#52- Inès Abdel Razek - Executive Directeur au sein du Palestine Institute for Public Diplomacy cover
#52- Inès Abdel Razek - Executive Directeur au sein du Palestine Institute for Public Diplomacy cover
HeyA

#52- Inès Abdel Razek - Executive Directeur au sein du Palestine Institute for Public Diplomacy

#52- Inès Abdel Razek - Executive Directeur au sein du Palestine Institute for Public Diplomacy

1h24 |06/03/2024
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#52- Inès Abdel Razek - Executive Directeur au sein du Palestine Institute for Public Diplomacy

#52- Inès Abdel Razek - Executive Directeur au sein du Palestine Institute for Public Diplomacy

1h24 |06/03/2024
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Description

En cette veille de la journée internationale des droits des femmes je suis particulièrement émue de partager ma conversation avec Ines Abdel Razek, Directeur Executive au sein du Palestine Institute for Public Diplomacy (PIPD). 


Avant cela, Inès a travaillé au sein de l´Union pour la Méditerranée, l’ONU puis a exercé en tant que consultante au bureau du premier ministre palestinien.


L’Interview a été enregistré à distance car elle est actuellement basée à Ramallah.


Ines est née à Paris d’une maman française et d´un papa refugié palestinien militant de l’OLP (Organisation de la libération de la Palestine) ce qui la conduira à rencontrer plusieurs fois Yasser Arafat. Durant son enfance, elle vit de façons périodiques en France et en Palestine. Elle nous parle avec nostalgie de ses années passées à Gaza.


Inès revient sur ses années d´étude à Science Po, ses premières expériences professionnelles et ce qui l’a incité à s’installer en Palestine afin de s’engager en faveur de son pays.

Elle nous raconte son quotidien et toutes les contraintes auxquelles sont confrontées les Palestiniens de Cisjordanie.


Nous avons également parlé de l’évolution de son identité, de l’invisibilisation des voix palestiniennes, de la transmission d´un patrimoine détruit depuis des années mais aussi du conflit actuel et de son impact sur l’ordre mondial.


Inès est devenue maman quelque jours avant le 7 octobre. Elle évoque la façon qu’elle a eu d’appréhender cette étape si importante de la vie dans le contexte actuel.


Le parcours et l’histoire d´Inès m’ont profondément touché.


Sans plus attendre je laisse place à la HeyA du jour - Inès Abdel Razek.

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Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous, ici Ausha Fourti et bienvenue sur Haya. En arabe, Haya signifie elle C'est parce que ce mot n'est pas suffisamment utilisé pour parler de réussite et d'ambition féminine que j'ai décidé de lancer ce podcast. Les inégalités et la sous-représentation liées au genre sont malheureusement une réalité et une approche intersectionnelle ne fait qu'amplifier ces phénomènes. Chaque épisode est une conversation où j'invite une femme de culture arabe à venir partager son histoire et évoquer sa réussite. Mes invités ont toutes des backgrounds et trajectoires différentes. Elles sont journalistes, entrepreneurs, écrivaines, artistes ou encore médecins, et vous serez, je l'espère, inspirés par leur réussite. L'objectif de ce podcast est doux. Tout d'abord, commouvoir une image différente de la femme arabe, en mettant en lumière ses parcours exceptionnels, mais aussi aider les plus jeunes ou celles en quête de renouveau à trouver des rôles modèles et ambitionner leur avenir. Ma conviction ultime est que la seule manière d'y croire, c'est de le voir, ou en l'occurrence l'entendre. Si ce podcast vous plaît, je vous invite à prendre quelques minutes pour le noter 5 étoiles sur iTunes ou Apple Podcasts. C'est la meilleure manière de le soutenir. Sans plus attendre, je vous laisse découvrir notre invité du jour. En cette veille de la Journée internationale des droits des femmes, je suis particulièrement émue de partager ma conversation avec une palestinienne, Inès Abdelrazek, directeure exécutive au sein du Palestine Institute pour Public Diplomatie. Avant cela, Inès a travaillé au sein de l'Union pour la Méditerranée, l'ONU, puis a exercé en tant que consultante au bureau du Premier ministre palestinien. L'interview a été enregistrée à distance car elle est actuellement basée à Ramallah. Inès est née à Paris d'une maman française et d'un papa réfugié militant de l'OLP, l'Organisation de la Libération de la Palestine, ce qui la conduira à rencontrer plusieurs fois Yasser Arafat. Durant son enfance, elle vit de façon périodique en France et en Palestine. Elle nous parle avec nostalgie de ses deux années passées à Gaza. Inès revient sur ses années d'études à Sciences Po, ses premières expériences professionnelles et ce qui l'a incité à s'installer en Palestine afin de s'engager en faveur de son pays. Elle nous raconte son quotidien et toutes les contraintes auxquelles sont confrontés les Palestiniens de Cisjordanie. Nous avons également parlé de l'évolution de son identité, de l'invisibilisation des voix palestiniennes, de la transmission d'un patrimoine détruit depuis des années, mais aussi du conflit actuel et de son impact sur l'ordre mondial. Inès est devenue maman quelques jours avant le 7 octobre. Elle évoque la façon qu'elle a eu d'appréhender cette étape si importante de la vie dans le contexte actuel. Le parcours et l'histoire d'Inès m'ont profondément touchée. Sans plus attendre, je laisse place à la réa du jour, Inès Abdelrazek. Inès, bonjour. Merci infiniment d'avoir accepté mon invitation. Je suis ravie de te compter parmi les réas et je suis ravie d'avoir une palestinienne et de faire entendre cette voix qui, malheureusement, est de plus en plus rare ou en tout cas qu'on n'entend pas assez actuellement.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, Rouchra, pour cette invitation. C'est moi qui suis honorée d'être parmi tes invités de marque sur ce podcast.

  • Speaker #0

    Inès, généralement je commence par une question un peu signature sur le podcast, mais j'aimerais commencer peut-être un peu différemment et juste demander comment ça va.

  • Speaker #1

    Écoute, c'est vrai que c'est une question qu'on a arrêté de se poser entre nous. Dès qu'on se contacte entre Palestiniens aujourd'hui, en fait on a arrêté de poser la question parce que c'est une question qui paraît futile et à laquelle la réponse n'est pas du tout straightforward. Je fais beaucoup d'anglicisme parce que j'enverrai mon français. Mais voilà, je pense que je me dis toujours que j'ai beaucoup de chance. Moi, à Ramallah, j'ai un toit, j'ai une vie assez normale, entre guillemets. Donc, je me dis toujours que j'ai beaucoup de chance. Donc, je dirais que personnellement, ça va. Et j'ai un bébé depuis peu qui me permet aussi de maintenir ma santé mentale, je dois dire. Et c'est très précieux. Donc, voilà, je dirais que je vais plutôt bien considérer toute chose égale par ailleurs, au vu du contexte.

  • Speaker #0

    Merci. Inès, la question signature serait de commencer par les origines. Est-ce que tu serais d'accord de nous parler de ton éducation, l'environnement dans lequel tu as grandi, le type d'éducation que tu as pu avoir ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai que la question, j'ai toujours eu peur, enfin pas peur, mais cette question m'a toujours procuré un peu d'angoisse dès qu'on me demandait tu viens d'où ? Et c'est la question que tout le monde pose, c'est assez naturel, on me la pose d'ailleurs toujours. Ici en Palestine, puisque je viens de la diaspora des exilés, et donc mon arabe n'étant pas complètement bilingue, il y a toujours cette question qui revient, mais tu viens d'où ? Et quand je suis en France, c'est pareil, mais tu viens d'où ? Et donc c'est vraiment une question qui pour moi a toujours été une source d'angoisse, de comment je vais répondre ? Et je pense que cette réponse a évolué au fil du temps, clairement. Mes identités, mon identité ayant beaucoup évolué, je pense que l'identité est fluide, et je pense que... En grandissant, en vieillissant, on évolue toujours en fait. C'est vraiment un concept et une chose mouvante. Moi, je suis franco-palestinienne, c'est comme ça que je me définis souvent. Ma mère est française et mon père est palestinien, donc j'ai vraiment... Et pendant très longtemps, j'ai souvent dit je suis moitié palestinienne et moitié française Et en fait, j'ai arrêté de dire ça. Je suis 100% palestinienne et 100% française, je pense, de différentes manières. Et donc, je suis née à Paris, donc d'un père réfugié palestinien, toute ma famille paternelle étant réfugiée au Liban depuis 1948. et mon père ayant émigré en France et ma mère étant française bretonne d'origine. J'ai grandi dans différents endroits, j'ai beaucoup déménagé. Mes grands-parents eux-mêmes, maternels ou paternels, ayant eux-mêmes déménagé, soit par exil forcé, soit par le travail en France. Donc en fait j'ai quand même une histoire familiale où tout le monde a beaucoup bougé géographiquement. Et donc c'est vrai que c'est difficile pour moi, quand on me demande mais où est... ta maison en fait, où est home ? J'ai vraiment du mal à répondre à cette question et c'est pour ça que moi je me crée mon propre foyer, ma propre maison, là où je suis souvent avec les personnes autour de moi. Donc voilà je crois d'où je viens, mais je suis très ancrée dans la culture palestinienne et française ça c'est évident.

  • Speaker #0

    Et enfin, du coup la culture palestinienne était très présente, ton papa ne te parlait pas arabe en termes de nourriture de fêtes, etc. C'était un mélange ? Comment c'était ?

  • Speaker #1

    C'était un mélange, alors c'est un peu particulier. Pour la question de la langue, c'est le cas, je pense, de beaucoup de papas immigrés qui ont arrêté de parler leur langue paternelle aux enfants. Donc mon père m'a parlé en français, malheureusement, une fois qu'on a commencé à parler. Il parlait arabe avec tous les gens autour de lui, sauf ses enfants et sa femme. Donc malheureusement, j'ai dû réapprendre l'arabe derrière en fait plus tard. Et je pense que c'est une erreur. J'aurais aimé qu'il continue à faire cet effort. Donc aujourd'hui, je sais que mon mari qui est palestinien aujourd'hui, lui, il fait l'effort de parler l'arabe. Il parle français aussi, mais on parle français à notre fils et arabe. Et je pense que c'est très important. De zéro à sept ans, j'ai grandi dans une banlieue parisienne, l'imitrof de Paris. Et après, je suis partie à Gaza. Donc c'est un petit peu particulier parce que j'ai été immergée aussi. assez tôt dans la culture palestinienne. Mais à Paris, de 0 à 7 ans, c'était en fait un mixte. On avait beaucoup les amis de mon père, la communauté un peu palestinienne. Mon père est à la retraite, mais il était diplomate à l'OLP, il était militant à l'OLP, donc actif politiquement. Et donc, la plupart de ses amis étaient aussi des militants palestiniens ou arabes. Et donc, voilà, notre quotidien était à la fois très français. J'allais en vacances chez mes grands-parents maternels et puis on était à l'école française, etc. Mais on avait quand même ces retrouvailles de la communauté palestinienne. On traînait au resto libanais des parents de mes amis d'enfance. Il y avait quand même ce côté-là. Donc, c'était un mélange, mais qui n'était pas très, très conscient. J'ai eu... Très tardivement, mon identité palestinienne a beaucoup évolué. Tout ça a été assez mélangé. Pareil pour la nourriture, tout ça a été... Je ne me suis jamais trop posé la question, mais mon père faisait par exemple le labané, il la faisait à la maison avec la faisselle du supermarché français. Mais tout ça était très ancré dans les habitudes du petit-déj chez nous. Mais voilà, c'était assez mélangé en fait.

  • Speaker #0

    Et tu disais que ton papa était militant. Comment est-ce que ça se ressentait à la maison ? Est-ce que son engagement était partagé à la maison ou est-ce qu'il gardait quelque chose d'assez cloisonné, plus à l'extérieur, et puis sa vie de famille protégée Je ne sais pas si c'est le bon terme.

  • Speaker #1

    Ce qui est intéressant, c'est que je dirais que c'est ma mère qui est française, qui était militante aussi, qui a vécu au Liban, qui a ensuite nous emmené, elle, à Gaza. Mon père est resté à Paris pour son travail. C'est plutôt ma mère qui, proactivement... a essayé de nous ancrer dans cette culture palestinienne, puisque mon père, lui, il a eu justement la réaction plutôt inverse. Donc autant on était dans les fêtes de la communauté, etc., autant je pense que ça a tellement été un poids pour lui, ce combat, en fait, qui était difficile. Et moi, je suis née fin des années 80, donc il faut bien voir que l'OLP, pendant les années 80, s'était vue comme un mouvement terroriste. Ma mère, avec sa famille, ça a été très difficile de faire accepter qu'elle se marie avec un palestinien. À l'époque, c'était vraiment le palestinien de l'OLP, terroriste. Alors, ça fait écho aujourd'hui à toute cette image des palestiniens terroristes, mais il faut bien voir que c'était le cas avec d'autres profils politiques à l'époque. Et donc, lui nous a beaucoup protégés de tout ça. Et c'est d'ailleurs que maintenant, maintenant que je suis engagée, maintenant que c'est mon... C'est mon engagement, c'est mon quotidien de me battre pour la cause palestinienne, que je parle politique avec mon père. Mon père ne nous a jamais parlé de son quotidien, de choses politiques, de son travail. Il a toujours vraiment cloisonné, je pense, pour nous protéger de ça, et avec l'idée qu'on est nés français, on est nés libres, on est nés dans un pays où on n'a pas forcément à se préoccuper de ce poids de la cause palestinienne. Et donc, quelque part, il a essayé de... Enfin, il n'a pas transmis, il ne nous a pas transmis ça. Et c'est vraiment moi qui ai dû faire mon éducation politique seule, pour beaucoup. Seule et bien sûr à travers les expériences inconscientes qu'il nous a aussi transmises. Mais je pense que quand il nous l'a mené, c'était très inconscient. Mais il y a des petites choses, bien sûr. J'ai rencontré Yassar Arafat à plusieurs reprises dans ma vie, dans mon enfance, parce que mon père travaillait avec lui. Et moi, j'avais... J'ai probablement très peu de conscience aussi de qui était Yasser Arafat. Je savais que c'était quelqu'un d'important et tout le protocole autour faisait que, on sentait que c'était important, mais je n'avais aucune conscience politique de la figure. Et je sais que mon père avait une arme à la maison. Il y avait un pistolet chez nous qu'il ne lui avait jamais utilisé, mais il avait le droit au port d'arme parce que c'était dangereux, parce qu'il y avait eu des assassinats de personnalités de l'OLP. Et tout ça, je pense que... C'était très inconscient. Je me rappelle de choses a posteriori, en fait. Mais c'est des petites choses comme ça dont je me rappelle. Je me dis, oui, en effet, ce n'est pas normal d'avoir un pistolet chez soi. Et plus tard, j'ai appris d'autres choses, qu'il n'avait pas le droit de se mettre de haut aux fenêtres. Mais tout ça, dans le quotidien, dans un HLM de banlieue parisienne, ça ne faisait pas beaucoup de... Je ne faisais pas le lien avec la réalité politique de tout ça.

  • Speaker #0

    Et puis, enfin, on a l'impression que le monde dans lequel on évolue, c'est la norme et on a peu de... De benchmark et de comparaison, donc j'imagine que c'est avec le temps que c'est venu. Tu parlais, Inès, tout à l'heure de ces quelques années à Gaza, où vous êtes repartie à l'âge de 8 ans avec ta maman. Tu peux nous en parler un peu plus ?

  • Speaker #1

    Alors, je ne suis pas repartie à Gaza, parce que ma famille, elle est originaire d'un village sur la côte du nord de la Palestine historique, qui est tout proche de la frontière avec le Liban. Mais il se trouve que ma mère voulait monter une école française à l'époque à Gaza. enfin une école francophone. Et bon, ça n'a pas marché pour des raisons politiques, mais on est partis deux ans, oui, entre 1995 et 1997 à Gaza. C'était vraiment les bonnes années de Gaza, en fait. C'était les années du retour de Yasser Arafat dans la bande de Gaza, donc du retour de l'OLP en Palestine. C'était juste après les accords d'Oslo. Donc c'était vraiment l'époque où, je me souviens, c'était l'époque où on a... poser la première pierre pour un aéroport à Gaza, où on discutait, où il y avait vraiment beaucoup de construction, des choses qui se faisaient, en ayant l'espoir qu'il y ait un État palestinien qui se construise. Cet espoir est très vite retombé, malheureusement. Il y a Benyamin Netanyahou qui est arrivé au pouvoir en 1996, tout ça, mais en tant qu'enfant, moi je dois dire que ça a été vraiment deux belles années, parce que j'ai fait partie d'une troupe de Dapke, qui est la danse folklorique palestinienne. On avait une maison avec un jardin, donc c'est vrai que par rapport à un HLM parisien, ça changeait beaucoup. On avait des orangers, on habitait au bord de la mer. Et voilà, je pense que c'était en tout cas la période d'espoir. Et c'est d'autant plus dur, parce que la dernière fois que j'ai pu aller à Gaza, c'était en 2003. Et à partir de 2006-2007, en fait, ça a été complètement interdit qu'on y aille. Et aujourd'hui, ça fait six ans que je suis en Palestine, et c'est à peine à une heure et demie de route, et on n'a pas le droit d'y aller. Donc tous ces souvenirs d'enfance... ont dû rester des souvenirs d'enfance. Je n'ai pas pu y retourner ou me refaire une idée. Je sais que ça a tellement changé avec le blocus. Maintenant, avec le génocide, ils ont vraiment tout détruit. Je pense que c'était important pour moi de vivre ces deux années-là, où en plus j'ai parlé l'arabe et je me suis fait des amis, etc. Mais c'est un lien qu'on m'a lié après. On nous a coupés. Et on en parle souvent avec des amis de Ramallah aussi, c'est-à-dire que beaucoup ont de la famille à Gaza, avec qui on leur a nié ce lien en fait, on nous nie un lien émotionnel, un lien réel avec des personnes, on nous nie l'amour, le deuil, tout ça, parce que ça paraît lointain en fait. Moi les seules personnes de Gaza avec qui je parle, je les connais par WhatsApp, de mon âge quoi, des gens d'une trentaine d'années, je les connais par WhatsApp, par Zoom, mais on s'est jamais vus. Voilà, on nous nie un lien fort et moi c'est ce lien que j'ai créé à l'époque et après je suis rentrée en France. Donc voilà, c'était deux années importantes et c'était des années, rétrospectivement, j'ai compris parce que en fait c'était la fameuse visite de Jacques Chirac à l'époque, j'y étais quoi. C'est-à-dire que j'étais là quand la limousine de Jacques Chirac est rentrée à Gaza. En fait c'était une époque assez chargée, mais tout ça je l'ai compris que plus tard. Et j'ai compris plus tard... Voilà, cet espoir en tout cas et cette positivité qui existait pendant ces années-là, mais qui malheureusement, on a très bien compris qu'Israël n'avait aucune intention. qu'un État palestinien voit le jour et que Gaza est resté isolé, et d'autant plus a été marginalisé, bloqué, sous siège, etc. Donc voilà, je dirais que c'était deux années importantes pour moi.

  • Speaker #0

    J'imagine. Et comment se fait le retour en France ? Tu étais contente ou tu l'as vécu un peu comme un premier déchirement ou un deuxième déchirement, je ne sais pas ?

  • Speaker #1

    Je pense que j'ai beaucoup déménagé dans ma vie, et donc j'ai beaucoup changé d'endroit. J'ai pas toujours vécu à Paris, en France, et donc je dois dire que c'est quelque chose que j'ai intégré, et je pense que c'est quelque chose que mes parents m'ont beaucoup transmis aussi. Je pense que l'exil fait partie de moi, en fait. C'est-à-dire que mon identité, et c'est pour ça que, bien sûr, tout ce que écrit Edouard Saïd et tout ça, ça me parle beaucoup, c'est que l'exil fait partie de mon identité. Ça, c'est une évidence. Que ce soit d'ailleurs... Encore une fois, la transmission intergénérationnelle de l'exil de mes grands-parents palestiniens, et le fait que je pense que l'exil a fait partie de ma vie de toute façon. Donc quelque part, j'ai réussi à embrasser ça. Je dois dire que c'est plutôt à l'adolescence, où pour le coup, j'ai fait un... Je crois que j'ai fait un rejet, mais comme beaucoup d'ados, j'ai fait un rejet de ce déracinement. Et en fait, c'est en retournant à Jérusalem, parce que je suis retournée à Jérusalem au lycée. pour vivre un an. Et je n'avais pas envie de quitter Paris à l'époque, quand j'étais ado. C'est là où j'avais beaucoup de conflits d'identité. Je voulais être française, je me suis dit je n'ai pas de problème dans ma vie. Je n'avais pas envie de retourner en Palestine, je ne voyais que des problèmes. C'était la seconde intifada. Je me disais pourquoi aller là-bas ? Rétrospectivement, ça a été très riche comme année, mais c'est vrai que c'était une année très difficile là-bas, au lycée, à Jérusalem, dans un contexte de seconde intifada, de tensions permanentes. Mais voilà, je pense que toutes ces années à aller et venir, quelque part, m'ont aussi forgé mon identité. Et c'est là aussi où ça fait partie de ce qu'on me demande encore aujourd'hui, parce que j'habite à Ramallah, mais je ne suis pas de Ramallah, ma famille n'est pas de Ramallah. J'ai vécu à Gaza, j'ai vécu à Jérusalem. Même en tant que palestinienne, les palestiniens ne comprennent pas, parce que les palestiniens, en tout cas ceux qui sont en Palestine, ont une identité très locale, c'est-à-dire que ma famille vient de Naplouse, ma mère vient de... soit de 48, de Saint-Jean-d'Acre, et puis mon père vient de Naplouse. Et donc les gens ont une identité assez marquée de famille. Leur famille vient d'un endroit. Le nom de famille souvent porte la marque d'où on vient, si on vient d'Ebron ou si on vient de Jérusalem. Moi, c'est vrai que je n'ai pas cet ancrage local, parce que ma famille n'est plus en Palestine. Je suis la seule qui a réussi à revenir, à retourner. Alors, c'est pas sans problème, on pourra en discuter, mais si je suis là, c'est parce que je l'use encore pour essayer de rester. J'ai pas le droit d'être là en tant que palestinienne, parce que les réfugiés n'ont pas le droit au retour. Je suis là avec mon passeport français, mais ça a créé tout un tas de problèmes aussi. Mais ma famille, ils ont toujours été exilés au Liban, à Beyrouth, en fait. Et donc, c'est vrai que c'est compliqué pour les gens de se situer, mais du coup, je suis pas de Ramallah, je suis de la diaspora. En même temps, j'ai vécu à Gaza, à Jérusalem, donc c'est... Voilà, c'est toute cette... Tout ça, je porte ça en moi. Même dans mes propres identités nationales, c'est très multiple.

  • Speaker #0

    Et à quel moment, Inès, tu as assumé, tu parlais de l'adolescence, où il y a eu un rejet, et puis contexte compliqué, pourquoi porter ça ? Je suis aussi française, je vais garder un peu le côté le plus léger, entre guillemets. À quel moment cette identité palestinienne, tu as commencé à l'accepter ? et la revendiquer ?

  • Speaker #1

    Je pense qu'il n'y a pas eu de moment charnière, mais j'ai eu plusieurs expériences qui m'ont porté de toute façon à ne pas la quitter. C'est-à-dire que dans mon enfance, notamment à 10 ans, puis à 15 ans, j'ai participé à des projets qui à l'époque étaient assez en vogue, d'essayer de réunir des Israéliens et des Palestiniens pour la paix. Ce genre d'initiatives qui pour moi, aujourd'hui, avec le recul, sont complètement contre-productives. et n'ont pas apporté grand chose mais ma génération, ce qu'on appelle un peu la génération Oslo qui a grandi post Oslo, on nous a encouragé à faire ce genre de choses. Donc j'ai tourné un film sur la paix, après j'ai participé à une chanson, une chorale, où il y avait des Palestiniens et des Israéliens. Et donc tout ça m'a toujours, enfin encore une fois, m'a accompagnée. Mais ça a beaucoup évolué dans le sens où, encore une fois, c'était beaucoup dans l'inconscience politique. Je pense que j'ai eu une éducation politique qui est venue très tardivement. Quand je vois les jeunes générations aujourd'hui, je vais avoir 36 ans donc je ne suis plus tout à fait jeune, mais les jeunes générations, je vois qu'ils se mobilisent au lycée, les jeunes étudiants qui sont à fond, qui sont dans des mouvements politiques et qui s'organisent. J'admire ça beaucoup parce que pour moi c'est venu beaucoup plus tardivement, même à la fac, même à l'école, je n'étais pas encore tout à fait mûre je pense politiquement. Donc c'est venu avec le temps. Et à l'adolescence, je voulais juste être une ado en fait. Et donc je pense que cette identité m'a portée parce que pour moi, je m'engage à la fois parce que je pense que j'ai le devoir, avec le privilège dans lequel j'ai grandi et avec tous les privilèges que j'ai de me battre en fait pour les Palestiniens qui n'ont pas cette chance. Donc je dois utiliser mon privilège, ça c'est sûr. Mais il y a aussi le fait que j'ai toujours eu du mal avec l'injustice. Ça m'a toujours affectée, en fait, l'injustice, les injustices. Et je pense que notre combat, c'est un combat qui va au-delà, en fait, de la Palestine, au-delà de la Palestine historique. Je pense que le combat des Palestiniens, il est quelque part, il y a une universalité dans notre combat. Donc c'est mon combat parce que je ne l'ai pas choisi parce que je suis palestinienne. Peut-être que si j'avais été sahraoui, je me serais battue autrement. Mais je pense qu'en tout cas, dans la cause palestinienne, il y a quelque chose de... d'universel et je pense que de fait de ma double culture j'ai une responsabilité aussi de me battre pour la cause palestinienne internationalement parce que je parle plusieurs langues, j'ai eu la chance d'apprendre plusieurs langues, parce que j'ai cette identité européenne donc je comprends aussi l'identité européenne et la situation en Europe et voilà et je dois dire que quand j'étais en fait enfant et ado en France, j'ai pas beaucoup vécu de racisme dans le sens où Alors on n'a pas la vidéo, mais j'ai beaucoup pris les traits de ma famille maternelle, donc je suis quand même blanche, et j'ai l'air blanche, c'est-à-dire qu'on ne me voit pas, on ne peut pas se dire ah tiens, c'est une arabe Donc il y a mon nom, bien sûr, qui à l'école, il y a toujours eu des interrogations, mais tu viens d'où ? et les gens n'arrivaient jamais à prononcer Abdelrazek, alors que ce n'est pas le nom le plus difficile à prononcer, mais il y avait toujours... Personne n'a jamais réussi à prononcer mon nom, bizarrement. Mais on a aussi grandi dans une France où je dois dire que je pense que c'était plus facile quand moi j'étais enfant que les enfants aujourd'hui ou les ados d'aujourd'hui. Il n'y avait pas la question de la religion, on ne se posait pas. Je veux dire, moi mon père est musulman, mon nom est musulman, mais on ne m'a jamais posé la question de la religion. C'était un peu la France black blamber dans le sens où j'ai l'impression peut-être parce que je suis partie depuis 12 ans de la France, donc encore une fois je vois ça de l'extérieur. Mais j'ai l'impression que c'était quand même moins difficile à l'époque, dans les années 90. Et je pense aussi qu'il y avait un... Malheureusement, dans la société française, il y avait une différenciation. Moi, je viens de Palestine, donc les gens étaient plutôt fascinés et me mettaient dans une case levantine plus que maghrébine. Et donc, je voyais autour de moi les élèves et mes camarades et mes amis qui étaient maghrébins ou d'origine maghrébine. Eux, pour le coup, ils étaient beaucoup plus sujets au racisme que moi. Parce que ça ne soulevait pas les mêmes imaginaires coloniaux ou post-coloniaux. Ça paraissait plus lointain, le Moyen-Orient, le Proche-Orient. Ça paraissait plus quelque chose d'exotique et quelque chose où il y a un conflit. On me demandait mon opinion, mais c'était moins lié à des préjugés et à du racisme qu'on peut voir contre les populations arabes d'origine maghrébine et d'ex-colonie française.

  • Speaker #0

    Et là, Inès enfant, dans ce contexte, tu rêvais de quoi ? Tu t'imaginais un métier ? Tu voulais être comme papa, comme maman ?

  • Speaker #1

    Non, justement, pendant très longtemps, je me suis dit que je n'allais jamais faire comme papa. Et résultat, je fais beaucoup comme papa. Et ma mère était un stit, était toujours pédagogue dans l'éducation, etc. Ce n'est pas le chemin que j'ai pris. Non, je suis passée par plusieurs phases. Je voulais être architecte. Donc, ça a beaucoup fluctué. Je dois dire que j'ai toujours eu l'impression que j'aurais le choix, mais jusqu'à très tardivement non plus, je n'avais pas beaucoup, encore une fois, accès à beaucoup d'informations. J'étais dans un lycée public où, comme beaucoup, les options qu'on nous offre sont très limitées. C'est pour le coup l'année à Jérusalem, quand j'étais au lycée en première, où là j'étais dans un lycée français à l'international, et là j'ai compris l'accès que pouvait offrir ce genre d'opportunité. dans un petit lycée, qui était très particulier en plus, parce que les profs étaient israéliens, parfois colons en Cisjordanie, et les élèves tous palestiniens ou diplomates. Donc ambiance très très bizarre dans une école à Jérusalem. Mais voilà, comme il y avait des visites diplomatiques qui étaient régulières, je me souviens qu'il y a Bertrand Delannoye, à l'époque le maire de Paris, qui est venu à l'école. Et puis, il y a des historiens qui sont venus. Et c'est là que j'ai compris ou que j'ai connu, que j'ai entendu parler de Sciences Po. Je n'avais aucune idée de ce que c'était que Sciences Po. Donc, je me suis un peu renseignée. Et puis, il y avait des enfants de diplomates où eux, ils en avaient parlé. Enfin, ils en avaient entendu parler depuis leur enfance. Moi, mon père était diplomate de l'OLP, mais en fait, c'est militant de l'OLP. Ça n'a rien à voir avec la diplomatie classique. Et donc, c'est là où j'ai entendu parler de ce que c'était que Sciences Po. Et au lycée, je pense que c'est là où vraiment j'ai... J'ai ancré un intérêt pour ce qui était sciences humaines, et puis l'histoire, la géographie, et comprendre aussi qu'on nous enseignait les choses de manière très mauvaise. Surtout sur ce sujet-là en particulier, sur la décolonisation, sur Israël-Palestine. J'ai compris qu'il y avait des choses qui n'allaient pas dans ce que disaient les profs d'histoire-géo. Et donc ce sont des matières qui m'ont ensuite intéressée. Mais pendant très longtemps, je n'ai jamais trop su comment... Qu'est-ce que j'allais être plus tard, en fait ? J'ai longtemps repoussé cette décision. Et je savais juste que je voulais être utile, en fait. Je voulais être utile. Je savais que les injustices en Palestine allaient me porter quelque part par là-bas. Mais je voulais me forger d'abord une expérience et une expertise ailleurs pour quelque part mieux revenir, je pense, en Palestine. Et c'est ce que j'ai fait.

  • Speaker #0

    C'est hyper intéressant de voir un peu cette parenthèse qui t'ouvre les yeux et l'importance du milieu. Et ça, on l'entend beaucoup. beaucoup dans le podcast. Donc Sciences Po, et là tu commences à travailler dans des organismes. Est-ce que tu t'es posé la question de travailler dans un corps d'État, par exemple, parce que c'est aussi l'un des débouchés classiques, je dirais, de Sciences Po ? Ou est-ce que très vite tu étais sur cette ligne de justice, d'être utile, et peut-être que tu, je ne sais pas, je ne vais pas parler en ton nom, mais peut-être que le corps d'État c'était quelque chose qui te semblait moins utile ?

  • Speaker #1

    Oui, alors à posteriori, c'est vrai que... Je pense que Sciences Po a été une bonne expérience qui m'a ouvert beaucoup de portes. Par contre, à postériori, je vois à quel point ça a été limité en termes d'éducation politique et en termes de formatage intellectuel. J'ai terminé mon master en 2011 et c'est depuis ces 13 dernières années que j'ai vraiment forgé mon éducation politique. Je trouve que c'était vraiment très normatif. et très peu... C'était assez lisse, en fait, comme éducation. Donc, je pense que Sciences Po, c'est très bien pour apprendre à penser, à analyser, donc beaucoup d'outils, de compétences. Mais alors, en termes de challenge intellectuel et surtout de remise en question de beaucoup de choses intellectuellement, j'ai eu quelques très bons profs qui m'ont ouvert l'esprit, mais sinon, je dois dire que c'est vraiment depuis ces 13 dernières années que j'ai dû beaucoup lire. pour relire des choses, pour me forger l'identité politique que j'ai aujourd'hui. Donc ça a beaucoup évolué. Et à l'époque, c'est vrai que ça nous formate beaucoup à rentrer dans des institutions. D'ailleurs, soit dans le secteur privé, il y a beaucoup de gens qui vont en banque ou en consulting. Moi, je savais tout à fait que ce n'était pas du tout mon truc, que je voulais quelque chose au service public, enfin quelque chose au service de la société ou au service international. Et c'est poser la question, en effet, et pendant plusieurs années... Ensuite, on me l'a beaucoup demandé, mais pourquoi tu n'es pas devenue diplomate du Quai d'Orsay, la diplomatie française ? Mais j'ai toujours eu un malaise, je crois, assez profond de rentrer dans un corps d'État français. Je sentais bien qu'il y avait quelque chose qui ne m'allait pas. Ça ne me ressemblait pas de défendre la politique de la France ou de rentrer dans un corps d'État français. Ce n'était pas moi. Donc, je me suis plutôt orientée vers les institutions internationales, parce que je pense que j'avais encore cet idéalisme, on va dire, de... de penser que les organisations internationales gouvernementales avaient un pouvoir, avaient le pouvoir de changer les choses, avaient un rôle positif sur l'état du monde. Donc je suis d'abord allée à l'Union pour la Méditerranée, parce que je pense que j'ai une identité très méditerranéenne. Être franco-palestinienne, pour moi, c'est clair que c'est aussi une identité méditerranéenne. Je me sens bien en Méditerranée, je me sens bien au bord de la mer. Je vois bien qu'on a quelque chose de commun entre nous tous, qui venons du pourtour de la Méditerranée, que ce soit les Espagnols, et j'ai eu la chance de quand même aller dans beaucoup de ces pays-là. Donc j'ai commencé par l'Union pour la Méditerranée, en voyant très vite que c'était très dépolitisé, parce que quand on met autour de la table... le Liban, Israël, la Palestine et Chypre, etc. En fait, c'est impossible d'avoir un agenda qui ait un minimum de sens politiquement. Et donc, il fallait tout faire de manière technique, surtout pas parler des choses essentielles comme le dossier des migrations, le dossier de la Palestine et des droits des Palestiniens. Donc, à la fois, ça m'a beaucoup ouvert sur les questions palestiniennes parce que je travaillais sur les questions de l'eau et de l'environnement en Palestine. Mais en même temps... ça m'a beaucoup déçue par rapport au multilatéralisme et aux institutions intergouvernementales. Derrière, j'ai eu l'opportunité d'aller à l'ONU. J'ai vécu trois ans au Kenya, au siège de l'ONU pour l'environnement, parce que je voulais continuer. Je me disais que je pense que cette question environnementale est aussi assez universelle et je voulais continuer mon combat là-dedans. Et encore une fois, m'ouvrir plutôt que d'aller me focaliser sur la Palestine tout de suite, je me suis dit que ça allait m'apporter. des choses et une expertise que je pourrais ensuite ramener probablement en Palestine.

  • Speaker #0

    Est-ce que dès le début, tu t'es dit mon combat sera pour la Palestine ou c'est venu vraiment en avançant avec l'actualité, etc. ? Est-ce que là, quand tu es au Kenya, tu sais que tu vas rebifurquer vers le sujet palestinien ?

  • Speaker #1

    En fait, je l'ai vécu de manière assez très personnelle en arrivant à l'ONU, à Nairobi. Donc, ce sont des agences qui sont là-bas. C'est quand même des milliers d'employés de l'ONU. C'était 2014 et c'était la guerre à Gaza. Gaza a vécu plusieurs guerres atroces de ces dernières années. Là, on est vraiment dans un génocide où Israel a volonté d'annihiler complètement la bande de Gaza. Mais il y a eu des vagues de bombardements très dévastatrices pour Gaza depuis 2009. 2014 a été vraiment une vague de bombardements vraiment terrible. Et je suis arrivée là-bas et je me sentais très impuissante. En fait, je suis arrivée et je me suis dit mince, c'est la guerre à Gaza Je me sens impuissante et je voyais bien autour de moi que les employés de l'ONU et les gens qui travaillent dans le développement avaient peur de parler du sujet. Et avaient comme ça un peu cette empathie, mais cette empathie un peu à la fois honteuse et lointaine. Et ils avaient peur de parler, ils avaient peur de faire quelque chose. Et moi ça m'a beaucoup déçue et il y avait très peu d'arabes dans ces agences de l'ONU là-bas à Nairobi. Donc je me suis sentie assez seule. Et j'ai trouvé une ou deux personnes qui étaient d'origine palestinienne ou pas et qui étaient très solidaires avec les Palestiniens. Et on a organisé un événement, un concert. On a trouvé des artistes qui nous ont donné des œuvres d'art à vendre. On a fait toute une vente aux enchères pour lever des fonds pour Gaza. Je crois que c'était vraiment le premier projet que j'ai porté moi seule pour la Palestine. Et ça m'a réchauffé le cœur. Et d'ailleurs, au bout de trois ans, j'étais vraiment déçue par les instances de l'ONU et parce qu'au fil des années, en fait, on avait des dossiers qui étaient liés justement à la destruction de l'environnement à Gaza. Et je voyais bien que j'étais à la fois marginalisée parce que j'étais palestinienne, donc on allait me voir comme biaisée sur le dossier. Alors que j'étais au bureau des directeurs, j'avais quand même une expertise sur le sujet, mais on me marginalisait de manière délibérée parce que j'étais vue comme biaisée. Alors qu'on ne fait jamais ça avec un dossier autre. Je veux dire, si un Norvégien sur les glaciers ou sur les fjords, on demande à la personne qui vient du pays, qui a l'expertise sur le sujet. Mais quand il s'agit de la Palestine, on est toujours vu, nous, Palestiniens, on ne peut pas être experts ni analystes. On est toujours vu comme biaisés, émotionnels. Et donc, ça m'a beaucoup déçue. Et je pense que c'est vraiment mon expérience sunnisienne qui, après... Voilà, m'a fait réfléchir et me dire, voilà, il est temps pour moi d'aller en Palestine. Je n'avais pas de boulot, j'ai quitté l'ONU, et une situation franchement très confortable. Il faut bien voir que les fonctionnaires de l'ONU sont très bien payés, beaucoup de privilèges. Et en plus de vivre au Kenya, en tant que blanche, alors là, ça m'a ouvert les yeux beaucoup aussi sur la situation postcoloniale. Alors, c'est une ancienne colonie britannique, donc c'est culturellement très différent, je pense, des anciennes colonies françaises. Mais clairement, de voir aussi... Toute cette dynamique-là, j'avais clairement pas envie de rester. Et deux, je me suis dit qu'il était temps pour moi d'aller en Palestine. Et ça a été très riche. J'ai vraiment beaucoup appris. Je ne regrette pas du tout. Mais je pense que ça m'a ouvert les yeux sur beaucoup de choses, toutes ces expériences professionnelles. Et ça a fait partie de mon éducation politique, clairement.

  • Speaker #0

    Et là, du coup, tu arrives en Palestine sans rien, sans job. Tu t'installes où et quels sont tes projets à ce moment-là ? Est-ce que tu as une feuille de route ? Tu as prévu, tu as un peu une vision sur ce que tu voulais faire ?

  • Speaker #1

    Non, alors j'arrive avec mon visa de touriste. Alors, il se trouve qu'à partir de 2012 quand même, quand j'étais à l'Union pour la Méditerranée, j'ai commencé un peu à m'organiser avec d'autres Palestiniens de ma génération. Donc, j'ai commencé à étoffer, on va dire, mes contacts et mes réseaux et mes activités. avec d'autres Palestiniens. Et c'est là où je me suis sentie quand même moins seule. Et à partir de ce moment-là, quand même, j'étais déjà un peu active. J'ai fait un ou deux séjours en Palestine en visite en 2013. Et puis après, en fait, c'est quand je l'ai déménagé là-bas en 2017. Mais je dois dire que j'avais quand même quelques contacts. Et donc, c'est à travers eux que j'ai commencé à me dire, voilà, à les contacter, à voir un peu qu'est-ce que je pourrais faire. Il y a la question du visa qui se pose, puisque, donc, encore une fois, moi, je rentre en Palestine en tant que Française. Les Israéliens ne savent pas que je suis palestinienne. Je suis née à Paris, je suis française, et en fait, il faut que je cache, moi, auprès des Israéliens, mon identité palestinienne. Et c'est pour ça que, voilà, moi je suis vocale dans les médias, etc. Donc je sais toujours le risque que je prends, parce qu'en fait, je suis quand même toujours sur un siège éjectable dans ce pays, parce que je n'ai pas le droit d'être là en tant que palestinienne. Je suis là en tant que française, et aujourd'hui, il se trouve que mon mari, il est de 48. Mon mari, il est palestinien. Il fait partie des Palestiniens qui ont un passeport israélien. Il fait partie des survivants de la Nagba, en fait. En tant qu'épouse française d'un Palestinien de 48, j'ai le droit, quelque part, à un visa d'épouse. Et c'est comme ça que je suis légale aujourd'hui. Mais ça a toujours été très précaire. C'est-à-dire qu'on arrive, on a un visa de touriste, on repart. Et puis, évidemment, on reste toujours six heures à l'aéroport. Et pourquoi t'es là ? Et qui t'es ? Et qu'est-ce que tu fais ? Donc, je dois dire qu'avoir travaillé à l'ONU, ça m'a beaucoup protégée. parce que c'est quand même une institution internationale qui est protégée par un statut diplomatique. Donc ils m'ont toujours vue sous ce prisme-là. C'est-à-dire que mon passé à l'ONU m'a quand même beaucoup protégée, je pense, sur place. Et je travaillais sur l'environnement, donc ce n'était pas vu comme trop politique. Et donc petit à petit, plus mon profil est devenu militant et politique, plus j'ai pris des risques et plus je prends des risques. Mais voilà, ça fait partie des risques que je pense que je dois prendre. Et donc j'arrive. Et en fait, j'atterris au bureau du premier ministre palestinien parce que mon profil était beaucoup lié à l'aide au développement et aux politiques internationales. Ils avaient besoin d'une consultante sur ces sujets-là. Et donc, j'ai vu l'autorité palestinienne de l'intérieur. Donc, ça a été un an et demi, je dois dire, assez horrible. Alors évidemment, j'ai coupé mon salaire par 4000. Mais c'était très intéressant, mais à la fois très traumatique. Je pense que si le dernier espoir que j'avais, qu'on puisse nous-mêmes, les Palestiniens, changer le système de l'intérieur de l'autorité palestinienne et des instances de l'OLP, en fait, j'ai compris pendant cette année et demie que ça n'allait pas être possible. Et c'est là que j'ai fait mon chemin vraiment vers essayer de m'organiser et d'organiser des collectifs dans la société civile, en fait, et dans le monde plutôt des mouvements citoyens et des ONG, parce que, clairement... L'autorité palestinienne est au bout de sa vie, mais vraiment de manière littérale. C'est-à-dire que je ne pense pas qu'on peut réformer l'autorité palestinienne. Je pense qu'on a un vrai besoin de renouveau dans les instances de leadership palestinien, ça c'est évident. Et je pense que c'est aussi en dehors de ces institutions qui ont été complètement accaparées par le régime d'Oslo, et ce que le système d'Oslo a mis en place. malheureusement complètement dépendant et dominé par Israël. Donc c'est un peu à l'époque, pour l'autorité palestinienne, c'est un peu comme à l'époque des Willaya, enfin dans les anciennes colonies françaises, c'est-à-dire que c'est les autorités locales qui en fait sont contrôlées par le colon et qui sont à la merci des décisions des colons et qui ont des Palestiniens en fait à leur tête, mais qui répondent aux intérêts israéliens en fait. C'est des marionnettes en fait. C'est des marionnettes. Et l'autorité palestinienne pour importer le moindre camion, la moindre denrée, pour apporter l'électricité dans nos villes, etc. doivent de toute façon avoir l'autorisation israélienne. Donc en fait on est quand même à la merci de l'occupation israélienne. Et ça je l'ai vite compris. Et j'ai vite compris qu'en fait au sein de ces bureaux-là, ce statu quo n'était pas remis en question. C'est-à-dire que cette dynamique-là politique n'était pas remise en question. Et ça m'a... Ça m'a dégoûtée en fait.

  • Speaker #0

    Mais c'est fou que ce ne soit pas remis en question de l'intérieur. Après, je comprends la structure et le statut de la Palestine, la colonisation, mais que de l'intérieur, il n'y ait pas une volonté de rébellion, de changer les choses, de faire des choses différemment, sans que ce soit toujours de manière... officielle, parce que contre les règles instaurées, mais tu trouvais vraiment qu'il y avait un statu quo, une résignation en quelque sorte ?

  • Speaker #1

    Je pense qu'il y a beaucoup de gens qui étaient résignés au sein, on parle là vraiment au sein de l'autorité palestinienne, il y a beaucoup de gens bien dans les fonctionnaires ou dans les gens qui travaillent, qui essayent de faire les choses bien, ça c'est vrai. Mais je pense qu'il y a une vraie résignation à l'idée que... pour que les écoles fonctionnent, l'autorité palestinienne, elle fait aussi fonctionner tous les services pour les Palestiniens qui habitent dans les petits îlots qui sont contrôlés par l'autorité palestinienne, c'est-à-dire l'intérieur des villes, comme Ramallah, Naplouz, etc. Et donc, quelque part, les gens se disent qu'il faut bien faire fonctionner la machine, en fait. Mais par contre, au niveau politique, je pense qu'il y a des intérêts, il y a des gens qui ont bénéficié des accords d'Oslo et bénéficient personnellement pour leur pouvoir, pour leur compte en banque. Il y a beaucoup de népotisme, il y a beaucoup de corruption. Ce n'est pas une corruption financière, c'est vraiment comment maintenir une machine qui permet à des familles de se maintenir et beaucoup à faire de l'argent sur le dos de l'occupation et à bénéficier du statu quo. Donc, je pense que le système lui-même, il doit être mis à terre. C'est-à-dire que les institutions qui ont créé le régime d'Oslo, encore une fois, en étant... constamment à la merci des autorisations israéliennes, de la coordination sécuritaire avec Israël, de la coordination avec l'occupation israélienne, tout ça doit être complètement chamboulé en fait. Et donc la rébellion s'organise évidemment mais en dehors de ces structures bureaucratiques. Parce que ça a créé des structures bureaucratiques qui vraiment sont solides quoi. Il y a des comités qui en sont sortis et donc c'est une machine qui fonctionne et tous ces rouages là sont difficiles quand même à démanteler donc la... Je pense que c'est en dehors de ces rouages-là que la rébellion s'organise, et c'est pour ça que les Palestiniens sont frustrés. Je veux dire, que ce soit la résistance populaire, que ce soit à travers les canaux diplomatiques que moi j'essaie d'utiliser, donc je suis plutôt, on va dire, chez la diplomatie citoyenne, ou la résistance armée, tout ça, en fait, ça s'organise en dehors de l'autorité palestinienne, et les gens sont frustrés et utilisent cette frustration pour résister d'une manière ou d'une autre. Donc voilà, je pense que c'est cette... Cette expérience m'a appris ça et m'a aussi appris que, on m'a aussi confirmé les limites, les limites et vraiment les défauts de notre diplomatie, de la diplomatie palestinienne officielle qui représente l'autorité palestinienne et l'OLP à l'étranger. C'est pour ça que je me suis engagée dans cette voie de toute façon parce que, un, c'est ce que je peux apporter, c'est-à-dire que c'est le pont avec l'international et c'est de porter la voie de la Palestine. à l'international, essayer de faire changer les choses quant à la complicité internationale avec Israël, et en comprenant bien justement les limites des ambassades de la Palestine à l'étranger, qui sont elles-mêmes devenues totalement soit impuissantes, soit des marionnettes à la merci du leadership palestinien à Ramallah, qui n'ont pas du tout les demandes, qui sont tellement déconnectées de la population et des demandes des Palestiniens.

  • Speaker #0

    Et aujourd'hui Inès, tu es... Executive Director au Palestine Institute for Public Diplomacy. Est-ce que tu peux nous parler un peu des activités de cet organisme et en quoi consiste ton rôle ?

  • Speaker #1

    Oui, alors on est une petite organisation qui a six ans d'existence et qui est née justement avec cette idée qu'on voyait bien en fait l'absence des voix palestiniennes, l'invisibilisation des Palestiniens à l'étranger et aussi le manque d'action stratégique à l'étranger pour remettre en question les alliances. de beaucoup de pays avec Israël. Je dirais en gros que, pour la faire courte, on essaie d'être un lobby palestinien. Mais un lobby, pour moi, ce n'est pas un gros mot. C'est-à-dire que c'est comment on essaie de faire du plaidoyer et de défendre la cause palestinienne à l'étranger et de s'organiser pour, à la fois avec les Palestiniens à l'intérieur de la Palestine, mais aussi avec les Palestiniens en exil et les Palestiniens en diaspora, y compris les Palestiniens en Europe, pour faire changer les choses. Donc on travaille sur les... Trois axes stratégiques qui, je pense, sont fondamentaux aujourd'hui, c'est-à-dire un, changer le narratif et le discours. Donc essayer à la fois de contrer le narratif israélien et sioniste quant à la situation, en essayant d'éduquer, d'expliquer, d'informer, de porter des voix palestiniennes dans des instances de pouvoir et dans la rue. C'est-à-dire qu'il y a besoin, je pense, à la fois d'informer le grand public, l'opinion publique, mais aussi... de faire du plaidoyer de manière plus politique auprès d'instances décisionnaires. Et un deuxième as stratégique, c'est donc de comment faire en sorte de remettre en question les alliances avec Israël. Donc on le voit bien aujourd'hui avec le génocide, beaucoup de pays continuent à vendre des armes à Israël et à en acheter, des technologies de surveillance comme, je ne sais pas, des caméras à reconnaissance faciale qui se retrouvent à être achetées par la ville de Nice en France. pour les installer à Nice, voilà, donc tout ça fait partie de certains des dossiers sur lesquels on travaille. Et le troisième axe, c'est comment renforcer le collectif palestinien. Une des choses que je réalise, c'est que vraiment, on ne peut pas agir tout seul. Moi, si j'avais le choix, je dirais que je préférerais pour le coup être dans l'ombre. Par la force des choses, j'ai été obligée de faire des médias, surtout en 2021, lors des soulèvements à Chercharah, à Jérusalem, à l'Aqsa, parce qu'en fait, il y avait besoin de voix francophones. On est quand même assez peu de Palestiniens aujourd'hui en Palestine qui s'expriment et qui articulent un discours politique en français. Donc, il y a beaucoup de demandes. Donc j'ai par la force des choses dû m'exprimer publiquement, mais j'aime mieux faire le travail de l'ombre et derrière les coulisses, qui est de, je pense, de former des collectifs palestiniens, d'essayer en fait de joindre nos différentes voix et d'essayer de porter l'action. Il y a besoin, en fait, il y a un mot en anglais qui est organizer Je pense qu'aux États-Unis, il y a vraiment plus cette culture de organizing c'est comment on organise. des mouvements, comment on organise des collectifs, on coordonne l'action. Avec chacun ses forces. Il y en a qui sont plus forts auprès des médias, il y a les autres qui sont plus forts, il y a les avocats qui peuvent faire des actions légales. Et c'est comment coordonner toutes ces compétences, ces voix, et essayer de porter des campagnes et des actions qui auront un impact. Et pour moi, c'est ça, c'est la force de devoir... organiser des collectifs, aussi parce qu'on doit réorganiser un collectif palestinien, parce que la fragmentation est réelle. Comme je le disais par rapport à Gaza dans mon enfance, aujourd'hui on a besoin de se réunifier. La réunification du peuple palestinien, on est 14 millions, dont 7 millions en Palestine et 7 millions à l'étranger. Malheureusement il y a 2 millions de Gazaouis aujourd'hui qui sont poussés. vers un nettoyage ethnique de la bande de Gaza. Donc c'est dramatique et c'est ce qu'on essaye d'empêcher tous collectivement. Et c'est la pression qui est mise en œuvre aujourd'hui pour essayer de mettre fin au génocide. Mais je dois dire que la fragmentation, elle est réelle. La société palestinienne a été cassée par la colonisation israélienne, par le projet sioniste de colonisation depuis 1948, qui a vraiment éclaté les Palestiniens dans différentes géographies. qui a fragmenté les Palestiniens de manière aussi sociale. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, moi j'ai la chance de pouvoir vivre dans une continuité parce que je peux passer les checkpoints et je peux passer d'un côté à l'autre. Mais je vois bien qu'un Palestinien à Haïfa ou à Yaffa, qui vit maintenant du côté israélien, mais qui sont des villes palestiniennes, dans la Palestine historique, ou un Palestinien de Ramallah ou un Palestinien de Gaza, il y a quand même un gouffre dans la réalité de ce qu'on vit au quotidien. Donc on a des identités tellement multiples. et des problématiques face à l'occupation aussi différentes. Parce que l'un a besoin d'un permis pour aller dans son champ d'olivier, l'autre il travaille dans des hôpitaux israéliens avec des collègues israéliens. C'est des réalités très différentes qui nous ont fragmentées. Donc moi, mon travail à ma petite échelle, c'est aussi d'essayer de... Comment on peut, en tout cas dans notre travail collectif, d'essayer de porter de l'unité et de l'unification et des collectifs qui fonctionnent et qui se renforcent pour pouvoir... porter une voix commune parce que c'est tellement nécessaire.

  • Speaker #0

    Absolument et puis on voit l'invisibilisation qui est faite médiatiquement etc. et j'imagine que l'une des manières vraiment de contrer ça c'est d'être unis et d'être plusieurs pour que cette voix elle porte plus ou en tout cas qu'elle soit plus visible et entendue. Tu parlais du quotidien, là, tu donnais des exemples. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ton quotidien à Ramallah ? Je pense qu'il y a beaucoup de gens, on l'entend dans les médias, mais je pense qu'on ne se rend pas forcément compte du challenge quotidien, journalier, auquel sont confrontés les Palestiniens en Palestine.

  • Speaker #1

    Oui, moi, ce qui me sidère toujours dans les médias français, par exemple, c'est qu'on montre une carte. Une carte où on voit d'un côté, ce serait le territoire israélien et de l'autre, la Cisjordanie et Gaza. Or la réalité géographique, elle n'est pas du tout celle-là. Elle est celle d'en fait, tout le territoire de la Palestine historique, donc Israël et les territoires occupés, sont contrôlés par Israël. Ça c'est une réalité. C'est-à-dire que l'armée israélienne, le régime israélien, contrôle tout le territoire. Et donc, en fait, moi à Ramallah, je vis dans un espèce d'îlot. C'est vraiment un archipel, la Cisjordanie, qui avec le mur en plus est coupé. de Jérusalem et coupée de la Palestine historique et de ce qui est Israël aujourd'hui, par le mur qui en plus, le mur ne suit pas du tout la ligne verte qu'on voit sur ces cartes, cette séparation de la Cisjordanie et d'Israël. En fait aujourd'hui, là je suis à Ramallah, depuis le 7 octobre les checkpoints sont fermés. Donc en fait Ramallah, il y a deux points de sortie aujourd'hui pour les Palestiniens. Moi aujourd'hui pour aller chez le pédiatre, parce que je dois aller chez le pédiatre du côté israélien, mon fils est suivi, comme il a un passeport israélien, il est suivi côté israélien. Et encore une fois, je n'ai pas le droit de vivre à Ramallah. Donc officiellement, c'est compliqué, mais je paye deux loyers, parce que je dois payer un loyer côté israélien pour prouver que j'habite en Israël. C'est très compliqué. Mais en gros, pour faire 13 kilomètres, c'est-à-dire aller chez le pédiatre à Jérusalem, à Jérusalem-Est, on parle, pour continuer à être en Palestine, en Cisjordanie. je dois quand même passer le mur et des checkpoints militarisés qui ressemblent à des aéroports. Je mets deux heures pour faire 13 kilomètres, c'est-à-dire qu'on doit prendre des routes de contournement parce que toutes les infrastructures en Cisjordanie et Ramallah comme Naplouz ou Bethléem, toutes ces villes en fait palestiniennes sont coupées les unes des autres. C'est-à-dire qu'il y a forcément un mur à passer et un checkpoint militaire. Les routes et les infrastructures sont faites pour les colonies israéliennes. Donc en fait les routes qu'on emprunte sont... construites pour que les colonies, elles, soient de manière totalement libre, raccrochées à Jérusalem et aux villes israéliennes. Mais les Palestiniens, du coup, les villages, sont souvent entourés de barrières, doivent prendre des tunnels et des routes de contournement pour aller simplement faire 10 kilomètres. Donc, on nous a coupé les uns des autres, même au sein de la Cisjordanie. Sans parler, évidemment, encore une fois, du blocus de Gaza, qui nous a complètement séparés de Gaza depuis très longtemps. Donc le quotidien, en fait, il est assez limité dans une petite ville. On parle Ramallah, c'est que c'est maintenant peut-être 200 000, 300 000 habitants. Et au sein de cette ville, il y a des camps de réfugiés, il y a des quartiers, il y a des inégalités sociales et économiques. Je dirais qu'à Ramallah, on est les plus privilégiés parce que c'est devenu de facto la capitale, on va dire, de l'autorité palestinienne. Donc la vie est plutôt normale. Il y a de l'électricité la plupart du temps, de l'eau. Il y a des restos, des cafés, etc. Mais on est complètement coupés les uns des autres avec le reste de la Cisjordanie et beaucoup de mes camarades à Ramallah. C'est-à-dire qu'en fait, on internalise des choses qui ne sont pas normales. Donc en fait, nos conversations entre potes, c'est... Alors du coup, moi j'essaie de donner la carte d'identité de Jérusalem à mon enfant, parce que mon mari il est de Cisjordanie, il a une carte d'identité de Cisjordanie, mais du coup il faut qu'on habite côté Jérusalem, mais c'est trop cher et puis c'est trop compliqué, donc comment on fait ? Un autre pote, malheureusement sa mère est décédée d'un cancer dans un hôpital israélien à Jérusalem, dans un hôpital côté Jérusalem, il n'a pas eu le droit d'avoir un permis pour aller la voir à l'hôpital. Des femmes qui doivent accoucher sans leur mari. Moi, j'ai une amie qui a dû accoucher sans son mari parce qu'elle a dû accoucher dans un hôpital côté israélien, comme moi. Mais son mari, lui, il n'avait pas permis pour passer le mur. Donc, en fait, elle a été toute seule à l'accouchement sans son mari. Donc, le mari a dû rater aussi. Enfin, n'a pas pu voir son enfant naître. Moi, j'ai la chance de pouvoir passer de l'autre côté. Mais c'est vrai que, par exemple, on se dit, tiens, on aimerait bien passer une journée, je ne sais pas, à la mer, dans, je ne sais pas, Yaffa, par exemple, qui est encore une ville... enfin palestinienne à côté de Tel Aviv, mais en fait la plupart de mes potes ne peuvent pas parce qu'ils n'ont pas de permis. Ou la réalité de plein de familles autour de nous qui ont les travailleurs qui vont travailler côté israélien, qui ont l'obligation, on va dire, entre guillemets économique, d'aller travailler pour Israël. Donc Israël nous tient en étau en fait, parce qu'il y a 120 000 travailleurs qui vont chaque jour travailler côté israélien ou dans les colonies. C'est des anciens prisonniers politiques. Moi j'avais discuté avec quelqu'un, il était allé en prison. israéliennes pour ses activités politiques pendant la première intifada et ils avaient construit eux les colonies, c'est-à-dire que les colonies sont construites par des travailleurs palestiniens qui mettent les pierres et l'électricité pour des colonies israéliennes. Et ça c'est le quotidien des gens en fait. Et donc c'est des choses qui, en fait les gens en parlent, c'est une réalité quelque part où il y a des choses qu'on internalise et qu'on accepte, qu'en fait on fait beaucoup de compromis pour continuer à vivre et à survivre. Mais ce n'est pas normal. Et c'est pour ça que beaucoup de gens se rebellent. Et c'est pour ça qu'aussi, il faut continuer à résister. Mais je pense que les contraintes de l'occupation sont parmi toutes ces choses qui ne sont pas forcément d'être tuées ou d'être arrêtées ou d'être mises en prison. Même si, clairement, on a toutes les semaines, ah bah tiens, un tel a été arrêté par l'armée israélienne. Donc ça, ça fait partie du quotidien. Mais il y a aussi toutes ces absurdités bureaucratiques. De devoir demander un permis, de devoir aller... Moi, je sais que j'ai remercié le fait que mon fils, Il a décidé de venir, j'avais des contractions un vendredi matin, parce que le vendredi matin, c'est le jour de congé, où au lieu de passer deux heures au checkpoint et d'être coincée et de me dire que je vais accoucher dans la voiture, j'ai pu passer en 45 minutes et arriver à l'hôpital. Donc j'ai eu quelques barres, je me dis, ah, j'ai de la chance. Vendredi matin, c'est génial, mais c'est absurde de penser comme ça, en fait. Je pense que c'est ça la force, entre guillemets, on va dire, le contrôle que le régime d'apartheid a et que le régime de colonisation a, c'est que... Ils ont réussi à créer des faits sur le terrain et une réalité dans laquelle beaucoup de gens se sont adaptés. Et je pense qu'on le voit à Gaza, moi ça me fend le cœur dans ce qui se passe à Gaza, c'est que les gens viennent à regretter un quotidien qui finalement avait réussi à être quelque part un peu normal à Gaza avant le génocide. Les gens repartagent des vidéos de quand ils allaient au bord de la mer et qu'il y avait les cafés qui étaient ouverts, ils allaient fumer un argilet et puis ils pouvaient faire des petits concerts et ça paraissait quelque part tellement mieux. mais ils étaient déjà sous blocus depuis 16 ans. Ils avaient déjà 10 heures d'électricité par jour et ils avaient des denrées qui manquaient et ils ne pouvaient jamais sortir. Une personne de 30 ans n'était jamais sortie de Gaza. Mais c'était quand même tellement mieux que ce qu'il y a aujourd'hui. Donc en fait, quelque part, on s'adapte aussi au pire. Et c'est ça, je trouve, qui est dangereux. C'est que l'être humain s'adapte, en fait. Et les Palestiniens sont toujours dans le système D et l'adaptation à des choses qui sont totalement anormales et injustes. Donc on vit tous avec une colère en nous, on vit tous avec une frustration, avec des frustrations, qui font partie de nos quotidiens, qui nous bouffent de l'énergie, du temps. Encore une fois, qui ne sont pas forcément se retrouver face à une balle d'un M16 israélien, mais qui pourrissent en fait un quotidien qui de fait nous prive de notre liberté. Et je pense que c'est pareil pour les Palestiniens en exil, pour ceux qui ne peuvent pas revenir sur leur terre. Je pense que c'est un... C'est un combat de tous les jours, de se dire qu'on ne peut pas retourner sur sa terre. Et je sais que moi, je l'ai vécu, bien sûr, dans ma famille. C'est-à-dire que mon père, pour la première fois, il a mis les pieds en Palestine. Il avait 40 ans avec son passeport français. Et on est allé au village de mes grands-parents qui a été détruit, qui fait partie de ces 530 villages qui, en gros, ont été détruits par Israël en 1948. Et où Israël a planté des arbres, Israël a fait des jardins. Aujourd'hui, c'est un parc. où il faut payer 10 euros pour rentrer comme un parc naturel. Et donc Israël a vraiment greenwashed aussi ça et continue de lever des fonds d'ailleurs en France aussi, de manière défiscalisée, pour aller planter des arbres en Israël. En fait, ça a été quelque chose qui a complètement effacé la présence palestinienne depuis 1948. Et on a pris des photos et on a montré les photos à mes grands-parents et à ma famille au Liban, qui eux n'ont jamais pu rentrer en fait. Mes grands-parents sont décédés depuis plusieurs années, mais ils avaient vu des photos de leur village, en fait, auquel ils n'avaient pas accès et qui était juste de l'autre côté de la frontière, en fait, parce que c'est tout proche du Liban. Donc c'est des réalités absurdes comme ça où la suprématie israélienne, enfin Israël a vraiment créé un régime suprémaciste où quand on est juif, on a des droits et quand on n'est pas juif, on a moins de droits. Et c'est ça qui, du coup, découle dans toutes les choses du quotidien, en fait. ça se traduit dans toute la réalité des gens d'une manière ou d'une autre.

  • Speaker #0

    C'est terrible et je pense qu'on est beaucoup, non palestiniens pour le coup, mais je pense qu'il y a énormément de gens et de plus en plus de gens qui soutiennent la cause palestinienne et on se sent très impuissant. Évidemment, on voit des images, évidemment, on voit tout ce qui n'est pas relayé par les médias mainstream, mais on a la chance, notre génération, d'avoir les réseaux sociaux et de tout voir, d'avoir... C'est terrible, mais de voir un génocide en live, et on se sent terriblement impuissant. La question peut paraître bête, mais je la pose quand même. Qu'est-ce qu'on peut faire à notre micro-échelle ? Tu parlais de l'Institut du Palestine Institute for Public Diplomacy, dans lequel tu travailles. Est-ce qu'on peut faire des dons à ce type d'organisme ? Quelles seraient les choses qu'on peut faire, nous, moi, les auditeurs, les auditrices, à notre échelle, pour supporter au-delà de juste voir les images et avoir mal au cœur ?

  • Speaker #1

    Oui, hum... Déjà, je dois dire que je pense que c'est important quand même de sentir l'empathie et de sentir qu'on n'est pas oublié, de sentir qu'on parle de nous. Je pense que pour les Gazaouis, c'est hyper important, ne serait-ce que tu vois, toi tu fais un podcast, t'en parles, les gens qui partagent sur les réseaux. Le fait qu'on voit que la situation porte un écho. auprès des populations dans le monde, ça c'est déjà important. Et je le dis parce que, comme tu l'as dit, l'invisibilisation, elle est dramatique. Et je pense aussi la remise en question de notre voix, je ne sais pas si ça, moi en tout cas, ça m'est vraiment en colère. C'est mon combat quotidien, encore une fois, dans notre activité. On essaie de communiquer, on essaie d'informer, qu'on voit qu'on remet sans cesse en question la réalité et notre voix en fait. C'est-à-dire qu'à l'heure... où les Gazaouis peuvent partager leur quotidien, partager la réalité en live sur Instagram. Il y a un flot continu de l'évidence, et qu'on continue à voir des gens qui remettent en question en disant que c'est pas vrai, que c'est fake. Il y a tout ce concept de Pallywood qu'on... qui a créé les Israéliens comme si on exagérait ou on mentait sur notre réalité. Ça, c'est... Je dois dire que c'est presque un crime, en fait. C'est un crime que je vois relié par des personnalités publiques françaises se doutent cette remise en question qui est très dangereuse, en fait, et qui participe de l'invisibilisation et de notre déshumanisation, en fait. Et donc, nous, notre travail... Je pense qu'il est là, il est vraiment de remettre en question la complicité internationale avec Israël et de voir qu'en fait, si aujourd'hui on va du bon côté de l'histoire... En fait, je ne demande à personne d'avoir une empathie particulière parce qu'on est palestinien ou qu'on est arabe ou qu'on est autre, mais c'est que, en fait, c'est l'injustice. C'est un génocide, en fait. On est face à un génocide qui est streamé en live sur Instagram. et on n'arrive pas à l'arrêter depuis 4 mois. Et donc, comment peuvent se mobiliser les gens à l'international ? Il y a plusieurs choses que vous pouvez faire, donc bien sûr en parler. Informer autour de vous, s'éduquer, informer. Nous, on crée des ressources, alors beaucoup en anglais, mais on en a beaucoup traduit en français. Il y a des ressources disponibles, beaucoup d'organisations dans notre écosystème proposent même des cours en ligne sur comment parler de la Palestine et comment comprendre la question palestinienne. Tout ça, c'est très important. parce qu'il y a une désinformation telle, il y a une ignorance ou encore une fois, une invisibilisation telle que ça, c'est quand même très important, la question de s'éduquer. Parce qu'il y a beaucoup qui passent dans les médias sur l'horreur du génocide, de la colonisation, etc. Mais je pense qu'il faut comprendre les choses de manière historique, les choses de manière contextualisée, les choses de manière politique pour comprendre tous les rouages de ce qui se passe. Parce que les choses n'ont pas commencé le 7 octobre, parce que les choses ne vont pas se terminer quand il y aura un cessez-le-feu, même si c'est la chose la plus urgente à laquelle il faut appeler, c'est un cessez-le-feu. Et je pense que c'est important sur la durée. Parce que, encore une fois, moi je n'ai pas commencé à mobiliser le 7 octobre, et on va continuer, c'est un combat de long terme, on le sait qu'on est sur un investissement de long terme, et qu'il faut aussi nous se préserver comme on peut. Et donc, à l'étranger, moi ce que je demande, c'est, vous, votre force en tant que non-palestinien, votre force, c'est de pouvoir avoir un impact sur la complicité de vos États. C'est très important de pouvoir partager les voix palestiniennes et de centrer les voix palestiniennes là-dedans. Mais l'impact qui doit être fait, c'est de remettre en question finalement tous ces États coloniaux et post-coloniaux qui soutiennent Israël. Il faut mettre fin à cette complicité. Donc en tant que Français ou francophone ou belge, parce que je crois que tu as beaucoup d'audience belge aussi, c'est axer les demandes sur la mettre fin. au commerce des armes avec Israël, mettre fin aux accords bilatéraux, mettre fin aux accords de coopération, mettre fin au commerce de produits israéliens ou des colonies, interdire des personnalités israéliennes de venir en France ou initier des mandats d'arrêt internationaux pour crimes de guerre contre des personnalités israéliennes. Il y a tout un tas de choses qui peuvent être faites. Il y a beaucoup d'organisations qui se mobilisent pour ça. Et je pense qu'il faut soutenir à votre échelle ces demandes-là. que ce soit, voilà, si vous êtes journaliste, ou si vous avez accès, encore une fois, autour de vous, à des gens qui peuvent porter ces voix-là sur les réseaux sociaux, si vous avez beaucoup de followers, si vous avez des gens autour de vous qui sont députés, si vous avez le temps, enfin, prenez le temps d'interpeller vos députés sur la question. Tout ça, il faut que toutes les plateformes... soit utilisée pour faire ces demandes-là. Et je pense que c'est très lié au fait que tout est lié. C'est-à-dire que la politique française contre les Palestiniens se traduit aussi par une politique contre les immigrés et contre l'immigration, se traduit par des politiques qui défendent les policiers pour la violence policière. Tout ça est lié. Et je pense que c'est important aujourd'hui de se dire... Si vous ne mettez pas la Palestine au cœur de l'agenda ou au cœur de vos revendications quant aux politiques de votre pays, c'est tout l'ordre international et c'est toutes les valeurs que vous pensez porter qui en fait sont remises en question.

  • Speaker #0

    Inès, du coup, je t'ai posé une question et je pense que tu n'as pas complètement répondu. Je te demandais si on pouvait donner pour le Palestine Institute for Public Diplomacy, pour lequel tu travailles et dont tu nous as expliqué toutes les activités, est-ce qu'il y a cette... possibilité pour les gens de supporter financièrement ?

  • Speaker #1

    Oui, absolument, vous pouvez soutenir notre organisation, notre ONG sur le site, notre site qui est thepipd.com C'est important, je pense que c'est à la fois important de soutenir comme vous pouvez des organisations humanitaires à Gaza, mais aussi le combat d'organisations comme la nôtre qui sont en train de transformer aussi l'action collective palestinienne. Donc, on a besoin de soutien comme les vôtres, aussi pour dépendre un peu moins des subventions d'organisations institutionnelles.

  • Speaker #0

    Inès, je rebondis sur ce que tu dis. Et clairement, le génocide palestinien a un impact au-delà du conflit en lui-même, au-delà de la Palestine et d'Israël. J'ai l'impression que c'est un vrai test pour l'ordre mondial. On voit un réveil du Sud, une véritable remise en question de l'Occident. évangéliste en quelque sorte, fondateur des droits de l'homme, fondateur du droit international. Est-ce que tu penses qu'on est à un tournant historique et que c'est la fin d'un système ?

  • Speaker #1

    Oui, ta question est très bien formulée et j'en suis persuadée. La cause palestinienne et le génocide... sont un tournant historique à la fois pour la cause palestinienne, la manière dont notre combat est mené. On a déjà eu plusieurs phases, entre 1936, 1948, etc., et les différents mouvements, évidemment, de soulèvement depuis. Mais on est à un tournant historique, et on est à un tournant historique pour l'ordre mondial qui s'est vraiment consolidé après la Seconde Guerre mondiale par les grandes puissances occidentales qui ont créé... l'ONU, les grands textes du droit international et qui continuent à dominer de fait les institutions multilatérales comme l'ONU etc. On le voit très clairement parce que on va dire que le génocide à Gaza a révélé bien sûr plusieurs choses, les doubles standards et le deux poids deux mesures de l'Occident quant aux règles que ce soit les droits de l'homme ou du droit international qu'ils ont eux-mêmes créés ou qu'ils se targuent de défendre mais qui en fait... répondent totalement à des agendas politiques et que quand il s'agit de défendre les populations colonisées ou opprimées, là, il n'y a plus personne. Donc, je pense que la révélation de ce deux poids deux mesures est très claire pour le Sud global, qui est donc le Sud global en général, on va dire que c'est les pays qui étaient anciennement colonisés par l'Occident, où beaucoup aussi ont à l'intérieur de ces pays des situations où il y a des populations indigènes, etc., qui elles-mêmes se soulèvent contre une domination étatique. ou capitalistes de grandes multinationales qui continuent à exploiter leurs ressources, etc. Donc, en fait, là, on est vraiment... Je pense que Gaza est un test pour cet ordre-là et que beaucoup des populations du Sud s'identifient, en fait, à notre cause puisque c'est quand même une des dernières, on va dire, un des derniers bastions de colonisation active occidentale dans le monde. En fait, le projet colonial sioniste et israélien, qui est toujours un projet colonial d'origine européenne, c'est quand même un des derniers actifs sur la planète, et donc je pense que ça touche beaucoup de personnes. Et quand on voit... Voilà, aujourd'hui, quand on voit l'Afrique du Sud qui met face à la justice devant un tribunal israélien, c'est quand même très fort. Peu importe, encore une fois, ce que la Cour internationale de justice peut amener comme action concrète, puisqu'il n'y a aucun mécanisme aujourd'hui pour les tribunaux. non internationaux pour ces institutions de mettre en œuvre leurs propres décisions. Et ce sont des institutions, encore une fois, qui malheureusement ont été créées par les puissances coloniales, donc elles sont un peu piégées par leur structure même, mais je pense que ce sont des outils que nous devons utiliser dans nos stratégies. Ça ne va pas nous libérer, ça ne va pas libérer les peuples opprimés. En tout cas, ça montre et ça permet d'augmenter la pression politique qui existe et les alliances qui se créent, on va dire, depuis quand même plusieurs années, au-delà, on va dire, de la domination hégémonique des États-Unis et des pays alliés, qui, on le voit, ont très, très largement soutenu Israël dans son attaque et son génocide contre Gaza.

  • Speaker #0

    Nes, je voulais aussi parler peut-être du côté perso. Tu as mentionné dans l'interview au début ton bébé que tu as eu il y a quelques mois. Je suppose que l'accouchement et sa venue au monde et toi être devenue maman, c'est arrivé aux environs du 7 octobre et de tout ce conflit. On sait toutes et tous à quel point la maternité, c'est un bing-bang personnel dans une vie très normale. je ne peux imaginer comment ça peut se passer dans ce contexte-là, avec toutes les images qu'on voit et le fait qu'on sache qu'il y a plus de 70% de la population qui est touchée, qui sont des femmes et des enfants.

  • Speaker #1

    Oui, inévitablement. En fait, j'ai un peu l'impression d'être dans un tunnel spatio-temporel depuis fin septembre, dont j'arrive à sortir quand même un peu. Mon fils est né fin septembre. Donc il avait juste quelques semaines le 7 octobre. Et c'est vrai que j'ai été mise face à la fois à tout ce qui implique les débuts d'être maman et d'avoir un tout petit bébé, et tout ça durant un génocide. Et je pense que ça a bien sûr... réveillé en moi tellement de sentiments contradictoires. À la fois, je pense qu'il m'a permis de garder la tête sur les épaules, de pouvoir célébrer la vie et de me forcer aussi à me déconnecter et être quand même dans une bulle de maternité. pour répondre à ses besoins dans un moment où la plupart, où tout le monde est plongé dans l'horreur et il est très difficile d'en sortir et on est plongé dans un vortex où on a juste envie de se soit se terrer dans un trou et que ça s'arrête ou soit de se mobiliser ou soit de pleurer ou de en tout cas juste d'être avec les gens à Gaza en fait d'une manière ou d'une autre que ce soit en allumant Alsazira en continu ou en étant au téléphone avec les Gazaouis. Mais voilà, il a permis ça quand même, je pense, d'amener un petit peu de joie dans tout ça. Mais évidemment, il y a aussi le fait que c'est doublement difficile. À la fois, je pense que j'ai réalisé d'autant plus ma chance et mon privilège parce que mon fils, il a un toit, il est au chaud, il a une vie... Je pense qu'évidemment, il n'a aucune conscience, parce qu'en restant dans sa maison, il n'a aucune conscience encore vraiment de ce qu'il y a autour de lui. Parce qu'on est quand même très resté, on va dire, confiné dans Ramallah et avec la situation à l'intérieur de la ville, donc dans une certaine bulle de sécurité relative. Et en même temps, bien sûr, de voir toutes ces images et... de parler aux gens, je veux dire, c'est... Je pense que tout le monde l'a vu, c'est difficile de décrire, mais moi, j'ai eu une césarienne d'urgence, et l'accouchement s'est assez mal passé, et derrière, on voit qu'il y a des dizaines de femmes qui ont dû avoir des césariennes sans anesthésie. En fait, j'arrive même pas à... Je pense qu'on n'arrive même pas à... Voilà, à imaginer, en fait, enfin, à ressentir. Je pense qu'on le ressent au plus profond, mais je pense que ce n'est même pas le quart, le dixième de ce que ces femmes-là vivent. Elles n'ont pas de lait pour leurs enfants. Je ne sais pas quels mots employer. Je n'ai pas de mots. Et du coup, ça, ça a été vraiment doublement difficile. Comme toute nouvelle maman, on pense au début à partager sur les réseaux, etc. Mais depuis octobre, j'ai aucune envie. Je n'ai même pas posté une photo, je n'ai pas posté une vidéo. Il y a plein de gens que je n'ai même pas informés à travers les réseaux parce que ça paraît tellement dérisoire, égoïste ou, je ne sais pas, nul, en fait, par rapport à toutes les histoires qu'on a envie de partager de toutes ces femmes et de tous ces enfants et ces bébés à Gaza, en fait, qui ont nié la vie, en fait. Et donc c'est contre cet effacement que je pense qu'être maman aussi, ça m'aide à continuer à lutter, au contraire, à vouloir me dire que c'est cette génération-là qui verra une Palestine libre.

  • Speaker #0

    J'imagine, même s'il n'a que quelques mois, que la question de la transmission doit être d'autant plus présente. Est-ce que c'est quelque chose à laquelle tu penses ?

  • Speaker #1

    Oui, très clairement. Très clairement, je pense que c'est d'ailleurs... Une des premières choses à laquelle je réfléchis en étant maman, parce que nous, les Palestiniens, on a un effacement forcé. En fait, quelque part, le colon israélien et le narratif tentent d'effacer notre histoire, notre culture. Ce n'est pas seulement à travers les chars et les bombardements et les fusils, c'est aussi... une politique et des pratiques délibérées d'effacer notre identité. Et donc ça, je pense que c'est aussi, bien sûr, le rôle de parent, de transmettre cette culture, cette histoire. Et ça peut passer par des choses très... Très bête, très concrète, comme par exemple à Jérusalem, les Israéliens ont changé des tas de noms de rues, par exemple, ou des tas d'endroits qui ont été effacés. Le village, je pense qu'on en a déjà parlé, mais le village de mes grands-parents, ils ont construit un parc au-dessus, et la pancarte à l'entrée du village, qui est maintenant un jardin où il faut payer pour rentrer, qui est gérée par l'autorité de l'environnement israélien. Il y a une ligne en disant qu'un jour, il y a eu un village arabe. Et après, tout le reste, c'est sur les Ottomans et les Romains, et ensuite, l'héritage historique des civilisations. Mais il n'y a rien sur l'existence à un moment d'un village palestinien. Donc, je pense que ça, c'est vraiment un travail nécessaire, la transmission dans ce sens-là. Et je pense aussi que parce que... Moi, dans la construction de mon identité, justement, parfois, j'en ai peut-être manqué. Donc, c'est clair que pour nous, parler l'arabe à la maison et parler le français en même temps, tout ça est très, très important. Parce que, justement, pour qu'il se construise aussi, qu'il n'ait pas trop de crises, même s'il aura une crise d'identité, c'est sûr, mais pas moins de crises d'identité que peut-être que ses parents.

  • Speaker #0

    En parlant de maternité, paternité, de ce lien, comment ton papa a vécu ton retour en Palestine ? Est-ce que c'était une fierté ? Est-ce qu'il avait peur ?

  • Speaker #1

    Déjà, je me suis mariée avec un palestinien, ce qui, je pense, mes parents ne s'y attendaient pas. Et puis ensuite, l'idée de rester en Palestine. Oui, d'y être... Non, ils sont fiers, je pense. Ils suivent un petit peu mes activités. Et voilà, il y a toujours... Si je suis dans une interview à la télé ou que je fais des shows, je leur envoie. Ils sont contents et ils le diffusent. Et pour mon père, je pense que c'est particulièrement... Je pense qu'il a compris qu'il fallait laisser à la génération d'après, en fait, le combat. Et que lui fait vraiment partie de cette génération qui a monté l'architecture d'Oslo et qui en est revenue. C'est-à-dire qu'il voit... Comment ils ont été piégés, en fait ? L'OLP, l'autorité palestinienne, comment ces accords étaient complètement... Enfin, Israël a complètement dominé l'agenda, et comment ils ont été faits d'une manière à ce que ça consolide la colonisation et pas à ce que ça crée un État palestinien. Et on est dans un moment très, très dangereux. pour ça, parce qu'en fait, quand on revoit les discours qui reviennent sur la solution à deux États, sans parler de la fin de l'occupation, alors qu'on est dans une situation tellement pire que dans les années 90, sans aucune ni volonté israélienne... ni perspective qu'il y ait un État palestinien, il ne faut pas qu'on retombe dans ces pièges, en fait. De penser que par des négociations bilatérales et en s'asseyant autour d'une table et en parlant aux voisins, c'est comme ça qu'on va mettre fin à l'injustice et à un système d'apartheid qui, de fait, doit être démantelé avant qu'on puisse créer un futur plus juste. Et pour revenir à ta question, la France ne me manque pas, en fait. Évidemment, je vois tout ce qui se passe, j'observe de loin. les discours, etc. Et je dois dire que dans toute cette période, j'en parle beaucoup avec mes amis franco-palestiniens aussi ou qui sont en France, je dois dire que c'est quand même plus facile psychologiquement quelque part d'être entre Palestiniens, qu'on se comprend en fait. Je n'ai pas besoin de me justifier si je vais discuter avec des gens ou avoir des rendez-vous. Alors que j'ai l'impression qu'en France, en fait, il faut constamment... Avoir à se battre, en fait, à se battre pour être soit entendu, soit compris et qu'on va constamment nous renvoyer du gaslighting ou des questions qui vont nous mettre encore plus en colère, etc. Donc, je dois dire que pour le coup, être en Palestine, on n'a pas ce problème-là puisqu'on est dans notre communauté, on se comprend et donc c'est quand même plus... Moins dure psychologiquement, je dirais, même si après, bien sûr, il y a toute l'occupation et ce qui va avec. Mais ça, c'est un point important.

  • Speaker #0

    Inès, dans tout ce dont on parlait, tu n'as jamais mentionné, il n'y a jamais eu une mention de la peur. Est-ce que c'est un sentiment que tu connais ? Parce qu'au-delà de la position de l'endroit dans lequel tu habites, tu parlais des risques personnels que tu prenais par rapport à ton passeport israélien, par rapport au fait que tu sois à Ramallah aujourd'hui. Est-ce que c'est un sentiment que tu connais, que tu ressens parfois ?

  • Speaker #1

    La peur n'est pas un sentiment qui fait partie de mon environnement émotionnel, je dirais. Mais aussi parce que je ne suis pas une tête brûlée, dans le sens où je réfléchis toujours à ce que je fais. Donc par exemple, justement, j'ai été très peu présente publiquement depuis le 7 octobre. Honnêtement, les premiers jours, j'ai reçu genre 10-15 demandes de médias par jour. Je les ai toutes refusées. J'aurais pu les accepter, j'aurais pu y aller à fond en me disant il faut Et donc, il y a une partie de moi qui me dit vu la couverture médiatique, peut-être que j'aurais dû contribuer Mais en même temps, je savais qu'en étant à peine en postpartum... en ne dormant pas la nuit, en étant à la fois psychologiquement très fragile et perturbée par ce qui se passait, je pense que je me serais totalement grillée et je pense que ça aurait été... Enfin, je vois ça sur le long terme. Je suis dans un combat qui est... Je ne me suis pas mobilisée depuis le 7 octobre et je me suis mobilisée avant, je me mobiliserai après. Et notre combat est long. Et donc, il faut savoir aussi se préserver. Et donc, en général, je suis quelqu'un qui évalue beaucoup les risques. Je prends des risques, mais des risques que je considère et qui sont toujours considérés. Et donc, ce n'est pas par peur, mais c'est par calcul souvent stratégique en me disant quel impact je peux avoir versus me griller complètement. Donc, pour moi, il est plus important aujourd'hui de pouvoir être... présente en Palestine, et là de pouvoir aussi me remettre à fond, à avoir aussi plus de visibilité publique maintenant que la phase critique du postpartum est passée. Parce que sinon, je pense que je l'aurais regretté. La peur dépend aussi des risques qu'on prend. Donc je dois dire que c'est comme ça que je le vois.

  • Speaker #0

    Quelle serait ta définition de la réussite personnelle, de ta réussite ?

  • Speaker #1

    Pour moi, c'est vraiment me sentir à ma place. J'ai mis vraiment beaucoup de temps à me sentir à ma place, à me sentir bien avec mon identité, mes identités ou ces identités mouvantes. En fait, tout ça a pris beaucoup d'années. J'ai vraiment dans ma vingtaine, je me souviens, peut-être jusqu'au début de la trentaine, où je continuais tellement à avoir des questionnements et me dire mais je ne suis vraiment pas au bon endroit. Et qu'est-ce que je fais là ? Et pourquoi je travaille là ? Et est-ce que je fais les choses qui sont utiles ou pas ? Est-ce que... Quand je ne parlais pas l'arabe, je m'en voulais vraiment beaucoup. Donc, j'ai réappris l'arabe derrière. Il y a tout un tas de choses comme ça où je pense que la réussite, en général, c'est est-ce qu'on se sent à sa place ? Et ça peut être simplement se sentir à sa place géographiquement ou se sentir à sa place dans sa communauté, se dire qu'on est en train de faire dans la vie ce pour quoi on est là, en fait.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce que tu dirais à la Inès enfant ?

  • Speaker #1

    D'être moins exigeante avec moi-même.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu as une devise ?

  • Speaker #1

    Oui, j'aime beaucoup une citation de Toni Morrison, l'écrivaine américaine, qui dit que Ne laissez personne vous persuader que le monde est ainsi fait et que par conséquent c'est ainsi qu'il doit être.

  • Speaker #0

    Un livre que tu nous recommanderais ?

  • Speaker #1

    Bien sûr, les livres d'Edward Said sur tout, l'exil, le rôle des intellectuels. Vraiment, si vous n'avez pas encore lu Edouard Saïd, l'orientalisme, tout.

  • Speaker #0

    Un lieu ?

  • Speaker #1

    Le bord de mer, bord de la mer méditerranée, plus précisément.

  • Speaker #0

    Une odeur ?

  • Speaker #1

    La fleur d'oranger.

  • Speaker #0

    Et une chanson ?

  • Speaker #1

    Je vais rester dans le même thème. Et c'est Ana Ausha el Bahra de Najat El Sarira.

  • Speaker #0

    Et une femme que tu me recommanderais d'inviter sur le podcast ? ou dont tu aimerais écouter le parcours ?

  • Speaker #1

    Oui, il y en a tellement, mais je vais dire, dans mes camarades palestiniennes, et je sais que tu en as déjà invité, euh... Je pense par exemple à Diala Ausha, qui est une avocate aux États-Unis, mais qui est francophone, et qui a mené Biden devant justement les tribunaux pour génocide. Ou encore Nada Tarbouch, qui est diplomate palestinienne à Genève en ce moment.

  • Speaker #0

    Inès, je te remercie infiniment. Et c'était un vrai plaisir, vraiment.

  • Speaker #1

    En tout cas, bravo pour ce podcast et toutes les invitées tellement inspirantes à qui tu permets d'avoir une voix.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup, merci pour ton combat. C'est compliqué pour moi de clôturer cette interview. Je ne sais pas comment le clôturer, hormis mille merci Inès. À très bientôt. Cet épisode de Heya est maintenant terminé. Je vous remercie sincèrement de l'avoir écouté jusqu'au bout. Ce qui, j'espère, veut dire que vous l'avez apprécié. N'hésitez pas à le partager autour de vous, avec des amis ou sur les réseaux sociaux. C'est ce qui permet au podcast de Grandi. Vous pouvez aussi le noter 5 étoiles et me laisser un petit commentaire. C'est un vrai plaisir de les lire. Si vous avez des questions ou voulez me suggérer une invitée, n'hésitez pas à me contacter sur la page Instagram Hiya Underscore Podcast. A très bientôt.

Description

En cette veille de la journée internationale des droits des femmes je suis particulièrement émue de partager ma conversation avec Ines Abdel Razek, Directeur Executive au sein du Palestine Institute for Public Diplomacy (PIPD). 


Avant cela, Inès a travaillé au sein de l´Union pour la Méditerranée, l’ONU puis a exercé en tant que consultante au bureau du premier ministre palestinien.


L’Interview a été enregistré à distance car elle est actuellement basée à Ramallah.


Ines est née à Paris d’une maman française et d´un papa refugié palestinien militant de l’OLP (Organisation de la libération de la Palestine) ce qui la conduira à rencontrer plusieurs fois Yasser Arafat. Durant son enfance, elle vit de façons périodiques en France et en Palestine. Elle nous parle avec nostalgie de ses années passées à Gaza.


Inès revient sur ses années d´étude à Science Po, ses premières expériences professionnelles et ce qui l’a incité à s’installer en Palestine afin de s’engager en faveur de son pays.

Elle nous raconte son quotidien et toutes les contraintes auxquelles sont confrontées les Palestiniens de Cisjordanie.


Nous avons également parlé de l’évolution de son identité, de l’invisibilisation des voix palestiniennes, de la transmission d´un patrimoine détruit depuis des années mais aussi du conflit actuel et de son impact sur l’ordre mondial.


Inès est devenue maman quelque jours avant le 7 octobre. Elle évoque la façon qu’elle a eu d’appréhender cette étape si importante de la vie dans le contexte actuel.


Le parcours et l’histoire d´Inès m’ont profondément touché.


Sans plus attendre je laisse place à la HeyA du jour - Inès Abdel Razek.

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Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous, ici Ausha Fourti et bienvenue sur Haya. En arabe, Haya signifie elle C'est parce que ce mot n'est pas suffisamment utilisé pour parler de réussite et d'ambition féminine que j'ai décidé de lancer ce podcast. Les inégalités et la sous-représentation liées au genre sont malheureusement une réalité et une approche intersectionnelle ne fait qu'amplifier ces phénomènes. Chaque épisode est une conversation où j'invite une femme de culture arabe à venir partager son histoire et évoquer sa réussite. Mes invités ont toutes des backgrounds et trajectoires différentes. Elles sont journalistes, entrepreneurs, écrivaines, artistes ou encore médecins, et vous serez, je l'espère, inspirés par leur réussite. L'objectif de ce podcast est doux. Tout d'abord, commouvoir une image différente de la femme arabe, en mettant en lumière ses parcours exceptionnels, mais aussi aider les plus jeunes ou celles en quête de renouveau à trouver des rôles modèles et ambitionner leur avenir. Ma conviction ultime est que la seule manière d'y croire, c'est de le voir, ou en l'occurrence l'entendre. Si ce podcast vous plaît, je vous invite à prendre quelques minutes pour le noter 5 étoiles sur iTunes ou Apple Podcasts. C'est la meilleure manière de le soutenir. Sans plus attendre, je vous laisse découvrir notre invité du jour. En cette veille de la Journée internationale des droits des femmes, je suis particulièrement émue de partager ma conversation avec une palestinienne, Inès Abdelrazek, directeure exécutive au sein du Palestine Institute pour Public Diplomatie. Avant cela, Inès a travaillé au sein de l'Union pour la Méditerranée, l'ONU, puis a exercé en tant que consultante au bureau du Premier ministre palestinien. L'interview a été enregistrée à distance car elle est actuellement basée à Ramallah. Inès est née à Paris d'une maman française et d'un papa réfugié militant de l'OLP, l'Organisation de la Libération de la Palestine, ce qui la conduira à rencontrer plusieurs fois Yasser Arafat. Durant son enfance, elle vit de façon périodique en France et en Palestine. Elle nous parle avec nostalgie de ses deux années passées à Gaza. Inès revient sur ses années d'études à Sciences Po, ses premières expériences professionnelles et ce qui l'a incité à s'installer en Palestine afin de s'engager en faveur de son pays. Elle nous raconte son quotidien et toutes les contraintes auxquelles sont confrontés les Palestiniens de Cisjordanie. Nous avons également parlé de l'évolution de son identité, de l'invisibilisation des voix palestiniennes, de la transmission d'un patrimoine détruit depuis des années, mais aussi du conflit actuel et de son impact sur l'ordre mondial. Inès est devenue maman quelques jours avant le 7 octobre. Elle évoque la façon qu'elle a eu d'appréhender cette étape si importante de la vie dans le contexte actuel. Le parcours et l'histoire d'Inès m'ont profondément touchée. Sans plus attendre, je laisse place à la réa du jour, Inès Abdelrazek. Inès, bonjour. Merci infiniment d'avoir accepté mon invitation. Je suis ravie de te compter parmi les réas et je suis ravie d'avoir une palestinienne et de faire entendre cette voix qui, malheureusement, est de plus en plus rare ou en tout cas qu'on n'entend pas assez actuellement.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, Rouchra, pour cette invitation. C'est moi qui suis honorée d'être parmi tes invités de marque sur ce podcast.

  • Speaker #0

    Inès, généralement je commence par une question un peu signature sur le podcast, mais j'aimerais commencer peut-être un peu différemment et juste demander comment ça va.

  • Speaker #1

    Écoute, c'est vrai que c'est une question qu'on a arrêté de se poser entre nous. Dès qu'on se contacte entre Palestiniens aujourd'hui, en fait on a arrêté de poser la question parce que c'est une question qui paraît futile et à laquelle la réponse n'est pas du tout straightforward. Je fais beaucoup d'anglicisme parce que j'enverrai mon français. Mais voilà, je pense que je me dis toujours que j'ai beaucoup de chance. Moi, à Ramallah, j'ai un toit, j'ai une vie assez normale, entre guillemets. Donc, je me dis toujours que j'ai beaucoup de chance. Donc, je dirais que personnellement, ça va. Et j'ai un bébé depuis peu qui me permet aussi de maintenir ma santé mentale, je dois dire. Et c'est très précieux. Donc, voilà, je dirais que je vais plutôt bien considérer toute chose égale par ailleurs, au vu du contexte.

  • Speaker #0

    Merci. Inès, la question signature serait de commencer par les origines. Est-ce que tu serais d'accord de nous parler de ton éducation, l'environnement dans lequel tu as grandi, le type d'éducation que tu as pu avoir ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai que la question, j'ai toujours eu peur, enfin pas peur, mais cette question m'a toujours procuré un peu d'angoisse dès qu'on me demandait tu viens d'où ? Et c'est la question que tout le monde pose, c'est assez naturel, on me la pose d'ailleurs toujours. Ici en Palestine, puisque je viens de la diaspora des exilés, et donc mon arabe n'étant pas complètement bilingue, il y a toujours cette question qui revient, mais tu viens d'où ? Et quand je suis en France, c'est pareil, mais tu viens d'où ? Et donc c'est vraiment une question qui pour moi a toujours été une source d'angoisse, de comment je vais répondre ? Et je pense que cette réponse a évolué au fil du temps, clairement. Mes identités, mon identité ayant beaucoup évolué, je pense que l'identité est fluide, et je pense que... En grandissant, en vieillissant, on évolue toujours en fait. C'est vraiment un concept et une chose mouvante. Moi, je suis franco-palestinienne, c'est comme ça que je me définis souvent. Ma mère est française et mon père est palestinien, donc j'ai vraiment... Et pendant très longtemps, j'ai souvent dit je suis moitié palestinienne et moitié française Et en fait, j'ai arrêté de dire ça. Je suis 100% palestinienne et 100% française, je pense, de différentes manières. Et donc, je suis née à Paris, donc d'un père réfugié palestinien, toute ma famille paternelle étant réfugiée au Liban depuis 1948. et mon père ayant émigré en France et ma mère étant française bretonne d'origine. J'ai grandi dans différents endroits, j'ai beaucoup déménagé. Mes grands-parents eux-mêmes, maternels ou paternels, ayant eux-mêmes déménagé, soit par exil forcé, soit par le travail en France. Donc en fait j'ai quand même une histoire familiale où tout le monde a beaucoup bougé géographiquement. Et donc c'est vrai que c'est difficile pour moi, quand on me demande mais où est... ta maison en fait, où est home ? J'ai vraiment du mal à répondre à cette question et c'est pour ça que moi je me crée mon propre foyer, ma propre maison, là où je suis souvent avec les personnes autour de moi. Donc voilà je crois d'où je viens, mais je suis très ancrée dans la culture palestinienne et française ça c'est évident.

  • Speaker #0

    Et enfin, du coup la culture palestinienne était très présente, ton papa ne te parlait pas arabe en termes de nourriture de fêtes, etc. C'était un mélange ? Comment c'était ?

  • Speaker #1

    C'était un mélange, alors c'est un peu particulier. Pour la question de la langue, c'est le cas, je pense, de beaucoup de papas immigrés qui ont arrêté de parler leur langue paternelle aux enfants. Donc mon père m'a parlé en français, malheureusement, une fois qu'on a commencé à parler. Il parlait arabe avec tous les gens autour de lui, sauf ses enfants et sa femme. Donc malheureusement, j'ai dû réapprendre l'arabe derrière en fait plus tard. Et je pense que c'est une erreur. J'aurais aimé qu'il continue à faire cet effort. Donc aujourd'hui, je sais que mon mari qui est palestinien aujourd'hui, lui, il fait l'effort de parler l'arabe. Il parle français aussi, mais on parle français à notre fils et arabe. Et je pense que c'est très important. De zéro à sept ans, j'ai grandi dans une banlieue parisienne, l'imitrof de Paris. Et après, je suis partie à Gaza. Donc c'est un petit peu particulier parce que j'ai été immergée aussi. assez tôt dans la culture palestinienne. Mais à Paris, de 0 à 7 ans, c'était en fait un mixte. On avait beaucoup les amis de mon père, la communauté un peu palestinienne. Mon père est à la retraite, mais il était diplomate à l'OLP, il était militant à l'OLP, donc actif politiquement. Et donc, la plupart de ses amis étaient aussi des militants palestiniens ou arabes. Et donc, voilà, notre quotidien était à la fois très français. J'allais en vacances chez mes grands-parents maternels et puis on était à l'école française, etc. Mais on avait quand même ces retrouvailles de la communauté palestinienne. On traînait au resto libanais des parents de mes amis d'enfance. Il y avait quand même ce côté-là. Donc, c'était un mélange, mais qui n'était pas très, très conscient. J'ai eu... Très tardivement, mon identité palestinienne a beaucoup évolué. Tout ça a été assez mélangé. Pareil pour la nourriture, tout ça a été... Je ne me suis jamais trop posé la question, mais mon père faisait par exemple le labané, il la faisait à la maison avec la faisselle du supermarché français. Mais tout ça était très ancré dans les habitudes du petit-déj chez nous. Mais voilà, c'était assez mélangé en fait.

  • Speaker #0

    Et tu disais que ton papa était militant. Comment est-ce que ça se ressentait à la maison ? Est-ce que son engagement était partagé à la maison ou est-ce qu'il gardait quelque chose d'assez cloisonné, plus à l'extérieur, et puis sa vie de famille protégée Je ne sais pas si c'est le bon terme.

  • Speaker #1

    Ce qui est intéressant, c'est que je dirais que c'est ma mère qui est française, qui était militante aussi, qui a vécu au Liban, qui a ensuite nous emmené, elle, à Gaza. Mon père est resté à Paris pour son travail. C'est plutôt ma mère qui, proactivement... a essayé de nous ancrer dans cette culture palestinienne, puisque mon père, lui, il a eu justement la réaction plutôt inverse. Donc autant on était dans les fêtes de la communauté, etc., autant je pense que ça a tellement été un poids pour lui, ce combat, en fait, qui était difficile. Et moi, je suis née fin des années 80, donc il faut bien voir que l'OLP, pendant les années 80, s'était vue comme un mouvement terroriste. Ma mère, avec sa famille, ça a été très difficile de faire accepter qu'elle se marie avec un palestinien. À l'époque, c'était vraiment le palestinien de l'OLP, terroriste. Alors, ça fait écho aujourd'hui à toute cette image des palestiniens terroristes, mais il faut bien voir que c'était le cas avec d'autres profils politiques à l'époque. Et donc, lui nous a beaucoup protégés de tout ça. Et c'est d'ailleurs que maintenant, maintenant que je suis engagée, maintenant que c'est mon... C'est mon engagement, c'est mon quotidien de me battre pour la cause palestinienne, que je parle politique avec mon père. Mon père ne nous a jamais parlé de son quotidien, de choses politiques, de son travail. Il a toujours vraiment cloisonné, je pense, pour nous protéger de ça, et avec l'idée qu'on est nés français, on est nés libres, on est nés dans un pays où on n'a pas forcément à se préoccuper de ce poids de la cause palestinienne. Et donc, quelque part, il a essayé de... Enfin, il n'a pas transmis, il ne nous a pas transmis ça. Et c'est vraiment moi qui ai dû faire mon éducation politique seule, pour beaucoup. Seule et bien sûr à travers les expériences inconscientes qu'il nous a aussi transmises. Mais je pense que quand il nous l'a mené, c'était très inconscient. Mais il y a des petites choses, bien sûr. J'ai rencontré Yassar Arafat à plusieurs reprises dans ma vie, dans mon enfance, parce que mon père travaillait avec lui. Et moi, j'avais... J'ai probablement très peu de conscience aussi de qui était Yasser Arafat. Je savais que c'était quelqu'un d'important et tout le protocole autour faisait que, on sentait que c'était important, mais je n'avais aucune conscience politique de la figure. Et je sais que mon père avait une arme à la maison. Il y avait un pistolet chez nous qu'il ne lui avait jamais utilisé, mais il avait le droit au port d'arme parce que c'était dangereux, parce qu'il y avait eu des assassinats de personnalités de l'OLP. Et tout ça, je pense que... C'était très inconscient. Je me rappelle de choses a posteriori, en fait. Mais c'est des petites choses comme ça dont je me rappelle. Je me dis, oui, en effet, ce n'est pas normal d'avoir un pistolet chez soi. Et plus tard, j'ai appris d'autres choses, qu'il n'avait pas le droit de se mettre de haut aux fenêtres. Mais tout ça, dans le quotidien, dans un HLM de banlieue parisienne, ça ne faisait pas beaucoup de... Je ne faisais pas le lien avec la réalité politique de tout ça.

  • Speaker #0

    Et puis, enfin, on a l'impression que le monde dans lequel on évolue, c'est la norme et on a peu de... De benchmark et de comparaison, donc j'imagine que c'est avec le temps que c'est venu. Tu parlais, Inès, tout à l'heure de ces quelques années à Gaza, où vous êtes repartie à l'âge de 8 ans avec ta maman. Tu peux nous en parler un peu plus ?

  • Speaker #1

    Alors, je ne suis pas repartie à Gaza, parce que ma famille, elle est originaire d'un village sur la côte du nord de la Palestine historique, qui est tout proche de la frontière avec le Liban. Mais il se trouve que ma mère voulait monter une école française à l'époque à Gaza. enfin une école francophone. Et bon, ça n'a pas marché pour des raisons politiques, mais on est partis deux ans, oui, entre 1995 et 1997 à Gaza. C'était vraiment les bonnes années de Gaza, en fait. C'était les années du retour de Yasser Arafat dans la bande de Gaza, donc du retour de l'OLP en Palestine. C'était juste après les accords d'Oslo. Donc c'était vraiment l'époque où, je me souviens, c'était l'époque où on a... poser la première pierre pour un aéroport à Gaza, où on discutait, où il y avait vraiment beaucoup de construction, des choses qui se faisaient, en ayant l'espoir qu'il y ait un État palestinien qui se construise. Cet espoir est très vite retombé, malheureusement. Il y a Benyamin Netanyahou qui est arrivé au pouvoir en 1996, tout ça, mais en tant qu'enfant, moi je dois dire que ça a été vraiment deux belles années, parce que j'ai fait partie d'une troupe de Dapke, qui est la danse folklorique palestinienne. On avait une maison avec un jardin, donc c'est vrai que par rapport à un HLM parisien, ça changeait beaucoup. On avait des orangers, on habitait au bord de la mer. Et voilà, je pense que c'était en tout cas la période d'espoir. Et c'est d'autant plus dur, parce que la dernière fois que j'ai pu aller à Gaza, c'était en 2003. Et à partir de 2006-2007, en fait, ça a été complètement interdit qu'on y aille. Et aujourd'hui, ça fait six ans que je suis en Palestine, et c'est à peine à une heure et demie de route, et on n'a pas le droit d'y aller. Donc tous ces souvenirs d'enfance... ont dû rester des souvenirs d'enfance. Je n'ai pas pu y retourner ou me refaire une idée. Je sais que ça a tellement changé avec le blocus. Maintenant, avec le génocide, ils ont vraiment tout détruit. Je pense que c'était important pour moi de vivre ces deux années-là, où en plus j'ai parlé l'arabe et je me suis fait des amis, etc. Mais c'est un lien qu'on m'a lié après. On nous a coupés. Et on en parle souvent avec des amis de Ramallah aussi, c'est-à-dire que beaucoup ont de la famille à Gaza, avec qui on leur a nié ce lien en fait, on nous nie un lien émotionnel, un lien réel avec des personnes, on nous nie l'amour, le deuil, tout ça, parce que ça paraît lointain en fait. Moi les seules personnes de Gaza avec qui je parle, je les connais par WhatsApp, de mon âge quoi, des gens d'une trentaine d'années, je les connais par WhatsApp, par Zoom, mais on s'est jamais vus. Voilà, on nous nie un lien fort et moi c'est ce lien que j'ai créé à l'époque et après je suis rentrée en France. Donc voilà, c'était deux années importantes et c'était des années, rétrospectivement, j'ai compris parce que en fait c'était la fameuse visite de Jacques Chirac à l'époque, j'y étais quoi. C'est-à-dire que j'étais là quand la limousine de Jacques Chirac est rentrée à Gaza. En fait c'était une époque assez chargée, mais tout ça je l'ai compris que plus tard. Et j'ai compris plus tard... Voilà, cet espoir en tout cas et cette positivité qui existait pendant ces années-là, mais qui malheureusement, on a très bien compris qu'Israël n'avait aucune intention. qu'un État palestinien voit le jour et que Gaza est resté isolé, et d'autant plus a été marginalisé, bloqué, sous siège, etc. Donc voilà, je dirais que c'était deux années importantes pour moi.

  • Speaker #0

    J'imagine. Et comment se fait le retour en France ? Tu étais contente ou tu l'as vécu un peu comme un premier déchirement ou un deuxième déchirement, je ne sais pas ?

  • Speaker #1

    Je pense que j'ai beaucoup déménagé dans ma vie, et donc j'ai beaucoup changé d'endroit. J'ai pas toujours vécu à Paris, en France, et donc je dois dire que c'est quelque chose que j'ai intégré, et je pense que c'est quelque chose que mes parents m'ont beaucoup transmis aussi. Je pense que l'exil fait partie de moi, en fait. C'est-à-dire que mon identité, et c'est pour ça que, bien sûr, tout ce que écrit Edouard Saïd et tout ça, ça me parle beaucoup, c'est que l'exil fait partie de mon identité. Ça, c'est une évidence. Que ce soit d'ailleurs... Encore une fois, la transmission intergénérationnelle de l'exil de mes grands-parents palestiniens, et le fait que je pense que l'exil a fait partie de ma vie de toute façon. Donc quelque part, j'ai réussi à embrasser ça. Je dois dire que c'est plutôt à l'adolescence, où pour le coup, j'ai fait un... Je crois que j'ai fait un rejet, mais comme beaucoup d'ados, j'ai fait un rejet de ce déracinement. Et en fait, c'est en retournant à Jérusalem, parce que je suis retournée à Jérusalem au lycée. pour vivre un an. Et je n'avais pas envie de quitter Paris à l'époque, quand j'étais ado. C'est là où j'avais beaucoup de conflits d'identité. Je voulais être française, je me suis dit je n'ai pas de problème dans ma vie. Je n'avais pas envie de retourner en Palestine, je ne voyais que des problèmes. C'était la seconde intifada. Je me disais pourquoi aller là-bas ? Rétrospectivement, ça a été très riche comme année, mais c'est vrai que c'était une année très difficile là-bas, au lycée, à Jérusalem, dans un contexte de seconde intifada, de tensions permanentes. Mais voilà, je pense que toutes ces années à aller et venir, quelque part, m'ont aussi forgé mon identité. Et c'est là aussi où ça fait partie de ce qu'on me demande encore aujourd'hui, parce que j'habite à Ramallah, mais je ne suis pas de Ramallah, ma famille n'est pas de Ramallah. J'ai vécu à Gaza, j'ai vécu à Jérusalem. Même en tant que palestinienne, les palestiniens ne comprennent pas, parce que les palestiniens, en tout cas ceux qui sont en Palestine, ont une identité très locale, c'est-à-dire que ma famille vient de Naplouse, ma mère vient de... soit de 48, de Saint-Jean-d'Acre, et puis mon père vient de Naplouse. Et donc les gens ont une identité assez marquée de famille. Leur famille vient d'un endroit. Le nom de famille souvent porte la marque d'où on vient, si on vient d'Ebron ou si on vient de Jérusalem. Moi, c'est vrai que je n'ai pas cet ancrage local, parce que ma famille n'est plus en Palestine. Je suis la seule qui a réussi à revenir, à retourner. Alors, c'est pas sans problème, on pourra en discuter, mais si je suis là, c'est parce que je l'use encore pour essayer de rester. J'ai pas le droit d'être là en tant que palestinienne, parce que les réfugiés n'ont pas le droit au retour. Je suis là avec mon passeport français, mais ça a créé tout un tas de problèmes aussi. Mais ma famille, ils ont toujours été exilés au Liban, à Beyrouth, en fait. Et donc, c'est vrai que c'est compliqué pour les gens de se situer, mais du coup, je suis pas de Ramallah, je suis de la diaspora. En même temps, j'ai vécu à Gaza, à Jérusalem, donc c'est... Voilà, c'est toute cette... Tout ça, je porte ça en moi. Même dans mes propres identités nationales, c'est très multiple.

  • Speaker #0

    Et à quel moment, Inès, tu as assumé, tu parlais de l'adolescence, où il y a eu un rejet, et puis contexte compliqué, pourquoi porter ça ? Je suis aussi française, je vais garder un peu le côté le plus léger, entre guillemets. À quel moment cette identité palestinienne, tu as commencé à l'accepter ? et la revendiquer ?

  • Speaker #1

    Je pense qu'il n'y a pas eu de moment charnière, mais j'ai eu plusieurs expériences qui m'ont porté de toute façon à ne pas la quitter. C'est-à-dire que dans mon enfance, notamment à 10 ans, puis à 15 ans, j'ai participé à des projets qui à l'époque étaient assez en vogue, d'essayer de réunir des Israéliens et des Palestiniens pour la paix. Ce genre d'initiatives qui pour moi, aujourd'hui, avec le recul, sont complètement contre-productives. et n'ont pas apporté grand chose mais ma génération, ce qu'on appelle un peu la génération Oslo qui a grandi post Oslo, on nous a encouragé à faire ce genre de choses. Donc j'ai tourné un film sur la paix, après j'ai participé à une chanson, une chorale, où il y avait des Palestiniens et des Israéliens. Et donc tout ça m'a toujours, enfin encore une fois, m'a accompagnée. Mais ça a beaucoup évolué dans le sens où, encore une fois, c'était beaucoup dans l'inconscience politique. Je pense que j'ai eu une éducation politique qui est venue très tardivement. Quand je vois les jeunes générations aujourd'hui, je vais avoir 36 ans donc je ne suis plus tout à fait jeune, mais les jeunes générations, je vois qu'ils se mobilisent au lycée, les jeunes étudiants qui sont à fond, qui sont dans des mouvements politiques et qui s'organisent. J'admire ça beaucoup parce que pour moi c'est venu beaucoup plus tardivement, même à la fac, même à l'école, je n'étais pas encore tout à fait mûre je pense politiquement. Donc c'est venu avec le temps. Et à l'adolescence, je voulais juste être une ado en fait. Et donc je pense que cette identité m'a portée parce que pour moi, je m'engage à la fois parce que je pense que j'ai le devoir, avec le privilège dans lequel j'ai grandi et avec tous les privilèges que j'ai de me battre en fait pour les Palestiniens qui n'ont pas cette chance. Donc je dois utiliser mon privilège, ça c'est sûr. Mais il y a aussi le fait que j'ai toujours eu du mal avec l'injustice. Ça m'a toujours affectée, en fait, l'injustice, les injustices. Et je pense que notre combat, c'est un combat qui va au-delà, en fait, de la Palestine, au-delà de la Palestine historique. Je pense que le combat des Palestiniens, il est quelque part, il y a une universalité dans notre combat. Donc c'est mon combat parce que je ne l'ai pas choisi parce que je suis palestinienne. Peut-être que si j'avais été sahraoui, je me serais battue autrement. Mais je pense qu'en tout cas, dans la cause palestinienne, il y a quelque chose de... d'universel et je pense que de fait de ma double culture j'ai une responsabilité aussi de me battre pour la cause palestinienne internationalement parce que je parle plusieurs langues, j'ai eu la chance d'apprendre plusieurs langues, parce que j'ai cette identité européenne donc je comprends aussi l'identité européenne et la situation en Europe et voilà et je dois dire que quand j'étais en fait enfant et ado en France, j'ai pas beaucoup vécu de racisme dans le sens où Alors on n'a pas la vidéo, mais j'ai beaucoup pris les traits de ma famille maternelle, donc je suis quand même blanche, et j'ai l'air blanche, c'est-à-dire qu'on ne me voit pas, on ne peut pas se dire ah tiens, c'est une arabe Donc il y a mon nom, bien sûr, qui à l'école, il y a toujours eu des interrogations, mais tu viens d'où ? et les gens n'arrivaient jamais à prononcer Abdelrazek, alors que ce n'est pas le nom le plus difficile à prononcer, mais il y avait toujours... Personne n'a jamais réussi à prononcer mon nom, bizarrement. Mais on a aussi grandi dans une France où je dois dire que je pense que c'était plus facile quand moi j'étais enfant que les enfants aujourd'hui ou les ados d'aujourd'hui. Il n'y avait pas la question de la religion, on ne se posait pas. Je veux dire, moi mon père est musulman, mon nom est musulman, mais on ne m'a jamais posé la question de la religion. C'était un peu la France black blamber dans le sens où j'ai l'impression peut-être parce que je suis partie depuis 12 ans de la France, donc encore une fois je vois ça de l'extérieur. Mais j'ai l'impression que c'était quand même moins difficile à l'époque, dans les années 90. Et je pense aussi qu'il y avait un... Malheureusement, dans la société française, il y avait une différenciation. Moi, je viens de Palestine, donc les gens étaient plutôt fascinés et me mettaient dans une case levantine plus que maghrébine. Et donc, je voyais autour de moi les élèves et mes camarades et mes amis qui étaient maghrébins ou d'origine maghrébine. Eux, pour le coup, ils étaient beaucoup plus sujets au racisme que moi. Parce que ça ne soulevait pas les mêmes imaginaires coloniaux ou post-coloniaux. Ça paraissait plus lointain, le Moyen-Orient, le Proche-Orient. Ça paraissait plus quelque chose d'exotique et quelque chose où il y a un conflit. On me demandait mon opinion, mais c'était moins lié à des préjugés et à du racisme qu'on peut voir contre les populations arabes d'origine maghrébine et d'ex-colonie française.

  • Speaker #0

    Et là, Inès enfant, dans ce contexte, tu rêvais de quoi ? Tu t'imaginais un métier ? Tu voulais être comme papa, comme maman ?

  • Speaker #1

    Non, justement, pendant très longtemps, je me suis dit que je n'allais jamais faire comme papa. Et résultat, je fais beaucoup comme papa. Et ma mère était un stit, était toujours pédagogue dans l'éducation, etc. Ce n'est pas le chemin que j'ai pris. Non, je suis passée par plusieurs phases. Je voulais être architecte. Donc, ça a beaucoup fluctué. Je dois dire que j'ai toujours eu l'impression que j'aurais le choix, mais jusqu'à très tardivement non plus, je n'avais pas beaucoup, encore une fois, accès à beaucoup d'informations. J'étais dans un lycée public où, comme beaucoup, les options qu'on nous offre sont très limitées. C'est pour le coup l'année à Jérusalem, quand j'étais au lycée en première, où là j'étais dans un lycée français à l'international, et là j'ai compris l'accès que pouvait offrir ce genre d'opportunité. dans un petit lycée, qui était très particulier en plus, parce que les profs étaient israéliens, parfois colons en Cisjordanie, et les élèves tous palestiniens ou diplomates. Donc ambiance très très bizarre dans une école à Jérusalem. Mais voilà, comme il y avait des visites diplomatiques qui étaient régulières, je me souviens qu'il y a Bertrand Delannoye, à l'époque le maire de Paris, qui est venu à l'école. Et puis, il y a des historiens qui sont venus. Et c'est là que j'ai compris ou que j'ai connu, que j'ai entendu parler de Sciences Po. Je n'avais aucune idée de ce que c'était que Sciences Po. Donc, je me suis un peu renseignée. Et puis, il y avait des enfants de diplomates où eux, ils en avaient parlé. Enfin, ils en avaient entendu parler depuis leur enfance. Moi, mon père était diplomate de l'OLP, mais en fait, c'est militant de l'OLP. Ça n'a rien à voir avec la diplomatie classique. Et donc, c'est là où j'ai entendu parler de ce que c'était que Sciences Po. Et au lycée, je pense que c'est là où vraiment j'ai... J'ai ancré un intérêt pour ce qui était sciences humaines, et puis l'histoire, la géographie, et comprendre aussi qu'on nous enseignait les choses de manière très mauvaise. Surtout sur ce sujet-là en particulier, sur la décolonisation, sur Israël-Palestine. J'ai compris qu'il y avait des choses qui n'allaient pas dans ce que disaient les profs d'histoire-géo. Et donc ce sont des matières qui m'ont ensuite intéressée. Mais pendant très longtemps, je n'ai jamais trop su comment... Qu'est-ce que j'allais être plus tard, en fait ? J'ai longtemps repoussé cette décision. Et je savais juste que je voulais être utile, en fait. Je voulais être utile. Je savais que les injustices en Palestine allaient me porter quelque part par là-bas. Mais je voulais me forger d'abord une expérience et une expertise ailleurs pour quelque part mieux revenir, je pense, en Palestine. Et c'est ce que j'ai fait.

  • Speaker #0

    C'est hyper intéressant de voir un peu cette parenthèse qui t'ouvre les yeux et l'importance du milieu. Et ça, on l'entend beaucoup. beaucoup dans le podcast. Donc Sciences Po, et là tu commences à travailler dans des organismes. Est-ce que tu t'es posé la question de travailler dans un corps d'État, par exemple, parce que c'est aussi l'un des débouchés classiques, je dirais, de Sciences Po ? Ou est-ce que très vite tu étais sur cette ligne de justice, d'être utile, et peut-être que tu, je ne sais pas, je ne vais pas parler en ton nom, mais peut-être que le corps d'État c'était quelque chose qui te semblait moins utile ?

  • Speaker #1

    Oui, alors à posteriori, c'est vrai que... Je pense que Sciences Po a été une bonne expérience qui m'a ouvert beaucoup de portes. Par contre, à postériori, je vois à quel point ça a été limité en termes d'éducation politique et en termes de formatage intellectuel. J'ai terminé mon master en 2011 et c'est depuis ces 13 dernières années que j'ai vraiment forgé mon éducation politique. Je trouve que c'était vraiment très normatif. et très peu... C'était assez lisse, en fait, comme éducation. Donc, je pense que Sciences Po, c'est très bien pour apprendre à penser, à analyser, donc beaucoup d'outils, de compétences. Mais alors, en termes de challenge intellectuel et surtout de remise en question de beaucoup de choses intellectuellement, j'ai eu quelques très bons profs qui m'ont ouvert l'esprit, mais sinon, je dois dire que c'est vraiment depuis ces 13 dernières années que j'ai dû beaucoup lire. pour relire des choses, pour me forger l'identité politique que j'ai aujourd'hui. Donc ça a beaucoup évolué. Et à l'époque, c'est vrai que ça nous formate beaucoup à rentrer dans des institutions. D'ailleurs, soit dans le secteur privé, il y a beaucoup de gens qui vont en banque ou en consulting. Moi, je savais tout à fait que ce n'était pas du tout mon truc, que je voulais quelque chose au service public, enfin quelque chose au service de la société ou au service international. Et c'est poser la question, en effet, et pendant plusieurs années... Ensuite, on me l'a beaucoup demandé, mais pourquoi tu n'es pas devenue diplomate du Quai d'Orsay, la diplomatie française ? Mais j'ai toujours eu un malaise, je crois, assez profond de rentrer dans un corps d'État français. Je sentais bien qu'il y avait quelque chose qui ne m'allait pas. Ça ne me ressemblait pas de défendre la politique de la France ou de rentrer dans un corps d'État français. Ce n'était pas moi. Donc, je me suis plutôt orientée vers les institutions internationales, parce que je pense que j'avais encore cet idéalisme, on va dire, de... de penser que les organisations internationales gouvernementales avaient un pouvoir, avaient le pouvoir de changer les choses, avaient un rôle positif sur l'état du monde. Donc je suis d'abord allée à l'Union pour la Méditerranée, parce que je pense que j'ai une identité très méditerranéenne. Être franco-palestinienne, pour moi, c'est clair que c'est aussi une identité méditerranéenne. Je me sens bien en Méditerranée, je me sens bien au bord de la mer. Je vois bien qu'on a quelque chose de commun entre nous tous, qui venons du pourtour de la Méditerranée, que ce soit les Espagnols, et j'ai eu la chance de quand même aller dans beaucoup de ces pays-là. Donc j'ai commencé par l'Union pour la Méditerranée, en voyant très vite que c'était très dépolitisé, parce que quand on met autour de la table... le Liban, Israël, la Palestine et Chypre, etc. En fait, c'est impossible d'avoir un agenda qui ait un minimum de sens politiquement. Et donc, il fallait tout faire de manière technique, surtout pas parler des choses essentielles comme le dossier des migrations, le dossier de la Palestine et des droits des Palestiniens. Donc, à la fois, ça m'a beaucoup ouvert sur les questions palestiniennes parce que je travaillais sur les questions de l'eau et de l'environnement en Palestine. Mais en même temps... ça m'a beaucoup déçue par rapport au multilatéralisme et aux institutions intergouvernementales. Derrière, j'ai eu l'opportunité d'aller à l'ONU. J'ai vécu trois ans au Kenya, au siège de l'ONU pour l'environnement, parce que je voulais continuer. Je me disais que je pense que cette question environnementale est aussi assez universelle et je voulais continuer mon combat là-dedans. Et encore une fois, m'ouvrir plutôt que d'aller me focaliser sur la Palestine tout de suite, je me suis dit que ça allait m'apporter. des choses et une expertise que je pourrais ensuite ramener probablement en Palestine.

  • Speaker #0

    Est-ce que dès le début, tu t'es dit mon combat sera pour la Palestine ou c'est venu vraiment en avançant avec l'actualité, etc. ? Est-ce que là, quand tu es au Kenya, tu sais que tu vas rebifurquer vers le sujet palestinien ?

  • Speaker #1

    En fait, je l'ai vécu de manière assez très personnelle en arrivant à l'ONU, à Nairobi. Donc, ce sont des agences qui sont là-bas. C'est quand même des milliers d'employés de l'ONU. C'était 2014 et c'était la guerre à Gaza. Gaza a vécu plusieurs guerres atroces de ces dernières années. Là, on est vraiment dans un génocide où Israel a volonté d'annihiler complètement la bande de Gaza. Mais il y a eu des vagues de bombardements très dévastatrices pour Gaza depuis 2009. 2014 a été vraiment une vague de bombardements vraiment terrible. Et je suis arrivée là-bas et je me sentais très impuissante. En fait, je suis arrivée et je me suis dit mince, c'est la guerre à Gaza Je me sens impuissante et je voyais bien autour de moi que les employés de l'ONU et les gens qui travaillent dans le développement avaient peur de parler du sujet. Et avaient comme ça un peu cette empathie, mais cette empathie un peu à la fois honteuse et lointaine. Et ils avaient peur de parler, ils avaient peur de faire quelque chose. Et moi ça m'a beaucoup déçue et il y avait très peu d'arabes dans ces agences de l'ONU là-bas à Nairobi. Donc je me suis sentie assez seule. Et j'ai trouvé une ou deux personnes qui étaient d'origine palestinienne ou pas et qui étaient très solidaires avec les Palestiniens. Et on a organisé un événement, un concert. On a trouvé des artistes qui nous ont donné des œuvres d'art à vendre. On a fait toute une vente aux enchères pour lever des fonds pour Gaza. Je crois que c'était vraiment le premier projet que j'ai porté moi seule pour la Palestine. Et ça m'a réchauffé le cœur. Et d'ailleurs, au bout de trois ans, j'étais vraiment déçue par les instances de l'ONU et parce qu'au fil des années, en fait, on avait des dossiers qui étaient liés justement à la destruction de l'environnement à Gaza. Et je voyais bien que j'étais à la fois marginalisée parce que j'étais palestinienne, donc on allait me voir comme biaisée sur le dossier. Alors que j'étais au bureau des directeurs, j'avais quand même une expertise sur le sujet, mais on me marginalisait de manière délibérée parce que j'étais vue comme biaisée. Alors qu'on ne fait jamais ça avec un dossier autre. Je veux dire, si un Norvégien sur les glaciers ou sur les fjords, on demande à la personne qui vient du pays, qui a l'expertise sur le sujet. Mais quand il s'agit de la Palestine, on est toujours vu, nous, Palestiniens, on ne peut pas être experts ni analystes. On est toujours vu comme biaisés, émotionnels. Et donc, ça m'a beaucoup déçue. Et je pense que c'est vraiment mon expérience sunnisienne qui, après... Voilà, m'a fait réfléchir et me dire, voilà, il est temps pour moi d'aller en Palestine. Je n'avais pas de boulot, j'ai quitté l'ONU, et une situation franchement très confortable. Il faut bien voir que les fonctionnaires de l'ONU sont très bien payés, beaucoup de privilèges. Et en plus de vivre au Kenya, en tant que blanche, alors là, ça m'a ouvert les yeux beaucoup aussi sur la situation postcoloniale. Alors, c'est une ancienne colonie britannique, donc c'est culturellement très différent, je pense, des anciennes colonies françaises. Mais clairement, de voir aussi... Toute cette dynamique-là, j'avais clairement pas envie de rester. Et deux, je me suis dit qu'il était temps pour moi d'aller en Palestine. Et ça a été très riche. J'ai vraiment beaucoup appris. Je ne regrette pas du tout. Mais je pense que ça m'a ouvert les yeux sur beaucoup de choses, toutes ces expériences professionnelles. Et ça a fait partie de mon éducation politique, clairement.

  • Speaker #0

    Et là, du coup, tu arrives en Palestine sans rien, sans job. Tu t'installes où et quels sont tes projets à ce moment-là ? Est-ce que tu as une feuille de route ? Tu as prévu, tu as un peu une vision sur ce que tu voulais faire ?

  • Speaker #1

    Non, alors j'arrive avec mon visa de touriste. Alors, il se trouve qu'à partir de 2012 quand même, quand j'étais à l'Union pour la Méditerranée, j'ai commencé un peu à m'organiser avec d'autres Palestiniens de ma génération. Donc, j'ai commencé à étoffer, on va dire, mes contacts et mes réseaux et mes activités. avec d'autres Palestiniens. Et c'est là où je me suis sentie quand même moins seule. Et à partir de ce moment-là, quand même, j'étais déjà un peu active. J'ai fait un ou deux séjours en Palestine en visite en 2013. Et puis après, en fait, c'est quand je l'ai déménagé là-bas en 2017. Mais je dois dire que j'avais quand même quelques contacts. Et donc, c'est à travers eux que j'ai commencé à me dire, voilà, à les contacter, à voir un peu qu'est-ce que je pourrais faire. Il y a la question du visa qui se pose, puisque, donc, encore une fois, moi, je rentre en Palestine en tant que Française. Les Israéliens ne savent pas que je suis palestinienne. Je suis née à Paris, je suis française, et en fait, il faut que je cache, moi, auprès des Israéliens, mon identité palestinienne. Et c'est pour ça que, voilà, moi je suis vocale dans les médias, etc. Donc je sais toujours le risque que je prends, parce qu'en fait, je suis quand même toujours sur un siège éjectable dans ce pays, parce que je n'ai pas le droit d'être là en tant que palestinienne. Je suis là en tant que française, et aujourd'hui, il se trouve que mon mari, il est de 48. Mon mari, il est palestinien. Il fait partie des Palestiniens qui ont un passeport israélien. Il fait partie des survivants de la Nagba, en fait. En tant qu'épouse française d'un Palestinien de 48, j'ai le droit, quelque part, à un visa d'épouse. Et c'est comme ça que je suis légale aujourd'hui. Mais ça a toujours été très précaire. C'est-à-dire qu'on arrive, on a un visa de touriste, on repart. Et puis, évidemment, on reste toujours six heures à l'aéroport. Et pourquoi t'es là ? Et qui t'es ? Et qu'est-ce que tu fais ? Donc, je dois dire qu'avoir travaillé à l'ONU, ça m'a beaucoup protégée. parce que c'est quand même une institution internationale qui est protégée par un statut diplomatique. Donc ils m'ont toujours vue sous ce prisme-là. C'est-à-dire que mon passé à l'ONU m'a quand même beaucoup protégée, je pense, sur place. Et je travaillais sur l'environnement, donc ce n'était pas vu comme trop politique. Et donc petit à petit, plus mon profil est devenu militant et politique, plus j'ai pris des risques et plus je prends des risques. Mais voilà, ça fait partie des risques que je pense que je dois prendre. Et donc j'arrive. Et en fait, j'atterris au bureau du premier ministre palestinien parce que mon profil était beaucoup lié à l'aide au développement et aux politiques internationales. Ils avaient besoin d'une consultante sur ces sujets-là. Et donc, j'ai vu l'autorité palestinienne de l'intérieur. Donc, ça a été un an et demi, je dois dire, assez horrible. Alors évidemment, j'ai coupé mon salaire par 4000. Mais c'était très intéressant, mais à la fois très traumatique. Je pense que si le dernier espoir que j'avais, qu'on puisse nous-mêmes, les Palestiniens, changer le système de l'intérieur de l'autorité palestinienne et des instances de l'OLP, en fait, j'ai compris pendant cette année et demie que ça n'allait pas être possible. Et c'est là que j'ai fait mon chemin vraiment vers essayer de m'organiser et d'organiser des collectifs dans la société civile, en fait, et dans le monde plutôt des mouvements citoyens et des ONG, parce que, clairement... L'autorité palestinienne est au bout de sa vie, mais vraiment de manière littérale. C'est-à-dire que je ne pense pas qu'on peut réformer l'autorité palestinienne. Je pense qu'on a un vrai besoin de renouveau dans les instances de leadership palestinien, ça c'est évident. Et je pense que c'est aussi en dehors de ces institutions qui ont été complètement accaparées par le régime d'Oslo, et ce que le système d'Oslo a mis en place. malheureusement complètement dépendant et dominé par Israël. Donc c'est un peu à l'époque, pour l'autorité palestinienne, c'est un peu comme à l'époque des Willaya, enfin dans les anciennes colonies françaises, c'est-à-dire que c'est les autorités locales qui en fait sont contrôlées par le colon et qui sont à la merci des décisions des colons et qui ont des Palestiniens en fait à leur tête, mais qui répondent aux intérêts israéliens en fait. C'est des marionnettes en fait. C'est des marionnettes. Et l'autorité palestinienne pour importer le moindre camion, la moindre denrée, pour apporter l'électricité dans nos villes, etc. doivent de toute façon avoir l'autorisation israélienne. Donc en fait on est quand même à la merci de l'occupation israélienne. Et ça je l'ai vite compris. Et j'ai vite compris qu'en fait au sein de ces bureaux-là, ce statu quo n'était pas remis en question. C'est-à-dire que cette dynamique-là politique n'était pas remise en question. Et ça m'a... Ça m'a dégoûtée en fait.

  • Speaker #0

    Mais c'est fou que ce ne soit pas remis en question de l'intérieur. Après, je comprends la structure et le statut de la Palestine, la colonisation, mais que de l'intérieur, il n'y ait pas une volonté de rébellion, de changer les choses, de faire des choses différemment, sans que ce soit toujours de manière... officielle, parce que contre les règles instaurées, mais tu trouvais vraiment qu'il y avait un statu quo, une résignation en quelque sorte ?

  • Speaker #1

    Je pense qu'il y a beaucoup de gens qui étaient résignés au sein, on parle là vraiment au sein de l'autorité palestinienne, il y a beaucoup de gens bien dans les fonctionnaires ou dans les gens qui travaillent, qui essayent de faire les choses bien, ça c'est vrai. Mais je pense qu'il y a une vraie résignation à l'idée que... pour que les écoles fonctionnent, l'autorité palestinienne, elle fait aussi fonctionner tous les services pour les Palestiniens qui habitent dans les petits îlots qui sont contrôlés par l'autorité palestinienne, c'est-à-dire l'intérieur des villes, comme Ramallah, Naplouz, etc. Et donc, quelque part, les gens se disent qu'il faut bien faire fonctionner la machine, en fait. Mais par contre, au niveau politique, je pense qu'il y a des intérêts, il y a des gens qui ont bénéficié des accords d'Oslo et bénéficient personnellement pour leur pouvoir, pour leur compte en banque. Il y a beaucoup de népotisme, il y a beaucoup de corruption. Ce n'est pas une corruption financière, c'est vraiment comment maintenir une machine qui permet à des familles de se maintenir et beaucoup à faire de l'argent sur le dos de l'occupation et à bénéficier du statu quo. Donc, je pense que le système lui-même, il doit être mis à terre. C'est-à-dire que les institutions qui ont créé le régime d'Oslo, encore une fois, en étant... constamment à la merci des autorisations israéliennes, de la coordination sécuritaire avec Israël, de la coordination avec l'occupation israélienne, tout ça doit être complètement chamboulé en fait. Et donc la rébellion s'organise évidemment mais en dehors de ces structures bureaucratiques. Parce que ça a créé des structures bureaucratiques qui vraiment sont solides quoi. Il y a des comités qui en sont sortis et donc c'est une machine qui fonctionne et tous ces rouages là sont difficiles quand même à démanteler donc la... Je pense que c'est en dehors de ces rouages-là que la rébellion s'organise, et c'est pour ça que les Palestiniens sont frustrés. Je veux dire, que ce soit la résistance populaire, que ce soit à travers les canaux diplomatiques que moi j'essaie d'utiliser, donc je suis plutôt, on va dire, chez la diplomatie citoyenne, ou la résistance armée, tout ça, en fait, ça s'organise en dehors de l'autorité palestinienne, et les gens sont frustrés et utilisent cette frustration pour résister d'une manière ou d'une autre. Donc voilà, je pense que c'est cette... Cette expérience m'a appris ça et m'a aussi appris que, on m'a aussi confirmé les limites, les limites et vraiment les défauts de notre diplomatie, de la diplomatie palestinienne officielle qui représente l'autorité palestinienne et l'OLP à l'étranger. C'est pour ça que je me suis engagée dans cette voie de toute façon parce que, un, c'est ce que je peux apporter, c'est-à-dire que c'est le pont avec l'international et c'est de porter la voie de la Palestine. à l'international, essayer de faire changer les choses quant à la complicité internationale avec Israël, et en comprenant bien justement les limites des ambassades de la Palestine à l'étranger, qui sont elles-mêmes devenues totalement soit impuissantes, soit des marionnettes à la merci du leadership palestinien à Ramallah, qui n'ont pas du tout les demandes, qui sont tellement déconnectées de la population et des demandes des Palestiniens.

  • Speaker #0

    Et aujourd'hui Inès, tu es... Executive Director au Palestine Institute for Public Diplomacy. Est-ce que tu peux nous parler un peu des activités de cet organisme et en quoi consiste ton rôle ?

  • Speaker #1

    Oui, alors on est une petite organisation qui a six ans d'existence et qui est née justement avec cette idée qu'on voyait bien en fait l'absence des voix palestiniennes, l'invisibilisation des Palestiniens à l'étranger et aussi le manque d'action stratégique à l'étranger pour remettre en question les alliances. de beaucoup de pays avec Israël. Je dirais en gros que, pour la faire courte, on essaie d'être un lobby palestinien. Mais un lobby, pour moi, ce n'est pas un gros mot. C'est-à-dire que c'est comment on essaie de faire du plaidoyer et de défendre la cause palestinienne à l'étranger et de s'organiser pour, à la fois avec les Palestiniens à l'intérieur de la Palestine, mais aussi avec les Palestiniens en exil et les Palestiniens en diaspora, y compris les Palestiniens en Europe, pour faire changer les choses. Donc on travaille sur les... Trois axes stratégiques qui, je pense, sont fondamentaux aujourd'hui, c'est-à-dire un, changer le narratif et le discours. Donc essayer à la fois de contrer le narratif israélien et sioniste quant à la situation, en essayant d'éduquer, d'expliquer, d'informer, de porter des voix palestiniennes dans des instances de pouvoir et dans la rue. C'est-à-dire qu'il y a besoin, je pense, à la fois d'informer le grand public, l'opinion publique, mais aussi... de faire du plaidoyer de manière plus politique auprès d'instances décisionnaires. Et un deuxième as stratégique, c'est donc de comment faire en sorte de remettre en question les alliances avec Israël. Donc on le voit bien aujourd'hui avec le génocide, beaucoup de pays continuent à vendre des armes à Israël et à en acheter, des technologies de surveillance comme, je ne sais pas, des caméras à reconnaissance faciale qui se retrouvent à être achetées par la ville de Nice en France. pour les installer à Nice, voilà, donc tout ça fait partie de certains des dossiers sur lesquels on travaille. Et le troisième axe, c'est comment renforcer le collectif palestinien. Une des choses que je réalise, c'est que vraiment, on ne peut pas agir tout seul. Moi, si j'avais le choix, je dirais que je préférerais pour le coup être dans l'ombre. Par la force des choses, j'ai été obligée de faire des médias, surtout en 2021, lors des soulèvements à Chercharah, à Jérusalem, à l'Aqsa, parce qu'en fait, il y avait besoin de voix francophones. On est quand même assez peu de Palestiniens aujourd'hui en Palestine qui s'expriment et qui articulent un discours politique en français. Donc, il y a beaucoup de demandes. Donc j'ai par la force des choses dû m'exprimer publiquement, mais j'aime mieux faire le travail de l'ombre et derrière les coulisses, qui est de, je pense, de former des collectifs palestiniens, d'essayer en fait de joindre nos différentes voix et d'essayer de porter l'action. Il y a besoin, en fait, il y a un mot en anglais qui est organizer Je pense qu'aux États-Unis, il y a vraiment plus cette culture de organizing c'est comment on organise. des mouvements, comment on organise des collectifs, on coordonne l'action. Avec chacun ses forces. Il y en a qui sont plus forts auprès des médias, il y a les autres qui sont plus forts, il y a les avocats qui peuvent faire des actions légales. Et c'est comment coordonner toutes ces compétences, ces voix, et essayer de porter des campagnes et des actions qui auront un impact. Et pour moi, c'est ça, c'est la force de devoir... organiser des collectifs, aussi parce qu'on doit réorganiser un collectif palestinien, parce que la fragmentation est réelle. Comme je le disais par rapport à Gaza dans mon enfance, aujourd'hui on a besoin de se réunifier. La réunification du peuple palestinien, on est 14 millions, dont 7 millions en Palestine et 7 millions à l'étranger. Malheureusement il y a 2 millions de Gazaouis aujourd'hui qui sont poussés. vers un nettoyage ethnique de la bande de Gaza. Donc c'est dramatique et c'est ce qu'on essaye d'empêcher tous collectivement. Et c'est la pression qui est mise en œuvre aujourd'hui pour essayer de mettre fin au génocide. Mais je dois dire que la fragmentation, elle est réelle. La société palestinienne a été cassée par la colonisation israélienne, par le projet sioniste de colonisation depuis 1948, qui a vraiment éclaté les Palestiniens dans différentes géographies. qui a fragmenté les Palestiniens de manière aussi sociale. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, moi j'ai la chance de pouvoir vivre dans une continuité parce que je peux passer les checkpoints et je peux passer d'un côté à l'autre. Mais je vois bien qu'un Palestinien à Haïfa ou à Yaffa, qui vit maintenant du côté israélien, mais qui sont des villes palestiniennes, dans la Palestine historique, ou un Palestinien de Ramallah ou un Palestinien de Gaza, il y a quand même un gouffre dans la réalité de ce qu'on vit au quotidien. Donc on a des identités tellement multiples. et des problématiques face à l'occupation aussi différentes. Parce que l'un a besoin d'un permis pour aller dans son champ d'olivier, l'autre il travaille dans des hôpitaux israéliens avec des collègues israéliens. C'est des réalités très différentes qui nous ont fragmentées. Donc moi, mon travail à ma petite échelle, c'est aussi d'essayer de... Comment on peut, en tout cas dans notre travail collectif, d'essayer de porter de l'unité et de l'unification et des collectifs qui fonctionnent et qui se renforcent pour pouvoir... porter une voix commune parce que c'est tellement nécessaire.

  • Speaker #0

    Absolument et puis on voit l'invisibilisation qui est faite médiatiquement etc. et j'imagine que l'une des manières vraiment de contrer ça c'est d'être unis et d'être plusieurs pour que cette voix elle porte plus ou en tout cas qu'elle soit plus visible et entendue. Tu parlais du quotidien, là, tu donnais des exemples. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ton quotidien à Ramallah ? Je pense qu'il y a beaucoup de gens, on l'entend dans les médias, mais je pense qu'on ne se rend pas forcément compte du challenge quotidien, journalier, auquel sont confrontés les Palestiniens en Palestine.

  • Speaker #1

    Oui, moi, ce qui me sidère toujours dans les médias français, par exemple, c'est qu'on montre une carte. Une carte où on voit d'un côté, ce serait le territoire israélien et de l'autre, la Cisjordanie et Gaza. Or la réalité géographique, elle n'est pas du tout celle-là. Elle est celle d'en fait, tout le territoire de la Palestine historique, donc Israël et les territoires occupés, sont contrôlés par Israël. Ça c'est une réalité. C'est-à-dire que l'armée israélienne, le régime israélien, contrôle tout le territoire. Et donc, en fait, moi à Ramallah, je vis dans un espèce d'îlot. C'est vraiment un archipel, la Cisjordanie, qui avec le mur en plus est coupé. de Jérusalem et coupée de la Palestine historique et de ce qui est Israël aujourd'hui, par le mur qui en plus, le mur ne suit pas du tout la ligne verte qu'on voit sur ces cartes, cette séparation de la Cisjordanie et d'Israël. En fait aujourd'hui, là je suis à Ramallah, depuis le 7 octobre les checkpoints sont fermés. Donc en fait Ramallah, il y a deux points de sortie aujourd'hui pour les Palestiniens. Moi aujourd'hui pour aller chez le pédiatre, parce que je dois aller chez le pédiatre du côté israélien, mon fils est suivi, comme il a un passeport israélien, il est suivi côté israélien. Et encore une fois, je n'ai pas le droit de vivre à Ramallah. Donc officiellement, c'est compliqué, mais je paye deux loyers, parce que je dois payer un loyer côté israélien pour prouver que j'habite en Israël. C'est très compliqué. Mais en gros, pour faire 13 kilomètres, c'est-à-dire aller chez le pédiatre à Jérusalem, à Jérusalem-Est, on parle, pour continuer à être en Palestine, en Cisjordanie. je dois quand même passer le mur et des checkpoints militarisés qui ressemblent à des aéroports. Je mets deux heures pour faire 13 kilomètres, c'est-à-dire qu'on doit prendre des routes de contournement parce que toutes les infrastructures en Cisjordanie et Ramallah comme Naplouz ou Bethléem, toutes ces villes en fait palestiniennes sont coupées les unes des autres. C'est-à-dire qu'il y a forcément un mur à passer et un checkpoint militaire. Les routes et les infrastructures sont faites pour les colonies israéliennes. Donc en fait les routes qu'on emprunte sont... construites pour que les colonies, elles, soient de manière totalement libre, raccrochées à Jérusalem et aux villes israéliennes. Mais les Palestiniens, du coup, les villages, sont souvent entourés de barrières, doivent prendre des tunnels et des routes de contournement pour aller simplement faire 10 kilomètres. Donc, on nous a coupé les uns des autres, même au sein de la Cisjordanie. Sans parler, évidemment, encore une fois, du blocus de Gaza, qui nous a complètement séparés de Gaza depuis très longtemps. Donc le quotidien, en fait, il est assez limité dans une petite ville. On parle Ramallah, c'est que c'est maintenant peut-être 200 000, 300 000 habitants. Et au sein de cette ville, il y a des camps de réfugiés, il y a des quartiers, il y a des inégalités sociales et économiques. Je dirais qu'à Ramallah, on est les plus privilégiés parce que c'est devenu de facto la capitale, on va dire, de l'autorité palestinienne. Donc la vie est plutôt normale. Il y a de l'électricité la plupart du temps, de l'eau. Il y a des restos, des cafés, etc. Mais on est complètement coupés les uns des autres avec le reste de la Cisjordanie et beaucoup de mes camarades à Ramallah. C'est-à-dire qu'en fait, on internalise des choses qui ne sont pas normales. Donc en fait, nos conversations entre potes, c'est... Alors du coup, moi j'essaie de donner la carte d'identité de Jérusalem à mon enfant, parce que mon mari il est de Cisjordanie, il a une carte d'identité de Cisjordanie, mais du coup il faut qu'on habite côté Jérusalem, mais c'est trop cher et puis c'est trop compliqué, donc comment on fait ? Un autre pote, malheureusement sa mère est décédée d'un cancer dans un hôpital israélien à Jérusalem, dans un hôpital côté Jérusalem, il n'a pas eu le droit d'avoir un permis pour aller la voir à l'hôpital. Des femmes qui doivent accoucher sans leur mari. Moi, j'ai une amie qui a dû accoucher sans son mari parce qu'elle a dû accoucher dans un hôpital côté israélien, comme moi. Mais son mari, lui, il n'avait pas permis pour passer le mur. Donc, en fait, elle a été toute seule à l'accouchement sans son mari. Donc, le mari a dû rater aussi. Enfin, n'a pas pu voir son enfant naître. Moi, j'ai la chance de pouvoir passer de l'autre côté. Mais c'est vrai que, par exemple, on se dit, tiens, on aimerait bien passer une journée, je ne sais pas, à la mer, dans, je ne sais pas, Yaffa, par exemple, qui est encore une ville... enfin palestinienne à côté de Tel Aviv, mais en fait la plupart de mes potes ne peuvent pas parce qu'ils n'ont pas de permis. Ou la réalité de plein de familles autour de nous qui ont les travailleurs qui vont travailler côté israélien, qui ont l'obligation, on va dire, entre guillemets économique, d'aller travailler pour Israël. Donc Israël nous tient en étau en fait, parce qu'il y a 120 000 travailleurs qui vont chaque jour travailler côté israélien ou dans les colonies. C'est des anciens prisonniers politiques. Moi j'avais discuté avec quelqu'un, il était allé en prison. israéliennes pour ses activités politiques pendant la première intifada et ils avaient construit eux les colonies, c'est-à-dire que les colonies sont construites par des travailleurs palestiniens qui mettent les pierres et l'électricité pour des colonies israéliennes. Et ça c'est le quotidien des gens en fait. Et donc c'est des choses qui, en fait les gens en parlent, c'est une réalité quelque part où il y a des choses qu'on internalise et qu'on accepte, qu'en fait on fait beaucoup de compromis pour continuer à vivre et à survivre. Mais ce n'est pas normal. Et c'est pour ça que beaucoup de gens se rebellent. Et c'est pour ça qu'aussi, il faut continuer à résister. Mais je pense que les contraintes de l'occupation sont parmi toutes ces choses qui ne sont pas forcément d'être tuées ou d'être arrêtées ou d'être mises en prison. Même si, clairement, on a toutes les semaines, ah bah tiens, un tel a été arrêté par l'armée israélienne. Donc ça, ça fait partie du quotidien. Mais il y a aussi toutes ces absurdités bureaucratiques. De devoir demander un permis, de devoir aller... Moi, je sais que j'ai remercié le fait que mon fils, Il a décidé de venir, j'avais des contractions un vendredi matin, parce que le vendredi matin, c'est le jour de congé, où au lieu de passer deux heures au checkpoint et d'être coincée et de me dire que je vais accoucher dans la voiture, j'ai pu passer en 45 minutes et arriver à l'hôpital. Donc j'ai eu quelques barres, je me dis, ah, j'ai de la chance. Vendredi matin, c'est génial, mais c'est absurde de penser comme ça, en fait. Je pense que c'est ça la force, entre guillemets, on va dire, le contrôle que le régime d'apartheid a et que le régime de colonisation a, c'est que... Ils ont réussi à créer des faits sur le terrain et une réalité dans laquelle beaucoup de gens se sont adaptés. Et je pense qu'on le voit à Gaza, moi ça me fend le cœur dans ce qui se passe à Gaza, c'est que les gens viennent à regretter un quotidien qui finalement avait réussi à être quelque part un peu normal à Gaza avant le génocide. Les gens repartagent des vidéos de quand ils allaient au bord de la mer et qu'il y avait les cafés qui étaient ouverts, ils allaient fumer un argilet et puis ils pouvaient faire des petits concerts et ça paraissait quelque part tellement mieux. mais ils étaient déjà sous blocus depuis 16 ans. Ils avaient déjà 10 heures d'électricité par jour et ils avaient des denrées qui manquaient et ils ne pouvaient jamais sortir. Une personne de 30 ans n'était jamais sortie de Gaza. Mais c'était quand même tellement mieux que ce qu'il y a aujourd'hui. Donc en fait, quelque part, on s'adapte aussi au pire. Et c'est ça, je trouve, qui est dangereux. C'est que l'être humain s'adapte, en fait. Et les Palestiniens sont toujours dans le système D et l'adaptation à des choses qui sont totalement anormales et injustes. Donc on vit tous avec une colère en nous, on vit tous avec une frustration, avec des frustrations, qui font partie de nos quotidiens, qui nous bouffent de l'énergie, du temps. Encore une fois, qui ne sont pas forcément se retrouver face à une balle d'un M16 israélien, mais qui pourrissent en fait un quotidien qui de fait nous prive de notre liberté. Et je pense que c'est pareil pour les Palestiniens en exil, pour ceux qui ne peuvent pas revenir sur leur terre. Je pense que c'est un... C'est un combat de tous les jours, de se dire qu'on ne peut pas retourner sur sa terre. Et je sais que moi, je l'ai vécu, bien sûr, dans ma famille. C'est-à-dire que mon père, pour la première fois, il a mis les pieds en Palestine. Il avait 40 ans avec son passeport français. Et on est allé au village de mes grands-parents qui a été détruit, qui fait partie de ces 530 villages qui, en gros, ont été détruits par Israël en 1948. Et où Israël a planté des arbres, Israël a fait des jardins. Aujourd'hui, c'est un parc. où il faut payer 10 euros pour rentrer comme un parc naturel. Et donc Israël a vraiment greenwashed aussi ça et continue de lever des fonds d'ailleurs en France aussi, de manière défiscalisée, pour aller planter des arbres en Israël. En fait, ça a été quelque chose qui a complètement effacé la présence palestinienne depuis 1948. Et on a pris des photos et on a montré les photos à mes grands-parents et à ma famille au Liban, qui eux n'ont jamais pu rentrer en fait. Mes grands-parents sont décédés depuis plusieurs années, mais ils avaient vu des photos de leur village, en fait, auquel ils n'avaient pas accès et qui était juste de l'autre côté de la frontière, en fait, parce que c'est tout proche du Liban. Donc c'est des réalités absurdes comme ça où la suprématie israélienne, enfin Israël a vraiment créé un régime suprémaciste où quand on est juif, on a des droits et quand on n'est pas juif, on a moins de droits. Et c'est ça qui, du coup, découle dans toutes les choses du quotidien, en fait. ça se traduit dans toute la réalité des gens d'une manière ou d'une autre.

  • Speaker #0

    C'est terrible et je pense qu'on est beaucoup, non palestiniens pour le coup, mais je pense qu'il y a énormément de gens et de plus en plus de gens qui soutiennent la cause palestinienne et on se sent très impuissant. Évidemment, on voit des images, évidemment, on voit tout ce qui n'est pas relayé par les médias mainstream, mais on a la chance, notre génération, d'avoir les réseaux sociaux et de tout voir, d'avoir... C'est terrible, mais de voir un génocide en live, et on se sent terriblement impuissant. La question peut paraître bête, mais je la pose quand même. Qu'est-ce qu'on peut faire à notre micro-échelle ? Tu parlais de l'Institut du Palestine Institute for Public Diplomacy, dans lequel tu travailles. Est-ce qu'on peut faire des dons à ce type d'organisme ? Quelles seraient les choses qu'on peut faire, nous, moi, les auditeurs, les auditrices, à notre échelle, pour supporter au-delà de juste voir les images et avoir mal au cœur ?

  • Speaker #1

    Oui, hum... Déjà, je dois dire que je pense que c'est important quand même de sentir l'empathie et de sentir qu'on n'est pas oublié, de sentir qu'on parle de nous. Je pense que pour les Gazaouis, c'est hyper important, ne serait-ce que tu vois, toi tu fais un podcast, t'en parles, les gens qui partagent sur les réseaux. Le fait qu'on voit que la situation porte un écho. auprès des populations dans le monde, ça c'est déjà important. Et je le dis parce que, comme tu l'as dit, l'invisibilisation, elle est dramatique. Et je pense aussi la remise en question de notre voix, je ne sais pas si ça, moi en tout cas, ça m'est vraiment en colère. C'est mon combat quotidien, encore une fois, dans notre activité. On essaie de communiquer, on essaie d'informer, qu'on voit qu'on remet sans cesse en question la réalité et notre voix en fait. C'est-à-dire qu'à l'heure... où les Gazaouis peuvent partager leur quotidien, partager la réalité en live sur Instagram. Il y a un flot continu de l'évidence, et qu'on continue à voir des gens qui remettent en question en disant que c'est pas vrai, que c'est fake. Il y a tout ce concept de Pallywood qu'on... qui a créé les Israéliens comme si on exagérait ou on mentait sur notre réalité. Ça, c'est... Je dois dire que c'est presque un crime, en fait. C'est un crime que je vois relié par des personnalités publiques françaises se doutent cette remise en question qui est très dangereuse, en fait, et qui participe de l'invisibilisation et de notre déshumanisation, en fait. Et donc, nous, notre travail... Je pense qu'il est là, il est vraiment de remettre en question la complicité internationale avec Israël et de voir qu'en fait, si aujourd'hui on va du bon côté de l'histoire... En fait, je ne demande à personne d'avoir une empathie particulière parce qu'on est palestinien ou qu'on est arabe ou qu'on est autre, mais c'est que, en fait, c'est l'injustice. C'est un génocide, en fait. On est face à un génocide qui est streamé en live sur Instagram. et on n'arrive pas à l'arrêter depuis 4 mois. Et donc, comment peuvent se mobiliser les gens à l'international ? Il y a plusieurs choses que vous pouvez faire, donc bien sûr en parler. Informer autour de vous, s'éduquer, informer. Nous, on crée des ressources, alors beaucoup en anglais, mais on en a beaucoup traduit en français. Il y a des ressources disponibles, beaucoup d'organisations dans notre écosystème proposent même des cours en ligne sur comment parler de la Palestine et comment comprendre la question palestinienne. Tout ça, c'est très important. parce qu'il y a une désinformation telle, il y a une ignorance ou encore une fois, une invisibilisation telle que ça, c'est quand même très important, la question de s'éduquer. Parce qu'il y a beaucoup qui passent dans les médias sur l'horreur du génocide, de la colonisation, etc. Mais je pense qu'il faut comprendre les choses de manière historique, les choses de manière contextualisée, les choses de manière politique pour comprendre tous les rouages de ce qui se passe. Parce que les choses n'ont pas commencé le 7 octobre, parce que les choses ne vont pas se terminer quand il y aura un cessez-le-feu, même si c'est la chose la plus urgente à laquelle il faut appeler, c'est un cessez-le-feu. Et je pense que c'est important sur la durée. Parce que, encore une fois, moi je n'ai pas commencé à mobiliser le 7 octobre, et on va continuer, c'est un combat de long terme, on le sait qu'on est sur un investissement de long terme, et qu'il faut aussi nous se préserver comme on peut. Et donc, à l'étranger, moi ce que je demande, c'est, vous, votre force en tant que non-palestinien, votre force, c'est de pouvoir avoir un impact sur la complicité de vos États. C'est très important de pouvoir partager les voix palestiniennes et de centrer les voix palestiniennes là-dedans. Mais l'impact qui doit être fait, c'est de remettre en question finalement tous ces États coloniaux et post-coloniaux qui soutiennent Israël. Il faut mettre fin à cette complicité. Donc en tant que Français ou francophone ou belge, parce que je crois que tu as beaucoup d'audience belge aussi, c'est axer les demandes sur la mettre fin. au commerce des armes avec Israël, mettre fin aux accords bilatéraux, mettre fin aux accords de coopération, mettre fin au commerce de produits israéliens ou des colonies, interdire des personnalités israéliennes de venir en France ou initier des mandats d'arrêt internationaux pour crimes de guerre contre des personnalités israéliennes. Il y a tout un tas de choses qui peuvent être faites. Il y a beaucoup d'organisations qui se mobilisent pour ça. Et je pense qu'il faut soutenir à votre échelle ces demandes-là. que ce soit, voilà, si vous êtes journaliste, ou si vous avez accès, encore une fois, autour de vous, à des gens qui peuvent porter ces voix-là sur les réseaux sociaux, si vous avez beaucoup de followers, si vous avez des gens autour de vous qui sont députés, si vous avez le temps, enfin, prenez le temps d'interpeller vos députés sur la question. Tout ça, il faut que toutes les plateformes... soit utilisée pour faire ces demandes-là. Et je pense que c'est très lié au fait que tout est lié. C'est-à-dire que la politique française contre les Palestiniens se traduit aussi par une politique contre les immigrés et contre l'immigration, se traduit par des politiques qui défendent les policiers pour la violence policière. Tout ça est lié. Et je pense que c'est important aujourd'hui de se dire... Si vous ne mettez pas la Palestine au cœur de l'agenda ou au cœur de vos revendications quant aux politiques de votre pays, c'est tout l'ordre international et c'est toutes les valeurs que vous pensez porter qui en fait sont remises en question.

  • Speaker #0

    Inès, du coup, je t'ai posé une question et je pense que tu n'as pas complètement répondu. Je te demandais si on pouvait donner pour le Palestine Institute for Public Diplomacy, pour lequel tu travailles et dont tu nous as expliqué toutes les activités, est-ce qu'il y a cette... possibilité pour les gens de supporter financièrement ?

  • Speaker #1

    Oui, absolument, vous pouvez soutenir notre organisation, notre ONG sur le site, notre site qui est thepipd.com C'est important, je pense que c'est à la fois important de soutenir comme vous pouvez des organisations humanitaires à Gaza, mais aussi le combat d'organisations comme la nôtre qui sont en train de transformer aussi l'action collective palestinienne. Donc, on a besoin de soutien comme les vôtres, aussi pour dépendre un peu moins des subventions d'organisations institutionnelles.

  • Speaker #0

    Inès, je rebondis sur ce que tu dis. Et clairement, le génocide palestinien a un impact au-delà du conflit en lui-même, au-delà de la Palestine et d'Israël. J'ai l'impression que c'est un vrai test pour l'ordre mondial. On voit un réveil du Sud, une véritable remise en question de l'Occident. évangéliste en quelque sorte, fondateur des droits de l'homme, fondateur du droit international. Est-ce que tu penses qu'on est à un tournant historique et que c'est la fin d'un système ?

  • Speaker #1

    Oui, ta question est très bien formulée et j'en suis persuadée. La cause palestinienne et le génocide... sont un tournant historique à la fois pour la cause palestinienne, la manière dont notre combat est mené. On a déjà eu plusieurs phases, entre 1936, 1948, etc., et les différents mouvements, évidemment, de soulèvement depuis. Mais on est à un tournant historique, et on est à un tournant historique pour l'ordre mondial qui s'est vraiment consolidé après la Seconde Guerre mondiale par les grandes puissances occidentales qui ont créé... l'ONU, les grands textes du droit international et qui continuent à dominer de fait les institutions multilatérales comme l'ONU etc. On le voit très clairement parce que on va dire que le génocide à Gaza a révélé bien sûr plusieurs choses, les doubles standards et le deux poids deux mesures de l'Occident quant aux règles que ce soit les droits de l'homme ou du droit international qu'ils ont eux-mêmes créés ou qu'ils se targuent de défendre mais qui en fait... répondent totalement à des agendas politiques et que quand il s'agit de défendre les populations colonisées ou opprimées, là, il n'y a plus personne. Donc, je pense que la révélation de ce deux poids deux mesures est très claire pour le Sud global, qui est donc le Sud global en général, on va dire que c'est les pays qui étaient anciennement colonisés par l'Occident, où beaucoup aussi ont à l'intérieur de ces pays des situations où il y a des populations indigènes, etc., qui elles-mêmes se soulèvent contre une domination étatique. ou capitalistes de grandes multinationales qui continuent à exploiter leurs ressources, etc. Donc, en fait, là, on est vraiment... Je pense que Gaza est un test pour cet ordre-là et que beaucoup des populations du Sud s'identifient, en fait, à notre cause puisque c'est quand même une des dernières, on va dire, un des derniers bastions de colonisation active occidentale dans le monde. En fait, le projet colonial sioniste et israélien, qui est toujours un projet colonial d'origine européenne, c'est quand même un des derniers actifs sur la planète, et donc je pense que ça touche beaucoup de personnes. Et quand on voit... Voilà, aujourd'hui, quand on voit l'Afrique du Sud qui met face à la justice devant un tribunal israélien, c'est quand même très fort. Peu importe, encore une fois, ce que la Cour internationale de justice peut amener comme action concrète, puisqu'il n'y a aucun mécanisme aujourd'hui pour les tribunaux. non internationaux pour ces institutions de mettre en œuvre leurs propres décisions. Et ce sont des institutions, encore une fois, qui malheureusement ont été créées par les puissances coloniales, donc elles sont un peu piégées par leur structure même, mais je pense que ce sont des outils que nous devons utiliser dans nos stratégies. Ça ne va pas nous libérer, ça ne va pas libérer les peuples opprimés. En tout cas, ça montre et ça permet d'augmenter la pression politique qui existe et les alliances qui se créent, on va dire, depuis quand même plusieurs années, au-delà, on va dire, de la domination hégémonique des États-Unis et des pays alliés, qui, on le voit, ont très, très largement soutenu Israël dans son attaque et son génocide contre Gaza.

  • Speaker #0

    Nes, je voulais aussi parler peut-être du côté perso. Tu as mentionné dans l'interview au début ton bébé que tu as eu il y a quelques mois. Je suppose que l'accouchement et sa venue au monde et toi être devenue maman, c'est arrivé aux environs du 7 octobre et de tout ce conflit. On sait toutes et tous à quel point la maternité, c'est un bing-bang personnel dans une vie très normale. je ne peux imaginer comment ça peut se passer dans ce contexte-là, avec toutes les images qu'on voit et le fait qu'on sache qu'il y a plus de 70% de la population qui est touchée, qui sont des femmes et des enfants.

  • Speaker #1

    Oui, inévitablement. En fait, j'ai un peu l'impression d'être dans un tunnel spatio-temporel depuis fin septembre, dont j'arrive à sortir quand même un peu. Mon fils est né fin septembre. Donc il avait juste quelques semaines le 7 octobre. Et c'est vrai que j'ai été mise face à la fois à tout ce qui implique les débuts d'être maman et d'avoir un tout petit bébé, et tout ça durant un génocide. Et je pense que ça a bien sûr... réveillé en moi tellement de sentiments contradictoires. À la fois, je pense qu'il m'a permis de garder la tête sur les épaules, de pouvoir célébrer la vie et de me forcer aussi à me déconnecter et être quand même dans une bulle de maternité. pour répondre à ses besoins dans un moment où la plupart, où tout le monde est plongé dans l'horreur et il est très difficile d'en sortir et on est plongé dans un vortex où on a juste envie de se soit se terrer dans un trou et que ça s'arrête ou soit de se mobiliser ou soit de pleurer ou de en tout cas juste d'être avec les gens à Gaza en fait d'une manière ou d'une autre que ce soit en allumant Alsazira en continu ou en étant au téléphone avec les Gazaouis. Mais voilà, il a permis ça quand même, je pense, d'amener un petit peu de joie dans tout ça. Mais évidemment, il y a aussi le fait que c'est doublement difficile. À la fois, je pense que j'ai réalisé d'autant plus ma chance et mon privilège parce que mon fils, il a un toit, il est au chaud, il a une vie... Je pense qu'évidemment, il n'a aucune conscience, parce qu'en restant dans sa maison, il n'a aucune conscience encore vraiment de ce qu'il y a autour de lui. Parce qu'on est quand même très resté, on va dire, confiné dans Ramallah et avec la situation à l'intérieur de la ville, donc dans une certaine bulle de sécurité relative. Et en même temps, bien sûr, de voir toutes ces images et... de parler aux gens, je veux dire, c'est... Je pense que tout le monde l'a vu, c'est difficile de décrire, mais moi, j'ai eu une césarienne d'urgence, et l'accouchement s'est assez mal passé, et derrière, on voit qu'il y a des dizaines de femmes qui ont dû avoir des césariennes sans anesthésie. En fait, j'arrive même pas à... Je pense qu'on n'arrive même pas à... Voilà, à imaginer, en fait, enfin, à ressentir. Je pense qu'on le ressent au plus profond, mais je pense que ce n'est même pas le quart, le dixième de ce que ces femmes-là vivent. Elles n'ont pas de lait pour leurs enfants. Je ne sais pas quels mots employer. Je n'ai pas de mots. Et du coup, ça, ça a été vraiment doublement difficile. Comme toute nouvelle maman, on pense au début à partager sur les réseaux, etc. Mais depuis octobre, j'ai aucune envie. Je n'ai même pas posté une photo, je n'ai pas posté une vidéo. Il y a plein de gens que je n'ai même pas informés à travers les réseaux parce que ça paraît tellement dérisoire, égoïste ou, je ne sais pas, nul, en fait, par rapport à toutes les histoires qu'on a envie de partager de toutes ces femmes et de tous ces enfants et ces bébés à Gaza, en fait, qui ont nié la vie, en fait. Et donc c'est contre cet effacement que je pense qu'être maman aussi, ça m'aide à continuer à lutter, au contraire, à vouloir me dire que c'est cette génération-là qui verra une Palestine libre.

  • Speaker #0

    J'imagine, même s'il n'a que quelques mois, que la question de la transmission doit être d'autant plus présente. Est-ce que c'est quelque chose à laquelle tu penses ?

  • Speaker #1

    Oui, très clairement. Très clairement, je pense que c'est d'ailleurs... Une des premières choses à laquelle je réfléchis en étant maman, parce que nous, les Palestiniens, on a un effacement forcé. En fait, quelque part, le colon israélien et le narratif tentent d'effacer notre histoire, notre culture. Ce n'est pas seulement à travers les chars et les bombardements et les fusils, c'est aussi... une politique et des pratiques délibérées d'effacer notre identité. Et donc ça, je pense que c'est aussi, bien sûr, le rôle de parent, de transmettre cette culture, cette histoire. Et ça peut passer par des choses très... Très bête, très concrète, comme par exemple à Jérusalem, les Israéliens ont changé des tas de noms de rues, par exemple, ou des tas d'endroits qui ont été effacés. Le village, je pense qu'on en a déjà parlé, mais le village de mes grands-parents, ils ont construit un parc au-dessus, et la pancarte à l'entrée du village, qui est maintenant un jardin où il faut payer pour rentrer, qui est gérée par l'autorité de l'environnement israélien. Il y a une ligne en disant qu'un jour, il y a eu un village arabe. Et après, tout le reste, c'est sur les Ottomans et les Romains, et ensuite, l'héritage historique des civilisations. Mais il n'y a rien sur l'existence à un moment d'un village palestinien. Donc, je pense que ça, c'est vraiment un travail nécessaire, la transmission dans ce sens-là. Et je pense aussi que parce que... Moi, dans la construction de mon identité, justement, parfois, j'en ai peut-être manqué. Donc, c'est clair que pour nous, parler l'arabe à la maison et parler le français en même temps, tout ça est très, très important. Parce que, justement, pour qu'il se construise aussi, qu'il n'ait pas trop de crises, même s'il aura une crise d'identité, c'est sûr, mais pas moins de crises d'identité que peut-être que ses parents.

  • Speaker #0

    En parlant de maternité, paternité, de ce lien, comment ton papa a vécu ton retour en Palestine ? Est-ce que c'était une fierté ? Est-ce qu'il avait peur ?

  • Speaker #1

    Déjà, je me suis mariée avec un palestinien, ce qui, je pense, mes parents ne s'y attendaient pas. Et puis ensuite, l'idée de rester en Palestine. Oui, d'y être... Non, ils sont fiers, je pense. Ils suivent un petit peu mes activités. Et voilà, il y a toujours... Si je suis dans une interview à la télé ou que je fais des shows, je leur envoie. Ils sont contents et ils le diffusent. Et pour mon père, je pense que c'est particulièrement... Je pense qu'il a compris qu'il fallait laisser à la génération d'après, en fait, le combat. Et que lui fait vraiment partie de cette génération qui a monté l'architecture d'Oslo et qui en est revenue. C'est-à-dire qu'il voit... Comment ils ont été piégés, en fait ? L'OLP, l'autorité palestinienne, comment ces accords étaient complètement... Enfin, Israël a complètement dominé l'agenda, et comment ils ont été faits d'une manière à ce que ça consolide la colonisation et pas à ce que ça crée un État palestinien. Et on est dans un moment très, très dangereux. pour ça, parce qu'en fait, quand on revoit les discours qui reviennent sur la solution à deux États, sans parler de la fin de l'occupation, alors qu'on est dans une situation tellement pire que dans les années 90, sans aucune ni volonté israélienne... ni perspective qu'il y ait un État palestinien, il ne faut pas qu'on retombe dans ces pièges, en fait. De penser que par des négociations bilatérales et en s'asseyant autour d'une table et en parlant aux voisins, c'est comme ça qu'on va mettre fin à l'injustice et à un système d'apartheid qui, de fait, doit être démantelé avant qu'on puisse créer un futur plus juste. Et pour revenir à ta question, la France ne me manque pas, en fait. Évidemment, je vois tout ce qui se passe, j'observe de loin. les discours, etc. Et je dois dire que dans toute cette période, j'en parle beaucoup avec mes amis franco-palestiniens aussi ou qui sont en France, je dois dire que c'est quand même plus facile psychologiquement quelque part d'être entre Palestiniens, qu'on se comprend en fait. Je n'ai pas besoin de me justifier si je vais discuter avec des gens ou avoir des rendez-vous. Alors que j'ai l'impression qu'en France, en fait, il faut constamment... Avoir à se battre, en fait, à se battre pour être soit entendu, soit compris et qu'on va constamment nous renvoyer du gaslighting ou des questions qui vont nous mettre encore plus en colère, etc. Donc, je dois dire que pour le coup, être en Palestine, on n'a pas ce problème-là puisqu'on est dans notre communauté, on se comprend et donc c'est quand même plus... Moins dure psychologiquement, je dirais, même si après, bien sûr, il y a toute l'occupation et ce qui va avec. Mais ça, c'est un point important.

  • Speaker #0

    Inès, dans tout ce dont on parlait, tu n'as jamais mentionné, il n'y a jamais eu une mention de la peur. Est-ce que c'est un sentiment que tu connais ? Parce qu'au-delà de la position de l'endroit dans lequel tu habites, tu parlais des risques personnels que tu prenais par rapport à ton passeport israélien, par rapport au fait que tu sois à Ramallah aujourd'hui. Est-ce que c'est un sentiment que tu connais, que tu ressens parfois ?

  • Speaker #1

    La peur n'est pas un sentiment qui fait partie de mon environnement émotionnel, je dirais. Mais aussi parce que je ne suis pas une tête brûlée, dans le sens où je réfléchis toujours à ce que je fais. Donc par exemple, justement, j'ai été très peu présente publiquement depuis le 7 octobre. Honnêtement, les premiers jours, j'ai reçu genre 10-15 demandes de médias par jour. Je les ai toutes refusées. J'aurais pu les accepter, j'aurais pu y aller à fond en me disant il faut Et donc, il y a une partie de moi qui me dit vu la couverture médiatique, peut-être que j'aurais dû contribuer Mais en même temps, je savais qu'en étant à peine en postpartum... en ne dormant pas la nuit, en étant à la fois psychologiquement très fragile et perturbée par ce qui se passait, je pense que je me serais totalement grillée et je pense que ça aurait été... Enfin, je vois ça sur le long terme. Je suis dans un combat qui est... Je ne me suis pas mobilisée depuis le 7 octobre et je me suis mobilisée avant, je me mobiliserai après. Et notre combat est long. Et donc, il faut savoir aussi se préserver. Et donc, en général, je suis quelqu'un qui évalue beaucoup les risques. Je prends des risques, mais des risques que je considère et qui sont toujours considérés. Et donc, ce n'est pas par peur, mais c'est par calcul souvent stratégique en me disant quel impact je peux avoir versus me griller complètement. Donc, pour moi, il est plus important aujourd'hui de pouvoir être... présente en Palestine, et là de pouvoir aussi me remettre à fond, à avoir aussi plus de visibilité publique maintenant que la phase critique du postpartum est passée. Parce que sinon, je pense que je l'aurais regretté. La peur dépend aussi des risques qu'on prend. Donc je dois dire que c'est comme ça que je le vois.

  • Speaker #0

    Quelle serait ta définition de la réussite personnelle, de ta réussite ?

  • Speaker #1

    Pour moi, c'est vraiment me sentir à ma place. J'ai mis vraiment beaucoup de temps à me sentir à ma place, à me sentir bien avec mon identité, mes identités ou ces identités mouvantes. En fait, tout ça a pris beaucoup d'années. J'ai vraiment dans ma vingtaine, je me souviens, peut-être jusqu'au début de la trentaine, où je continuais tellement à avoir des questionnements et me dire mais je ne suis vraiment pas au bon endroit. Et qu'est-ce que je fais là ? Et pourquoi je travaille là ? Et est-ce que je fais les choses qui sont utiles ou pas ? Est-ce que... Quand je ne parlais pas l'arabe, je m'en voulais vraiment beaucoup. Donc, j'ai réappris l'arabe derrière. Il y a tout un tas de choses comme ça où je pense que la réussite, en général, c'est est-ce qu'on se sent à sa place ? Et ça peut être simplement se sentir à sa place géographiquement ou se sentir à sa place dans sa communauté, se dire qu'on est en train de faire dans la vie ce pour quoi on est là, en fait.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce que tu dirais à la Inès enfant ?

  • Speaker #1

    D'être moins exigeante avec moi-même.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu as une devise ?

  • Speaker #1

    Oui, j'aime beaucoup une citation de Toni Morrison, l'écrivaine américaine, qui dit que Ne laissez personne vous persuader que le monde est ainsi fait et que par conséquent c'est ainsi qu'il doit être.

  • Speaker #0

    Un livre que tu nous recommanderais ?

  • Speaker #1

    Bien sûr, les livres d'Edward Said sur tout, l'exil, le rôle des intellectuels. Vraiment, si vous n'avez pas encore lu Edouard Saïd, l'orientalisme, tout.

  • Speaker #0

    Un lieu ?

  • Speaker #1

    Le bord de mer, bord de la mer méditerranée, plus précisément.

  • Speaker #0

    Une odeur ?

  • Speaker #1

    La fleur d'oranger.

  • Speaker #0

    Et une chanson ?

  • Speaker #1

    Je vais rester dans le même thème. Et c'est Ana Ausha el Bahra de Najat El Sarira.

  • Speaker #0

    Et une femme que tu me recommanderais d'inviter sur le podcast ? ou dont tu aimerais écouter le parcours ?

  • Speaker #1

    Oui, il y en a tellement, mais je vais dire, dans mes camarades palestiniennes, et je sais que tu en as déjà invité, euh... Je pense par exemple à Diala Ausha, qui est une avocate aux États-Unis, mais qui est francophone, et qui a mené Biden devant justement les tribunaux pour génocide. Ou encore Nada Tarbouch, qui est diplomate palestinienne à Genève en ce moment.

  • Speaker #0

    Inès, je te remercie infiniment. Et c'était un vrai plaisir, vraiment.

  • Speaker #1

    En tout cas, bravo pour ce podcast et toutes les invitées tellement inspirantes à qui tu permets d'avoir une voix.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup, merci pour ton combat. C'est compliqué pour moi de clôturer cette interview. Je ne sais pas comment le clôturer, hormis mille merci Inès. À très bientôt. Cet épisode de Heya est maintenant terminé. Je vous remercie sincèrement de l'avoir écouté jusqu'au bout. Ce qui, j'espère, veut dire que vous l'avez apprécié. N'hésitez pas à le partager autour de vous, avec des amis ou sur les réseaux sociaux. C'est ce qui permet au podcast de Grandi. Vous pouvez aussi le noter 5 étoiles et me laisser un petit commentaire. C'est un vrai plaisir de les lire. Si vous avez des questions ou voulez me suggérer une invitée, n'hésitez pas à me contacter sur la page Instagram Hiya Underscore Podcast. A très bientôt.

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Description

En cette veille de la journée internationale des droits des femmes je suis particulièrement émue de partager ma conversation avec Ines Abdel Razek, Directeur Executive au sein du Palestine Institute for Public Diplomacy (PIPD). 


Avant cela, Inès a travaillé au sein de l´Union pour la Méditerranée, l’ONU puis a exercé en tant que consultante au bureau du premier ministre palestinien.


L’Interview a été enregistré à distance car elle est actuellement basée à Ramallah.


Ines est née à Paris d’une maman française et d´un papa refugié palestinien militant de l’OLP (Organisation de la libération de la Palestine) ce qui la conduira à rencontrer plusieurs fois Yasser Arafat. Durant son enfance, elle vit de façons périodiques en France et en Palestine. Elle nous parle avec nostalgie de ses années passées à Gaza.


Inès revient sur ses années d´étude à Science Po, ses premières expériences professionnelles et ce qui l’a incité à s’installer en Palestine afin de s’engager en faveur de son pays.

Elle nous raconte son quotidien et toutes les contraintes auxquelles sont confrontées les Palestiniens de Cisjordanie.


Nous avons également parlé de l’évolution de son identité, de l’invisibilisation des voix palestiniennes, de la transmission d´un patrimoine détruit depuis des années mais aussi du conflit actuel et de son impact sur l’ordre mondial.


Inès est devenue maman quelque jours avant le 7 octobre. Elle évoque la façon qu’elle a eu d’appréhender cette étape si importante de la vie dans le contexte actuel.


Le parcours et l’histoire d´Inès m’ont profondément touché.


Sans plus attendre je laisse place à la HeyA du jour - Inès Abdel Razek.

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Pour suivre Ines et soutenir le PIPD

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous, ici Ausha Fourti et bienvenue sur Haya. En arabe, Haya signifie elle C'est parce que ce mot n'est pas suffisamment utilisé pour parler de réussite et d'ambition féminine que j'ai décidé de lancer ce podcast. Les inégalités et la sous-représentation liées au genre sont malheureusement une réalité et une approche intersectionnelle ne fait qu'amplifier ces phénomènes. Chaque épisode est une conversation où j'invite une femme de culture arabe à venir partager son histoire et évoquer sa réussite. Mes invités ont toutes des backgrounds et trajectoires différentes. Elles sont journalistes, entrepreneurs, écrivaines, artistes ou encore médecins, et vous serez, je l'espère, inspirés par leur réussite. L'objectif de ce podcast est doux. Tout d'abord, commouvoir une image différente de la femme arabe, en mettant en lumière ses parcours exceptionnels, mais aussi aider les plus jeunes ou celles en quête de renouveau à trouver des rôles modèles et ambitionner leur avenir. Ma conviction ultime est que la seule manière d'y croire, c'est de le voir, ou en l'occurrence l'entendre. Si ce podcast vous plaît, je vous invite à prendre quelques minutes pour le noter 5 étoiles sur iTunes ou Apple Podcasts. C'est la meilleure manière de le soutenir. Sans plus attendre, je vous laisse découvrir notre invité du jour. En cette veille de la Journée internationale des droits des femmes, je suis particulièrement émue de partager ma conversation avec une palestinienne, Inès Abdelrazek, directeure exécutive au sein du Palestine Institute pour Public Diplomatie. Avant cela, Inès a travaillé au sein de l'Union pour la Méditerranée, l'ONU, puis a exercé en tant que consultante au bureau du Premier ministre palestinien. L'interview a été enregistrée à distance car elle est actuellement basée à Ramallah. Inès est née à Paris d'une maman française et d'un papa réfugié militant de l'OLP, l'Organisation de la Libération de la Palestine, ce qui la conduira à rencontrer plusieurs fois Yasser Arafat. Durant son enfance, elle vit de façon périodique en France et en Palestine. Elle nous parle avec nostalgie de ses deux années passées à Gaza. Inès revient sur ses années d'études à Sciences Po, ses premières expériences professionnelles et ce qui l'a incité à s'installer en Palestine afin de s'engager en faveur de son pays. Elle nous raconte son quotidien et toutes les contraintes auxquelles sont confrontés les Palestiniens de Cisjordanie. Nous avons également parlé de l'évolution de son identité, de l'invisibilisation des voix palestiniennes, de la transmission d'un patrimoine détruit depuis des années, mais aussi du conflit actuel et de son impact sur l'ordre mondial. Inès est devenue maman quelques jours avant le 7 octobre. Elle évoque la façon qu'elle a eu d'appréhender cette étape si importante de la vie dans le contexte actuel. Le parcours et l'histoire d'Inès m'ont profondément touchée. Sans plus attendre, je laisse place à la réa du jour, Inès Abdelrazek. Inès, bonjour. Merci infiniment d'avoir accepté mon invitation. Je suis ravie de te compter parmi les réas et je suis ravie d'avoir une palestinienne et de faire entendre cette voix qui, malheureusement, est de plus en plus rare ou en tout cas qu'on n'entend pas assez actuellement.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, Rouchra, pour cette invitation. C'est moi qui suis honorée d'être parmi tes invités de marque sur ce podcast.

  • Speaker #0

    Inès, généralement je commence par une question un peu signature sur le podcast, mais j'aimerais commencer peut-être un peu différemment et juste demander comment ça va.

  • Speaker #1

    Écoute, c'est vrai que c'est une question qu'on a arrêté de se poser entre nous. Dès qu'on se contacte entre Palestiniens aujourd'hui, en fait on a arrêté de poser la question parce que c'est une question qui paraît futile et à laquelle la réponse n'est pas du tout straightforward. Je fais beaucoup d'anglicisme parce que j'enverrai mon français. Mais voilà, je pense que je me dis toujours que j'ai beaucoup de chance. Moi, à Ramallah, j'ai un toit, j'ai une vie assez normale, entre guillemets. Donc, je me dis toujours que j'ai beaucoup de chance. Donc, je dirais que personnellement, ça va. Et j'ai un bébé depuis peu qui me permet aussi de maintenir ma santé mentale, je dois dire. Et c'est très précieux. Donc, voilà, je dirais que je vais plutôt bien considérer toute chose égale par ailleurs, au vu du contexte.

  • Speaker #0

    Merci. Inès, la question signature serait de commencer par les origines. Est-ce que tu serais d'accord de nous parler de ton éducation, l'environnement dans lequel tu as grandi, le type d'éducation que tu as pu avoir ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai que la question, j'ai toujours eu peur, enfin pas peur, mais cette question m'a toujours procuré un peu d'angoisse dès qu'on me demandait tu viens d'où ? Et c'est la question que tout le monde pose, c'est assez naturel, on me la pose d'ailleurs toujours. Ici en Palestine, puisque je viens de la diaspora des exilés, et donc mon arabe n'étant pas complètement bilingue, il y a toujours cette question qui revient, mais tu viens d'où ? Et quand je suis en France, c'est pareil, mais tu viens d'où ? Et donc c'est vraiment une question qui pour moi a toujours été une source d'angoisse, de comment je vais répondre ? Et je pense que cette réponse a évolué au fil du temps, clairement. Mes identités, mon identité ayant beaucoup évolué, je pense que l'identité est fluide, et je pense que... En grandissant, en vieillissant, on évolue toujours en fait. C'est vraiment un concept et une chose mouvante. Moi, je suis franco-palestinienne, c'est comme ça que je me définis souvent. Ma mère est française et mon père est palestinien, donc j'ai vraiment... Et pendant très longtemps, j'ai souvent dit je suis moitié palestinienne et moitié française Et en fait, j'ai arrêté de dire ça. Je suis 100% palestinienne et 100% française, je pense, de différentes manières. Et donc, je suis née à Paris, donc d'un père réfugié palestinien, toute ma famille paternelle étant réfugiée au Liban depuis 1948. et mon père ayant émigré en France et ma mère étant française bretonne d'origine. J'ai grandi dans différents endroits, j'ai beaucoup déménagé. Mes grands-parents eux-mêmes, maternels ou paternels, ayant eux-mêmes déménagé, soit par exil forcé, soit par le travail en France. Donc en fait j'ai quand même une histoire familiale où tout le monde a beaucoup bougé géographiquement. Et donc c'est vrai que c'est difficile pour moi, quand on me demande mais où est... ta maison en fait, où est home ? J'ai vraiment du mal à répondre à cette question et c'est pour ça que moi je me crée mon propre foyer, ma propre maison, là où je suis souvent avec les personnes autour de moi. Donc voilà je crois d'où je viens, mais je suis très ancrée dans la culture palestinienne et française ça c'est évident.

  • Speaker #0

    Et enfin, du coup la culture palestinienne était très présente, ton papa ne te parlait pas arabe en termes de nourriture de fêtes, etc. C'était un mélange ? Comment c'était ?

  • Speaker #1

    C'était un mélange, alors c'est un peu particulier. Pour la question de la langue, c'est le cas, je pense, de beaucoup de papas immigrés qui ont arrêté de parler leur langue paternelle aux enfants. Donc mon père m'a parlé en français, malheureusement, une fois qu'on a commencé à parler. Il parlait arabe avec tous les gens autour de lui, sauf ses enfants et sa femme. Donc malheureusement, j'ai dû réapprendre l'arabe derrière en fait plus tard. Et je pense que c'est une erreur. J'aurais aimé qu'il continue à faire cet effort. Donc aujourd'hui, je sais que mon mari qui est palestinien aujourd'hui, lui, il fait l'effort de parler l'arabe. Il parle français aussi, mais on parle français à notre fils et arabe. Et je pense que c'est très important. De zéro à sept ans, j'ai grandi dans une banlieue parisienne, l'imitrof de Paris. Et après, je suis partie à Gaza. Donc c'est un petit peu particulier parce que j'ai été immergée aussi. assez tôt dans la culture palestinienne. Mais à Paris, de 0 à 7 ans, c'était en fait un mixte. On avait beaucoup les amis de mon père, la communauté un peu palestinienne. Mon père est à la retraite, mais il était diplomate à l'OLP, il était militant à l'OLP, donc actif politiquement. Et donc, la plupart de ses amis étaient aussi des militants palestiniens ou arabes. Et donc, voilà, notre quotidien était à la fois très français. J'allais en vacances chez mes grands-parents maternels et puis on était à l'école française, etc. Mais on avait quand même ces retrouvailles de la communauté palestinienne. On traînait au resto libanais des parents de mes amis d'enfance. Il y avait quand même ce côté-là. Donc, c'était un mélange, mais qui n'était pas très, très conscient. J'ai eu... Très tardivement, mon identité palestinienne a beaucoup évolué. Tout ça a été assez mélangé. Pareil pour la nourriture, tout ça a été... Je ne me suis jamais trop posé la question, mais mon père faisait par exemple le labané, il la faisait à la maison avec la faisselle du supermarché français. Mais tout ça était très ancré dans les habitudes du petit-déj chez nous. Mais voilà, c'était assez mélangé en fait.

  • Speaker #0

    Et tu disais que ton papa était militant. Comment est-ce que ça se ressentait à la maison ? Est-ce que son engagement était partagé à la maison ou est-ce qu'il gardait quelque chose d'assez cloisonné, plus à l'extérieur, et puis sa vie de famille protégée Je ne sais pas si c'est le bon terme.

  • Speaker #1

    Ce qui est intéressant, c'est que je dirais que c'est ma mère qui est française, qui était militante aussi, qui a vécu au Liban, qui a ensuite nous emmené, elle, à Gaza. Mon père est resté à Paris pour son travail. C'est plutôt ma mère qui, proactivement... a essayé de nous ancrer dans cette culture palestinienne, puisque mon père, lui, il a eu justement la réaction plutôt inverse. Donc autant on était dans les fêtes de la communauté, etc., autant je pense que ça a tellement été un poids pour lui, ce combat, en fait, qui était difficile. Et moi, je suis née fin des années 80, donc il faut bien voir que l'OLP, pendant les années 80, s'était vue comme un mouvement terroriste. Ma mère, avec sa famille, ça a été très difficile de faire accepter qu'elle se marie avec un palestinien. À l'époque, c'était vraiment le palestinien de l'OLP, terroriste. Alors, ça fait écho aujourd'hui à toute cette image des palestiniens terroristes, mais il faut bien voir que c'était le cas avec d'autres profils politiques à l'époque. Et donc, lui nous a beaucoup protégés de tout ça. Et c'est d'ailleurs que maintenant, maintenant que je suis engagée, maintenant que c'est mon... C'est mon engagement, c'est mon quotidien de me battre pour la cause palestinienne, que je parle politique avec mon père. Mon père ne nous a jamais parlé de son quotidien, de choses politiques, de son travail. Il a toujours vraiment cloisonné, je pense, pour nous protéger de ça, et avec l'idée qu'on est nés français, on est nés libres, on est nés dans un pays où on n'a pas forcément à se préoccuper de ce poids de la cause palestinienne. Et donc, quelque part, il a essayé de... Enfin, il n'a pas transmis, il ne nous a pas transmis ça. Et c'est vraiment moi qui ai dû faire mon éducation politique seule, pour beaucoup. Seule et bien sûr à travers les expériences inconscientes qu'il nous a aussi transmises. Mais je pense que quand il nous l'a mené, c'était très inconscient. Mais il y a des petites choses, bien sûr. J'ai rencontré Yassar Arafat à plusieurs reprises dans ma vie, dans mon enfance, parce que mon père travaillait avec lui. Et moi, j'avais... J'ai probablement très peu de conscience aussi de qui était Yasser Arafat. Je savais que c'était quelqu'un d'important et tout le protocole autour faisait que, on sentait que c'était important, mais je n'avais aucune conscience politique de la figure. Et je sais que mon père avait une arme à la maison. Il y avait un pistolet chez nous qu'il ne lui avait jamais utilisé, mais il avait le droit au port d'arme parce que c'était dangereux, parce qu'il y avait eu des assassinats de personnalités de l'OLP. Et tout ça, je pense que... C'était très inconscient. Je me rappelle de choses a posteriori, en fait. Mais c'est des petites choses comme ça dont je me rappelle. Je me dis, oui, en effet, ce n'est pas normal d'avoir un pistolet chez soi. Et plus tard, j'ai appris d'autres choses, qu'il n'avait pas le droit de se mettre de haut aux fenêtres. Mais tout ça, dans le quotidien, dans un HLM de banlieue parisienne, ça ne faisait pas beaucoup de... Je ne faisais pas le lien avec la réalité politique de tout ça.

  • Speaker #0

    Et puis, enfin, on a l'impression que le monde dans lequel on évolue, c'est la norme et on a peu de... De benchmark et de comparaison, donc j'imagine que c'est avec le temps que c'est venu. Tu parlais, Inès, tout à l'heure de ces quelques années à Gaza, où vous êtes repartie à l'âge de 8 ans avec ta maman. Tu peux nous en parler un peu plus ?

  • Speaker #1

    Alors, je ne suis pas repartie à Gaza, parce que ma famille, elle est originaire d'un village sur la côte du nord de la Palestine historique, qui est tout proche de la frontière avec le Liban. Mais il se trouve que ma mère voulait monter une école française à l'époque à Gaza. enfin une école francophone. Et bon, ça n'a pas marché pour des raisons politiques, mais on est partis deux ans, oui, entre 1995 et 1997 à Gaza. C'était vraiment les bonnes années de Gaza, en fait. C'était les années du retour de Yasser Arafat dans la bande de Gaza, donc du retour de l'OLP en Palestine. C'était juste après les accords d'Oslo. Donc c'était vraiment l'époque où, je me souviens, c'était l'époque où on a... poser la première pierre pour un aéroport à Gaza, où on discutait, où il y avait vraiment beaucoup de construction, des choses qui se faisaient, en ayant l'espoir qu'il y ait un État palestinien qui se construise. Cet espoir est très vite retombé, malheureusement. Il y a Benyamin Netanyahou qui est arrivé au pouvoir en 1996, tout ça, mais en tant qu'enfant, moi je dois dire que ça a été vraiment deux belles années, parce que j'ai fait partie d'une troupe de Dapke, qui est la danse folklorique palestinienne. On avait une maison avec un jardin, donc c'est vrai que par rapport à un HLM parisien, ça changeait beaucoup. On avait des orangers, on habitait au bord de la mer. Et voilà, je pense que c'était en tout cas la période d'espoir. Et c'est d'autant plus dur, parce que la dernière fois que j'ai pu aller à Gaza, c'était en 2003. Et à partir de 2006-2007, en fait, ça a été complètement interdit qu'on y aille. Et aujourd'hui, ça fait six ans que je suis en Palestine, et c'est à peine à une heure et demie de route, et on n'a pas le droit d'y aller. Donc tous ces souvenirs d'enfance... ont dû rester des souvenirs d'enfance. Je n'ai pas pu y retourner ou me refaire une idée. Je sais que ça a tellement changé avec le blocus. Maintenant, avec le génocide, ils ont vraiment tout détruit. Je pense que c'était important pour moi de vivre ces deux années-là, où en plus j'ai parlé l'arabe et je me suis fait des amis, etc. Mais c'est un lien qu'on m'a lié après. On nous a coupés. Et on en parle souvent avec des amis de Ramallah aussi, c'est-à-dire que beaucoup ont de la famille à Gaza, avec qui on leur a nié ce lien en fait, on nous nie un lien émotionnel, un lien réel avec des personnes, on nous nie l'amour, le deuil, tout ça, parce que ça paraît lointain en fait. Moi les seules personnes de Gaza avec qui je parle, je les connais par WhatsApp, de mon âge quoi, des gens d'une trentaine d'années, je les connais par WhatsApp, par Zoom, mais on s'est jamais vus. Voilà, on nous nie un lien fort et moi c'est ce lien que j'ai créé à l'époque et après je suis rentrée en France. Donc voilà, c'était deux années importantes et c'était des années, rétrospectivement, j'ai compris parce que en fait c'était la fameuse visite de Jacques Chirac à l'époque, j'y étais quoi. C'est-à-dire que j'étais là quand la limousine de Jacques Chirac est rentrée à Gaza. En fait c'était une époque assez chargée, mais tout ça je l'ai compris que plus tard. Et j'ai compris plus tard... Voilà, cet espoir en tout cas et cette positivité qui existait pendant ces années-là, mais qui malheureusement, on a très bien compris qu'Israël n'avait aucune intention. qu'un État palestinien voit le jour et que Gaza est resté isolé, et d'autant plus a été marginalisé, bloqué, sous siège, etc. Donc voilà, je dirais que c'était deux années importantes pour moi.

  • Speaker #0

    J'imagine. Et comment se fait le retour en France ? Tu étais contente ou tu l'as vécu un peu comme un premier déchirement ou un deuxième déchirement, je ne sais pas ?

  • Speaker #1

    Je pense que j'ai beaucoup déménagé dans ma vie, et donc j'ai beaucoup changé d'endroit. J'ai pas toujours vécu à Paris, en France, et donc je dois dire que c'est quelque chose que j'ai intégré, et je pense que c'est quelque chose que mes parents m'ont beaucoup transmis aussi. Je pense que l'exil fait partie de moi, en fait. C'est-à-dire que mon identité, et c'est pour ça que, bien sûr, tout ce que écrit Edouard Saïd et tout ça, ça me parle beaucoup, c'est que l'exil fait partie de mon identité. Ça, c'est une évidence. Que ce soit d'ailleurs... Encore une fois, la transmission intergénérationnelle de l'exil de mes grands-parents palestiniens, et le fait que je pense que l'exil a fait partie de ma vie de toute façon. Donc quelque part, j'ai réussi à embrasser ça. Je dois dire que c'est plutôt à l'adolescence, où pour le coup, j'ai fait un... Je crois que j'ai fait un rejet, mais comme beaucoup d'ados, j'ai fait un rejet de ce déracinement. Et en fait, c'est en retournant à Jérusalem, parce que je suis retournée à Jérusalem au lycée. pour vivre un an. Et je n'avais pas envie de quitter Paris à l'époque, quand j'étais ado. C'est là où j'avais beaucoup de conflits d'identité. Je voulais être française, je me suis dit je n'ai pas de problème dans ma vie. Je n'avais pas envie de retourner en Palestine, je ne voyais que des problèmes. C'était la seconde intifada. Je me disais pourquoi aller là-bas ? Rétrospectivement, ça a été très riche comme année, mais c'est vrai que c'était une année très difficile là-bas, au lycée, à Jérusalem, dans un contexte de seconde intifada, de tensions permanentes. Mais voilà, je pense que toutes ces années à aller et venir, quelque part, m'ont aussi forgé mon identité. Et c'est là aussi où ça fait partie de ce qu'on me demande encore aujourd'hui, parce que j'habite à Ramallah, mais je ne suis pas de Ramallah, ma famille n'est pas de Ramallah. J'ai vécu à Gaza, j'ai vécu à Jérusalem. Même en tant que palestinienne, les palestiniens ne comprennent pas, parce que les palestiniens, en tout cas ceux qui sont en Palestine, ont une identité très locale, c'est-à-dire que ma famille vient de Naplouse, ma mère vient de... soit de 48, de Saint-Jean-d'Acre, et puis mon père vient de Naplouse. Et donc les gens ont une identité assez marquée de famille. Leur famille vient d'un endroit. Le nom de famille souvent porte la marque d'où on vient, si on vient d'Ebron ou si on vient de Jérusalem. Moi, c'est vrai que je n'ai pas cet ancrage local, parce que ma famille n'est plus en Palestine. Je suis la seule qui a réussi à revenir, à retourner. Alors, c'est pas sans problème, on pourra en discuter, mais si je suis là, c'est parce que je l'use encore pour essayer de rester. J'ai pas le droit d'être là en tant que palestinienne, parce que les réfugiés n'ont pas le droit au retour. Je suis là avec mon passeport français, mais ça a créé tout un tas de problèmes aussi. Mais ma famille, ils ont toujours été exilés au Liban, à Beyrouth, en fait. Et donc, c'est vrai que c'est compliqué pour les gens de se situer, mais du coup, je suis pas de Ramallah, je suis de la diaspora. En même temps, j'ai vécu à Gaza, à Jérusalem, donc c'est... Voilà, c'est toute cette... Tout ça, je porte ça en moi. Même dans mes propres identités nationales, c'est très multiple.

  • Speaker #0

    Et à quel moment, Inès, tu as assumé, tu parlais de l'adolescence, où il y a eu un rejet, et puis contexte compliqué, pourquoi porter ça ? Je suis aussi française, je vais garder un peu le côté le plus léger, entre guillemets. À quel moment cette identité palestinienne, tu as commencé à l'accepter ? et la revendiquer ?

  • Speaker #1

    Je pense qu'il n'y a pas eu de moment charnière, mais j'ai eu plusieurs expériences qui m'ont porté de toute façon à ne pas la quitter. C'est-à-dire que dans mon enfance, notamment à 10 ans, puis à 15 ans, j'ai participé à des projets qui à l'époque étaient assez en vogue, d'essayer de réunir des Israéliens et des Palestiniens pour la paix. Ce genre d'initiatives qui pour moi, aujourd'hui, avec le recul, sont complètement contre-productives. et n'ont pas apporté grand chose mais ma génération, ce qu'on appelle un peu la génération Oslo qui a grandi post Oslo, on nous a encouragé à faire ce genre de choses. Donc j'ai tourné un film sur la paix, après j'ai participé à une chanson, une chorale, où il y avait des Palestiniens et des Israéliens. Et donc tout ça m'a toujours, enfin encore une fois, m'a accompagnée. Mais ça a beaucoup évolué dans le sens où, encore une fois, c'était beaucoup dans l'inconscience politique. Je pense que j'ai eu une éducation politique qui est venue très tardivement. Quand je vois les jeunes générations aujourd'hui, je vais avoir 36 ans donc je ne suis plus tout à fait jeune, mais les jeunes générations, je vois qu'ils se mobilisent au lycée, les jeunes étudiants qui sont à fond, qui sont dans des mouvements politiques et qui s'organisent. J'admire ça beaucoup parce que pour moi c'est venu beaucoup plus tardivement, même à la fac, même à l'école, je n'étais pas encore tout à fait mûre je pense politiquement. Donc c'est venu avec le temps. Et à l'adolescence, je voulais juste être une ado en fait. Et donc je pense que cette identité m'a portée parce que pour moi, je m'engage à la fois parce que je pense que j'ai le devoir, avec le privilège dans lequel j'ai grandi et avec tous les privilèges que j'ai de me battre en fait pour les Palestiniens qui n'ont pas cette chance. Donc je dois utiliser mon privilège, ça c'est sûr. Mais il y a aussi le fait que j'ai toujours eu du mal avec l'injustice. Ça m'a toujours affectée, en fait, l'injustice, les injustices. Et je pense que notre combat, c'est un combat qui va au-delà, en fait, de la Palestine, au-delà de la Palestine historique. Je pense que le combat des Palestiniens, il est quelque part, il y a une universalité dans notre combat. Donc c'est mon combat parce que je ne l'ai pas choisi parce que je suis palestinienne. Peut-être que si j'avais été sahraoui, je me serais battue autrement. Mais je pense qu'en tout cas, dans la cause palestinienne, il y a quelque chose de... d'universel et je pense que de fait de ma double culture j'ai une responsabilité aussi de me battre pour la cause palestinienne internationalement parce que je parle plusieurs langues, j'ai eu la chance d'apprendre plusieurs langues, parce que j'ai cette identité européenne donc je comprends aussi l'identité européenne et la situation en Europe et voilà et je dois dire que quand j'étais en fait enfant et ado en France, j'ai pas beaucoup vécu de racisme dans le sens où Alors on n'a pas la vidéo, mais j'ai beaucoup pris les traits de ma famille maternelle, donc je suis quand même blanche, et j'ai l'air blanche, c'est-à-dire qu'on ne me voit pas, on ne peut pas se dire ah tiens, c'est une arabe Donc il y a mon nom, bien sûr, qui à l'école, il y a toujours eu des interrogations, mais tu viens d'où ? et les gens n'arrivaient jamais à prononcer Abdelrazek, alors que ce n'est pas le nom le plus difficile à prononcer, mais il y avait toujours... Personne n'a jamais réussi à prononcer mon nom, bizarrement. Mais on a aussi grandi dans une France où je dois dire que je pense que c'était plus facile quand moi j'étais enfant que les enfants aujourd'hui ou les ados d'aujourd'hui. Il n'y avait pas la question de la religion, on ne se posait pas. Je veux dire, moi mon père est musulman, mon nom est musulman, mais on ne m'a jamais posé la question de la religion. C'était un peu la France black blamber dans le sens où j'ai l'impression peut-être parce que je suis partie depuis 12 ans de la France, donc encore une fois je vois ça de l'extérieur. Mais j'ai l'impression que c'était quand même moins difficile à l'époque, dans les années 90. Et je pense aussi qu'il y avait un... Malheureusement, dans la société française, il y avait une différenciation. Moi, je viens de Palestine, donc les gens étaient plutôt fascinés et me mettaient dans une case levantine plus que maghrébine. Et donc, je voyais autour de moi les élèves et mes camarades et mes amis qui étaient maghrébins ou d'origine maghrébine. Eux, pour le coup, ils étaient beaucoup plus sujets au racisme que moi. Parce que ça ne soulevait pas les mêmes imaginaires coloniaux ou post-coloniaux. Ça paraissait plus lointain, le Moyen-Orient, le Proche-Orient. Ça paraissait plus quelque chose d'exotique et quelque chose où il y a un conflit. On me demandait mon opinion, mais c'était moins lié à des préjugés et à du racisme qu'on peut voir contre les populations arabes d'origine maghrébine et d'ex-colonie française.

  • Speaker #0

    Et là, Inès enfant, dans ce contexte, tu rêvais de quoi ? Tu t'imaginais un métier ? Tu voulais être comme papa, comme maman ?

  • Speaker #1

    Non, justement, pendant très longtemps, je me suis dit que je n'allais jamais faire comme papa. Et résultat, je fais beaucoup comme papa. Et ma mère était un stit, était toujours pédagogue dans l'éducation, etc. Ce n'est pas le chemin que j'ai pris. Non, je suis passée par plusieurs phases. Je voulais être architecte. Donc, ça a beaucoup fluctué. Je dois dire que j'ai toujours eu l'impression que j'aurais le choix, mais jusqu'à très tardivement non plus, je n'avais pas beaucoup, encore une fois, accès à beaucoup d'informations. J'étais dans un lycée public où, comme beaucoup, les options qu'on nous offre sont très limitées. C'est pour le coup l'année à Jérusalem, quand j'étais au lycée en première, où là j'étais dans un lycée français à l'international, et là j'ai compris l'accès que pouvait offrir ce genre d'opportunité. dans un petit lycée, qui était très particulier en plus, parce que les profs étaient israéliens, parfois colons en Cisjordanie, et les élèves tous palestiniens ou diplomates. Donc ambiance très très bizarre dans une école à Jérusalem. Mais voilà, comme il y avait des visites diplomatiques qui étaient régulières, je me souviens qu'il y a Bertrand Delannoye, à l'époque le maire de Paris, qui est venu à l'école. Et puis, il y a des historiens qui sont venus. Et c'est là que j'ai compris ou que j'ai connu, que j'ai entendu parler de Sciences Po. Je n'avais aucune idée de ce que c'était que Sciences Po. Donc, je me suis un peu renseignée. Et puis, il y avait des enfants de diplomates où eux, ils en avaient parlé. Enfin, ils en avaient entendu parler depuis leur enfance. Moi, mon père était diplomate de l'OLP, mais en fait, c'est militant de l'OLP. Ça n'a rien à voir avec la diplomatie classique. Et donc, c'est là où j'ai entendu parler de ce que c'était que Sciences Po. Et au lycée, je pense que c'est là où vraiment j'ai... J'ai ancré un intérêt pour ce qui était sciences humaines, et puis l'histoire, la géographie, et comprendre aussi qu'on nous enseignait les choses de manière très mauvaise. Surtout sur ce sujet-là en particulier, sur la décolonisation, sur Israël-Palestine. J'ai compris qu'il y avait des choses qui n'allaient pas dans ce que disaient les profs d'histoire-géo. Et donc ce sont des matières qui m'ont ensuite intéressée. Mais pendant très longtemps, je n'ai jamais trop su comment... Qu'est-ce que j'allais être plus tard, en fait ? J'ai longtemps repoussé cette décision. Et je savais juste que je voulais être utile, en fait. Je voulais être utile. Je savais que les injustices en Palestine allaient me porter quelque part par là-bas. Mais je voulais me forger d'abord une expérience et une expertise ailleurs pour quelque part mieux revenir, je pense, en Palestine. Et c'est ce que j'ai fait.

  • Speaker #0

    C'est hyper intéressant de voir un peu cette parenthèse qui t'ouvre les yeux et l'importance du milieu. Et ça, on l'entend beaucoup. beaucoup dans le podcast. Donc Sciences Po, et là tu commences à travailler dans des organismes. Est-ce que tu t'es posé la question de travailler dans un corps d'État, par exemple, parce que c'est aussi l'un des débouchés classiques, je dirais, de Sciences Po ? Ou est-ce que très vite tu étais sur cette ligne de justice, d'être utile, et peut-être que tu, je ne sais pas, je ne vais pas parler en ton nom, mais peut-être que le corps d'État c'était quelque chose qui te semblait moins utile ?

  • Speaker #1

    Oui, alors à posteriori, c'est vrai que... Je pense que Sciences Po a été une bonne expérience qui m'a ouvert beaucoup de portes. Par contre, à postériori, je vois à quel point ça a été limité en termes d'éducation politique et en termes de formatage intellectuel. J'ai terminé mon master en 2011 et c'est depuis ces 13 dernières années que j'ai vraiment forgé mon éducation politique. Je trouve que c'était vraiment très normatif. et très peu... C'était assez lisse, en fait, comme éducation. Donc, je pense que Sciences Po, c'est très bien pour apprendre à penser, à analyser, donc beaucoup d'outils, de compétences. Mais alors, en termes de challenge intellectuel et surtout de remise en question de beaucoup de choses intellectuellement, j'ai eu quelques très bons profs qui m'ont ouvert l'esprit, mais sinon, je dois dire que c'est vraiment depuis ces 13 dernières années que j'ai dû beaucoup lire. pour relire des choses, pour me forger l'identité politique que j'ai aujourd'hui. Donc ça a beaucoup évolué. Et à l'époque, c'est vrai que ça nous formate beaucoup à rentrer dans des institutions. D'ailleurs, soit dans le secteur privé, il y a beaucoup de gens qui vont en banque ou en consulting. Moi, je savais tout à fait que ce n'était pas du tout mon truc, que je voulais quelque chose au service public, enfin quelque chose au service de la société ou au service international. Et c'est poser la question, en effet, et pendant plusieurs années... Ensuite, on me l'a beaucoup demandé, mais pourquoi tu n'es pas devenue diplomate du Quai d'Orsay, la diplomatie française ? Mais j'ai toujours eu un malaise, je crois, assez profond de rentrer dans un corps d'État français. Je sentais bien qu'il y avait quelque chose qui ne m'allait pas. Ça ne me ressemblait pas de défendre la politique de la France ou de rentrer dans un corps d'État français. Ce n'était pas moi. Donc, je me suis plutôt orientée vers les institutions internationales, parce que je pense que j'avais encore cet idéalisme, on va dire, de... de penser que les organisations internationales gouvernementales avaient un pouvoir, avaient le pouvoir de changer les choses, avaient un rôle positif sur l'état du monde. Donc je suis d'abord allée à l'Union pour la Méditerranée, parce que je pense que j'ai une identité très méditerranéenne. Être franco-palestinienne, pour moi, c'est clair que c'est aussi une identité méditerranéenne. Je me sens bien en Méditerranée, je me sens bien au bord de la mer. Je vois bien qu'on a quelque chose de commun entre nous tous, qui venons du pourtour de la Méditerranée, que ce soit les Espagnols, et j'ai eu la chance de quand même aller dans beaucoup de ces pays-là. Donc j'ai commencé par l'Union pour la Méditerranée, en voyant très vite que c'était très dépolitisé, parce que quand on met autour de la table... le Liban, Israël, la Palestine et Chypre, etc. En fait, c'est impossible d'avoir un agenda qui ait un minimum de sens politiquement. Et donc, il fallait tout faire de manière technique, surtout pas parler des choses essentielles comme le dossier des migrations, le dossier de la Palestine et des droits des Palestiniens. Donc, à la fois, ça m'a beaucoup ouvert sur les questions palestiniennes parce que je travaillais sur les questions de l'eau et de l'environnement en Palestine. Mais en même temps... ça m'a beaucoup déçue par rapport au multilatéralisme et aux institutions intergouvernementales. Derrière, j'ai eu l'opportunité d'aller à l'ONU. J'ai vécu trois ans au Kenya, au siège de l'ONU pour l'environnement, parce que je voulais continuer. Je me disais que je pense que cette question environnementale est aussi assez universelle et je voulais continuer mon combat là-dedans. Et encore une fois, m'ouvrir plutôt que d'aller me focaliser sur la Palestine tout de suite, je me suis dit que ça allait m'apporter. des choses et une expertise que je pourrais ensuite ramener probablement en Palestine.

  • Speaker #0

    Est-ce que dès le début, tu t'es dit mon combat sera pour la Palestine ou c'est venu vraiment en avançant avec l'actualité, etc. ? Est-ce que là, quand tu es au Kenya, tu sais que tu vas rebifurquer vers le sujet palestinien ?

  • Speaker #1

    En fait, je l'ai vécu de manière assez très personnelle en arrivant à l'ONU, à Nairobi. Donc, ce sont des agences qui sont là-bas. C'est quand même des milliers d'employés de l'ONU. C'était 2014 et c'était la guerre à Gaza. Gaza a vécu plusieurs guerres atroces de ces dernières années. Là, on est vraiment dans un génocide où Israel a volonté d'annihiler complètement la bande de Gaza. Mais il y a eu des vagues de bombardements très dévastatrices pour Gaza depuis 2009. 2014 a été vraiment une vague de bombardements vraiment terrible. Et je suis arrivée là-bas et je me sentais très impuissante. En fait, je suis arrivée et je me suis dit mince, c'est la guerre à Gaza Je me sens impuissante et je voyais bien autour de moi que les employés de l'ONU et les gens qui travaillent dans le développement avaient peur de parler du sujet. Et avaient comme ça un peu cette empathie, mais cette empathie un peu à la fois honteuse et lointaine. Et ils avaient peur de parler, ils avaient peur de faire quelque chose. Et moi ça m'a beaucoup déçue et il y avait très peu d'arabes dans ces agences de l'ONU là-bas à Nairobi. Donc je me suis sentie assez seule. Et j'ai trouvé une ou deux personnes qui étaient d'origine palestinienne ou pas et qui étaient très solidaires avec les Palestiniens. Et on a organisé un événement, un concert. On a trouvé des artistes qui nous ont donné des œuvres d'art à vendre. On a fait toute une vente aux enchères pour lever des fonds pour Gaza. Je crois que c'était vraiment le premier projet que j'ai porté moi seule pour la Palestine. Et ça m'a réchauffé le cœur. Et d'ailleurs, au bout de trois ans, j'étais vraiment déçue par les instances de l'ONU et parce qu'au fil des années, en fait, on avait des dossiers qui étaient liés justement à la destruction de l'environnement à Gaza. Et je voyais bien que j'étais à la fois marginalisée parce que j'étais palestinienne, donc on allait me voir comme biaisée sur le dossier. Alors que j'étais au bureau des directeurs, j'avais quand même une expertise sur le sujet, mais on me marginalisait de manière délibérée parce que j'étais vue comme biaisée. Alors qu'on ne fait jamais ça avec un dossier autre. Je veux dire, si un Norvégien sur les glaciers ou sur les fjords, on demande à la personne qui vient du pays, qui a l'expertise sur le sujet. Mais quand il s'agit de la Palestine, on est toujours vu, nous, Palestiniens, on ne peut pas être experts ni analystes. On est toujours vu comme biaisés, émotionnels. Et donc, ça m'a beaucoup déçue. Et je pense que c'est vraiment mon expérience sunnisienne qui, après... Voilà, m'a fait réfléchir et me dire, voilà, il est temps pour moi d'aller en Palestine. Je n'avais pas de boulot, j'ai quitté l'ONU, et une situation franchement très confortable. Il faut bien voir que les fonctionnaires de l'ONU sont très bien payés, beaucoup de privilèges. Et en plus de vivre au Kenya, en tant que blanche, alors là, ça m'a ouvert les yeux beaucoup aussi sur la situation postcoloniale. Alors, c'est une ancienne colonie britannique, donc c'est culturellement très différent, je pense, des anciennes colonies françaises. Mais clairement, de voir aussi... Toute cette dynamique-là, j'avais clairement pas envie de rester. Et deux, je me suis dit qu'il était temps pour moi d'aller en Palestine. Et ça a été très riche. J'ai vraiment beaucoup appris. Je ne regrette pas du tout. Mais je pense que ça m'a ouvert les yeux sur beaucoup de choses, toutes ces expériences professionnelles. Et ça a fait partie de mon éducation politique, clairement.

  • Speaker #0

    Et là, du coup, tu arrives en Palestine sans rien, sans job. Tu t'installes où et quels sont tes projets à ce moment-là ? Est-ce que tu as une feuille de route ? Tu as prévu, tu as un peu une vision sur ce que tu voulais faire ?

  • Speaker #1

    Non, alors j'arrive avec mon visa de touriste. Alors, il se trouve qu'à partir de 2012 quand même, quand j'étais à l'Union pour la Méditerranée, j'ai commencé un peu à m'organiser avec d'autres Palestiniens de ma génération. Donc, j'ai commencé à étoffer, on va dire, mes contacts et mes réseaux et mes activités. avec d'autres Palestiniens. Et c'est là où je me suis sentie quand même moins seule. Et à partir de ce moment-là, quand même, j'étais déjà un peu active. J'ai fait un ou deux séjours en Palestine en visite en 2013. Et puis après, en fait, c'est quand je l'ai déménagé là-bas en 2017. Mais je dois dire que j'avais quand même quelques contacts. Et donc, c'est à travers eux que j'ai commencé à me dire, voilà, à les contacter, à voir un peu qu'est-ce que je pourrais faire. Il y a la question du visa qui se pose, puisque, donc, encore une fois, moi, je rentre en Palestine en tant que Française. Les Israéliens ne savent pas que je suis palestinienne. Je suis née à Paris, je suis française, et en fait, il faut que je cache, moi, auprès des Israéliens, mon identité palestinienne. Et c'est pour ça que, voilà, moi je suis vocale dans les médias, etc. Donc je sais toujours le risque que je prends, parce qu'en fait, je suis quand même toujours sur un siège éjectable dans ce pays, parce que je n'ai pas le droit d'être là en tant que palestinienne. Je suis là en tant que française, et aujourd'hui, il se trouve que mon mari, il est de 48. Mon mari, il est palestinien. Il fait partie des Palestiniens qui ont un passeport israélien. Il fait partie des survivants de la Nagba, en fait. En tant qu'épouse française d'un Palestinien de 48, j'ai le droit, quelque part, à un visa d'épouse. Et c'est comme ça que je suis légale aujourd'hui. Mais ça a toujours été très précaire. C'est-à-dire qu'on arrive, on a un visa de touriste, on repart. Et puis, évidemment, on reste toujours six heures à l'aéroport. Et pourquoi t'es là ? Et qui t'es ? Et qu'est-ce que tu fais ? Donc, je dois dire qu'avoir travaillé à l'ONU, ça m'a beaucoup protégée. parce que c'est quand même une institution internationale qui est protégée par un statut diplomatique. Donc ils m'ont toujours vue sous ce prisme-là. C'est-à-dire que mon passé à l'ONU m'a quand même beaucoup protégée, je pense, sur place. Et je travaillais sur l'environnement, donc ce n'était pas vu comme trop politique. Et donc petit à petit, plus mon profil est devenu militant et politique, plus j'ai pris des risques et plus je prends des risques. Mais voilà, ça fait partie des risques que je pense que je dois prendre. Et donc j'arrive. Et en fait, j'atterris au bureau du premier ministre palestinien parce que mon profil était beaucoup lié à l'aide au développement et aux politiques internationales. Ils avaient besoin d'une consultante sur ces sujets-là. Et donc, j'ai vu l'autorité palestinienne de l'intérieur. Donc, ça a été un an et demi, je dois dire, assez horrible. Alors évidemment, j'ai coupé mon salaire par 4000. Mais c'était très intéressant, mais à la fois très traumatique. Je pense que si le dernier espoir que j'avais, qu'on puisse nous-mêmes, les Palestiniens, changer le système de l'intérieur de l'autorité palestinienne et des instances de l'OLP, en fait, j'ai compris pendant cette année et demie que ça n'allait pas être possible. Et c'est là que j'ai fait mon chemin vraiment vers essayer de m'organiser et d'organiser des collectifs dans la société civile, en fait, et dans le monde plutôt des mouvements citoyens et des ONG, parce que, clairement... L'autorité palestinienne est au bout de sa vie, mais vraiment de manière littérale. C'est-à-dire que je ne pense pas qu'on peut réformer l'autorité palestinienne. Je pense qu'on a un vrai besoin de renouveau dans les instances de leadership palestinien, ça c'est évident. Et je pense que c'est aussi en dehors de ces institutions qui ont été complètement accaparées par le régime d'Oslo, et ce que le système d'Oslo a mis en place. malheureusement complètement dépendant et dominé par Israël. Donc c'est un peu à l'époque, pour l'autorité palestinienne, c'est un peu comme à l'époque des Willaya, enfin dans les anciennes colonies françaises, c'est-à-dire que c'est les autorités locales qui en fait sont contrôlées par le colon et qui sont à la merci des décisions des colons et qui ont des Palestiniens en fait à leur tête, mais qui répondent aux intérêts israéliens en fait. C'est des marionnettes en fait. C'est des marionnettes. Et l'autorité palestinienne pour importer le moindre camion, la moindre denrée, pour apporter l'électricité dans nos villes, etc. doivent de toute façon avoir l'autorisation israélienne. Donc en fait on est quand même à la merci de l'occupation israélienne. Et ça je l'ai vite compris. Et j'ai vite compris qu'en fait au sein de ces bureaux-là, ce statu quo n'était pas remis en question. C'est-à-dire que cette dynamique-là politique n'était pas remise en question. Et ça m'a... Ça m'a dégoûtée en fait.

  • Speaker #0

    Mais c'est fou que ce ne soit pas remis en question de l'intérieur. Après, je comprends la structure et le statut de la Palestine, la colonisation, mais que de l'intérieur, il n'y ait pas une volonté de rébellion, de changer les choses, de faire des choses différemment, sans que ce soit toujours de manière... officielle, parce que contre les règles instaurées, mais tu trouvais vraiment qu'il y avait un statu quo, une résignation en quelque sorte ?

  • Speaker #1

    Je pense qu'il y a beaucoup de gens qui étaient résignés au sein, on parle là vraiment au sein de l'autorité palestinienne, il y a beaucoup de gens bien dans les fonctionnaires ou dans les gens qui travaillent, qui essayent de faire les choses bien, ça c'est vrai. Mais je pense qu'il y a une vraie résignation à l'idée que... pour que les écoles fonctionnent, l'autorité palestinienne, elle fait aussi fonctionner tous les services pour les Palestiniens qui habitent dans les petits îlots qui sont contrôlés par l'autorité palestinienne, c'est-à-dire l'intérieur des villes, comme Ramallah, Naplouz, etc. Et donc, quelque part, les gens se disent qu'il faut bien faire fonctionner la machine, en fait. Mais par contre, au niveau politique, je pense qu'il y a des intérêts, il y a des gens qui ont bénéficié des accords d'Oslo et bénéficient personnellement pour leur pouvoir, pour leur compte en banque. Il y a beaucoup de népotisme, il y a beaucoup de corruption. Ce n'est pas une corruption financière, c'est vraiment comment maintenir une machine qui permet à des familles de se maintenir et beaucoup à faire de l'argent sur le dos de l'occupation et à bénéficier du statu quo. Donc, je pense que le système lui-même, il doit être mis à terre. C'est-à-dire que les institutions qui ont créé le régime d'Oslo, encore une fois, en étant... constamment à la merci des autorisations israéliennes, de la coordination sécuritaire avec Israël, de la coordination avec l'occupation israélienne, tout ça doit être complètement chamboulé en fait. Et donc la rébellion s'organise évidemment mais en dehors de ces structures bureaucratiques. Parce que ça a créé des structures bureaucratiques qui vraiment sont solides quoi. Il y a des comités qui en sont sortis et donc c'est une machine qui fonctionne et tous ces rouages là sont difficiles quand même à démanteler donc la... Je pense que c'est en dehors de ces rouages-là que la rébellion s'organise, et c'est pour ça que les Palestiniens sont frustrés. Je veux dire, que ce soit la résistance populaire, que ce soit à travers les canaux diplomatiques que moi j'essaie d'utiliser, donc je suis plutôt, on va dire, chez la diplomatie citoyenne, ou la résistance armée, tout ça, en fait, ça s'organise en dehors de l'autorité palestinienne, et les gens sont frustrés et utilisent cette frustration pour résister d'une manière ou d'une autre. Donc voilà, je pense que c'est cette... Cette expérience m'a appris ça et m'a aussi appris que, on m'a aussi confirmé les limites, les limites et vraiment les défauts de notre diplomatie, de la diplomatie palestinienne officielle qui représente l'autorité palestinienne et l'OLP à l'étranger. C'est pour ça que je me suis engagée dans cette voie de toute façon parce que, un, c'est ce que je peux apporter, c'est-à-dire que c'est le pont avec l'international et c'est de porter la voie de la Palestine. à l'international, essayer de faire changer les choses quant à la complicité internationale avec Israël, et en comprenant bien justement les limites des ambassades de la Palestine à l'étranger, qui sont elles-mêmes devenues totalement soit impuissantes, soit des marionnettes à la merci du leadership palestinien à Ramallah, qui n'ont pas du tout les demandes, qui sont tellement déconnectées de la population et des demandes des Palestiniens.

  • Speaker #0

    Et aujourd'hui Inès, tu es... Executive Director au Palestine Institute for Public Diplomacy. Est-ce que tu peux nous parler un peu des activités de cet organisme et en quoi consiste ton rôle ?

  • Speaker #1

    Oui, alors on est une petite organisation qui a six ans d'existence et qui est née justement avec cette idée qu'on voyait bien en fait l'absence des voix palestiniennes, l'invisibilisation des Palestiniens à l'étranger et aussi le manque d'action stratégique à l'étranger pour remettre en question les alliances. de beaucoup de pays avec Israël. Je dirais en gros que, pour la faire courte, on essaie d'être un lobby palestinien. Mais un lobby, pour moi, ce n'est pas un gros mot. C'est-à-dire que c'est comment on essaie de faire du plaidoyer et de défendre la cause palestinienne à l'étranger et de s'organiser pour, à la fois avec les Palestiniens à l'intérieur de la Palestine, mais aussi avec les Palestiniens en exil et les Palestiniens en diaspora, y compris les Palestiniens en Europe, pour faire changer les choses. Donc on travaille sur les... Trois axes stratégiques qui, je pense, sont fondamentaux aujourd'hui, c'est-à-dire un, changer le narratif et le discours. Donc essayer à la fois de contrer le narratif israélien et sioniste quant à la situation, en essayant d'éduquer, d'expliquer, d'informer, de porter des voix palestiniennes dans des instances de pouvoir et dans la rue. C'est-à-dire qu'il y a besoin, je pense, à la fois d'informer le grand public, l'opinion publique, mais aussi... de faire du plaidoyer de manière plus politique auprès d'instances décisionnaires. Et un deuxième as stratégique, c'est donc de comment faire en sorte de remettre en question les alliances avec Israël. Donc on le voit bien aujourd'hui avec le génocide, beaucoup de pays continuent à vendre des armes à Israël et à en acheter, des technologies de surveillance comme, je ne sais pas, des caméras à reconnaissance faciale qui se retrouvent à être achetées par la ville de Nice en France. pour les installer à Nice, voilà, donc tout ça fait partie de certains des dossiers sur lesquels on travaille. Et le troisième axe, c'est comment renforcer le collectif palestinien. Une des choses que je réalise, c'est que vraiment, on ne peut pas agir tout seul. Moi, si j'avais le choix, je dirais que je préférerais pour le coup être dans l'ombre. Par la force des choses, j'ai été obligée de faire des médias, surtout en 2021, lors des soulèvements à Chercharah, à Jérusalem, à l'Aqsa, parce qu'en fait, il y avait besoin de voix francophones. On est quand même assez peu de Palestiniens aujourd'hui en Palestine qui s'expriment et qui articulent un discours politique en français. Donc, il y a beaucoup de demandes. Donc j'ai par la force des choses dû m'exprimer publiquement, mais j'aime mieux faire le travail de l'ombre et derrière les coulisses, qui est de, je pense, de former des collectifs palestiniens, d'essayer en fait de joindre nos différentes voix et d'essayer de porter l'action. Il y a besoin, en fait, il y a un mot en anglais qui est organizer Je pense qu'aux États-Unis, il y a vraiment plus cette culture de organizing c'est comment on organise. des mouvements, comment on organise des collectifs, on coordonne l'action. Avec chacun ses forces. Il y en a qui sont plus forts auprès des médias, il y a les autres qui sont plus forts, il y a les avocats qui peuvent faire des actions légales. Et c'est comment coordonner toutes ces compétences, ces voix, et essayer de porter des campagnes et des actions qui auront un impact. Et pour moi, c'est ça, c'est la force de devoir... organiser des collectifs, aussi parce qu'on doit réorganiser un collectif palestinien, parce que la fragmentation est réelle. Comme je le disais par rapport à Gaza dans mon enfance, aujourd'hui on a besoin de se réunifier. La réunification du peuple palestinien, on est 14 millions, dont 7 millions en Palestine et 7 millions à l'étranger. Malheureusement il y a 2 millions de Gazaouis aujourd'hui qui sont poussés. vers un nettoyage ethnique de la bande de Gaza. Donc c'est dramatique et c'est ce qu'on essaye d'empêcher tous collectivement. Et c'est la pression qui est mise en œuvre aujourd'hui pour essayer de mettre fin au génocide. Mais je dois dire que la fragmentation, elle est réelle. La société palestinienne a été cassée par la colonisation israélienne, par le projet sioniste de colonisation depuis 1948, qui a vraiment éclaté les Palestiniens dans différentes géographies. qui a fragmenté les Palestiniens de manière aussi sociale. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, moi j'ai la chance de pouvoir vivre dans une continuité parce que je peux passer les checkpoints et je peux passer d'un côté à l'autre. Mais je vois bien qu'un Palestinien à Haïfa ou à Yaffa, qui vit maintenant du côté israélien, mais qui sont des villes palestiniennes, dans la Palestine historique, ou un Palestinien de Ramallah ou un Palestinien de Gaza, il y a quand même un gouffre dans la réalité de ce qu'on vit au quotidien. Donc on a des identités tellement multiples. et des problématiques face à l'occupation aussi différentes. Parce que l'un a besoin d'un permis pour aller dans son champ d'olivier, l'autre il travaille dans des hôpitaux israéliens avec des collègues israéliens. C'est des réalités très différentes qui nous ont fragmentées. Donc moi, mon travail à ma petite échelle, c'est aussi d'essayer de... Comment on peut, en tout cas dans notre travail collectif, d'essayer de porter de l'unité et de l'unification et des collectifs qui fonctionnent et qui se renforcent pour pouvoir... porter une voix commune parce que c'est tellement nécessaire.

  • Speaker #0

    Absolument et puis on voit l'invisibilisation qui est faite médiatiquement etc. et j'imagine que l'une des manières vraiment de contrer ça c'est d'être unis et d'être plusieurs pour que cette voix elle porte plus ou en tout cas qu'elle soit plus visible et entendue. Tu parlais du quotidien, là, tu donnais des exemples. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ton quotidien à Ramallah ? Je pense qu'il y a beaucoup de gens, on l'entend dans les médias, mais je pense qu'on ne se rend pas forcément compte du challenge quotidien, journalier, auquel sont confrontés les Palestiniens en Palestine.

  • Speaker #1

    Oui, moi, ce qui me sidère toujours dans les médias français, par exemple, c'est qu'on montre une carte. Une carte où on voit d'un côté, ce serait le territoire israélien et de l'autre, la Cisjordanie et Gaza. Or la réalité géographique, elle n'est pas du tout celle-là. Elle est celle d'en fait, tout le territoire de la Palestine historique, donc Israël et les territoires occupés, sont contrôlés par Israël. Ça c'est une réalité. C'est-à-dire que l'armée israélienne, le régime israélien, contrôle tout le territoire. Et donc, en fait, moi à Ramallah, je vis dans un espèce d'îlot. C'est vraiment un archipel, la Cisjordanie, qui avec le mur en plus est coupé. de Jérusalem et coupée de la Palestine historique et de ce qui est Israël aujourd'hui, par le mur qui en plus, le mur ne suit pas du tout la ligne verte qu'on voit sur ces cartes, cette séparation de la Cisjordanie et d'Israël. En fait aujourd'hui, là je suis à Ramallah, depuis le 7 octobre les checkpoints sont fermés. Donc en fait Ramallah, il y a deux points de sortie aujourd'hui pour les Palestiniens. Moi aujourd'hui pour aller chez le pédiatre, parce que je dois aller chez le pédiatre du côté israélien, mon fils est suivi, comme il a un passeport israélien, il est suivi côté israélien. Et encore une fois, je n'ai pas le droit de vivre à Ramallah. Donc officiellement, c'est compliqué, mais je paye deux loyers, parce que je dois payer un loyer côté israélien pour prouver que j'habite en Israël. C'est très compliqué. Mais en gros, pour faire 13 kilomètres, c'est-à-dire aller chez le pédiatre à Jérusalem, à Jérusalem-Est, on parle, pour continuer à être en Palestine, en Cisjordanie. je dois quand même passer le mur et des checkpoints militarisés qui ressemblent à des aéroports. Je mets deux heures pour faire 13 kilomètres, c'est-à-dire qu'on doit prendre des routes de contournement parce que toutes les infrastructures en Cisjordanie et Ramallah comme Naplouz ou Bethléem, toutes ces villes en fait palestiniennes sont coupées les unes des autres. C'est-à-dire qu'il y a forcément un mur à passer et un checkpoint militaire. Les routes et les infrastructures sont faites pour les colonies israéliennes. Donc en fait les routes qu'on emprunte sont... construites pour que les colonies, elles, soient de manière totalement libre, raccrochées à Jérusalem et aux villes israéliennes. Mais les Palestiniens, du coup, les villages, sont souvent entourés de barrières, doivent prendre des tunnels et des routes de contournement pour aller simplement faire 10 kilomètres. Donc, on nous a coupé les uns des autres, même au sein de la Cisjordanie. Sans parler, évidemment, encore une fois, du blocus de Gaza, qui nous a complètement séparés de Gaza depuis très longtemps. Donc le quotidien, en fait, il est assez limité dans une petite ville. On parle Ramallah, c'est que c'est maintenant peut-être 200 000, 300 000 habitants. Et au sein de cette ville, il y a des camps de réfugiés, il y a des quartiers, il y a des inégalités sociales et économiques. Je dirais qu'à Ramallah, on est les plus privilégiés parce que c'est devenu de facto la capitale, on va dire, de l'autorité palestinienne. Donc la vie est plutôt normale. Il y a de l'électricité la plupart du temps, de l'eau. Il y a des restos, des cafés, etc. Mais on est complètement coupés les uns des autres avec le reste de la Cisjordanie et beaucoup de mes camarades à Ramallah. C'est-à-dire qu'en fait, on internalise des choses qui ne sont pas normales. Donc en fait, nos conversations entre potes, c'est... Alors du coup, moi j'essaie de donner la carte d'identité de Jérusalem à mon enfant, parce que mon mari il est de Cisjordanie, il a une carte d'identité de Cisjordanie, mais du coup il faut qu'on habite côté Jérusalem, mais c'est trop cher et puis c'est trop compliqué, donc comment on fait ? Un autre pote, malheureusement sa mère est décédée d'un cancer dans un hôpital israélien à Jérusalem, dans un hôpital côté Jérusalem, il n'a pas eu le droit d'avoir un permis pour aller la voir à l'hôpital. Des femmes qui doivent accoucher sans leur mari. Moi, j'ai une amie qui a dû accoucher sans son mari parce qu'elle a dû accoucher dans un hôpital côté israélien, comme moi. Mais son mari, lui, il n'avait pas permis pour passer le mur. Donc, en fait, elle a été toute seule à l'accouchement sans son mari. Donc, le mari a dû rater aussi. Enfin, n'a pas pu voir son enfant naître. Moi, j'ai la chance de pouvoir passer de l'autre côté. Mais c'est vrai que, par exemple, on se dit, tiens, on aimerait bien passer une journée, je ne sais pas, à la mer, dans, je ne sais pas, Yaffa, par exemple, qui est encore une ville... enfin palestinienne à côté de Tel Aviv, mais en fait la plupart de mes potes ne peuvent pas parce qu'ils n'ont pas de permis. Ou la réalité de plein de familles autour de nous qui ont les travailleurs qui vont travailler côté israélien, qui ont l'obligation, on va dire, entre guillemets économique, d'aller travailler pour Israël. Donc Israël nous tient en étau en fait, parce qu'il y a 120 000 travailleurs qui vont chaque jour travailler côté israélien ou dans les colonies. C'est des anciens prisonniers politiques. Moi j'avais discuté avec quelqu'un, il était allé en prison. israéliennes pour ses activités politiques pendant la première intifada et ils avaient construit eux les colonies, c'est-à-dire que les colonies sont construites par des travailleurs palestiniens qui mettent les pierres et l'électricité pour des colonies israéliennes. Et ça c'est le quotidien des gens en fait. Et donc c'est des choses qui, en fait les gens en parlent, c'est une réalité quelque part où il y a des choses qu'on internalise et qu'on accepte, qu'en fait on fait beaucoup de compromis pour continuer à vivre et à survivre. Mais ce n'est pas normal. Et c'est pour ça que beaucoup de gens se rebellent. Et c'est pour ça qu'aussi, il faut continuer à résister. Mais je pense que les contraintes de l'occupation sont parmi toutes ces choses qui ne sont pas forcément d'être tuées ou d'être arrêtées ou d'être mises en prison. Même si, clairement, on a toutes les semaines, ah bah tiens, un tel a été arrêté par l'armée israélienne. Donc ça, ça fait partie du quotidien. Mais il y a aussi toutes ces absurdités bureaucratiques. De devoir demander un permis, de devoir aller... Moi, je sais que j'ai remercié le fait que mon fils, Il a décidé de venir, j'avais des contractions un vendredi matin, parce que le vendredi matin, c'est le jour de congé, où au lieu de passer deux heures au checkpoint et d'être coincée et de me dire que je vais accoucher dans la voiture, j'ai pu passer en 45 minutes et arriver à l'hôpital. Donc j'ai eu quelques barres, je me dis, ah, j'ai de la chance. Vendredi matin, c'est génial, mais c'est absurde de penser comme ça, en fait. Je pense que c'est ça la force, entre guillemets, on va dire, le contrôle que le régime d'apartheid a et que le régime de colonisation a, c'est que... Ils ont réussi à créer des faits sur le terrain et une réalité dans laquelle beaucoup de gens se sont adaptés. Et je pense qu'on le voit à Gaza, moi ça me fend le cœur dans ce qui se passe à Gaza, c'est que les gens viennent à regretter un quotidien qui finalement avait réussi à être quelque part un peu normal à Gaza avant le génocide. Les gens repartagent des vidéos de quand ils allaient au bord de la mer et qu'il y avait les cafés qui étaient ouverts, ils allaient fumer un argilet et puis ils pouvaient faire des petits concerts et ça paraissait quelque part tellement mieux. mais ils étaient déjà sous blocus depuis 16 ans. Ils avaient déjà 10 heures d'électricité par jour et ils avaient des denrées qui manquaient et ils ne pouvaient jamais sortir. Une personne de 30 ans n'était jamais sortie de Gaza. Mais c'était quand même tellement mieux que ce qu'il y a aujourd'hui. Donc en fait, quelque part, on s'adapte aussi au pire. Et c'est ça, je trouve, qui est dangereux. C'est que l'être humain s'adapte, en fait. Et les Palestiniens sont toujours dans le système D et l'adaptation à des choses qui sont totalement anormales et injustes. Donc on vit tous avec une colère en nous, on vit tous avec une frustration, avec des frustrations, qui font partie de nos quotidiens, qui nous bouffent de l'énergie, du temps. Encore une fois, qui ne sont pas forcément se retrouver face à une balle d'un M16 israélien, mais qui pourrissent en fait un quotidien qui de fait nous prive de notre liberté. Et je pense que c'est pareil pour les Palestiniens en exil, pour ceux qui ne peuvent pas revenir sur leur terre. Je pense que c'est un... C'est un combat de tous les jours, de se dire qu'on ne peut pas retourner sur sa terre. Et je sais que moi, je l'ai vécu, bien sûr, dans ma famille. C'est-à-dire que mon père, pour la première fois, il a mis les pieds en Palestine. Il avait 40 ans avec son passeport français. Et on est allé au village de mes grands-parents qui a été détruit, qui fait partie de ces 530 villages qui, en gros, ont été détruits par Israël en 1948. Et où Israël a planté des arbres, Israël a fait des jardins. Aujourd'hui, c'est un parc. où il faut payer 10 euros pour rentrer comme un parc naturel. Et donc Israël a vraiment greenwashed aussi ça et continue de lever des fonds d'ailleurs en France aussi, de manière défiscalisée, pour aller planter des arbres en Israël. En fait, ça a été quelque chose qui a complètement effacé la présence palestinienne depuis 1948. Et on a pris des photos et on a montré les photos à mes grands-parents et à ma famille au Liban, qui eux n'ont jamais pu rentrer en fait. Mes grands-parents sont décédés depuis plusieurs années, mais ils avaient vu des photos de leur village, en fait, auquel ils n'avaient pas accès et qui était juste de l'autre côté de la frontière, en fait, parce que c'est tout proche du Liban. Donc c'est des réalités absurdes comme ça où la suprématie israélienne, enfin Israël a vraiment créé un régime suprémaciste où quand on est juif, on a des droits et quand on n'est pas juif, on a moins de droits. Et c'est ça qui, du coup, découle dans toutes les choses du quotidien, en fait. ça se traduit dans toute la réalité des gens d'une manière ou d'une autre.

  • Speaker #0

    C'est terrible et je pense qu'on est beaucoup, non palestiniens pour le coup, mais je pense qu'il y a énormément de gens et de plus en plus de gens qui soutiennent la cause palestinienne et on se sent très impuissant. Évidemment, on voit des images, évidemment, on voit tout ce qui n'est pas relayé par les médias mainstream, mais on a la chance, notre génération, d'avoir les réseaux sociaux et de tout voir, d'avoir... C'est terrible, mais de voir un génocide en live, et on se sent terriblement impuissant. La question peut paraître bête, mais je la pose quand même. Qu'est-ce qu'on peut faire à notre micro-échelle ? Tu parlais de l'Institut du Palestine Institute for Public Diplomacy, dans lequel tu travailles. Est-ce qu'on peut faire des dons à ce type d'organisme ? Quelles seraient les choses qu'on peut faire, nous, moi, les auditeurs, les auditrices, à notre échelle, pour supporter au-delà de juste voir les images et avoir mal au cœur ?

  • Speaker #1

    Oui, hum... Déjà, je dois dire que je pense que c'est important quand même de sentir l'empathie et de sentir qu'on n'est pas oublié, de sentir qu'on parle de nous. Je pense que pour les Gazaouis, c'est hyper important, ne serait-ce que tu vois, toi tu fais un podcast, t'en parles, les gens qui partagent sur les réseaux. Le fait qu'on voit que la situation porte un écho. auprès des populations dans le monde, ça c'est déjà important. Et je le dis parce que, comme tu l'as dit, l'invisibilisation, elle est dramatique. Et je pense aussi la remise en question de notre voix, je ne sais pas si ça, moi en tout cas, ça m'est vraiment en colère. C'est mon combat quotidien, encore une fois, dans notre activité. On essaie de communiquer, on essaie d'informer, qu'on voit qu'on remet sans cesse en question la réalité et notre voix en fait. C'est-à-dire qu'à l'heure... où les Gazaouis peuvent partager leur quotidien, partager la réalité en live sur Instagram. Il y a un flot continu de l'évidence, et qu'on continue à voir des gens qui remettent en question en disant que c'est pas vrai, que c'est fake. Il y a tout ce concept de Pallywood qu'on... qui a créé les Israéliens comme si on exagérait ou on mentait sur notre réalité. Ça, c'est... Je dois dire que c'est presque un crime, en fait. C'est un crime que je vois relié par des personnalités publiques françaises se doutent cette remise en question qui est très dangereuse, en fait, et qui participe de l'invisibilisation et de notre déshumanisation, en fait. Et donc, nous, notre travail... Je pense qu'il est là, il est vraiment de remettre en question la complicité internationale avec Israël et de voir qu'en fait, si aujourd'hui on va du bon côté de l'histoire... En fait, je ne demande à personne d'avoir une empathie particulière parce qu'on est palestinien ou qu'on est arabe ou qu'on est autre, mais c'est que, en fait, c'est l'injustice. C'est un génocide, en fait. On est face à un génocide qui est streamé en live sur Instagram. et on n'arrive pas à l'arrêter depuis 4 mois. Et donc, comment peuvent se mobiliser les gens à l'international ? Il y a plusieurs choses que vous pouvez faire, donc bien sûr en parler. Informer autour de vous, s'éduquer, informer. Nous, on crée des ressources, alors beaucoup en anglais, mais on en a beaucoup traduit en français. Il y a des ressources disponibles, beaucoup d'organisations dans notre écosystème proposent même des cours en ligne sur comment parler de la Palestine et comment comprendre la question palestinienne. Tout ça, c'est très important. parce qu'il y a une désinformation telle, il y a une ignorance ou encore une fois, une invisibilisation telle que ça, c'est quand même très important, la question de s'éduquer. Parce qu'il y a beaucoup qui passent dans les médias sur l'horreur du génocide, de la colonisation, etc. Mais je pense qu'il faut comprendre les choses de manière historique, les choses de manière contextualisée, les choses de manière politique pour comprendre tous les rouages de ce qui se passe. Parce que les choses n'ont pas commencé le 7 octobre, parce que les choses ne vont pas se terminer quand il y aura un cessez-le-feu, même si c'est la chose la plus urgente à laquelle il faut appeler, c'est un cessez-le-feu. Et je pense que c'est important sur la durée. Parce que, encore une fois, moi je n'ai pas commencé à mobiliser le 7 octobre, et on va continuer, c'est un combat de long terme, on le sait qu'on est sur un investissement de long terme, et qu'il faut aussi nous se préserver comme on peut. Et donc, à l'étranger, moi ce que je demande, c'est, vous, votre force en tant que non-palestinien, votre force, c'est de pouvoir avoir un impact sur la complicité de vos États. C'est très important de pouvoir partager les voix palestiniennes et de centrer les voix palestiniennes là-dedans. Mais l'impact qui doit être fait, c'est de remettre en question finalement tous ces États coloniaux et post-coloniaux qui soutiennent Israël. Il faut mettre fin à cette complicité. Donc en tant que Français ou francophone ou belge, parce que je crois que tu as beaucoup d'audience belge aussi, c'est axer les demandes sur la mettre fin. au commerce des armes avec Israël, mettre fin aux accords bilatéraux, mettre fin aux accords de coopération, mettre fin au commerce de produits israéliens ou des colonies, interdire des personnalités israéliennes de venir en France ou initier des mandats d'arrêt internationaux pour crimes de guerre contre des personnalités israéliennes. Il y a tout un tas de choses qui peuvent être faites. Il y a beaucoup d'organisations qui se mobilisent pour ça. Et je pense qu'il faut soutenir à votre échelle ces demandes-là. que ce soit, voilà, si vous êtes journaliste, ou si vous avez accès, encore une fois, autour de vous, à des gens qui peuvent porter ces voix-là sur les réseaux sociaux, si vous avez beaucoup de followers, si vous avez des gens autour de vous qui sont députés, si vous avez le temps, enfin, prenez le temps d'interpeller vos députés sur la question. Tout ça, il faut que toutes les plateformes... soit utilisée pour faire ces demandes-là. Et je pense que c'est très lié au fait que tout est lié. C'est-à-dire que la politique française contre les Palestiniens se traduit aussi par une politique contre les immigrés et contre l'immigration, se traduit par des politiques qui défendent les policiers pour la violence policière. Tout ça est lié. Et je pense que c'est important aujourd'hui de se dire... Si vous ne mettez pas la Palestine au cœur de l'agenda ou au cœur de vos revendications quant aux politiques de votre pays, c'est tout l'ordre international et c'est toutes les valeurs que vous pensez porter qui en fait sont remises en question.

  • Speaker #0

    Inès, du coup, je t'ai posé une question et je pense que tu n'as pas complètement répondu. Je te demandais si on pouvait donner pour le Palestine Institute for Public Diplomacy, pour lequel tu travailles et dont tu nous as expliqué toutes les activités, est-ce qu'il y a cette... possibilité pour les gens de supporter financièrement ?

  • Speaker #1

    Oui, absolument, vous pouvez soutenir notre organisation, notre ONG sur le site, notre site qui est thepipd.com C'est important, je pense que c'est à la fois important de soutenir comme vous pouvez des organisations humanitaires à Gaza, mais aussi le combat d'organisations comme la nôtre qui sont en train de transformer aussi l'action collective palestinienne. Donc, on a besoin de soutien comme les vôtres, aussi pour dépendre un peu moins des subventions d'organisations institutionnelles.

  • Speaker #0

    Inès, je rebondis sur ce que tu dis. Et clairement, le génocide palestinien a un impact au-delà du conflit en lui-même, au-delà de la Palestine et d'Israël. J'ai l'impression que c'est un vrai test pour l'ordre mondial. On voit un réveil du Sud, une véritable remise en question de l'Occident. évangéliste en quelque sorte, fondateur des droits de l'homme, fondateur du droit international. Est-ce que tu penses qu'on est à un tournant historique et que c'est la fin d'un système ?

  • Speaker #1

    Oui, ta question est très bien formulée et j'en suis persuadée. La cause palestinienne et le génocide... sont un tournant historique à la fois pour la cause palestinienne, la manière dont notre combat est mené. On a déjà eu plusieurs phases, entre 1936, 1948, etc., et les différents mouvements, évidemment, de soulèvement depuis. Mais on est à un tournant historique, et on est à un tournant historique pour l'ordre mondial qui s'est vraiment consolidé après la Seconde Guerre mondiale par les grandes puissances occidentales qui ont créé... l'ONU, les grands textes du droit international et qui continuent à dominer de fait les institutions multilatérales comme l'ONU etc. On le voit très clairement parce que on va dire que le génocide à Gaza a révélé bien sûr plusieurs choses, les doubles standards et le deux poids deux mesures de l'Occident quant aux règles que ce soit les droits de l'homme ou du droit international qu'ils ont eux-mêmes créés ou qu'ils se targuent de défendre mais qui en fait... répondent totalement à des agendas politiques et que quand il s'agit de défendre les populations colonisées ou opprimées, là, il n'y a plus personne. Donc, je pense que la révélation de ce deux poids deux mesures est très claire pour le Sud global, qui est donc le Sud global en général, on va dire que c'est les pays qui étaient anciennement colonisés par l'Occident, où beaucoup aussi ont à l'intérieur de ces pays des situations où il y a des populations indigènes, etc., qui elles-mêmes se soulèvent contre une domination étatique. ou capitalistes de grandes multinationales qui continuent à exploiter leurs ressources, etc. Donc, en fait, là, on est vraiment... Je pense que Gaza est un test pour cet ordre-là et que beaucoup des populations du Sud s'identifient, en fait, à notre cause puisque c'est quand même une des dernières, on va dire, un des derniers bastions de colonisation active occidentale dans le monde. En fait, le projet colonial sioniste et israélien, qui est toujours un projet colonial d'origine européenne, c'est quand même un des derniers actifs sur la planète, et donc je pense que ça touche beaucoup de personnes. Et quand on voit... Voilà, aujourd'hui, quand on voit l'Afrique du Sud qui met face à la justice devant un tribunal israélien, c'est quand même très fort. Peu importe, encore une fois, ce que la Cour internationale de justice peut amener comme action concrète, puisqu'il n'y a aucun mécanisme aujourd'hui pour les tribunaux. non internationaux pour ces institutions de mettre en œuvre leurs propres décisions. Et ce sont des institutions, encore une fois, qui malheureusement ont été créées par les puissances coloniales, donc elles sont un peu piégées par leur structure même, mais je pense que ce sont des outils que nous devons utiliser dans nos stratégies. Ça ne va pas nous libérer, ça ne va pas libérer les peuples opprimés. En tout cas, ça montre et ça permet d'augmenter la pression politique qui existe et les alliances qui se créent, on va dire, depuis quand même plusieurs années, au-delà, on va dire, de la domination hégémonique des États-Unis et des pays alliés, qui, on le voit, ont très, très largement soutenu Israël dans son attaque et son génocide contre Gaza.

  • Speaker #0

    Nes, je voulais aussi parler peut-être du côté perso. Tu as mentionné dans l'interview au début ton bébé que tu as eu il y a quelques mois. Je suppose que l'accouchement et sa venue au monde et toi être devenue maman, c'est arrivé aux environs du 7 octobre et de tout ce conflit. On sait toutes et tous à quel point la maternité, c'est un bing-bang personnel dans une vie très normale. je ne peux imaginer comment ça peut se passer dans ce contexte-là, avec toutes les images qu'on voit et le fait qu'on sache qu'il y a plus de 70% de la population qui est touchée, qui sont des femmes et des enfants.

  • Speaker #1

    Oui, inévitablement. En fait, j'ai un peu l'impression d'être dans un tunnel spatio-temporel depuis fin septembre, dont j'arrive à sortir quand même un peu. Mon fils est né fin septembre. Donc il avait juste quelques semaines le 7 octobre. Et c'est vrai que j'ai été mise face à la fois à tout ce qui implique les débuts d'être maman et d'avoir un tout petit bébé, et tout ça durant un génocide. Et je pense que ça a bien sûr... réveillé en moi tellement de sentiments contradictoires. À la fois, je pense qu'il m'a permis de garder la tête sur les épaules, de pouvoir célébrer la vie et de me forcer aussi à me déconnecter et être quand même dans une bulle de maternité. pour répondre à ses besoins dans un moment où la plupart, où tout le monde est plongé dans l'horreur et il est très difficile d'en sortir et on est plongé dans un vortex où on a juste envie de se soit se terrer dans un trou et que ça s'arrête ou soit de se mobiliser ou soit de pleurer ou de en tout cas juste d'être avec les gens à Gaza en fait d'une manière ou d'une autre que ce soit en allumant Alsazira en continu ou en étant au téléphone avec les Gazaouis. Mais voilà, il a permis ça quand même, je pense, d'amener un petit peu de joie dans tout ça. Mais évidemment, il y a aussi le fait que c'est doublement difficile. À la fois, je pense que j'ai réalisé d'autant plus ma chance et mon privilège parce que mon fils, il a un toit, il est au chaud, il a une vie... Je pense qu'évidemment, il n'a aucune conscience, parce qu'en restant dans sa maison, il n'a aucune conscience encore vraiment de ce qu'il y a autour de lui. Parce qu'on est quand même très resté, on va dire, confiné dans Ramallah et avec la situation à l'intérieur de la ville, donc dans une certaine bulle de sécurité relative. Et en même temps, bien sûr, de voir toutes ces images et... de parler aux gens, je veux dire, c'est... Je pense que tout le monde l'a vu, c'est difficile de décrire, mais moi, j'ai eu une césarienne d'urgence, et l'accouchement s'est assez mal passé, et derrière, on voit qu'il y a des dizaines de femmes qui ont dû avoir des césariennes sans anesthésie. En fait, j'arrive même pas à... Je pense qu'on n'arrive même pas à... Voilà, à imaginer, en fait, enfin, à ressentir. Je pense qu'on le ressent au plus profond, mais je pense que ce n'est même pas le quart, le dixième de ce que ces femmes-là vivent. Elles n'ont pas de lait pour leurs enfants. Je ne sais pas quels mots employer. Je n'ai pas de mots. Et du coup, ça, ça a été vraiment doublement difficile. Comme toute nouvelle maman, on pense au début à partager sur les réseaux, etc. Mais depuis octobre, j'ai aucune envie. Je n'ai même pas posté une photo, je n'ai pas posté une vidéo. Il y a plein de gens que je n'ai même pas informés à travers les réseaux parce que ça paraît tellement dérisoire, égoïste ou, je ne sais pas, nul, en fait, par rapport à toutes les histoires qu'on a envie de partager de toutes ces femmes et de tous ces enfants et ces bébés à Gaza, en fait, qui ont nié la vie, en fait. Et donc c'est contre cet effacement que je pense qu'être maman aussi, ça m'aide à continuer à lutter, au contraire, à vouloir me dire que c'est cette génération-là qui verra une Palestine libre.

  • Speaker #0

    J'imagine, même s'il n'a que quelques mois, que la question de la transmission doit être d'autant plus présente. Est-ce que c'est quelque chose à laquelle tu penses ?

  • Speaker #1

    Oui, très clairement. Très clairement, je pense que c'est d'ailleurs... Une des premières choses à laquelle je réfléchis en étant maman, parce que nous, les Palestiniens, on a un effacement forcé. En fait, quelque part, le colon israélien et le narratif tentent d'effacer notre histoire, notre culture. Ce n'est pas seulement à travers les chars et les bombardements et les fusils, c'est aussi... une politique et des pratiques délibérées d'effacer notre identité. Et donc ça, je pense que c'est aussi, bien sûr, le rôle de parent, de transmettre cette culture, cette histoire. Et ça peut passer par des choses très... Très bête, très concrète, comme par exemple à Jérusalem, les Israéliens ont changé des tas de noms de rues, par exemple, ou des tas d'endroits qui ont été effacés. Le village, je pense qu'on en a déjà parlé, mais le village de mes grands-parents, ils ont construit un parc au-dessus, et la pancarte à l'entrée du village, qui est maintenant un jardin où il faut payer pour rentrer, qui est gérée par l'autorité de l'environnement israélien. Il y a une ligne en disant qu'un jour, il y a eu un village arabe. Et après, tout le reste, c'est sur les Ottomans et les Romains, et ensuite, l'héritage historique des civilisations. Mais il n'y a rien sur l'existence à un moment d'un village palestinien. Donc, je pense que ça, c'est vraiment un travail nécessaire, la transmission dans ce sens-là. Et je pense aussi que parce que... Moi, dans la construction de mon identité, justement, parfois, j'en ai peut-être manqué. Donc, c'est clair que pour nous, parler l'arabe à la maison et parler le français en même temps, tout ça est très, très important. Parce que, justement, pour qu'il se construise aussi, qu'il n'ait pas trop de crises, même s'il aura une crise d'identité, c'est sûr, mais pas moins de crises d'identité que peut-être que ses parents.

  • Speaker #0

    En parlant de maternité, paternité, de ce lien, comment ton papa a vécu ton retour en Palestine ? Est-ce que c'était une fierté ? Est-ce qu'il avait peur ?

  • Speaker #1

    Déjà, je me suis mariée avec un palestinien, ce qui, je pense, mes parents ne s'y attendaient pas. Et puis ensuite, l'idée de rester en Palestine. Oui, d'y être... Non, ils sont fiers, je pense. Ils suivent un petit peu mes activités. Et voilà, il y a toujours... Si je suis dans une interview à la télé ou que je fais des shows, je leur envoie. Ils sont contents et ils le diffusent. Et pour mon père, je pense que c'est particulièrement... Je pense qu'il a compris qu'il fallait laisser à la génération d'après, en fait, le combat. Et que lui fait vraiment partie de cette génération qui a monté l'architecture d'Oslo et qui en est revenue. C'est-à-dire qu'il voit... Comment ils ont été piégés, en fait ? L'OLP, l'autorité palestinienne, comment ces accords étaient complètement... Enfin, Israël a complètement dominé l'agenda, et comment ils ont été faits d'une manière à ce que ça consolide la colonisation et pas à ce que ça crée un État palestinien. Et on est dans un moment très, très dangereux. pour ça, parce qu'en fait, quand on revoit les discours qui reviennent sur la solution à deux États, sans parler de la fin de l'occupation, alors qu'on est dans une situation tellement pire que dans les années 90, sans aucune ni volonté israélienne... ni perspective qu'il y ait un État palestinien, il ne faut pas qu'on retombe dans ces pièges, en fait. De penser que par des négociations bilatérales et en s'asseyant autour d'une table et en parlant aux voisins, c'est comme ça qu'on va mettre fin à l'injustice et à un système d'apartheid qui, de fait, doit être démantelé avant qu'on puisse créer un futur plus juste. Et pour revenir à ta question, la France ne me manque pas, en fait. Évidemment, je vois tout ce qui se passe, j'observe de loin. les discours, etc. Et je dois dire que dans toute cette période, j'en parle beaucoup avec mes amis franco-palestiniens aussi ou qui sont en France, je dois dire que c'est quand même plus facile psychologiquement quelque part d'être entre Palestiniens, qu'on se comprend en fait. Je n'ai pas besoin de me justifier si je vais discuter avec des gens ou avoir des rendez-vous. Alors que j'ai l'impression qu'en France, en fait, il faut constamment... Avoir à se battre, en fait, à se battre pour être soit entendu, soit compris et qu'on va constamment nous renvoyer du gaslighting ou des questions qui vont nous mettre encore plus en colère, etc. Donc, je dois dire que pour le coup, être en Palestine, on n'a pas ce problème-là puisqu'on est dans notre communauté, on se comprend et donc c'est quand même plus... Moins dure psychologiquement, je dirais, même si après, bien sûr, il y a toute l'occupation et ce qui va avec. Mais ça, c'est un point important.

  • Speaker #0

    Inès, dans tout ce dont on parlait, tu n'as jamais mentionné, il n'y a jamais eu une mention de la peur. Est-ce que c'est un sentiment que tu connais ? Parce qu'au-delà de la position de l'endroit dans lequel tu habites, tu parlais des risques personnels que tu prenais par rapport à ton passeport israélien, par rapport au fait que tu sois à Ramallah aujourd'hui. Est-ce que c'est un sentiment que tu connais, que tu ressens parfois ?

  • Speaker #1

    La peur n'est pas un sentiment qui fait partie de mon environnement émotionnel, je dirais. Mais aussi parce que je ne suis pas une tête brûlée, dans le sens où je réfléchis toujours à ce que je fais. Donc par exemple, justement, j'ai été très peu présente publiquement depuis le 7 octobre. Honnêtement, les premiers jours, j'ai reçu genre 10-15 demandes de médias par jour. Je les ai toutes refusées. J'aurais pu les accepter, j'aurais pu y aller à fond en me disant il faut Et donc, il y a une partie de moi qui me dit vu la couverture médiatique, peut-être que j'aurais dû contribuer Mais en même temps, je savais qu'en étant à peine en postpartum... en ne dormant pas la nuit, en étant à la fois psychologiquement très fragile et perturbée par ce qui se passait, je pense que je me serais totalement grillée et je pense que ça aurait été... Enfin, je vois ça sur le long terme. Je suis dans un combat qui est... Je ne me suis pas mobilisée depuis le 7 octobre et je me suis mobilisée avant, je me mobiliserai après. Et notre combat est long. Et donc, il faut savoir aussi se préserver. Et donc, en général, je suis quelqu'un qui évalue beaucoup les risques. Je prends des risques, mais des risques que je considère et qui sont toujours considérés. Et donc, ce n'est pas par peur, mais c'est par calcul souvent stratégique en me disant quel impact je peux avoir versus me griller complètement. Donc, pour moi, il est plus important aujourd'hui de pouvoir être... présente en Palestine, et là de pouvoir aussi me remettre à fond, à avoir aussi plus de visibilité publique maintenant que la phase critique du postpartum est passée. Parce que sinon, je pense que je l'aurais regretté. La peur dépend aussi des risques qu'on prend. Donc je dois dire que c'est comme ça que je le vois.

  • Speaker #0

    Quelle serait ta définition de la réussite personnelle, de ta réussite ?

  • Speaker #1

    Pour moi, c'est vraiment me sentir à ma place. J'ai mis vraiment beaucoup de temps à me sentir à ma place, à me sentir bien avec mon identité, mes identités ou ces identités mouvantes. En fait, tout ça a pris beaucoup d'années. J'ai vraiment dans ma vingtaine, je me souviens, peut-être jusqu'au début de la trentaine, où je continuais tellement à avoir des questionnements et me dire mais je ne suis vraiment pas au bon endroit. Et qu'est-ce que je fais là ? Et pourquoi je travaille là ? Et est-ce que je fais les choses qui sont utiles ou pas ? Est-ce que... Quand je ne parlais pas l'arabe, je m'en voulais vraiment beaucoup. Donc, j'ai réappris l'arabe derrière. Il y a tout un tas de choses comme ça où je pense que la réussite, en général, c'est est-ce qu'on se sent à sa place ? Et ça peut être simplement se sentir à sa place géographiquement ou se sentir à sa place dans sa communauté, se dire qu'on est en train de faire dans la vie ce pour quoi on est là, en fait.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce que tu dirais à la Inès enfant ?

  • Speaker #1

    D'être moins exigeante avec moi-même.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu as une devise ?

  • Speaker #1

    Oui, j'aime beaucoup une citation de Toni Morrison, l'écrivaine américaine, qui dit que Ne laissez personne vous persuader que le monde est ainsi fait et que par conséquent c'est ainsi qu'il doit être.

  • Speaker #0

    Un livre que tu nous recommanderais ?

  • Speaker #1

    Bien sûr, les livres d'Edward Said sur tout, l'exil, le rôle des intellectuels. Vraiment, si vous n'avez pas encore lu Edouard Saïd, l'orientalisme, tout.

  • Speaker #0

    Un lieu ?

  • Speaker #1

    Le bord de mer, bord de la mer méditerranée, plus précisément.

  • Speaker #0

    Une odeur ?

  • Speaker #1

    La fleur d'oranger.

  • Speaker #0

    Et une chanson ?

  • Speaker #1

    Je vais rester dans le même thème. Et c'est Ana Ausha el Bahra de Najat El Sarira.

  • Speaker #0

    Et une femme que tu me recommanderais d'inviter sur le podcast ? ou dont tu aimerais écouter le parcours ?

  • Speaker #1

    Oui, il y en a tellement, mais je vais dire, dans mes camarades palestiniennes, et je sais que tu en as déjà invité, euh... Je pense par exemple à Diala Ausha, qui est une avocate aux États-Unis, mais qui est francophone, et qui a mené Biden devant justement les tribunaux pour génocide. Ou encore Nada Tarbouch, qui est diplomate palestinienne à Genève en ce moment.

  • Speaker #0

    Inès, je te remercie infiniment. Et c'était un vrai plaisir, vraiment.

  • Speaker #1

    En tout cas, bravo pour ce podcast et toutes les invitées tellement inspirantes à qui tu permets d'avoir une voix.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup, merci pour ton combat. C'est compliqué pour moi de clôturer cette interview. Je ne sais pas comment le clôturer, hormis mille merci Inès. À très bientôt. Cet épisode de Heya est maintenant terminé. Je vous remercie sincèrement de l'avoir écouté jusqu'au bout. Ce qui, j'espère, veut dire que vous l'avez apprécié. N'hésitez pas à le partager autour de vous, avec des amis ou sur les réseaux sociaux. C'est ce qui permet au podcast de Grandi. Vous pouvez aussi le noter 5 étoiles et me laisser un petit commentaire. C'est un vrai plaisir de les lire. Si vous avez des questions ou voulez me suggérer une invitée, n'hésitez pas à me contacter sur la page Instagram Hiya Underscore Podcast. A très bientôt.

Description

En cette veille de la journée internationale des droits des femmes je suis particulièrement émue de partager ma conversation avec Ines Abdel Razek, Directeur Executive au sein du Palestine Institute for Public Diplomacy (PIPD). 


Avant cela, Inès a travaillé au sein de l´Union pour la Méditerranée, l’ONU puis a exercé en tant que consultante au bureau du premier ministre palestinien.


L’Interview a été enregistré à distance car elle est actuellement basée à Ramallah.


Ines est née à Paris d’une maman française et d´un papa refugié palestinien militant de l’OLP (Organisation de la libération de la Palestine) ce qui la conduira à rencontrer plusieurs fois Yasser Arafat. Durant son enfance, elle vit de façons périodiques en France et en Palestine. Elle nous parle avec nostalgie de ses années passées à Gaza.


Inès revient sur ses années d´étude à Science Po, ses premières expériences professionnelles et ce qui l’a incité à s’installer en Palestine afin de s’engager en faveur de son pays.

Elle nous raconte son quotidien et toutes les contraintes auxquelles sont confrontées les Palestiniens de Cisjordanie.


Nous avons également parlé de l’évolution de son identité, de l’invisibilisation des voix palestiniennes, de la transmission d´un patrimoine détruit depuis des années mais aussi du conflit actuel et de son impact sur l’ordre mondial.


Inès est devenue maman quelque jours avant le 7 octobre. Elle évoque la façon qu’elle a eu d’appréhender cette étape si importante de la vie dans le contexte actuel.


Le parcours et l’histoire d´Inès m’ont profondément touché.


Sans plus attendre je laisse place à la HeyA du jour - Inès Abdel Razek.

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Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour à toutes et à tous, ici Ausha Fourti et bienvenue sur Haya. En arabe, Haya signifie elle C'est parce que ce mot n'est pas suffisamment utilisé pour parler de réussite et d'ambition féminine que j'ai décidé de lancer ce podcast. Les inégalités et la sous-représentation liées au genre sont malheureusement une réalité et une approche intersectionnelle ne fait qu'amplifier ces phénomènes. Chaque épisode est une conversation où j'invite une femme de culture arabe à venir partager son histoire et évoquer sa réussite. Mes invités ont toutes des backgrounds et trajectoires différentes. Elles sont journalistes, entrepreneurs, écrivaines, artistes ou encore médecins, et vous serez, je l'espère, inspirés par leur réussite. L'objectif de ce podcast est doux. Tout d'abord, commouvoir une image différente de la femme arabe, en mettant en lumière ses parcours exceptionnels, mais aussi aider les plus jeunes ou celles en quête de renouveau à trouver des rôles modèles et ambitionner leur avenir. Ma conviction ultime est que la seule manière d'y croire, c'est de le voir, ou en l'occurrence l'entendre. Si ce podcast vous plaît, je vous invite à prendre quelques minutes pour le noter 5 étoiles sur iTunes ou Apple Podcasts. C'est la meilleure manière de le soutenir. Sans plus attendre, je vous laisse découvrir notre invité du jour. En cette veille de la Journée internationale des droits des femmes, je suis particulièrement émue de partager ma conversation avec une palestinienne, Inès Abdelrazek, directeure exécutive au sein du Palestine Institute pour Public Diplomatie. Avant cela, Inès a travaillé au sein de l'Union pour la Méditerranée, l'ONU, puis a exercé en tant que consultante au bureau du Premier ministre palestinien. L'interview a été enregistrée à distance car elle est actuellement basée à Ramallah. Inès est née à Paris d'une maman française et d'un papa réfugié militant de l'OLP, l'Organisation de la Libération de la Palestine, ce qui la conduira à rencontrer plusieurs fois Yasser Arafat. Durant son enfance, elle vit de façon périodique en France et en Palestine. Elle nous parle avec nostalgie de ses deux années passées à Gaza. Inès revient sur ses années d'études à Sciences Po, ses premières expériences professionnelles et ce qui l'a incité à s'installer en Palestine afin de s'engager en faveur de son pays. Elle nous raconte son quotidien et toutes les contraintes auxquelles sont confrontés les Palestiniens de Cisjordanie. Nous avons également parlé de l'évolution de son identité, de l'invisibilisation des voix palestiniennes, de la transmission d'un patrimoine détruit depuis des années, mais aussi du conflit actuel et de son impact sur l'ordre mondial. Inès est devenue maman quelques jours avant le 7 octobre. Elle évoque la façon qu'elle a eu d'appréhender cette étape si importante de la vie dans le contexte actuel. Le parcours et l'histoire d'Inès m'ont profondément touchée. Sans plus attendre, je laisse place à la réa du jour, Inès Abdelrazek. Inès, bonjour. Merci infiniment d'avoir accepté mon invitation. Je suis ravie de te compter parmi les réas et je suis ravie d'avoir une palestinienne et de faire entendre cette voix qui, malheureusement, est de plus en plus rare ou en tout cas qu'on n'entend pas assez actuellement.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, Rouchra, pour cette invitation. C'est moi qui suis honorée d'être parmi tes invités de marque sur ce podcast.

  • Speaker #0

    Inès, généralement je commence par une question un peu signature sur le podcast, mais j'aimerais commencer peut-être un peu différemment et juste demander comment ça va.

  • Speaker #1

    Écoute, c'est vrai que c'est une question qu'on a arrêté de se poser entre nous. Dès qu'on se contacte entre Palestiniens aujourd'hui, en fait on a arrêté de poser la question parce que c'est une question qui paraît futile et à laquelle la réponse n'est pas du tout straightforward. Je fais beaucoup d'anglicisme parce que j'enverrai mon français. Mais voilà, je pense que je me dis toujours que j'ai beaucoup de chance. Moi, à Ramallah, j'ai un toit, j'ai une vie assez normale, entre guillemets. Donc, je me dis toujours que j'ai beaucoup de chance. Donc, je dirais que personnellement, ça va. Et j'ai un bébé depuis peu qui me permet aussi de maintenir ma santé mentale, je dois dire. Et c'est très précieux. Donc, voilà, je dirais que je vais plutôt bien considérer toute chose égale par ailleurs, au vu du contexte.

  • Speaker #0

    Merci. Inès, la question signature serait de commencer par les origines. Est-ce que tu serais d'accord de nous parler de ton éducation, l'environnement dans lequel tu as grandi, le type d'éducation que tu as pu avoir ?

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai que la question, j'ai toujours eu peur, enfin pas peur, mais cette question m'a toujours procuré un peu d'angoisse dès qu'on me demandait tu viens d'où ? Et c'est la question que tout le monde pose, c'est assez naturel, on me la pose d'ailleurs toujours. Ici en Palestine, puisque je viens de la diaspora des exilés, et donc mon arabe n'étant pas complètement bilingue, il y a toujours cette question qui revient, mais tu viens d'où ? Et quand je suis en France, c'est pareil, mais tu viens d'où ? Et donc c'est vraiment une question qui pour moi a toujours été une source d'angoisse, de comment je vais répondre ? Et je pense que cette réponse a évolué au fil du temps, clairement. Mes identités, mon identité ayant beaucoup évolué, je pense que l'identité est fluide, et je pense que... En grandissant, en vieillissant, on évolue toujours en fait. C'est vraiment un concept et une chose mouvante. Moi, je suis franco-palestinienne, c'est comme ça que je me définis souvent. Ma mère est française et mon père est palestinien, donc j'ai vraiment... Et pendant très longtemps, j'ai souvent dit je suis moitié palestinienne et moitié française Et en fait, j'ai arrêté de dire ça. Je suis 100% palestinienne et 100% française, je pense, de différentes manières. Et donc, je suis née à Paris, donc d'un père réfugié palestinien, toute ma famille paternelle étant réfugiée au Liban depuis 1948. et mon père ayant émigré en France et ma mère étant française bretonne d'origine. J'ai grandi dans différents endroits, j'ai beaucoup déménagé. Mes grands-parents eux-mêmes, maternels ou paternels, ayant eux-mêmes déménagé, soit par exil forcé, soit par le travail en France. Donc en fait j'ai quand même une histoire familiale où tout le monde a beaucoup bougé géographiquement. Et donc c'est vrai que c'est difficile pour moi, quand on me demande mais où est... ta maison en fait, où est home ? J'ai vraiment du mal à répondre à cette question et c'est pour ça que moi je me crée mon propre foyer, ma propre maison, là où je suis souvent avec les personnes autour de moi. Donc voilà je crois d'où je viens, mais je suis très ancrée dans la culture palestinienne et française ça c'est évident.

  • Speaker #0

    Et enfin, du coup la culture palestinienne était très présente, ton papa ne te parlait pas arabe en termes de nourriture de fêtes, etc. C'était un mélange ? Comment c'était ?

  • Speaker #1

    C'était un mélange, alors c'est un peu particulier. Pour la question de la langue, c'est le cas, je pense, de beaucoup de papas immigrés qui ont arrêté de parler leur langue paternelle aux enfants. Donc mon père m'a parlé en français, malheureusement, une fois qu'on a commencé à parler. Il parlait arabe avec tous les gens autour de lui, sauf ses enfants et sa femme. Donc malheureusement, j'ai dû réapprendre l'arabe derrière en fait plus tard. Et je pense que c'est une erreur. J'aurais aimé qu'il continue à faire cet effort. Donc aujourd'hui, je sais que mon mari qui est palestinien aujourd'hui, lui, il fait l'effort de parler l'arabe. Il parle français aussi, mais on parle français à notre fils et arabe. Et je pense que c'est très important. De zéro à sept ans, j'ai grandi dans une banlieue parisienne, l'imitrof de Paris. Et après, je suis partie à Gaza. Donc c'est un petit peu particulier parce que j'ai été immergée aussi. assez tôt dans la culture palestinienne. Mais à Paris, de 0 à 7 ans, c'était en fait un mixte. On avait beaucoup les amis de mon père, la communauté un peu palestinienne. Mon père est à la retraite, mais il était diplomate à l'OLP, il était militant à l'OLP, donc actif politiquement. Et donc, la plupart de ses amis étaient aussi des militants palestiniens ou arabes. Et donc, voilà, notre quotidien était à la fois très français. J'allais en vacances chez mes grands-parents maternels et puis on était à l'école française, etc. Mais on avait quand même ces retrouvailles de la communauté palestinienne. On traînait au resto libanais des parents de mes amis d'enfance. Il y avait quand même ce côté-là. Donc, c'était un mélange, mais qui n'était pas très, très conscient. J'ai eu... Très tardivement, mon identité palestinienne a beaucoup évolué. Tout ça a été assez mélangé. Pareil pour la nourriture, tout ça a été... Je ne me suis jamais trop posé la question, mais mon père faisait par exemple le labané, il la faisait à la maison avec la faisselle du supermarché français. Mais tout ça était très ancré dans les habitudes du petit-déj chez nous. Mais voilà, c'était assez mélangé en fait.

  • Speaker #0

    Et tu disais que ton papa était militant. Comment est-ce que ça se ressentait à la maison ? Est-ce que son engagement était partagé à la maison ou est-ce qu'il gardait quelque chose d'assez cloisonné, plus à l'extérieur, et puis sa vie de famille protégée Je ne sais pas si c'est le bon terme.

  • Speaker #1

    Ce qui est intéressant, c'est que je dirais que c'est ma mère qui est française, qui était militante aussi, qui a vécu au Liban, qui a ensuite nous emmené, elle, à Gaza. Mon père est resté à Paris pour son travail. C'est plutôt ma mère qui, proactivement... a essayé de nous ancrer dans cette culture palestinienne, puisque mon père, lui, il a eu justement la réaction plutôt inverse. Donc autant on était dans les fêtes de la communauté, etc., autant je pense que ça a tellement été un poids pour lui, ce combat, en fait, qui était difficile. Et moi, je suis née fin des années 80, donc il faut bien voir que l'OLP, pendant les années 80, s'était vue comme un mouvement terroriste. Ma mère, avec sa famille, ça a été très difficile de faire accepter qu'elle se marie avec un palestinien. À l'époque, c'était vraiment le palestinien de l'OLP, terroriste. Alors, ça fait écho aujourd'hui à toute cette image des palestiniens terroristes, mais il faut bien voir que c'était le cas avec d'autres profils politiques à l'époque. Et donc, lui nous a beaucoup protégés de tout ça. Et c'est d'ailleurs que maintenant, maintenant que je suis engagée, maintenant que c'est mon... C'est mon engagement, c'est mon quotidien de me battre pour la cause palestinienne, que je parle politique avec mon père. Mon père ne nous a jamais parlé de son quotidien, de choses politiques, de son travail. Il a toujours vraiment cloisonné, je pense, pour nous protéger de ça, et avec l'idée qu'on est nés français, on est nés libres, on est nés dans un pays où on n'a pas forcément à se préoccuper de ce poids de la cause palestinienne. Et donc, quelque part, il a essayé de... Enfin, il n'a pas transmis, il ne nous a pas transmis ça. Et c'est vraiment moi qui ai dû faire mon éducation politique seule, pour beaucoup. Seule et bien sûr à travers les expériences inconscientes qu'il nous a aussi transmises. Mais je pense que quand il nous l'a mené, c'était très inconscient. Mais il y a des petites choses, bien sûr. J'ai rencontré Yassar Arafat à plusieurs reprises dans ma vie, dans mon enfance, parce que mon père travaillait avec lui. Et moi, j'avais... J'ai probablement très peu de conscience aussi de qui était Yasser Arafat. Je savais que c'était quelqu'un d'important et tout le protocole autour faisait que, on sentait que c'était important, mais je n'avais aucune conscience politique de la figure. Et je sais que mon père avait une arme à la maison. Il y avait un pistolet chez nous qu'il ne lui avait jamais utilisé, mais il avait le droit au port d'arme parce que c'était dangereux, parce qu'il y avait eu des assassinats de personnalités de l'OLP. Et tout ça, je pense que... C'était très inconscient. Je me rappelle de choses a posteriori, en fait. Mais c'est des petites choses comme ça dont je me rappelle. Je me dis, oui, en effet, ce n'est pas normal d'avoir un pistolet chez soi. Et plus tard, j'ai appris d'autres choses, qu'il n'avait pas le droit de se mettre de haut aux fenêtres. Mais tout ça, dans le quotidien, dans un HLM de banlieue parisienne, ça ne faisait pas beaucoup de... Je ne faisais pas le lien avec la réalité politique de tout ça.

  • Speaker #0

    Et puis, enfin, on a l'impression que le monde dans lequel on évolue, c'est la norme et on a peu de... De benchmark et de comparaison, donc j'imagine que c'est avec le temps que c'est venu. Tu parlais, Inès, tout à l'heure de ces quelques années à Gaza, où vous êtes repartie à l'âge de 8 ans avec ta maman. Tu peux nous en parler un peu plus ?

  • Speaker #1

    Alors, je ne suis pas repartie à Gaza, parce que ma famille, elle est originaire d'un village sur la côte du nord de la Palestine historique, qui est tout proche de la frontière avec le Liban. Mais il se trouve que ma mère voulait monter une école française à l'époque à Gaza. enfin une école francophone. Et bon, ça n'a pas marché pour des raisons politiques, mais on est partis deux ans, oui, entre 1995 et 1997 à Gaza. C'était vraiment les bonnes années de Gaza, en fait. C'était les années du retour de Yasser Arafat dans la bande de Gaza, donc du retour de l'OLP en Palestine. C'était juste après les accords d'Oslo. Donc c'était vraiment l'époque où, je me souviens, c'était l'époque où on a... poser la première pierre pour un aéroport à Gaza, où on discutait, où il y avait vraiment beaucoup de construction, des choses qui se faisaient, en ayant l'espoir qu'il y ait un État palestinien qui se construise. Cet espoir est très vite retombé, malheureusement. Il y a Benyamin Netanyahou qui est arrivé au pouvoir en 1996, tout ça, mais en tant qu'enfant, moi je dois dire que ça a été vraiment deux belles années, parce que j'ai fait partie d'une troupe de Dapke, qui est la danse folklorique palestinienne. On avait une maison avec un jardin, donc c'est vrai que par rapport à un HLM parisien, ça changeait beaucoup. On avait des orangers, on habitait au bord de la mer. Et voilà, je pense que c'était en tout cas la période d'espoir. Et c'est d'autant plus dur, parce que la dernière fois que j'ai pu aller à Gaza, c'était en 2003. Et à partir de 2006-2007, en fait, ça a été complètement interdit qu'on y aille. Et aujourd'hui, ça fait six ans que je suis en Palestine, et c'est à peine à une heure et demie de route, et on n'a pas le droit d'y aller. Donc tous ces souvenirs d'enfance... ont dû rester des souvenirs d'enfance. Je n'ai pas pu y retourner ou me refaire une idée. Je sais que ça a tellement changé avec le blocus. Maintenant, avec le génocide, ils ont vraiment tout détruit. Je pense que c'était important pour moi de vivre ces deux années-là, où en plus j'ai parlé l'arabe et je me suis fait des amis, etc. Mais c'est un lien qu'on m'a lié après. On nous a coupés. Et on en parle souvent avec des amis de Ramallah aussi, c'est-à-dire que beaucoup ont de la famille à Gaza, avec qui on leur a nié ce lien en fait, on nous nie un lien émotionnel, un lien réel avec des personnes, on nous nie l'amour, le deuil, tout ça, parce que ça paraît lointain en fait. Moi les seules personnes de Gaza avec qui je parle, je les connais par WhatsApp, de mon âge quoi, des gens d'une trentaine d'années, je les connais par WhatsApp, par Zoom, mais on s'est jamais vus. Voilà, on nous nie un lien fort et moi c'est ce lien que j'ai créé à l'époque et après je suis rentrée en France. Donc voilà, c'était deux années importantes et c'était des années, rétrospectivement, j'ai compris parce que en fait c'était la fameuse visite de Jacques Chirac à l'époque, j'y étais quoi. C'est-à-dire que j'étais là quand la limousine de Jacques Chirac est rentrée à Gaza. En fait c'était une époque assez chargée, mais tout ça je l'ai compris que plus tard. Et j'ai compris plus tard... Voilà, cet espoir en tout cas et cette positivité qui existait pendant ces années-là, mais qui malheureusement, on a très bien compris qu'Israël n'avait aucune intention. qu'un État palestinien voit le jour et que Gaza est resté isolé, et d'autant plus a été marginalisé, bloqué, sous siège, etc. Donc voilà, je dirais que c'était deux années importantes pour moi.

  • Speaker #0

    J'imagine. Et comment se fait le retour en France ? Tu étais contente ou tu l'as vécu un peu comme un premier déchirement ou un deuxième déchirement, je ne sais pas ?

  • Speaker #1

    Je pense que j'ai beaucoup déménagé dans ma vie, et donc j'ai beaucoup changé d'endroit. J'ai pas toujours vécu à Paris, en France, et donc je dois dire que c'est quelque chose que j'ai intégré, et je pense que c'est quelque chose que mes parents m'ont beaucoup transmis aussi. Je pense que l'exil fait partie de moi, en fait. C'est-à-dire que mon identité, et c'est pour ça que, bien sûr, tout ce que écrit Edouard Saïd et tout ça, ça me parle beaucoup, c'est que l'exil fait partie de mon identité. Ça, c'est une évidence. Que ce soit d'ailleurs... Encore une fois, la transmission intergénérationnelle de l'exil de mes grands-parents palestiniens, et le fait que je pense que l'exil a fait partie de ma vie de toute façon. Donc quelque part, j'ai réussi à embrasser ça. Je dois dire que c'est plutôt à l'adolescence, où pour le coup, j'ai fait un... Je crois que j'ai fait un rejet, mais comme beaucoup d'ados, j'ai fait un rejet de ce déracinement. Et en fait, c'est en retournant à Jérusalem, parce que je suis retournée à Jérusalem au lycée. pour vivre un an. Et je n'avais pas envie de quitter Paris à l'époque, quand j'étais ado. C'est là où j'avais beaucoup de conflits d'identité. Je voulais être française, je me suis dit je n'ai pas de problème dans ma vie. Je n'avais pas envie de retourner en Palestine, je ne voyais que des problèmes. C'était la seconde intifada. Je me disais pourquoi aller là-bas ? Rétrospectivement, ça a été très riche comme année, mais c'est vrai que c'était une année très difficile là-bas, au lycée, à Jérusalem, dans un contexte de seconde intifada, de tensions permanentes. Mais voilà, je pense que toutes ces années à aller et venir, quelque part, m'ont aussi forgé mon identité. Et c'est là aussi où ça fait partie de ce qu'on me demande encore aujourd'hui, parce que j'habite à Ramallah, mais je ne suis pas de Ramallah, ma famille n'est pas de Ramallah. J'ai vécu à Gaza, j'ai vécu à Jérusalem. Même en tant que palestinienne, les palestiniens ne comprennent pas, parce que les palestiniens, en tout cas ceux qui sont en Palestine, ont une identité très locale, c'est-à-dire que ma famille vient de Naplouse, ma mère vient de... soit de 48, de Saint-Jean-d'Acre, et puis mon père vient de Naplouse. Et donc les gens ont une identité assez marquée de famille. Leur famille vient d'un endroit. Le nom de famille souvent porte la marque d'où on vient, si on vient d'Ebron ou si on vient de Jérusalem. Moi, c'est vrai que je n'ai pas cet ancrage local, parce que ma famille n'est plus en Palestine. Je suis la seule qui a réussi à revenir, à retourner. Alors, c'est pas sans problème, on pourra en discuter, mais si je suis là, c'est parce que je l'use encore pour essayer de rester. J'ai pas le droit d'être là en tant que palestinienne, parce que les réfugiés n'ont pas le droit au retour. Je suis là avec mon passeport français, mais ça a créé tout un tas de problèmes aussi. Mais ma famille, ils ont toujours été exilés au Liban, à Beyrouth, en fait. Et donc, c'est vrai que c'est compliqué pour les gens de se situer, mais du coup, je suis pas de Ramallah, je suis de la diaspora. En même temps, j'ai vécu à Gaza, à Jérusalem, donc c'est... Voilà, c'est toute cette... Tout ça, je porte ça en moi. Même dans mes propres identités nationales, c'est très multiple.

  • Speaker #0

    Et à quel moment, Inès, tu as assumé, tu parlais de l'adolescence, où il y a eu un rejet, et puis contexte compliqué, pourquoi porter ça ? Je suis aussi française, je vais garder un peu le côté le plus léger, entre guillemets. À quel moment cette identité palestinienne, tu as commencé à l'accepter ? et la revendiquer ?

  • Speaker #1

    Je pense qu'il n'y a pas eu de moment charnière, mais j'ai eu plusieurs expériences qui m'ont porté de toute façon à ne pas la quitter. C'est-à-dire que dans mon enfance, notamment à 10 ans, puis à 15 ans, j'ai participé à des projets qui à l'époque étaient assez en vogue, d'essayer de réunir des Israéliens et des Palestiniens pour la paix. Ce genre d'initiatives qui pour moi, aujourd'hui, avec le recul, sont complètement contre-productives. et n'ont pas apporté grand chose mais ma génération, ce qu'on appelle un peu la génération Oslo qui a grandi post Oslo, on nous a encouragé à faire ce genre de choses. Donc j'ai tourné un film sur la paix, après j'ai participé à une chanson, une chorale, où il y avait des Palestiniens et des Israéliens. Et donc tout ça m'a toujours, enfin encore une fois, m'a accompagnée. Mais ça a beaucoup évolué dans le sens où, encore une fois, c'était beaucoup dans l'inconscience politique. Je pense que j'ai eu une éducation politique qui est venue très tardivement. Quand je vois les jeunes générations aujourd'hui, je vais avoir 36 ans donc je ne suis plus tout à fait jeune, mais les jeunes générations, je vois qu'ils se mobilisent au lycée, les jeunes étudiants qui sont à fond, qui sont dans des mouvements politiques et qui s'organisent. J'admire ça beaucoup parce que pour moi c'est venu beaucoup plus tardivement, même à la fac, même à l'école, je n'étais pas encore tout à fait mûre je pense politiquement. Donc c'est venu avec le temps. Et à l'adolescence, je voulais juste être une ado en fait. Et donc je pense que cette identité m'a portée parce que pour moi, je m'engage à la fois parce que je pense que j'ai le devoir, avec le privilège dans lequel j'ai grandi et avec tous les privilèges que j'ai de me battre en fait pour les Palestiniens qui n'ont pas cette chance. Donc je dois utiliser mon privilège, ça c'est sûr. Mais il y a aussi le fait que j'ai toujours eu du mal avec l'injustice. Ça m'a toujours affectée, en fait, l'injustice, les injustices. Et je pense que notre combat, c'est un combat qui va au-delà, en fait, de la Palestine, au-delà de la Palestine historique. Je pense que le combat des Palestiniens, il est quelque part, il y a une universalité dans notre combat. Donc c'est mon combat parce que je ne l'ai pas choisi parce que je suis palestinienne. Peut-être que si j'avais été sahraoui, je me serais battue autrement. Mais je pense qu'en tout cas, dans la cause palestinienne, il y a quelque chose de... d'universel et je pense que de fait de ma double culture j'ai une responsabilité aussi de me battre pour la cause palestinienne internationalement parce que je parle plusieurs langues, j'ai eu la chance d'apprendre plusieurs langues, parce que j'ai cette identité européenne donc je comprends aussi l'identité européenne et la situation en Europe et voilà et je dois dire que quand j'étais en fait enfant et ado en France, j'ai pas beaucoup vécu de racisme dans le sens où Alors on n'a pas la vidéo, mais j'ai beaucoup pris les traits de ma famille maternelle, donc je suis quand même blanche, et j'ai l'air blanche, c'est-à-dire qu'on ne me voit pas, on ne peut pas se dire ah tiens, c'est une arabe Donc il y a mon nom, bien sûr, qui à l'école, il y a toujours eu des interrogations, mais tu viens d'où ? et les gens n'arrivaient jamais à prononcer Abdelrazek, alors que ce n'est pas le nom le plus difficile à prononcer, mais il y avait toujours... Personne n'a jamais réussi à prononcer mon nom, bizarrement. Mais on a aussi grandi dans une France où je dois dire que je pense que c'était plus facile quand moi j'étais enfant que les enfants aujourd'hui ou les ados d'aujourd'hui. Il n'y avait pas la question de la religion, on ne se posait pas. Je veux dire, moi mon père est musulman, mon nom est musulman, mais on ne m'a jamais posé la question de la religion. C'était un peu la France black blamber dans le sens où j'ai l'impression peut-être parce que je suis partie depuis 12 ans de la France, donc encore une fois je vois ça de l'extérieur. Mais j'ai l'impression que c'était quand même moins difficile à l'époque, dans les années 90. Et je pense aussi qu'il y avait un... Malheureusement, dans la société française, il y avait une différenciation. Moi, je viens de Palestine, donc les gens étaient plutôt fascinés et me mettaient dans une case levantine plus que maghrébine. Et donc, je voyais autour de moi les élèves et mes camarades et mes amis qui étaient maghrébins ou d'origine maghrébine. Eux, pour le coup, ils étaient beaucoup plus sujets au racisme que moi. Parce que ça ne soulevait pas les mêmes imaginaires coloniaux ou post-coloniaux. Ça paraissait plus lointain, le Moyen-Orient, le Proche-Orient. Ça paraissait plus quelque chose d'exotique et quelque chose où il y a un conflit. On me demandait mon opinion, mais c'était moins lié à des préjugés et à du racisme qu'on peut voir contre les populations arabes d'origine maghrébine et d'ex-colonie française.

  • Speaker #0

    Et là, Inès enfant, dans ce contexte, tu rêvais de quoi ? Tu t'imaginais un métier ? Tu voulais être comme papa, comme maman ?

  • Speaker #1

    Non, justement, pendant très longtemps, je me suis dit que je n'allais jamais faire comme papa. Et résultat, je fais beaucoup comme papa. Et ma mère était un stit, était toujours pédagogue dans l'éducation, etc. Ce n'est pas le chemin que j'ai pris. Non, je suis passée par plusieurs phases. Je voulais être architecte. Donc, ça a beaucoup fluctué. Je dois dire que j'ai toujours eu l'impression que j'aurais le choix, mais jusqu'à très tardivement non plus, je n'avais pas beaucoup, encore une fois, accès à beaucoup d'informations. J'étais dans un lycée public où, comme beaucoup, les options qu'on nous offre sont très limitées. C'est pour le coup l'année à Jérusalem, quand j'étais au lycée en première, où là j'étais dans un lycée français à l'international, et là j'ai compris l'accès que pouvait offrir ce genre d'opportunité. dans un petit lycée, qui était très particulier en plus, parce que les profs étaient israéliens, parfois colons en Cisjordanie, et les élèves tous palestiniens ou diplomates. Donc ambiance très très bizarre dans une école à Jérusalem. Mais voilà, comme il y avait des visites diplomatiques qui étaient régulières, je me souviens qu'il y a Bertrand Delannoye, à l'époque le maire de Paris, qui est venu à l'école. Et puis, il y a des historiens qui sont venus. Et c'est là que j'ai compris ou que j'ai connu, que j'ai entendu parler de Sciences Po. Je n'avais aucune idée de ce que c'était que Sciences Po. Donc, je me suis un peu renseignée. Et puis, il y avait des enfants de diplomates où eux, ils en avaient parlé. Enfin, ils en avaient entendu parler depuis leur enfance. Moi, mon père était diplomate de l'OLP, mais en fait, c'est militant de l'OLP. Ça n'a rien à voir avec la diplomatie classique. Et donc, c'est là où j'ai entendu parler de ce que c'était que Sciences Po. Et au lycée, je pense que c'est là où vraiment j'ai... J'ai ancré un intérêt pour ce qui était sciences humaines, et puis l'histoire, la géographie, et comprendre aussi qu'on nous enseignait les choses de manière très mauvaise. Surtout sur ce sujet-là en particulier, sur la décolonisation, sur Israël-Palestine. J'ai compris qu'il y avait des choses qui n'allaient pas dans ce que disaient les profs d'histoire-géo. Et donc ce sont des matières qui m'ont ensuite intéressée. Mais pendant très longtemps, je n'ai jamais trop su comment... Qu'est-ce que j'allais être plus tard, en fait ? J'ai longtemps repoussé cette décision. Et je savais juste que je voulais être utile, en fait. Je voulais être utile. Je savais que les injustices en Palestine allaient me porter quelque part par là-bas. Mais je voulais me forger d'abord une expérience et une expertise ailleurs pour quelque part mieux revenir, je pense, en Palestine. Et c'est ce que j'ai fait.

  • Speaker #0

    C'est hyper intéressant de voir un peu cette parenthèse qui t'ouvre les yeux et l'importance du milieu. Et ça, on l'entend beaucoup. beaucoup dans le podcast. Donc Sciences Po, et là tu commences à travailler dans des organismes. Est-ce que tu t'es posé la question de travailler dans un corps d'État, par exemple, parce que c'est aussi l'un des débouchés classiques, je dirais, de Sciences Po ? Ou est-ce que très vite tu étais sur cette ligne de justice, d'être utile, et peut-être que tu, je ne sais pas, je ne vais pas parler en ton nom, mais peut-être que le corps d'État c'était quelque chose qui te semblait moins utile ?

  • Speaker #1

    Oui, alors à posteriori, c'est vrai que... Je pense que Sciences Po a été une bonne expérience qui m'a ouvert beaucoup de portes. Par contre, à postériori, je vois à quel point ça a été limité en termes d'éducation politique et en termes de formatage intellectuel. J'ai terminé mon master en 2011 et c'est depuis ces 13 dernières années que j'ai vraiment forgé mon éducation politique. Je trouve que c'était vraiment très normatif. et très peu... C'était assez lisse, en fait, comme éducation. Donc, je pense que Sciences Po, c'est très bien pour apprendre à penser, à analyser, donc beaucoup d'outils, de compétences. Mais alors, en termes de challenge intellectuel et surtout de remise en question de beaucoup de choses intellectuellement, j'ai eu quelques très bons profs qui m'ont ouvert l'esprit, mais sinon, je dois dire que c'est vraiment depuis ces 13 dernières années que j'ai dû beaucoup lire. pour relire des choses, pour me forger l'identité politique que j'ai aujourd'hui. Donc ça a beaucoup évolué. Et à l'époque, c'est vrai que ça nous formate beaucoup à rentrer dans des institutions. D'ailleurs, soit dans le secteur privé, il y a beaucoup de gens qui vont en banque ou en consulting. Moi, je savais tout à fait que ce n'était pas du tout mon truc, que je voulais quelque chose au service public, enfin quelque chose au service de la société ou au service international. Et c'est poser la question, en effet, et pendant plusieurs années... Ensuite, on me l'a beaucoup demandé, mais pourquoi tu n'es pas devenue diplomate du Quai d'Orsay, la diplomatie française ? Mais j'ai toujours eu un malaise, je crois, assez profond de rentrer dans un corps d'État français. Je sentais bien qu'il y avait quelque chose qui ne m'allait pas. Ça ne me ressemblait pas de défendre la politique de la France ou de rentrer dans un corps d'État français. Ce n'était pas moi. Donc, je me suis plutôt orientée vers les institutions internationales, parce que je pense que j'avais encore cet idéalisme, on va dire, de... de penser que les organisations internationales gouvernementales avaient un pouvoir, avaient le pouvoir de changer les choses, avaient un rôle positif sur l'état du monde. Donc je suis d'abord allée à l'Union pour la Méditerranée, parce que je pense que j'ai une identité très méditerranéenne. Être franco-palestinienne, pour moi, c'est clair que c'est aussi une identité méditerranéenne. Je me sens bien en Méditerranée, je me sens bien au bord de la mer. Je vois bien qu'on a quelque chose de commun entre nous tous, qui venons du pourtour de la Méditerranée, que ce soit les Espagnols, et j'ai eu la chance de quand même aller dans beaucoup de ces pays-là. Donc j'ai commencé par l'Union pour la Méditerranée, en voyant très vite que c'était très dépolitisé, parce que quand on met autour de la table... le Liban, Israël, la Palestine et Chypre, etc. En fait, c'est impossible d'avoir un agenda qui ait un minimum de sens politiquement. Et donc, il fallait tout faire de manière technique, surtout pas parler des choses essentielles comme le dossier des migrations, le dossier de la Palestine et des droits des Palestiniens. Donc, à la fois, ça m'a beaucoup ouvert sur les questions palestiniennes parce que je travaillais sur les questions de l'eau et de l'environnement en Palestine. Mais en même temps... ça m'a beaucoup déçue par rapport au multilatéralisme et aux institutions intergouvernementales. Derrière, j'ai eu l'opportunité d'aller à l'ONU. J'ai vécu trois ans au Kenya, au siège de l'ONU pour l'environnement, parce que je voulais continuer. Je me disais que je pense que cette question environnementale est aussi assez universelle et je voulais continuer mon combat là-dedans. Et encore une fois, m'ouvrir plutôt que d'aller me focaliser sur la Palestine tout de suite, je me suis dit que ça allait m'apporter. des choses et une expertise que je pourrais ensuite ramener probablement en Palestine.

  • Speaker #0

    Est-ce que dès le début, tu t'es dit mon combat sera pour la Palestine ou c'est venu vraiment en avançant avec l'actualité, etc. ? Est-ce que là, quand tu es au Kenya, tu sais que tu vas rebifurquer vers le sujet palestinien ?

  • Speaker #1

    En fait, je l'ai vécu de manière assez très personnelle en arrivant à l'ONU, à Nairobi. Donc, ce sont des agences qui sont là-bas. C'est quand même des milliers d'employés de l'ONU. C'était 2014 et c'était la guerre à Gaza. Gaza a vécu plusieurs guerres atroces de ces dernières années. Là, on est vraiment dans un génocide où Israel a volonté d'annihiler complètement la bande de Gaza. Mais il y a eu des vagues de bombardements très dévastatrices pour Gaza depuis 2009. 2014 a été vraiment une vague de bombardements vraiment terrible. Et je suis arrivée là-bas et je me sentais très impuissante. En fait, je suis arrivée et je me suis dit mince, c'est la guerre à Gaza Je me sens impuissante et je voyais bien autour de moi que les employés de l'ONU et les gens qui travaillent dans le développement avaient peur de parler du sujet. Et avaient comme ça un peu cette empathie, mais cette empathie un peu à la fois honteuse et lointaine. Et ils avaient peur de parler, ils avaient peur de faire quelque chose. Et moi ça m'a beaucoup déçue et il y avait très peu d'arabes dans ces agences de l'ONU là-bas à Nairobi. Donc je me suis sentie assez seule. Et j'ai trouvé une ou deux personnes qui étaient d'origine palestinienne ou pas et qui étaient très solidaires avec les Palestiniens. Et on a organisé un événement, un concert. On a trouvé des artistes qui nous ont donné des œuvres d'art à vendre. On a fait toute une vente aux enchères pour lever des fonds pour Gaza. Je crois que c'était vraiment le premier projet que j'ai porté moi seule pour la Palestine. Et ça m'a réchauffé le cœur. Et d'ailleurs, au bout de trois ans, j'étais vraiment déçue par les instances de l'ONU et parce qu'au fil des années, en fait, on avait des dossiers qui étaient liés justement à la destruction de l'environnement à Gaza. Et je voyais bien que j'étais à la fois marginalisée parce que j'étais palestinienne, donc on allait me voir comme biaisée sur le dossier. Alors que j'étais au bureau des directeurs, j'avais quand même une expertise sur le sujet, mais on me marginalisait de manière délibérée parce que j'étais vue comme biaisée. Alors qu'on ne fait jamais ça avec un dossier autre. Je veux dire, si un Norvégien sur les glaciers ou sur les fjords, on demande à la personne qui vient du pays, qui a l'expertise sur le sujet. Mais quand il s'agit de la Palestine, on est toujours vu, nous, Palestiniens, on ne peut pas être experts ni analystes. On est toujours vu comme biaisés, émotionnels. Et donc, ça m'a beaucoup déçue. Et je pense que c'est vraiment mon expérience sunnisienne qui, après... Voilà, m'a fait réfléchir et me dire, voilà, il est temps pour moi d'aller en Palestine. Je n'avais pas de boulot, j'ai quitté l'ONU, et une situation franchement très confortable. Il faut bien voir que les fonctionnaires de l'ONU sont très bien payés, beaucoup de privilèges. Et en plus de vivre au Kenya, en tant que blanche, alors là, ça m'a ouvert les yeux beaucoup aussi sur la situation postcoloniale. Alors, c'est une ancienne colonie britannique, donc c'est culturellement très différent, je pense, des anciennes colonies françaises. Mais clairement, de voir aussi... Toute cette dynamique-là, j'avais clairement pas envie de rester. Et deux, je me suis dit qu'il était temps pour moi d'aller en Palestine. Et ça a été très riche. J'ai vraiment beaucoup appris. Je ne regrette pas du tout. Mais je pense que ça m'a ouvert les yeux sur beaucoup de choses, toutes ces expériences professionnelles. Et ça a fait partie de mon éducation politique, clairement.

  • Speaker #0

    Et là, du coup, tu arrives en Palestine sans rien, sans job. Tu t'installes où et quels sont tes projets à ce moment-là ? Est-ce que tu as une feuille de route ? Tu as prévu, tu as un peu une vision sur ce que tu voulais faire ?

  • Speaker #1

    Non, alors j'arrive avec mon visa de touriste. Alors, il se trouve qu'à partir de 2012 quand même, quand j'étais à l'Union pour la Méditerranée, j'ai commencé un peu à m'organiser avec d'autres Palestiniens de ma génération. Donc, j'ai commencé à étoffer, on va dire, mes contacts et mes réseaux et mes activités. avec d'autres Palestiniens. Et c'est là où je me suis sentie quand même moins seule. Et à partir de ce moment-là, quand même, j'étais déjà un peu active. J'ai fait un ou deux séjours en Palestine en visite en 2013. Et puis après, en fait, c'est quand je l'ai déménagé là-bas en 2017. Mais je dois dire que j'avais quand même quelques contacts. Et donc, c'est à travers eux que j'ai commencé à me dire, voilà, à les contacter, à voir un peu qu'est-ce que je pourrais faire. Il y a la question du visa qui se pose, puisque, donc, encore une fois, moi, je rentre en Palestine en tant que Française. Les Israéliens ne savent pas que je suis palestinienne. Je suis née à Paris, je suis française, et en fait, il faut que je cache, moi, auprès des Israéliens, mon identité palestinienne. Et c'est pour ça que, voilà, moi je suis vocale dans les médias, etc. Donc je sais toujours le risque que je prends, parce qu'en fait, je suis quand même toujours sur un siège éjectable dans ce pays, parce que je n'ai pas le droit d'être là en tant que palestinienne. Je suis là en tant que française, et aujourd'hui, il se trouve que mon mari, il est de 48. Mon mari, il est palestinien. Il fait partie des Palestiniens qui ont un passeport israélien. Il fait partie des survivants de la Nagba, en fait. En tant qu'épouse française d'un Palestinien de 48, j'ai le droit, quelque part, à un visa d'épouse. Et c'est comme ça que je suis légale aujourd'hui. Mais ça a toujours été très précaire. C'est-à-dire qu'on arrive, on a un visa de touriste, on repart. Et puis, évidemment, on reste toujours six heures à l'aéroport. Et pourquoi t'es là ? Et qui t'es ? Et qu'est-ce que tu fais ? Donc, je dois dire qu'avoir travaillé à l'ONU, ça m'a beaucoup protégée. parce que c'est quand même une institution internationale qui est protégée par un statut diplomatique. Donc ils m'ont toujours vue sous ce prisme-là. C'est-à-dire que mon passé à l'ONU m'a quand même beaucoup protégée, je pense, sur place. Et je travaillais sur l'environnement, donc ce n'était pas vu comme trop politique. Et donc petit à petit, plus mon profil est devenu militant et politique, plus j'ai pris des risques et plus je prends des risques. Mais voilà, ça fait partie des risques que je pense que je dois prendre. Et donc j'arrive. Et en fait, j'atterris au bureau du premier ministre palestinien parce que mon profil était beaucoup lié à l'aide au développement et aux politiques internationales. Ils avaient besoin d'une consultante sur ces sujets-là. Et donc, j'ai vu l'autorité palestinienne de l'intérieur. Donc, ça a été un an et demi, je dois dire, assez horrible. Alors évidemment, j'ai coupé mon salaire par 4000. Mais c'était très intéressant, mais à la fois très traumatique. Je pense que si le dernier espoir que j'avais, qu'on puisse nous-mêmes, les Palestiniens, changer le système de l'intérieur de l'autorité palestinienne et des instances de l'OLP, en fait, j'ai compris pendant cette année et demie que ça n'allait pas être possible. Et c'est là que j'ai fait mon chemin vraiment vers essayer de m'organiser et d'organiser des collectifs dans la société civile, en fait, et dans le monde plutôt des mouvements citoyens et des ONG, parce que, clairement... L'autorité palestinienne est au bout de sa vie, mais vraiment de manière littérale. C'est-à-dire que je ne pense pas qu'on peut réformer l'autorité palestinienne. Je pense qu'on a un vrai besoin de renouveau dans les instances de leadership palestinien, ça c'est évident. Et je pense que c'est aussi en dehors de ces institutions qui ont été complètement accaparées par le régime d'Oslo, et ce que le système d'Oslo a mis en place. malheureusement complètement dépendant et dominé par Israël. Donc c'est un peu à l'époque, pour l'autorité palestinienne, c'est un peu comme à l'époque des Willaya, enfin dans les anciennes colonies françaises, c'est-à-dire que c'est les autorités locales qui en fait sont contrôlées par le colon et qui sont à la merci des décisions des colons et qui ont des Palestiniens en fait à leur tête, mais qui répondent aux intérêts israéliens en fait. C'est des marionnettes en fait. C'est des marionnettes. Et l'autorité palestinienne pour importer le moindre camion, la moindre denrée, pour apporter l'électricité dans nos villes, etc. doivent de toute façon avoir l'autorisation israélienne. Donc en fait on est quand même à la merci de l'occupation israélienne. Et ça je l'ai vite compris. Et j'ai vite compris qu'en fait au sein de ces bureaux-là, ce statu quo n'était pas remis en question. C'est-à-dire que cette dynamique-là politique n'était pas remise en question. Et ça m'a... Ça m'a dégoûtée en fait.

  • Speaker #0

    Mais c'est fou que ce ne soit pas remis en question de l'intérieur. Après, je comprends la structure et le statut de la Palestine, la colonisation, mais que de l'intérieur, il n'y ait pas une volonté de rébellion, de changer les choses, de faire des choses différemment, sans que ce soit toujours de manière... officielle, parce que contre les règles instaurées, mais tu trouvais vraiment qu'il y avait un statu quo, une résignation en quelque sorte ?

  • Speaker #1

    Je pense qu'il y a beaucoup de gens qui étaient résignés au sein, on parle là vraiment au sein de l'autorité palestinienne, il y a beaucoup de gens bien dans les fonctionnaires ou dans les gens qui travaillent, qui essayent de faire les choses bien, ça c'est vrai. Mais je pense qu'il y a une vraie résignation à l'idée que... pour que les écoles fonctionnent, l'autorité palestinienne, elle fait aussi fonctionner tous les services pour les Palestiniens qui habitent dans les petits îlots qui sont contrôlés par l'autorité palestinienne, c'est-à-dire l'intérieur des villes, comme Ramallah, Naplouz, etc. Et donc, quelque part, les gens se disent qu'il faut bien faire fonctionner la machine, en fait. Mais par contre, au niveau politique, je pense qu'il y a des intérêts, il y a des gens qui ont bénéficié des accords d'Oslo et bénéficient personnellement pour leur pouvoir, pour leur compte en banque. Il y a beaucoup de népotisme, il y a beaucoup de corruption. Ce n'est pas une corruption financière, c'est vraiment comment maintenir une machine qui permet à des familles de se maintenir et beaucoup à faire de l'argent sur le dos de l'occupation et à bénéficier du statu quo. Donc, je pense que le système lui-même, il doit être mis à terre. C'est-à-dire que les institutions qui ont créé le régime d'Oslo, encore une fois, en étant... constamment à la merci des autorisations israéliennes, de la coordination sécuritaire avec Israël, de la coordination avec l'occupation israélienne, tout ça doit être complètement chamboulé en fait. Et donc la rébellion s'organise évidemment mais en dehors de ces structures bureaucratiques. Parce que ça a créé des structures bureaucratiques qui vraiment sont solides quoi. Il y a des comités qui en sont sortis et donc c'est une machine qui fonctionne et tous ces rouages là sont difficiles quand même à démanteler donc la... Je pense que c'est en dehors de ces rouages-là que la rébellion s'organise, et c'est pour ça que les Palestiniens sont frustrés. Je veux dire, que ce soit la résistance populaire, que ce soit à travers les canaux diplomatiques que moi j'essaie d'utiliser, donc je suis plutôt, on va dire, chez la diplomatie citoyenne, ou la résistance armée, tout ça, en fait, ça s'organise en dehors de l'autorité palestinienne, et les gens sont frustrés et utilisent cette frustration pour résister d'une manière ou d'une autre. Donc voilà, je pense que c'est cette... Cette expérience m'a appris ça et m'a aussi appris que, on m'a aussi confirmé les limites, les limites et vraiment les défauts de notre diplomatie, de la diplomatie palestinienne officielle qui représente l'autorité palestinienne et l'OLP à l'étranger. C'est pour ça que je me suis engagée dans cette voie de toute façon parce que, un, c'est ce que je peux apporter, c'est-à-dire que c'est le pont avec l'international et c'est de porter la voie de la Palestine. à l'international, essayer de faire changer les choses quant à la complicité internationale avec Israël, et en comprenant bien justement les limites des ambassades de la Palestine à l'étranger, qui sont elles-mêmes devenues totalement soit impuissantes, soit des marionnettes à la merci du leadership palestinien à Ramallah, qui n'ont pas du tout les demandes, qui sont tellement déconnectées de la population et des demandes des Palestiniens.

  • Speaker #0

    Et aujourd'hui Inès, tu es... Executive Director au Palestine Institute for Public Diplomacy. Est-ce que tu peux nous parler un peu des activités de cet organisme et en quoi consiste ton rôle ?

  • Speaker #1

    Oui, alors on est une petite organisation qui a six ans d'existence et qui est née justement avec cette idée qu'on voyait bien en fait l'absence des voix palestiniennes, l'invisibilisation des Palestiniens à l'étranger et aussi le manque d'action stratégique à l'étranger pour remettre en question les alliances. de beaucoup de pays avec Israël. Je dirais en gros que, pour la faire courte, on essaie d'être un lobby palestinien. Mais un lobby, pour moi, ce n'est pas un gros mot. C'est-à-dire que c'est comment on essaie de faire du plaidoyer et de défendre la cause palestinienne à l'étranger et de s'organiser pour, à la fois avec les Palestiniens à l'intérieur de la Palestine, mais aussi avec les Palestiniens en exil et les Palestiniens en diaspora, y compris les Palestiniens en Europe, pour faire changer les choses. Donc on travaille sur les... Trois axes stratégiques qui, je pense, sont fondamentaux aujourd'hui, c'est-à-dire un, changer le narratif et le discours. Donc essayer à la fois de contrer le narratif israélien et sioniste quant à la situation, en essayant d'éduquer, d'expliquer, d'informer, de porter des voix palestiniennes dans des instances de pouvoir et dans la rue. C'est-à-dire qu'il y a besoin, je pense, à la fois d'informer le grand public, l'opinion publique, mais aussi... de faire du plaidoyer de manière plus politique auprès d'instances décisionnaires. Et un deuxième as stratégique, c'est donc de comment faire en sorte de remettre en question les alliances avec Israël. Donc on le voit bien aujourd'hui avec le génocide, beaucoup de pays continuent à vendre des armes à Israël et à en acheter, des technologies de surveillance comme, je ne sais pas, des caméras à reconnaissance faciale qui se retrouvent à être achetées par la ville de Nice en France. pour les installer à Nice, voilà, donc tout ça fait partie de certains des dossiers sur lesquels on travaille. Et le troisième axe, c'est comment renforcer le collectif palestinien. Une des choses que je réalise, c'est que vraiment, on ne peut pas agir tout seul. Moi, si j'avais le choix, je dirais que je préférerais pour le coup être dans l'ombre. Par la force des choses, j'ai été obligée de faire des médias, surtout en 2021, lors des soulèvements à Chercharah, à Jérusalem, à l'Aqsa, parce qu'en fait, il y avait besoin de voix francophones. On est quand même assez peu de Palestiniens aujourd'hui en Palestine qui s'expriment et qui articulent un discours politique en français. Donc, il y a beaucoup de demandes. Donc j'ai par la force des choses dû m'exprimer publiquement, mais j'aime mieux faire le travail de l'ombre et derrière les coulisses, qui est de, je pense, de former des collectifs palestiniens, d'essayer en fait de joindre nos différentes voix et d'essayer de porter l'action. Il y a besoin, en fait, il y a un mot en anglais qui est organizer Je pense qu'aux États-Unis, il y a vraiment plus cette culture de organizing c'est comment on organise. des mouvements, comment on organise des collectifs, on coordonne l'action. Avec chacun ses forces. Il y en a qui sont plus forts auprès des médias, il y a les autres qui sont plus forts, il y a les avocats qui peuvent faire des actions légales. Et c'est comment coordonner toutes ces compétences, ces voix, et essayer de porter des campagnes et des actions qui auront un impact. Et pour moi, c'est ça, c'est la force de devoir... organiser des collectifs, aussi parce qu'on doit réorganiser un collectif palestinien, parce que la fragmentation est réelle. Comme je le disais par rapport à Gaza dans mon enfance, aujourd'hui on a besoin de se réunifier. La réunification du peuple palestinien, on est 14 millions, dont 7 millions en Palestine et 7 millions à l'étranger. Malheureusement il y a 2 millions de Gazaouis aujourd'hui qui sont poussés. vers un nettoyage ethnique de la bande de Gaza. Donc c'est dramatique et c'est ce qu'on essaye d'empêcher tous collectivement. Et c'est la pression qui est mise en œuvre aujourd'hui pour essayer de mettre fin au génocide. Mais je dois dire que la fragmentation, elle est réelle. La société palestinienne a été cassée par la colonisation israélienne, par le projet sioniste de colonisation depuis 1948, qui a vraiment éclaté les Palestiniens dans différentes géographies. qui a fragmenté les Palestiniens de manière aussi sociale. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, moi j'ai la chance de pouvoir vivre dans une continuité parce que je peux passer les checkpoints et je peux passer d'un côté à l'autre. Mais je vois bien qu'un Palestinien à Haïfa ou à Yaffa, qui vit maintenant du côté israélien, mais qui sont des villes palestiniennes, dans la Palestine historique, ou un Palestinien de Ramallah ou un Palestinien de Gaza, il y a quand même un gouffre dans la réalité de ce qu'on vit au quotidien. Donc on a des identités tellement multiples. et des problématiques face à l'occupation aussi différentes. Parce que l'un a besoin d'un permis pour aller dans son champ d'olivier, l'autre il travaille dans des hôpitaux israéliens avec des collègues israéliens. C'est des réalités très différentes qui nous ont fragmentées. Donc moi, mon travail à ma petite échelle, c'est aussi d'essayer de... Comment on peut, en tout cas dans notre travail collectif, d'essayer de porter de l'unité et de l'unification et des collectifs qui fonctionnent et qui se renforcent pour pouvoir... porter une voix commune parce que c'est tellement nécessaire.

  • Speaker #0

    Absolument et puis on voit l'invisibilisation qui est faite médiatiquement etc. et j'imagine que l'une des manières vraiment de contrer ça c'est d'être unis et d'être plusieurs pour que cette voix elle porte plus ou en tout cas qu'elle soit plus visible et entendue. Tu parlais du quotidien, là, tu donnais des exemples. Est-ce que tu peux nous parler un peu de ton quotidien à Ramallah ? Je pense qu'il y a beaucoup de gens, on l'entend dans les médias, mais je pense qu'on ne se rend pas forcément compte du challenge quotidien, journalier, auquel sont confrontés les Palestiniens en Palestine.

  • Speaker #1

    Oui, moi, ce qui me sidère toujours dans les médias français, par exemple, c'est qu'on montre une carte. Une carte où on voit d'un côté, ce serait le territoire israélien et de l'autre, la Cisjordanie et Gaza. Or la réalité géographique, elle n'est pas du tout celle-là. Elle est celle d'en fait, tout le territoire de la Palestine historique, donc Israël et les territoires occupés, sont contrôlés par Israël. Ça c'est une réalité. C'est-à-dire que l'armée israélienne, le régime israélien, contrôle tout le territoire. Et donc, en fait, moi à Ramallah, je vis dans un espèce d'îlot. C'est vraiment un archipel, la Cisjordanie, qui avec le mur en plus est coupé. de Jérusalem et coupée de la Palestine historique et de ce qui est Israël aujourd'hui, par le mur qui en plus, le mur ne suit pas du tout la ligne verte qu'on voit sur ces cartes, cette séparation de la Cisjordanie et d'Israël. En fait aujourd'hui, là je suis à Ramallah, depuis le 7 octobre les checkpoints sont fermés. Donc en fait Ramallah, il y a deux points de sortie aujourd'hui pour les Palestiniens. Moi aujourd'hui pour aller chez le pédiatre, parce que je dois aller chez le pédiatre du côté israélien, mon fils est suivi, comme il a un passeport israélien, il est suivi côté israélien. Et encore une fois, je n'ai pas le droit de vivre à Ramallah. Donc officiellement, c'est compliqué, mais je paye deux loyers, parce que je dois payer un loyer côté israélien pour prouver que j'habite en Israël. C'est très compliqué. Mais en gros, pour faire 13 kilomètres, c'est-à-dire aller chez le pédiatre à Jérusalem, à Jérusalem-Est, on parle, pour continuer à être en Palestine, en Cisjordanie. je dois quand même passer le mur et des checkpoints militarisés qui ressemblent à des aéroports. Je mets deux heures pour faire 13 kilomètres, c'est-à-dire qu'on doit prendre des routes de contournement parce que toutes les infrastructures en Cisjordanie et Ramallah comme Naplouz ou Bethléem, toutes ces villes en fait palestiniennes sont coupées les unes des autres. C'est-à-dire qu'il y a forcément un mur à passer et un checkpoint militaire. Les routes et les infrastructures sont faites pour les colonies israéliennes. Donc en fait les routes qu'on emprunte sont... construites pour que les colonies, elles, soient de manière totalement libre, raccrochées à Jérusalem et aux villes israéliennes. Mais les Palestiniens, du coup, les villages, sont souvent entourés de barrières, doivent prendre des tunnels et des routes de contournement pour aller simplement faire 10 kilomètres. Donc, on nous a coupé les uns des autres, même au sein de la Cisjordanie. Sans parler, évidemment, encore une fois, du blocus de Gaza, qui nous a complètement séparés de Gaza depuis très longtemps. Donc le quotidien, en fait, il est assez limité dans une petite ville. On parle Ramallah, c'est que c'est maintenant peut-être 200 000, 300 000 habitants. Et au sein de cette ville, il y a des camps de réfugiés, il y a des quartiers, il y a des inégalités sociales et économiques. Je dirais qu'à Ramallah, on est les plus privilégiés parce que c'est devenu de facto la capitale, on va dire, de l'autorité palestinienne. Donc la vie est plutôt normale. Il y a de l'électricité la plupart du temps, de l'eau. Il y a des restos, des cafés, etc. Mais on est complètement coupés les uns des autres avec le reste de la Cisjordanie et beaucoup de mes camarades à Ramallah. C'est-à-dire qu'en fait, on internalise des choses qui ne sont pas normales. Donc en fait, nos conversations entre potes, c'est... Alors du coup, moi j'essaie de donner la carte d'identité de Jérusalem à mon enfant, parce que mon mari il est de Cisjordanie, il a une carte d'identité de Cisjordanie, mais du coup il faut qu'on habite côté Jérusalem, mais c'est trop cher et puis c'est trop compliqué, donc comment on fait ? Un autre pote, malheureusement sa mère est décédée d'un cancer dans un hôpital israélien à Jérusalem, dans un hôpital côté Jérusalem, il n'a pas eu le droit d'avoir un permis pour aller la voir à l'hôpital. Des femmes qui doivent accoucher sans leur mari. Moi, j'ai une amie qui a dû accoucher sans son mari parce qu'elle a dû accoucher dans un hôpital côté israélien, comme moi. Mais son mari, lui, il n'avait pas permis pour passer le mur. Donc, en fait, elle a été toute seule à l'accouchement sans son mari. Donc, le mari a dû rater aussi. Enfin, n'a pas pu voir son enfant naître. Moi, j'ai la chance de pouvoir passer de l'autre côté. Mais c'est vrai que, par exemple, on se dit, tiens, on aimerait bien passer une journée, je ne sais pas, à la mer, dans, je ne sais pas, Yaffa, par exemple, qui est encore une ville... enfin palestinienne à côté de Tel Aviv, mais en fait la plupart de mes potes ne peuvent pas parce qu'ils n'ont pas de permis. Ou la réalité de plein de familles autour de nous qui ont les travailleurs qui vont travailler côté israélien, qui ont l'obligation, on va dire, entre guillemets économique, d'aller travailler pour Israël. Donc Israël nous tient en étau en fait, parce qu'il y a 120 000 travailleurs qui vont chaque jour travailler côté israélien ou dans les colonies. C'est des anciens prisonniers politiques. Moi j'avais discuté avec quelqu'un, il était allé en prison. israéliennes pour ses activités politiques pendant la première intifada et ils avaient construit eux les colonies, c'est-à-dire que les colonies sont construites par des travailleurs palestiniens qui mettent les pierres et l'électricité pour des colonies israéliennes. Et ça c'est le quotidien des gens en fait. Et donc c'est des choses qui, en fait les gens en parlent, c'est une réalité quelque part où il y a des choses qu'on internalise et qu'on accepte, qu'en fait on fait beaucoup de compromis pour continuer à vivre et à survivre. Mais ce n'est pas normal. Et c'est pour ça que beaucoup de gens se rebellent. Et c'est pour ça qu'aussi, il faut continuer à résister. Mais je pense que les contraintes de l'occupation sont parmi toutes ces choses qui ne sont pas forcément d'être tuées ou d'être arrêtées ou d'être mises en prison. Même si, clairement, on a toutes les semaines, ah bah tiens, un tel a été arrêté par l'armée israélienne. Donc ça, ça fait partie du quotidien. Mais il y a aussi toutes ces absurdités bureaucratiques. De devoir demander un permis, de devoir aller... Moi, je sais que j'ai remercié le fait que mon fils, Il a décidé de venir, j'avais des contractions un vendredi matin, parce que le vendredi matin, c'est le jour de congé, où au lieu de passer deux heures au checkpoint et d'être coincée et de me dire que je vais accoucher dans la voiture, j'ai pu passer en 45 minutes et arriver à l'hôpital. Donc j'ai eu quelques barres, je me dis, ah, j'ai de la chance. Vendredi matin, c'est génial, mais c'est absurde de penser comme ça, en fait. Je pense que c'est ça la force, entre guillemets, on va dire, le contrôle que le régime d'apartheid a et que le régime de colonisation a, c'est que... Ils ont réussi à créer des faits sur le terrain et une réalité dans laquelle beaucoup de gens se sont adaptés. Et je pense qu'on le voit à Gaza, moi ça me fend le cœur dans ce qui se passe à Gaza, c'est que les gens viennent à regretter un quotidien qui finalement avait réussi à être quelque part un peu normal à Gaza avant le génocide. Les gens repartagent des vidéos de quand ils allaient au bord de la mer et qu'il y avait les cafés qui étaient ouverts, ils allaient fumer un argilet et puis ils pouvaient faire des petits concerts et ça paraissait quelque part tellement mieux. mais ils étaient déjà sous blocus depuis 16 ans. Ils avaient déjà 10 heures d'électricité par jour et ils avaient des denrées qui manquaient et ils ne pouvaient jamais sortir. Une personne de 30 ans n'était jamais sortie de Gaza. Mais c'était quand même tellement mieux que ce qu'il y a aujourd'hui. Donc en fait, quelque part, on s'adapte aussi au pire. Et c'est ça, je trouve, qui est dangereux. C'est que l'être humain s'adapte, en fait. Et les Palestiniens sont toujours dans le système D et l'adaptation à des choses qui sont totalement anormales et injustes. Donc on vit tous avec une colère en nous, on vit tous avec une frustration, avec des frustrations, qui font partie de nos quotidiens, qui nous bouffent de l'énergie, du temps. Encore une fois, qui ne sont pas forcément se retrouver face à une balle d'un M16 israélien, mais qui pourrissent en fait un quotidien qui de fait nous prive de notre liberté. Et je pense que c'est pareil pour les Palestiniens en exil, pour ceux qui ne peuvent pas revenir sur leur terre. Je pense que c'est un... C'est un combat de tous les jours, de se dire qu'on ne peut pas retourner sur sa terre. Et je sais que moi, je l'ai vécu, bien sûr, dans ma famille. C'est-à-dire que mon père, pour la première fois, il a mis les pieds en Palestine. Il avait 40 ans avec son passeport français. Et on est allé au village de mes grands-parents qui a été détruit, qui fait partie de ces 530 villages qui, en gros, ont été détruits par Israël en 1948. Et où Israël a planté des arbres, Israël a fait des jardins. Aujourd'hui, c'est un parc. où il faut payer 10 euros pour rentrer comme un parc naturel. Et donc Israël a vraiment greenwashed aussi ça et continue de lever des fonds d'ailleurs en France aussi, de manière défiscalisée, pour aller planter des arbres en Israël. En fait, ça a été quelque chose qui a complètement effacé la présence palestinienne depuis 1948. Et on a pris des photos et on a montré les photos à mes grands-parents et à ma famille au Liban, qui eux n'ont jamais pu rentrer en fait. Mes grands-parents sont décédés depuis plusieurs années, mais ils avaient vu des photos de leur village, en fait, auquel ils n'avaient pas accès et qui était juste de l'autre côté de la frontière, en fait, parce que c'est tout proche du Liban. Donc c'est des réalités absurdes comme ça où la suprématie israélienne, enfin Israël a vraiment créé un régime suprémaciste où quand on est juif, on a des droits et quand on n'est pas juif, on a moins de droits. Et c'est ça qui, du coup, découle dans toutes les choses du quotidien, en fait. ça se traduit dans toute la réalité des gens d'une manière ou d'une autre.

  • Speaker #0

    C'est terrible et je pense qu'on est beaucoup, non palestiniens pour le coup, mais je pense qu'il y a énormément de gens et de plus en plus de gens qui soutiennent la cause palestinienne et on se sent très impuissant. Évidemment, on voit des images, évidemment, on voit tout ce qui n'est pas relayé par les médias mainstream, mais on a la chance, notre génération, d'avoir les réseaux sociaux et de tout voir, d'avoir... C'est terrible, mais de voir un génocide en live, et on se sent terriblement impuissant. La question peut paraître bête, mais je la pose quand même. Qu'est-ce qu'on peut faire à notre micro-échelle ? Tu parlais de l'Institut du Palestine Institute for Public Diplomacy, dans lequel tu travailles. Est-ce qu'on peut faire des dons à ce type d'organisme ? Quelles seraient les choses qu'on peut faire, nous, moi, les auditeurs, les auditrices, à notre échelle, pour supporter au-delà de juste voir les images et avoir mal au cœur ?

  • Speaker #1

    Oui, hum... Déjà, je dois dire que je pense que c'est important quand même de sentir l'empathie et de sentir qu'on n'est pas oublié, de sentir qu'on parle de nous. Je pense que pour les Gazaouis, c'est hyper important, ne serait-ce que tu vois, toi tu fais un podcast, t'en parles, les gens qui partagent sur les réseaux. Le fait qu'on voit que la situation porte un écho. auprès des populations dans le monde, ça c'est déjà important. Et je le dis parce que, comme tu l'as dit, l'invisibilisation, elle est dramatique. Et je pense aussi la remise en question de notre voix, je ne sais pas si ça, moi en tout cas, ça m'est vraiment en colère. C'est mon combat quotidien, encore une fois, dans notre activité. On essaie de communiquer, on essaie d'informer, qu'on voit qu'on remet sans cesse en question la réalité et notre voix en fait. C'est-à-dire qu'à l'heure... où les Gazaouis peuvent partager leur quotidien, partager la réalité en live sur Instagram. Il y a un flot continu de l'évidence, et qu'on continue à voir des gens qui remettent en question en disant que c'est pas vrai, que c'est fake. Il y a tout ce concept de Pallywood qu'on... qui a créé les Israéliens comme si on exagérait ou on mentait sur notre réalité. Ça, c'est... Je dois dire que c'est presque un crime, en fait. C'est un crime que je vois relié par des personnalités publiques françaises se doutent cette remise en question qui est très dangereuse, en fait, et qui participe de l'invisibilisation et de notre déshumanisation, en fait. Et donc, nous, notre travail... Je pense qu'il est là, il est vraiment de remettre en question la complicité internationale avec Israël et de voir qu'en fait, si aujourd'hui on va du bon côté de l'histoire... En fait, je ne demande à personne d'avoir une empathie particulière parce qu'on est palestinien ou qu'on est arabe ou qu'on est autre, mais c'est que, en fait, c'est l'injustice. C'est un génocide, en fait. On est face à un génocide qui est streamé en live sur Instagram. et on n'arrive pas à l'arrêter depuis 4 mois. Et donc, comment peuvent se mobiliser les gens à l'international ? Il y a plusieurs choses que vous pouvez faire, donc bien sûr en parler. Informer autour de vous, s'éduquer, informer. Nous, on crée des ressources, alors beaucoup en anglais, mais on en a beaucoup traduit en français. Il y a des ressources disponibles, beaucoup d'organisations dans notre écosystème proposent même des cours en ligne sur comment parler de la Palestine et comment comprendre la question palestinienne. Tout ça, c'est très important. parce qu'il y a une désinformation telle, il y a une ignorance ou encore une fois, une invisibilisation telle que ça, c'est quand même très important, la question de s'éduquer. Parce qu'il y a beaucoup qui passent dans les médias sur l'horreur du génocide, de la colonisation, etc. Mais je pense qu'il faut comprendre les choses de manière historique, les choses de manière contextualisée, les choses de manière politique pour comprendre tous les rouages de ce qui se passe. Parce que les choses n'ont pas commencé le 7 octobre, parce que les choses ne vont pas se terminer quand il y aura un cessez-le-feu, même si c'est la chose la plus urgente à laquelle il faut appeler, c'est un cessez-le-feu. Et je pense que c'est important sur la durée. Parce que, encore une fois, moi je n'ai pas commencé à mobiliser le 7 octobre, et on va continuer, c'est un combat de long terme, on le sait qu'on est sur un investissement de long terme, et qu'il faut aussi nous se préserver comme on peut. Et donc, à l'étranger, moi ce que je demande, c'est, vous, votre force en tant que non-palestinien, votre force, c'est de pouvoir avoir un impact sur la complicité de vos États. C'est très important de pouvoir partager les voix palestiniennes et de centrer les voix palestiniennes là-dedans. Mais l'impact qui doit être fait, c'est de remettre en question finalement tous ces États coloniaux et post-coloniaux qui soutiennent Israël. Il faut mettre fin à cette complicité. Donc en tant que Français ou francophone ou belge, parce que je crois que tu as beaucoup d'audience belge aussi, c'est axer les demandes sur la mettre fin. au commerce des armes avec Israël, mettre fin aux accords bilatéraux, mettre fin aux accords de coopération, mettre fin au commerce de produits israéliens ou des colonies, interdire des personnalités israéliennes de venir en France ou initier des mandats d'arrêt internationaux pour crimes de guerre contre des personnalités israéliennes. Il y a tout un tas de choses qui peuvent être faites. Il y a beaucoup d'organisations qui se mobilisent pour ça. Et je pense qu'il faut soutenir à votre échelle ces demandes-là. que ce soit, voilà, si vous êtes journaliste, ou si vous avez accès, encore une fois, autour de vous, à des gens qui peuvent porter ces voix-là sur les réseaux sociaux, si vous avez beaucoup de followers, si vous avez des gens autour de vous qui sont députés, si vous avez le temps, enfin, prenez le temps d'interpeller vos députés sur la question. Tout ça, il faut que toutes les plateformes... soit utilisée pour faire ces demandes-là. Et je pense que c'est très lié au fait que tout est lié. C'est-à-dire que la politique française contre les Palestiniens se traduit aussi par une politique contre les immigrés et contre l'immigration, se traduit par des politiques qui défendent les policiers pour la violence policière. Tout ça est lié. Et je pense que c'est important aujourd'hui de se dire... Si vous ne mettez pas la Palestine au cœur de l'agenda ou au cœur de vos revendications quant aux politiques de votre pays, c'est tout l'ordre international et c'est toutes les valeurs que vous pensez porter qui en fait sont remises en question.

  • Speaker #0

    Inès, du coup, je t'ai posé une question et je pense que tu n'as pas complètement répondu. Je te demandais si on pouvait donner pour le Palestine Institute for Public Diplomacy, pour lequel tu travailles et dont tu nous as expliqué toutes les activités, est-ce qu'il y a cette... possibilité pour les gens de supporter financièrement ?

  • Speaker #1

    Oui, absolument, vous pouvez soutenir notre organisation, notre ONG sur le site, notre site qui est thepipd.com C'est important, je pense que c'est à la fois important de soutenir comme vous pouvez des organisations humanitaires à Gaza, mais aussi le combat d'organisations comme la nôtre qui sont en train de transformer aussi l'action collective palestinienne. Donc, on a besoin de soutien comme les vôtres, aussi pour dépendre un peu moins des subventions d'organisations institutionnelles.

  • Speaker #0

    Inès, je rebondis sur ce que tu dis. Et clairement, le génocide palestinien a un impact au-delà du conflit en lui-même, au-delà de la Palestine et d'Israël. J'ai l'impression que c'est un vrai test pour l'ordre mondial. On voit un réveil du Sud, une véritable remise en question de l'Occident. évangéliste en quelque sorte, fondateur des droits de l'homme, fondateur du droit international. Est-ce que tu penses qu'on est à un tournant historique et que c'est la fin d'un système ?

  • Speaker #1

    Oui, ta question est très bien formulée et j'en suis persuadée. La cause palestinienne et le génocide... sont un tournant historique à la fois pour la cause palestinienne, la manière dont notre combat est mené. On a déjà eu plusieurs phases, entre 1936, 1948, etc., et les différents mouvements, évidemment, de soulèvement depuis. Mais on est à un tournant historique, et on est à un tournant historique pour l'ordre mondial qui s'est vraiment consolidé après la Seconde Guerre mondiale par les grandes puissances occidentales qui ont créé... l'ONU, les grands textes du droit international et qui continuent à dominer de fait les institutions multilatérales comme l'ONU etc. On le voit très clairement parce que on va dire que le génocide à Gaza a révélé bien sûr plusieurs choses, les doubles standards et le deux poids deux mesures de l'Occident quant aux règles que ce soit les droits de l'homme ou du droit international qu'ils ont eux-mêmes créés ou qu'ils se targuent de défendre mais qui en fait... répondent totalement à des agendas politiques et que quand il s'agit de défendre les populations colonisées ou opprimées, là, il n'y a plus personne. Donc, je pense que la révélation de ce deux poids deux mesures est très claire pour le Sud global, qui est donc le Sud global en général, on va dire que c'est les pays qui étaient anciennement colonisés par l'Occident, où beaucoup aussi ont à l'intérieur de ces pays des situations où il y a des populations indigènes, etc., qui elles-mêmes se soulèvent contre une domination étatique. ou capitalistes de grandes multinationales qui continuent à exploiter leurs ressources, etc. Donc, en fait, là, on est vraiment... Je pense que Gaza est un test pour cet ordre-là et que beaucoup des populations du Sud s'identifient, en fait, à notre cause puisque c'est quand même une des dernières, on va dire, un des derniers bastions de colonisation active occidentale dans le monde. En fait, le projet colonial sioniste et israélien, qui est toujours un projet colonial d'origine européenne, c'est quand même un des derniers actifs sur la planète, et donc je pense que ça touche beaucoup de personnes. Et quand on voit... Voilà, aujourd'hui, quand on voit l'Afrique du Sud qui met face à la justice devant un tribunal israélien, c'est quand même très fort. Peu importe, encore une fois, ce que la Cour internationale de justice peut amener comme action concrète, puisqu'il n'y a aucun mécanisme aujourd'hui pour les tribunaux. non internationaux pour ces institutions de mettre en œuvre leurs propres décisions. Et ce sont des institutions, encore une fois, qui malheureusement ont été créées par les puissances coloniales, donc elles sont un peu piégées par leur structure même, mais je pense que ce sont des outils que nous devons utiliser dans nos stratégies. Ça ne va pas nous libérer, ça ne va pas libérer les peuples opprimés. En tout cas, ça montre et ça permet d'augmenter la pression politique qui existe et les alliances qui se créent, on va dire, depuis quand même plusieurs années, au-delà, on va dire, de la domination hégémonique des États-Unis et des pays alliés, qui, on le voit, ont très, très largement soutenu Israël dans son attaque et son génocide contre Gaza.

  • Speaker #0

    Nes, je voulais aussi parler peut-être du côté perso. Tu as mentionné dans l'interview au début ton bébé que tu as eu il y a quelques mois. Je suppose que l'accouchement et sa venue au monde et toi être devenue maman, c'est arrivé aux environs du 7 octobre et de tout ce conflit. On sait toutes et tous à quel point la maternité, c'est un bing-bang personnel dans une vie très normale. je ne peux imaginer comment ça peut se passer dans ce contexte-là, avec toutes les images qu'on voit et le fait qu'on sache qu'il y a plus de 70% de la population qui est touchée, qui sont des femmes et des enfants.

  • Speaker #1

    Oui, inévitablement. En fait, j'ai un peu l'impression d'être dans un tunnel spatio-temporel depuis fin septembre, dont j'arrive à sortir quand même un peu. Mon fils est né fin septembre. Donc il avait juste quelques semaines le 7 octobre. Et c'est vrai que j'ai été mise face à la fois à tout ce qui implique les débuts d'être maman et d'avoir un tout petit bébé, et tout ça durant un génocide. Et je pense que ça a bien sûr... réveillé en moi tellement de sentiments contradictoires. À la fois, je pense qu'il m'a permis de garder la tête sur les épaules, de pouvoir célébrer la vie et de me forcer aussi à me déconnecter et être quand même dans une bulle de maternité. pour répondre à ses besoins dans un moment où la plupart, où tout le monde est plongé dans l'horreur et il est très difficile d'en sortir et on est plongé dans un vortex où on a juste envie de se soit se terrer dans un trou et que ça s'arrête ou soit de se mobiliser ou soit de pleurer ou de en tout cas juste d'être avec les gens à Gaza en fait d'une manière ou d'une autre que ce soit en allumant Alsazira en continu ou en étant au téléphone avec les Gazaouis. Mais voilà, il a permis ça quand même, je pense, d'amener un petit peu de joie dans tout ça. Mais évidemment, il y a aussi le fait que c'est doublement difficile. À la fois, je pense que j'ai réalisé d'autant plus ma chance et mon privilège parce que mon fils, il a un toit, il est au chaud, il a une vie... Je pense qu'évidemment, il n'a aucune conscience, parce qu'en restant dans sa maison, il n'a aucune conscience encore vraiment de ce qu'il y a autour de lui. Parce qu'on est quand même très resté, on va dire, confiné dans Ramallah et avec la situation à l'intérieur de la ville, donc dans une certaine bulle de sécurité relative. Et en même temps, bien sûr, de voir toutes ces images et... de parler aux gens, je veux dire, c'est... Je pense que tout le monde l'a vu, c'est difficile de décrire, mais moi, j'ai eu une césarienne d'urgence, et l'accouchement s'est assez mal passé, et derrière, on voit qu'il y a des dizaines de femmes qui ont dû avoir des césariennes sans anesthésie. En fait, j'arrive même pas à... Je pense qu'on n'arrive même pas à... Voilà, à imaginer, en fait, enfin, à ressentir. Je pense qu'on le ressent au plus profond, mais je pense que ce n'est même pas le quart, le dixième de ce que ces femmes-là vivent. Elles n'ont pas de lait pour leurs enfants. Je ne sais pas quels mots employer. Je n'ai pas de mots. Et du coup, ça, ça a été vraiment doublement difficile. Comme toute nouvelle maman, on pense au début à partager sur les réseaux, etc. Mais depuis octobre, j'ai aucune envie. Je n'ai même pas posté une photo, je n'ai pas posté une vidéo. Il y a plein de gens que je n'ai même pas informés à travers les réseaux parce que ça paraît tellement dérisoire, égoïste ou, je ne sais pas, nul, en fait, par rapport à toutes les histoires qu'on a envie de partager de toutes ces femmes et de tous ces enfants et ces bébés à Gaza, en fait, qui ont nié la vie, en fait. Et donc c'est contre cet effacement que je pense qu'être maman aussi, ça m'aide à continuer à lutter, au contraire, à vouloir me dire que c'est cette génération-là qui verra une Palestine libre.

  • Speaker #0

    J'imagine, même s'il n'a que quelques mois, que la question de la transmission doit être d'autant plus présente. Est-ce que c'est quelque chose à laquelle tu penses ?

  • Speaker #1

    Oui, très clairement. Très clairement, je pense que c'est d'ailleurs... Une des premières choses à laquelle je réfléchis en étant maman, parce que nous, les Palestiniens, on a un effacement forcé. En fait, quelque part, le colon israélien et le narratif tentent d'effacer notre histoire, notre culture. Ce n'est pas seulement à travers les chars et les bombardements et les fusils, c'est aussi... une politique et des pratiques délibérées d'effacer notre identité. Et donc ça, je pense que c'est aussi, bien sûr, le rôle de parent, de transmettre cette culture, cette histoire. Et ça peut passer par des choses très... Très bête, très concrète, comme par exemple à Jérusalem, les Israéliens ont changé des tas de noms de rues, par exemple, ou des tas d'endroits qui ont été effacés. Le village, je pense qu'on en a déjà parlé, mais le village de mes grands-parents, ils ont construit un parc au-dessus, et la pancarte à l'entrée du village, qui est maintenant un jardin où il faut payer pour rentrer, qui est gérée par l'autorité de l'environnement israélien. Il y a une ligne en disant qu'un jour, il y a eu un village arabe. Et après, tout le reste, c'est sur les Ottomans et les Romains, et ensuite, l'héritage historique des civilisations. Mais il n'y a rien sur l'existence à un moment d'un village palestinien. Donc, je pense que ça, c'est vraiment un travail nécessaire, la transmission dans ce sens-là. Et je pense aussi que parce que... Moi, dans la construction de mon identité, justement, parfois, j'en ai peut-être manqué. Donc, c'est clair que pour nous, parler l'arabe à la maison et parler le français en même temps, tout ça est très, très important. Parce que, justement, pour qu'il se construise aussi, qu'il n'ait pas trop de crises, même s'il aura une crise d'identité, c'est sûr, mais pas moins de crises d'identité que peut-être que ses parents.

  • Speaker #0

    En parlant de maternité, paternité, de ce lien, comment ton papa a vécu ton retour en Palestine ? Est-ce que c'était une fierté ? Est-ce qu'il avait peur ?

  • Speaker #1

    Déjà, je me suis mariée avec un palestinien, ce qui, je pense, mes parents ne s'y attendaient pas. Et puis ensuite, l'idée de rester en Palestine. Oui, d'y être... Non, ils sont fiers, je pense. Ils suivent un petit peu mes activités. Et voilà, il y a toujours... Si je suis dans une interview à la télé ou que je fais des shows, je leur envoie. Ils sont contents et ils le diffusent. Et pour mon père, je pense que c'est particulièrement... Je pense qu'il a compris qu'il fallait laisser à la génération d'après, en fait, le combat. Et que lui fait vraiment partie de cette génération qui a monté l'architecture d'Oslo et qui en est revenue. C'est-à-dire qu'il voit... Comment ils ont été piégés, en fait ? L'OLP, l'autorité palestinienne, comment ces accords étaient complètement... Enfin, Israël a complètement dominé l'agenda, et comment ils ont été faits d'une manière à ce que ça consolide la colonisation et pas à ce que ça crée un État palestinien. Et on est dans un moment très, très dangereux. pour ça, parce qu'en fait, quand on revoit les discours qui reviennent sur la solution à deux États, sans parler de la fin de l'occupation, alors qu'on est dans une situation tellement pire que dans les années 90, sans aucune ni volonté israélienne... ni perspective qu'il y ait un État palestinien, il ne faut pas qu'on retombe dans ces pièges, en fait. De penser que par des négociations bilatérales et en s'asseyant autour d'une table et en parlant aux voisins, c'est comme ça qu'on va mettre fin à l'injustice et à un système d'apartheid qui, de fait, doit être démantelé avant qu'on puisse créer un futur plus juste. Et pour revenir à ta question, la France ne me manque pas, en fait. Évidemment, je vois tout ce qui se passe, j'observe de loin. les discours, etc. Et je dois dire que dans toute cette période, j'en parle beaucoup avec mes amis franco-palestiniens aussi ou qui sont en France, je dois dire que c'est quand même plus facile psychologiquement quelque part d'être entre Palestiniens, qu'on se comprend en fait. Je n'ai pas besoin de me justifier si je vais discuter avec des gens ou avoir des rendez-vous. Alors que j'ai l'impression qu'en France, en fait, il faut constamment... Avoir à se battre, en fait, à se battre pour être soit entendu, soit compris et qu'on va constamment nous renvoyer du gaslighting ou des questions qui vont nous mettre encore plus en colère, etc. Donc, je dois dire que pour le coup, être en Palestine, on n'a pas ce problème-là puisqu'on est dans notre communauté, on se comprend et donc c'est quand même plus... Moins dure psychologiquement, je dirais, même si après, bien sûr, il y a toute l'occupation et ce qui va avec. Mais ça, c'est un point important.

  • Speaker #0

    Inès, dans tout ce dont on parlait, tu n'as jamais mentionné, il n'y a jamais eu une mention de la peur. Est-ce que c'est un sentiment que tu connais ? Parce qu'au-delà de la position de l'endroit dans lequel tu habites, tu parlais des risques personnels que tu prenais par rapport à ton passeport israélien, par rapport au fait que tu sois à Ramallah aujourd'hui. Est-ce que c'est un sentiment que tu connais, que tu ressens parfois ?

  • Speaker #1

    La peur n'est pas un sentiment qui fait partie de mon environnement émotionnel, je dirais. Mais aussi parce que je ne suis pas une tête brûlée, dans le sens où je réfléchis toujours à ce que je fais. Donc par exemple, justement, j'ai été très peu présente publiquement depuis le 7 octobre. Honnêtement, les premiers jours, j'ai reçu genre 10-15 demandes de médias par jour. Je les ai toutes refusées. J'aurais pu les accepter, j'aurais pu y aller à fond en me disant il faut Et donc, il y a une partie de moi qui me dit vu la couverture médiatique, peut-être que j'aurais dû contribuer Mais en même temps, je savais qu'en étant à peine en postpartum... en ne dormant pas la nuit, en étant à la fois psychologiquement très fragile et perturbée par ce qui se passait, je pense que je me serais totalement grillée et je pense que ça aurait été... Enfin, je vois ça sur le long terme. Je suis dans un combat qui est... Je ne me suis pas mobilisée depuis le 7 octobre et je me suis mobilisée avant, je me mobiliserai après. Et notre combat est long. Et donc, il faut savoir aussi se préserver. Et donc, en général, je suis quelqu'un qui évalue beaucoup les risques. Je prends des risques, mais des risques que je considère et qui sont toujours considérés. Et donc, ce n'est pas par peur, mais c'est par calcul souvent stratégique en me disant quel impact je peux avoir versus me griller complètement. Donc, pour moi, il est plus important aujourd'hui de pouvoir être... présente en Palestine, et là de pouvoir aussi me remettre à fond, à avoir aussi plus de visibilité publique maintenant que la phase critique du postpartum est passée. Parce que sinon, je pense que je l'aurais regretté. La peur dépend aussi des risques qu'on prend. Donc je dois dire que c'est comme ça que je le vois.

  • Speaker #0

    Quelle serait ta définition de la réussite personnelle, de ta réussite ?

  • Speaker #1

    Pour moi, c'est vraiment me sentir à ma place. J'ai mis vraiment beaucoup de temps à me sentir à ma place, à me sentir bien avec mon identité, mes identités ou ces identités mouvantes. En fait, tout ça a pris beaucoup d'années. J'ai vraiment dans ma vingtaine, je me souviens, peut-être jusqu'au début de la trentaine, où je continuais tellement à avoir des questionnements et me dire mais je ne suis vraiment pas au bon endroit. Et qu'est-ce que je fais là ? Et pourquoi je travaille là ? Et est-ce que je fais les choses qui sont utiles ou pas ? Est-ce que... Quand je ne parlais pas l'arabe, je m'en voulais vraiment beaucoup. Donc, j'ai réappris l'arabe derrière. Il y a tout un tas de choses comme ça où je pense que la réussite, en général, c'est est-ce qu'on se sent à sa place ? Et ça peut être simplement se sentir à sa place géographiquement ou se sentir à sa place dans sa communauté, se dire qu'on est en train de faire dans la vie ce pour quoi on est là, en fait.

  • Speaker #0

    Et qu'est-ce que tu dirais à la Inès enfant ?

  • Speaker #1

    D'être moins exigeante avec moi-même.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu as une devise ?

  • Speaker #1

    Oui, j'aime beaucoup une citation de Toni Morrison, l'écrivaine américaine, qui dit que Ne laissez personne vous persuader que le monde est ainsi fait et que par conséquent c'est ainsi qu'il doit être.

  • Speaker #0

    Un livre que tu nous recommanderais ?

  • Speaker #1

    Bien sûr, les livres d'Edward Said sur tout, l'exil, le rôle des intellectuels. Vraiment, si vous n'avez pas encore lu Edouard Saïd, l'orientalisme, tout.

  • Speaker #0

    Un lieu ?

  • Speaker #1

    Le bord de mer, bord de la mer méditerranée, plus précisément.

  • Speaker #0

    Une odeur ?

  • Speaker #1

    La fleur d'oranger.

  • Speaker #0

    Et une chanson ?

  • Speaker #1

    Je vais rester dans le même thème. Et c'est Ana Ausha el Bahra de Najat El Sarira.

  • Speaker #0

    Et une femme que tu me recommanderais d'inviter sur le podcast ? ou dont tu aimerais écouter le parcours ?

  • Speaker #1

    Oui, il y en a tellement, mais je vais dire, dans mes camarades palestiniennes, et je sais que tu en as déjà invité, euh... Je pense par exemple à Diala Ausha, qui est une avocate aux États-Unis, mais qui est francophone, et qui a mené Biden devant justement les tribunaux pour génocide. Ou encore Nada Tarbouch, qui est diplomate palestinienne à Genève en ce moment.

  • Speaker #0

    Inès, je te remercie infiniment. Et c'était un vrai plaisir, vraiment.

  • Speaker #1

    En tout cas, bravo pour ce podcast et toutes les invitées tellement inspirantes à qui tu permets d'avoir une voix.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup, merci pour ton combat. C'est compliqué pour moi de clôturer cette interview. Je ne sais pas comment le clôturer, hormis mille merci Inès. À très bientôt. Cet épisode de Heya est maintenant terminé. Je vous remercie sincèrement de l'avoir écouté jusqu'au bout. Ce qui, j'espère, veut dire que vous l'avez apprécié. N'hésitez pas à le partager autour de vous, avec des amis ou sur les réseaux sociaux. C'est ce qui permet au podcast de Grandi. Vous pouvez aussi le noter 5 étoiles et me laisser un petit commentaire. C'est un vrai plaisir de les lire. Si vous avez des questions ou voulez me suggérer une invitée, n'hésitez pas à me contacter sur la page Instagram Hiya Underscore Podcast. A très bientôt.

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