- Speaker #0
Vous écoutez La Révolution et Après, le podcast qui explore les luttes intimes, politiques et sociales, produits par friction. Bonne écoute !
- Speaker #1
Gisèle Pellicot, le nom d'une victime, mais aussi celui d'un symbole. Pendant plus de trois mois, entre septembre et décembre 2024, j'ai couvert le... procès dit des viols de mazans. En tant que reporter pour la radio, j'ai assisté à 40 journées d'audience sur les 64, réalisé une dizaine de reportages et une trentaine de comptes rendus et interrogé de nombreux acteurs du procès. Les journalistes se souviennent toujours de leur premier procès. Celles et ceux présents disent que jamais ils n'oublieront celui de Gisèle Bellico. Je suis née. et j'ai grandi à Avignon. Jamais je n'aurais imaginé que ma ville serait un jour au cœur d'un procès qu'on qualifiait déjà d'historique avant même qu'il ne commence. Jamais je n'aurais imaginé que celui de Gisèle Pellicot serait mon premier procès. Moi, Tanita, journaliste de 26 ans et passionnée par les documentaires True Crime et autres faits divers, je me suis embarquée, un peu sans savoir où je mettais les pieds, dans ce procès inédit en France. Ce procès, c'est celui d'une femme de 72 ans, violée et droguée par son mari et une soixantaine d'hommes pendant plus de 10 ans. Tout a été filmé et archivé. J'en ai vu une bonne partie. Mais au-delà de Gisèle Pellicot, ce procès dit quelque chose de plus. Pendant trois mois et demi, j'ai été exposée à la banalité du mal, à la facilité avec laquelle les hommes disposent du corps des femmes. J'ai été confrontée à un échantillon représentatif de ce qu'on appelle timidement la culture du viol. Jamais je n'oublierai mon premier procès. L'affaire Gisèle Pellicot, les coulisses de mon premier procès, un podcast friction écrit et réalisé par Tanita Fallé. Le procès commence pour moi le 4 septembre 2024. C'est en réalité le troisième jour des audiences, mais j'ai un peu tardé à demander mon accréditation. Dans les rues adjacentes au tribunal d'Avignon, je découvre de plus en plus de collages féministes. Ça fait déjà plusieurs années qu'ils occupent certains murs de la ville, mais cette fois, quelque chose a changé. Ils sont beaucoup plus nombreux et autour d'un thème. Le viol. C'est assez étrange de voir les bâtiments qui ont bercé mon enfance devenir des relais de la lutte féministe. C'est aussi assez stressant. Je comprends que dans quelques minutes, je m'apprête à assister à quelque chose d'énorme, quelque chose d'hors norme, comme disent mes confrères et consoeurs. Quand je rentre dans le hall du tribunal, je me sens toute petite. En réalité, je connais encore peu le dossier. J'ai pas vraiment les codes. En fait, je suis un peu perdue. Et il y a ce sentiment glaçant d'être entourée d'hommes dangereux. Craindre les hommes est une sensation que je connais bien en tant que femme. J'ai grandi en apprenant à y faire attention. Ce n'est pas non plus rare de voir des hommes occuper l'espace public de cette manière. Mais là, je sais qu'ils sont une trentaine à comparaître libres. Il y a donc 32 hommes accusés de viol aggravé dans ce hall. Je ne sais pas encore à quoi ils ressemblent. Je ne sais pas encore qui ils sont. Une seule certitude, tous les hommes que je croise sont de potentiels agresseurs. Quatrième jour de procès. Je vois ces hommes masqués, encapuchés. Ils baissent la tête pour se cacher, mais ils n'hésitent pas à insulter les journalistes. Je ne vois pas des criminels honteux, non. Je vois des hommes qui ne semblent rien avoir à se reprocher. J'arrive à entrer dans la salle principale. Et là, c'est encore plus frappant. Il y a une centaine de places avec deux tiers de l'espace occupés par des hommes de tout âge. Devant, des accusés. À gauche, des accusés. À droite, les victimes. Je dis « les » car il y a Gisèle, mais aussi Caroline, sa fille. qui est persuadée d'avoir, elle aussi, été soumise chimiquement et agressée par Dominique Pellicot. À part des photos retrouvées dans l'ordi de son père, elle n'a aucune preuve.
- Speaker #2
Montre ces photos au commissariat de police. Je dis aux enquêteurs, attendez là, ce n'est pas les photos d'un voyeur. Je suis sédatée, il y a un problème. Quand je vais voir la juge d'instruction, Guénola Journaux, durant les deux ans et demi d'instruction, je lui dis, je la vois deux fois, deux fois en deux ans, je lui dis il y a un problème. Faites-le parler, il s'est passé quelque chose avant les photos et après les photos.
- Speaker #1
Son histoire me marque autant, si ce n'est plus, que celle de Gisèle Pellicot. A leur côté, les deux fils Pellicot et leur femme, elles aussi victimes car photographiées à leur insu par leur beau-père. Une famille bien petite face à tous ces accusés. Ce jour-là, Gisèle Pellicot passe à la barre. Elle est debout et derrière elle, c'est Violeur. Je suis tout au fond de la salle, sur le banc des journalistes. Ils sont seulement un ou deux rangs devant moi et quand j'observe la salle, j'ai l'impression de faire partie du même groupe qu'eux. Un jour, faute de place sur ce fameux banc, je me suis même retrouvée sur un des rangs des accusés. littéralement mêlés à eux. Les accusés, eux, ils toisent Gisèle Pellicot. Ils la regardent de travers, pouf, pas si discrètement quand elle s'exprime. J'ai le sentiment qu'ils la défient. Je n'ai pas le temps de digérer toutes ces infos qu'il est déjà l'heure de mon premier papier.
- Speaker #3
C'est aussi celui de la soumission chimique, car Gisèle Pellicot ne se souvenait de rien. Ta fille Caroline Darion a pris la parole tout à l'heure. Compte rendu d'audience, Tanita Fallet.
- Speaker #1
Il s'agit bien de soumissions chimiques. Caroline Darian le martèle comme elle ne cesse de le faire depuis 4 ans. À la barre, pendant 20 minutes, le visage ferme mais tremblant, elle fait le récit de ce qu'elle décrit comme un cataclysme. C'est un peu la douche froide. Je dois raconter de manière détachée l'indicible. Je réalise alors dans quoi je m'embarque et je comprends surtout que je vais devoir enfiler ma casquette de journaliste. et laissait celle de femme chez moi. Objectivité oblige. Quinzième jour du procès. Je me sens de plus en plus à l'aise et je ne suis pas la seule. Il y a une solidarité qui naît entre certains des accusés. Ils boivent des cafés, mangent ensemble le midi, se tapent des bars. Il y a quelques semaines, ils étaient de parfaits inconnus. La seule chose qui les lie, leur crime potentiel. Anna Merguerita, photojournaliste et rédactrice, est une de mes consoeurs. que j'ai rencontré au procès. Nous sommes deux mois après et nous nous sommes retrouvés pour discuter de cette ambiance.
- Speaker #4
On parle vraiment d'une misogynie forte. J'ai l'impression que dans tous les espaces où ils circulaient librement, ils faisaient en sorte de se regrouper ou de ne pas être seuls, de former des espèces de mini-meutes. C'est pour ça que le fait que tu parles de loups, ça me parle. Parce qu'ils avaient besoin de se sentir forts, de resserrer leur rang en tant que mecs qui partagent une certaine fraternité. Et du coup, quand ils sont ensemble, ils se sentent beaucoup plus à l'aise à jeter des regards, à désigner de la tête, à désigner du doigt, même parfois à parler de toi juste à côté de toi. Ils n'en ont absolument rien à faire parce qu'en fait, ils ont toujours eu l'habitude dans leur vie d'avoir le pouvoir.
- Speaker #1
Ce que décrit Anna, c'est un boys club. En gros, c'est un peu la version masculiniste de l'union fait la force. A l'origine, les boys clubs sont des réseaux d'anciens élèves d'écoles privées anglaises. Ce sont des espaces fermés où des hommes influents se retrouvent. pour s'entraider. Les femmes étant exclues de ces sphères de pouvoir, ils sont désignés comme des clubs de garçons. En théorie féministe, le boys club désigne un entre-soi masculin profondément misogyne et sexiste. C'est la solidarité qui naît entre les hommes dans le but de dénigrer les femmes ou de se protéger entre eux. Jamais la notion de boys club n'aura été aussi visible que dans ce procès. Exemple ce jour de décembre.
- Speaker #4
Je me souviens que ce jour-là, on est rentrés dans la salle, toutes les deux. On était les deux premières à rentrer dans la salle. Et en fait, on s'est retournés et on a vu qu'il y avait les 14 accusés d'un des box des accusés qui avaient les yeux rivés sur nous. Mais comme s'ils s'étaient concertés avant pour nous regarder. C'est-à-dire qu'on avait vraiment 15 gars qui sont là, accusés pour viol aggravé, et qui nous regardent fixement. Et c'était très bizarre. C'est un peu comme si le temps s'arrêtait, on s'est regardés. Je pense qu'on a ressenti la même chose à ce moment-là. Mais c'était très représentatif. Là, c'est un petit peu un condensé, on va dire, de gêne et de misogynie et de tout ce qu'on veut. Mais je trouve que c'est un peu un condensé de tout ce qu'il y a pu y avoir. Et ces regards-là, si on les voyait individuellement, là, on les a juste vus en groupe, mais ils ont toujours été là, ces regards-là, depuis le début des audiences. Oui,
- Speaker #1
il y a un truc qui t'a marqué, toi, c'est quand tu sortais pour aller aux toilettes ou quand des journalistes sortaient pour aller aux toilettes et qu'on voyait leurs regards. Est-ce que tu peux décrire un peu ça ?
- Speaker #4
Bah, on sentait... Moi, ça me remettait vraiment dans des situations de harcèlement de rue, quoi, de voir ces gars qui tournent la tête pour regarder ton cul quand tu vas passer. Enfin, il y a quelque chose de très décomplexé, en fait, comme s'il n'y avait aucune... Comme s'ils n'avaient pas conscience, en fait, de ces regards-là. C'était naturel chez eux, et c'est ça que je trouve encore plus terrifiant. L'accusé qui avait l'autorisation de se déplacer dans la salle, je me souviens qu'il était toujours collé au mur derrière les bancs des journalistes et qu'en fait pour aller aux toilettes, on devait littéralement faire un collet serré avec lui pour sortir. Donc je me souviens avoir passé une heure à me retenir d'aller faire pipi pour juste ne pas avoir de contact corporel avec cet accusé qui était librement derrière nous. La proximité, elle est terrifiante un peu.
- Speaker #1
Mon pire souvenir de cette promiscuité restera les échanges que j'ai pu avoir avec ces hommes. Impossible à éviter. Il y a eu Didier S. en octobre. Il me tient la porte des toilettes. Allez-y, madame. Grand sourire aux lèvres. Je ne réponds pas. Je suis à deux doigts de gerber. Quelques semaines plus tard, Redouane F. La fin du procès approche. Son interrogatoire a été très à charge. Il cherche à parler aux journalistes pour exposer sa théorie. Il est victime d'un complot. Il est si proche que je vois chacun des traits de son visage, chacune des marques sur ses dents. Il y a un mois à peine, je le voyais en train de violer Gisèle Pédicot sur les vidéos projetées dans la salle d'audience. Et là, il est devant moi. Pendant dix minutes, j'essaie d'oublier qui j'ai en face de moi. La fameuse casquette de journaliste. Là, elle est bien vissée sur ma tête. Et puis Cyril D, 54 ans, un des leaders du boys club. Avec Anna, il essaie même de nous faire sortir de la salle. Il va se plaindre aux policiers qu'on le regarde trop. Échec. Il essaie donc de me mettre des coups de pression. Suspension d'audience, je sors mon enregistreur. Il passe derrière moi, il me chuchote à l'oreille. Ah, ça enregistre dans la salle, hein ? Je lance. Non, je sais encore faire mon travail. Il me provoque. Ah, ça va alors. Ce soir-là... Je pleure. Toutes ces interactions me remontrent à quel point les agresseurs sont des gens normaux. Ils me rappellent mes agresseurs. Car oui, on a quasiment toutes subi des violences au cours de notre vie, plus ou moins graves. pour moi on vous croit violents victimes on ne sait pas que vous dites de
- Speaker #5
vous de vous
- Speaker #1
Ce procès est comme une micro-société, une bulle qui illustre parfaitement les violences patriarcales, mais aussi, et surtout, la sororité qu'elles peuvent engendrer. Dès la première semaine du procès, ces applaudissements résonnent dans le tribunal. Des dizaines de personnes, principalement des femmes, viennent encourager Gisèle. Il y a aussi des curieuses qui viennent simplement assister aux audiences pour voir comment une chose pareille a pu arriver près de chez elles. J'en rencontre plusieurs pour des reportages. Et qu'importe les raisons qui les amènent, toutes sont profondément marquées par la violence masculine de ce procès.
- Speaker #6
Je m'appelle Bernadette, j'ai 69 ans, je suis retraitée. Alors je suis venue dès le début parce que le monde de la justice m'est... inconnu. Donc je me suis dit que ça va me permettre de rentrer un petit peu dans ce monde et assister à un procès de cour criminelle. Je n'avais jamais assisté à ce type de procès donc ça aussi c'est intéressant et l'affaire est un retentissement mondial donc tout ça est très intéressant. Tout accusé doit avoir une défense mais j'ai été stupéfaite par l'orientation dès le premier jour des avocats de la défense. J'étais assez surprise. Il y avait, comment dire, une suspicion de la victime et ça c'est incroyable.
- Speaker #7
Moi je suis militante féministe et j'habite en région parisienne et j'ai voulu venir au procès pour d'une part soutenir Madame Pellicot. Je pense que ça lui fait chaud au cœur de voir tout ce monde qui l'applaudit le matin et ça l'aide à affronter les 50 personnes qu'elle a ensuite devant elle. Et puis, je voulais aussi donner de l'importance à ce procès parce qu'on espère toutes que ça va faire évoluer la législation en ce qui concerne la définition du... du consentement et du viol. Je voulais donner l'importance au procès en venant sur place.
- Speaker #1
Toutes les femmes s'identifient à Gisèle Pellicot. J'ai beaucoup entendu cette phrase tout au long de ce procès, et même après. Je ne suis pas forcément d'accord. D'ailleurs, je reste persuadée que si on a tant parlé de ce procès, C'est justement parce que Gisèle Pellicot n'est pas tout le monde. Elle représente en quelque sorte la bonne victime. Cette expression ne cherche pas à classer celles qui subissent des agressions, mais plutôt à évoquer comment la société les regarde. La bonne victime, c'est la bonne mère, la bonne épouse. Une femme cis, blanche et plutôt bourgeoise, sans histoire. La femme qui couche, mais pas trop. Celle qui sait se faire respecter, mais un peu soumise. Puisque victime, celle qui a une vie bien rangée. Mais c'est justement... parce que Gisèle Pellicot est la bonne victime qu'il faut que son combat soit entendu. Si même elle ne l'est pas, qui le sera ? Je pense que c'est un des enjeux majeurs de la médiatisation autour de ce procès. Gisèle Pellicot a d'ailleurs levé lui clos exactement cette raison. Elle voulait que la honte change de camp. Pas pour elle, mais pour toutes les futures victimes.
- Speaker #8
En ouvrant les portes de ce procès le 2 septembre dernier, que la société puisse se saisir des débats qui s'y sont tenus. Je n'ai jamais regretté cette décision.
- Speaker #1
Cette vague de soutien pour Gisèle se transpose au fur et à mesure des semaines en solidarité bien plus profonde entre toutes les femmes présentes. Sociologues, journalistes, victimes, militantes, passantes. Si ces hommes se sont liés par leur viol, nous, nous nous lions par notre simple condition de femme, dans une société patriarcale. Entre nous, les journalistes, cette solidarité est frappante. Je commence à le sentir en novembre, un mois après l'ouverture du procès. A force de se voir et de débriefer ensemble, je commence à voir en mes collègues un réel soutien. Parmi elles, il y avait Anna. qu'on a déjà entendues.
- Speaker #4
Vraiment, parce que déjà, le boys club, je pense que c'est quelque chose qu'on retrouve dans toutes les strates de la société. Et que c'était, enfin, là, c'était un boys club parmi d'autres, mais on a l'habitude d'en voir des boys clubs. Mais de voir une telle sororité, de voir un lien comme ça et tout, je pense que ça, c'est pas... C'est plus rare, déjà. Et surtout, je pense que nous, on a la chance, on a le pouvoir, entre guillemets, d'avoir le dernier mot à la fin. C'est-à-dire que nous toutes, on a écrit des articles, on a diffusé des podcasts, il y a eu des tas de choses qui se sont sorties où on a pu donner notre version des faits. Et je pense qu'on est plus entendus qu'eux. En fait, on est dans un... Voilà, il y a plus de personnes, heureusement, qui sont des soutiens à Gisèle que des personnes qui sont un soutien aux accusés.
- Speaker #1
Oui, en plus, on s'est retrouvés avec des journalistes femmes, mais de milieux totalement différents, de vécus totalement différents, de pays même différents. Et je trouve que là, il y avait cette sororité-là qui primait. Et je trouvais que ça a un peu donné du sens aussi à ce que c'était de faire société et en tout cas de faire société entre femmes. Déjà, je trouvais que... C'était plus entendable les dissensions que je pouvais avoir avec certains, par exemple, titres, etc. où je me suis dit, ah, mais en fait, ça va, parce que la journaliste que j'ai rencontrée, en fait, c'est grave ma soeur sur ce procès.
- Speaker #4
Mais en fait, on se reconnaissait toutes dans le fait qu'on était perçues comme femmes. Et quelles que soient nos idées, ce qu'on pouvait penser, on le ressentait toutes. Et c'était un mal-être pour nous toutes. Donc, ce simple fait a fait qu'on a pu... Moi, j'ai discuté avec des journalistes qui prennent des idées vraiment très différentes des miennes. Et sans même que je sache quoi au début, mais on a discuté de personne à personne, simplement parce qu'il y avait ce truc-là qui nous... reliés malgré nous et qu'on avait des choses à partager par rapport à ça. Ça a été précieux pour ne pas perdre complètement la boussole aussi, je pense, pendant le procès, parce qu'à force d'entendre pendant des semaines et des semaines des accusés, etc., on a vraiment besoin d'un espace un petit peu préservé de tout ça, et où on peut débriefer et où on peut, voilà, se, comment dire, reconnecter nos vécus de femmes à ce qui s'est passé, le dissocier aussi parfois même. s'autoriser à ressentir des choses, parce que dans la salle d'audience, on n'est censé rien laisser passer, même si des fois c'est vraiment difficile. Mais on a besoin de décharger tout ça. Et quoi d'autre qu'avec des personnes qui comprennent ce qu'on ressent.
- Speaker #1
Ce procès se joue aussi à l'extérieur du tribunal. Le quartier vit au rythme du procès Mazin. La boulangère demande où en sont les débats. Le patron de la brasserie d'en face qui avoue avoir été... Mal à l'aise par la présence des accusés dans son café, le bar où on se retrouve le soir, quitté qu'on est les journalistes pédicaux.
- Speaker #9
22h30, les rues exiguës d'Avignon se vident peu à peu. Un groupe de 7 femmes vêtues de noir sillonnent la ville à vélo à la recherche de pans de nuit.
- Speaker #1
Lundi 2 décembre. Pour un reportage, je passe une nuit avec la Dame qui colle, une artiste originaire de Lille venue à Avignon pour soutenir Gisèle Pellicot. Elle dessine des portraits de femmes victimes de violences sexuelles à travers la France.
- Speaker #9
C'est important de faire son portrait parce qu'elle fait partie des femmes ordinaires qui ont subi des violences, mais elle, elle lutte, elle a ouvert son procès, ce qui est un peu important pour nous. C'est l'engagement qu'elle met aussi dans son procès, la violence du procès, la violence de ce qu'elle a pu vivre et aussi l'ouverture médiatique et l'ouverture d'un huis clos pour une femme comme ça. Donc moi, je voulais qu'elle fasse partie de ma série aussi,
- Speaker #1
parce que c'est une femme ordinaire comme toutes les femmes que je dessine.
- Speaker #9
Moi, je vis dans le quartier et je travaille aussi dans le quartier. un espace de coworking. Et donc, il y a beaucoup d'inscriptions en ce moment dans le quartier de ces collages dues évidemment au procès des viols de Mazan. Et moi, je trouve ça génial. Même en dehors, avant même ce procès, je trouve que tous ces collages nous rappellent que des femmes meurent sous le coup du patriarcat, de la violence, du sexisme. Pour moi, ce sont des témoignages. Et vraiment, ça nous confronte à cette réalité qu'on a tendance à oublier. Et donc pour moi, c'est vraiment très important. Et je ne comprends pas, et ça me rend dingue, les gens qui arrachent ces collages. Je ne sais pas si c'est très clair, mais tu coupes ras, les...
- Speaker #1
Au-delà de Gisèle, c'est la lutte contre le patriarcat qui pousse ces femmes à s'unir.
- Speaker #5
Non aux huis-clos ! Soutien aux victimes ! Soutien aux victimes ! Non au micro ! Soutien aux victimes !
- Speaker #1
Pendant trois mois, chaque semaine, des militantes mènent des actions aux abords du tribunal. Je leur tends le micro pour la radio.
- Speaker #10
Moi je suis Pascale, je fais partie des Amazones d'Avignon, et je participe aux actions que l'on mène autour du procès. On est très présentes. dans le hall du tribunal et dans la salle de retransmission, donc pour suivre le procès de près. Et on fait d'autres actions, par exemple l'action du 2 septembre à l'ouverture du procès, décollage et ces banderoles.
- Speaker #1
Vous pouvez me lire ce qu'il y a écrit dessus ?
- Speaker #10
Donc nous avons collé cette nuit des banderoles soutien à Gisèle, non au huis clos.
- Speaker #4
Donc vous ne faites pas que suivre le procès, je laisse juste passer.
- Speaker #1
Au début, je suis un peu mal à l'aise avec ces collectifs féministes en marge du procès. À chaque interview, je me demande si j'ai envie de légitimer leurs paroles, car je ne partage pas vraiment leurs idées. On n'a pas la même vision de ce que c'est, être une femme. Sauf que je n'ai pas vraiment le choix, ce sont les seules présentes. Il n'y a pas d'autres paroles à recueillir. Et puis, même si je ne partage pas leur militantisme, je me rends compte que dans ce procès, c'est vraiment ma condition de femme qui est touchée.
- Speaker #11
C'est vraiment cette idée de se retrouver... massivement entre femmes aussi, et d'être en surreprésentation, et de montrer qu'on est là. De la même façon, en fait, qu'elle est là pour nous toutes, tous les jours au procès, dans ce courage et cette dignité, on essaye de la soutenir de la même façon. C'est très important, parce qu'il y a une chose qu'on nommait souvent quand on parle de cas comme celui-ci, ou d'autres situations de crimes, de viols ou de féminicides, ... On va souvent les exclure de quelque chose de systémique. C'est des violences qui sont systémiques, c'est les hommes qui violentent les femmes. Et en fait, on a tendance à... Souvent dans la presse, d'ailleurs, c'est rapporté comme des faits divers, c'est rapporté comme des choses exceptionnelles. Mais en fait, non, ça fait vraiment partie d'un système de violence qui est là pour soumettre les femmes. Et c'est vraiment pour ça qu'à la fois nos actions, le fait d'être présente quand on peut... Parce que là, c'est vrai que la distance fait qu'on n'est pas forcément toutes disponibles. Mais montrer cette solidarité, c'est dans ce sens-là.
- Speaker #1
C'est sûrement pour ça que la sororité a été si importante à l'intérieur et à l'extérieur du tribunal. Gisèle Pellicot est notre trait d'union. Elle est la raison pour laquelle on se rencontre, on échange et on voit naître des amitiés. 19 décembre 2024, jour du verdict. Il est 7h45, il fait encore nuit. Je m'approche la boule au ventre de la foule devant le tribunal encore fermé. Journalistes et soutiens s'entassent devant la porte vitrée. Tout le monde se demande si les peines vont être à la hauteur. Entre nous, on lance des paris, un moyen de décompresser. En réalité, on est sous pression. On sait qu'on va énormément bosser dans les heures qui suivent, car nos médias vont beaucoup nous solliciter. On sait aussi que ce soir, une page sera tournée, et qu'elle va laisser un grand vide en nous. 10 heures, salle de retransmission prévue spécialement pour la presse, elle diffuse l'audience sur un écran.
- Speaker #2
3 à 15 ans pour les 50 co-accusés, également reconnus coupables, des peines bien en dessous des réquisitions. Reportage à Avignon de Tanita Falé.
- Speaker #1
18 ans d'emprisonnement, c'est ce qui avait été requis. La Cour a décidé de baisser la lourdeur des peines. Et devant le tribunal, la déception est immense. Une femme affirme connaître un des accusés.
- Speaker #5
Une fois que je dis ça, c'est pas possible ça ! À chaque fois, si la France n'est pas solidaire, franchement, c'est la honte du pays ! C'est la honte du monde entier !
- Speaker #1
Après avoir entendu ça, j'éteins mon enregistreur et je cours me réfugier à l'intérieur du tribunal. Cette douleur me tord les boyaux. C'est la première fois que je craque depuis le début du procès. Très vite, j'essuie mes larmes, je dois me ressaisir. J'ai plein de directs à faire pour la radio et quelques reportages sur le feu. À l'intérieur du tribunal, la déception aussi est palpable. Les proches des accusés, souvent des femmes, sont dévastées. Je vois la compagne de Simonnet M, enceinte et dans le déni depuis le début du procès, assise par terre. en pleurs au téléphone. Elle urge sur nous quand on la filme. Elle aussi me brise le cœur. Je vois ces mères qui vont passer Noël sans leurs enfants. Ces hommes leur ont aussi brisé la vie. À elles, leur plus grand soutien. Comme tout au long de ce procès, dans cette violence, c'est bien la sororité qui a le dernier mot. Gisèle Pellicot est bel et bien devenue un symbole. Comme tous les symboles, elle est loin de nous ressembler à toutes. Mais elle a, à travers son procès, permis de nous rassembler. Ce procès ne m'a pas appris ce qu'était la culture du viol ou le patriarcat. Il n'a pas été une prise de conscience pour moi. En fait, ce qui est arrivé à Gisèle Pellicot ne m'étonne pas. C'est arrivé à beaucoup d'autres. Mais ce que m'a montré ce procès... c'est qu'il fallait que la société se regarde en face. Car ce procès, c'est surtout ça, une société qui se regarde. Ces vidéos sont l'horreur filmée d'un quotidien extrêmement banal qui a accompagné une femme pendant plus de dix ans. Je ne suis pas très optimiste sur ce que cette affaire va changer. D'ailleurs, au moment où j'écris les premières lignes de ce podcast, je suis à la bibliothèque municipale. Je suis devant la vitre au rez-de-chaussée. Un homme passe dans la rue. Il me regarde. Je suis concentrée et je ne fais vraiment pas attention. Je le vois, quelques secondes plus tard, faire demi-tour et me faire un doigt d'honneur. Je ne réagis pas. Il m'agresse sûrement car je l'ai trop ou pas assez regardé. Je ne sais pas. Mais il m'agresse à cause de sa profonde misogynie. Alors que j'écris ces lignes, je me rappelle ce qu'Anna m'a raconté. Un accusé lui avait fait un doigt d'honneur à travers la vitre du box. Le même geste à travers une autre vitre. Je trouve ça tristement cynique. Donc honnêtement, je ne crois pas que ce procès résoudra les violences faites aux femmes. Mais je pense que la force de Gisèle Pellicot, c'est que maintenant, on ne pourra plus dire qu'on ne savait pas. L'affaire Gisèle Pellicot, les coulisses de mon premier procès, un podcast Friction, écrit et réalisé par Tanita Fallet.
- Speaker #0
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