et encore une fois c'est payant donc Il faut avoir un dialogue avec ces autorités pour aussi leur dire, vous savez, on sait des choses. Et votre évaluation, la manière dont vous évaluez ces dossiers, sur quoi vous basez les rapports, moi j'aimerais bien plus les voir parce que c'est marrant, on n'a pas du tout la même lecture et retour au terme.
- Speaker #0
Donc ce dialogue, il peut avoir lieu, comme tu le disais, dans ce genre d'instance, de moment d'échange organisé directement par l'OFRA. Et puis il peut avoir lieu pendant l'entretien même, quand la personne est accompagnée. et donc toi t'incites vraiment les personnes quand c'est possible à se faire accompagner par un juriste d'une association agréée ou par un avocat justement pour ce moment de plaidoirie, en tout cas d'explication complémentaire à la fin je crois que tu peux aussi poser des questions complémentaires à la personne parce que souvent les personnes sont en fait limitées par les questions que vont poser les officiers en tout cas moi c'est ce que je constate des fois on dit mais pourquoi ils n'ont pas posé cette question ... Et donc si on est là, sur place, en train d'accompagner la personne, on peut demander à la personne directement, lui poser une question complémentaire et que cette question soit retranscrite ?
- Speaker #1
Absolument. Moi, ma position, elle est très claire sur le fait d'être accompagnée. Toutes les personnes qui peuvent l'être, méritent de l'être, ça c'est pas la question. Vraiment, oui, faites-le. Si cette opportunité existe et elle existe, faites-le.
- Speaker #0
On va arriver à la préparation vraiment concrète d'un entretien. Avant, je voudrais juste revenir sur... Qui sont en fait les officiers de protection ? Comment est-ce qu'ils préparent leurs questions ? Tu as déjà expliqué qu'il y a différents services avec différentes spécialités en fonction des officiers. Est-ce qu'ils connaissent selon toi suffisamment précisément la situation dans le pays d'origine des personnes qu'ils vont entendre ? Quel est le degré de préparation qu'il faut avoir ? par rapport au degré de connaissance qu'auront les officiers en face. Et pour cela, je pense que de comprendre qui sont-ils, c'est important.
- Speaker #1
Absolument. Alors moi, ce que je vois, et j'ai beaucoup de personnes qui ont travaillé à l'OFPRA ou qui connaissent des gens qui ont travaillé à l'OFPRA pour avoir assez d'informations sur les profils, les officiers sont globalement assez jeunes. Donc c'est souvent des personnes qui ont un premier travail ou un deuxième. Ils ont l'air d'avoir... Souvent des profils de juristes, donc c'est des gens qui ont fait des études de droit, sciences politiques, ce genre. Donc on peut se retrouver dans les profils avocats et profils offras sur le papier. En tout cas, c'est tout à fait probable que vous retrouvez des gens du banc d'à côté de votre promotion. La grande différence, justement, et tu poses une question qui me paraît la plus importante, c'est à quel point ils sont formés ? à quel point quelqu'un qui va se retrouver à traiter... des demandeurs d'asile guinéens, va avoir d'office cette expertise ? Est-ce qu'il va y avoir un temps de formation dédié, renouvelé ? Parce qu'un contexte d'un pays, on parle de la France, mais de tous les États, c'est valable partout, ça bouge. Et quand vous voyez des décisions qui sont motivées sur des rapports de 2011, je ne plaisante pas. Là, ce n'est pas possible. Donc, je fais partie des gens qui se questionnent et qui peuvent, en tout cas à la lecture des décisions, critiquer la manière dont ils fondent leurs décisions. Par contre, ce que je sais de retour d'expérience, donc l'objectif de cette conversation, c'est d'être, en tout cas de rapporter mon objectivité de ce que j'ai cru comprendre, évidemment aussi ma subjectivité d'expérience. J'ai par exemple eu une amie qui travaille à l'ARDIS, qui est une association spécialisée sur la défense des droits des personnes LGBTQI+, qui me disait qu'ils intervenaient régulièrement pour faire de la formation, en tout cas qu'il y a un échange assez régulier.
- Speaker #0
avec les officiers de l'Opéra qui traitent de ces problématiques.
- Speaker #1
Absolument, absolument. Des personnes qui demandent l'asile, une protection internationale parce qu'ils ont été persécutés en raison de leur orientation sexuelle. Donc c'est intéressant d'avoir cette information parce que c'est des dossiers tellement sensibles et sur lesquels il y a énormément, heureusement, de guidelines. Notamment DIASO, qui est cette institution européenne, l'asile européen, qui est censé un peu chapeauter, uniformiser les pratiques des officiers. Justement, ils étaient très présents en Grèce. Et on sait que sur ces thématiques-là et tant d'autres, il y a une approche, il y a une sensibilité, justement. Il y a des questions stéréotypées que vous ne pouvez pas avoir. Je pense aussi, encore une fois, aux personnes victimes de violences sexuelles. Il y a des lignes rouges. qui sont établis, que ce soit en interne, que ce soit sur des rapports, que ce soit de la jurisprudence, on ne peut pas harceler quelqu'un à demander trois fois le nombre de viols, le nombre de personnes impliquées. C'est ce qu'on appelle réactiver du trauma, c'est absolument pas respecter les étapes traumatisantes. Oui, exactement.
- Speaker #0
Et ça, c'est appliqué quand même. Moi,
- Speaker #1
encore une fois, je trouve que... La présence d'un professionnel, je crois, de mon retour d'expérience depuis ces dix ans en Grèce et à Paris, permet ça. Te dire que ça n'existe pas quand on n'est pas là, du coup je sais, oui, puisqu'on le lit. Toi et moi on lit les décisions de l'OFPRA et on a les retours de nos clients qui nous disent « moi j'ai des retours surréalistes » . Donc notre présence, quelqu'un qui vient, que ce soit d'un point de vue moral pour le client, C'est tellement important d'être accompagné. En tout cas, quand ils se sentent en confiance avec vous, je pense qu'on apporte ça aussi. On leur apporte beaucoup d'énergie, on leur apporte beaucoup de confiance morale, une posture qui sera différente en se disant il y a quelqu'un, il y a quelqu'un qui sait, il y a quelqu'un qui me croit, il y a quelqu'un qui m'accompagne. Moi, je trouve que l'impact, il est hyper visible. Et il est visible de la part de l'officier, où je pense qu'il se sent regardé. Pas fliqué, mais regardé. Ok, je ne suis pas tout seul dans la salle. Il y a un avocat, une juriste, une assistante sociale, un médecin, un psychologue, en fonction de qui accompagne, qui est là. Et je trouve que ça pose un décor beaucoup plus respectueux, sérieux et donc hyper bénéfique, qui augmente les chances que ça se passe bien pour la personne concernée.
- Speaker #0
Pour revenir sur les officiers, je trouve que ce qui est difficile, c'est qu'il ne faut ni sous-estimer la connaissance que peuvent avoir quand même les officiers sur un pays. Moi, je suis des fois obligée de réexpliquer aux personnes, non, non, mais ils vont avoir des informations sur votre pays, donc vous ne pouvez pas être vague, vous ne pouvez pas se dire non, non, mais moi, je sais mieux que lui, parce qu'en fait, ils ont quand même des sources d'informations assez fiables, assez précises. Ils peuvent savoir par quelle route vous êtes passé, que tel lac n'existe pas. Donc, il ne faut pas sous-estimer, il ne faut pas non plus surestimer, dans le sens où parfois, ils se trompent, parfois, ils peuvent poser des questions à côté de la plaque. et là il ne faut pas non plus se laisser... Gagné par le stress, il faut aussi être confiant dans la connaissance qu'on a de son pays, qui est forcément plus grande que celle de l'officier. Donc je trouve qu'il faut jouer entre ces deux écueils et vraiment bien se préparer, en sachant qu'on a quelqu'un en face de nous qui connaît un minimum et qui se forme quand même pour connaître. la région dont on parle, mais ils ont des limites, des limites humaines et des limites liées au fait que ce sont des juristes français qui n'ont pas le vécu du demandeur d'asile.
- Speaker #1
T'as tout à fait raison. C'est à la fois... Il y aura cette vérification factuelle qu'ils peuvent avoir accès. Donc t'as raison, soit ils le savent de départ, soit ils feront le travail de vérification, c'est assez sûr. et donc tout ce que tu disais est absolument pertinent et les gens doivent l'avoir en tête, de ne pas se dire... Il ne va pas vérifier, au contraire, il va savoir. Non, mais dans les deux cas, vous décrivez comme s'il ne savait pas, on s'en fout. Montrez-vous votre connaissance et votre degré suffisant pour emporter sa conviction et sa crédibilité, mais vraiment, il va faire ce travail de recherche. Mais ce qu'il ne sait pas, et moi non plus, c'est toutes les pratiques coutumières, les règles sociales, les interactions entre les personnes, et c'est là où la personne, c'est la plus légitime évidemment pour nous en parler, et c'est là où... vraiment va se jouer aussi des dossiers où est-ce que ça emporte la conviction de la personne ou pas ? Est-ce que c'est crédible qu'une femme qui dit qu'elle a été mariée forcée à l'âge de 14 ans se marie derrière par le frère du premier mari parce qu'il est décédé et que les femmes, il y a une forme de solidarité à un moment, alors qu'en fait, il y a plein de subtilités, c'est ce qu'on appelle la vie et ce qu'on appelle des contextes d'états très différents. Et c'est là-dessus où les gens, je les invite à vraiment prendre conscience de ça, c'est que c'est vrai que Ils vont faire un entretien en France avec un officier français, qui a peut-être une double nationalité, mais il ne va pas se présenter là-dessus. On n'est pas sans avoir accès à ça. C'est anonymisé. On ne sait pas le prénom de l'officier avec qui on parle. Donc, il faut ramener toute cette connaissance de contexte plus social, de contexte parfois politique aussi. Je sais que là, par exemple, il y a des élections en Côte d'Ivoire. Quand vous lisez la manière dont le gouvernement présente le contexte depuis ces dix dernières années, eux parlent d'union, d'unité du pays, etc. Moi j'accompagne trois clients ivoiriens qui ont un avis extrêmement différent, en disant mais non, quand on est revenus tous de Ghana, après les élections qui avaient créé des drames entre les deux partis politiques, et les opposants, ceux qui avaient perdu, on a dû s'exiler, on est revenus, je peux vous dire qu'il n'y avait pas d'harmonie et d'unité, et ils ont perdu leurs frères, ils ont perdu leur mère, ils ont perdu leur père. C'est ça. Donc, et ça, il faut du coup le dire, l'expliquer, parce que quand vous faites ce travail, même moi, de première recherche, ce n'est pas ce qui apparaît, ce n'est pas ce qu'on lit majoritairement. Donc, il faut nous emmener, il faut vraiment que les personnes se disent que ce soit mon avocat déjà le premier pour qui m'appuie. Il faut que j'emmène dans un degré de précision et de réaliser et de l'accompagner aussi parfois sur des recherches de presse locale, plus spécialisée, etc. Enfin, moi, je dis souvent aux personnes que j'accompagne qu'on est en équipe. Je vais faire au mieux, je vais tout donner, mais j'ai besoin d'eux. Je ne peux pas, il y a certaines choses sur lesquelles je n'ai pas de miracle, et l'officier, là je lui donne une excuse comme moi, c'est-à-dire qu'il y a des choses qu'il ne pourra pas trouver comme ressources, et sur lesquelles j'invite les personnes à vraiment faire ce travail-là.
- Speaker #0
On arrive au cœur de cet épisode, justement, comment on peut préparer une personne à un entretien à l'OFPRA, quels vont être tes conseils pratiques. On aura un épisode sur la CNDA ensuite, donc il y aura peut-être des redites dans le sens où... J'imagine que travailler le récit de la personne, la cohérence, les dates, etc., ça fait partie de cette préparation. Justement, si tu veux aussi peut-être nous donner des différences entre la préparation à l'Off-Presse et à la CNDA, si elles existent.
- Speaker #1
Alors, oui et en même temps non. Ça dépend à quel moment j'interviens. Si j'ai accompagné la personne dès le départ, c'est-à-dire vraiment j'ai été saisie. par une association, par la personne elle-même, peu importe, même au stade en vrai de son enregistrement à l'ASPADA. Donc l'ASPADA, la...
- Speaker #0
Structure de premier accueil des demandeurs d'asile, j'avais pas le... On a aussi un épisode sur l'enregistrement de la demande d'asile. Trop bien.
- Speaker #1
Et donc après à la préfecture, l'OFI, avec tous ces premiers services où en fait toutes vos déclarations vont avoir un poids, toutes vos déclarations vont vous suivre. Plus on les accompagne tôt, moi c'est mon obsession et je ne suis pas la seule, c'est capital et ça peut tout changer. Donc l'information que vous donnez au stade de l'OFPRA, quand j'ai encore une fois la chance de pouvoir voir les personnes assez tôt, moi je les prépare déjà plusieurs fois, on ne se voit pas qu'une fois. Je trouve que c'est important, il y a tout un temps où je les informe d'abord, avant de leur laisser la parole. Je leur redis leurs droits, je leur redis ce qu'est encore une fois les définitions. Je leur redis les questions qui vont être posées, un peu ce que tu me demandes ce matin, c'est de leur dire voilà comment ça va se passer en quelques étapes cruciales. Il y a des choses sur lesquelles on ne va pas avoir de poids, de maîtrise. Il y a des choses sur lesquelles vous êtes en position, pas de force, mais d'égalité et sur lesquelles on vous attend. Donc c'est vraiment de remettre dans un contexte les enjeux.
- Speaker #0
Ce qu'elles ont déclaré, je regarde leur papier au fil, il y a de la vulnérabilité qui n'a pas été prise en compte. Quelqu'un qui a dit « j'étais enceinte de 7 mois, la rue depuis, qui passe son entretien, qui a eu un petit bébé » , je me dis qu'il y a quand même un problème sur la prise en charge. Évidemment, tout ça a un impact sur la manière d'expliquer son parcours, la fatigue accumulée, la détresse accumulée. Ils ne sont pas égaux. Les personnes ne sont pas du tout égales. Déjà, de base, c'est un concept de vie. Mais même, là encore, c'est-à-dire que... Vous avez des personnes à la rue qui passent un entretien, qui ont dormi une heure, qui vont voir l'officier. Mais de quelle préparation on parle ? De quelle concentration on parle ?
- Speaker #1
Je pense que les personnes qui ont vu le film, l'histoire de Souleymane, vont penser directement à lui. Tellement, et ce n'est pas un film.
- Speaker #0
Moi, je pense que ceux qui ont bien aimé le film, on a écouté peut-être un peu les interviews du réalisateur, on sent qu'il s'est vraiment renseigné. Cette partie-là, on pourra reparler de l'entretien à l'Ophrade, Souleymane, je dis que moi ! J'allais questionner dessus. Mais en tout cas, toute la partie galère de vie, etc. est très, très existante. Et puis, on a des gens un peu mieux. Heureusement, ça existe et il faut se battre. Mieux accompagnés en structure, dans des CADA, donc dans des centres d'accueil pour demandeurs d'asile. Il y en a qui ont du soutien familial. Encore une fois, il y a le monde qui arrive. Donc, toutes les personnes ne sont pas en position d'égalité, loin de là. Je sais qu'avec Logisti, on fait partie notamment des permanences le lundi après-midi au sein de la TMF. Et là, c'est plutôt des gens à la rue, qui n'ont pas d'assistante sociale, qui... Rien n'est traduit. Il faut savoir que rien n'est traduit, hein. Enfin, très peu. Donc, la convocation que vous recevez sur un compte dématérialisé, c'est tellement compliqué, c'est tellement partir du principe que les gens ont les outils. Mais quels outils ? Il n'y a pas forcément de téléphone, il n'y a pas forcément Internet. Bon, tout est dur, et tout est critiquable, et il faut continuer qu'on le dise tous, et qu'on s'arme de rage et de patience pour continuer à dénoncer ces conditions. Pour revenir à la préparation, je vais donc encore une fois donner beaucoup d'informations dans un premier temps, et puis on va se revoir, et je vais demander à la personne d'appliquer une partie des conseils que j'ai donnés. Je dis toujours la même chose, c'est-à-dire que moi je suis de leur côté, je ne suis pas là pour juger le bien ou le mal. Par contre, l'asile est l'asile, c'est-à-dire que c'est remplir des conditions. Ce n'est pas tristement, et ce n'est pas les faire mentir, jamais. Il n'y a pas de morale, il n'y a pas de... C'est vraiment leur expliquer que ça répond à une définition juridique. Ils se sont lancés dans une procédure qui est très particulière, et malheureusement il y a des mots, et c'est pas pour les faire mentir, c'est juste leur faire comprendre que ça, ça rentre dans cette catégorie, qu'un mariage forcé, par exemple, c'est un mot qu'il faut utiliser quand on dit, dans un premier temps, mon oncle m'a fait épouser mon cousin, j'avais 11 ans. En fait, ça, madame, c'est ce qu'on appelle un mariage forcé. Et c'est leur donner aussi les armes pour qualifier les catégories juridiques à nous qui doivent se réapproprier et puis il y a des petits tips qui peuvent paraître très bêtes, très superficiels mais c'est sur les vêtements d'arriver un peu neutre pour eux quand on arrive avec une casquette quand on arrive avec un jean troué j'ai tellement peur qu'il peut y avoir des préjugés je veux que les gens arrivent avec une image la plus neutre pas pour les pas pour que leur personnalité soit mise à mal. Je ne leur dis pas de mentir, je ne leur dis pas de se cacher, je leur dis juste, vous savez, on est tous humains, la justice est rendue par des humains, et on peut avoir une double pensée quand on aperçoit quelqu'un. Et je voudrais que ce jour-là, la personne n'ait rien à part votre voix et ce que vous allez dire. Après, les gens font ce qu'ils veulent, c'est la liberté absolue, ce qu'on appelle des conseils, et après les gens font ou ne font pas. Mais moi, je pense qu'arriver avec une image la plus neutre gagne. encore une fois en écoute c'est juste de ce point de vue là après je leur dis aussi il y a des mots qu'il faut peut-être faire attention sur le poids que ça peut avoir par exemple je sais que les personnes congolaises et je crois que j'avais cette discussion là avec un interprète qui m'expliquait qu'en Lingala on va souvent se présenter comme j'ai un petit travail, alors je peux pas vous faire la traduction je la connais plus et c'est un travail en fait en France on sait que quand on ajoute l'adjectif petit travail ça minimise Ça laisse entendre que c'était peut-être un travail de pas très grande qualité. Et moi, ça peut paraître encore une fois très bête, mais je leur dis, si vous pouvez le jour de l'entretien, avoir conscience de ça, que en français, quand c'est traduit, ça peut avoir cet impact-là. Alors qu'en fait, il n'y avait pas d'enjeu sur votre travail. Que vous étiez, vous aviez un travail en fait. Et je ne veux pas qu'à un moment, l'officier puisse se dire, j'ai potentiellement quelqu'un qui est venu pour des raisons économiques, alors que ce n'est pas du tout de ça dont on parle. Avec tout le respect que j'ai pour ces parcours de là, ce n'est pas le sujet, le moment de l'entretien. Et donc, ça peut faire partie des petites pirouettes à replacer. Et puis après, se pose ce que tu disais, toi, très bien. Toute la question est la plus importante de comment je présente mon histoire. Donc, elle doit avoir un ordre chronologique. Et ça, pareil, c'est vachement dur pour les personnes. C'est très, très dur. Personnellement, je ne me rappelle pas ce que j'ai fait il y a trois semaines. Demandez à quelqu'un, est-ce que tu peux me redire en 2012, quel mois, quel jour, allez, faisons ce petit bonus, tu as décidé d'aller porter plainte et... On a tellement une vision tellement limitée en se disant c'est un moment tellement important de sa vie, évidemment qu'il va s'en rappeler ou elle s'en rappelle. Je vous invite tous à vous plonger dans des événements traumatiques ou pas. Je ne suis pas sûre qu'on ait ce degré parce que déjà notre cerveau nous protège, ça c'est scientifique. Il y a plein de rapports et moi je les utilise à chaque fois. Je crois que c'est la convention d'Istanbul qui rappelle que les victimes de post-stress traumatiques elles ont une incapacité physique. Ce n'est pas des menteurs, c'est une incapacité physique. de vous décrire avec précision des événements. Donc ça, c'est des choses qu'il faut rappeler régulièrement. Je trouve aux officiers, à la CNDA, c'est absolument valable, évidemment, que dans certains dossiers, c'est très difficile d'avoir le degré de précision qui est attendu. Pourquoi la précision est attendue de la part des officiers, et nous, du coup, conseillers en tant qu'avocats, c'est que ça augmente, ça augmenterait en tout cas dans la vision générale, la crédibilité du récit. Plus vous êtes précis, plus on arrive à être embarqué dans l'histoire. Moi je dis toujours aux gens, essayez de nous raconter votre histoire comme un film, puisque c'est une expression que j'ai entendue, je ne sais pas si toi tu l'as entendue, que ce soit à la CNDA ou dans des discussions plus ou moins off avec d'autres rapporteurs ou avec des personnes qui ont bossé à l'OFPRA, c'est qu'il y a un souci de visualiser les faits, de visualiser la situation. Donc leur redire, il faut dérouler tout doucement, progressivement, en revenant d'ailleurs à la source de votre histoire, pas d'aller directement... J'ai eu un conflit avec ce général qui m'a enfermée, etc. Revenons, on repart dès le début. Amenez votre histoire, qui vous êtes ? Et donc c'est vraiment tout un travail de déconstruction et ça prend du temps. Mais il faut le faire en fait, pour que tout ça ait du sens. Pour ce qu'on se dit ce matin, ça peut avoir un poids énorme. Et donc évitez à la personne d'aller devant la CNDA. Parce que c'est pareil, j'entends... Plein d'intervenants différents, à des titres différents, qui parfois ont cette phrase que je trouve vraiment très malheureuse, de dire « Bon, au pire, il y aura la CNDA » . Mais on ne peut pas dire ça, en fait. Au pire quoi ? Reraconter son histoire ? Aussi sensible, aussi difficile. On parle de gens qui ont quitté leur pays d'origine, qui ont un parcours en France, franchement, les trois quarts, hyper difficile, d'intégration, de reconstruction, d'amour propre, de compréhension de ce qui leur arrive. Vous ne pouvez pas dire que c'est anodin d'aller heureux devant un juge cette fois-ci, ou en plus ils ont l'impression de passer devant un procureur, d'être criminels. Et vu ce qu'on est en train de lire en ce moment, on est à deux doigts de se poser la question. Alors je le rappelle, il n'y a rien de criminel. Ce sont des gens qui demandent une protection internationale. Donc on est sur du droit administratif. Ils ne sont pas du tout accusés de rien. Mais il y a vraiment cette confusion-là, puisque le degré de question qui est posé, la manière dont nous-mêmes on les prépare, ça prête à s'interroger sur... Est-ce que je suis de bonne foi ? Est-ce que je suis quelqu'un de bien ? Il y a vraiment une confusion des registres. Et moi, je sais qu'aussi, mon travail d'avocat, c'est de leur redire ça. Leur dire, vous n'avez rien fait de mal. Par contre, votre boulot, votre devoir pour espérer, convaincre, emporter la conviction et donc obtenir une protection, c'est de raconter le plus intime. Avec, encore une fois, cette limite de, il y a des choses qu'il n'y a pas à raconter. On n'a pas à raconter le nombre de fois et avec qui on a eu... des relations sexuelles, quand on dit qu'on est une personne homosexuelle en Mauritanie. Il y a des lignes rouges dans l'intimité. Et ça, c'est aussi notre travail de sensibilisation et de se rendre accessible. C'est le mot que je suis un peu obsédée par ça. L'accessibilité. Il faut que nous, professionnels, on rende notre discours compréhensible. Ça ne sert à rien de préparer quelqu'un avec des grands concepts juridiques qu'il ne maîtrisera pas. Et ce n'est pas... Comment dire ? Il n'y a pas d'arrogance, encore une fois, quand je dis ça. Il ne va pas comprendre. C'est que, de fait, c'est très compliqué. Même nous, les professionnels, on peut être dépassés par les régulations, les lois qui changent. Donc, ça va très vite. Il faut qu'on se rende accessible pour vraiment le bien-être et les droits des personnes.
- Speaker #1
Dominique, je voulais te demander quelles sont les différentes issues possibles après un entretien à l'OFPRA, mais je crois qu'on a compris que finalement, l'OFPRA va prendre soit une décision de rejet de la demande d'asile à ce stade, dans ce cas-là, il est possible d'aller devant la Cour nationale du droit d'asile pour contester ce refus, ou l'OFPRA va accepter la demande d'asile à ce stade et... Offrir le bénéfice de la protection internationale à la personne. Je voudrais plutôt te questionner sur un thème qu'on a déjà abordé, le film L'Histoire de Souleymane, parce que ça a permis de rendre compte d'une réalité sur la difficulté rencontrée par les demandeurs d'asile et notamment à un stade crucial qui est l'entretien devant l'OFPRA, puisque tout le film se joue autour de ça, de son entretien qui arrive à l'OFPRA et de tout ce qui lui arrive en amont. Et on voit qu'il n'arrive pas dans les meilleures conditions devant l'officier. Est-ce que tu trouves ça crédible, la manière dont la dernière scène est présentée ? Alors je sais qu'elle a ému plus d'une personne, et donc je suis désolée pour ces personnes par avance, mais c'est vrai que la première chose que j'ai pensée, c'est que je n'imaginais pas une officière... prendre la personne droit dans les yeux et la confronter aux mensonges potentiels qu'elle est en train de raconter pour qu'il raconte son vrai récit, puisque c'est ça la manière dont la scène est présentée. Est-ce que t'as un avis là-dessus ?
- Speaker #0
Je te rejoins complètement. J'ai adoré tout le film, je l'ai trouvé très juste, et bravo, encore une fois, et super qu'il ait gagné le prix César. Ouais, magnifique. Maintenant, pareil, c'est-à-dire qu'arrive la scène de fin et je regarde et voilà, j'étais là. C'est pas crédible une seconde, ça va