- Speaker #0
Salut à toi, c'est Sandra, et je suis vraiment très heureuse que tu sois là. Bienvenue dans Histoire d'alchimiste. Aujourd'hui, je t'emmène à la rencontre d'un homme qui aurait pu croire que le monde n'était pas du tout fait pour lui, mais qui a choisi de le réinventer, à sa manière. Ibrahim Ouassari a quitté l'école à 13 ans. Il a grandi à Molenbeek, sans diplôme, sans réseau, sans repère académique. Et pourtant... Il a créé Molengeek, un écosystème tech inclusif devenu une référence en Belgique et bien au-delà. Dans cet épisode, tu vas entendre parler d'exclusion scolaire, de débrouille, de dignité, de stratégie, mais aussi de cette énergie intérieure qu'on ne voit pas toujours, mais qui change tout quand elle est bien canalisée. Alors si tu doutes de ta place, si tu as l'impression de ne pas être en place, pas cocher les bonnes cases, ou si tu veux simplement entendre le parcours d'un homme qui a su tracer sa route autrement, cet épisode est fait pour toi.
- Speaker #1
Bonjour Ibrahim, merci de m'accueillir aujourd'hui. On va commencer par un petit jeu. On est en 2047, le monde s'est effondré, plus de structures, plus d'argent, seuls quelques survivants tiennent encore debout. Alors dans notre abri souterrain, on accueille ceux qui veulent reconstruire, tu arrives à l'entrée. Et je dois décider. Dans ce nouveau monde, la seule chose qui compte est ce que nous sommes, pas ce que nous possédons. Alors je te regarde et je te dis, bonjour Ibrahim, dis-moi tout ce que j'ai besoin de savoir sur toi.
- Speaker #2
C'est dur. C'est assez dur comme question. Je suis un, j'étais, vu qu'on est en 2047, j'étais un auto-entrepreneur, autodidacte. qui a fondé plusieurs entreprises dans un domaine que je ne connaissais pas du tout, où j'ai appris énormément, et qui a, à un certain moment de sa vie, voulu partager ce que la vie m'a donné et donc a créé une initiative qui permette aux jeunes comme moi, totalement en décrochage scolaire, de pouvoir se créer des perspectives d'avenir et des opportunités dans le domaine des technologies. Et aujourd'hui... J'espère être utile à quelque chose.
- Speaker #1
Et qu'est-ce qui te reste aujourd'hui que maintenant tout s'est écroulé ? Quelles sont les valeurs que tu portes encore et qui pourraient nous aider aujourd'hui en 2047 ?
- Speaker #2
Ça, c'est une réponse qui est assez simple pour moi. Avec tout ce que j'ai vécu dans ma vie, j'ai un peu la définition de bâtisseur. L'envie de bâtir, pour moi, c'est une opportunité de tout s'effondre. Il y a tout à reconstruire, en fait. Et j'adore reconstruire les choses parce qu'utiliser les choses déjà construites, parfois ça a été mal pensé, ça n'a pas été pensé pour tout le monde. Et donc parfois il faut démolir pour mieux faire et pour que ce soit adapté à tous.
- Speaker #1
Belle réponse. J'ouvre la porte. Alors merci beaucoup pour ce que tu viens de partager. Ça nous en apprend déjà beaucoup sur toi. Et maintenant j'aimerais revenir au début de ton parcours. On est au début des années 90, donc 90 pour les Belges. Tu as 13 ans et tu ne vas plus vraiment à l'école. Est-ce que tu peux nous raconter ce moment-là, ce que tu ressentais, ce que tu voyais autour de toi ? Tu étais dans quel état d'esprit ?
- Speaker #2
Je vais juste préciser une chose, c'est que je suis l'avant-dernier d'une famille de huit. Aujourd'hui, j'ai un frère qui est juge, j'en ai deux autres qui sont ingénieurs. J'ai ma sœur qui est licenciée de l'université de Cologne. donc c'est pour un peu donner le contexte de Quand moi je voyais les choses à 13 ans, je voyais mes frères et sœurs réussir à l'école, mon frère qui rentrait à l'université, et tout le monde... L'école n'était pas un sujet, tout le monde réussissait. Et donc, moi, ça a donné une image de moi-même, il faut être très clair, de raté, de totalement raté. Et donc, même si au fond de moi, j'étais persuadé... que ce chemin-là scolaire n'était pas fait pour moi et qu'il y avait des personnes dans l'entrepreneuriat. Et quand je parle d'entrepreneuriat, à l'époque, c'était le papa d'un ami à moi qui avait un abattoir de poulet, donc de volaille. Donc, ce n'est pas de l'entrepreneuriat à la Bill Gates. C'est vraiment de l'entrepreneuriat, je veux dire, basique, local. C'est ça qui me faisait rêver. Et je regardais le papa de mon ami en me disant cette Cette personne-là, il ne sait pas lire, il ne sait pas écrire. Et il a fondé tout ça. Il a créé tout ça, il met à l'emploi des gens et il gagne des sous, il gagne sa vie. Ça m'inspirait énormément et donc ça me permettait de ne pas me sentir vraiment désespéré. Parce que je me disais, moi au moins, je suis lire et écrire. Et donc je peux faire comme lui au minimum ou voir un peu mieux que lui. Et donc à l'époque, je me rattachais juste à cette idée-là pour ne pas sombrer parce que c'est très difficile. Je ne pense pas que j'aurais eu le même parcours si j'étais l'aîné. de la famille de 8, parce que j'aurais donné le mauvais exemple déjà à mes petits frères et mes petites sœurs. Et de l'autre côté, je pense aussi que mes frères et sœurs ont été, et ma famille en général, a été très très présente avec moi. Elle a essayé des choses, elle n'a jamais lâché prise. L'école, j'ai arrêté à 13 ans, ça veut dire que je n'ai fait que rater à partir de 13 ans. Mais j'ai fait... énormément de... Je veux dire, je suis passé par la coiffure, je suis passé par la soudure, la mécanique, l'électricité, l'horticulture. J'ai tout fait. Rien ne me plaisait. J'ai même fait une école de peinture. Pas artistique, c'est vraiment du crépi, quoi. Rien ne me plaisait. Mais ils ont continué à persévérer avec moi et ça n'a rien donné, malheureusement. Mais je me sentais, il faut bien l'avouer, quand j'étais dans des moments un peu isolé seul, je me sentais vraiment nul à cette époque-là parce que je ne savais pas ce que j'allais faire de ma vie.
- Speaker #1
Et qu'est-ce qui ne fonctionnait pas pour toi à l'école ? Est-ce que c'était le cadre ?
- Speaker #2
Je ne sais pas comment l'expliquer, mais il y a un moment où on arrive à 12-13 ans, on se pose des questions de qu'est-ce que ça va m'amener dans la vie d'apprendre ça et d'étudier ça par cœur. Vraiment.
- Speaker #1
J'étais quelqu'un qui remet les choses en question.
- Speaker #2
J'arrêtais pas. C'était peut-être débile, je sais pas, mais j'arrêtais pas de me demander pourquoi je dois savoir que la Belgique a été bourguignonne à un moment et qu'est-ce que ça allait m'amener. Et à côté de ça, ça ne m'inspirait pas tellement parce qu'il faut dire ce qu'il y a. Je suis né en Belgique, mais mes parents viennent du Maroc. Donc je m'appelle Ibrahim, donc tous les noms de références historiques ou autres n'avaient aucun lien avec qui j'étais. Ça ne m'encourageait pas à m'y intéresser. C'est l'histoire de la Belgique, de mon pays, mais ce n'était pas mon histoire. Et donc, je n'arrivais pas à m'identifier. Clairement, c'était trop différent. Donc c'était aussi un point où ça ne m'intéressait pas. Et puis de l'autre côté, j'avais envie de faire. J'avais envie de faire des choses. Et puis, c'est pour ça qu'on a essayé toutes les filières mécaniques et tout ça. Ça allait. Une fois que j'avais compris, ça ne m'intéressait plus. Mais j'ai envie de faire des choses. J'ai envie d'essayer des choses. Et moi, quand on va me dire qu'il ne faut pas faire ça, c'est la première chose que j'ai envie de faire. Voilà, j'ai vraiment envie. J'apprends en ratant. C'est bête, mais j'arrive...
- Speaker #1
C'est très intelligent, plutôt.
- Speaker #2
J'arrive vraiment à... Je vais essayer de plusieurs manières. Je vais rater, rater, rater. Et à chaque fois que je vais rater, ça va s'imprimer dans mon cerveau. Je ne vais plus jamais recommencer de cette manière-là. Je vais toujours faire d'une autre manière. Je déteste refaire deux fois la même erreur. Je fonctionne comme ça.
- Speaker #1
Donc, tu as un besoin de sens et un développement constant.
- Speaker #2
Exactement. Je ne crois pas au fichier Excel, je veux dire. On va venir me présenter un fichier Excel en me disant « Voilà ce qu'on va faire et voilà vers où on va aller. » J'y crois pas. J'ai envie de l'opérationnel. J'ai envie du concret. J'ai envie qu'on le fasse. Et une fois que c'est fait, de voir si ça peut évoluer et avancer.
- Speaker #1
Et tu penses que c'est cette facette de toi qui a fait que tu réussisses aujourd'hui ? Ça a été un vrai levier pour toi ou quelque chose qui t'a plutôt ralenti ?
- Speaker #2
Ça dépend du prisme avec lequel on voit. Parce que ça peut être un défaut. Parce que le fait de vouloir essayer les choses et de voir les faire avant de les agrandir, Merci. On perd du temps parce que, je ne sais pas moi, j'aurais pu peut-être faire un business plan à 20 ans et être encore plus loin aujourd'hui. De l'autre côté, pour moi, ça me rassure. Ça me permet de savoir que je sais ce que je fais. Je sais chaque personne de mon équipe ce qu'elle fait et ça me permet d'être rassuré sur le sens vers lequel on va. c'est plus lent mais c'est plus solide c'est vraiment plus solide Et par rapport à l'époque où j'avais 13 ans, où j'ai fait rater, mais vraiment rater jusqu'à mes 19 ans, ça, ce que ça m'a appris, en réalité, ça m'a immunisé contre l'échec. Ça veut dire quoi ? C'est quoi être immunisé contre l'échec ? C'est pas qu'on rate plus, c'est qu'on s'en fiche.
- Speaker #1
C'est que ça tape plus sur ton égo en fait.
- Speaker #2
Non, rater ça fait partie du process, ça fait partie de moi. Et c'est ok, on a essayé et je m'en veux pas. Ça reste franchement 30 secondes dans ma tête et je passe à autre chose. J'ai une mémoire de poisson rouge, je l'oublie. Vraiment, quand on me pose la question de qu'est-ce que t'as déjà raté dans ta vie, Je réfléchis beaucoup pour essayer de m'en souvenir. Les gens pensent que c'est parce que je n'ai jamais raté. Non, c'est juste que j'oublie. J'oublie, c'est inconscient, c'est imprimé, je veux dire, dans mon cerveau. Donc, je ne vais plus recommencer des choses. Mais j'oublie ou sinon ça freine. Le fait de s'en vouloir, ça freine par rapport à ce qu'on a envie de faire, l'impact qu'on a envie d'amener, l'ambition qu'on a pour la société. Ça nous freine. Il ne faut pas avoir peur de rater.
- Speaker #1
C'est vrai. Et avant tout ça, il y a eu une idée. donc Est-ce que tu te souviens de comment t'es venu l'idée de Molenbeek ?
- Speaker #2
Ah, exactement. Je me souviens, je discutais avec des amis à moi. On était quatre, un ami à moi, Morad, qui était aussi de Molenbeek, qui a aussi grandi ici. Et Geoffroy Marina, des Français expatriés à Bruxelles. Et on discutait. Et à l'époque... Moi, j'étais avec mes sociétés dans les technologies, donc c'est dans ce milieu professionnel que je les connaissais. Et puis, on discutait et il y a eu... On a commencé à parler du sujet des jeunes un peu dans les quartiers et j'ai été animateur-éducateur dans une autre vie. Et puis, c'était la première fois que je parlais d'un peu ce côté social avec eux parce qu'on était très entrepreneurs. On parlait beaucoup business, mais jamais de social. Et de fil en aiguille, lors de la conversation, on s'est dit, tiens, on ne ferait pas un startup week-end à Molenbeek. Et c'est de là que, je veux dire, on a parlé juste d'un startup week-end, mais moi, j'ai vu tous les freins au startup week-end. Le manque de compétences techniques. Et c'est quoi ? Directement. Un startup week-end, c'est, on réunit des gens qui ne se connaissent pas. Du vendredi soir au dimanche soir, donc pendant tout un week-end. Et le vendredi soir, certaines personnes de ces gens-là viennent nous présenter des projets entrepreneurials en disant « Ah tiens, moi j'ai envie de livrer du poisson à la maison des gens ou du pain ou n'importe quoi, n'importe quel projet entrepreneurial. » Et on crée des équipes le vendredi soir et on travaille jour et nuit, pendant tout le week-end, sur ce projet-là.
- Speaker #1
Et ça existe encore ?
- Speaker #2
On en fait tout le temps. Maintenant, c'est des Startup Week-end ou des hackathons. Donc ça existe, oui, ça existe encore. Startup Week-end, c'est une grosse organisation. Et donc, pour la petite histoire, c'est peut-être intéressant. Donc, c'est une grosse organisation où il faut demander, au fait, pour pouvoir organiser un startup week-end dans sa ville. Et donc, nous, quand on avait demandé à ce moment-là, on a dit, on veut faire un startup week-end Molenbeek. Moi, je voulais que Molenbeek soit dedans pour que les jeunes... Et là, je te parle, c'est 2014-2015, début 2015. C'était donc avant la réputation Molenbeek. Je voulais qu'il y ait Molenbeek parce que les jeunes se reconnaissent dans cette commune. Et quand on a demandé, ils nous ont dit non. Ils nous ont dit, si vous le faites à Molenbeek, vu que Molenbeek est une commune de Bruxelles, c'est Startup Weekend Bruxelles. Et donc, c'est à ce moment-là que je l'ai appelé Molengeek. Pour rien avoir à faire avec, pour garder le nom Molenbeek.
- Speaker #1
Donc, ça a commencé comme ça.
- Speaker #2
Exactement.
- Speaker #1
C'est fou. Et tu te souviens la première réaction qui t'a fait peur ? Celle vraiment où tu t'es dit, oh là là, là, je ne vais pas y arriver, mais tu y es allé quand même quand tu as eu cette idée. Tu as marqué un tournant même, peut-être.
- Speaker #2
Il y a eu des... C'est une bonne question parce qu'encore une fois, c'est les choses qui me font peur. Je prends le dessus assez rapidement, donc je ne m'en souviens pas fort. Mais je vais dire ouvrir un autre site que celui-là de Molenbeek. une autre antenne.
- Speaker #1
D'accord, donc tu étais déjà lancé en fait, quand tu as entrepris cette chose qui te faisait vraiment peur, entre guillemets. C'était plus un défi pour toi ou une vraie peur alors à ce moment-là ?
- Speaker #2
C'était un défi, une peur, des doutes, parce que je ne suis pas là, donc ici je suis là, donc j'arrive à gérer les problèmes, donc ça je n'ai pas peur, j'arrive à faire en sorte que tout tourne. Mais par contre, ouvrir un endroit et ne pas être là, c'est un petit peu un manque de contrôle sur l'infrastructure et donc ça fait toujours un peu peur. Et je pense que c'est vraiment... Passé le cap et puis j'ai appris énormément. J'ai fait beaucoup d'erreurs. J'ai appris énormément et voilà.
- Speaker #1
Et tu savais déjà comment monter une association ou tu as dû apprendre sur le tas ?
- Speaker #2
Au niveau administratif ? Oui. Pour moi, ça, ce n'est pas problématique parce que non, je ne sais toujours pas comment monter une association.
- Speaker #1
J'adore.
- Speaker #2
Voilà. Donc non, c'est vrai, je ne le sais pas. Donc, je travaille avec des gens qui savent faire ça.
- Speaker #1
D'accord. Donc ça, c'était ma question suivante. Ce qui fait que... Tu as demandé de l'aide, tu es allé chercher des gens qui savaient déjà.
- Speaker #2
Oh, exactement. Sinon, il faut bien comprendre qu'on avance beaucoup plus vite une fois qu'on a compris qu'on ne peut pas tout faire et qu'il faut relier les points et s'entourer de personnes qui ont les bonnes compétences et au bon moment. Parce que pouvoir tout faire, c'est impossible. Une personne qui puisse créer une association, la gérer, donner la dynamique, donner la vision, faire la comptabilité, la communication. Impossible.
- Speaker #1
Et quelles sont les premières personnes que tu es allé chercher alors pour demander cette aide ?
- Speaker #2
Tout d'abord, c'est les personnes avec qui j'ai fondé Moline Geek. Donc, on était quatre au départ. Et puis, à un moment, on a vu qu'il y avait des opportunités de grandir et d'en faire quelque chose de structurel. Parce qu'il faut bien comprendre que le week-end qu'on a fait, le Startup Week-end, c'était une bonne action du week-end. On ne voulait pas faire plus. On a nos entreprises, on a nos clients. et on voulait... on n'avait pas spécialement l'objectif de faire plus. Et quand on a vu l'engouement des jeunes, on a vu aussi l'intérêt de certains sponsors et tout à ce genre d'initiative, là, on s'est dit, on va essayer de structurer ça. Et moi, c'était quasi une évidence que j'allais rester dans le projet, et le faire parce que, comme le dirait Marina, elle m'a dit, pour toi, Molengeek, c'est un genre de thérapie. un petit peu parce que voilà c'est un peu un retour à la société à Molenbeek et à qui je suis et de l'autre côté donc voilà j'ai demandé à eux qui voulaient en être Marina et Geoffran ont décliné parce qu'ils avaient leurs clients et leur vision ailleurs. Morad il était là en part-time on va dire à mi-temps et puis on a dû s'entourer et puis à ce moment-là Plus tard, on a recruté notre fille, notre Française Julie, qui est venue dans cette aventure. Et puis, on s'est entouré. On a eu Yacine, qui a été notre premier coach en formation. Donc voilà, on a commencé à s'entourer vraiment.
- Speaker #1
D'accord. Comment tu as rencontré vraiment ces personnes ? Donc, c'est un réseau privé qui s'est étendu encore et encore. Et ce n'est pas en fait des organismes que tu as dû démarcher, des entreprises ?
- Speaker #2
Si tu veux, je te donne la différence. entre... Il y a les deux aspects. Et il y a une grande différence. Il y a une grande différence sur les deux aspects. Donc, quand on lance un projet, au départ, vraiment, ton équipe avec qui tu vas bosser au jour le jour, t'as besoin de personnes fiables. T'as pas besoin d'experts. T'as besoin de personnes fiables sur qui tu peux compter, qui sont là pour te soutenir. Ça, c'est le plus important, même s'ils n'ont pas de l'expertise. Tu vois, ça, c'est très important.
- Speaker #1
C'est une très belle vision.
- Speaker #2
Et puis, tu as tout le côté administratif. Tu vois, par exemple, créer une ASBL. Là, tu peux aller chercher une boîte externe. Tu vas travailler avec eux deux, trois jours pour faire l'ASBL et puis tu ne les revois plus. Tu vois, ah tiens, il faut mettre en place la comptabilité. Tu vas prendre une boîte et tu les vois une fois par mois et tu fais la comptabilité. mais les gens avec qui tu fais les choses dans le jour, le day-to-day, je n'ai pas d'autre mot que fiabilité. C'est des gens sur qui tu peux compter. C'est les gens sur qui tu peux dire, OK, si je suis malade et que je ne suis pas là, est-ce qu'ils vont faire le job ? Est-ce qu'ils vont être là ? Est-ce qu'ils vont prendre les bonnes décisions ? Si la réponse est oui, tu peux y aller. Après, l'expertise vient plus tard, quand tu grandis. Quand tu grandis et que tu vois que tu as besoin de compétences plus que de... fiabilité. Donc, tu as besoin de vraiment ce mix de compétences et le fait que la personne a les bonnes compétences et a la bonne place, elle devient fiable. Tu vois ce que je veux dire ? Parce qu'au départ, tu fais à peu près tout. Vous êtes trois ou quatre et tu fais tout. Tu fais la communication. Donc, ça veut dire faire tout. Ça veut dire faire des choses que tu n'aimes pas. C'est évident. Et ça, il faut être vraiment fiable. Par contre, quand tu as les personnes qui ont les bonnes compétences et qui sont à la bonne place, donc qui utilisent ces compétences-là, elles deviennent quasi automatiquement fiables parce qu'elles se sentent bien là où elles sont. Elles délivrent et donc ça devient des personnes qui s'épanouissent et qui deviennent fiables.
- Speaker #1
Et qu'est-ce que tu conseillerais à un jeune qui commence mais qui n'a pas de réseau autour de lui ? Donc il n'y a pas ces premières personnes.
- Speaker #2
Je le conseille à tous les jeunes qui viennent à Molengeek. La première qualité pour un associé, un partenaire, un collaborateur, l'un des premiers. Donc dans les premiers, je le répète, c'est la fiabilité. S'il y a une personne fiable que vous connaissez, ça veut dire quoi ? Une personne fiable, ça veut dire qui est là. Pas qui a les compétences, mais qui est là, sur qui on peut compter. Cette personne, il ne faut jamais la lâcher. Même si ça ne convient pas au projet, ça va convenir à un autre projet. Mais il ne faut pas la lâcher parce que c'est une qualité rare. Ça, ça ne prend pas être fiable.
- Speaker #1
Et comment attirer ce genre de personnes quand on n'a pas ces premières personnes dans notre réseau proche ? Tu aurais une idée ?
- Speaker #2
Oui, je pense qu'il ne faut pas sauter les étapes. C'est important de prendre le temps de connaître les gens. Et je pense aussi qu'il y a une partie de... Je pense que les gens, ils deviennent fiables quand ils se sentent en sécurité. Je ne sais pas comment l'expliquer autrement. Et pour qu'ils se sentent en sécurité, il faut que toi-même tu sois fiable d'abord. Il faut que toi-même tu donnes du temps pour rien. Tu mets des choses sur la table sans retour et que tu montres que là où tu vas aller, c'est quelque chose qui te dépasse toi et qui te dépasse les gens et que tu as envie de démarrer ça. Je veux dire, c'est super important que toi, tu fasses déjà la démarche. Et parfois, mettre des choses sur la table, sans retour, pour certaines personnes, c'est de la souffrance. Je suis un peu dans la psychologie, mais pour certaines personnes, c'est de la souffrance. C'est pas juste, c'est pas correct. Ils préfèrent un contrat, ils préfèrent d'autres choses. Mais pour moi, ça n'a jamais fonctionné comme ça. Je pense que la souffrance fait partie de la procédure. Au plus, on souffre. En plus, on devient meilleur.
- Speaker #1
J'aime beaucoup ce que tu viens de dire.
- Speaker #2
C'est vrai, c'est vrai. C'est vraiment vrai. On n'apprend que dans l'échec et la souffrance. On n'évolue pas si on n'a pas d'échec.
- Speaker #1
Si je résume pour toi, c'est déjà donner avant de recevoir et prendre beaucoup de leçons sur ces échecs sans être freiné par ces échecs-là. Que ça puisse nous donner de l'élan, justement.
- Speaker #2
Exactement. Tu sais, on m'avait organisé une vidéo d'anniversaire et c'était l'équipe qui me l'avait organisée. Et ce qu'ils avaient fait, c'est qu'ils avaient demandé aux personnes de citer une ou deux qualités que j'avais. Et ça m'a fort étonné parce que je ne le voyais pas. Mais je vais dire, 85% des gens disaient, il n'a qu'une parole. Et donc ça, pour les gens, ça les rassure d'avoir qu'une parole. Donc, c'est être fiable d'une certaine manière. C'est d'être là pour les autres. Et de l'autre côté, ils savent que c'est carré. Et ces gens-là, cette relation-là, elle ne se crée pas avec 10 personnes, 20 personnes. Elle se crée avec 3, 4, 5, si on a de la chance. Mais ce n'est pas une relation qu'on peut créer avec, en tout cas au début, avec une vingtaine ou une trentaine de personnes. Ça, c'est plus compliqué.
- Speaker #1
Et quand tu as fait tes premières... Quand tu es allé chercher tes premiers financements, comment tu as fait pour ne pas te laisser intimider en sachant que tu n'avais pas de diplôme, pas encore beaucoup de réseau, pas encore beaucoup d'appui ? Comment tu as fait à ce moment-là, au niveau mindset ?
- Speaker #2
C'est... J'ai jamais... C'est jamais rentré dans la balance, le fait que je n'ai pas de diplôme. C'est un peu arrogant. Enfin, je ne sais pas si je dois dire ça comme ça, mais... Je savais exactement où j'allais.
- Speaker #1
Tu ne t'es pas laissé...
- Speaker #2
Je savais où j'allais. Je vais même te dire, je n'ai jamais ressenti que le fait que je n'ai pas de diplôme pèse sur la balance. Jamais. Moi, peut-être que ça pesait. Je n'en sais rien, mais je ne l'ai pas vu. Mais par contre, je savais où j'allais. Je savais ce que je voulais faire. Et quand je l'expliquais, les gens le ressentaient.
- Speaker #1
Et ta légitimité, alors, à ce moment-là, tu l'as trouvée dans quoi ? C'est quoi qui te donnait cette force de dire... Je sais que je suis à ma place ici et j'ai une place à prendre.
- Speaker #2
Par rapport à ce que j'avais vécu et mon expérience, à qui j'étais. Donc je proposais aux gens d'aller prendre des jeunes de quartier et d'en faire des ingénieurs dans la tech. Plein de gens m'ont pouffé de rire au nez en disant, mais c'est impossible, si l'école n'y arrive pas, c'est pas toi qui va y arriver. Et moi, je leur disais, je signe des timesheets où il y a marqué ingénieur et il y a mon nom. Ibrahim Ouassari, ce n'est pas un diplôme d'ingénieur, mais c'est un boulot qu'on appelle ingénieur dans les technologies et dans l'informatique. Et ça, c'est... Je m'occupais des serveurs et donc je dis, je suis l'exemple, qu'on n'a pas besoin de passer par l'école. Je sais qu'est-ce qu'il faut faire. J'ai été ce gamin qui a quitté l'école, ça ne m'intéressait pas. J'ai été ce gamin qui a trouvé une passion et qui a fondé ses entreprises et qui a eu des employés et qui a appris énormément. Donc je sais ce qu'il faut faire, ce que toi tu ne sais pas, même si tu as été à l'école. Mais c'était inconscient, je ne l'expliquais pas comme ça. Mais les gens le comprenaient. Parce que je maîtrisais ma matière aussi. J'avais une crédibilité parce que je suis né, j'ai grandi à Molenbeek. Le fait que je n'ai pas de diplôme, c'est une crédibilité.
- Speaker #1
J'aime beaucoup ce que tu dis parce que voilà, c'est ça en fait. C'est de se dire mon parcours me rend légitime, ce que j'incarne me rend légitime pour faire ce que je fais. Si j'ai bien compris.
- Speaker #2
Exactement. Ce que je dis beaucoup aux jeunes, je leur dis que... leur premier job et leurs deux premières années d'expérience est beaucoup plus important que leur diplôme. Ça, c'est clair. Après, ce que je dis aussi, c'est que mon chirurgien, j'aimerais qu'il soit diplômé. Je ne suis pas en train de renier les diplômes ou tout ça, mais en tout cas, dans le secteur des technologies, les deux premières années d'expérience qu'ils vont avoir sont beaucoup plus valorisantes que le diplôme qu'ils ont. Ça, c'est clair. Parce que les technologies, ça avance. Ça change, ça évolue. Et donc, s'ils ont fait telle école de tech il y a cinq ans, ça n'a aucun sens pour un employeur.
- Speaker #1
Et quand on te fermait une porte, tu faisais quoi ?
- Speaker #2
Ça me donnait plus d'énergie. C'est vrai, c'est vraiment vrai. C'est vraiment, je remercie toutes les personnes qui m'ont fermé la porte au nez, qui m'ont dénigré, qui n'ont pas cru en moi, parce que ça m'a rempli d'énergie. Ça m'a rempli d'énergie. Je convertissais ce refus en énergie pour « je vais le faire » .
- Speaker #1
Une sorte de revanche, quoi. Même pas pour la personne,
- Speaker #2
mais par rapport à moi-même, en me disant « je vais le faire » . Je vais le faire parce que je suis certain que je suis capable et je le vois tous les jours que ça fonctionne et que ça marche, et donc je vais le faire. J'ai une sorte aussi de responsabilité par rapport à tous ces jeunes de quartier et tout ça, parce que si moi je n'y arrive pas, ce n'est pas le bon exemple pour eux. Et donc ça risque de les enfermer dans une vision de tout le monde est contre nous, même lui n'y arrive pas. Et donc j'ai pour obligation d'y arriver.
- Speaker #1
Ok, donc c'est vraiment d'avoir une vision un peu plus universelle, ne pas être... seulement auto-centrer sur sa propre réussite, mais aussi de se dire, je veux être un exemple pour les autres et leur montrer qu'un chemin est possible.
- Speaker #2
On est un exemple malgré soi. On ne s'auto-décrète pas exemple. Ça, il faut bien comprendre. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que moi, je ne peux pas venir et dire, je suis un rôle modèle. Si personne ne me voit comme rôle modèle, je ne suis pas un rôle modèle. Un rôle modèle, c'est une interaction entre un public et une personne. C'est les autres qui m'ont mis comme rôle modèle et exemple. Je n'ai jamais voulu être un rôle modèle et un exemple. Mais malgré moi, je le suis. Et je me rends compte que pour beaucoup de personnes, ça veut dire beaucoup et que c'est un moteur pour eux pour continuer à faire ce qu'ils doivent faire tous les jours pour y arriver. Et ça me met une grosse charge de responsabilité sur le dos. Mais voilà, je trouve que c'est... C'est important que les gens comprennent ça. On ne s'auto-décrète pas rôle modèle. C'est les gens qui vous donnent cette position ou pas.
- Speaker #1
Et aujourd'hui, avec tout ce que tu as appris, avec tout ce que tu as construit, qu'est-ce qui en toi toujours reste exactement pareil qu'avant ?
- Speaker #0
Dans tes valeurs, peut-être ?
- Speaker #1
Vraiment, il n'y a rien qui a changé pour moi. Il n'y a rien qui a changé pour moi. J'ai l'impression d'être... Je continue à être à Molenbeek. Je tutoie tous les CEOs que je connais. J'ai été au conseil d'administration de Proximus, qui est une très grosse boîte. de télécommunications en Belgique, c'est la première. C'est un peu comme Orange en France. Et je ne me suis jamais mis en costume pour y aller. Au contraire, je leur ai tous offert un hoodie à capuche à tout le conseil d'administration. Et ils le mettent. Ils le mettent de temps en temps. Et je n'ai pas l'impression d'avoir changé. Pour être honnête, je déteste cette idée de devoir me travestir pour réussir.
- Speaker #0
C'est ça que j'ai remarqué chez toi, parce que je t'ai vu avec le maire de Roubaix, il me semble, sur LinkedIn.
- Speaker #1
Exactement.
- Speaker #0
Et j'ai été frappée justement par le fait que tu n'avais pas vraiment la tenue de monsieur tout le monde là-bas. Et donc le costume, la cravate qui va bien. Et j'ai trouvé ça vraiment... Oui, j'ai trouvé que tu étais une personne intègre à ce moment-là, qui restait telle qu'il est, peu importe le milieu, fidèle à soi. Et ce n'est pas dur parfois d'être... confrontés au regard de l'autre si on reste tel que l'on est dans un milieu qui n'a pas ces codes-là ?
- Speaker #1
Non, c'est... Les gens savent à qui ils ont affaire, en fait. Je ne leur mens pas. Je ne me déguise pas. J'essaie pas de jouer un rôle. Et je pense, bien au contraire, ils apprécient ça. Cette franchise, ils l'apprécient. Par exemple, Guillaume, le maire de Roubaix. parce qu'on va ouvrir un Moline Geek à Roubaix bientôt, et le maire de Roubaix, on a une très très bonne relation, parce que voilà, on est très francs, on est très transparents, et je pense qu'il n'y a pas d'artifice autour de nous, et ça nous permet de pouvoir créer un projet qui a énormément de sens pour les concitoyens de Roubaix. Non, ce n'est pas difficile. À côté de ça... S'il y a une réception où on m'invite et qu'on me dit de prendre table et que c'est une réception habillée par respect, je vais m'habiller. Je vais mettre une chemise ou quelque chose. Vraiment, par respect pour l'effort qui a été fait pour l'organisation. De l'autre côté, j'ai... J'ai reçu deux fois le roi des Belges ici, à Molenbeek et à Laken. J'ai quand même mis une petite chemise. J'ai mis une petite chemise parce que le protocole me demandait de mettre une chemise. Mais non, je pense que c'est important de rester qui on est. Je pense que c'est important de ne pas se travestir pour rentrer dans des codes dans lesquels on est mal à l'aise. On est mal à l'aise dans ces codes-là parce que... Ce n'est pas Bruxelles de 2025. Ce n'est pas Rubette 2025. Je pense que c'est important qu'on s'accepte comme on est. Encore une fois, je pense que c'est important de garder son intégrité et de savoir d'où on vient. Pour moi, je n'ai pas changé, mais pas d'un iota. J'ai pris de l'âge, j'ai vieilli, j'ai d'autres intérêts. Mais qui je suis, mes valeurs ? ça n'a pas changé du tout. Vraiment. Je pense vraiment être, comme j'étais à 19 ans, par rapport à essayer de servir à quelque chose, à être utile.
- Speaker #0
Alors, tu as eu la force de ne pas te laisser abattre par un manque de diplôme. Ça ne t'a jamais limité. Et tu dirais quoi à celles et ceux qui pensent que pour eux, c'est foutu, justement parce qu'ils n'ont pas les diplômes qu'il faut ?
- Speaker #1
Déjà, je vais leur dire que Non, ce n'est pas foutu. C'est beaucoup, beaucoup plus facile avec un diplôme, je crois. Je n'en ai pas, donc je ne peux pas comparer, mais j'ai l'impression que j'ai raté beaucoup d'opportunités parce que je n'avais pas de diplôme. Mais de l'autre côté, ce n'est pas parce que le système scolaire ne leur convient pas qu'eux sont foutus. Le fait de ne pas être bon à l'école ne veut pas dire qu'ils sont incompétents ou idiots. Je pense vraiment... qui ont des capacités qui sont même rares pour des entreprises, parce que c'est des capacités, nous les jeunes qu'on forme à Molenbeek, certains n'ont pas de diplôme. Et les entreprises privilégient ce genre de profil parce qu'ils n'ont pas la grille de lecture scolaire. Ils viennent parfois vraiment avec des idées out of the box, donc hors de la boîte, vraiment très logiques. Et ce que la grille de lecture scolaire nous empêche de faire. J'arrive parfois à dire des choses ou à faire des choses parce que je ne sais pas que ça ne se fait pas. On ne m'a jamais appris que ça ne se fait pas. Mais à l'école, on vous apprend que ça ne se fait pas. Et donc, moi, c'est très simple. Quand on parle avec moi, dire « j'ai pas compris » , je le dis souvent, constamment. Et donc, ça force la personne en face à être plus pédagogue, à aller plus dans les détails et ça le force à bien m'expliquer. Donc, ne pas être allé à l'école, parfois, ça permet de tout mettre sur la table, de remettre les choses à zéro et d'essayer d'avancer de manière un peu plus logique et pas de se dire « ah ben, telle personne a tel diplôme, donc je peux pas le remettre en question » . Non, moi, je remets en question vraiment tout le monde. Je sais que tout le monde est plein de doutes. Et donc, non, ça va être plus dur que ceux qui ont un diplôme, mais ça va aussi être plus excitant et plus marrant. Il y a vraiment plein de découvertes. Ils ont la chance de pouvoir être dans une phase de découverte de la première fois de plein de choses. Donc, ils doivent... y aller, ils ne doivent pas baisser les bras, ils doivent y aller. Ce n'est pas l'école qui définit la personne. C'est vous-même. Ça, c'est important.
- Speaker #0
Je suis d'accord. Et si tu devais donner trois ingrédients pour transformer une limitation en force, tu dirais quoi ?
- Speaker #1
Une limitation, ça veut dire quoi ?
- Speaker #0
Ta propre limitation va partir d'Étienne, alors. Ça peut être une peur, ça peut être... Qu'est-ce que tu dirais, toi ? Qu'est-ce qui te vient à l'idée ?
- Speaker #1
Hmm.
- Speaker #0
À l'esprit.
- Speaker #1
Là, comme ça, j'ai envie de dire...
- Speaker #0
L'imitation sociale, l'imitation physique, ça peut être plein de choses. Mais ça reste une imitation. Comment on peut aller au-dessus de ça ?
- Speaker #1
Comme Orangina.
- Speaker #0
J'adore.
- Speaker #1
Mais c'est vrai, ils ont réussi à faire en sorte que leur défaut de devoir secouer la bouteille devienne leur campagne marketing. Je veux dire, si on est d'origine étrangère, si on fait partie d'une minorité de genre, si on a un handicap XY, ça peut devenir une force. Ça dépend comment on le voit.
- Speaker #0
C'est de changer le prisme à travers la vie.
- Speaker #1
Exactement, ça c'est important. Par contre, par rapport à la peur, je pense que là où on n'a pas peur, là où on n'a pas peur, c'est là où il ne se passera jamais rien. Jamais rien de nouveau. Il faut toujours qu'on soit dans cette crainte et toujours surmonter cette peur. Après, ça devient un peu plus compliqué quand on a des employés qui ont des familles. Est-ce que je peux prendre vraiment n'importe quel risque ? Mais oui, pour eux, il faut le faire. Il faut pouvoir prendre des risques, les calculer, les mesurer. Et si vous n'avez pas été à l'école, tant mieux, parce que vous les mesurez de manière humaine et pas sur une feuille Excel où vous allez avoir peur de tout. Par exemple... Mon confondateur, Morad, lui, il a fait une business school ici à Bruxelles, Solvay. Il est sorti avec une mention incroyable. À chaque fois de discussion, ils étaient... Moi, il me disait toujours, j'ai l'impression que tu ne vois pas les risques. Je me dis, mais si, je les vois. Je vois les risques et je fais avec et j'essaye de doser. C'est une question de dosage. Il me dit, mais tu ne prends pas le risque que si on fait un startup week-end, et à... zéro personne qui vienne. Imagine qu'il y a zéro. Je fais, mais pourquoi il y en aura zéro qui vont venir ? Il me fait, mais tu dois prendre ce risque. Je fais, non. Enfin, si je fais tout ce que je fais là, c'est pas pour qu'il y ait zéro qui vienne. Et s'il y a zéro qui vienne, tant pis. À ce moment-là, on verra. Mais lui, il y avait vraiment tout qui le freinait. Il calculait vraiment trop les risques et trop calculer les risques, parfois, ça nous fige.
- Speaker #0
Ça paralyse, oui. Et si tu pouvais retourner parler ? au petit Brahim de 13 ans, tu lui dirais quoi ?
- Speaker #1
Je lui dirais, t'inquiète, t'es quelqu'un de bien. Voilà, je lui dirais ça.
- Speaker #0
Si tu devais nommer ce qui nourrit ton feu intérieur, ce qui t'allume, ce qui te lève ou te relève, tu dirais quoi ?
- Speaker #1
Aujourd'hui... C'est autre chose qu'hier, mais aujourd'hui, c'est les jeunes. C'est l'impact, c'est recevoir des messages sur LinkedIn en me disant « Ibrahim, merci, je bosse dans telle entreprise aujourd'hui, j'ai appris plein de trucs et c'est vraiment cool ce que vous faites à Molengeek » . Ça, c'est vraiment les jeunes et le fait qu'il y ait de l'impact et qu'ils trouvent un boulot et tout, c'est vraiment ce qui me nourrit aujourd'hui. Avant, c'était d'autres choses. Et là, je parle du projet Molengeek. Avant c'était d'autres choses, mais aujourd'hui c'est ça. C'est vraiment l'impact. C'est pouvoir voir... Parce que Molengeek a fête les 10 ans cette année. Ça fait 10 ans. On est dans 13 villes en Europe, dans 2 villes en Afrique, au Maroc. Il y a des jeunes qui ont commencé à Molengeek qui avaient 19 ans. Aujourd'hui, c'est des pères de famille. Ils sont maris, c'est des pères de famille, ils ont des enfants. Quand je vois ça, je me dis « waouh » . Je me dis que ça a du sens, ça ramène énormément de sens. Et donc, le fait qu'il y a tellement de barrières, qu'il y ait tellement des mondes qui ne se connaissent pas, ça veut dire ce monde un peu qui nous dirige. Et ce monde de jeunes qui vivent dans les quartiers, ils ne se connaissent pas. Ils ne connaissent pas les codes, ils ne se comprennent pas. Donc, il y a des choses qui sont mises en place qui ne sont pas adaptées à d'autres. On revient à la question de départ. Il faut rebâtir parfois pour adapter. Il faut rebâtir pour adapter parce qu'il y a énormément de potentiel gâché. Il y a énormément de frustration créée. Il y a énormément de désespoir pour certains jeunes qui n'ont pas lieu d'être. Ce n'est pas une fatalité. C'est juste qu'on fait mal les choses, de manière très claire. On fait juste mal les choses. On n'arrive pas à les attirer. On n'arrive pas à les garder. On n'arrive pas à les former. On n'arrive pas à les mettre dans des entreprises. C'est là qu'on foire. Et on continue avec la même recette encore et encore en disant Aux autres, c'est vous qui devez vous adapter. Moi, je fais ma ratatouille, elle est dégueulasse, mais c'est toi qui dois la manger. Et si tu ne la manges pas, c'est que tu n'as pas faim. C'est ce qu'on dit aux gens. Et ce n'est pas correct.
- Speaker #0
Et donc, d'après toi, il faudrait plus d'acteurs qui ont traversé ce que ces jeunes traversent ?
- Speaker #1
Je pense que ça peut être une solution. Mais au-delà de ça, je pense que le secret dans tout ça, c'est l'empathie. Il faut plus d'acteurs qui ont de l'empathie, mais pas de l'empathie péjorative. Ça veut dire, l'empathie péjorative, « Oh, le petit jeune, il a joué aux jeux vidéo jusqu'à 4h du matin, il veut venir à la formation à midi, c'est pas grave, ça c'est mauvais. » C'est de l'empathie par rapport aux jeunes qui, l'écrasante majorité des jeunes, et même la totalité, ils veulent s'en sortir. Et pour s'en sortir... Quand ils ont évolué dans un monde sans école, à traîner les rues, à rester dans le quartier, des choses comme ça, c'est un monde sans cadre. Ils ont besoin d'un cadre. Ils sont demandeurs d'un cadre. Un cadre où ils se sentent utiles, où on leur fait confiance, où on les responsabilise, où ils sont actifs et qui font partie de cette société. Ça, c'est ce qui est manquant. Ces jeunes-là, ils se créent des cadres entre eux. Et voilà, c'est des cadres, ok, qui sont parfois dans l'illégalité, qui sont parfois pas très bien dans l'hygiène de vie et de travail, mais c'est des cadres, c'est des règles, c'est des codes. Ces codes-là, ils ont besoin de les avoir, ils sont demandeurs, mais ils ont besoin de les avoir dans la vie active. Ils ont envie de faire partie de la société. chaque début de formation. Ce que je dis aux jeunes, c'est j'espère pour vous que vous allez payer beaucoup d'impôts. Et c'est ce qu'ils veulent, c'est payer de l'impôt. Ils veulent payer des taxes et de l'impôt. Ils veulent gagner leur vie honnêtement et pouvoir se projeter et faire leur petit parcours.
- Speaker #0
Ne plus être dépendant, ne pas être dépendant.
- Speaker #1
Personne n'aime être dépendant. Bien sûr qu'il aime être dépendant. C'est une question en disant, ah, c'est assister. On les met dans des conditions d'assister. On les met dans des conditions d'assister en étant empathiques péjorativement, en leur donnant pas les bons outils, la bonne manière, continuer à leur apprendre, aller chez un jeune qui a quitté l'école, le mettre dans une formation qui ressemble à l'école, c'est débile. Non mais vraiment, s'il a quitté l'école, c'est pas pour revenir à 20 ans dans une formation où il est assis en randonnion avec un prof, ça va pas marcher. Ça ne fonctionne pas. ne pas remettre ça en question parce que ça fonctionne, parce que ça, c'est problématique. C'est vraiment problématique. Et je ne dis pas, je dis que l'école et les formations, ça fonctionne pour une majorité de personnes. Il n'y a pas de problème. Mais il y a ces 20, 25, 30 %.
- Speaker #0
Quand même.
- Speaker #1
Ah oui. Il faut dire ce qu'il y a. Si je prends les chiffres de Bruxelles, l'institut qui forme les Bruxelles Formation forme 14 000 personnes par an. Sur ces 14 000 personnes, ils ont à peu près un taux de sortie positive de 60%, 64%. Ça veut dire des personnes qui soit trouvent un emploi, mais aussi trouvent une autre formation ou trouvent un stage. Vous voyez ? Il y a plein de gens qui font des formations qui ne trouvent pas de boulot. Je pense qu'on est proche des 100 000 chercheurs d'emploi à Bruxelles.
- Speaker #0
C'est énorme.
- Speaker #1
C'est énorme. C'est énorme.
- Speaker #0
Est-ce que tu as vu depuis ces dix dernières années une... Une croissance justement de ces jeunes qui ne trouvent pas leur place dans les formations, ne trouvent pas leur place à l'école. Est-ce que tu penses qu'il y a une augmentation justement de ce manque de sens dans la structure telle qu'elle est mise aujourd'hui dans le milieu scolaire ou dans le milieu de la formation ?
- Speaker #1
Totalement, totalement. On reçoit 200 candidatures, 200 candidatures pour 15 places. Donc, il y a un vrai vide pour eux, vraiment. Déjà, arriver à faire en sorte qu'ils envoient leur candidature, c'est déjà très challengeant. Parce que ce qu'on appelle les NEETs, Non-Education, Employment and Training, c'est des jeunes comme j'étais, qui avaient quitté l'école, qui ne savaient pas quoi faire de leur vie. On n'a aucun intérêt à aller s'inscrire chez Actiris, ce qui est le... France Travail. On n'a aucun intérêt. Pourquoi aller s'inscrire là-bas ? Pour trouver un boulot. Mais ils vont nous envoyer pour être plongeurs ou pour monter des pneus sur des voitures ou... Non, ça va. Non. Non, je suis la troisième, quatrième génération. C'est comme ça qu'ils pensent. Ils veulent faire autre chose de leur vie. En plus, ils ont quelque chose qui est... que j'avais pas, moi, étant jeune. C'est ces réseaux sociaux qui leur donnent des attentes, parfois déraisonnables. Pour eux, pour certains d'entre eux, gagner 5 000 euros par mois, c'est le minimum. C'est les réseaux sociaux qui leur donnent cette fenêtre d'Overton. Ça leur donne des attentes irraisonnables. Et vu qu'ils n'y arrivent pas, ça les déprime. Il y a vraiment une vraie problématique. À côté de ça, on a le même système de formation et d'éducation qui existe depuis des années. On est les seuls qui sommes venus à un moment mettre un coup de pied dans la fourmilière. Mais à Bruxelles, on forme 200 personnes par an. C'est rien. On ne sait pas faire plus. On n'a pas les espaces. On n'a pas les financements. 200 personnes par an, c'est rien. Donc, c'est là où il y a vraiment des choses à faire. Ces jeunes-là, on prend. Soit on prend des mauvaises décisions, soit on ne prend pas de décision et c'est une mauvaise décision. Il faut pouvoir se remettre en question, réadapter un peu le système parce que les entreprises sont prêtes à embaucher. Nous, les jeunes qui sortent d'ici sont embauchés. Ils ont du boulot, donc ils sont prêts à embaucher, ils sont prêts à jouer le jeu. Par contre, comment y arriver, c'est un autre challenge.
- Speaker #0
Merci beaucoup, Ibrahim, pour tout ce que tu as partagé.
- Speaker #1
Avec plaisir.
- Speaker #0
À présent que notre entretien touche à sa fin, je te propose de participer au rituel d'histoire d'alchimiste et je te tends maintenant la fiole d'alchimiste remplie de poudre dorée. Elle peut exaucer trois de tes vœux. Alors, si tout était possible, tu ferais quoi ?
- Speaker #1
Je pense que je... Je... L'école. Je changerais l'école. Parce qu'en fait, Moline Geek n'existe que parce que l'école fait des erreurs. Et c'est ça que je changerais. J'ai besoin que d'un vœu.
- Speaker #0
Vraiment. Le système scolaire.
- Speaker #1
Le système scolaire. Faire en sorte que j'adorerais pouvoir punir ma fille en lui disant « Aujourd'hui, tu ne vas pas à l'école. » Et qu'elle me dise « Non, j'ai envie d'y aller. Papa, s'il te plaît. » Non, ce n'est pas encore le cas. tu vois j'aimerais j'aimerais ça j'aimerais pouvoir que les enfants soient demandeurs d'aller à l'école parce que c'est pas que c'est le club med mais parce que c'est intéressant qu'ils apprennent des choses qu'ils se sentent valorisés qu'ils voilà
- Speaker #0
ça et pour le moment c'est pas le cas je suis d'accord il t'en reste deux ?
- Speaker #1
ah la paix dans le monde et assez de nourriture pour tout le monde voilà Non, je pense aussi, blague à part, dans un monde mondialisé comme on a aujourd'hui, que ce soit le digital, les réseaux sociaux et tout ça, qu'il y ait plus, encore une fois, de compréhension et d'empathie entre les populations. Et quand je parle des populations, je parle surtout des classes sociales. et du contexte dans lequel on vit. On fait souvent l'erreur, l'être humain fait souvent l'erreur de dire « moi j'aurais fait ça » . Oui, mais ce n'est pas toi. Il faut comprendre ça. C'est facile d'arrêter de fumer, il ne suffit pas de fumer. C'est facile d'avoir un job, il suffit de traverser la rue ou d'aller... de finir ses études. On n'a pas ça. On n'a pas ça. Donc voilà. Et dernièrement, il y a des personnes qui disent « Moi, mes parents, ils sont indépendants, ils bossaient beaucoup et ma grand-mère me suivait à l'école. C'est pour ça que j'ai des bonnes notes. » Oh, c'est génial. Et les gens qui n'ont pas de grand-mère. Je veux dire, il faut... Moi, je n'ai jamais connu mes grands-parents, par exemple. Je suis né, j'étais là l'an dernier, donc voilà, je n'ai jamais connu mes grands-parents. Et je veux dire, avoir un peu d'empathie et d'arrêter de dire c'est facile parce que ça a été facile pour soi. Non. Moi, j'ai trouvé beaucoup de plaisir à faire ce que j'ai fait dans ma vie. Et donc, vu que j'ai trouvé ce plaisir, je ne vois pas la difficulté, je ne vois pas la pénibilité. Mais c'est dur. C'est vraiment dur de monter tout ce qui a monté, mais il y a tellement plus de plaisir que... de souffrance que ça me va. Mais ce n'est pas pour ça que je vais dire que tout le monde, il suffit de claquer des doigts, vous allez trouver, vous allez faire. Non, ça, c'est pas vrai. On a tous un contexte qui est très différent. Et avoir un peu d'empathie et de compréhension de l'autre sans jugement, en essayant de pouvoir soutenir, c'est cool.
- Speaker #0
C'est trois beaux voeux. Laisser tomber le jugement, adopter l'empathie et changer le système scolaire. Merci beaucoup Ibrahim Merci à toi