Speaker #0Musique Édimbourg, dans les années 1820, n'est pas seulement une capitale intellectuelle. C'est un organisme vibrant, déchiré entre son âge des lumières et les ombres persistantes de la misère humaine. C'est une ville où les étudiants en médecine affluent de toute l'Europe, où les amphithéâtres d'anatomie débordent, où la science avance à pas de géant, mais où tout progrès exige un prix que personne ne veut payer. Les rues sont étroites ? le brouillard épais, les inégalités brutales. Et au-dessus de tout cela, comme une couronne d'acier et de pierre, la vieille ville regarde passer une époque qui se transforme trop vite pour elle. Dans ce contexte ambigu, Edimbourg devient le terrain idéal pour une tragédie où l'avidité scientifique, le vide juridique et la pauvreté la plus extrême vont s'entremêler. jusqu'à produire l'une des affaires criminelles les plus glaçantes du siècle. Depuis la Renaissance, la dissection est devenue le cœur battant de l'enseignement médical. Les plus grands noms y vont de leur planche anatomique, que ce soit Vézal, Ambroise Paré ou encore Léonard de Vinci. Mais au Royaume-Uni, la loi n'a presque pas évolué depuis des siècles. Seuls les cadavres des criminels exécutés peuvent être utilisés à des fins pédagogiques. Or, au début du XIXe siècle, les exécutions diminuent. Pas par bonté d'âme, non, mais parce que le système judiciaire se modernise et réserve la peine capitale à des crimes spécifiques. Résultat, une pénurie de candidats à la dissection. L'anatomiste le plus prestigieux d'Edimbourg, Alexander Monroe Tershes, détient le monopole absolu sur les corps des condamnés à mort. Chaque cadavre exécuté dans la région lui revient de droit. Et comme les condamnations se font plus rares, il n'en reçoit parfois que deux ou trois par an. Pendant ce temps, Robert Knox, brillant, charismatique, irrésistiblement ambitieux, attire dans son amphithéâtre plus d'étudiants que n'importe quel professeur en Écosse. Ses cours sont des spectacles, ses dissections, des cérémonies scientifiques. Et pour maintenir ce rythme effréné et son prestige incontesté, il lui faut environ 90 corps par an. Une quantité que la loi ne pourrait lui fournir même en une décennie. Knox n'a pas le choix. Comme de nombreux anatomistes, il dépend du marché clandestin. Les body snatchers, ou résurrectionnistes, comblent cette demande. Il déterre les morts fraîchement enterrés, opère la nuit avec un savoir-faire chirurgical. Il ne touche ni aux vêtements, ni aux bijoux, car voler un objet est un crime, mais voler un corps ne l'est pas. Cette brèche légale, aussi absurde que dangereuse, suffit à nourrir une économie parallèle où le mort devient un produit. Robert Knox domine à cette époque la scène scientifique d'Édimbourg. Il a étudié sous les plus grands, publié, enseigné, fondé, avec d'autres, le futur Surgeon's Hall. C'est un peu la superstar de l'anatomie et un enseignant génial. Noxpec content, généreusement, sans discuter, sans vérifier l'origine des corps. Tant que la chair est fraîche, tant que les articulations sont souples et tant que les muscles sont intacts, tout lui convient. Il n'est ni meurtrier, ni commanditaire. Du moins, rien ne le prouve. Mais il incarne cette complaisance scientifique qui ouvre toutes les portes, pourvu qu'elle ne mène pas à la morale. C'est dans ce contexte pour le moins sulfureux qu'il est amené à croiser la route de Burke et R. William Eyre tient une pension minable à Tanner's Close. Brutal, impulsif, borné, il vit au jour le jour. William Burke, ancien soldat irlandais devenu ouvrier, est plus affable, plus souple, plus charmeur. Leur rencontre n'a rien d'un hasard. Burke fuit une querelle violente impliquant l'ex-mari de sa compagne, Ellen McDougall, et cherche un logement discret. R lui loue une chambre dans sa pension miséreuse. Très vite, les deux couples, Burke et McDougall, R et Margaret Laird, deviennent inséparables, soudés par la pauvreté, l'alcool et cette solidarité trouble qui naît dans les marges de la société. Lorsque Donald, un pensionnaire de R, meurt en laissant une dette, ils savent que l'enterrer ne rapportera rien. Mais le vendre... peut changer leur vie. Ils remplissent le cercueil du malheureux de Sûr, pour faire illusion, et partent avec sa dépouille en quête d'un anatomiste peu scrupuleux. C'est le docteur Knox qui leur ouvre la porte. Il voit dans ce corps frais une aubaine. Ils repartent avec 7 livres et 10 shillings, soit l'équivalent de 75 jours de salaire pour un ouvrier. La somme est colossale. C'est à cet instant précis que la descente aux enfers commence, motivée par l'appât du gars. La transition du vol de cadavre au meurtre n'est pas une explosion. C'est une transformation lente, presque logique. Les premiers meurtres sont commis avec une méthode déjà bien rodée. R attire la victime ou l'immobilise, beurre que ça soit sur sa poitrine. Il étouffe la victime en bloquant bouche et nez. Et ainsi, le corps ne présente aucune trace de violence ni de meurtre. La technique sera baptisée plus tard « burking » tant elle devient efficace et répétée. Les victimes se ressemblent. Des femmes vulnérables, des ivrognes, des marginaux, des travailleurs isolés, tous invisibles aux yeux d'une société qui ne regarde jamais vers ceux qui n'ont rien. Ils ne manqueront à personne et peuvent donc disparaître en toute discrétion. Mais deux affaires vont fissurer le vernis de tranquillité du duo. James Wilson, surnommé Daft Jamie, est différent. Il est connu, reconnu même, aimé parfois. Simple d'esprit, mais doux, il est identifiable à son pied déformé qui lui donne une démarche caractéristique. Les habitants lui donnent des pièces, des restes de repas, un mot gentil. Comme à leur habitude, Burke et Hare l'invitent, le saoulent, le maintiennent au sol pour l'étouffer. Mais Jamie se débat, résiste, lutte, comme si une part de lui comprenait ce qui se jouait. Lors de la dissection, plusieurs étudiants le reconnaissent. Certains jurent que Knox, pâle, tendu, aurait ordonné qu'on retire rapidement ses pieds et sa tête, comme si l'absence de visage pouvait déraciner la vérité. Mais elle s'enfuit déjà, comme une traînée de poudre, et la rumeur enfle. Marjorie Docherty arrive chez Burke en cherchant un lit pour la nuit. Elle boit, rit, parle, confie sa vie comme le font les gens seuls lorsqu'ils croient être en sécurité. Mais les Gray, pensionnaires, entendent des allées et venues étranges, des chuchotements, des chocs étouffés. Ils croient même entendre quelqu'un hurler au meurtre. Le lendemain, alors qu'ils retournent chercher des vêtements, ils découvrent le corps de Marjorie dissimulés sous un tas de paille, encore tièdes. Dans la panique, Burke tente de les acheter. Il refuse et s'enfuit prévenir la police. Doherty sera la dernière victime, mais la première à obtenir justice. La police a un plan. Essayez de monter Burke et Hare l'un contre l'autre, comme dans un jeu cruel, pour voir qui craquera en premier. Et ça marche. Hare accepte. immédiatement l'offre du procureur. L'immunité totale contre un témoignage complet. Il raconte tout dans un calme glaçon. Burke est condamné au gibet. McDougal est acquitté. Knox, lui, est épargné. Et R disparaît. Il devient du jour au lendemain l'homme le plus haï d'Ecosse. On l'escorte hors d'Edimbourg, caché sous une couverture pour éviter qu'on ne le lynche. Puis, plus rien. Les rumeurs se multiplient. Battu. Aveuglé, mort en Angleterre, rejeté en Irlande, noyé en Amérique. Il aurait pu être ce mendiant anonyme trouvé dans une grange. Mais aucune certitude, R s'est dissous dans l'obscurité. De retour à Edinburgh, le 28 janvier 1829. La foule s'agglutine dans les rues, avec une ferveur presque primitive, serrée contre les façades. Montés sur les toits, accrochés aux réverbères, comme si chacun voulait s'assurer de ne rien manquer du spectacle funèbre qui se joue devant eux. Au centre, une potence se découpe dans l'air glacé, et au bout de la corde, William Burke attend la fin qu'il a tant de fois infligée aux autres. L'ambiance est électrique, fébrile, presque joyeuse. Lorsqu'il tombe, un silence fulgurant traverse la foule, suivi d'une rumeur satisfaite. Ce mélange étrange de justice, de vengeance et de curiosité morbide, c'est caractéristique du XIXe siècle. Mais la véritable ironie de cette histoire, c'est que ce moment, que tant de gens vivent comme une conclusion, n'est en réalité que le début du dernier acte. Car le cadavre de Burke n'est pas destiné à la tombe. Il rejoindra dès le lendemain la table de dissection de la faculté de médecine d'Edimbourg. exposé comme une pièce de musée, avant même que la peau n'ait refroidi. Et de fait, il ne rejoindra jamais la Terre. Son squelette, soigneusement nettoyé, sera suspendu dans un musée où il se trouve encore aujourd'hui, tandis qu'un petit livre, relié avec sa peau, viendra rappeler au public que la frontière entre science et barbarie a longtemps tenu à peu de choses. Le scandale force le Parlement à voter l'Anatomy Act de 1832, qui vient encadrer la pratique de la dissection, tout en autorisant les facultés de médecine à se fournir en dépouille auprès des hôpitaux, asiles, prisons ou dans les workhouses. Le body snatching disparaît. Les pauvres deviennent la réserve anatomique du Royaume-Uni. Ainsi s'achève l'histoire de Burke et R, miroirs sombres d'une époque où le progrès courait plus vite que la conscience. On se retrouve bientôt pour un nouvel épisode d'Histoire du Pire. Et d'ici là, restez entiers !