- Speaker #0
Apprendre, échanger, s'informer, travailler, mais aussi payer ses impôts, faire ses courses, se divertir et même tomber amoureux. Aujourd'hui, une grande partie de nos vies se déroulent en ligne. Mais que se passe-t-il pour celles et ceux qui n'y ont pas accès ? Pour plus d'un milliard de personnes dans le monde, être hors ligne ne relève pas d'un choix, mais d'une contrainte. Bienvenue dans Hors ligne, le podcast qui remet l'inclusion au cœur du numérique. Je suis Marion Ranvier, directrice générale de la Content Square Foundation. Et ici, je donne la parole à celles et ceux qui agissent, souvent dans l'ombre, pour un monde numérique plus accessible. Témoignages, parcours inspirants et réflexions pour bâtir un monde où personne ne reste hors ligne. Bienvenue dans ce nouvel épisode de Hors Ligne, le podcast de la Content Square Foundation. Aujourd'hui, j'ai le plaisir d'accueillir Axelle Lemaire. Bonjour Axelle et merci d'avoir accepté mon invitation.
- Speaker #1
Merci à toi de m'avoir invitée, ravie d'être ici.
- Speaker #0
Merci beaucoup. Alors, pour celles et ceux qui ne te connaissent pas encore, est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots ?
- Speaker #1
Oui, alors je suis française et canadienne. J'ai d'ailleurs grandi au Québec. trois enfants, un petit, une moyenne, un grand, la moyenne, on n'aime pas qu'on l'appelle la moyenne. Et j'ai travaillé dans plusieurs pays, notamment au Royaume-Uni, pendant un certain temps, et j'ai du mal à résumer mon parcours professionnel en dix secondes, parce que même si la toile de fond, c'est les technologies au service du bien commun, J'ai pu faire ça dans le monde du droit, dans la sphère politique, dans l'associatif et désormais pour une entreprise dans le secteur privé.
- Speaker #0
Mais ce qui est génial, c'est qu'on va avoir le temps d'y revenir durant ce podcast. Mais c'est vrai que je suis ravie de t'accueillir parce que ton parcours est très inspirant et j'avais envie d'en savoir plus. comment tu as débuté ta carrière, comment tu es arrivée aussi en politique, quelles étaient les initiatives, est-ce qu'il y a eu des événements ou des rencontres particulières qui t'ont amenée à débuter ta vie politique ? Est-ce que tu peux nous en dire peut-être un peu plus ?
- Speaker #1
Oui, alors sans être psychanalyste, sans doute que le fait que mon père était un homme politique au Québec et que j'aimais bien toute jeune enfant. Me cacher pour observer les réunions qui avaient lieu dans le sous-sol, le basement, ça a sans doute joué quand il faisait du porte-à-porte, des meetings. J'étais celle qui avait envie de l'accompagner, tout ça m'intriguait beaucoup. Et puis je pense que j'ai toujours été guidée par une envie de transformer les choses et d'avoir un impact. Et puis j'ai fait des études en sciences politiques. Pour autant, j'avais essayé de m'impliquer un peu dans la vie politique lorsque j'étais étudiante. Et ça m'avait effrayée. Ça m'avait effrayée parce que moi, je cherchais du fond, des combats à mener, du collectif. J'avais trouvé que déjà, chez les jeunes étudiants, les manœuvres étaient très tactiques et très politiciennes et que ça avait tendance à passer avant le fond. Donc, ça m'avait rapidement fait fuir. Et puis, j'étais passée à autre chose. Si ce n'est que, travaillant en droit à Londres, il y a eu la guerre en Irak. J'étais spécialiste de droit international public. Et puis, ce droit a été bafoué par des décisions politiques. Je me suis retrouvée parmi des dizaines de milliers de personnes à manifester dans la rue. Et c'est là que j'ai réalisé que la réelle politique avait sans doute plus d'influence sur le cours du monde que le droit. Le droit est un outil, un outil très utile, mais il ne suffit pas. Et puis en fait, une opportunité extraordinaire s'est présentée à moi, j'ai bifurqué, je me suis retrouvée à la Chambre des communes. Voilà, au cœur de la démocratie parlementaire britannique, où j'étais une Française un peu perdue dans ce monde qui m'était inconnu. Et pendant cinq ans, j'ai travaillé pour un député travailliste qui était ancien ministre des Affaires européennes. C'était fascinant, en plus lui était un ancien reporter à la BBC. Et puis de fil en aiguille, la constitution française a été réformée, c'était il y a un certain temps, c'était en 2008, et des circonscriptions législatives nouvelles ont été créées à l'étranger pour offrir une représentation politique aux Français qui habitent à l'étranger, qui sont plus de 2 millions. et dans un format assez innovant d'ailleurs, de se dire, bon, on a un lien à son pays d'origine qui doit être maintenu quelles que soient les circonstances de la vie. Et là où c'est intéressant, et j'y viens, et je tiens à partager cette expérience de vie pour notamment les jeunes femmes qui pourraient nous écouter, jamais je n'aurais franchi le pas vers un mandat électif si d'autres ne m'avaient pas poussé à le faire. C'est-à-dire que spontanément, jamais je ne me serais autorisée à me présenter. comme candidate et je crois que le fait qu'il y ait cette opportunité nouvelle sur un territoire à conquérir, alors il y avait 22 candidats à la première élection, mais il n'empêche qu'il n'y avait pas de legacy, il n'y avait pas d'héritage, on ne prenait pas la place de quelqu'un et puis il y avait tout à construire. Ça m'a donné des ailes et j'ai eu moins peur, mais j'ai quand même mis du temps à me dire peut-être que c'est pour moi. Et puis il y a eu un autre élément déclencheur qui a été le fait que Ségolène Royal se présente à l'élection présidentielle. J'ai presque entendu le déclic dans ma tête, c'est-à-dire que ça a ouvert un horizon des possibles, vraiment au plan psychique. Et ce qui fait que, bon, la question des rôles modèles m'exaspère un peu parce que ça devient un peu la réponse facile à tous les problèmes. Mais il n'empêche que... Ça reste important d'avoir des figures féminines qui ont fait des choix qu'elles ont assumés parce que derrière, ça trace vraiment un sillon. Et puis le troisième facteur qui a quand même beaucoup joué aussi, c'est la loi sur la parité en politique. Je suis une enfant des quotas et je sais à quel point sans... cette contrainte législative, les choses n'auraient pas bougé et j'ai aussi pu constater à quel point la situation a évolué rapidement grâce à ce changement législatif et aujourd'hui quoi qu'on en dise et quelle que soit l'image qu'on peut porter sur la classe politique, elle est quand même beaucoup plus mixte qu'elle ne l'était auparavant ... Et je pense qu'elle a assez fondamentalement changé, en tout cas au Parlement, grâce à la présence plus forte des femmes.
- Speaker #0
Et alors, dans ce moment-là, tu as fait campagne. Tu parles de 22 candidats. Donc, comment ça se passe ? Parce qu'il y a tout à faire, tout à conquérir. Mais donc, il faut travailler sur son plan. Qu'est-ce que tu vas dire à tes futurs électeurs ? Comment ça se passe concrètement ?
- Speaker #1
C'est marrant que tu me poses cette question parce que j'en ai très rarement parlé, mais ça a été une aventure entrepreneuriale. Alors, les entrepreneurs qui pourraient nous écouter doivent se dire, mais quel rapport avec une campagne politique ? Très concrètement, d'abord, j'ai démissionné de mon travail et puis, accessoirement, j'étais enceinte. Et j'ai mis six mois, non pas à faire campagne, mais à obtenir ce qu'on appelle l'investiture de la part de mon parti politique. pour avoir le droit de me présenter comme candidate au nom de ce parti. Donc, ça a rajouté six mois. Donc, au fond, j'ai fait campagne pendant un an et demi. Un an et demi au départ toute seule, à devoir trouver des électeurs dans dix pays, sur 21 millions de kilomètres carrés, allant de l'Islande au Pays-Balt. Et avec pas vraiment d'argent à part le prêt octroyé par la banque comme candidate. Avec le besoin d'utiliser la tech et la data pour trouver les électeurs. C'est là que j'ai découvert l'utilité de l'open data, des bureaux électoraux pour connaître les résultats des scrutins. Et quand j'allais, par exemple, en Suède, je réalisais que les... Le vote sociodémocrate des binationaux m'était plus favorable et donc c'est là que j'avais ciblé mes actions de campagne. Et puis ensuite, il fallait que j'arrive à communiquer et donc découverte des réseaux sociaux, campagne sur Twitter, etc. Et je me souviens, j'ai été la première candidate dans des élections françaises à utiliser Paypal. pour obtenir des dons en ligne. C'est incroyable, j'adore. C'était avec le recul, c'était une aventure extraordinaire, d'une galère, mais monstre, parce qu'en fait on était une bande de rêveurs qui avaient quand même les éléments contre eux, parce que tout le monde considérait que cette circonscription, l'Europe du Nord, c'était Londres, et que Londres c'était la city. Et avec un candidat qui avait expliqué que son ennemi c'était la finance, j'étais pas dans un environnement propice à l'accueil bienveillant. Et en fait, en réalité, la... La technique du ciblage et puis le fait d'assumer ses convictions, mais dans une démarche de compromis, c'est-à-dire on montre sa couleur politique et ensuite on discute, ce qui est très social-démocrate en soi, eh bien ça m'a permis de gagner contre toute attente. Donc le premier coup de fil que j'ai reçu d'un responsable du Parti socialiste, ça a été entre les deux tours, qui m'a dit alors ça... Mais t'es passée... Je m'y attendais pas du tout ! T'es passée en tête, comment peut-on t'aider ?
- Speaker #0
Donc ça, là, tu intéressais plus parce que tu étais entre les deux tours et donc tu t'es sentie...
- Speaker #1
Y compris les journalistes, c'est-à-dire que j'ai créé, comme ça peut arriver dans des cycles électoraux, une surprise sur cette circonscription. Et tout d'un coup, il y a eu un attrait journalistique qui était totalement... inexistant pendant de longs mois où moi j'envoyais des communiqués de presse et conviés à des conférences et personne ne venait donc voilà ça fait aussi relativement.
- Speaker #0
Et alors comment on vit ça parce que ça doit être hyper exaltant hyper excitant et en même temps très concret là tu te dis ok je suis entre les deux tours c'est peut-être pour moi en fait ça peut vraiment se passer je ne suis plus en train de rêver et d'essayer d'aller convaincre Mes électeurs, c'est très concret d'un coup.
- Speaker #1
Oui, ça l'est devenu très rapidement. En réalité, je ne m'étais pas projetée effectivement dans le concret de je prends l'Eurostar et je débarque avec ma petite valise au Palais Bourbon, à l'Assemblée nationale. Donc, tout s'est accéléré. Et en fait, j'ai eu une leçon de cette aventure. Et ça peut paraître très banal de le dire, mais c'est tellement vrai. Cette campagne, elle a été gagnée grâce à une équipe. Et en fait, je trouve qu'on n'en parle jamais dans la vie politique. Il y a très peu de personnalités qui émergent sans une équipe derrière. Et aujourd'hui, d'ailleurs, il y en a plusieurs qui ont continué, qui ont fait tracer leur propre chemin et qui réussissent dans la vie politique. Et en tout cas, il y a une magie qui s'est opérée à ce moment-là parce que tout le monde était très complémentaire. J'avais le geek. qui m'a appris à utiliser MailChimp. J'avais le spin docteur qui me donnait des conseils sur la prise de parole dans des talk shows politiques au Royaume-Uni, etc. Et donc, j'avais mon comptable qui était parfait, hyper rigoureux, très soucieux de respecter la réglementation. Voilà, donc l'alchimie de la... composition d'une équipe, c'est quelque chose que j'ai appris à ce moment-là.
- Speaker #0
C'est passionnant. Et donc, tu arrives au Palais Bourbon. Tu passes combien de temps à ce siège ?
- Speaker #1
J'ai été députée pendant deux ans. J'ai adoré ça. Il y a une forme de liberté qui vient avec un mandat parlementaire, ce qu'on n'imagine pas non plus. Quand on est extérieur à la vie politique, on se dit, oh là là, encarté, il faut suivre au pas, etc. Et non, en réalité, on prend les sujets qui nous intéressent, on développe nos expertises, on monte en compétence, on crée nos réseaux, voilà. Moi, j'avais tout à découvrir de l'intérieur des institutions françaises. Et alors, l'anecdote... qui a marqué ma vie, c'est que le jour de mon arrivée à Paris, j'ai été appelée par l'équipe télé du Grand Journal. Ça s'appelait comme ça à l'époque. Peut-être qu'aujourd'hui, l'équivalent serait quotidien. Oui. Et qui m'invitait sur le plateau pour commenter mes débuts. J'étais très impressionnée. Je ne connaissais même pas cette émission. Je ne regardais pas la télévision. Je me suis plantée d'horaire parce qu'il y avait le décalage horaire avec l'Angleterre que j'avais oublié. Bref, j'arrive sur le plateau et au moment du zapping, qui était un moment connu au milieu d'émission, le téléphone portable du producteur sonne sur le plateau, il le regarde et il voit François Hollande. Et donc, il me le montre, j'éclate de rire et on pensait que c'était une blague, vraiment un mauvais tour de la part des techniciens. Et il est allé un peu en panique et il me dit, il faut sortir du plateau, va en régie, prends l'appel. Et donc, je prends l'appel et là, le nouveau président de la République me dit, Axel, est-ce que tu veux entrer au gouvernement ? Et il me dit, ça fait quatre heures qu'on te cherche, j'ai appelé... Ton bureau à l'Assemblée, j'ai appelé au parti, j'ai appelé chez toi à Londres, j'ai appelé tes parents. Et on ne te trouvait pas, on vient de te voir à la télé.
- Speaker #2
C'est incroyable, j'adore cette anecdote.
- Speaker #1
Et en fait, le zapping se terminait, j'avais 30 secondes pour revenir sur le plateau. Les techniciens avaient enlevé leur casque, tout le monde écoutait. Suspendu. Et là, j'ai dit non. Et j'ai dit non. Parce que justement, j'avais ma campagne à l'esprit et que je trouvais que non seulement cette élection, je l'avais méritée, mais il fallait que j'apprenne. Et surtout, je me sentais très redevable vis-à-vis de mes électeurs. Et je me disais, je vais pas les planter. J'avais l'impression de les planter. Et puis moi, le côté top-down, un peu... Voilà, pas forcément républicain et démocratique, ça ne correspondait pas à ma culture politique. Je lui ai dit, non, ce n'est pas juste parce que je suis blonde et que j'ai les cheveux longs et que j'ai moins de 40 ans qu'il faut que je dise oui. Et donc, j'ai dit non. Et là, il m'a dit, mais tu te rends compte qu'on a raté l'annonce de la formation du gouvernement au journal de 20 heures à cause de toi. Et là, je suis vraiment désolée. Voilà. Et en fait, pour aller au bout de l'anecdote, il a appelé quelqu'un d'autre et il s'est trompé dans les noms. Et donc, la personne... d'entrer au gouvernement sur ce poste n'était pas celle qu'il avait à l'esprit. Voilà. Pour vous dire un peu comment ça peut se passer dans la vie politique, dans les moments de...
- Speaker #0
Il faut avoir une réponse tout de suite. T'as le président qui constitue son gouvernement, il faut lui répondre du tac-au-tac. Y'a pas... Monsieur le Président, je vous rappelle demain, laissez-moi le temps de réfléchir. Pas du tout. Ok. C'est incroyable cette anecdote.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Et donc, tu es restée, tu as mené ta campagne, tu es restée à... J'ai été élue,
- Speaker #1
je suis allée à la commission que je souhaitais, qui était la commission des lois, et aussi à la commission des affaires européennes. Donc ça, c'est un peu les cours en plus, parce que pour moi, c'était très important d'affirmer, d'ancrer mon travail dans le travail européen. Et puis... Oui, ça a été passionnant. Je me suis spécialisée sur la tech et le numérique, sur le sujet de la protection des données personnelles. À l'époque, j'ai commis le premier rapport sur la stratégie numérique de l'Union européenne. Et je me souviens avoir bataillé pendant des mois auprès des présidents de commissions et des administrateurs de l'Assemblée pour leur expliquer que c'était un sujet important. Parce qu'en fait, la stratégie numérique, ça ne parlait à personne. Ils ne voyaient pas du tout en quoi ça pouvait concerner l'Union européenne. Donc moi j'avais vu un peu sur le terrain l'avènement du pouvoir de la technologie, l'émergence des géants de la tech. Et donc c'est un... Oui, si vous cherchez d'ailleurs sur Internet, je pense qu'on peut toujours trouver ce rapport qui plantait quand même le décor sur les enjeux. de protection des libertés individuelles, d'affirmation de la souveraineté numérique, d'ancrage dans les territoires de start-up et d'entreprises innovantes, de création d'emplois, etc.
- Speaker #0
Et de ton point de vue par rapport à ce rapport qui a été publié il y a quelques années avec l'émergence et l'accélération sur l'IA, Quel est ton ressenti, là aujourd'hui, sur cet encadrement du numérique et des technologies ?
- Speaker #1
Une forme de gâchis. C'est terrible à dire, mais moi j'ai œuvré sur ces sujets dans la sphère politique à une époque où le numérique représentait une promesse. Ça faisait rêver. C'était vraiment l'idée qu'on pouvait s'émanciper grâce au numérique. Il y avait eu les printemps arabes. et notamment la Tunisie, un pays dans lequel les plus jeunes avaient utilisé les réseaux sociaux pour se soulever contre l'autoritarisme. Et donc, il y avait moyen de faire tellement, tellement. Et c'est parce que les pays européens n'étaient pas d'accord entre eux qu'on n'a pas pu avancer plus vite. Et c'est aussi parce qu'on pensait qu'encadrer, donc expliquer en donnant des normes et des principes comment évoluer et grandir dans l'experte numérique, c'était contre l'innovation. Et en essayant d'importer, de copier-coller un modèle américain, notamment de financement de l'économie, de croissance des startups, qui ne correspond pas du tout au modèle économique et financier continental en Europe. Et donc, quand je dis un gâchis, à l'époque, il y avait déjà eu le scandale Cambridge Analytica. On connaissait parfaitement tous les risques. Et c'est vrai que moi qui étais très favorable à l'innovation qui est beaucoup œuvrée pour la French Tech, pour le développement des startups, etc., j'avais un discours qui se voulait équilibrer autour de la nécessité de la régulation, y compris pour des raisons concurrentielles, pour permettre aux petits de croître et d'exister dans un environnement très, sinon monopolistique, en tout cas oligopolistique. Et j'étais très peu entendue à Bruxelles, et ce n'était pas la priorité de l'agenda politique français, et je pense que ça ne l'est toujours pas aujourd'hui d'ailleurs. Et donc, ce sentiment que les responsables au pouvoir, dont je faisais partie, c'est aussi une remise en cause que j'exprime, n'ont pas saisi l'ampleur des bouleversements qui étaient amenés par... la révolution technologique.
- Speaker #0
Et donc aujourd'hui, on se retrouve à faire aussi la même chose. On voit, on essaye de réguler, de contrôler l'IA, où on a l'Europe qui essaye de contrôler, et les États-Unis, à l'inverse, qui veulent qu'on s'en contrôle et qu'on ait accès à tout en permanence. Comment on évolue là-dessus ?
- Speaker #1
Aujourd'hui, c'est tout en empire et comme trop tard. Alors, je me dis que ce n'est jamais trop tard. Et qu'il ne faut pas se laisser avoir par un discours très populiste qui consisterait à dire que la régulation c'est mauvais pour le business et donc c'est le Far West pour tout le monde. Et en tout cas si vous nous imposez autre chose vous aurez des sanctions contreparties. Je suis très inquiète parce que ces sujets sont présents dans l'accord commercial qui a été signé tout récemment. entre la Commission européenne et les États-Unis, le gouvernement américain. Et là, on est vraiment sur de la pure politique, en fait. On est sur du rapport de force, sur de l'affirmation de valeurs. Je pense que l'Europe ne doit pas céder lorsqu'elle met en avant des valeurs humanistes, considérant qu'il y a doit rester un moyen au service d'une finalité qui est le progrès humain. et non pas l'inverse. Et ce qui se joue, c'est vraiment pour moi comme une nouvelle bataille des empires. On voit bien que la technotonique des plaques qui s'est construite au XXe siècle, elle est à bout de souffle. Enfin, non, au contraire, elle se réveille peut-être, en tout cas, et que ce qui se joue nous dépasse individuellement, mais que... On doit se réfugier dans l'affirmation de valeurs très fortes.
- Speaker #0
Et j'aimerais, c'est passionnant ce que tu racontes, et j'aimerais qu'on revienne, tu disais en préambule que tu as toujours voulu avoir un impact et défendre des causes. Le numérique est un moyen, mais on parlait de l'accessibilité numérique quand on s'est rencontrés, qu'on était hors micro. Comment tu es venue apporter aussi ce sujet-là ? de l'expérience utilisateur pour tous et du coup se rendre compte que le web, cet espace universel, finalement n'est pas accessible à tous et voter des lois ou en tout cas avoir des rapports pour imposer là aussi et encadrer un numérique responsable et inclusif.
- Speaker #1
Je dirais de deux manières d'abord je crois que mes origines culturelle et mon observation des politiques publiques qui pouvaient être menées à l'étranger a beaucoup influencé ma vision sur le sujet. Quand on arpente des pays comme la Finlande, la Norvège, le Danemark, la Suède, le Canada, voire les États-Unis sous certains aspects. Effectivement, on est forcé de constater que la question du handicap n'est pas du tout appréhendée de la même manière, que c'est beaucoup plus ancré dans le quotidien de tout le monde, finalement dans les pays nordiques. Et donc moi-même, j'ai eu une forme de choc culturel en arrivant en France. Je trouve que les choses ont évolué plutôt favorablement et plutôt rapidement, mais il y a encore un immense travail à faire. Donc ça, c'est la première raison. et la seconde. C'est que je pense que j'ai eu le réflexe de me tourner vers la société civile pour essayer de construire cette vision et que j'ai donc rencontré beaucoup d'associations et heureusement qu'elles sont là. Donc d'associations représentant les personnes en situation de handicap qui m'ont sensibilisée de manière plus technique aux enjeux et qui m'ont fait comprendre que finalement le combat qui était le leurre et était un combat. ancien et que beaucoup de promesses avaient été faites, qu'il y avait une vraie fatigue dans le lobbying autour de ces sujets parce que beaucoup de déceptions. Et quelque part, c'est un des rares domaines sur lequel je pense qu'il n'y a pas de regret à avoir parce que on sait que le potentiel des technologies aujourd'hui peut être à la hauteur de la promesse. Aujourd'hui, on le sait. La démonstration technique a été faite. Ce n'était pas le cas à l'époque.
- Speaker #0
Et donc, est-ce que tu peux revenir sur la loi ? Parce que tu dis effectivement que le combat était ancien et notamment avec la loi du handicap de 2005. Qu'est-ce qui s'est passé ensuite ? Comment on l'encadre dans la vision politique ? comment on impose, j'imagine d'abord au secteur public aussi de montrer l'exemple, et on sait bien qu'on ne peut pas uniquement travailler avec le secteur public, mais qu'il faut embarquer le secteur privé. Donc j'ai compris que sur la partie technique, parler avec des associations pour mieux comprendre comment encadrer cette partie, mais après concrètement, comment est née finalement... cette partie d'accessibilité numérique dans la loi pour une république numérique ?
- Speaker #1
Alors, ça va peut-être vous étonner et il faut être peut-être un peu familier du fonctionnement de la vie politique et des cabinets ministériels. Mais la réponse, c'est mon équipe qui a écrit les articles. Pourquoi ? Parce que moi, j'étais à Bercy, au ministère de l'Économie, et que là aussi, toute intrusion... dans la vie économique pouvaient être vécues par les entreprises comme allant à l'encontre de leurs intérêts. Et le ministère des Affaires sociales était très, très centré, avec raison, sur les enjeux d'accessibilité physique, parce que la loi de 2005, elle était très, très, très loin d'avoir été mise en œuvre. Et donc le virage numérique n'avait pas été pris côté social et en réalité les plus fortes réticences, elles venaient de la sphère privée et notamment des opérateurs de télécommunications puisque la loi prévoyait de leur imposer une obligation de mise à disposition de plateformes d'interprètes en langage des signes à minima. un espèce de de quotas minimales d'accès à des heures d'interprétation, et ça, ça ne passait pas, à tel point que j'ai été menacée que la loi soit déclarée anticonstitutionnelle, car contraire à la liberté d'entreprise, notamment par un très grand entrepreneur français à la tête. d'un opérateur de télécom qui m'avait à l'époque directement expliqué que l'accessibilité numérique c'était ni fait ni à faire.
- Speaker #0
Comment on fait avec son équipe dans ces cas-là ? On crée des alliances, on cherche des appuis et des soutiens, on contourne les obstacles en s'appuyant sur l'intelligence collective, donc par exemple en créant une plateforme de consultation en ligne et en toute transparence sur le texte de loi pour que les internautes citoyens puissent se prononcer. Et donc... à prouver des mesures qui les concernent directement,
- Speaker #1
donc en gros en mobilisant l'expression consacrée,
- Speaker #0
c'est-à-dire les forces vives de la nation, qui ne se trouvent pas forcément dans les ministères et dans les cabinets de relations publiques. Et puis en fait, en réalité, le handicap, c'est un sujet qui peut faire l'objet d'un consensus politique. Et de fait, les dispositions relatives à l'accessibilité numérique, elles ont été votées à l'unanimité des sénateurs et des députés de tous bords politiques. Et au moment du premier vote au Sénat, je n'oublierai jamais les sénateurs qui se sont levés pour applaudir et les représentants associatifs qui étaient dans les estrades et qui écoutaient le débat et qui pleuraient. Et ça, ce sont des moments inoubliables.
- Speaker #1
Qui se sont gravés, j'imagine, dans ta mémoire. Pardon, ça m'a émue moi aussi, je m'imagine. Et j'aimerais faire le parallèle parce que ce que tu dis me fait réagir sur la partie privée, je veux dire. Moi qui travaille sur ce sujet aussi depuis quelques années, c'est vrai que parfois on s'essouffle à porter cette cause et à... et à sensibiliser et à dire que c'est un sujet, c'est un impératif de citoyenneté. Et comme tu le dis aujourd'hui, on a une technologie qu'on peut utiliser pour faciliter les choses, pour aller plus loin sur ces sujets d'accessibilité. Je voulais faire le lien avec l'European Accessibility Act qui vient de rentrer en vigueur avec cette directive en France mais aussi à l'étranger et qui impose aujourd'hui au secteur privé pour tous les sites e-commerce, les sites médias, les sites bancaires, sans restriction de chiffre d'affaires, ce qu'on avait à l'époque. Qu'est-ce que tu penses de cette nouvelle directive et du temps qu'il a fallu aussi pour la mettre en place ? Et est-ce que tu penses que cette directive va quand même permettre de changer les choses aujourd'hui sur ce sujet ?
- Speaker #0
Alors, la dernière question, la réponse est oui. Qu'est-ce que je pense du temps qui a été mis pour la sortir ? Je pense que ça met le doigt sur un des problèmes du fonctionnement des institutions européennes. Parce que moi j'ai été membre du gouvernement il y a dix ans, et il y a dix ans je négociais cette directive. En tout cas dans ses premières versions. Je me souviens à l'époque, le sujet c'était ce qu'il faut l'étendre aux applications mobiles, pour vous dire. Donc, c'était est-ce qu'on fait que les sites Internet ? Oui, 10 ans. 10 ans. Et pourquoi ça change la donne ? D'abord, parce que c'est à l'échelle européenne. Et donc, ça a le mérite d'harmoniser la réglementation. Et donc, finalement, ça propose un cadre beaucoup plus prévisible et stable aux entreprises. Alors c'est vrai que moi à l'époque j'avais fait le choix dans un premier temps d'imposer des obligations uniquement aux grandes entreprises. Pourquoi ? Parce que l'adaptation suppose des investissements et des coûts et que c'est beaucoup plus compliqué pour les petites entreprises de se mettre en conformité. Aujourd'hui dans ma compréhension des choses, l'offre sur le marché est plus accessible. Notamment d'ailleurs grâce à l'IA et au progrès technologique, donc on peut atteindre des taux de conformité meilleurs plus facilement. Pour autant, on est encore face à des obstacles qui sont tant financiers que technologiques et humains et qui sont loin d'avoir été surmontés. Donc oui, cette directive européenne, elle va changer la donne parce qu'il y aura un avant et un après. Ça mettra quelques années avant que tout le monde ait bien compris sa portée. et ce qu'elle signifie en termes d'obligation. Mais aujourd'hui, l'enjeu, il est dans l'implémentation, il est dans la formation, il est dans le développement des réflexes by design, en amont, sur toute la chaîne de valeur d'un produit. Il est sur le fait qu'on présente la valeur de l'accessibilité comme un atout concurrentiel qui permet au fond d'être... plus ergonomique et de toucher une population plus large dans une société vieillissante. Et en plus de produire des contenus et des données qui sont plus faciles d'utilisation pour l'IA. Et donc finalement, ça sert aussi. le développement de l'IA, de l'intelligence artificielle, que de faire de l'accessibilité numérique, même si ce que je vous dis peut être contre-intuitif. Et donc, les entreprises ont tout intérêt à l'intégrer par défaut dans leurs produits et dans leurs services. Maintenant, c'est encore vécu comme une contrainte.
- Speaker #1
Oui, il faut changer de paradigme.
- Speaker #0
Il faut encore changer de paradigme. Et je pense que le secteur public a un très grand rôle à jouer d'exemplarité pour montrer le chemin et qu'une fois qu'on a compris ce que c'était qu'un produit accessible, eh bien on ne demande pas autre chose.
- Speaker #1
Tout à fait. J'aimerais revenir sur, tu parlais de la formation. Pour nous, au sein de la Content-Soire Foundation, on a vraiment un focus sur la formation pour sensibiliser sur ce sujet. Et on a créé un module e-learning pour sensibiliser les étudiants. Parce qu'on s'est rendu compte qu'aujourd'hui, les étudiants qui sortaient de formation en métier du digital, ou en école de commerce ou école de communication, n'avaient pratiquement jamais entendu parler de l'accessibilité numérique. Or, comment veut-on créer le web inclusif et accessible de demain si on ne forme pas ces futures générations ? Et j'aimerais revenir sur la formation parce que dans la loi pour une république numérique, il y avait l'introduction d'une obligation de formation, notamment pour les personnels. Non, c'était pour les intervenants des services numériques. C'était former les agents de l'État à ces sujets à l'époque. C'était ce que tu avais voulu introduire ? Oui,
- Speaker #0
c'est aussi en lien avec le sujet de la médiation numérique. Mais sur la formation, je me souviens très bien d'avoir signé une... convention avec les écoles d'informatique et de numérique, en tout cas plusieurs d'entre elles, qui s'engageaient à développer plus de contenu dans les parcours de formation notamment des ingénieurs, y compris des ingénieurs généralistes. Là aussi, dix ans plus tard, Malheureusement, le constat, c'est que les choses n'ont pas tellement évolué. et la directive européenne fera la différence. Et c'est en ce sens qu'on voit le poids de l'Europe et que quand je dis il y aura un avant et un après et de fait je crois comprendre que les instances autour de l'éducation nationale et du ministère de l'enseignement supérieur se sont saisies du sujet et que ça va désormais avancer plus vite. Oui, c'est un enjeu immense parce qu'aujourd'hui, c'est possible de sortir d'une école d'ingénieur, d'être ingénieur informatique et d'avoir eu quelques heures de sensibilisation à l'accessibilité numérique. Et concrètement, quand il s'agit de développer un produit, en fait, ils ne savent pas comment faire. Pas comment faire. Voilà, tout à fait. Et puis, ce qui est compliqué dans l'offre de formation, c'est qu'il faut aller vraiment de la sensibilisation très en amont. Ah bon, mais c'est quoi le handicap ? Et c'est quoi les obstacles dans le monde numérique ? Et qu'est-ce que ça suppose de changer, etc. à une formation technique beaucoup plus poussée ? Et la réalité, c'est qu'au plan technique, il ne suffit pas de deux heures ou trois heures de découverte pour savoir coder de manière accessible. Donc, voilà, gros, gros chantier de la formation que... D'ailleurs, je suis dans le cadre de mes fonctions actuelles, puisque maintenant, je travaille pour une ESN, une entreprise de services numériques qui s'appelle Soprasteria. J'ai en charge ce sujet de l'accessibilité numérique et son déploiement en interne auprès des métiers. On fait ça avec la direction industrielle, donc celle qui est chargée de déployer les processus métiers à l'échelle. Donc, vous imaginez ce que ça peut vouloir signifier pour plus de 50 000 collaborateurs. dans plein de langues différentes, avec des contenus qui doivent être harmonisés. On a la chance d'avoir un ancrage géographique très européen. Merci l'Europe et merci cette directive et merci les standards techniques eux-mêmes harmonisés parce qu'au moins on parle un langage commun. Ensuite, vous m'avez aussi posé la question dans la loi, arrêtez-moi si je parle trop, de la médiation numérique. Et la médiation numérique, c'est vraiment l'écosystème des personnes formées à l'accompagnement de l'utilisation. des outils, donc des usages numériques auprès des personnes qui en sont éloignées, quelles qu'elles soient. Et on pense spontanément aux personnes âgées, mais ce ne sont pas que les personnes âgées, ça peut être aussi et plus souvent qu'on ne le croit, des jeunes. Ça peut être des migrants, des allophones, ça peut être des personnes sans emploi, etc. Et ça peut être demain vous et moi. et en fait j'avais cherché à renforcer ces médiateurs numériques pour que leurs compétences soient reconnues, pour que les programmes de médiation soient mieux financés et pour qu'on accompagne la digitalisation notamment des services publics. C'était l'époque des grandes transformations au sein de l'État sur les grandes agences de type français. France Travail, Impôts, URSAF et autres. Et puis, voilà, on pressentait que ça allait laisser de côté un certain nombre de personnes.
- Speaker #1
Et accentuer cette fracture numérique.
- Speaker #0
Et accentuer la fracture numérique. Et pour moi, les médiateurs étaient indispensables. Alors, il y a eu des programmes qui ont été développés sur le sujet. Ça a parfois vivoté. Là encore, la France a bénéficié de l'appui de l'Europe au moment de la pandémie parce que des financements européens ont pu être réservés au financement de ce type de programme. Aujourd'hui, ça s'est asséché. Alors peut-être qu'il y a une meilleure compréhension de la réalité sociale dans les territoires vis-à-vis de l'utilisation des outils numériques, mais pour quelqu'un qui a deux parents, qui n'ont pas de téléphone portable et qui au quotidien mesure l'ampleur de l'isolement que ça provoque, je pense qu'on n'a pas fait assez.
- Speaker #1
Axel, j'aimerais maintenant que tu nous racontes comment on passe de campagne, du Parlement au ministère de l'économie. Et puis après, qu'est-ce qui se passe ? Le mandat est fini. Et là, j'aimerais que tu nous parles plutôt de ton parcours dans le secteur privé et associatif. Comment on amorce finalement cette transition après être passée dans le secteur public ?
- Speaker #0
pour ce qui me concerne Mal. Et je pense que tout grand changement dans une vie, s'ils sont un peu abrupts et mal préparés, ils peuvent être compliqués et douloureux. Donc ça a été le cas. Il y a eu le baby blues et puis il y a eu le politique blues. et je trouve qu'on n'en parle pas assez parce qu'en fait, c'est très bien qu'il y ait des représentants de la société civile qui rejoignent la classe politique, qu'il y ait un renouvellement. générationnelle, sociale, politique, etc. Simplement, ça a un coût, en fait, de faire de la politique à tous les niveaux. Et aujourd'hui, c'est un coût qui est assumé au plan très individuel. Toujours est-il que ça a été dur, mais je m'en suis remise, vous voyez, je suis devant vous. Oui,
- Speaker #1
bien sûr, mais je trouve que c'est effectivement important d'en parler et je me permets de poser la question parce que j'imagine que c'est un rythme effréné. qu'on met aussi parfois ça, sa vie de famille, on part en tête, on ne peut pas tout gérer, être sur tous les plans, et donc effectivement, émotionnellement, et pour une maman, j'imagine aussi que ce n'est pas facile à gérer.
- Speaker #0
Moi, je me suis dit, est-ce que je me suis trop investie émotionnellement ? Ça, c'est le genre de question qu'une nana se pose. Nous, les femmes, on se pose. Et donc, l'intensité de l'activité a rendu la transition encore plus difficile. Je ne sais pas. Je ne sais pas. Ce qui est certain, c'est qu'on passe d'un état d'exaltation permanente à une forme de nécessité de réinvention un peu totale, de réadaptation à tous les niveaux. Et je pense que le fait d'avoir vécu dans différents pays, dans des cultures aussi distinctes, ça m'a aidée à développer une capacité de résilience et d'adaptation, très clairement. Lorsqu'à 16 ans, je suis arrivée à Montpellier du Québec, là aussi le choc de la transition avait été un peu rude, et donc on apprend à s'adapter. Et puis je pense que je suis assez curieuse spontanément. assez intuitive aussi, donc je suis mes envies. Pour la petite histoire, je me suis absolument interdit de contacter qui que ce soit que j'avais pu rencontrer pendant ma vie politique. Donc je me suis retrouvée très seule, parce que pour moi c'était mal, pour moi ce n'était pas éthique, il fallait absolument qu'il y ait une muraille de Chine entre ma vie d'avant et ma future vie. Et donc ça a été un peu la traversée du désert. et puis Petit à petit, je me suis reconstruite et ça allait mieux. J'ai choisi de travailler dans un cabinet de conseil en stratégie, sans surprise d'origine européenne et qui reste très européen, allemand. Et puis, c'est finalement comme ça que j'ai eu ma première incursion dans le secteur privé, puisque je conseillais des grands comptes. Et c'est aussi comme ça que j'ai développé des offres sur le développement durable. Parce que je réalisais à quel point il y avait un schisme entre la sphère publique, les enjeux réglementaires, et la sphère privée, la compréhension des entreprises. Moi, j'avais été partie prenante de la négociation des accords de Paris au moment de la COP21, et j'arrivais au milieu du CAC 40 pour constater que l'environnement était un non-sujet. ou en tout cas très peu pris par des entreprises plutôt pionnière lorsque les engagements étaient transformés en actions. Donc c'est comme ça que je me suis dit, OK, quand on a fait de la politique, qu'on a fait du droit, qu'est-ce qu'on sait faire ? Et on sait faire du développement durable. Et puis donc j'ai été élue partenaire. Et puis sur ces entrefaites, j'ai fait un projet client pour un client que j'avais fait venir qui s'appelait Lacombe. Croix-Rouge française, pour définir leur feuille de route stratégique. Et puis, de manière assez classique pour un consultant, je suis partie chez Cléa.
- Speaker #1
Oui, effectivement, c'est des choses qui arrivent. Et dans laquelle de ces expériences tu as senti, ou en tout cas, tu as eu des leviers qui t'ont permis d'agir sur ces thématiques ?
- Speaker #0
Ça a toujours été compliqué, quel que soit l'environnement. Donc, on parle du public, du privé ou de l'associatif. En fait, le fait de pousser les enjeux d'inclusion et d'accessibilité ne va pas de soi. Et je me suis, au fond, retrouvée face aux mêmes enjeux de priorisation lorsque la conjoncture économique n'est pas bonne.
- Speaker #1
C'est des sujets qu'on dépriorise.
- Speaker #0
Ah oui, Parce que tant que le gendarme n'est pas arrivé, on se dit qu'il y a des choix à faire et des arbitrages qui sont opérés quand on doit faire une feuille de route produit avec un minimum d'investissement. et que voilà et donc finalement quel que soit l'environnement j'ai constaté qu'il fallait Des experts, des personnes éclairées et dans les équipes, un certain courage aussi de la part de ceux qui poussaient les sujets. Et puis souvent avec réussite parce que ce n'est pas du tout la mauvaise volonté qui bloque. Ce sont des sujets qui au contraire suscitent lorsqu'ils sont compris l'enthousiasme des équipes et qui peuvent vraiment renforcer l'engagement collaborateur et le sentiment. de fierté et d'appartenance à une organisation, encore faut-il le voir, le constater. Donc je dirais que ça a toujours été assez compliqué, que c'est... Très lié à la capacité d'innovation des organisations, parce que sur les sujets nouveaux, le fait de passer par des manières de développer qui sont un peu parallèles, un peu sous la table, un peu hybrides ou extérieures, ça permet de démontrer la valeur sans passer par les process internes qui peuvent être plus lourds. Donc finalement, développement durable et innovation, même combat, pour faire émerger des solutions durables, il faut passer par l'innovation, je crois. Et puis, ce que j'ai constaté aussi, c'est l'absence de pont entre ces mondes. Ça me frappe beaucoup, il y a une méconnaissance absolue. dans la sphère publique de la sphère économique et de la réalité de la vie des entreprises et vice versa. Quand on est dans l'associatif, c'est pareil, la perception des autres mondes est souvent très biaisée. Et face à l'immensité des enjeux qu'on a devant nous, et notamment le changement climatique, On n'a pas d'autre choix que de réussir à nouer des collaborations transverses, multipartites, qui permettent de relier ces mondes au moment du début de la guerre en Ukraine. Je venais d'arriver dans le monde associatif. Et là, j'ai vu vraiment à l'œuvre ce que pouvait faire ce type d'alliance et de coalition. Entre les pouvoirs publics et notamment les élus locaux et les administrations des collectivités locales, les entreprises qui se mobilisent, qui mobilisent leurs salariés et qui acceptent de faire des dons, et puis la sphère associative lorsqu'aussi elle sait travailler avec les autres, ce qui n'est pas toujours le cas. Donc, la clé, en fait, c'est de... de réussir à nouer ces collaborations, et c'est d'incompliqué.
- Speaker #1
C'est très complexe.
- Speaker #0
C'est très compliqué, pour toutes sortes de raisons, et pas que bureaucratiques ou administratives. C'est compliqué parce que les gens ont du mal à travailler ensemble, et parce que la poursuite du bien commun, considéré comme étant plus que l'addition et la somme des intérêts particuliers, ça doit... Faire l'objet d'un consensus comme objectif poursuivi par tout le monde. Et c'est le plus dur à trouver, on le voit bien en ce moment.
- Speaker #1
Tout à fait. Et les entreprises tech, pour toi, s'engagent assez sur ces sujets ? Tu m'as dit tout à l'heure avoir beaucoup œuvré pour la French Tech, être mobilisée pour l'innovation. De ce que je vois, il y a quand même aussi une mobilisation des entreprises. tech française et européenne sur ces sujets sociaux ou environnementaux.
- Speaker #0
Oui, tout à fait. Et notamment dans les territoires. Là, dans quelques jours, je vais aller à Nantes. J'étais à Rennes il n'y a pas longtemps, à Toulouse. En fait, je trouve ça toujours assez formidable, effectivement, de voir des entrepreneurs qui assument un engagement pour les causes environnementales et sociales. Et c'est assez franco-franchouillard. mais je trouve qu'on doit en être... plutôt fière. C'est vrai que l'éthique entrepreneuriale, ce n'est pas quelque chose qu'on croise aussi souvent, je trouve, aux États-Unis. Après, une fois qu'on a dit ça, ça pose deux questions, il me semble. La capacité de ces entreprises à croître dans un environnement concurrentiel qui ne favorise pas forcément ce type d'engagement. Et puis, qui... La capacité à vraiment peser et avoir un impact environnemental et social lorsque les décisions politiques ne vont pas forcément en ce sens. Donc ça ne veut pas dire qu'il ne faut rien faire, mais ça veut dire que ça ne suffit pas.
- Speaker #1
Axelle, on arrive à la fin de notre échange, même si je pense qu'on pourrait échanger encore très longtemps. J'aimerais te demander quels conseils tu donnerais... à des jeunes futurs entrepreneurs qui nous écoutent et qui ont envie de se lancer soit dans l'entrepreneuriat social, soit en politique. Quel message t'aimerais partager aujourd'hui ?
- Speaker #0
Je pense qu'il faut s'entourer parce qu'il me semble que ce sont des choix de parcours de vie qui sont compliqués, qui sont peut-être moins confortables pour certains et donc il faut s'entourer vite et ne pas hésiter à aller chercher du soutien. La deuxième chose, c'est qu'il ne faut pas tirer de conclusions trop hâtives quand on se plante. Parce qu'en fait, j'ai l'impression là aussi de dire des banalités, mais c'est tellement vrai qu'on se plante et on se replante et on se replante. Donc au fond, à la fin, ce qui compte, c'est la détermination, la persévérance et la capacité à faire face à une forme d'adversité. et pour autant je ne suis pas en train de dire que ça signifie faire semblant non il faut se connaître et en fait c'est tellement dur de se connaître c'est très très dur et puis se dire aussi que jusqu'à la fin de sa vie c'est pas la fin du monde c'est à dire qu'on peut toujours garder espoir en fait Voilà. En tout cas, c'est ce que j'essaie de me dire parce que le monde n'est pas toujours joli en ce moment.
- Speaker #1
Non, mais il y a quand même de belles choses qu'on peut... Il faut être optimiste et positif. Merci. Merci infiniment, Axelle, pour cet échange. Merci beaucoup.
- Speaker #0
Merci beaucoup.
- Speaker #1
Merci. Merci d'avoir écouté ce nouvel épisode de Hors Ligne, le podcast de la Content Square Foundation. La Content Square Foundation s'engage à bâtir un web plus accessible. Vous souhaitez en savoir plus, suivre notre formation gratuite et devenir un ambassadeur de l'accessibilité numérique ? Toutes les infos sont sur notre site. Et rendez-vous au prochain épisode.