Myriam Kadio Morokro Mon grand-père a toujours souhaité avoir parmi ses enfants un médecin. Et donc, quand je suis née, il a dit : « Il faudrait qu'elle soit médecin, j'aimerais bien un médecin dans la famille » parce que c'est un métier prestigieux, je pense. J'adorais les sciences naturelles, les sciences de la vie. Je regardais beaucoup d'émissions sur ça, mais je n'étais pas très bonne en maths. J'ai eu un bac tout à fait normal, sans éclat. Et puis, je me suis orientée en fac de médecine et là, j'ai été brillante. On est dans les années 90 et j'ai un ami cardiologue qui me dit : « Mais tu sais, en ce moment, il y a une avancée mondiale sur les bébés éprouvettes, il y a même eu une naissance ». Alors j'ai commencé à bouquiner sur ce sujet et de la cinquième année jusqu'à ma thèse, je n'ai pensé qu'à ça. Je suis partie en France, je me suis inscrite toute seule. Il n'y avait pas beaucoup d'africains qui venaient se former dans la biologie de la reproduction puisque ce n'était pas une spécialité pour eux. Je n’avais même pas encore pris conscience que j'étais en train de faire quelque chose d'extraordinaire. C'est une spécialité comme toute autre spécialité. Moi, je venais installer un centre de fertilité ici pour éviter que les femmes aillent en Europe avec les problèmes de visa, les problèmes liés à l'environnement. Pour moi, c'était normal de pouvoir venir installer un centre de fertilité. J'ai eu beaucoup d'obstacles. Parce qu'on m'a dit : « Non, ici ça ne marchera jamais, tu n'y arriveras jamais. Aucun couple ne va venir te voir pour te dire : « J'ai des problèmes d'enfant ». Ils vont préférer rester entre eux ». En tout cas, je pense que pour moi c'était ça le point : de ne rien lâcher, de pouvoir continuer et de montrer que c'était possible. Le premier bébé en Côte d'Ivoire, c'était possible. Et à partir de 2006, je commence véritablement à réfléchir à un vrai centre de fertilité. Et puis en 2008, je me dis : « Bon, je ne vais pas m'en sortir. Je vais prendre avec ma collègue un prêt personnel et puis on va monter un petit projet comme ça en attendant que la banque veuille bien nous financer ». On a commencé avec 23 couples qui sont venus nous voir sur l'année, ce n’est rien du tout. Sur les 23, on a eu un taux de réussite de 50%. Donc les bébés sont nés en 2009. Et puis à partir de là, on a commencé à être en forte croissance. Tout le monde venait chez nous pour avoir des grossesses. Les premiers temps, évidemment, on ne se paye pas. On faisait tout nous-mêmes. On avait juste un comptable et on a recruté du personnel qui a bien voulu nous suivre. Et puis évidemment, comme toute entreprise, on avait les fins du mois difficiles. Mais il fallait payer les gens, les fournisseurs aussi. Il y a certains fournisseurs qui nous ont dit : « On t'accompagne ». Et puis quand c'était lancé, au bout de la deuxième année, quand on a commencé à bien travailler, on a commencé à recruter du personnel, à se payer nous-mêmes et tout ça. On ne s'est plus arrêté. À partir de 2014, on se dit qu'on est surbooké. Il nous faut un centre de référence, un vrai centre aux normes. On a une notoriété. Tout le monde sait que pour avoir un enfant, il faut venir à Procréa. On a des femmes de tous bords, beaucoup de classes moyennes, des femmes de petits niveaux, du marché même, qui venaient. Et puis très peu de femmes de cadre supérieur, parce qu'elles préféraient toujours partir en Europe. Je repense encore : « Ah mais tiens, il nous faut quelque chose de plus grand ». On refait le business plan, on fait les différents scénarios. Et puis, on commence à avoir un plan, des vrais chiffres. Donc, de 200 millions, on passe à 3 milliards d'investissement. Donc, je vais voir Société Générale avec le fonds d'investissement qui me donne un tiers et j'apporte un tiers. Et puis, un jour, je suis chez moi et il y a le directeur général qui m'appelle : « Bravo ! On vous a octroyé le crédit de 3,5 milliards », « Ah bon ? Mais personne ne m'a dit ! », « Si, si, si, on ne vous a pas dit ? », « Oui, oui, oui, c'est bon ! ». On a accepté le projet. Voilà, aussi simplement, pas autre chose, aussi simplement. Alors, la clinique Procréa, à partir de 2022, c'est 7000 m² de superficie contre 900 m² dans le premier site. C'est un centre d'abord dédié à l'assistance médicale à la procréation, avec tout ce qui est possible de faire en assistance médicale à la procréation. Avec la discrétion qu'il faut, les équipes qu'il faut, on prend en charge environ 600 couples qui viennent de la Côte d'Ivoire, mais également du Sénégal, du Mali, de la Guinée, donc l’ouest africain. C'est environ 1500 bébés qui sont nés ici à Procréa. Et puis, à côté de cela, on a un parcours des patients qui sont en désir de parentalité, qui est de plus en plus croissant. On a un centre de gynécologie qui est très fort, qui est axé sur la fertilité, mais pas que, puisqu'on prend en charge ces femmes, on les fait accoucher. Donc on a installé un centre de néonatologie à la clinique Procréa. Et on a également la médecine générale pour permettre à ces femmes de rester dans cet environnement, de ne plus bouger, de se sentir à l'aise. Comme si c'était un hôtel médical. Je voulais que ce soit un environnement calme et zen, quelque chose de complètement différent. Alors, l'assistance médicale à la procréation comprend les techniques d'insémination artificielle, c'est classique. C'est le sperme qu'on prépare et qu'on injecte dans l'utérus de la patiente. Ensuite, il y a la fécondation in vitro où on prend des ovules et on met en contact avec le spermatozoïde du conjoint. On fait également la micro-injection, ça c'est dans le cas des infertilités masculines où on trie les spermatozoïdes qu'on injecte directement dans l'ovule. On fait la congélation d'embryons, la congélation de sperme, la congélation d'ovocytes. On est en train de penser à faire le diagnostic du sexe. Donc on fait tout ce qui est possible de faire en matière de fécondation in vitro en Côte d'Ivoire. Donc tout est possible pour nous puisqu'on a le plateau technique pour le faire. Pour la fête des mères, je reçois des cadeaux. À Noël, j'ai plein de remerciements. Je reçois des photos des enfants, de l'évolution des enfants. C'est toujours très touchant. Et je me dis que j'ai eu raison, que c'était possible. Le week-end, j'étais avec un de mes amis qui me dit : « Mais comment tu as fait ? », je lui réponds : « Mais comment j'ai fait quoi ? », « Mais est-ce que tu t'imagines ce que tu as fait avec Procréa ? », « Non, je n'imagine pas », « Mais regarde autour de toi, tu nous as sorti une clinique qui est moderne ! ». Depuis 40 ans, il n'y a pas eu de construction de clinique en Côte d'Ivoire. Aujourd'hui, je peux dire que j'ai percé le plafond de verre. Ça, je peux le dire. C'est vrai que c'est une dimension entrepreneuriale qui est forte. Mais au début, je ne le voyais même pas comme de l'entrepreneuriat. Je pensais que c'était une clinique et puis on m'a dit : « Non, tu es en train de faire une entreprise. Donc, il faut t'armer de courage et puis ne pas avoir peur du risque ». Il faut des gens qui croient. Il faut pouvoir tirer une équipe vers soi. Je ne savais pas que ça allait être une aventure formidable. Ça m'a appris qu'il faut se battre. Il faut croire en ses rêves, en fait. C'est vrai que quand on le dit comme ça, c'est joli, mais il faut vraiment braver toute l'adversité parce que personne n'y croyait. Même au sein de ma propre famille, donc il faut être tenace. Et puis construire jour après jour, mois après mois, pour pouvoir s'accrocher à quelque chose et s'accrocher à son futur. Donc c'est ce que j'ai fait, c'est ce que j'ai réussi à faire en tout cas.