- Speaker #0
Bonjour à tous, bienvenue au public dans la salle de l'Aubette,
- Speaker #1
bienvenue à ceux qui nous suivent sur Internet,
- Speaker #0
Forum européen de bioéthique.eu et pour la première fois aussi les épisodes qui sont disponibles en podcast quasiment dès le soir venu. Première table ronde de l'après-midi, santé mentale et bioéthique, comment définir la norme d'un être humain tout en nuances. Je vais laisser la parole à Bernard Berty qui est docteur en philosophie. qui a enseigné l'éthique et qui a présidé la Société suisse de philosophie, qui est membre du conseil scientifique, du conseil d'administration et qui est présent à nos côtés depuis le début de l'aventure du Forum européen de bioéthique. Bernard Berthier, je suis très heureux de te donner la parole.
- Speaker #2
Merci Aurélien et merci aussi de l'invitation. C'est vrai que ce Forum de bioéthique, depuis 15 ans qu'il a lieu, je me souviens de la première fois où je suis venu, où j'étais absolument impressionné par cet événement. qui était à nul autre pareil, on peut dire, puisque c'était la seule chose, et ça reste un peu le seul événement de bioéthique et de participation du public en Europe qui ait une telle qualité, une telle notoriété. Alors cet après-midi, dans cette première table ronde, on va s'occuper du concept de normalité. Je suis philosophe, comme Aurélien l'a dit, donc nous les philosophes on aime les concepts, on s'occupe même des fois plus des concepts que des êtres humains. Enfin là, on arrivera à faire la jonction, je pense. Et effectivement, comme le dit le petit texte d'introduction à notre table ronde, définir ce qui est normal en matière de santé mentale est une tâche complexe, controversée et potentiellement dangereuse. Bon alors, une manière d'éviter la difficulté, la controverse et le danger, ce serait de renoncer à définir la normalité. Et c'est bien ce qu'on tend à observer de nos jours. La normalité... est remplacée par la typicité. Au lieu de normalité mentale, donc, on parle de neurotypicité et nous entrons dans un monde de neurodiversité et de neurodivergence. Cette manière de s'exprimer est moins normative et donc potentiellement moins stigmatisante. Elle est même valorisante parce que la diversité est un terme connoté positivement, contrairement à la normalité ou à la maladie. Mais malheureusement, ça ne supprime pas vraiment la question fondamentale de la limite. Jusqu'où ce qui est atypique peut-il être considéré comme un fonctionnement normal, quoique divers ? Et je vous rappelle qu'une définition largement acceptée de la santé, même si ce n'est pas celle de l'OMS, c'est que la santé consiste dans un fonctionnement normal de l'être humain. Manifestement, certains états neuropsychiatriques tombent en dehors. On peut penser à la schizophrénie. D'autres sont plus difficiles à classer, ainsi l'hyperactivité ou l'autisme. Et puis qu'en est-il de la psychopathie, socialement délétère, mais classée par certains comme une simple manifestation de neurodiversité. Par ailleurs, si l'atypicité ne recouvre que des variations à l'intérieur de la normalité, Pourquoi mobiliser des ressources médicales et économiques publiques pour s'en préoccuper ? Et pourquoi considérer que c'est un malheur que d'en être affligé ? Inversement, considérer une condition comme une maladie, c'est assurer sa prise en charge par la société. Ainsi, la question du normal et de la norme oscillent entre deux dangers. La stigmatisation d'une part, et l'absence de prise en charge d'autre part, au risque de mettre en péril la solidarité. Aussi bien que l'égalité des chances, qui est l'égalité fondamentale dans ce que nous considérons comme une société juste. Et cette préoccupation n'est pas purement théorique parce qu'en venant d'Anguère, dans le train, je lisais un article d'une personne qui était une médiatrice de santé PR, on a vu ce matin en quoi ça consistait, d'une ancienne personne, enfin une personne ayant souffert de pathologies, qui aide ceux qui en souffrent actuellement. Et bien cette personne faisait un article où elle analysait Les différentes manières de parler de la santé et de la maladie mentale et remarquez qu'on oscillait toujours entre deux modèles, entre le modèle de la diversité et le modèle de la maladie et que ce n'était pas facile de faire le départ entre deux et d'arriver à se mettre d'accord là-dessus. Alors c'est un sujet que l'on va aborder cet après-midi avec quatre intervenants qui seront dans l'ordre. D'abord Romain Coutel qui est pédopsychiatre. chef de service à Mulhouse et professeur à Strasbourg. Il est aussi docteur en neurosciences et chercheur spécialisé en autisme au sein de l'unité mixte de recherche Inserm à Strasbourg. Ses recherches s'inscrivent dans une perspective multidimensionnelle et croisent les aspects développementaux, émotionnels, cognitifs, neurologiques, génétiques et environnementaux de l'autisme de l'enfance à l'âge adulte. Et puis, nous écouterons Yves Alambic, pédiatre. qui a longtemps été généticien aux hôpitaux universitaires de Strasbourg. Il s'est toujours intéressé au domaine du handicap, de sa découverte et de la prise en charge. Il est actuellement président du conseil d'orientation de l'ERRÈGE Alsace, qui est l'espace régional éthique du Grand Est. En troisième position, c'est Guillaume Durand qui interviendra, qui est lui philosophe, spécialiste d'éthique médicale et bioéthique. Maître de conférence en philosophie à Nantes, université, et directeur de la consultation d'éthique clinique au centre hospitalier de Saint-Nazaire. Et enfin, Pierre Vidaillet, qui est professeur de psychiatrie, chef du pôle psychiatrie santé, mandale et addictologie des hôpitaux universitaires de Strasbourg, et président du Collège national pour la qualité des soins en psychiatrie. Donc vous voyez, philosophe et médecin, c'est dans le fond... La formule de base de la bioéthique ou de l'éthique biomédicale, de faire dialoguer ces deux disciplines entre elles, qui s'est largement ouvert depuis aux droits, aux sciences humaines, aux sciences sociales, etc. Mais on est au cœur de notre problématique. Bien, donc je vais passer la parole à Romain Coutel et peut-être lui poser une petite question à laquelle il répondra s'il y a lieu. Comment définir la norme en psychiatrie ?
- Speaker #0
Merci beaucoup. C'est une question très ambitieuse. Il y a des philosophes parmi nous et je vais vraiment prendre le parti de la clinique et du terrain pour essayer de rendre compte des enjeux de la norme dans ma pratique de pédopsychiatre. Je remercie vraiment d'avoir si brillamment posé la problématique qui est déjà beaucoup développée et discutée. Pour ma part... Ce que je voulais rappeler en tant que pédopsychiatre, c'est que la norme est incontournable. En tant que psychiatre, on a besoin d'avoir des normes, pas travailler sans normes. Et la norme est tellement importante qu'on a aussi utilisé des normes pour caractériser les troubles psychiatriques. Et ça a été très long de définir de manière consensuelle les troubles psychiatriques. Et c'est d'ailleurs toujours en débat. Définir la norme pour les troubles eux-mêmes, c'est quelque chose qui est extrêmement important. Alors il y a eu des tas de théories qui variaient suivant les pays, voire suivant les universités, pour définir les différents troubles, et il y avait une immense diversité, ce qui faisait que c'était très difficile de se mettre d'accord sur, par exemple, ce qu'était une schizophrénie. Et les dernières classifications qui viennent justement normer les troubles, s'appuie sur des critères qui sont souvent, a priori, très simples, très accessibles et qui sont présents quand la majorité des psychiatres ou des psychologues estiment que, par exemple, ce patient souffre de schizophrénie. Et ça, c'est vraiment important dans ce que ça a donné ensuite. C'est qu'on a des classifications qui s'avèrent... être, à mon avis, faussement, mais simple, clair, intelligible. Si on commence à parler de psychiatrie, au début du siècle, il fallait appréhender des manuels de psychiatrie plutôt complexes. Aujourd'hui, vous allez sur Wikibédia et vous avez les critères du DSM qui sont les critères utilisés en clinique comme en recherche. Et donc, à la fois, c'est très intéressant parce qu'on a l'opportunité d'avoir une norme qui est universelle. Et en même temps... ces classifications, cette approche de la norme en psychiatrie a vraiment été victime de son succès. Et je crois que c'est vraiment lié à l'intelligibilité des critères utilisés et de la manière dont ils sont présentés. Un autre souci de la norme en psychiatrie, quand on voit la norme comme ça, on se dit pour une personne donnée, il y a ce qui est dans la norme et ce qui est hors norme. Or, une personne, c'est de nombreuses dimensions. Et logiquement, en psychiatrie, on va s'intéresser aux aspects multidimensionnels de la personne. Je pourrais en citer quelques-uns. l'attention, la mémoire, la socialisation, la communication, la motricité, la lecture, l'écriture. Et on voit que si on multiplie les dimensions, la probabilité d'être hors norme sur une de ces dimensions devient très importante. Et de fait, d'une certaine façon, le hors norme peut devenir la norme. On l'entend, quelqu'un, c'est mon cas, qui est très étourdi, va justifier le fait qu'il est tourdi par le fait qu'il a un trouble attentionnel ou des choses comme ça. Ou tel autre qui est en retrait, on va dire, ou lui-même va dire qu'il se sent autiste. Ou tel autre qui a des difficultés d'écriture va dire qu'il a une dyslexie. Donc on voit que les personnes, c'est une observation courante, les personnes se saisissent de ces concepts pour parler de leurs difficultés. hors normes acquiert dans le discours public une place très importante. Mais là, la question se pose de savoir, vu que la question c'est vraiment de la norme et du pathologique, savoir est-ce qu'on parle vraiment de troubles et est-ce qu'on parle de pathologie ? Et puis il y a la question aussi de la typicité, mais j'y reviendrai. Une manière quand même d'avancer, c'est de rappeler quelques évidences, mais en fait, ce n'est pas si simple en pratique. C'est-à-dire que pour définir les troubles, comme je vous l'ai dit, on a défini un certain nombre de signes. Mais les signes, vous prenez l'hyperactivité chez l'enfant, vous avez des signes relatifs aux troubles attentionnels, à l'impulsivité ou l'hyperactivité motrice. Mais ce qui me semble très important, c'est de faire comprendre que Les signes, ça ne suffit pas. L'enjeu, c'est vraiment le retentissement. Et ça, c'est toujours oublié. Ou alors, on dit qu'il faut un retentissement sur la famille, les aspects professionnels, voire de loisirs, mais c'est juste une seule phrase comme ça. Or, ça, ça mérite... Ça marche, là ? C'est bon ? En tout cas, ça, ça mérite... Non, ça ne marche plus. Il y aura peut-être du Larsen. Non, je ne sais pas. Donc, en tout cas, tout ça mérite d'être précisé. C'est l'aspect, le retentissement du trouble dans le quotidien. Et c'est des travaux qu'on développe actuellement pour essayer de beaucoup mieux caractériser le retentissement. Et ça permet de limiter... à mon sens, l'intervention de la psychiatrie à ce qui pose le plus problème. Alors, ces aspects du retentissement, ils ont deux faces. Une face qui est finalement assez objectivable, c'est les conséquences du trouble. Alors, moi, ma spécialité, c'est la pédopsychiatrie, donc ça va être les conséquences du trouble dans le quotidien de l'enfant, à l'école, quand il est en famille, quand il est en loisir. Et je vous assure que... Ces critères-là, aussi simples soient-ils, c'est moins simple dans leur exploration, vont permettre de caractériser la place de la psychiatrie et ce qui n'en relève pas, à la mesure de l'importance de l'impact. Une autre phase de ce retentissement, c'est le retentissement subjectif. Vous pouvez avoir des difficultés en lecture. qui ne relève pas de la dyslexie, et le vivre très mal. Auquel cas, le retentissement subjectif est très fort. Malgré le fait que le retentissement objectivable sur vos capacités d'apprentissage, sur votre vie au tous les jours, est finalement minime. Et là, il y a un vrai danger. Il y a un vrai danger parce que ça serait de médicaliser le malheur. Le malheur, la souffrance, ça fait partie de la condition humaine. Et je pense que c'est vraiment important en santé mentale de ne pas tout, on disait psychiatriser avant, et je pense que c'est un terme qui reste intéressant, enfin en tout cas de vraiment circonscrire le cadre de notre intervention. C'est particulièrement important. Alors moi, il se trouve que je suis un spécialiste de l'autisme et je ne pense pas, et loin s'en faut, que toutes les personnes qui ont un fonctionnement autistique relèvent d'un trouble, voire d'une pathologie, voire de la psychiatrie. Il y a des personnes autistes qui travaillent, par exemple, en recherche, qui sont mariées, qui ont des enfants. Oui, ils ont un fonctionnement. qui diffèrent de la norme sociétale. Et alors ? Je dirais, pour moi en tant que psychiatre, ce n'est pas mon affaire. Par contre, c'est mon affaire de faire que les personnes autistes qui présentent par moments des difficultés d'adaptation majeures, j'ai suivi régulièrement des adolescents autistes hyper compétents mais qui traversent des moments dépressifs extrêmement sévères et qui veulent se suicider. Donc là, il s'agit à ce moment-là d'intervenir, de leur permettre de dépasser ce moment et de retrouver... Une vie, et pas mal d'exemples où ça s'est très bien passé, de personnes qui sont finalement sorties du champ de la psychiatrie, ils sont toujours autistes bien sûr, mais dans leur vie, ils ne ressentent pas d'impact au niveau subjectif, mais ils en ont aussi très peu au niveau objectif. Tout ça, c'était pour vous montrer comment, en pratique clinique, comme en recherche d'ailleurs, l'enjeu c'est vraiment de croiser Certes, le normal du pathologique, mais aussi la diversité dans la norme. C'est croiser ces enjeux de neuroatypicité, de troubles et de pathologie et de la norme. Et je pense que si on commence à distinguer des différents niveaux, c'est ainsi qu'on pourra penser des politiques de santé qui ne soient pas trop ambitieuses. pas tout dans le champ de la psychiatrie ou de la santé mentale et qui respectent la diversité sans être stigmatisantes. Je pense que c'est vraiment un équilibre extrêmement dynamique. En tout cas, c'est ce que nous, on cultive en clinique, c'est ce qu'on vise. Je ne vous dis pas qu'on y arrive tous les jours, mais c'est vraiment ce qu'on vise. Et je trouve que ceci nous permettrait d'éviter des situations catastrophiques où, par exemple, au nom de l'inclusion, on va accueillir des enfants... Enfin... On prétend accueillir à l'école des enfants autistes avec des troubles du développement intellectuel très sévères et rien n'est adapté. Du coup, ils sont exclus et ils se retrouvent à la charge de leurs parents. C'est une problématique qu'on rencontre malheureusement extrêmement souvent. Donc, vous voyez que des enjeux sur la norme qui peuvent apparaître au préalable très théorique comme ça, ont des impacts dans la vie des gens qui sont très importants. Je m'en tiendrai là pour passer la parole au collègue.
- Speaker #2
Merci Romain Goutel. Et comme vous dites, en soulignant l'importance du retentissement sur la vie, ça permet effectivement de... de mettre un peu de chair dans des questions qui pourraient paraître relativement théoriques. Vous avez aussi souligné quelque chose que j'ai trouvé intéressant, c'est le risque de médicaliser le malheur. Et en même temps, et ça va peut-être dans la même direction, le fait que l'on parle de ces difficultés en termes psychiatriques. Ou je suis autiste. Des fois, c'est des plaisanteries, mais des fois, c'est plus sérieux que ça. Et je me demande si ça ne participe pas de ce phénomène qui est l'augmentation du nombre de diagnostics des maladies. psychiatrique qu'on observe. Et justement, Yves Alambic, je vais vous passer la parole en vous posant un peu la question suivante, c'est qu'on observe une telle augmentation, notamment chez les enfants. Il y a de plus en plus d'enfants qui sont diagnostiqués comme étant souffrant d'hyperactivité ou de forme d'autisme plus ou moins sérieuse. Est-ce que c'est vraiment une augmentation ou bien simplement que... on assiste à un changement de normes et au fait que, évidemment, si on baisse le seuil d'une norme, on aura plus de personnes qui seront diagnostiquées de cette façon-là.
- Speaker #1
C'est bien, je crois que vous avez tout dit. C'est exactement ça. Je remercie les organisateurs et Aurélien Benoît-Ly d'avoir invité un pédiatre à participer à cette session qui est très philosophique. Moi, j'interviendrai à un niveau plus pédiatrique parce que dans mon expérience, il me semble qu'il y a un changement très important en cours dans la réflexion sur la santé mentale des jeunes, aussi bien pour le diagnostic que pour l'accompagnement. Alors moi, ce que je souhaite évoquer, c'est effectivement la notion des troubles du neurodéveloppement et en particulier le trouble de la tension avec ou sans hyperactivité et impulsivité qu'on appelle en France le TDAH ou AHDH aux Etats-Unis. C'est un sujet qui me préoccupe parce qu'il est devenu quasiment épidémique et un véritable problème de santé publique. C'est un phénomène de mode, avec cette notion de trouble du neurodéveloppement au XXIe siècle, depuis les années 1990, on peut dire, après un XXe siècle où l'importance du psychisme et de l'inconscient avait été si marquante. Est-ce qu'il y a un changement de représentation de ce qu'est un enfant ? qui est un être de langage où la vie psychique est l'inconscient à sa place, dans sa complexité, avec le neurobiologique et le social. Et une question un peu difficile, c'est veut-on devenir une société calquée sur ce qui se passe en Amérique, avec des enfants contrôlés sur ce plan, par exemple pour être admis à l'école ? Sommes-nous fascinés par ce qui se passe aux Etats-Unis ? Comment puis-je comprendre qu'actuellement plusieurs enfants d'une même famille soient tous atteints ? à des degrés divers, l'un avec une dépression, le second ou la seconde avec des troubles des apprentissages divers, qu'on appellera dysorthographie, dyslexie, graphie, praxie, et le troisième, TDAH, dans une même famille. Doit-on réellement passer de symptômes à la notion de handicap, puisqu'on aboutit souvent à devoir faire un dossier pour la maison départementale du handicap pour obtenir en France un accompagnement psychothérapique ou un accompagnement à l'école par une accélère de vie scolaire ? Alors, revenons un peu sur tout cela. Qu'est-ce qui perturbe le processus de développement cérébral ? Les troubles du neurodéveloppement sont définis au sein du manuel américain de diagnostic et de statistique des maladies mentales, le DSM-5. Il se caractérise par une perturbation du développement cognitif ou affectif de l'enfant qui entraîne un retentissement important sur le fonctionnement d'adaptation scolaire, sociale et familiale. Il regroupe les handicaps intellectuels, les troubles de la communication, du spectre autistique, les troubles des apprentissages. et on y inclut le TDAH. La perturbation de ces processus de développement du cerveau conduirait à un trouble du neurodéveloppement dans une ou plusieurs de ses fonctions cérébrales. En fait, le TDAH toucherait, selon les dernières études épidémiologiques, 6% des enfants et des textes officiels rendent compte de leur existence. Avec le projet gouvernemental des 1000 jours, les interventions précoces sont censées améliorer la trajectoire de développement de ces enfants. Le TDAH est qualifié de trouble neurobiologique, caractérisé par l'association des trois symptômes à des degrés variables, un déficit de l'attention, une hyperactivité, une impulsivité. On décrit avec cela des enfants qui sont intolérants à la frustration, plus irritables avec un sommeil difficile, des difficultés scolaires, des motivations, des comportements d'opposition, de colère, d'agressivité, des conflits avec les camarades. On ne peut que constater un développement exponentiel de diagnostics posés à partir de la constatation, et souvent à l'école, de ce type de troubles du comportement peu spécifique. Certaines études, en particulier américaines, affirment qu'il s'agit d'un trouble associé à des anomalies structurelles ou fonctionnelles du cerveau, et ceci justifierait pour ces études une prise en charge précoce psychothératique de type très particulier qu'on appelle cognitivo-comportementale et médicamenteuse par des dérivés des amphétamines. C'est ce qui se passe aux Etats-Unis, où on évoque le chiffre de 10% des enfants et adolescents traités actuellement par méthylphénidate ou ritaline dans certains états américains. Les enseignants peuvent même réclamer la prise de ce médicament pour garder un enfant dès la maternelle en classe. En France, nous en sommes à 0,7% d'enfants traités, avec un doublement en 10 ans. Je parlerai tout d'abord d'un enfant de 8 ans, intelligent, que les parents m'amènent parce que son comportement est devenu difficile. voire insupportable, aussi bien à l'école qu'à la maison, avec de la souffrance pour l'entourage familial. Après des années de consultation de psychologues en privé, dans des centres pour des troubles du comportement, des difficultés à s'adapter à l'école et dans sa famille, on pose le diagnostic de TDAH. Et alors on décide de mettre en place un traitement médical, la ritaline, qui améliore les symptômes que présente l'enfant dans le milieu social. Il est beaucoup plus calme. Il y a bien là une cible neurobiologique, ça marque, mais ceci n'indique pas pour autant que cela règle la souffrance psychique de l'enfant et le problème de fond. Voici un deuxième exemple. Un enfant de 5 ans que j'ai toujours trouvé joyeux et vif fait l'objet à l'école de remarques sur son comportement agité. Et ça, c'est très fréquent. Il ne peut rester longtemps en place, il a besoin de changer d'activité, il parle beaucoup. L'enseignant évoque l'hyperactivité et propose aux parents de réaliser une évaluation en leur donnant un document appelé échelle de Connors. Il s'agit d'observer dans le comportement de l'enfant dans sa vie quotidienne un certain nombre d'éléments qui seront notés par les parents de 1 à 5 et dont la somme permettrait de dire que l'enfant est atteint d'un TDAH ou non, avec toute la subjectivité des parents. Il va sans dire que ce n'est pas ainsi qu'il est souhaitable de procéder, même si l'enseignante partait d'une bonne intention. Je vois pour ma part un dévoiement de la recherche de diagnostic, et pour l'école, La recherche de solutions pour avoir des enfants plus calmes dans un contexte de contraintes croissantes pour les enseignants qui n'en peuvent plus protocoles, évaluations, contrôles en tout genre. Alors actuellement le diagnostic de TDAH et son éventuel surdiagnostic suscitent des débats intenses parmi les professionnels de santé, les chercheurs et les parents. On observe fréquemment des troubles associés au TDAH comme l'anxiété ou la dépression précoce et la question qui se pose alors est de comprendre si l'agitation, le manque d'attention, de concentration L'intolérance à la frustration en sont une conséquence ou une cause ? Et quelle est la place de la vie psychique de l'enfant là-dedans ? Qu'est-ce qui relève de troubles de la relation et du lien social ou de conflits psychiques ? Il faut bien rappeler l'importance de la relation et le lien d'attachement parent-enfant dans le développement psychique de l'enfant. Et même l'Académie de médecine évoque les parents, acteurs du neurodéveloppement de leur enfant, dans un document récent. Le cerveau humain se développe dès la vie fétale, il est en pleine construction à la naissance. Et pendant plusieurs années, avec toutes ses fonctions, le petit humain est dépendant de son entourage, de sa famille, de l'environnement. Il y a des facteurs biologiques et génétiques, mais également sociaux et environnementaux qui vont intervenir dans sa maturation progressive, qui est plus ou moins rapide avec des étapes bien connues des pédiatres. On ne pourrait donc pas définir un trouble comme réduit au neurobiologique sans l'associer d'une part au développement du psychisme de l'enfant, et chaque enfant a son rythme de développement et de maturation psychique propre, et d'autre part... Il convient de rappeler les facteurs de risque sociétaux et sociaux que sont la pauvreté, les carences éducatives, la situation familiale, la surexposition aux écrans et aux vidéos, avec un flot qui peut être verbal et continu sans que l'enfant puisse jamais intervenir là-dedans de manière précise. En face à face, on observe davantage d'enfants en difficulté de façon générale, dont la société et les services de pédopsychiatrie débordent, comme les CMP et les CMPP, alors que le nombre de pédopsychiatres est au plus bas actuellement. Je crois qu'on en a à peu près 600. Bernard Golles, pédopsychiatre bien connu, évoque la notion d'enfant non conforme et le risque de pathologisation de l'enfant dans une société elle-même agitée et troublée. Comme il le dit, plus une société est agitée, moins elle tolère les enfants agités, mais plus elle crée les conditions de leur agitation. Et un mot pour insister sur des diagnostics faits tôt dans la vie et qui enferment les enfants, dit autiste à l'âge de 2 ans, dysphasique, etc. d'une manière qui est parfois déréalisante. Alors à la question comment définir la norme d'un individu ? je remarquerai ceci. On parvient difficilement à trouver une limite nette entre une variation normale de tous les symptômes que j'ai décrits auparavant et un trouble pathologique authentique, et je rejoins Romain Coutel. Aidons-nous alors de Canguilhem, grand philosophe de la médecine. Il insiste sur la subjectivité du pathologique, et il change de perspective et quitte l'approche scientifique pour adopter le point de vue subjectif du malade. C'est l'expérience du sujet individuel qui compte en premier, avant d'être une catégorie scientifique. Le normal et le pathologique ne peuvent être définis de manière purement quantitative ou statistique, comme le fait le DSM-5 américain, ce manuel de statistique. L'individu normal est une fiction, il n'existe pas comme tel, il n'y a que des variations de la norme et tout le monde n'a pas les mêmes besoins singuliers. Car contrairement à la machine, l'homme est capable de surmonter ses faiblesses, il peut tomber malade et s'en sortir. La norme chez un individu est liée à la capacité de l'organisme à s'adapter et à maintenir son intégrité dans un environnement changeant. Il existe tout un éventail de possibilités permettant à un individu de s'adapter et d'instituer ses propres normes. Au niveau de la société, les critères de ce qui est normal ou pathologique varient en fonction des normes culturelles et sociales. Et ce qui est considéré comme pathologique dans un contexte peut être perçu comme une variation normale dans un autre contexte et pour un autre individu. La santé et la maladie ne sont pas des états objectifs, mais des jugements de valeur à l'échelle individuelle qui peuvent influencer les décisions médicales et les traitements proposés. Et c'est pourquoi on ne peut imposer de normes rigides à chacun. La conformité n'est pas la normalité. Alors on peut légitimement se poser quelques questions. On peut se poser la question des critères du DSM-5 qui est tout puissant dans le monde actuellement. Quelle est la limite pathologique entre un enfant plein de vie et un enfant trop agité mais qui gêne beaucoup les autres. La séparation neurobiologique versus environnement n'a pas vraiment de sens.
- Speaker #0
Ce diagnostic de TDAH et de troubles neurodéveloppementaux sont en voie de médicalisation excessive, je pense, et ils interviennent, et il faut vraiment le souligner, des enjeux financiers avec les laboratoires pharmaceutiques qui font des campagnes de marketing auprès des associations de parents, qui utilisent des flyers pour inciter à traiter des patients. J'ai récemment reçu un document, le MediTinet, pour avoir un enfant plus calme. Les laboratoires exercent une influence significative sur la pratique de prescription des médecins. On peut même penser que certains critères du DSM-5... sont créés pour permettre à des laboratoires de vendre. Je peux citer différentes choses. Le taux de diagnostic varie considérablement d'un pays à l'autre, suggérant que des facteurs culturels et sociaux influencent le diagnostic. Et je prendrais l'exemple d'un voyage en train, avec des enfants de 2 à 5 ans, au Japon, aux Etats-Unis, en Italie ou en France. Le bruit et l'activité agitée engendrée y sont complètement différents. La réflexion concernant les liens d'attachement précoce, la qualité des soins précoces, représente un enjeu de santé publique et d'éducation parentale justifiant de soutenir les réseaux de protection maternelle et infantile, les lieux d'accueil par enfant et les maisons vertes. Il convient de prendre en compte l'enfant dans son environnement, ses difficultés psychiques et de développement. Je crois qu'il faut se souvenir de ce que c'est qu'un enfant. Comme disait François de Zolto, l'enfant, devenant, allant et devenant. Mais une fois établi, que proposer quand il y a un tel retentissement sur la vie de l'enfant, sa scolarité et sa famille ? Afin de rester dans la norme sociale et la vie de collectivité, la scolarité, comment soulager la souffrance de l'enfant et de son entourage ? Comment réfléchir à la place psychique des symptômes qu'il donne à voir et donner une place aux psychothérapies prenant en compte l'enfant dans sa globalité ? Alors qu'il y a si peu de pédopsychiatres et de psychologues. Et que c'est pas remboursé. Et l'administration de médecine phénidate doit, selon moi, rester limitée à des indications bien précisées. Mais attention, le développement de tous ces médicaments touchent à présent les adultes qui se découvrent TDAH à l'âge adulte de manière également exponentielle. Pour conclure, dans notre société, quelle est la norme sociale ? Quels sont les jugements de valeur encore actuellement ? L'enfant est-il un objet ou un sujet dans son comportement ? Les symptômes que présente l'enfant ne sont-ils pas les signes d'un malaise dans la société ? Quelle est la signification de l'augmentation considérable de la fréquence de ces troubles ? La part de la surexposition aux écrans, de certains réseaux sociaux, le zapping permanent ? Les difficultés d'éducation, d'apprentissage de l'effort, de la ténacité, de moments de calme, voire d'ennui, si utiles à la créativité, jouent un rôle dans ces troubles pour beaucoup d'enfants de notre société, ainsi que la situation de la famille qui se décline sous de multiples formes, en particulier monoparentales, et les conditions de vie. Alors, notre jeunesse souffre-t-elle plus que les générations précédentes ? Mais où voit-on une évolution positive de la prise en compte des difficultés de la jeunesse à vivre dans notre société ? La diversité des comportements de l'enfance fait partie de sa richesse et de sa créativité. Il ne faudrait pas l'uniformiser, le conformer dans un modèle simplificateur. Enfin cet enfant, aujourd'hui défini socialement par son TDAH, vers quel avenir va-t-il ? Devra-t-il toute sa vie, pour rester dans la normalité, prendre des médicaments ? Je vous remercie.
- Speaker #1
Merci beaucoup Yves Alambic de nous avoir rappelé qu'un enfant, c'est d'abord un être humain doué d'un psychisme et de langage aussi, bien sûr. Et si les conditions de son éducation ne sont pas bonnes, il aura forcément des difficultés. Alors ça complète, je crois, ce qu'on avait déjà vu hier où on insistait sur un autre aspect de la question. C'est les effets délétères des pollutions de l'environnement sur la santé mentale, y compris des enfants. enfants. Je pense que c'est multifactoriel ces questions-là. Mais vous avez raison, de même que Romain Goutel parlait du risque de médicaliser le malheur, il y a le risque de médicaliser les difficultés, toutes difficultés. Vous rappeliez aux États-Unis le nombre d'enfants qui prennent tous les matins de la ritaline. Les parents le demandent, les enseignants le demandent et les directeurs d'école aussi, puisqu'ils peuvent mettre plus d'élèves par classe, puisqu'ils sont plus calmes. Il y a une espèce de tendance qui va dans le sens de ce nouveau ministère des États-Unis de l'efficience et de l'efficacité, dont on verra bien ce qu'il donne. Mais pour l'instant, effectivement, on voit que statistiquement, vous dites, ça dépend des pays. Il y a des pays où il y a plus ou moins d'enfants qui sont atteints du TDAH. On est dans certains pays à 6%. On pourrait imaginer que ça augmente. Et alors, est-ce que... Ça ne pourrait pas devenir la norme, presque d'une certaine façon, puisque la norme est aussi corrélée à la fréquence. Et c'est sur cette question que j'aimerais questionner Guillaume Durand, notre troisième intervenant. Souvent, on dit que la norme est ce qui est le plus fréquent. Donc la normale, c'est ce qui est rare. Mais est-ce que c'est une équation correcte ?
- Speaker #2
Tout d'abord, je voudrais vraiment remercier encore une fois les organisateurs de m'avoir invité. Cet événement vraiment majeur, je le dis, ce n'est pas une formule de politesse, le Forum européen de bioéthique est vraiment l'événement majeur en bioéthique en France et au niveau européen. C'est un honneur et vraiment un plaisir de venir à chaque fois dans cette ville qui est magnifique, la ville de Strasbourg. Je vais répondre à ta question Bernard, de faire un petit peu un pas de côté et de jouer un petit peu le rôle du philosophe un peu fou, je peux me permettre à côté des psychiatres. Je ne vais pas être trop flou non plus, je serai prudent, mais je vous propose de vous emmener un petit peu à côté, pour revenir à cette question, vous allez voir, et qui a été de toute façon très bien traitée déjà par mes prédécesseurs, sur la question de ce qui est normal, de ce qui est pathologique, et de la frontière entre les deux. Alors, je vais partir d'une expérience de pensée, une fiction, qui a été utilisée par l'équipe du... psychologue américain Jonathan Haidt, dans les années 2000, en fait, ils ont pris un groupe d'une trentaine de participants, en les questionnant sur la moralité ou non de différents types de conduites. Ils leur donnent des récits, si vous voulez, on leur demande de juger moralement de la conduite en question. Donc, par exemple, on prend une jeune femme végétarienne, l'exemple d'une jeune femme végétarienne qui travaille dans un laboratoire médical. C'est une pure fiction. et qui décide de découper et de manger un petit bout d'un cadavre humain donné à la science. Et donc on leur demande est-ce que c'est bien, est-ce que c'est mal. L'expérience de pensée dont je voudrais vous parler, elle est celle-ci. Marc et Julie, là encore c'est une fiction, sont frères et soeurs. Ils sont tous les deux majeurs et imaginez qu'ils sont en France, sur une plage du sud de la France. Ils se retrouvent seuls sur cette plage un soir et ils décident d'avoir une relation sexuelle. pour essayer, ce sera leur première expérience, un peu pour s'amuser. On dit bien, ce sera la première expérience sexuelle. Ils prennent le maximum de précautions. Julie ne sera jamais enceinte. Ça restera pour eux un souvenir agréable, un secret qui les rapprochera. Et ils décideront de ne jamais recommencer et personne n'en saura jamais rien. Et on demande aux participants, qu'est-ce que vous en pensez ? Est-ce que c'est mal sur le plan moral ? Quasiment toutes les personnes disent que c'est mal. Alors on leur demande d'argumenter. Ah bah oui mais Julie va peut-être être enceinte. Alors on dit non. On vous a dit dans l'expérience de pensée, elle ne sera pas enceinte. Oui mais certaines personnes vont l'apprendre et... Non, non, on vous a dit que... Et au bout d'un certain temps, ils sont bien forcés de reconnaître qu'ils n'ont plus d'argument. Mais ils continuent à juger cela mal. Ils disent, écoutez, peu importe, c'est mal. Voilà tout. Et là on trouve, si vous voulez, l'essence même des tabous. C'est-à-dire, je définis le tabou comme ça, ainsi, ce qui nous apparaît immédiatement comme un mal, indépendamment de tout jugement rationnel, et sans qu'on soit vraiment capable de se justifier. Freud, dans ce fameux texte au thème Les tabous en 1913, parlait de ce qui suscite une terreur sacrée Jonathan Haidt reprendra cette idée avec l'idée de stupéfaction morale. Le tabou, c'est ce qui est la plupart du temps, ce qui est doublement en dehors des normes. D'une part... en s'opposant à la norme au sens d'un impératif, de ce qui est prescrit. Vous voyez bien que Marc et Julie transgressent un des interdits majeurs dans notre société, transgression de la norme au sens moral. Et d'autre part, en accomplissant un acte qui est plutôt rare dans notre société. L'acte est ici contraire à la norme au sens descriptif, c'est-à-dire contraire à ce qui est simplement le plus répandu. Ceux qui transgressent de tels interdits s'exposent à la condamnation morale et sociale la plus lourde. Et une série de questions mérite d'être posées. Quel sens et quelle valeur accorder à de telles normes ? Sont-elles fondées rationnellement ? Sont-elles universelles ? Peuvent-elles être justifiées par leurs fonctions particulières dans une société ou dans une communauté ? Ou sont-elles au contraire des préjugés, des jugés moraux en particulier, qui entravent la pensée et l'action ? Est-ce que ce sont des limites illégitimes à nos désirs et à nos libertés ? Un des arguments forts contre la levée des tabous, contre celles et ceux qui sortent des normes, est porté non seulement par l'opinion commune, mais aussi, je crois, par les sciences médicales et notamment la psychiatrie. Et je vais le résumer ainsi, je vais me focaliser sur cette question. La transgression de ces normes, de ces prohibitions, serait le symptôme d'un trouble psychiatrique. Autrement dit, ceux qui franchissent la frontière de la normalité souffrirait d'un trouble psychique et le plus souvent aussi d'ailleurs on va les considérer en tout cas la société les considérera comme des criminels or on l'a dit c'est une immense et complexe question en philosophie de la médecine que celle de la définition de la santé de la maladie mais aussi du normal et du pathologique alors en france cette question vous là elle est le un des piliers majeurs de l'oeuvre fondamentale de Georges Canguilhem, thèse soutenue en 1943, remaniée et publiée fin des années 60, enfin en 66, et qui restait la référence majeure. La question est la suivante, une série de questions. Qu'est-ce qu'un comportement normal ? L'anormal est-il le synonyme du pathologique ? Le pathologique est-il le contraire du normal ? Est-ce que ces concepts ? de pathologie, de normalité, je vais revenir, de maladie, etc. sont-ils objectifs et universels ou variables selon les cultures, les époques, voire les individus ? Par exemple, deuxième exemple, il s'agit de déterminer si le zoophile, donc l'être humain qui a des relations sexuelles avec des animaux non humains, souffrent d'une pathologie mentale. Si on faisait les statistiques dans cette salle, qui est zoophile ? Je pense que personne ne va lever la main. L'individu zoophile, excusez-moi, je vais l'appeler comme ça, est animé de désirs plutôt rares, moins fréquents que la majorité de ses congénères. Mais la question est de savoir, est-ce qu'il peut être sain, S-A-I-N, sur le plan psychique ? Ne pas être dans la norme. au sens descriptif de ce qui s'écarte de la moyenne statistique, soit encore la normale, ne signifie pas nécessairement qu'on souffre, alors ni qu'on souffre d'une maladie, le pathologique, ni qu'on soit mauvais ou encore malheureux sur le plan moral. Autrement, comme l'écrit le philosophe anglais Graham Priest, l'héroïsme Vous voyez ce qui sort de la rareté, ce qui est rare, l'héroïsme. Avoir un quotient intellectuel supérieur à 200 ou être capable de faire l'amour sans pause durant 5 heures devrait être considéré comme des maladies ou comme des maux au sens moral du terme. Ce qui est rare n'est pas nécessairement un mal au sens moral mais aussi au sens médical. En France en 2005, c'est une affaire de zoophilie. je ne vais pas rentrer dans les détails, mais avait vraiment fait polémique chez les juristes et les philosophes. Très intéressant, je ne rentrerai pas dans les détails, mais c'était un poney nommé Junior, par son maître, qui avait eu des relations sexuelles visiblement avec Junior. Et l'affaire avait été menée devant des tribunaux, il avait été dénoncé par la SPA et par la fondation Brigitte Bardot. Je ne sais pas comment ils ont appris qu'il y avait eu une relation sexuelle entre Junior et Gérard X. Je vais l'appeler comme ça, d'accord, mais voilà, il a été dénoncé. Et c'est ce qui va, en 2005, remettre en France, au goût du jour, la condamnation d'un acte sexuel avec un animal non humain. Mais ce qui est intéressant, c'est que la justice française a condamné Gérard X à 2000 euros d'amende, à se séparer de Junior, à jamais, Junior a été placé dans une famille d'accueil, et à ne plus jamais... Je ne rigole pas, avoir d'animal chez lui, même un poisson rouge, Gérard n'avait plus le droit. Plus d'animal chez lui, ça c'est la justice française. Mais le fait est que la justice a condamné Gérard, mais l'a reconnu comme tout à fait responsable et autonome sur le plan décisionnel. On n'a pas du tout reconnu que son action était pathologique, au sens médical du terme. Il n'est pas allé dans un hôpital psychiatrique, etc. En France, en réalité, en fait, pardon, nous sommes souvent les victimes de ce que le philosophe ruéno-gien appelait l'argument sociologique. Pour évaluer la réalité d'un consentement, pour évaluer l'autonomie décisionnelle d'un individu, on rapporte... sont sa conduite à ce qu'une personne dite normale ou rationnelle ou non contrainte pourrait vouloir. On va dire, j'avance un peu plus rapidement, une personne normale qui aurait toute sa tête, résumons-nous, ne pourrait pas de manière libre et éclairée vouloir se prostituer, être mangée par son copain, entretenir une relation amoureuse avec une chèvre, rêver d'être un acteur porno, etc. Une personne dite normale devrait vouloir se marier, avoir des enfants, faire des études supérieures. de médecine, de droit, être propriétaire d'une maison avec un jardin, etc. Or, voyez bien que l'écart par rapport à ces normes ne constitue pas en lui-même, sans fondement scientifique assuré, un véritable argument en faveur d'une pathologie mentale. Et à l'inverse, être dans la norme n'implique pas qu'on soit sain sur le plan psychique. Regardez le dernier résultat des élections américaines. C'est une preuve de ce fait. Avec Kanguilhem, j'essaie de résumer, on pourrait soutenir que la santé mentale, c'est la capacité d'instituer des relations avec le milieu, des normes de vie qui permettent de s'adapter à celui-ci et aussi d'en changer. Chez Kanguilhem, il y a l'idée qu'être en bonne santé, c'est être malade mais être capable de se relever. C'est-à-dire être en bonne santé, c'est pouvoir tomber malade et s'en relever. Dans la vie pathologique, au contraire, l'individu s'enferme. sans qu'il y ait une différence de nature, bien sûr, dans un milieu de vie restreint et rigide. Je rejoins tout à fait, mais une autre manière de le dire, ce que vous avez dit tout à l'heure. Le moindre événement dans cette vie pathologique devient une montagne infranchissable, un gouffre, je crois, dans lequel le sujet va chuter encore plus. La vie pathologique réduit la liberté, les possibilités d'action et d'invention du sujet. La fixation du comportement de l'individu à une norme unique, un milieu de vie déterminé et restreint, voilà ce qui caractérise la vie. bactérisent le pathologique, je crois, selon Canguilhem. Pour conclure, la norme, c'est souvent, pas toujours, une entrave à notre liberté et à notre créativité, à la multiplicité des conceptions de l'existence, sans nier, et sans jamais nier, l'existence des troubles psychiques, des souffrances majeures occasionnées par ceci, chez les individus, chez leurs proches, sans nier la légitimité et l'importance du soin médical et du prendre soin à leur égard. Je crois que l'un des enjeux majeurs de la bioéthique aujourd'hui, c'est de savoir reconnaître et de distinguer quelles conduites sont en effet pathologiques et quelles conduites sont le fait d'individus libres et autonomes. Et c'est cette capacité à reconnaître l'autonomie, en particulier décisionnelle, qui nous permettra de construire une démocratie pluraliste. Terminé, ma dernière phrase sera une sorte de paraphrase de Georges Canguilhem. La santé, on pourrait dire ajoutée mentale, désigne non pas seulement la capacité du sujet à s'adapter à la société telle qu'elle est, mais la capacité à vivre selon ses propres normes de vie, la capacité à s'approprier les normes sociales d'existence, non seulement en y adhérant, mais aussi éventuellement en les contestant, en y résistant et en les réinventant. Je vous remercie.
- Speaker #1
Merci Guillaume d'avoir notamment rappelé l'importance de Canguilhem pour la pensée philosophique sur cette question-là. Et puis tes conclusions en fait rejoignent aussi, comme tu l'as signalé, celles d'Ivalambic et de Romain Coutel. Dans le fond, c'est le retentissement sur la vie qui permet de distinguer la pathologie de la non-pathologie. La norme, dis-tu aussi, est une entrave à la liberté. C'est vrai aussi dans le sens où personne ne veut être anormal, ni être considéré comme tel, et donc on a une espèce d'injonction à être normal. Alors, qu'est-ce qu'il faut penser de cette injonction ? Est-ce qu'elle est normale elle-même, au deuxième degré, ou est-ce qu'elle est délétère ? Je vais passer la parole à Pierre Vidaillet, qui va peut-être répondre à cette question.
- Speaker #3
Merci beaucoup. Merci aux organisateurs de m'avoir invité à participer à cette table ronde sur la santé mentale qui nous importe beaucoup, évidemment, aussi en psychiatrie et en psychiatrie comme en médecine. La norme, elle fait souvent appel à la moyenne et aux autres statistiques. Alors la méthode de recherche de base du moyennisme consiste à regrouper un grand nombre d'objets pour les analyser et les analyser. recueillir les données et les analyser. Donc on commence par assembler en médecine beaucoup de gens, de personnes, et puis on va mesurer un certain nombre de critères et on va chercher à modéliser. les individus. Et on s'aperçoit finalement que cette méthode, elle a des défauts dans notre pratique clinique aussi, et même dans notre recherche. Et par exemple, on s'aperçoit que, souvent c'est aussi l'idée que bigger is better, plus on rassemble de personnes, plus on rassemble de données, meilleure va être la précision de notre mesure et des conséquences qu'on va en tirer, par exemple pour les soins. On s'aperçoit que ça peut aboutir à des aberrations et par exemple oublier un groupe de sujets qui va être un petit peu noyé dans la masse et qui réagit parfaitement différemment au traitement qui, sur l'ensemble des sujets, est plutôt efficace. Et ça, sur une pratique clinique, sur une pratique artisanale, ça a des effets qui peuvent être assez dramatiques. Alors, cette... méthode et on va voir en quoi elle peut être délétère aussi et en tout cas pour s'éloigner de ça moi j'ai été amené à lire des approches un peu différentes et en particulier un livre de Todd Rose qui s'appelle la tyrannie de la norme qui s'occupe des sciences de l'individu à Harvard et que j'ai trouvé assez éclairant et un des exemples qu'il cite dans la première partie de son ouvrage, c'est les accidents qui avaient lieu dans l'aviation américaine dans les années 40. Et donc là, les gens ont été assez inquiets parce qu'il y avait beaucoup d'accidents et finalement, on s'est aperçu que ce n'était pas des erreurs ni des pilotes ni des problèmes liés à l'avion. Et ils se sont aperçus que finalement, le cockpit des pilotes avait été mis en place dans les années 20 en mesurant un certain nombre de pilotes et en organisant ainsi, en moyennant, les données qui permettaient de mesurer par exemple la hauteur des vitres, la longueur entre le siège et les pédales, la longueur du bras pour aller jusqu'à la manette de l'avion. Et ils se sont dit, tiens, Les pilotes ont peut-être grandi depuis les années 20, donc on va refaire une analyse et on va regrouper plein de pilotes et on va mieux adapter le cockpit aux pilotes de notre époque. Ils ont donné le travail à faire à quelqu'un qui finalement était un peu critique sur cette méthode. Mais bref, il a pris quand même 44 000 pilotes. Et puis, il les a mesurés. Il a défini 10 données dimensions physiques, qui étaient considérées comme les plus pertinentes pour dessiner le cockpit des avions. Et puis, il a fait les mesures. Donc, il est arrivé à un pilote moyen, et ensuite, il a repris un certain nombre de pilotes. Il a regardé comment il ressemblait finalement au pilote moyen. Et bien, il s'est aperçu qu'il n'y avait aucun des pilotes parmi les 4000 qui remplissaient les 10 critères moyens qu'il avait définis à partir de l'ensemble des 4000 pilotes. Et plus que ça, même si on prenait 3 de ces dimensions, il n'y avait que 3% des pilotes qui étaient dans la moyenne de ces 3 dimensions. Sachant que la dimension n'était pas juste la moyenne, mais la moyenne avec un écart à cette moyenne pris en compte. Donc finalement ce qui apparaissait c'était que le pilote moyen n'existait pas et donc l'aviation a décidé de faire des cockpits qui pouvaient s'adapter à chaque pilote avec des sièges qui étaient coulissants, des manettes qui pouvaient s'adapter à la longueur des bras, etc. Effectivement ça a été efficace et là l'aviation s'est rapidement adaptée pas pour un principe conceptuel mais parce qu'il y avait des enjeux très pragmatiques et donc... et financier derrière. Alors effectivement on s'aperçoit que cette technique de la moyenne peut aboutir à des décisions assez catastrophiques. Alors je prendrais l'exemple du du basketball parce que dans l'équipe des Knicks de New York par exemple, il y avait un entraîneur dans les années 80 je crois, qui s'est dit ben moi pour faire comme on a de l'argent, je vais prendre les joueurs qui score en moyenne le plus de toutes les équipes. Et donc, il a construit son équipe en se disant, tiens, moi, avec les meilleurs scoreurs, je vais faire l'équipe qui va gagner. Donc, il fait ça. Effectivement, les Knicks ont perdu 66% de leur match et ont perdu pendant quatre saisons. Donc, je pense qu'il a été remercié. Et ce qui apparaît finalement, c'est que... que pour faire une équipe qui gagne, il faut analyser un peu plus profondément les caractéristiques qui sont les caractéristiques du talent du basket et qui sont plurielles, qui sont multifactorielles. Ce n'est pas seulement le fait de mettre des paniers, mais c'est aussi la capacité. à prendre des rebonds, à faire des passes décisives, etc. Donc là, on voit que finalement, l'utilisation des moyennes, quand elle est trop moyennée sur un ensemble d'emblée, ne fonctionne pas. Et donc, plutôt que de moyennée et puis de classée, il vaut mieux observer et puis ensuite classer éventuellement les individus. Alors, ça c'est le... Donc le principe du fait que c'est pluriel, que les représentations finalement sont multiples. Alors ensuite, il y a un autre principe qui est vraiment important et qui me plaît beaucoup puisqu'il concerne le contexte. Et l'exemple qu'on peut prendre, c'est celui des traits de personnalité. Alors il y avait un combat assez important pendant longtemps. entre les tenants des traits des personnalités, qui allaient permettre de définir le comportement d'un individu, quel que soit le contexte, et puis les autres, c'était plutôt les situationnistes. comme un peu dans l'expérience de Milgram où finalement c'est la situation qui va influencer de façon très majoritaire le comportement des personnes. Alors c'est beaucoup les personnes qui travaillaient sur les traits qui ont pris le devant de la scène parce que ça permettait quand même de plus précisément prédire à l'échelon individuel ce qui allait se passer. Et puis là il y a un scientifique... de Washington, Yoshi Ausha, qui a mis un petit peu ces questions, ces affirmations en cause et qui finalement a montré que ni les uns ni les autres n'avaient raison, mais que le contexte était très, très important pour savoir comment les gens et aller influencer de façon importante la façon dont les personnes allaient se comporter. Il a étudié un certain nombre d'enfants sur les critères d'introversion. des enfants et des jeunes adolescents de Boston, et puis sur la question de l'introversion et de l'extraversion. Et il a montré effectivement que les façons de se comporter des enfants étaient très variables en fonction du contexte. Ce n'est pas pareil à la cantine que dans la cour de récréation. Et finalement, si chacun regarde autour de soi, on peut dire que... Quelqu'un est plutôt radin dans ses dépenses personnelles à la maison. Et finalement, il va donner beaucoup à des grandes causes, par exemple. Donc, on voit bien aussi que là, la personnalité, elle va se... se manifester de manière différente aussi d'un contexte à l'autre. Le dernier principe, c'est celui du principe du parcours. En médecine, et ça a été signalé, enfin le docteur Alambic l'a souligné, par rapport au mode de développement des enfants qui sont quand même très variables pour aboutir chacun à son individualité. Ça a été montré par exemple pour... l'acquisition de la station debout. Pendant longtemps, l'idée, c'était qu'il y avait un certain nombre d'étapes qui étaient nécessaires et que si les enfants ne remplissaient pas les étapes, c'est peut-être qu'il y avait un souci sur le plan neurologique qu'il fallait y être attentif. En particulier, le temps de la reptation, etc. Et puis, il y a Karen Adolf, je crois, qui a observé des enfants dans leur individualité et elle a montré qu'il y avait 25... cinq parcours différents dans nos sociétés blanches d'Europe de l'Ouest, etc. Et donc là, on voit déjà la diversité des parcours pour arriver au même comportement nécessaire. Et en 2004, il y a un anthropologue, David Trasser, qui lui a regardé, enfin, qui a travaillé sur des populations de Papouasie. Et là, il a été très surpris d'observer que les enfants...
- Speaker #0
ne rampaient jamais. Par contre, ils utilisaient, pour se déplacer, ils étaient assis et se traînaient un peu sur les fesses. Effectivement, il s'est aperçu que c'était manifestement lié au risque d'infection. Il y a des parasites dans la terre en Papouasie et que la réputation allait être extrêmement négative pour les enfants pour acquérir la station de boue. Donc là, on voit que les parcours... sont d'abord très variables d'une personne à l'autre et puis aussi très modifiées en fonction du contexte. Donc tout ça pour dire qu'effectivement, aujourd'hui, en tout cas dans notre pratique clinique, on a tout intérêt à être attentif à cette tyrannie de la norme, et pas seulement en médecine, je dirais, mais dans l'ensemble des sociétés humaines et des comportements, parce qu'on va sinon rapidement en voir. les conséquences. Merci beaucoup de cette réflexion, effectivement, sur ce nouveau tyran qu'il faudra peut-être renverser aussi. Donc, à vous entendre tous les quatre, j'en conclue. Il semble que vous soyez assez d'accord sur le fait que la diversité est plus importante et plus libératrice, d'une certaine manière, et plus fidèle à la réalité que des normes rigides. Une norme rigide qui... peuvent devenir tyranniques ou qui peuvent ressembler à quelque chose comme une sorte d'injonction. Bon, est-ce que si je vous disais, après vous avoir écouté, dans le fond, que la seule norme accessible, la seule norme, je veux dire, justifiée, c'est celle du retentissement sur la vie du patient. Vous pourriez être d'accord ou est-ce que vous aimeriez nuancer les choses ? Je vais vous passer rapidement la parole à chacun d'entre vous avant qu'on passe aux questions de la salle. Romain Coutel ?
- Speaker #1
Je ne sais pas si ça marche. J'ai soutenu que c'était un bon critère. Est-ce que c'est le seul ? Je suis un peu pris de court. Non, je ne pense pas. Je ne pense pas parce que... En tout cas, il faut faire attention. C'est là où je vais rentrer. C'est que le retentissement, et j'ai pointé ça sur le fait qu'il y a le retentissement subjectif, mais mesurer le retentissement... et l'objectiver pour pouvoir justifier des soins est loin d'être chose aisée. Parce qu'évidemment, ça repose la question de la mesure et de celui qui mesure et du contexte dans lequel il mesure. Et par rapport à ça, moi, ce que je pense très sain, c'est que la façon dont on mesure le retentissement et plus globalement dont on appréhende les pathologies, ça soit très évolutif. Alors ça fait un peu bizarre... parce que c'est vrai qu'en psychiatrie, on se doute bien que les limites ne sont pas très claires. Mais il faudrait voir aussi ce qu'en disent les cancérologues sur d'autres aspects. Mais donc, le retentissement, oui, mais en mesurant la complexité. Et puis, moi, ce qui m'intéresse dans le retentissement, c'est aussi qu'on peut appréhender... comment a réagi l'environnement. Les mesures du handicap, par exemple, à travers la classification internationale du handicap, sont très intéressantes parce qu'on va pouvoir mesurer le retentissement du trouble, mais en même temps, ce que le patient... serait en mesure de faire s'il avait certaines aides dans l'environnement. Donc du coup, vous questionnez l'environnement et vous pouvez, au-delà de définir des politiques de santé, vous pouvez vraiment définir des politiques. sociale. C'est sur le papier, et comme je le présente, ça fait rêver, dans les faits, la classification internationale du fonctionnement, qui est une très bonne classification, c'est un nombre d'items phénoménal. C'est 1800 items. Inutile de vous dire que dans les faits, elle a été très peu utilisée. C'est vrai que maintenant, on tend vers des formes plus réduites parce qu'il faut faire des échelles qui soient utilisables.
- Speaker #2
Alors la question est intéressante, mais la première chose c'est qui est-ce qui évalue le retentissement ? Et qui dans la société, et pourquoi la société a le droit d'évaluer le retentissement ? Alors je reprends ce que nous a raconté Guillaume Durand à propos de Junior. De quel droit la société intervient dans la relation d'une personne, dans sa sexualité très particulière, qui gêne personne ? Et pourquoi, à un moment... Quelqu'un évalue ce retentissement, alors on l'évalue de manière juridique, mais la norme ici, c'est la norme individuelle, et pour cet être humain, sa norme à lui, elle est subjective, elle lui convient très bien, et je trouve que là, il y a un abus de pouvoir total. Et donc le retentissement, je pense que ce n'est pas simplement la diversité de la norme qui nous intéresse, c'est qui évalue la norme, et comment on peut s'opposer à la normativation. La normativité sociale, la norme individuelle et la norme sociale. Et là, je rejoins vraiment ce que j'ai appris dans Canguilhem. Je trouve que cette partie-là est très intéressante chez lui. Donc ça m'a intéressé cette histoire de Junior, parce que justement, je trouve que cet homme est tout à fait normal pour lui-même.
- Speaker #3
Il ne faut pas oublier Junior. Est-ce qu'il était consentant ? C'est la question. Ce qui est, Gérard a quand même emmené Junior avec lui. Alors, il a soutenu que Junior était consentant, mais malheureusement, Junior n'a pas pu s'exprimer sur la question. Mais voilà. Non, c'est une question vraiment intéressante. Alors moi, je te propose d'y répondre ainsi. Vraiment, tu sais que je suis un philosophe minimal, minimal sur le plan moral. Et donc, il y a la question des devoirs envers soi-même. pour aller dans votre sens. L'idée, vous voyez qu'il y a des actions qui ne concernent que moi, ma relation à mon corps, à mon esprit. Eh bien, vous ne devriez pas, la société ne devrait pas juger moralement ses conduites. Et on peut prendre l'exemple, alors on va quitter Junior, mais on va prendre l'exemple de l'onanisme, c'est-à-dire de la masturbation, pendant jusqu'au milieu du 19e siècle, même encore, peut-être encore un peu aujourd'hui, on a condamné... non seulement sur le plan moral, mais aussi sur le plan médical, l'onanisme, la pratique de la masturbation. On voit aujourd'hui que c'est quand même de plus en plus rare de condamner celle-ci, même si rares sont les médecins généralistes, si vous vous dites stressé, qui vous conseillent de vous masturber deux fois par jour, ça reste quand même assez rare. Mais par contre, vous voyez bien que si, et là on quitte la question des devoirs uniquement envers soi-même, les devoirs envers autrui. Vous voyez bien que vous n'allez pas être d'accord si, Si les actions dirigées uniquement vers moi ont des conséquences sur les autres. Alors la masturbation, sauf si je me masturbe en public, là effectivement ça va poser question. Mais vous voyez, prenez juste l'exemple de l'hygiène. Si je dis que mon hygiène ne concerne que moi, et donc je ne me suis pas lavé depuis six mois, et vous n'avez pas le droit de me juger, tout de suite vous voyez bien qu'il va y avoir des conséquences. Alors non intentionnelles, je n'ai pas fait ça pour embêter mes collègues, ni la salle. mais des conséquences directes. C'est-à-dire que vous allez dire, mais M. Durand, c'est pas possible, c'est insoutenable, etc. Donc il y a bien, vous voyez, des devoirs. L'individu n'est pas comme un peu Robinson sur son île. C'est un être social et il est entouré de ses congénères, animaux non humains et animaux humains. Et donc les actions, y compris uniquement dirigées vers soi, elles peuvent avoir des conséquences délétères sur les autres. Et là, la question, c'est de savoir comment articuler. Donc la question est vraiment complexe. les libertés individuelles avec le vivre ensemble.
- Speaker #0
Oui, mais c'est précisément une des questions qui peut taronner le psychiatre dans sa pratique. Alors, ce n'est pas loin de là la majorité de notre travail, mais on est parfois effectivement confronté à des comportements... des attitudes qui vont être problématiques pour les autres, alors que la personne elle-même n'en souffre absolument pas. Et c'est là qu'on va être amené à intervenir, et parfois de façon complexe. critiqué beaucoup, on a vu des articles récents sur ces situations où le psychiatre peut être amené à hospitaliser, à administrer des traitements, parce qu'effectivement, les comportements du fait d'un trouble mental, en tout cas tel qu'on l'estime, vient poser des problèmes et des dangers pour les autres et pour le sujet lui-même. Un patient délirant qui va tuer les personnes va agresser des personnes à l'extérieur parce qu'il a un délire de persécution. Vous parlez du psychopathe ou du narcissique qui vient tyranniser les autres de manière extrêmement violente. Eh bien, effectivement, on est amené à ce moment-là à poser des limites, puisque lui ne se les pose pas vis-à-vis de la liberté des autres. C'est une des parties. effectivement du travail du psychiatre que de prendre en charge ces troubles alors même que le sujet lui-même ne se trouve pas en difficulté par rapport à ses propres comportements
- Speaker #4
Juste avant de laisser la parole au public sur la question du normal, pour éviter des discussions avec le public sur Junior, etc. Je pense que se pose la question, pas du consentement évidemment, mais de la question d'une éventuelle maltraitance. Mais sur la question du normal, ce qui m'intéresse, c'est parfois le jugement moral qu'on a de la norme. On a parfois tendance à amalgamer, même en sciences fondamentales parfois, ce qui est normal et ce qui est bien. Je vous donne un exemple. on va estimer qu'une tension artérielle normale se borne entre deux limites. Parce qu'au-delà d'une certaine limite, alors c'est vrai qu'on peut se situer en dehors du nuage de la normalité, mais aussi parce qu'en dehors d'une certaine limite, on va augmenter un facteur de risque cardiovasculaire. Et on va estimer alors que ce n'est pas normal que de laisser une tension artérielle qui augmente le risque de la pression artérielle. Pareil pour le poids qui va augmenter les facteurs de risque cardiovasculaire. Mais on peut se poser la question de libre à la personne qui le souhaite finalement de privilégier un poids un peu plus élevé. mais ayant un risque cardiovasculaire plus élevé. C'est vrai qu'on est en droit de se demander pourquoi est-ce qu'une société serait à même d'exiger une normalité. Quand on voit en plus ce qui se passe outre-Atlantique, on voit que qui décide des normes aussi, combien il y a de genre, combien il y a de sexe, etc. C'est une question qui est évidemment, éminemment prudente. C'est pour ça qu'on a voulu la traiter. Je vous remercie et on va passer la parole au public. Merci pour vos interventions. Si je ne me trompe pas, dans le DSM 4, vous avez mentionné le 5 parce que c'est le plus récent, l'homosexualité faisait encore partie des pathologies psychiatriques de déviance sexuelle. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas. Elle a été dépénalisée en France. Quel est, selon vous, encore dans l'objectivité des critères médicaux, le poids de la morale dans vos pratiques et dans la définition des matuels qui sont des références à la fois pour vos activités et pour la construction de la société ?
- Speaker #3
Merci.
- Speaker #4
Pour la question du DSM, on va aussi laisser la parole à un des deux psychiatres présents sur place.
- Speaker #2
Un mot à dire là-dessus. Pour le DSM 4 et l'homosexualité, on peut dire qu'il y a eu des lobbies qui sont intervenus pour qu'au DSM 5, ça ne soit plus le cas, des lobbies homosexuels. C'était positif, c'est une influence. Ce sont des influenceurs positifs. Mais dans des cas opposés... On a pu dire dans le DCM4 et le DCM5 des choses complètement dingues, comme la création d'une pathologie qui s'appelle la dépression liée à la femme pendant sa période de règles. Ce qui a permis de donner un nouveau médicament, enfin plutôt un ancien antidépresseur qui a été recyclé pour ça. Et pour l'homosexualité, ça a été ça. Donc, ce n'est pas pour des jugements moraux, ni d'un côté ni de l'autre, mais c'est des histoires de lobby aussi. C'est assez triste.
- Speaker #3
Oui, j'ai... Il n'est pas eu le temps de vous en parler, mais je voulais parler de la perversion, du concept de perversion sexuelle. Et à propos notamment de l'homosexualité, c'est assez intéressant parce que la perversion, c'est ce qui se détourne de la voie procréative. Et donc il y a tout un tas d'actes sexuels dont le sexe anal vont être considérés comme des déviances. des déviances par rapport à la procréation dite normale et saine qu'est le COIT, ce qui vise la procréation. Ce n'est pas uniquement dans le champ médical. Juste une question, est-ce que vous savez en quelle année les dernières lois anti-sodomie aux États-Unis ont été abrogées ? En 2003. Jusqu'en 2003, dans un État, j'ai oublié le nom de l'État, ce n'est pas de la Ausha, on pouvait condamner à la prison à vie. Une personne, y compris des personnes consentantes, d'accord, on parle bien sûr, je parle de ça, des personnes consentantes, qui avaient eu une relation homosexuelle ou hétérosexuelle, mais de type sexe anal ou et sexe oral, même y compris la fellation. Donc ces normes en matière de sexualité sont très fortes. Et pas uniquement, bien sûr, dans le champ médical, on parle de normes sociales. Je vais vous donner juste cet exemple. J'avais repris le dictionnaire. de philosophie que, quand j'étais étudiant en philo, on appelle ça le morpho. Je ne sais pas si tu connais, Bernard, le morpho. Tous les étudiants en philo, dans les années 80-90, un peu après, ils utilisaient le morpho. Et regardez, le morpho, voilà comment on définit le morpho. Attendez, mince, il faut que je le retrouve, je vais le retrouver après. C'était, oui, voilà, précisément, la perversion sexuelle. J'ouvre les guillemets, est une anomalie par la déviation de la fin normale qui tend à la procréation. Voilà, 95. Moi j'ai fait mes études de philosophie avec cette définition.
- Speaker #2
Normal ?
- Speaker #3
La fin normale.
- Speaker #0
Pour compléter ce que tu dis Guillaume, la norme effectivement c'est la procréation et le droit canon, donc le droit de l'Église catholique, l'ancien droit canon, condamnait plus gravement la sodomie que le viol. Parce que dans le viol, il s'agissait d'une possibilité de procréation naturelle. Mais cet exemple montre bien, alors évidemment ça nous révulse un peu, mais cet exemple montre bien que selon la norme que l'on utilise, tel acte va être catalogué comme bon ou mauvais. C'est le rôle de la norme morale.
- Speaker #3
Tu me l'apprends, c'est absolument terrible. D'accord, ok. C'est pas ça.
- Speaker #5
Oui, bonjour. J'ai trouvé ça très intéressant. Je voudrais revenir un peu au problème des troubles du neurodéveloppement chez les enfants et le fait qu'ils soient de plus en plus diagnostiqués. Et effectivement, la question, c'est quelle est leur répercussion ? sur la vie actuelle de l'enfant et dans son environnement familial et scolaire, mais aussi peut-être la vie future. Je m'explique. On parle souvent d'ailleurs de est-ce que c'est un handicap ? et souvent maintenant on dit situation de handicap Or, nous avons aussi des normes actuelles qui augmentent cette histoire de situation de handicap. Je pense qu'il est tout à fait normal que la vitesse d'apprentissage, les comportements, notamment à l'adolescence, soient divers, la progression. Mais là maintenant, on a Parcoursup qui oblige, en tout cas c'est la perception qu'en ont les enfants et les parents, à être dans les clous à 16, 17 ans pour pouvoir... Et puis, il y a cette peur, mais est-ce qu'elle est, je pense, justifiée, que quelque chose qu'on voulait absolument faire, on ne pourra plus le faire simplement parce qu'on n'était pas dans les clous. Donc, je pense que c'est une des choses qui est importante. Et d'autre part, il faudrait, je pense... Par exemple, un diagnostic de TADH, ça peut être quelque chose, à un moment donné, il y a effectivement une souffrance ou des problèmes avec le milieu scolaire, avec le milieu familial. Et ça peut, j'ai un exemple sur ma famille, etc., d'un garçon de 10 ans qui avait des problèmes à l'école, il a pris conseiller par un pédiatre. neuropédiatre strasbourgeois fort connu, de prendre la ritaline pendant un ou deux ans, et ça a passé. Mais effectivement, c'était une période. Donc je pense qu'il y a aussi le fait que un diagnostic qui peut être quelque chose à un moment donné, ça ne veut pas dire qu'il faudra prendre de la ritaline toute sa vie. Donc je pense que tout ça, c'est de prendre en compte peut-être... les normes actuelles, scolaires et autres, qui rendent peut-être plus difficile, encore que ça existait avant, de lire Daniel Pénac, par exemple, qui a été très dyslexique et qui est considéré comme un élève catastrophique. Et je voudrais terminer. Je me rappelle, il y a 15 ans, il y a eu une étude de l'Inserm qui prônait le fait de dépister très tôt les troubles du comportement chez les enfants. Il s'agissait pas. Alors, il y a eu notamment dans le milieu psychiatrique qui, à l'époque, était encore, je pense, assez psychanalyse. ou de tendance lacanienne ou autre, ils ont dit mais c'est catastrophique, on veut détecter les enfants criminels et les stigmatiser, ou les soi-disant futurs criminels et les stigmatiser. Et l'Inserm a été obligé de retirer son étude. Alors que, je pense que que Romain Coutel, par exemple, sera d'accord avec moi que... Il y a effectivement des enfants qui, sans doute, ont besoin d'aide assez tôt pour justement éviter des dérives ultérieures. Et là, il y a eu, de la part du milieu psychiatrique médical de l'époque, ils ont vraiment bataillé pour que ceci, qui était basé sur des études de la littérature internationale, soit... éliminés du cercle de la vie.
- Speaker #2
Il y a beaucoup de choses dans ce que tu dis Jean-Louis. Jean-Louis Mandel est donc professeur de génétique et professeur au Collège de France. C'est quelqu'un de très important pour nous. Premièrement, les normes rigides effectivement sont de plus en plus catastrophiques. Et je vois de manière exponentielle également la peur des parents. qui demandent le tiers temps au collège pour le brevet des collèges, parce qu'il faut arriver à avoir un brevet dans des bonnes conditions. Et par cours sup, effectivement, c'est difficile. Quand on va à l'étranger, il y a beaucoup de pays autour de nous qui commencent leurs études un peu après, qui font pendant une année ou deux autre chose, et qui ensuite commencent des études, ce qui n'est absolument pas possible en France, parce que si on fait ça, on risque de tout rater. Et puis on est dans une voie. Il y a beaucoup de jeunes également qui pensent qu'ils sont mauvais en maths ou en physique, alors que... Dans d'autres pays, ils commencent à faire des maths ou de la physique après 18 ans et qu'ils se trouvent d'excellents mathématiciens après, alors qu'ils ont commencé plus tard. Par contre, là, je ne serais pas tout à fait d'accord avec ce qui s'est passé avec l'Inserm il y a une quinzaine, une vingtaine d'années. Nous, les pédiatres, et en particulier les pédiatres de l'Association française de pédiatrie ambulatoire, on s'est effectivement opposé à ça. Parce qu'il ne s'agissait pas pour les enfants de 3 ans de faire autant de maths que pour les enfants de 3 ans. de faire quelque chose qui était une évaluation sympathique pour les aider. A l'époque, ce n'était pas tout à fait ça. Il y avait un mouvement qui s'est appelé Pas de zéro de conduite pour les enfants de 3 ans qui était de dire qu'on évalue trop tôt les enfants globalement. C'est ce qui se passe de toute manière encore à l'école maternelle en France et de plus en plus. Par rapport à un pays comme la Suisse où on évalue beaucoup moins les enfants, ou l'Allemagne, ou l'Angleterre, ou la Belgique, ou dans ces endroits. les enfants vont dans des sortes de jardins d'enfants où on les aide à grandir, à acquérir leurs capacités et on ne les évalue pas très tôt comme on le fait en France et de plus en plus. Moi, je ne suis pas tout à fait d'accord avec ça. Je ne suis pas complètement d'accord.
- Speaker #3
Merci beaucoup pour votre interprétation. Intervention. J'avais en fait une question. Vous parlez de normalité globale à un instant T, mais en fait, à un autre instant,
- Speaker #1
ça ne va pas du tout être la même norme.
- Speaker #3
Donc moi,
- Speaker #1
la question que j'avais,
- Speaker #3
c'était à quel moment on estime que cette norme a changé et à quel moment elle est vraiment induite dans l'esprit collectif et que justement, on ne peut plus la pénaliser. Du coup, la question, ce serait en combien de temps ou selon une plage horaire ou selon la difficulté ? de la norme, est-ce que vous pensez qu'elle va évoluer et à quel moment elle devient vraiment intrinsèque dans l'esprit collectif ?
- Speaker #1
Je fais un lien, je ne sais pas si ça répond totalement à votre question, mais en psychiatrie, c'est un enjeu majeur, mais en neurologie aussi. C'est-à-dire que... Là, on a une approche qui est très normative des troubles mentaux. C'est de dire, c'est différent, le trouble c'est ce qui, de manière conventionnelle, est dans l'écart à la norme. Vous voyez ce que je veux dire ? C'est que c'est défini par la société. La société définit ce que c'est un trouble psychiatrique ou pas. C'est un peu vrai, mais pas seulement vrai. C'est-à-dire que si vous prenez la schizophrénie, vous ne pouvez pas limiter ça à un regard sociétal. Non, il y a vraiment une signature neurobiologique qu'on a, il y a les éléments génétiques, je pense à Jean-Louis. C'est de dire que ça dépend... Dans le rapport au normal, certes, la norme évolue, mais il y a des domaines où elle évolue moins. Alors, pour le coup... Là, il y a eu des travaux, je préfère parler que de ceux que je connais, parce que c'est quand même plus simple. Il y a eu des travaux passionnants qui ont comparé l'expression symptomatique de l'autisme sur 20 ans. Et ce qui est extraordinaire, c'est qu'on voit qu'au fur et à mesure des années, si vous voulez, l'écart à la norme se réduit. C'est-à-dire que ceux qui sont diagnostiqués autistes aujourd'hui ont de moins en moins de résultats dans l'écart à la norme sur ce qui est mesuré. Ce qui n'est pas le cas de la schizophrénie. Et là, c'est intéressant. C'est-à-dire que manifestement, la population qu'on avait de schizophrènes il y a 20 ans, c'est dans un contexte suédois, je crois, est à peu près la même que celle qu'on a aujourd'hui. Vous voyez ? Donc ça, ça montre qu'il y a des aspects très normatifs et des aspects qui le sont moins. Vous prenez la dyslexie, c'est un exemple qui est hyper intéressant. Il y a des éléments neurodéveloppementaux, neurobiologiques, clairs derrière la dyslexie. Néanmoins, si vous parlez italien ou français, le risque d'être dyslexique est beaucoup plus grand si vous êtes français alors que... L'italien, la belle langue, etc. Et en plus, si vous êtes dyslexique, vous avez beaucoup moins de risques que ça se voit. Donc, vous voyez un petit peu, ces histoires-là sont très compliquées parce qu'effectivement, ça change dans le temps, mais aussi, ça dépend de ce sur quoi on porte l'objet de notre attention. Oui,
- Speaker #0
Guillaume ?
- Speaker #3
Une autre manière de répondre à votre question, qui est vraiment intéressante, je crois. Vous voyez l'idée que, si je reviens sur les tabous, il y a des normes très très fortes, dans le sens moral et social, il y a une variation non seulement historique et culturelle des tabous, très importante, ici on n'a pas le droit d'être cannibale, dans d'autres communautés on peut l'être, dans certaines circonstances, mais y compris chez un même individu. Vous voyez, repensez peut-être quand vous étiez adolescent, et aujourd'hui si vous avez, je ne sais pas, plus de 40 ans, là aussi vous voyez vos... propres normes, vos rapports aux normes ont potentiellement changé. Et puis aussi, il y a une variation au niveau de l'individu, et il y a une variation aussi en fonction de sa position sociale. Je vais vous donner juste cet exemple, parce que j'ai pris des exemples chaque fois un petit peu radicaux, sur le terrain clinique, d'un patient en psychiatrie, un patient, une patiente, a un syndrome de diogène, donc il vit à son domicile, il a... Il empile les objets chez lui. Sa maison part en désuétude. Il y a de l'eau qui tombe dans la maison, etc. Il est hospitalisé. Il fait des retours entre le domicile et l'hôpital psychiatrique. Et il a un projet, c'est de vivre dans son camion. Et vous voyez, je pense que, et moi le premier, parce qu'il était atteint d'un trouble psychique, Je ne lui ai peut-être pas reconnu le droit d'avoir ce projet de vivre dans son camion. Vous voyez, un peu moqueur en me disant c'est un symptôme de plus Donc ça, ça veut dire que, en fonction de la position qu'on a, du trouble qu'on a, il y a des choses que les autres, quelquefois par des préjugés, par des projections, ne nous permettent pas de faire. Et là encore, votre question est centrale. et elle est complexe.
- Speaker #2
C'était juste qui change les normes et qui décide de les changer. En fait, là, je pense que c'est une question pour moi éminemment politique. Éminemment politique parce que en fonction du changement de la société, et on le voit bien aujourd'hui avec ce qui est en train de se passer dans le monde, avec la chute de la démocratie, les mouvements autoritaires, je pense que les normes sont en train de changer. Et des endroits comme le Forum de bioéthique sont des lieux... où justement on peut re-questionner les normes et se poser la question de leurs valeurs et des jugements de valeur de la société sur les normes, puisque une norme sociale c'est toujours un jugement de valeur et qui est adapté à la société en question et aux valeurs de la société en question alors on ne va pas parler du néolibéralisme et de tout ça, mais on est vraiment là-dedans je trouve,
- Speaker #0
dans une question politique mais pour la psychiatrie... La société qui fait les normes, c'est le DSM, non ?
- Speaker #2
Et le DSM, c'est la société américaine.
- Speaker #0
avec ce qu'a dit le monsieur.
- Speaker #1
Je pense qu'il ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain. Il faut lire, par exemple, Steve DeMazeux, qu'est-ce que le DSM ? Je pense qu'il faut comprendre pourquoi est né le DSM. C'est que les psychiatres se sont aperçus que... ils ne parlaient pas du tout la même chose. Je ne vais pas revenir sur l'histoire, mais il y a des Anglais et des Américains qui se sont dit qu'on allait faire des recherches sur le trouble schizophrénique. Et puis ils se sont dit qu'il y a beaucoup plus de schizophrénie aux Etats-Unis qu'en Angleterre, mais énormément plus. Et ils se sont dit, tiens, peut-être qu'on ne parle pas de la même chose. des critères communs et ils sont aperçus qu'effectivement la différence de fréquence était très largement diminuée parce que c'est intéressant de voir qu'il y a une fréquence qui est différente d'un pays à l'autre. On peut imaginer qu'il y a des facteurs de risque particuliers dans un pays plutôt que dans un autre. Ils sont aperçus que finalement on n'était pas du tout en accord finalement au travers du monde sur les objets conceptuels auxquels on s'intéressait. Donc il y a une utilité quand même à ces classifications et il ne faut pas acheter le bébé avec l'eau du bain, ça ne peut pas être par contre un outil clinique au quotidien. La deuxième question à laquelle je voulais répondre, c'était celle que vous avez amenée de la valeur de la norme. Là aussi, la valeur de la norme, elle est assez changeante et variable parce que il y avait, par exemple, le dessin de Norma, c'était la femme parfaite, c'est-à-dire que le monsieur, il avait mesuré toutes les caractéristiques de beaucoup de femmes et il avait dessiné la femme moyenne parfaite qui ne correspondait, comme pour les pilotes, à aucune des femmes, en fait. Et c'était la valeur. Et tous les écarts par rapport à ça était considéré finalement comme une imperfection par rapport à ce que la moyenne devait être. Par contre, après, vous voyez que dans certains milieux, la moyenne n'est pas du tout valorisée. Dans une société capitaliste, par exemple, sauf pour les ouvriers qui ne doivent pas bouger de la norme et des protocoles. Mais sinon, la valeur, on voit bien, c'est les gens qui sortent de la norme et qui ont des capacités extraordinaires. Donc là aussi, les conceptions et la valeur de la norme vont être variables d'un moment à l'autre.
- Speaker #2
Merci.
- Speaker #3
On va prendre peut-être les deux dernières questions du public. Peut-être que soit on les compile, soit on... Merci. Je voulais revenir sur le neurodéveloppement. On peut se laisser penser, avec les avancées de la recherche, à ce qu'on identifie des facteurs qui induisent ces troubles neurodéveloppementaux. On en a parlé hier avec les facteurs environnementaux ou des facteurs multigénétiques, avec l'espoir, je le mets entre guillemets, qu'on puisse résoudre, traiter avec les technologies émergentes. ces troubles du neurodéveloppement ? Est-ce qu'il n'y a pas un risque de perte de diversité pour l'espèce humaine en ce cas ? Et est-ce qu'il y a aujourd'hui des travaux de réflexion, des moratoires entre philosophes, politiques et sections de santé sur justement quelle est l'utilisation de ces traitements et de la perte de diversité chez l'humain ?
- Speaker #2
Franchement, là-dessus, ça nous concerne. C'est de l'actualité au niveau de la recherche. Vraiment. On est sur la recherche participative et si sur l'extérieur, on peut penser que... L'idée, c'est ce que j'essayais de souligner tout à l'heure, c'est l'idée de gradue. Bien sûr que l'objectif de la recherche en psychiatrie, c'est pas de tuer la diversité, absolument pas. D'accord ? C'est comme je le redis, moi, c'est pas le problème que les gens, ils ont un fonctionnement autistique. Le problème, c'est l'impact pour eux-mêmes et la famille de certaines formes, de certains moments où ça justifie d'une réponse médicale. Mais pour être sûr, si vous voulez, enfin pour... On n'est jamais sûr, mais en tout cas, pour se donner les moyens aussi de ne pas exagérer dans la position médicale et psychiatrique, on fait de la recherche participative. C'est ce que, enfin, là, on est en plein dedans, où on intègre dans nos copiles, c'est-à-dire les comités de pilotage, des personnes autistes, des membres d'associations. Et je trouve ça hyper intéressant parce que ça rencontre aussi de positions expérientielles. qu'on va justement confronter à ce qu'on amène. Ça nous révèle aussi ce qu'il peut y avoir de stigmatisant dans des questionnaires qu'on pense a priori très neutres. Après, ça pose la question que je trouve très intéressante, c'est-à-dire comment est-ce qu'ensemble, on va définir un objet de recherche, des objets d'intervention, et jusqu'où on va. Et ça, moi, je crois que... qu'on a besoin de tout le monde, c'est-à-dire qu'on a besoin du savoir expérientiel des personnes concernées et des familles, comme on a besoin aussi des savoirs non expérientiels extérieurs qui nous viennent de la science ou de l'expérience des praticiens. D'accord, moi je suis dans cette dimension-là, moi ce qui m'importe surtout, c'est pas opposer les savoirs académiques aux savoirs expérientiels. Mais il ne faut pas non plus que... entre guillemets par exemple que seules les personnes autistes pourraient parler de l'autisme. Vous voyez, ça c'est un extrême et l'autre extrême c'était l'extrême qui a souvent été le cas, c'est-à-dire que c'était que les médecins qui parlaient de l'autisme. Donc l'idée c'est de trouver un espace de dialogue et d'échange, encore une fois mouvant, qui nous permette d'appréhender ces problématiques-là dans toute leur complexité, qui est considérable.
- Speaker #0
Tout petit mot sur les recherches qu'on a fait. En génétique, par exemple sur la schizophrénie, on a recherché des gènes de schizophrénie de manière isolée et on a trouvé à peu près tous les chromosomes possibles. Donc on n'a pas vraiment trouvé ça. Quant à l'autisme, moi j'ai travaillé là-dessus avec environ 200 patients qui venaient des services de pédopsychiatrie. Et en fait, les cas où on a trouvé de la pathologie génétique, c'est quand il y avait une déficience intellectuelle associée. Et on peut dire à ce moment-là que l'autisme était souvent secondaire. à des déficiences intellectuelles. De même, dans les TDRH, on a trouvé des pathologies génétiques, en particulier le syndrome de l'X fragile que Jean-Louis Mandel a découvert. Mais sinon, on n'a pas trouvé de pathologies génétiques associées à ça. Mais il y a des recherches qui ont été faites et des gens qui publient là-dessus, en disant qu'on cherche là-dessus, mais en dehors de cas précis, non, pour le moment.
- Speaker #3
Dernière question du public.
- Speaker #4
Alors moi je voudrais parler de l'enfermement dans la pathologie parce que, bon j'ai des exemples, j'ai un exemple précis en tête, mais bon la personne qui est enfermée avec un diagnostic pathologique quelconque, autisme Asperger par exemple, peut se réfugier et ne plus du tout vivre parce que, l'excuse, je suis autiste. Donc je ne vis plus, je suis autiste, je vis comme un autiste, je ne veux plus comme un belge, je m'empêche de vivre parce que je suis autiste. Et il faut que je prenne des médicaments parce que j'ai développé beaucoup d'anxiété, etc. Donc je voulais dire par là que quelle perspective, dirons-nous, favorable y a-t-il actuellement ? pour défaire tous ces enfermements pathologiques qui empêchent les gens de vivre. Et puis je voulais juste apporter un petit témoignage en tant qu'institut maternel, c'est que j'ai pratiqué la désobéissance en n'évaluant pas les enfants, en donnant juste quelques pistes à mes collègues.
- Speaker #2
Oui, alors j'associe sur votre remarque très juste, c'est-à-dire le côté enfermant des troubles. Je crois aussi qu'il ne faut pas qu'on le renforce par nos conceptualisations. Je parle souvent avec Pierre, mais... l'enfer est pavé de bonnes intentions. D'accord ? Quand on a défini... C'est un cheminement qui est un tout petit peu long, mais je vous demande de me suivre, et vous avez vraiment le droit de ne pas être d'accord. Mais quand on a défini la santé comme un état de bien-être, du coup, on a fait aussi que la médecine a commencé à prendre une place incroyable. Alors, je ne sais pas si c'est une conséquence, mais ce qui est intéressant aujourd'hui, c'est quand je vois des adolescents qui vont mal, et j'en vois un paquet, Ce qu'ils me disent aujourd'hui, c'est pas est-ce que j'attendrai de… mes parents sont nuls, je suis là parce que la société est pourrie et tout ça Non, non, c'est je suis borderline Et ça, c'est un vrai problème qu'on a en pratique clinique, c'est que la souffrance, elle est nommée en termes psychiatriques, et je pense que c'est vraiment pas très souvent la meilleure des solutions. Mais pour arriver… Le parallèle avec la définition de l'OMS et l'idée que ça serait, vous savez, ça fera un bien-être, un état de bien-être, c'est quand on parle de situation de handicap. Dans une volonté politique de changer les politiques sociales par rapport au handicap, on a dit le handicap n'est affaire que de situation. Donc si on adapte l'environnement au handicap de la personne, elle ne sera plus handicapée. Le problème de cette vision-là... c'est qu'elle nie, je trouve, la dimension subjective de la personne handicapée qui peut ou pas vouloir aussi, comment dire, développer ses propres capacités adaptatives, rentrer éventuellement en conflit avec le monde. Enfin, vous voyez, c'est... Et effectivement, le risque des fois, quand on nomme un trouble, c'est de faire que les personnes se dessaisissent de leur subjectivité, de leur volonté. de leur motivation. Et par exemple, en pratique courante, c'est vrai qu'on a beaucoup de personnes autistes qui qui sont de plus en plus isolés, c'est très difficile de les en sortir. Mais grâce toujours à ces logiques participatives, l'autre jour il y avait une réunion et il y avait une maman d'un enfant autiste, elle-même autiste qui témoignait et qui a pu dire ça. Nous le problème, je parle en son nom, nous le problème des autistes c'est que quand on commence à pu sortir, c'est de pire en pire. Je vous assure qu'à partir du moment où c'est une personne concernée qui le dit, en termes de retentissement pour les personnes concernées, c'est vraiment... toute autre chose. Voilà, je m'arrêterai là.
- Speaker #1
Merci beaucoup. L'un d'entre vous veut encore ajouter deux mots en conclusion, mais vraiment deux mots. L'intérêt de croiser les concepts, les regards sur une même personne et de ne pas s'en tenir à un seul modèle de conception. Donc là aussi, avoir une pluralité pour pouvoir discuter et rencontrer la personne. En face, le modèle médical, le modèle du handicap et puis la parole de la personne et de son entourage. Je pense que c'est à cette interface finalement que doit se situer notre action. Merci beaucoup et merci encore aux quatre participants de ce panel.
- Speaker #3
Merci beaucoup. Le temps de boire un verre d'eau et on se retrouve à 16 heures pour le syndrome post-traumatique.