- Speaker #0
Bienvenue dans le podcast d'Histoire d'artisan, je suis Lisa Millet, présidente de l'association Eponyme. Histoire d'artisan valorise l'ingénierie des artisans d'art en mettant en avant l'innovation et la recherche au sein des ateliers. Cet épisode est un peu particulier puisqu'il s'agit de la retransmission intégrale de la table ronde organisée en novembre 2024 lors de l'Assemblée Générale de l'outil en main France à l'occasion de ses 30 ans, intitulée « L'humanité, le geste et la transmission » . Cette discussion revient sur l'importance du geste manuel dans un monde en pleine mutation. On y parle notamment d'un sondage offert et mené par Billendy et BVA Excite pour l'outil en main. Cette étude fournit une vue d'ensemble de la perception des métiers manuels par les Français, tout en analysant l'impact de l'outil en main sur ces bénéficiaires. Les résultats mettent en lumière des enjeux sociétaux majeurs comme l'importance accordée aux métiers manuels et leur potentiel en matière de reconversion professionnelle. Nous mettrons le lien de ce sondage en description pour que vous puissiez le télécharger et le consulter. Avec des invités de prestige, chercheurs, artisans, experts, cette table ronde s'interroge sur ce que nous transmettons lorsque l'on transmet un geste et sur la place des métiers manuels face aux technologies émergentes. Belle écoute ! Donc pour ces 30 ans, on a souhaité faire une table ronde « L'humanité, le geste et la transmission » . Pourquoi ce thème ? Parce que dans un monde en constante évolution, où le numérique et l'automatisation prennent une place grandissante, le geste manuel reste un repère essentiel, un lien profond entre l'humain, le savoir-faire et la créativité. Et les chiffres parlent d'eux-mêmes. Selon le sondage BVA, 80% des Français perçoivent positivement les métiers manuels, les considèrent comme essentiels face aux enjeux sociétaux. Et alors cette statistique, je l'aime beaucoup. 71% des Français envisageraient une reconversion dans un métier manuel témoignant d'une véritable aspiration à redonner du sens à leur activité, à renouer avec la matière et à transmettre des valeurs intemporelles. C'est merveilleux. Ils n'ont pas rencontré l'outil en main suffisamment tôt, dommage pour eux, mais bon, on leur pardonne. Aujourd'hui, nous avons l'opportunité d'explorer ces questions avec des intervenants de qualité qui apporteront chacun leur regard et leur expertise. Parmi nous, nous avons Thierry Béléguic, Laurent Gaveau, Dominique Léon et Michel Letté. Thierry Béléguic. Vous êtes professeur en littérature française et directeur du département de littérature, théâtre et cinéma de l'Université Laval à Québec. Vous êtes responsable du pôle québécois du Laboratoire international associé Arts, Société et Mieux-être, en partenariat avec l'Université Côte d'Azur, où vous êtes engagé depuis plusieurs années dans un chantier transdisciplinaire sur la notion de soins. Laurent Gaveau, vous êtes expert culture et tech, consultant fondateur du Lab Google Arts & Culture. Vous avez travaillé à l'intersection de l'art et de la technologie pour des organisations aussi variées que Google ou le Château de Versailles. Dominique Léon, on a pu voir une petite interview de vous, mais je le reprécise quand même. Vous êtes artisan coiffeur, vous avez créé votre salon en 1991, vous avez 45 ans de métier, vous êtes champion de France de coiffure en 1985 et vous êtes artiste peintre depuis 20 ans et, attention, futur bénévole de l'outil en main. Michel Letté, vous êtes enseignant-chercheur en histoire des technosciences au Conservatoire national des arts et métiers, donc vous êtes à la maison. Vous vous intéressez aux cultures ordinaires des sciences et techniques dans leur rapport à la société. Avec vous, tous les quatre, nous allons tenter de répondre à deux grandes questions. La première, qu'est-ce que l'on transmet lorsque l'on transmet le geste ? La deuxième, comment situez-vous la démarche de l'outil en main face à l'émergence des nouvelles technologies ? Nous aurons également... l'occasion d'échanger avec vous, public, en fin de session, pour enrichir cette réflexion grâce à vos témoignages et à vos questions. On va donc commencer par la première question. Qu'est-ce que l'on transmet lorsque l'on transmet le geste ? Transmettre un geste peut sembler, à première vue, un simple acte technique. Apprendre à accomplir une tâche, manier un outil, exécuter une action précise. Pourtant, vous allez tous les quatre nous montrer que la transmission d'un geste dépasse largement cette apparente simplicité. C'est ce que nous avons voulu montrer avec le projet Regards, que nous avons développé avec l'association dont je suis la présidente, Histoire d'artisan, qui est le fruit d'une collaboration entre l'association et l'artiste Léa Georgelin. Et dans ces œuvres, on a justement souhaité inviter chacun à faire rentrer le geste artisanal chez soi, comme un témoignage vivant de la richesse et de la poésie du savoir-faire. Je vais commencer avec vous Thierry. Selon vous, Qu'est-ce que l'on transmet lorsque l'on transmet le geste ?
- Speaker #1
Alors on a 4 minutes chrono chacun, donc on ne dira pas tout évidemment, et donc c'est pour lancer un petit peu la discussion avec vous. Alors sur cette question-là, j'aurais 3 éléments de réponse. Qu'est-ce qu'on transmet quand on transmet un geste ? On transmet une intention qui serait une réponse à pourquoi, pourquoi le geste, à une attention qui serait du domaine de comment ce geste s'inscrit-il dans une expérience, dans un milieu. Et le troisième, c'est la relation. Ça serait dans quel but ? Et ça faisait écho à ce qui a été dit, entre autres, par la directrice. Alors, premier point, l'intention, le pourquoi. Alors, on parle aujourd'hui strictement du geste de métier, parce que là, on est engagé avec l'équipe, donc l'Université Côte d'Azur, comme on vous le disait, sur la question du geste, et de façon très, très, très large. Et donc là, la question du geste de métier, pour permettre d'être un petit peu plus précis. Pour répondre rapidement, je vais... Passez par un exemple. Je pense que vous avez tous à l'esprit une des scènes des temps modernes de Charlie Chaplin. Charlie arrive sur une chaîne de montage. Il est littéralement parachuté là. Il ne sait pas ce qu'il fait là, ce qu'il a à faire. On lui montre très vite. Et vous avez Charlie Chaplin, ouvrier improvisé, qui va mettre en œuvre avec son génie le côté, si vous voulez, machinal, machinal du geste. Bien évidemment, Charlie Chaplin étant le Trump, le vagabond, il va faire en sorte que... par ses gestes qu'il va débloquer un certain nombre de choses et faire en sorte que la chaîne, bien sûr, ne fonctionne plus. Néanmoins, ce que fait Charlie Chaplin dans ce film-là, c'est la critique de l'aliénation qui est liée au principe fordien de la division du travail. Et ce que l'on a, c'est un Charlie Chaplin qui est exproprié de son geste, exproprié de sa responsabilité et qui donc est aliéné parce qu'il est aveugle. Il y a une sorte de cécité, si vous voulez, à cause de cette opacité qu'il y a entre le geste et la finalité du geste. Et l'aliénation, et ça c'est un des thèmes qui est cher à Chaplin, eh bien, vient justement de cette absence de sens. Chaplin, dans la chaîne de montage, est aveugle au sens que peut avoir son geste. Et donc, qu'est-ce qu'on transmet quand on transmet un geste de métier ? Eh bien, on transmet cette dimension d'intention. Je reparlerai tout à l'heure brièvement de l'enjeu de s'approprier le sens, la valeur. Et pour ce faire, eh bien, il faut y avoir la maîtrise du processus, ce que n'a pas du tout Chaplin sur la chaîne de montage. étant ignorant de cette visée, il n'a pas la maîtrise de son geste et donc il est aliéné. Le deuxième point, c'est l'attention. Alors, j'irai assez rapidement. C'est un livre d'un sociologue, un philosophe anglais qui s'appelle Richard Sennett, qui a écrit en 2008 un livre qui s'appelle The Craftsman. En fait, c'est le faiseur, celui qui fabrique. On a traduit en français par ce que c'est la main, la culture de l'artisanat. Et Sennett va qualifier... penser le travail, le rôle de l'artisan selon quatre éléments pour faire vite. Quatre compétences. La première compétence, ça serait une compétence de maîtrise. Alors maîtrise de la technique, bien sûr, mais sans presse d'ajouter, maîtrise aussi de la capacité à reconnaître et à nommer. C'est-à-dire quoi ? Ça dépend bien sûr des types d'emplois. C'est reconnaître le matériau, reconnaître la plante, reconnaître, etc. Savoir la nommer, avoir les mots pour la nommer. Et donc il y a tout cet ensemble aussi lexical. ces mantilles qui accompagnent la maîtrise et qui est nécessaire à la maîtrise, qui en fait partie. Donc première compétence, cette maîtrise. La deuxième, c'est celle de persévérance. Pour lui, l'artisan, c'est, et on l'a déjà entendu dans plusieurs commentaires depuis le début de cette rencontre, c'est celui qui continue constamment à exiger la qualité la meilleure, la plus grande possible dans ce qu'il fait. Et donc pour Sennett, cette dimension de persévérance, elle est caractéristique du travail de l'artisan qui va toujours œuvrer à être à la haute. auteur, en quelque sorte, du geste qu'il doit avoir. La troisième compétence va être celle d'innovation. Pour lui aussi, il y a dans cette responsabilité de l'artisan la nécessité d'innover à l'intérieur de cet héritage dont il est le récipiendaire et qu'il va lui-même, à son tour, transmettre. Et puis, la quatrième, c'est la compétence de soin. C'est-à-dire, pour Sennett, l'artisan est celui qui prend soin du geste, qui prend soin de son geste, qui le fait avec soin, avec attention. Et il me semble que c'est un élément extrêmement important, c'est-à-dire, la directrice évoquait tout à l'heure un mot qui me semblait essentiel, c'est la question de l'éthique. Je pensais aussi au travail d'un charpentier philosophe qui s'appelle Arthur Lachman et qui a précisément écrit un livre sur l'éthique du fer, où il aborde cette dimension du geste de l'artisan comme soin participant d'une éthique. Voilà. Alors, troisième point, rapidement, la question. On transmet quoi donc ? On transmet une intention, on transmet une attention, on transmet un sens de la relation, ce qui a aussi été évoqué. Donc cette question de la relationnalité, elle se pose entre l'artisan, le matériau, l'outil, qui est très important, mais bien sûr, dans le rôle que vous menez, entre celui qui transmet et celui qui accueille ce savoir qui lui est transmis. Et j'étais très touché des témoignages que j'ai pu entendre. Beaucoup d'entre vous ont dit que ce que transmet l'enseignant, le maître... dépasse la maîtrise technique. Il y a une sorte de prise en compte du temps, de l'espace dans son épaisseur historique, d'une vision plus large du monde dans laquelle s'inscrit l'apprentissage. Et donc transmettre l'art de la relation, c'est faire en quelque sorte le pont, la passe. Ces transmettre, ça a été évoqué aussi, une mémoire, un mémoire du geste dont l'enseignant, le maître et l'héritier et qu'il va transmettre à son tour. Et cette idée de relation... elle repose sur une prémisse selon laquelle, elle m'est assez chère, on pourra peut-être en reparler, c'est que, et je pense que le président en a dit un mot au tout début, c'est que nous sommes habités par des gestes dont nous ne sommes pas nécessairement toujours des contemporains et nous sommes habités par des gens qui ne sont plus, qui ont fait les mêmes gestes que nous et que nous transmettons. Alors voilà à peu près ce que j'avais le souci de dire et je finirai donc, on transmet aussi de l'affectivité par les récits, par la transmission de la mémoire, que ces gestes, à chaque fois qu'ils sont faits, font en quelque sorte renaître s'ils sont faits avec soin.
- Speaker #0
Merci Thierry. Laurent, je crois savoir que vous appuyez le propos de Thierry en soulignant l'importance des histoires et que vous y ajoutez une dimension d'histoire personnelle et collective dans la transmission du geste. Est-ce que vous pouvez nous préciser cette idée ?
- Speaker #2
Bonjour à tous et joyeux anniversaire. Je crois que Thierry a dit beaucoup de choses, et j'ai pris plein de notes d'ailleurs, parce que c'était absolument passionnant pour répondre à la question de qu'est-ce qu'on transmet quand on transmet un geste. Peut-être pour compléter de mon côté avec l'expertise qui est la mienne, qui est autour de la technologie. Depuis ces 20 dernières années, j'ai beaucoup travaillé autour de la préservation et la transmission de l'art et de la culture grâce aux nouvelles technologies. Ça passe énormément par la numérisation d'un patrimoine qui peut être en danger de disparaître. Ça passe par l'explication, la mise en ligne, l'engagement des utilisateurs autour de la découverte. de l'art et de la culture via différents moyens mis en place depuis en gros une trentaine d'années. Ce qui est très intéressant dans le geste, c'est évidemment son caractère par nature physique qui semble extrêmement difficile à modéliser. Alain m'a expliqué qu'il y avait des expériences qui étaient menées en ce moment, je crois avec certains membres de l'association, autour de l'annumération en 3D du geste pour pouvoir le préserver et le transmettre. C'est un sujet absolument passionnant, mais par nature, le geste de l'artisan semble plus difficile finalement à... à numériser que l'œuvre de l'artiste. J'ai fait énormément de numérisation dans des centaines de musées dans le monde entier. C'est assez simple, techniquement. Quand on réfléchit au geste, on est obligé de réfléchir. Si on veut le préserver, si on veut le transmettre, qu'est-ce qu'il y a autour ? Et comme vous le disiez, je crois que ce qu'il y a autour du geste, ce qu'il y a en plus du geste, c'est ce qui a été évoqué très bien à l'instant, c'est toute une mémoire. Ce sont des strates d'histoire, ce sont des strates de transmission. Et puis, c'est une aventure. patrimoniale, parfois une aventure industrielle, souvent une aventure artisanale. C'est l'ensemble de ces connaissances qui sont parfois peu énoncées, qui constituent, on va dire, le pourtour du geste. Et c'est autour de ce geste, je crois que, et on en parlera dans la deuxième partie, les nouvelles technologies ont quelque chose à dire aujourd'hui, parce que les technologies émergentes permettent justement peut-être de s'intéresser au-delà simplement du geste lui-même, à qu'est-ce qu'il y a autour et comment cet autour, on peut le transmettre aux nouvelles générations.
- Speaker #0
Merci beaucoup Laurent. Michel, en plus d'être porteur d'histoire, vous nous expliquez que le geste peut aussi aider à redonner confiance en soi. Pouvez-vous développer cette idée ?
- Speaker #3
Eh bien volontiers, bonjour, bonsoir. Alors oui, effectivement, je pense qu'il y a quelque chose de ce tordre-là que je vais préciser tout de suite, mais je voudrais tout de suite rebondir sur ce que j'ai entendu tout à l'heure. 71% de personnes interrogées seraient prêtes à envisager, on fait attention au mot, une reconversion professionnelle. Et bien c'est exactement ce dont je voudrais un peu vous parler en lien avec cette question et avec cette question de la... confiance. Je pense qu'un des éléments de réponse est peut-être à chercher justement sur ce constat de cette... tendance à voir de plus en plus de personnes. Alors, on ne parle pas ici des enfants de 8 à 12 ans qui sont nos publics privilégiés essentiels dans le cadre de l'éducation populaire aux travaux manuels, mais là, on parle de personnes adultes et plus particulièrement des CSP+. Ce sont deux dont je souhaiterais vous parler. Qu'est-ce qui arrive à ce qu'on appelle ces néo-artisans ? À l'image des néo-ruraux qui vont quitter leur boulot à la défense ou qui vont quitter leur boulot ou qui vont quitter un parcours dans lequel ils ont reconnaissance, à la fois économie, et sociales et qui décident, après une thèse en physique des particules, d'aller faire un CAP de plomberie. Mais qu'est-ce qui leur passe par la tête ? Nous vivons une transformation profonde de notre société avec une évolution tout aussi profonde des besoins et des besoins de re-réfléchir, de penser ses rapports aux gestes, à sa transmission. Donc pour pouvoir répondre à la question, un petit peu proposer un élément de réponse à cette question, je dirais que qu'est-ce qu'on transmet lorsqu'on transmet un geste ? Ce n'est pas simplement évidemment la réalisation concrète de quelque chose, c'est surtout peut-être... et avant tout, de plus en plus, transmettre cette capacité ou cette confiance, ce retour dans la confiance à être capable de produire quelque chose de concret. Et je rajouterais que c'est peut-être aussi transmettre cette capacité à se réaliser soi-même au travers de ce geste et à se réaliser soi-même, évidemment, en mieux. Vous voyez où je veux en venir. J'en viens, évidemment, à ces personnes que je viens d'évoquer, ces néo-artisans qui décident finalement pratiquement de tout quitter. bifurquer, de se reconvertir. Alors je vous en parle un petit peu avec passion, parce que j'en suis un petit peu, c'est un petit peu mon affaire. Il y a quelques années, j'ai décidé de m'engager dans l'organisation d'un écolieu. Vous imaginez, c'est quelque chose qui là aussi est de plus en plus à la mode, si je puis dire. Donc voilà, je me suis regroupé avec un certain nombre d'écolos bobos, pour l'essentiel, parigos comme moi, qui ont décidé de partir, de quitter un peu le théorique. Alors pas le quitter, parce que je ne quitte pas du tout le théorique, je suis toujours enseignant au CNAM, et j'adore ! faire du théorique et échanger ça avec les uns et les autres, mais me confronter à cette réalité-là, de monter en compétence, comme on dit, et d'aller développer cette capacité. Donc je le redis, parce que j'aime bien cette façon de le dire comme ça, pour répondre à la question, certes d'aller réaliser du concret, mais dans la perspective d'aller se réaliser, grâce à cette capacité, au travers de la transmission du geste, à se redonner confiance, à se redonner la capacité d'agir concrètement sur notre environnement.
- Speaker #0
Merci beaucoup Michel. Dominique, en tant que professionnelle, vous mettez également en avant la mobilisation des sens dans la transmission du geste. Est-ce que vous pouvez nous en dire davantage ?
- Speaker #1
Pour moi, transmettre un savoir-faire, c'est en fait réveiller les quatre sens, notamment ça passe par la vue. En fait, quand on enseigne un geste, on enseigne quelque chose qui passe par le regard. Et l'élève ou la personne qui apprend doit voir et pas regarder. Et donc, c'est comme si on fait ce geste et la personne le visualise comme un film de cinéma. Et moi, j'ai 45 ans de métier. Et quand je travaille, encore la semaine dernière, je fais un geste. Et dans ma tête, je vois encore mon professeur qui m'a enseigné ce geste. 45 ans après. C'est très émouvant, je trouve. C'est étonnant. Après, il y a Louis aussi. Louis, c'est comment ? La personne va transmettre avec sa voix comment elle va parler, son intonation de voix. Donc l'élève ou l'apprenti va écouter et notamment entendre. Il va être attentif. La voix dit beaucoup de choses en fait. Et ensuite, il y a l'odorat. L'odorat, c'est quelque chose qui m'a marqué dans mon métier de coiffeur et de peintre. Alors le coiffeur, au départ, dans l'apprentissage, ça m'a toujours étonné. Il y a une ambiance quand on rentre dans un salon de coiffure. Il y a des parfums. C'est quelque chose qui est chaleureux, qui est réconfortant. Mais en même temps, il y a aussi l'inverse, c'est-à-dire qu'on utilise aussi l'ammoniaque, les produits qui sentent très fort. C'est encore d'autres choses, mais ça nous transmet une certaine humeur aussi. On est bien parce que ça sent bon. On est un peu plus attentif parce que c'est un produit dangereux. Donc ça, c'est très important. L'odorat en peinture, c'est pareil. On rentre dans un atelier, ça sent l'huile de lin. Ça fait du bien, on a envie de s'y mettre. Ensuite, il y a le toucher. Alors là, le toucher, nous, en tant que coiffeur, on est un métier. On touche les gens. C'est quand même assez rare. On touche la tête de la... cliente ou du client et en fait ça provoque quelque chose de relaxant pour la personne donc ça c'est assez étonnant de voir les gens à la fin de la séance qui me disent ah je me sens mieux parce que j'ai retouché l'image et recadrer ils ont retrouvé l'image qu'ils avaient perdu parfois et donc en fait aussi je trouve que il ya une transmission de valeur parce que quand on fait un geste on le fait lentement ça implique aussi le respect l'honnêteté l'honnêteté du geste et je trouve que l'honnêteté du jet ça correspond avec l'honnêteté du geste de l'esprit. Et donc la conclusion pour moi, tout ça, c'est l'intelligence de la main.
- Speaker #0
Je crois savoir aussi que quand on a préparé cette table ronde, on a émis une idée qui, moi, me parlait beaucoup. C'était sur la technique et le fait que quand on transmet un geste, on transmet la technique et que la technique permet de se libérer finalement du geste.
- Speaker #1
Oui, c'est-à-dire que j'appellerais l'élève ou la personne qui apprend va répéter ce geste. Comme vous l'avez dit tout à l'heure, c'est répété indéfiniment, on va le visualiser. Et au bout d'un moment, finalement, ce geste va être assimilé dans le cerveau, en fait. Et l'élève va s'en libérer à un moment donné. À un moment donné, il ne va plus y penser. Moi, par exemple, là, je parle beaucoup avec mes clients parce que je les écoute et tout ça. Mais en fait, je peux observer mes mains. Je suis souvent très étonné que mes mains agissent sans que je réfléchisse. Je travaillais un peu comme si je faisais des sculptures autour de la tête. Et à la fin... je me dis que c'est parfait, c'est exactement la bonne longueur, ça va bien à cette personne, le visage est mis en valeur. Et ensuite, l'élève, lorsqu'il a bien compris ce geste et l'a assimilé, il faut qu'il s'en échappe. On dit souvent qu'il faut oublier les techniques et commencer à s'exprimer personnellement et ne plus reproduire bêtement un geste. Il faut que l'élève arrive à créer, à se libérer et à s'exprimer à travers ce qu'il a appris.
- Speaker #0
Merci beaucoup Dominique et merci pour ces témoignages. Merci à tous les quatre. On arrive donc à la deuxième question. Finalement, dans un monde où les nouvelles technologies redéfinissent nos manières de travailler, d'apprendre et de créer, on peut se poser la question de la place d'institutions comme l'outil en main. Dominique, je ne vous lâche pas. Désolée.
- Speaker #1
Comme ça, je n'ai pas à attendre après. Je suis assez intimidé quand même.
- Speaker #0
En tant que futur bénévole de l'outil en main, comment situez-vous la démarche de la mission de l'Union face à l'émergence des nouvelles technologies ?
- Speaker #1
Pour moi, c'est un challenge des nouvelles générations. C'est-à-dire que les jeunes sont très habitués avec l'ordinateur, pas moi. Et en fait, pour eux, ça va leur permettre, à mon avis, de réfléchir plus vite, de tester des idées, de tester des attractivités. Et aussi, pour moi, l'intelligence artificielle ou les nouvelles technologies, ça sera un outil par rapport à l'association pour aller plus loin et aussi oublier la technique classique. Ça va obliger à développer la créativité. obligé à se surpasser oublier la répétition du geste qui sera fait bêtement voilà ça va apporter des choses différentes là je suis allé voir une exposition au grand palais immersif et c'était une exposition de miguel chevalier le corps est complet complètement immergé dans des choses de nouvelles technologies, dans des images. On bouge et l'image bouge alors que ça fait 5 mètres de haut. On n'a jamais vu ça, nos générations, en tout cas moi, de se trouver dans un monde complètement nouveau, des images différentes. C'est très intéressant, je trouve, ces couleurs qui bougent, etc.
- Speaker #0
Il y a un élément dont on a discuté aussi et que vous m'aviez... transmis lors de la préparation de cette table ronde, qui pour moi me semble important. Vous parliez justement de cette relation étroite avec vos clients, avec vos peintures, et de l'émotion. Et du fait que les nouvelles technologies ne remplaceront jamais l'émotion humaine.
- Speaker #1
Humaine, oui. Oui, c'est ça en fait. Chaque personne est unique. Il y a tellement de facettes chez un humain que l'on transmet, qu'on transmet notre histoire, notre parcours. Et c'est unique. Et là, je ne sais pas, peut-être que ça viendra plus tard. Mais là, il y a beaucoup d'éléments que l'humain apporte. Pour moi, l'intelligence artificielle, c'est froid. Il n'y a pas d'émotion, c'est la machine. Alors, ça évoluera peut-être. Mais en fait, c'est le contact aussi, la surprise. Ce n'est pas quelque chose de plat. C'est comme une voix qui peut bouger, qui monte, qui descend. C'est vivant. Est-ce que ça remplacera la vie ?
- Speaker #0
Oui, et ce que vous m'expliquez, c'est que notamment quand vous faites une coupe à un client, pour vous, c'est important de connaître son histoire, de connaître finalement sa vie actuelle. Prends un exemple, si la personne court, on ne va peut-être pas lui faire une coupe où elle ne peut plus s'attacher les cheveux. Et donc vous me parliez justement de votre capacité d'adaptation de la coupe en fonction de l'émotion du client et des besoins du client.
- Speaker #1
Oui, pour moi, je demande ce que fait la personne quand on travaille. Donc si elle est, je ne sais pas, si elle est sportive, si elle est intellectuelle, si elle est créatrice, artiste, je ne vais absolument pas faire la même chose. Et donc j'en tiens compte dans ma coiffure. Je pourrais appeler sans prétention comme une sculpture. Et si la personne sort, quelle personne elle va voir, dans quel milieu elle va se trouver. Donc tout ça, ça vient en compte en fait.
- Speaker #0
Merci beaucoup pour vos témoignages, Simonique. Michel, en plus de l'importance de la dimension humaine, vous expliquez que nouvelles technologies et travail manuel doivent être complémentaires et non opposées. Est-ce que vous pouvez nous expliquer cette idée ?
- Speaker #2
Bien sûr. L'idée derrière ça, c'est qu'on ne doit jamais, mais jamais, opposer progrès, artisanat. travail de la main et toutes ces nouvelles technologies aussi géniales, efficaces et performantes qu'elles sont. Il me semble que pour répondre à la question de la démarche, quelle devrait être la démarche, dans quelle projection on pourrait se situer en partant de ce que vous faites, l'écueil ce serait vraiment de partir sur une voie de sanctuarisation, de patrimonialisation, ouais je l'ai dit, bravo, du geste. Alors ça ne veut pas dire que ça n'est pas important, ce qui serait piégeux je trouve ce ne serait que de se... contenter de ça et de se dire, voilà, maintenant ce qui est devenu face à ces nouvelles technologies, ce serait de les mettre à distance et de ne cultiver que de valoriser cette dimension patrimoniale. Je reviens sur ce sondage, mais sur l'autre aspect, les 80%, vous voyez bien que plus on digitalise, plus on dématérialise, plus on numérise notre société et plus il y a un besoin en réaction de retour vers L'ordinaire vers l'élémentaire, vers le geste, vers le concret, vers le matériel. Donc il n'y a pas de hasard à discuter de ce dont nous discutons là maintenant. Il n'y a pas à s'étonner de ce besoin de reconversion, de bifurcation, d'aller retourner vers ces affaires-là. Parce que plus on dématérialise et plus... on a besoin de revenir vers le matériel. Donc, je n'ai aucune inquiétude en termes de projection de ce que devrait être, de ce que pourrait être l'outil en main, de ce point de vue-là. Ça, c'est pour la dimension très théorique, épistémique, enfin, tout ce que vous voulez. Mais il y a une autre dimension qui a été aussi abordée, c'est la question de l'intergénérationnel, que j'ai beaucoup entendu, je suis arrivé un peu tard, mais je l'ai beaucoup entendu quand même, pendant ce laps de temps. Il y a l'intergénérationnel et il y a l'intragénérationnel. Comment on se transmet entre enfants, alors c'est peut-être moins la question, mais entre adultes, consentant ces affaires de compétences et de retour aux compétences et au matériel. Ça, ça me paraît véritablement important. Je ne sais pas. Non, évidemment, je ne sais pas. Mais voilà, intuitivement, je pense qu'il y aurait vraiment un travail à faire. Et il y a un boulevard pour ça. À retravailler cette fois-ci le rapport aux techniques, aux gestes, la transmission du geste, au-delà de cette dimension seulement éducation populaire en direction des jeunes, qui est évidemment importante, qui est absolument essentielle. Ce n'est pas du tout tout ça est bel et bon, entendez-moi bien. Mais il y a quelque chose à développer. aussi en termes de démarche vers ces adultes publics adultes merci beaucoup michel
- Speaker #0
Laurent, vous nous l'avez expliqué tout à l'heure que certaines technologies, comme notamment ce fameux terme dont on entend parler partout, l'intelligence artificielle, peuvent même offrir des opportunités pour préserver et transmettre les savoir-faire. Est-ce que vous pourriez nous en dire un peu plus ?
- Speaker #3
Effectivement, l'intelligence artificielle, on entend beaucoup parler et on entend beaucoup de bêtises. Peut-être la première chose à faire, c'est de préciser de quoi il s'agit. L'intelligence artificielle, déjà, c'est quelque chose d'ancien. Le terme a été prononcé pour la première fois en 1956 à une conférence de scientifiques et de chercheurs autour de la science informatique. Donc ça fait quand même de nombreuses décennies que l'intelligence artificielle comme concept existe, et comme pratique de la science informatique, ça fait aussi de nombreuses décennies qu'elle existe. C'est ce qu'on a vu depuis deux ans, pas plus. C'est une accélération assez foudroyante de la popularité de cette technologie liée à une partie de cette technologie qu'on appelle l'intelligence artificielle générative. C'est-à-dire une capacité assez surprenante et assez foudroyante des machines à exécuter des tâches, à apprendre déjà et à exécuter des tâches dont collectivement on associe spontanément à une spécificité humaine. Donc des exemples très concrets, vous avez tous vu, c'est demander à une machine, à un ordinateur de créer une image qui représente un cheval rose sur un fond bleu en train d'escalader la... tour Eiffel. On pensait qu'il fallait un dessinateur pour réaliser ça, ou beaucoup de trucage et une photographie. Et bien aujourd'hui, en quelques secondes, une machine vous donne un résultat. Pour la partie qui nous intéresse sur le travail, c'est évidemment potentiellement une révolution. Aujourd'hui, ces mêmes machines, sur un certain nombre d'activités extrêmement qualifiées, je pense à la médecine et au diagnostic, aux droits, évidemment à la science des ingénieurs et notamment des ingénieurs informatiques, toutes ces machines semblent être plus efficaces que des êtres humains qui ont fait de nombreuses années d'études pour accueillir des gens. acquérir un certain type de compétences dont ils pensaient qu'elles allaient leur assurer un métier et un avenir, et qui se retrouvent à se poser des questions sur est-ce que j'ai bien fait d'investir dix ans de ma vie dans des études de médecine si une machine pose mieux que moi-même des diagnostics. La bonne nouvelle pour vous tous ici, pour nous tous, et pour les apprentis avec lesquels vous vous achangez, c'est que, et ça rejoint ce sondage des 71%, et plus généralement, je pense, une forme de ras-le-bol de la société autour de l'ultra-numérisation et du caractère très franc. froid du monde qui s'annonce, c'est qu'il y a un désir profond d'un retour vers, on va dire, le physique ou même le sensuel, pour reprendre les sens que vous évoquiez, qui sera à la fois du côté des consommateurs, des utilisateurs, des acheteurs, du produit de l'artisanat, et puis du côté des professionnels. Et donc je pense que si on se pose la question de l'avenir de l'outil en main, c'est un avenir radieux parce que dans les 30 années qui viennent, le besoin de gestes, le besoin de compréhension de la matière, le besoin de s'y confronter va s'accentuer à mesure que cette révolution du tout numérique va également se mettre en place. Et donc, je suis tout à fait d'accord, la question c'est de trouver la balance. Il faut trouver la balance éthique et sincère qui va être d'une compréhension de ces technologies, notamment pour des nouvelles générations qui vont être, en ce qui concerne l'intelligence artificielle, vont grandir avec, c'est-à-dire vont grandir avec des agents d'intelligence artificielle qui deviendront peut-être leur assistant personnel dans leurs cours. peut-être à un ami virtuel, etc. Donc on est obligé d'y faire attention. Et puis d'un autre côté, évidemment, garder les valeurs fondamentales, qui sont celles du geste, qui sont celles de vos pratiques, pour constituer non pas une résistance à la technologie, mais un espace dans lequel elle n'a pas tous ses mots à dire et elle est tenue en lisière, contrôlée par l'être humain. Dans ce contexte-là, où on a fait à la technologie la place qui doit être la sienne, c'est-à-dire celle d'un outil, oui, je pense que l'intelligence artificielle... peut être non pas quelque chose qui vient remplacer, alors certainement pas les artisans, mais même l'être humain au sens large. Je pense que ça peut être un outil assez formidable pour les problématiques qui nous occupent sur la transmission et sur la préservation et la transmission. Parce qu'à partir du moment où vous entraînez une machine... à comprendre, à apprendre et à recracher ce qu'elle a appris et compris. Vous accédez à un niveau d'échelle qui vous permet non pas de remplacer le rapport unique entre un professeur et son élève, mais qui permet d'imaginer un certain nombre de possibles en termes de nombre d'élèves qui peuvent être touchés, en termes de qu'est-ce qu'on laisse. Plus tard, une fois qu'on n'est plus là, après tout, les professeurs et les élèves et nous tous, on est appelés à ne pas être constamment présents dans les décennies qui viennent pour pouvoir transmettre ce qu'on sait. Donc il y a une formidable opportunité au premier chef de préserver qui on est. d'un point de vue humain, et ensuite de décider, un peu comme un capital immatériel dont on serait le détenteur, de décider dans quel contexte est-ce qu'il est utilisé. Est-ce que c'est pour l'enseignement ? Est-ce que c'est pour le développement économique ? Est-ce que c'est open source ? On dit ça quand c'est gratuit et accessible à tout le monde. En tout cas, il y a énormément de choses à imaginer autour de la possibilité de cette intelligence artificielle de nous rendre des services en termes de préservation et de transmission, notamment de savoir-faire, de connaissances, d'œuvres qui sont en péril. ou en voie d'extinction, et je pense notamment aux pays émergents où il y a un certain nombre de pratiques qui sont en train de disparaître et où l'intelligence artificielle peut vraiment aider à la préservation.
- Speaker #0
Merci beaucoup Laurent. Thierry, vous ajoutez aux propos de Laurent qu'elles peuvent également devenir de véritables alliés pour médiatiser les pratiques artisanales. Est-ce que vous pouvez nous expliquer cette vision ?
- Speaker #4
Oui, bien sûr. Tout d'abord, je cautionne tout à fait à ce qui vient d'être dit. Sur la question de la prégnance, de la virtualité, de la virtualisation et de l'avenir des métiers du geste, effectivement, je crois qu'il n'y a pas de raison, je dirais, objective d'inquiétude et au contraire plutôt des raisons d'espérer. Un premier point que j'aimerais faire quand même, c'est qu'on fait souvent un mauvais procès à la jeunesse. aux jeunes. Et je crois que dans les universités, on est les témoins, au contraire, d'une exigence de valeur, de l'enjeu du facteur humain, de la responsabilité sociale. Il y a un activisme qui ne s'est pas vu depuis très très très longtemps. Et on oublie de dire que cette jeunesse, elle est plutôt l'héritière des Trente Glorieuses, d'un néolibéralisme absolument décomplexé, qui a conduit à cette situation-là. Mais nous, les jeunes que nous rencontrons sur les bancs d'universités, dans les groupes de recherche, ils ne se considèrent absolument pas. pas les héritiers de cela. Moi, je finis un manuscrit qui a commencé à la lecture d'un vers de René Char dans les feuillets d'Hypnos. Il est en 42-43, René Char est résistant dans le maquis et il écrit un poème d'un seul vers. Il dit « Notre héritage n'est précédé d'aucun testament » . Et finalement, dans le contexte qui est celui de la Seconde Guerre et du maquis, aujourd'hui, la jeunesse se pose un peu la même question. Notre héritage n'est précédé d'aucun testament, c'est-à-dire nous avons la capacité de modifier notre appréhension des choses et nous avons un agir. possible. Il y a une agentivité de cette jeunesse. Alors, le point que je veux dire, c'est qu'il y a quelques années, vous vous en souvenez, on avait déjà déclaré non pas la mort du métier du geste, mais c'était la mort du livre. Ce que je connais un petit peu mieux, on avait dit, plus personne ne va lire, il ne va y avoir que de la tablette, d'abord les gens vont lire de moins en moins. Si vous suivez un petit peu la question, c'est faux, c'est même tout le contraire, les gens lisent de plus en plus et les jeunes, entre autres, lisent de plus en plus de livres papiers. A tel point d'ailleurs que les logiciels, si vous les pratiquez, ils vont reproduire maintenant. Maintenant, la page que l'on tourne, ils vont reproduire le bruit de la page que l'on tourne pour essayer d'aller capter. Mais très clairement, le livre n'est pas mort, n'est pas prêt de mourir. Et le rapport au papier et tout l'affect, justement, concentré à la fois olfactif, tactile que tu évoquais, complètement là. Alors, rapidement, peut-être un point là-dessus sur l'enjeu, justement, une association extraordinaire comme la vôtre, elle a un rôle sur la question du sens, sur la question de la valeur. Et j'assisterai, moi, juste peut-être sur un point peut-être un petit peu différent. et qui a été évoqué en filirane, c'est la question de la réappropriation du temps. Il y a un philosophe sociologue allemand qui s'appelle Hartmut Rosa, de l'école de Francfort, qui a écrit une petite vingt ans, une série de travaux. où il fait la critique de cette accélération effrénée d'étranglorieuse sur la nécessité de la décélération, et son livre plus récent sur la nécessité de la résonance, de penser la résonance, c'est-à-dire aussi comment entrer en résonance avec le monde, se laisser traverser par lui, etc. Et de ce côté-là, je crois qu'une association comme la vôtre, elle est tout à fait en position d'accompagner ce geste-là de résonance, de réappropriation du temps, de réappropriation justement du processus de création et de création en fait. de récits. Alors pour finir, parce que j'aime bien le cinéma, je vais parler d'un autre film. En fait, c'est le Charlie Chaplin français, c'est Jacques Tati. Vous vous souvenez des films de Tati ? Alors il y a Playtime, où effectivement on a cette critique de la machinisation, et justement cette critique en règle, qui est aussi politique, parce qu'il y a un des enjeux politiques, c'est quand même bien la puissance publique, depuis des années, qui est responsable de ce qui se passe. Il ne faut pas non plus se leurrer. Mais je prendrais l'exemple de mon oncle. Vous avez deux mondes. Vous avez le monde de la sœur et du beau-frère, qui est ce monde de l'automatisation, c'est de la domotique avant l'heure. Et vous avez cette bande-son toujours extraordinaire de Tati. Vous n'avez que des clics, des claques, vous n'avez pas du tout de dialogue, pas de parole. Et puis, vous avez le monde de l'oncle. Vous vous souvenez, il est à bicyclette. Et puis, c'est une architecture complètement tarabiscotée. Et à chaque fois que l'oncle va quitter l'espace de la sœur, il va changer la bande-son. Puis, vous connaissez la chanson, vous savez, la tatata. Je ne sais pas si vous connaissez, c'est extraordinaire. On change de monde, on change de temporalité, on se laisse quoi ? On se laisse aller au plaisir, on se laisse aller et on n'en parle pas assez. Quelqu'un l'a mentionné tout à l'heure, il y a de la joie à avoir la maîtrise. On part d'un concept, on part d'une idée et on crée et on garde ce contrôle, ce plaisir, prendre son temps à faire les choses. Et donc, je crois qu'effectivement, vous avez pleinement, place à prendre et puis je finirai avec une autre scène de mon oncle. Vous vous souvenez peut-être quand Tati rentre chez lui, il a cet oiseau, je pense que c'est un rossignol dans une cage et en fait Tati joue avec la fenêtre pour faire en sorte que le soleil éclaire la cage et à ce moment-là l'oiseau chante et je pense que c'est une image qui est très jolie pour dire l'association, elle peut faire aussi chanter la technique comme le rossignol va chanter dans le film de Tati qui est un des rares sons naturels qu'on entend. Alors voilà, je conclurai là-dessus. Merci beaucoup.
- Speaker #0
Merci beaucoup. Je crois savoir que vous avez plein de questions.
- Speaker #5
Merci pour ces précisions. Est-ce que vous ne pensez pas que les nouvelles technologies pourraient être un point d'appui pour aider au travail manuel ? Je vais prendre un exemple, c'est un reportage qui est passé la semaine dernière sur la reconstruction de la cathédrale Saint-Denis. Je ne sais pas si les gens l'ont vue. La cathédrale Saint-Denis, il y a une flèche qui est tombée en 1800 et quelques sur une tempête, la partie gauche de la cathédrale. Et là, ils vont la reconstruire. Et pour la reconstruire, ils ont commencé à modéliser sur ordinateur toutes les pierres, les joints et tout est fait. Et ils transmettront ces pièces au tailleur de pierre. Ils ont prévu de reconstruire cette cathédrale en cinq ans. Est-ce que vous ne pensez pas que les nouvelles technologies adaptées à l'outil en main pourraient être justement la conception de ces modèles ?
- Speaker #3
Laurent ? Merci pour la question parce que je suis entièrement d'accord et ça, ça fait longtemps que je travaille autour de ces questions-là. La question que vous posez là, elle est de la mise à disposition d'outils technologiques pour un besoin spécifique. Moi, j'ai beaucoup travaillé, par exemple, après les attentats d'ISIS de Daesh en Irak. J'ai beaucoup travaillé avec les autorités irakiennes à la reconstruction d'un certain patrimoine qui avait été détruit par les terroristes. Il y a des équipes un peu partout dans le monde autour de l'archéologie, pour reprendre l'exemple que vous prenez, de l'archéologie, de la modélisation et de la restitution, reconstruction, restitution, après c'est à chaque... décideurs culturels de décider quelle est la voie qu'ils choisissent, mais qui utilisent les nouvelles technologies d'une façon permanente depuis plusieurs décennies, en fait. La question qui se pose, et donc là, j'imagine parfaitement que c'est le cas parfait où on gagne de l'argent, du temps et de la qualité dans le résultat grâce à un logiciel qui est pensé pour un besoin ultra spécifique. À mon avis, c'est effectivement la démarche qu'il faut avoir. Essayer de trouver la solution technologique qui répond à un besoin plutôt que de se dire, voilà la technologie telle qu'elle est, qu'est-ce que j'en fais ? Après tout, pourquoi ? Plutôt se dire... voilà mon besoin, quelles sont les technologies disponibles que je peux adapter à ce besoin, quelle que soit ma pratique artisanale. Donc ma question c'est oui, je pense que la technologie doit aider, la vraie question c'est qu'il ne faut pas aider la technologie, ça ne sert à rien de se lancer dans des effets de mode, de vouloir s'emparer d'une technologie parce que tout le monde en parle. Ce qu'il faut c'est dire j'ai besoin de ça, est-ce qu'il y a une technologie disponible ou est-ce qu'elle ne l'est pas ? Et si elle est disponible, est-ce qu'elle correspond aux valeurs qui sont les miennes et est-ce que je l'utilise du coup très librement ? François de la 71 vous avez parlé de l'intelligence du geste mais vous n'avez pas parlé d'intelligence de l'individu qui le transmet à sa façon au gamin parce que le gamin il faut qu'il le comprenne ce geste il faut qu'on puisse on est aussi des gens qui faisons dans ces faits-là de retransmettre facilement sur la première question alors je suis entièrement d'accord avec vous il y a un vrai point d'interrogation sur la partie transmission alors si moi je regarde ce qui se dit en ce moment du côté plutôt de l'éducation des enseignants Il y a des projets qui sont mis en place par l'éducation nationale en France et par beaucoup d'autres acteurs privés ou publics dans le monde autour de la création d'agents d'intelligence artificielle qui sont supposément entraînés à prendre un cas très particulier d'un élève et à l'accompagner dans le processus d'apprentissage. Est-ce que ça va marcher ? Est-ce que ça ne va pas marcher ? Je n'en sais rien. Dans quelles conditions ça peut marcher ? Dans quelles conditions ça ne peut pas marcher ? Notamment quand on parle de gestes, ça ne se paraît pas. beaucoup plus difficile d'apprendre théoriquement un geste qu'éventuellement d'apprendre, je ne sais pas, l'histoire de la littérature médiévale. Et encore, c'est des points d'interrogation, mais ça fait partie vraiment des questions que je crois le monde de l'enseignement se pose aujourd'hui, et on n'est pas prêt d'avoir la réponse. Le seul point sur lequel j'insiste, c'est que les jeunes que vous allez recevoir dans les années qui viennent, ils vont être exposés à ça. Et la question, ce n'est pas forcément de vous l'utiliser, si ce n'est pas pertinent, mais c'est de savoir dans quel contexte pédagogique ils fonctionnent par ailleurs, parce que du coup, il va... peut-être y avoir des changements dans leur façon de comprendre, dans leur façon d'apprendre, dans leur façon de retenir certaines choses et puis de faire confiance à l'ordinateur pour en retenir d'autres, qui vont changer. Donc c'est plus une question d'être alerte sur le sujet, de savoir que ça existe, de s'y intéresser et de leur parler, que de décider que d'un seul coup on a envie d'utiliser l'intelligence artificielle dans sa propre pratique de transmission. Et puis la deuxième question, c'est sur la constitution de conservatoire de gestes. Quand on a constitué une certaine banque de données de gestes, bien ou moins bien, comment est-ce qu'on les utilise et à quel moment est-ce qu'on arrive à les lire ? C'est très intéressant, ça fait penser à un problème fondamental sur la préservation dans le domaine du digital, c'est qui sera là pour utiliser tout ce qu'on préserve et tout ce qu'on conserve. Et il y a un domaine qui est très intéressant là-dedans, c'est le domaine du jeu vidéo. On fait des jeux vidéo depuis des décennies, ils sont préservés sous plein de formats. Alors ça, c'est quelque chose qui, à mon avis, au conservatoire des arts et métiers, ils en parleront plus avamment que moi. Ils sont conservés dans des formats qui... parfois sont illisibles aujourd'hui et très souvent donc ça veut dire qu'on a préservé un fichier d'un jeu vidéo historique des années 70 parce que c'est un fait culturel important et puis si aujourd'hui on veut jouer à ce jeu vidéo le logiciel des années 70 qui permettait d'y jouer mais dont 80 n'existe plus donc on se retrouve qu'à un fichier inexploitable et c'est une vraie question faut penser préservation du contenu il faut penser préservation du contexte comment est-ce qu'on le lit ? C'est un peu cette idée du disque d'or qui a été envoyé dans l'espace avec des exemples de la culture mondiale, un cas où des martiens tombent dessus. La question, c'est est-ce qu'ils vont arriver à le lire ? Est-ce qu'ils vont arriver à l'ouvrir ? Et à quoi ça sert au fond ? Donc, c'est deux très bonnes questions. Merci.
- Speaker #0
Thierry, je crois que vous voulez ajouter quelque chose.
- Speaker #4
Rapidement aussi sur votre question. Ça fait pas mal de temps que les gens se sont fait cette remarque. Vous avez des anthropologues, des ethnologues qui recueillent beaucoup de témoignages précisément aussi sur les récits, ce qui fait que ce geste et celui-là n'est pas un autre. Et je vous conseille d'aller voir, il y a une encyclopédie qui a été créée il n'y a pas si longtemps qui s'appelle l'encyclopédie des gestes attentionnels et qui précisément répondent à votre préoccupation. C'est-à-dire un geste, c'est une attention, c'est une intention, je disais tout à l'heure, une attention. Et donc, comment on garde la mémoire de ça et comment on le transmet ? Et effectivement, c'est un véritable enjeu, mais comme vous le disiez, je pense que la façon la plus évidente, la plus immédiate, c'est d'écouter et de mettre en œuvre ceux qui savent et qui ont cela dans les mains et qui peuvent le transmettre à des jeunes qui sont tout à fait désireux de l'accueillir.
- Speaker #0
Merci beaucoup Thierry.
- Speaker #6
Je voudrais parler de l'expérience l'outil en main. Nous on est des initiateurs. Moi j'ai été chaudronnier, j'ai pratiqué la commande numérique. Mais aujourd'hui, nous, notre rôle, c'est de montrer aux enfants quels sont les outils, quels sont les matériaux. Alors en tant que chaudronnier, par exemple, vous pliez une tôle. Si vous la prenez dans le sens de laminage ou dans le sens contraire du laminage, la réaction n'est pas la même. Que vous soyez sur une machine à commande numérique ou que vous le fassiez à la main, ce n'est pas la même chose. Donc, nous, quand on fait des gestes, quand on apprend, Les matériaux, quand vous êtes en soudage, vous apprenez, quand les gens vous amènent quelque chose à souder, ils vous disent, il n'y a qu'à souder. Mais non, il y a une connaissance des matériaux, il y a une application des techniques. Et quand vous êtes dans l'industrie après, vous comprenez ce que vous faites sur les machines performantes. C'est-à-dire, vous n'êtes plus un opérateur. Nous, à notre niveau, c'est la connaissance des matériaux, des techniques, des pentes d'affûtage, des outils à utiliser. Ce qu'on fait aussi, nous... dans notre outil en main. On fabrique des objets, puis ensuite, les entreprises nous accueillent. C'est-à-dire, on fait le parallèle. On essaye de faire le parallèle. Voilà, je veux dire, moi, je vois l'outil en main dans cette perspective-là. Ça n'empêche pas, éventuellement, d'utiliser des outils numériques quand ils se présentent.
- Speaker #0
Merci à tous pour ces échanges riches et très inspirants. Un immense merci à nos intervenants pour leurs réflexions précieuses et à vous, public, pour votre attention et vos questions. Ces discussions nous rappellent à quel point l'humanité, le geste et la transmission sont des piliers essentiels de notre société. Ensemble, vous portez et vous faites vivre cette vision avec passion. Donc merci à chacun d'entre vous. Merci beaucoup pour votre écoute. J'espère que cet épisode un peu particulier, enregistré lors des 30 ans de l'outil En main France, vous a permis de mieux comprendre l'importance de la transmission des savoir-faire et des gestes manuels. dans notre société en évolution. N'hésitez pas à télécharger le sondage BVA en description pour approfondir les chiffres et les enseignements partagés dans cet épisode. Vous pouvez continuer de m'aider à faire découvrir les histoires d'artisans au plus grand nombre en mettant une note, un commentaire et en vous abonnant sur votre plateforme de streaming préférée. Retrouvez-nous également sur Instagram pour plonger dans l'univers des métiers manuels en images. Enfin, vos témoignages et retours sont toujours précieux. Écrivez-nous à podcast.histoire-d'artisan.com pour partager vos impressions et nous transmettre un message. En attendant, je vous dis à bientôt avec une nouvelle histoire.