- Pascale Lafitte
Bonjour à vous tous et bienvenue. Nous nous retrouvons pour un nouvel épisode d'Internes en médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération. Une série de rencontres et de conversations avec des internes en médecine. Une émission réalisée en partenariat avec l'ISNI, l'Intersyndicale National des Internes. Aujourd'hui, nous allons rencontrer Arthur Poncin, vice-président chargé des partenariats pour l'ISNI. Il est interne en oncologie à Lyon. Pas encore docteur, mais évidemment médecin.
- Arthur Poncin
Un interne est un médecin parce qu'on a le diplôme de médecine, le diplôme de formation approfondie en sciences médicales, pour être exact, qu'on fait avant de commencer l'internat. Ce qui nous manque, c'est le titre de docteur qu'on a sur la fin de l'internat avant de devenir docteur junior. Mais ouais, on est médecin, pas encore docteur à proprement parler, mais médecin.
- Pascale Lafitte
Un interne est un médecin en formation spécialisée. Il possède le diplôme de médecine. Diplôme de formation approfondie en sciences médicales qu'il a obtenu après sa sixième année de médecine. Diplôme indispensable pour se présenter aux OCN et accéder à l'internat, mais il n'a pas le diplôme d'état de docteur en médecine et ne peut pas exercer encore de manière totalement indépendante. Découvrons pourquoi Arthur a choisi de faire des études de médecine.
- Arthur Poncin
Mes parents sont médecins et donc j'entends parler de patients, de cas, de médecine depuis que je suis tout petit. Donc clairement, ça a probablement impacté mon choix. En tout cas, ça me l'a orienté parce que c'est ce que je connaissais le mieux. J'ai pas mal hésité aussi pendant le moment. Je rêvais de faire pilote de ligne. Et puis au final, après réflexion, à l'époque, pas par rapport à l'écologie parce que j'étais encore jeune, mais je me suis dit que finalement, en médecine, l'avantage, c'est qu'on pouvait vraiment tout faire, que ce soit du soin, de la recherche, de la formation. On peut même avoir un pied sur les politiques de santé publique, les politiques de santé en général. Et je trouvais que c'était tellement large que finalement, ce n'était même pas vraiment encore un choix et que je pouvais encore, après, affiner avec les années ce que je voulais faire. Moi, j'ai toujours été un peu fasciné par le fonctionnement des institutions, des parlementaires. Quand j'étais petit, je trouvais ça très chouette. Et donc, je ne sais pas, je me disais qu'il y avait plein de... politique, qui faisait de la santé, qui venait du milieu de la santé, et que c'était aussi chouette d'avoir cette représentation-là. Et même à la fin du lycée, je me disais déjà que c'était une option. J'ai aussi à un moment pensé à faire Sciences Po, parce que j'aimais bien tout ce qui est lié à ça, et finalement, je me suis dit, non, mais avec la médecine, en fait, je pourrais tout faire en même temps, et c'est super chouette.
- Pascale Lafitte
Je fais un petit aparté. Sciences Po, il y a pas mal de médecins qui font médecine et qui font en parallèle des études de politique. On a eu un ministre, il n'y a pas tellement longtemps, qui avait fait ce parcours-là…
- Arthur Poncin
Il y en a beaucoup, des parcours comme ça. Peut-être qu'un jour, je ferai un science-po. En tout cas, je trouve ça super intéressant. Le côté aussi justice, moi, m'intéresse beaucoup. J'aimerais bien faire un diplôme universitaire, donc une formation en plus, sur l'expertise médicale et sur l'expertise corporelle, les préjudices. Je trouve que c'est aussi trop fascinant, tout le milieu judiciaire, que finalement, on connaît mal. Donc, peut-être aussi que je vais faire ça.
- Pascale Lafitte
Donc pour l'instant, ce n'est pas ce que vous faites. Pour l'instant, vous avez choisi oncologie et oncologie médicale.
- Arthur Poncin
Exactement, oncologie médicale. J'ai mis du temps avant de savoir un peu ce que je voulais faire. Je suis passé en oncologie pendant mon externa. Ça devait être pendant ma 4e ou 5e année d'externa. J'ai trouvé ça super chouette parce qu'on touche à tout. Ça touche tous les organes. On peut se sur-spécialiser. On a une vraie relation hyper profonde avec les patients, un peu comme en médecine générale, où on les suit vraiment pendant longtemps, on peut les guérir de plus en plus. Donc je trouvais que ça Ausha un peu toutes les cases.
- Pascale Lafitte
Vous dites qu'on peut les guérir de plus en plus, ça doit changer en fait l'image qu'on a de l'oncologue, de votre métier en fait, parce qu'il y a encore 20 ans, un oncologue, il voyait partir beaucoup, beaucoup, beaucoup de ses patients. Vous, je ne sais plus quels sont les chiffres, vous devez les connaître. de guérison ou de rémission, vous avez beaucoup de patients qui vont rester finalement, qui vont dépasser cette maladie.
- Arthur Poncin
Et ça, c'est chouette. Alors moi, je suis encore jeune, donc je ne me rends pas compte de ces modifications, mais les praticiens hospitaliers les plus vieux, eux, ils s'en rendent compte et ils en parlent. Et ils nous disent qu'ils suivent des patients depuis 15-20 ans, qu'ils voient une fois en consultation tous les 1, 2, 3, 4, 5 années, et qu'ils continuent à suivre comme ça. Et ouais, c'est super chouette. C'est vraiment ce que je trouve bien. Il y a à la fois des situations graves, mais il y a aussi plein d'espoir et de plus en plus de patients. Ça dépend beaucoup des cancers, mais là, par exemple, je suis en urologie, oncologie urologique. Donc, je fais beaucoup notamment de cancers du testicule chez des jeunes hommes. Et eux, on les guérit dans largement plus de 90% des cas. Et ça, c'est super parce que c'est des patients jeunes qu'on va sauver dans l'énorme majorité des cas. Et c'est hyper satisfaisant.
- Pascale Lafitte
Le mot cancer fait peur. Vous nous dites évidemment que tout ça évolue et qu'on guérit de plus en plus. Or, chaque fois qu'on diagnostique un cancer et qu'on doit l'annoncer à un patient, on sait qu'en face, on va avoir un choc.
- Arthur Poncin
Clairement, il y a un choc. Et ça, c'est une autre partie qui est entre guillemets chouette dans ce métier parce que c'est un vrai challenge et qu'en fait... bien amené, avec beaucoup d'écoute, avec les bons mots, avec des temps de pause, avec de la réflexion pour le patient. En fait, on peut quand même adoucir grandement et faire comprendre aux patients qu'on peut faire des choses pour ce cancer. Il y a le gros mot, une fois qu'il est sorti. Alors, moi, je le vois peu parce que finalement, c'est plutôt le diagnostic qui est souvent fait dans un premier temps par les médecins généralistes qui, eux, commencent un peu la prise en charge. C'est eux qui font le débrouillage au début. Donc, finalement, c'est pas trop moi qui annonce les cancers à proprement parler. En général, on sait déjà que... que c'est probablement un cancer. Donc, ce n'est pas forcément la partie la plus compliquée pour les patients de mon cancer, mais en l'amenant bien, en expliquant, en prenant le temps, en refaisant une consultation quelques jours après, c'est chouette parce qu'on peut les accompagner vraiment, les aider et les rassurer. Au moins, quand on peut vraiment être optimiste, on peut les rassurer. Et donc, ça reste quelque chose que je trouve hyper enrichissant comme partie de mon travail en tant qu'oncologue.
- Pascale Lafitte
Comment est-ce que vous avez appris à parler aux patients ?
- Arthur Poncin
Sur le tas, comme tout en médecine, c'est toujours un peu en partie sur le tas. On a la chance en oncologie, en tout cas à moi l'année dernière, pour tous les nouveaux internes d'oncologie sur la région, on a des cours de communication. Et on fait des petites... Il y a tout un centre de simulation et en fait quelqu'un, soit un soignant, soit un de nous... Soit même des fois, des acteurs viennent et jouent en patient. On joue des situations un peu précises et spécifiques, des annonces de cancer, des annonces de fin de vie, des choses comme ça qu'on va finir par croiser dans notre exercice. Et on est regardé en parallèle par des encadrants et nos co-internes. Et puis après, on débriefe. Qu'est-ce que tu aurais fait autrement ? Qu'est-ce que tu as bien aimé ? Qu'est-ce que tu as trouvé pas adapté ? Et c'est super parce qu'on est même filmé. Des fois, on se revoit vraiment faire les choses et ça permet de se dire, ok, ça, je le ferai autrement la prochaine fois. Donc, il y a toute cette partie-là, un peu formation vraiment qui est chouette. Et puis après, il y a des choses qu'on apprend sur le tas. En voyant nos collègues, nos chefs faire, on se dit, ah, ça, moi, je ne l'aurais pas fait comme ça, parce que je trouve que ce n'est pas très clair. Ou par exemple, ça, je l'aurais complètement fait comme ça. C'est super, ce geste, le fait de... de mettre sa main par exemple sur la main du patient, de proposer un mouchoir, des choses un peu comme ça, qu'à force de voir, on finit par se dire « ok, je vais le faire » . Et puis après, quand c'est à nous de le faire, petit à petit, on fait, a priori, j'espère, de mieux en mieux. En tout cas, c'est l'objectif.
- Pascale Lafitte
Donc c'est de l'empirique et de la transmission à la fois.
- Arthur Poncin
Et un peu de formation aussi pratique et un peu théorique avec des chefs dans les cours de communication qu'on fait de plus en plus. Et ça, je pense que c'est une spécificité un peu de notre spécialité pour l'instant. Vu qu'on va être face à des situations compliquées, on a plus de cours et de formations que d'autres spécialités qui finalement vont voir aussi des situations difficiles. Mais vu que c'est moins quantifié que le cancer, ils ont moins d'encadrement.
- Pascale Lafitte
Nous avons abordé avec Arthur une étude qui a fait les gorges chaudes des médias. Étude publiée le 3 mars 2025, menée en partenariat avec Santé publique France, avec l'Institut national du cancer, le réseau des registres de cancer Francim. et les Hospices Civils de Lyon. Ce travail a permis d'évaluer l'incidence des cancers chez les adolescents et jeunes adultes âgés de 15 à 39 ans entre 2000 et 2020 et a révélé une augmentation constante de 6 types de cancers chez les jeunes. Une étude que vous pouvez retrouver sur le site de Santé publique France si ça vous intéresse de la lire dans son intégralité. Lorsque nous nous sommes rencontrés, Arthur était interne au centre de lutte contre le cancer à Lyon. Ainsi, nous avons évoqué précisément cette étude. Donc, nous avons parlé de l'âge de ses patients. Et je lui ai demandé si sa formation d'oncologue le préparait à ce rajeunissement des malades.
- Arthur Poncin
C'est compliqué de dire parce que, pareil, j'ai pas le recul pour me dire qu'il y a plus ou moins de jeunes qu'avant. Même si on l'entend dans les médias régulièrement qu'il y a de plus en plus de canchères chez les jeunes. Finalement, il y a quand même majoritairement des personnes plutôt âgées, parce que ça reste quand même une maladie largement du sujet âgé. Après, c'est variable. Par exemple, le cancer du testicule, ça c'est un cancer des jeunes. C'est entre 20 et 40 ans. Donc, ils sont systématiquement jeunes. On a l'habitude, c'est comme ça et c'est pas choquant en soi. Après, il y a des cancers qui sont d'habitude... plus des personnes un peu plus âgées ou du moins dans leur seconde moitié de vie et qui arrivent en effet chez des patients qui ont 40 ans, 50 ans et ça c'est compliqué à gérer parce que en effet il y a les enfants qui ont des fois notre âge ou qui sont plus jeunes que nous qu'on voit la famille et en général c'est des cancers assez agressifs et ça c'est vraiment la partie un peu compliquée où on se dit comment je fais comment est-ce qu'on annonce on a du mal aussi à prendre les décisions est-ce qu'on... On continue ou pas des traitements ? Est-ce qu'on ne fait que du confort ? Et ça, c'est des situations, c'est difficile de les visualiser avant de faire de l'oncologie à proprement parler. Donc c'est pour ça qu'il faut idéalement passer en stage quand on est étudiant, avant de choisir la spécialité, clairement.
- Pascale Lafitte
Avant de décider de faire de l'oncologie, c'est important de faire un externa, d'y être passé. Est-ce que vous pensez qu'il y a une grosse pression sur cette spécialité-là, psychologique pour vous, plus que sur certaines autres ?
- Arthur Poncin
C'est différent. Je pense que c'est aussi un profil particulier de gens parce que globalement, je pense qu'il y a des spécialités où on est plus ou moins gentil. Et je pense que l'oncologie, c'est des gentils. Globalement, c'est des gens qui au moins aiment bien le contact humain et qui sont peut-être plus dans l'empathie encore que dans d'autres spécialités. Donc globalement, ça se passe plutôt bien. Je pense qu'en effet, il faut l'avoir vu un peu dans sa vie. un peu cow-boy de se lancer dans l'oncologie sans en avoir jamais fait, sans l'avoir vu pendant l'externat. Mais je pense qu'en soi, tout le monde peut le faire. Après, je trouve qu'il y a un profil un peu où on est tous un peu plus, peut-être empathique encore que les gens, ou du moins qu'on a plus la sensation d'avoir la capacité d'être capable de gérer les sentiments des patients et puis leur tristesse.
- Pascale Lafitte
C'est difficile la tristesse des patients ?
- Arthur Poncin
Ça dépend des fois. Ça dépend des fois. Depuis le début de mon internat, moi peut-être au dernier sommet, je me souviens de situations compliquées. En fait, on en discutait hier soir avec des amis autour d'un verre. On colloque tous. Ce qui est le plus compliqué, la tristesse, on arrive à la gérer et on prend la distance qu'il faut prendre. Ce qui est le plus compliqué, c'est autour, quand on arrive à soulager cette tristesse, à proposer soit des passages de psychologues, des médicaments pour l'anxiété. Quand on a l'impression d'être capable de faire quelque chose pour essayer de les soulager, finalement, nous, ça nous permet de nous dire qu'on arrive à faire notre travail. Ce qui est plus compliqué, c'est quand on est vraiment dans des situations où on n'arrive pas à soulager les symptômes, où les patients souffrent, que ce soit à cause de la douleur, de la tristesse. Et ça, c'est frustrant. Et du coup, là, c'est plus compliqué. Ça arrive moins souvent, heureusement, mais ça arrive quand même. Et des fois, il y a des journées où on finit la journée. On est content de rentrer chez soi, de s'asseoir sur son canapé et de plus rien faire.
- Pascale Lafitte
Vous arrivez à vider votre esprit et à vraiment plus rien faire assis sur votre canapé ?
- Arthur Poncin
Moi j'ai la chance d'arriver à compartimenter et à la différence de certains collègues qui eux le décrivent comme ça, il y en a qui rêvent de leur passion la nuit, moi pour l'instant j'ai la chance de ne pas être dans cette situation-là. Ou alors vraiment très rarement. Je pense que c'est hyper... hyper variable selon les personnes. On est aussi interne, donc pour l'instant, on n'a pas la responsabilité complète du patient. On n'est pas son oncologue référent. Peut-être que je vais finir par rêver de mes patients aussi. En tout cas, pour l'instant, j'ai l'impression d'arriver à compartimenter ma vie personnelle et ma vie professionnelle.
- Pascale Lafitte
Les patients qui partent, le premier qui part, vous vous en souvenez ?
- Arthur Poncin
En oncologie, je ne sais pas si c'était le premier, mais je m'en souviens d'une en particulier. Ça devait être une des premières depuis que je suis interne. J'en ai vu aussi quand j'étais externe. Mais depuis que je suis interne, je me souviens d'une en particulier, parce qu'en fait, elle ne souffrait pas. Elle était un peu confuse parce qu'elle avait du cancer au niveau de la tête, mais elle était totalement... calme, reposée, sereine. Il y avait la famille qui passait, qui était triste, à raison, mais qui était en même temps aussi du coup calme et serein, vu qu'il la voyait calme et serein. Et ça a mis du temps, ça a bien mis la partie un peu ce qu'on dit terminale. Ça a duré bien deux, trois semaines. Et on passe tous les jours, on voit, on essaye de discuter quand elle est réveillée, on essaye de voir s'il y a des choses à ajuster. Et j'en ai un souvenir finalement positif, parce qu'on a vraiment réussi à... et tout s'est passé de manière optimale.
- Pascale Lafitte
Est-ce que le fait d'avoir eu vos parents médecins vous a presque prédestiné à avoir cette empathie et peut-être cette capacité à poser les valises et à savoir, à ne pas être envahi par vos patients même la nuit dans vos rêves ?
- Arthur Poncin
Je ne sais pas, je ne suis pas sûr parce que je pense que ma maman, elle est un peu envahie par ses patients. Ça lui arrive de, je pense, s'y penser beaucoup. Pas toujours, heureusement, mais ça lui arrive. Je ne sais pas si ça vient de mes parents, ou si ça vient spécifiquement de moi, ou si, peut-être qu'encore une fois, ça va finir par m'arriver et je vais finir par rêver de mes patients. Mais en tout cas, je n'ai pas d'explication spécifique. Je suis quelqu'un de pas stressé de base. Peut-être que c'est comme ça et que j'arrive du coup un peu à compartimenter.
- Pascale Lafitte
Vous avez une spécialité qui évolue au niveau des traitements très vite. Merci. Est-ce que quand on choisit de faire ça, on sait qu'on va être en formation permanente toute sa vie ?
- Arthur Poncin
Ça oui, clairement, on le sait. Ça fait partie du deal initial. C'est ce qui peut être un peu fatigant d'ailleurs. Souvent, se dire qu'il va falloir se mettre à jour tout le temps et surtout. C'est pour ça que beaucoup de médecins oncologues se spécialisent un peu sur une thématique spécifique. Ils ne font par exemple que de l'oncologie digestive ou de l'oncologie gynécologique. Parce qu'en fait, à force, si on veut faire de l'oncologie générale, il faut soit faire les premières lignes de traitement, mais après, il y a tellement de cancers différents, il y a tellement de plus en plus de traitements possibles qu'en effet, on n'est pas capable de se souvenir de tout. Alors, on a des référentiels qu'on peut utiliser à chaque fois, mais malgré tout, il y a un moment où ça devient difficile d'être au courant de tout, tout le temps. Mais ça fait partie du deal, encore plus que dans les autres spécialités. Clairement, ça change potentiellement des fois tous les ans. Donc, il faut rester au taquet parce qu'il faut réussir à proposer les soins les plus adaptés. Donc, il faut rester vraiment bien informé. Internant médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération.
- Pascale Lafitte
Racontez-moi votre première journée en internat. Je pose tout le temps cette question parce qu'il y a l'externat. et il y a l'internat et on a l'impression qu'entre les deux, à part une césure de six mois où il ne se passe pas grand-chose, c'est-à-dire du repos, des vacances et des copains, c'est deux mondes différents ?
- Arthur Poncin
Clairement, d'un coup, on se retrouve à devoir prescrire, ce qu'on ne fait pas beaucoup pendant l'externat. Et c'est nous qui voyons tous les patients et il y a les chefs qui Ausha plus ou moins. Donc, clairement, il y a un gros gap qui se crée. Moi, j'étais en radiothérapie parce que, du coup, je suis obligé de faire un stage de radiothérapie et d'oncologie médicale ma première année dans mon internat. Et la radiothérapie, finalement, c'est quand même un stage particulier parce que ce n'est pas du tout la même organisation que celle qu'on voit d'habitude. Ce n'est pas de l'hospitalisation, les patients viennent, ils restent une heure au centre, ils font leur séance de rayon, puis ils repartent. Donc finalement, ce n'était pas comme je l'imaginais, dans le sens où je ne me suis pas retrouvé à prescrire et à gérer mes patients hospitalisés. C'était beaucoup plus, là, il fallait vraiment que je découvre un nouveau monde, mais plus parce que j'ai fait une spécialité, une sous-spécialité particulière. Et donc, finalement, je pense que ça s'est bien passé, mais parce qu'en fait, je ne savais rien faire de spécifique, vu que c'est quelque chose qu'on n'apprend pas pendant l'externat. Et donc, j'ai surtout été passif et observateur les premières journées pour voir un peu comment ça se passait, quelles étaient les spécificités, comment on met les patients sous les machines, comment on fait un peu cette surveillance-là. Donc ma première journée d'internat ne représente pas finalement ce à quoi je m'attendais. C'est à partir du stage suivant où j'ai plus fait quelque chose que je m'imaginais, donc le service d'hospitalisation classique au CHU ou vraiment la GT avec d'un coup, mais je ne sais plus, je pense qu'au début j'avais la chance, j'avais que 7 ou 8 patients. dont je devais m'occuper sur la journée. Et donc là, c'est un peu à tâtons. En plus, on découvre le logiciel qui n'est pas le même dans toutes les villes. Et donc là, j'ai commencé à regarder mes prises de sang. Puis je me suis dit, bon, allez, il faut que j'aille voir les patients. Et donc, on y va, on se présente. Vu qu'on ne connaît personne, en plus, il faut se représenter à chaque patient, dire qu'on remplace l'interne qui vient de partir la semaine d'avant.
- Pascale Lafitte
On ne dit pas qu'on est tout frais. Si…
- Arthur Poncin
On essaie d'éviter parce que ça peut faire peur. Après, il y a des patients qui posent la question et qui ne trouvent pas ça forcément étonnant. En général, les patients sont assez compréhensifs, moi je trouve. Depuis toujours, même pendant l'externat, quand on leur dit, ils sont « ah, waouh, il vous reste longtemps, c'est super » . En général, les patients n'ont pas spécifiquement peur. Mais on essaye d'éviter de dire que c'est sa première journée d'interne d'hospitalisation classique parce qu'en effet, moi à leur place, je n'aimerais pas l'entendre.
- Pascale Lafitte
Un de vos collègues me parlait récemment du syndrome de l'imposteur, qu'il a ressenti ou que peuvent ressentir les internes en début d'internat, les premiers temps en tout cas.
- Arthur Poncin
C'est compliqué parce qu'en effet, il faut d'un coup se dire que ça y est, on passe de la théorie et de l'observation qu'on faisait quand on était externe à vraiment traiter les patients, à prendre des décisions. Moi je trouve que malgré tout, on a tellement la tête dans nos bouquins, on ne fait que bosser pendant 6 ans avant de devenir interne, on en connaît des choses. Il faut juste avoir un peu de confiance en soi, se booster avant l'internat, on commence tous à lire 2-3 trucs pour se remettre un peu dans le bain. Et puis après, je trouve qu'in fine, il ne faut pas avoir confiance en soi. Il y a plein de choses qu'on ne connaît pas, c'est totalement normal. On commence une spécialité qu'on ne maîtrise pas. Il y a tellement de choses à apprendre. Il y a tellement de choses déjà avec ce qu'on connaît, de ce qu'on a appris pendant l'externat. Moi, je n'ai pas ressenti ce syndrome-là. Je me dis que j'ai plein de choses à apprendre et que tout ce que je peux faire, c'est toujours ça de pris. Et puis, le reste, on l'apprend et c'est chouette aussi.
- Pascale Lafitte
C'est un métier où on apprend beaucoup ?
- Arthur Poncin
C'est un métier où on apprend beaucoup parce qu'on est énormément en contact tout le temps avec des gens. Que ce soit nos collègues, nos corps internes, nos chefs, les patients. Donc, en fait, on apprend à la fois. théoriquement dans nos bouquins, mais aussi de nos seniors qui nous apprennent dans la chambre du patient, des patients eux-mêmes qui nous apprennent leur version de la maladie, leur ressenti de la maladie. Je pense qu'on apprend toute sa vie dans cette spécialité, en médecine de manière globale, clairement, mais en plus dans cette spécialité, de par le caractère hyper emprunt d'émotion de la maladie et du cancer, on apprend tout le temps beaucoup.
- Pascale Lafitte
J'ai trouvé Arthur très respectueux. attentionné même à l'égard de ceux qu'il appelle ses seniors, ses chefs. Pourtant, le milieu hospitalier français a été le théâtre de plusieurs affaires ou comportements inappropriés de médecins dits seniors ou mandarins également. Et ça depuis bien longtemps. Des chefs au pouvoir hiérarchique fort, détenant une autorité quasi absolue et aux comportements parfois abusifs et parfois tus ou protégés par la hiérarchie.
- Arthur Poncin
Le mot que j'entends le plus, c'est omerta. Je pense que comme partout dans la société, il y a des gens avec des forts caractères et qu'une fois qu'ils se retrouvent dans des positions de puissance en haut de leur service, c'est compliqué à gérer. Je ne pense pas qu'il y en ait beaucoup plus qu'ailleurs et je pense que surtout ça s'améliore largement parce qu'en fait la profession se féminise et que je pense que ça équilibre un peu plus cette profession qui était initialement très masculine. Donc ça remet aussi un peu plus d'équilibre. Il y a toujours des chefs caractériels qui ont leur façon de fonctionner et qui sont problématiques. Et on est très critique, même si je parle de mes sénateurs et que je les englobe, on est souvent assez critique sur des façons de fonctionner, même auprès du patient. Il y a des médecins qui ont plus de mal à dire les choses, notamment dans le cancer, que d'autres. Clairement, il y a des problématiques de pression, mais encore plus que juste des médecins, des fois, je trouve institutionnels. où il y a vraiment potentiellement tout le CHU. Et en fait, le fonctionnement de la médecine, mais même de la santé en général, vu qu'on est en sous-effectif de personnel médical et paramédical, ils nous disent que ce n'est pas possible de virer les gens et que c'est compliqué de faire avancer des situations super problématiques, voire répréhensibles pénalement. Je pense, j'espère, moi je suis plutôt optimiste, j'espère que ça va s'améliorer petit à petit, pour plein de raisons, parce qu'on est de plus en plus, qu'on est plus jeunes et que... On n'a pas la même vision à la fois du travail et de la société que nos aînés et nos seniors. Donc je pense que ça va changer. Moi, actuellement, je ne ressens pas une pression de mes seniors. Peut-être aussi parce que je suis dans une spécialité, comme je le disais tout à l'heure, où c'est plutôt des gentils, plus qu'encore qu'ailleurs. Mais je pense que ça va changer dans le bon sens.
- Pascale Lafitte
Vous êtes bienveillant, vous aimez votre métier, vous aimez les gens avec qui vous travaillez. Or, vous êtes engagé pour... continuer à vous battre pour que les choses s'améliorent. Quelle est cette prise de position ? On l'a vu au début, vous avez quelque chose qui vous attire dans la politique. On en a parlé dès le début de cet entretien. Et pourquoi cet engagement aujourd'hui ?
- Arthur Poncin
Moi, quand j'étais externe, j'ai fait le BDE, la corporation, qui s'appelait Corporation des Carabins de Sorbonne Université. dont j'étais président pendant un mandat, et j'ai trouvé ça super chouette. C'est le début de la fac, on découvre le tissu associatif qu'on connaît peu ou pas du tout pendant le collège et le lycée. Et j'ai trouvé ça incroyable. On rencontre des gens, on fait des événements, on organise des choses super chouettes. J'avais été frustré à cause du Covid de la version nationale parce qu'il y avait la NEMF pour les externes qui les représentent au niveau national. Et j'avais fait une ou deux... assemblée de la NEMF et puis en fait il y avait eu le Covid. Donc tout est passé en visio et tout de suite c'est quand même beaucoup plus compliqué de suivre. Et du coup j'avais eu toute cette partie un peu locale où on s'occupe de nos coexternes et on fait plein de choses au local. Mais je trouvais qu'il me manquait un peu cette version nationale où on essaye de porter des projets bien plus grands que nous auprès des ministères et des institutionnels. Et du coup dès que je suis arrivé à Lyon en tant qu'interne, je me suis dit en fait j'ai envie d'essayer ça, je ne l'ai pas fait pendant mon externat. Donc allez, c'est parti. Je me suis mis au syndicat de Lyon, le Sahil. Et je me suis dit, je veux faire spécifiquement un peu du national. Et parce que je me disais, mais comment ça fonctionne ? Est-ce que vraiment on arrive à pousser des choses ? Est-ce qu'on a des victoires ? Est-ce qu'en fait, c'est finalement que de la poudre de perlimpinpin ? Et donc, je me suis lancé. Et puis, en fait, on arrive à faire des choses. Des fois, c'est un peu déprimant, surtout ces derniers temps avec... Les changements de gouvernement à répétition, on patauge un peu dans la semoule. C'est difficile de faire avancer certains dossiers. Mais là, comme on a vu il n'y a pas longtemps, le CHU de Poitiers est condamné. Ça, c'est tellement satisfaisant. On est tellement heureux. On a l'impression vraiment de faire avancer les choses petit à petit. Ça prend du temps. Il faut être patient. Mais en fait, c'est toujours une petite pierre à l'édifice. Et je trouve ça super chouette et hyper satisfaisant de se dire que... On essaye de faire avancer les choses, nos droits, le temps de travail, la santé mentale, les violences sexistes, sexuelles. On a plein de choses à faire et je trouve ça hyper intéressant.
- Pascale Lafitte
Selon une enquête de 2024, 80% des internes dépassaient le temps de travail légal de 48 heures par semaine et 10% d'entre eux affirmaient même travailler plus de 80 heures. Le 20 février 2025, le tribunal administratif de Poitiers a enjoint le CHU de Poitiers de se doter dans un délai de trois mois d'un logiciel fiable, objectif et accessible, permettant de décompter le nombre journalier d'heures de travail effectuées par chaque interne. Cette décision fait suite à un recours déposé en novembre 2022 par l'Intersyndicale nationale des internes, l'ISNI donc, par l'Intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale et par la Fédération nationale des syndicats d'internes en pharmacie. et biologie médicales. Cette décision s'inscrit dans un contexte plus large où de nombreux centres hospitaliers universitaires en France sont appelés à mettre en place des systèmes fiables de décompte du temps de travail des internes. Aujourd'hui, les actions se poursuivent pour que chaque CHU se dote d'un logiciel de décompte du temps de travail dans l'intérêt des internes, des patients et du bon fonctionnement du système de santé.
- Arthur Poncin
Il faut que ça évolue parce que, encore une fois, je trouve qu'on n'a pas le même rapport au travail que nos aînés, de manière globale, pas qu'en médecine, mais de manière globale. On est moins, je pense, centré sur le travail. On a plus envie d'avoir notre vie à côté. Et je pense que même s'il faut réussir à s'occuper de tous les patients, pareil, en médecine, nous, les internes, on a envie d'avoir le temps de faire autre chose. Et c'est toujours... Il y a plein d'internes qui ont du mal à se dire Oui, mais il faut que je travaille moins. En fait, faire du 8h30, 18h30 tous les jours de la semaine, plus les gardes, plus les astreintes, ça fait déjà largement 48 heures par semaine, si ce n'est plus. Et pourquoi pas travailler 48 heures ? Il n'y a pas de souci. Mais en fait, c'est quand on dépasse largement et qu'on fait 59 heures en moyenne selon notre étude. En fait, c'est trop 59 heures. On n'a pas le temps d'aller au théâtre à côté, de faire du sport, de voir sa famille, ses amis. Et je pense que c'est super important. Pour qu'on soit bien nous en tant que praticien et pour qu'on soigne bien les patients. Je pense qu'on soigne mieux les patients quand on est nous-mêmes en forme et pas triste et pas déprimé et pas au fond du gouffre. Parce qu'on a des métiers durs et on sait qu'on doit beaucoup bosser et c'est comme ça, on le sait. Mais on peut avoir aussi une vie à côté. hyper agréable de l'avoir, cette vie à côté.
- Pascale Lafitte
Et avec le manque de médecins, qui n'est pas de votre faute, qui est dû à une politique qui date de Matuzalem, parfois, moi j'entends aussi des malades ou des potentiels malades ne pas comprendre ça.
- Arthur Poncin
C'est compliqué, c'est compliqué comme situation. On le voit même à l'hôpital public, on n'est pas assez, et puis il y a des patients, des fois, pour avoir des consultations, c'est long. Et ça peut prendre des mois, selon le type. type de situation. Moi, dans le cancer, vu que c'est quand même souvent des prises en charge urgentes, on se débrouille, on pousse les murs, on fait comme on peut. Des fois, quand c'est des situations qui paraissent moins urgentes, même si elles sont importantes, ça peut en effet prendre du temps. Je comprends tout à fait que ça questionne. Après, il y a aussi le fait qu'à force de bosser 60 heures par semaine, est-ce qu'on ne perd pas plus à la fois en efficacité et puis avec des gens qui se retrouvent soit abandonnés, soit en burn-out, en arrêt de travail, il y en a. Donc est-ce qu'in fine, le fait de respecter pour tout le monde les 48 heures, est-ce que par l'équilibre que ça procure aux gens, finalement on n'est pas tout aussi efficace avec le même nombre de professionnels ? Je n'ai pas de solution, mais je comprends que ça inquiète des gens parce qu'il y a un vrai problème de démographie médicale.
- Pascale Lafitte
Comment vous voyez votre après-thèse quand vous serez docteur ? Qu'est-ce que vous imaginez pour la suite, pour vous ?
- Arthur Poncin
Je n'ai aucune idée. vraiment aucune idée pour l'instant j'ai fait deux stages dans un CHU et dans un centre de lutte contre le cancer donc des gros centres qui font beaucoup de prise en charge sur un peu tout qui sont d'une certaine façon qui ont un peu le même fonctionnement et qui restent pseudo public et public, du moins qui ne sont pas à but lucratif. J'aimerais bien faire un stage aussi dans une clinique privée parce que ça représente aussi beaucoup de prise en charge de l'oncologie et de cancer. Et je trouve ça hyper intéressant de voir comment ça se passe ailleurs. J'ai plein de co-internes qui ont fait des stages dans d'autres structures et qui disent que ça n'a rien à voir, t'aimes ou t'aimes pas. Mais du coup, tu t'occupes de ton patient vraiment d'un bout à l'autre. C'est un peu plus fonctionnel en termes d'organisation. Ça roule mieux. On a moins de problèmes de matériel, notamment, de choses comme ça. Et avant un peu de me dire vers quoi je m'oriente, je suis vraiment très intrigué. Je veux faire un semestre un peu plus dans le privé pour voir aussi un peu tout avant de faire un choix de vie plus profond. Donc pour l'instant, je n'en ai vraiment aucune idée. Vraiment, je me laisse toutes les portes ouvertes.
- Pascale Lafitte
Et un break entre vous l'envisager ?
- Arthur Poncin
Moi, je vais faire un break. Quelle forme, comment, pourquoi, je ne sais pas. Un master de quelque chose, de la formation, ou alors un break totalement juste pour voir mes copains, aller à la plage à Marseille, aller profiter de la vie, sortir, me ressourcer, bouquiner, profiter, potentiellement aussi, l'un, l'autre, les deux. Je me dis aussi que potentiellement, un peu comme ça, une année aussi un peu, soit de syndicat, où vraiment j'ai plus de temps, où ce n'est pas juste à côté, mais où vraiment je peux donner plus de temps encore, ça pourrait être aussi intéressant. Donc, je ne sais pas sous quelle forme, je ne sais pas quand, je ne sais pas comment, mais au moins une année, je pense, d'autre chose que de la médecine à proprement parler pour ouvrir un peu mes écoutilles et puis voir autre chose et vivre autre chose aussi.
- Pascale Lafitte
Et ensuite, votre métier, ça sera la médecine ?
- Arthur Poncin
Ça, dans tous les cas. Dans tous les cas, même si peut-être je ferais d'autres choses un peu à côté, que ce soit de l'expertise médicale ou des choses comme ça, moi je trouve ça super important de garder un pied avec les patients et de ne pas oublier que c'est quand même ça qui a vraiment un impact tous les jours, c'est de voir nos patients et de les suivre et de les soigner. Je pense que je ferais ça un peu, dans tous les cas, toute ma vie.
- Pascale Lafitte
Merci Arthur.
- Arthur Poncin
Merci à vous.
- Pascale Lafitte
Encore merci à Arthur et merci à vous tous de nous avoir écoutés. Je vous invite à vous abonner si ce n'est pas encore fait et à activer les notifications car sans ça vous risqueriez de passer à côté de votre prochain épisode d'Internes en médecine, le podcast, à suivre sans ordonnance ni modération. Merci encore à vous tous, à très bientôt. On se retrouve avec un nouvel interne, une nouvelle histoire, une nouvelle aventure à découvrir et à partager ensemble.