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Interne en médecine générale, Shabnam nous raconte son internat fait d'engagements, de sacrifices et de passion. cover
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Interne en médecine

Interne en médecine générale, Shabnam nous raconte son internat fait d'engagements, de sacrifices et de passion.

Interne en médecine générale, Shabnam nous raconte son internat fait d'engagements, de sacrifices et de passion.

30min |08/05/2025|

65

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Description

Vous êtes-vous déjà vous demandé comment un parcours personnel peut influencer une carrière dédiée à la médecine et à la justice sociale ? Dans cet épisode d'Interne en médecine, j'ai le plaisir de vous présenter Shabnam, une interne en médecine générale à Nice, dont l'engagement au sein de l'ISNI est à la fois inspirant et révélateur des défis contemporains de notre système de santé.


Shabnam nous raconte comment son histoire familiale l'a guidée vers la médecine. Ses parents, véritables piliers de son parcours, ont insufflé en elle une passion pour l'équité et la justice. Elle nous explique comment son intérêt pour les injustices sociales l’a conduite à choisir cette carrière, où elle se bat au quotidien pour améliorer la vie de patients souvent laissés pour compte. Ensemble, nous explorons les défis rencontrés par les patients en situation de précarité, et surtout, l'importance cruciale de la relation médecin-patient dans la pratique médicale.


Shabnam évoque également son rôle avec l'ISNI, partageant ses expériences face aux témoignages de souffrance qu'elle reçoit. La nécessité d'une solidarité entre internes est primordiale pour faire évoluer la situation actuelle, et elle n'hésite pas à aborder les injustices vécues par les internes, notamment la pression, les horaires de travail démesurés, et l'impact de ces expériences sur leur bien-être. "Nous sommes tous dans le même bateau", dit-elle, rappelant l'importance de s'entraider dans ce parcours exigeant.


Shabnam ne se contente pas de dénoncer les injustices ; elle exprime également son désir profond d'améliorer les conditions de travail des internes. Elle prône une médecine d'écoute et de prévention, où chaque patient est traité avec dignité et respect. Cet épisode est une invitation à réfléchir sur l'avenir de la médecine, sur le rôle des professionnels de santé, et sur la manière dont ils peuvent tous contribuer à un système plus juste.


Rejoignez-nous pour cette conversation enrichissante qui met en lumière des enjeux cruciaux de notre époque, et découvrez comment l'engagement d'une seule personne peut avoir un impact considérable sur la communauté médicale et au-delà. Ne manquez pas cet épisode captivant d'Interne en médecine avec Pascale Lafitte et Shabnam, une voix essentielle pour le changement !


Interne en médecine est un podcast de et avec Pascale Lafitte, réalisé en partenariat avec l'ISNI, l’InterSyndicale Nationale des Internes.

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Pascale Lafitte

    Bonjour, bienvenue, je vous présente Interne en médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération. Une série de rencontres et de conversations avec des internes en médecine. Une émission réalisée en partenariat avec l'ISNI, l'intersyndicale nationale des internes. Aujourd'hui, nous allons rencontrer Shabnam, qui est en fin d'internat de docteur généraliste à Nice. Il est chargé de mission près de l'ISNI. Nous allons parler de son engagement syndical. et plus précisément de son engagement tout court, car vous allez le constater, Shabnam est engagée, simplement et définitivement engagée. Mais avant tout, évidemment, je lui ai demandé pourquoi elle avait choisi de devenir médecin.

  • Shabnam

    J'ai choisi d'être médecin parce que mes parents m'ont conseillé fortement. Depuis que je suis petite, ils me disent tu seras médecin ou ingénieur, pour rigoler. Puis finalement, ça a un peu mûri et j'ai choisi ça. Je pense la dernière année de lycée, un peu sur un coup de tête parce qu'ingénieur, ça traînait par là aussi. Et finalement, une fois que j'y étais, je me suis rendue compte à quel point j'ai fait le bon choix.

  • Pascale Lafitte

    Qu'est-ce qui vous fait dire que vous avez fait le bon choix ?

  • Shabnam

    J'ai toujours été très sensible aux injustices et je me suis rendue compte que le métier de médecin nous permet de lutter contre ces injustices tous à notre manière. Et finalement, la médecine générale, c'est ce qui me permettait d'être au plus près des patients, de créer une patientèle qui m'est propre et de lutter à mon échelle.

  • Pascale Lafitte

    Quel est le lien entre ces injustices et le métier de médecin ?

  • Shabnam

    C'est un secret pour personne, il y a encore beaucoup d'inégalités d'accès aux soins. Et ça passe en premier lieu déjà par trouver un médecin traitant pour tout le monde, dans tous les milieux, pour tous les niveaux sociaux. On sait qu'il y a des... patients en situation de précarité qui ont du mal à trouver un médecin traitant.

  • Pascale Lafitte

    Donc le métier de médecin, c'est avant tout pour vous la relation au patient ?

  • Shabnam

    Je pense que c'est la relation au patient, je pense que c'est s'adapter à la patientelle, je pense que chacun d'entre nous sait avec qui on a le plus de facilité à travailler, à communiquer. Ça, c'est quelque chose qui a mûri petit à petit, c'est en allant justement en stage auprès de médecins généralistes ou en hôpital que je me suis rendue compte que... que oui, on peut faire quelque chose contre ces injustices.

  • Pascale Lafitte

    Vous avez des exemples aujourd'hui de personnes, de patients, que vous avez pu finalement, peut-être en posant votre stéthoscope et en écoutant ce qu'ils avaient à vous dire, leurs paroles, que vous avez pu amener vers plus de... Vous parlez d'injustice, donc je dirais plus de justice.

  • Shabnam

    Je m'en suis rendue compte, par exemple, pendant des gardes aux urgences avec des patients qui ne parlent pas français. où un examen clinique succinct ne permet pas de comprendre le fond de la situation. Et quand on prend le temps, avec des systèmes de traduction, quand on creuse un peu plus, on peut détecter des situations médicales graves qui nécessitent une prise en charge tout autre que celle qui était initialement prévue. Le cabinet Ausha actuellement mène énormément d'actions pour les personnes en situation de précarité. Je vais donner l'exemple des patients pour qui la prévention en santé n'est pas une priorité. Et on fait des démarches d'aller vers pour aller leur expliquer pourquoi c'est important la prévention. Un exemple concret, la distribution de kits d'autoprélèvement pour le dépistage du cancer du col. Pour les patientes qui ne vont pas aller faire leur frottis chez un gynéco.

  • Pascale Lafitte

    La médecine que vous vous envisagez de faire plus tard, la médecine générale, ça sera une médecine d'écoute et de prévention. C'est votre manière d'envisager votre avenir professionnel ?

  • Shabnam

    C'est ce dans quoi je pense être performante. C'est ce que j'aimerais faire, oui, beaucoup de prévention auprès des personnes en situation de précarité. Je me suis rendue compte que les injustices, elles n'existent pas seulement chez les patients qu'on reçoit, mais aussi chez les étudiants qu'on côtoie tous les jours. Ces injustices-là aussi, au final, elles ont émergé en moi le besoin de faire partie d'associations pour aider les autres étudiants qu'il y a autour de moi.

  • Pascale Lafitte

    C'est quoi les injustices entre internes ?

  • Shabnam

    C'était assez brutal de me rendre compte à quel point la vie d'un interne peut être injuste. C'est les heures de travail qui nous empêchent de faire ce que n'importe quelle personne complète à notre âge devrait pouvoir faire, du sport, des rendez-vous médicaux, des loisirs, voir ses amis, voir sa famille, voyager. Je me suis rendue compte à quel point l'internat est un sacrifice et à quel point... Pour certaines spécialités, c'est plus difficile que pour d'autres.

  • Pascale Lafitte

    Vous, vous avez choisi médecin général ou médecine générale, pardon, d'être médecin généraliste. Donc, c'est l'internat le plus court, si je ne dis pas de bêtises. Et c'est une des raisons pour lesquelles vous avez choisi médecine générale ?

  • Shabnam

    Alors, c'est rentré en compte dans ma réflexion. Mais je me suis aussi dit que j'avais envie de faire de la prévention. c'était une des spécialités où j'ai... on a le plus de temps avec les patients, que le mieux on les suit. Et par contre, je m'étais aussi dit que peut-être, psychologiquement, je ne serais pas capable de supporter certaines hautes spécialités à cause du temps de travail, à cause de la difficulté, de la pression qu'on peut nous mettre pendant les études et même après, la responsabilité que c'est. Tout ça, ça fait partie de nos réflexions quand on choisit une spécialité. Et c'est parfois dommage que l'angoisse de la période d'internat ... nous peinent dans le choix de la spécialité qu'on veut exercer plus tard.

  • Pascale Lafitte

    Dans l'absolu, sinon, vous auriez fait autre chose ?

  • Shabnam

    Je pensais à d'autres spécialités. Je pensais à l'oncologie, je pensais à l'endocrinologie, à la médecine légale aussi.

  • Pascale Lafitte

    Ce vécu de l'interne, vous l'avez découvert en arrivant à l'internat ou vous commenciez à avoir des suspicions avant de passer le concours ? de sixième année.

  • Shabnam

    En fait, on se renseigne tous un petit peu auprès d'internes quand on est encore externe pour savoir quelles spécialités prendre. On va les rencontrer, on passe quelques jours dans leur stage et je me rappelle encore que j'étais allée voir un interne d'oncologie parce que je m'intéressais à sa spécialité qui m'a expliqué à quel point c'était une bonne spécialité mais qu'il allait la quitter, faire un droit au remords parce qu'il ne supportait plus la pression. Donc j'ai compris que en fait, on peut être brillant, on peut être plein d'ambition et... Et ça ne fonctionne pas parce que le système fait que les internes sont parfois broyés.

  • Pascale Lafitte

    Est-ce que vous avez le souvenir de votre premier jour à l'internat, c'est-à-dire cette bascule ? Vous vous souvenez de cette journée-là ?

  • Shabnam

    Oui, je m'en rappelle très bien. J'ai commencé par mon stage aux urgences en plus, celui que j'appréhendais le plus. Je voulais que ce soit fait, je voulais commencer par ça, comme ça c'était fini. Je suis arrivée limite en tremblant, on avait une petite matinée d'accueil. Finalement, les premiers jours se sont bien passés. Mais tout ce que j'avais en tête pendant ces premiers jours, c'est le fait que je ne fasse pas de mal à un malade, le fait que personne ne meure, le fait que j'y arrive. Et heureusement, c'était un stage où on était très bien encadrés, donc ça s'est bien passé. Mais oui, je me rappelle de la prévention, la boule au ventre, le stress en rentrant chez soi le soir, repenser aux patients qu'on a vu la journée.

  • Pascale Lafitte

    Et se demander si on a bien fait. Vous arrivez, vous, à poser les valises quand vous rentrez chez vous ?

  • Shabnam

    Pas du tout. C'est quelque chose que j'apprends à faire au fur et à mesure de chaque stage que je commence. Les deux, trois premiers mois, donc jusqu'à même la moitié des stages en général, je n'arrive pas à couper en rentrant chez moi. C'est problématique, mais je pense que c'est un peu ce que nous apprend l'internat aussi. C'est ce que veulent nous véhiculer nos formateurs. C'est qu'il y a la journée de travail et il y a le à côté où il faut qu'on apprenne à couper complètement.

  • Pascale Lafitte

    Vous pensez que ça s'apprend, ça ?

  • Shabnam

    Alors, ça s'apprend, c'est sûr. Et surtout, il y a des stratégies à mettre en place que peuvent nous apprendre les médecins auprès de qui on se forme. Exemple, pour un médecin généraliste, noter au lendemain ou à la semaine d'après de rappeler tel ou tel patient quand on sait que ça va nous tourner dans la tête toute la semaine si on ne le fait pas. À partir du moment où on a posé par écrit quelque chose, ça nous évite d'y repenser. C'est posé là, on va rappeler tel patient, on prendra des nouvelles. Et je l'ai testé, ça fonctionne. On peut aussi laisser des notes à nos collègues, par exemple quand on part trois jours du cabinet. Noter à notre collègue de vérifier telle ou telle information. On sait qu'on a partagé et qu'on ne va plus y penser et que quelqu'un d'autre a ça entre les mains. Mais ce sont des stratégies qui sont différentes en fonction du lieu d'exercice et de la spécialité. Ça fait partie de ce qu'on doit apprendre pendant l'internat.

  • Pascale Lafitte

    Mais ça c'est une transmission de médecin d'interne à interne ou de chef à interne, c'est pas dans un manuel d'apprentissage de la médecine ?

  • Shabnam

    Non, je ne l'ai jamais lu moi dans un manuel d'apprentissage de la médecine, c'est plutôt un partage d'expérience. D'interne à interne aussi, c'est vrai. On s'aide beaucoup, on discute beaucoup entre internes de ce qu'on vit en stage. Et ces techniques, ça fait partie de ce qu'on partage.

  • Pascale Lafitte

    Ces patients que vous n'arrivez pas à lâcher, qui sont chez vous, qui vous suivent après le travail, ces patients sur lesquels, soit les cas sont graves, soit vous avez peur, vous, de passer à côté de quelque chose, vous avez peut-être... On a déjà parlé avec vos collègues du syndrome de l'imposteur qu'on a au début. dans ce métier, est-ce que ça en fait partie, de ce sentiment-là ?

  • Shabnam

    En fait, oui, c'est de la peur qu'il arrive quelque chose à la personne parce qu'on a oublié de poser telle ou telle question. Et c'est vrai, on a tous oublié de poser des questions dans notre intégratoire. Personne n'est complètement exhaustif. Donc oui, on repense à ce qu'on aurait dû leur demander, ce qu'on aurait dû leur prescrire ou ne pas leur prescrire, ce qu'on aurait dû revérifier deux fois sur la prise de sang. Finalement, ça arrive rarement. Parce qu'on a des tocs de vérification, on demande à tel collègue de checker la bio au cabinet pour nous, pour vérifier la qualité de tel patient, mais finalement ça arrive rarement qu'on se soit trompé. Et je pense qu'à force aussi de réaliser qu'il arrive peu de drames, même si c'est ce qu'on n'arrive pas par notre faute. Ça nous fait prendre en confiance. Et puis cette confiance, elle est cassée à chaque fois qu'il se passe quelque chose. Par contre, à chaque fois qu'on nous explique qu'on a fait une erreur, il faut la reconstruire, cette confiance. Et ça, malheureusement, ça ne concerne pas que les internes. C'est les médecins eux-mêmes, les docteurs qui en font les frais. Là,

  • Pascale Lafitte

    sur cette confiance et sur la résilience sur l'erreur, ça aussi, c'est quelque chose que vous aviez anticipé avant de faire cet internat ?

  • Shabnam

    Pas vraiment. En fait, avant de commencer médecine, j'avais toujours des bonnes notes partout. J'arrivais à prendre par cœur mes cours. Et même la première année, le concours, c'était un peu ça. C'était pas mal du par cœur et des maths, des choses, on va dire une science exacte. Et puis on est arrivé interne et on se rend compte que la médecine, ce n'est pas toujours exact. Les patients ne disent pas toujours tout. On n'arrive pas toujours à être exhaustif. On manque de temps, on manque d'énergie, on manque de concentration. Parfois, quand on vient de finir, quand on est à la 23e heure de notre garde. Non, on ne peut pas anticiper ça. Et on ne peut pas anticiper la manière dont on va réagir. Mais on peut analyser ces sentiments-là, on peut en discuter, on peut trouver des techniques pour les dompter, ces sentiments.

  • Pascale Lafitte

    Il y a beaucoup de techniques, finalement, qui peuvent être transmises et auxquelles tous les internes n'accèdent pas, parce qu'il faut tomber sur la personne qui transmet ces techniques. Mais en vous écoutant, j'ai le sentiment qu'il y en a, des techniques.

  • Shabnam

    Des techniques, il y en a. Chacun a trouvé un peu celle qui lui corresponde au fur et à mesure des mois de pratique. Mais je regrette qu'on ne passe pas plus de temps à partager ces techniques entre nous, entre internes, rien que ça. Parce que quand on se réunit, on parle de nos cas. Oui, on parle de médecine beaucoup au final. Mais finalement, on ne parle peut-être pas assez de ce qu'on a réussi à mettre en place pour gérer nos émotions, pour gérer notre stress. C'est dommage, mais on va finir par y arriver, à instaurer ça en cours. Nous, en médias, on a pas mal de cours à la fac. Je pense que ça devrait faire partie de nos enseignements, se réunir et partager nos techniques.

  • Pascale Lafitte

    Avec Shabnam, nous avons aussi parlé de l'évolution du métier au fil des générations.

  • Shabnam

    Alors, tout a changé. Le nombre de patients augmente, l'âge des patients augmente, le nombre de médecins. diminue. Les médecins maintenant stagnent, on va dire. Les médecins ont des priorités et des pratiques qui ne sont pas les mêmes qu'à l'époque. De toute façon, qu'on le veuille ou non, il y a une pression sur le nombre de patients à avoir. Et ça réduit le temps et l'énergie qu'on peut accorder à nos patients. Si on parle de médecine générale, c'est juste la quantité de patients qui impose qu'on doit diminuer notre temps de consultation. Il y a quand même certains stages hospitaliers où il y a aussi une pression par la hiérarchie pour voir un tel nombre de patients en un tel temps. Donc, c'est un peu partout, en fait. Cette pression, on se la met soi-même. Les conditions de travail dans certains hôpitaux, il y a aussi juste l'augmentation du nombre de patients et le vieillissement de la population qui nous la met aussi.

  • Pascale Lafitte

    Vous voulez être un médecin plus tard des villes ou un médecin des champs ?

  • Shabnam

    Ça dépend. En fait, je vais dire quelque chose, c'est peut-être très cliché, mais c'est vrai. Je vais choisir où je travaille en fonction de où mon conjoint trouvera un emploi. sachant qu'il a une spécialité qui s'exerce principalement en CHU. Je ne me vois pas travailler trop loin du CHU et donc de mon lieu de vie. En revanche, j'aimerais beaucoup travailler auprès des personnes en situation de précarité et ça se peut que ce soit finalement dans un petit désert médical proche de la ville.

  • Pascale Lafitte

    Vous n'avez jamais pensé à faire de l'humanitaire ? Ça fait partie des choses qui ont trotté dans votre tête ?

  • Shabnam

    Ça dépend ce qu'on entend par humanitaire. Une structure qui m'intéresse énormément, ce serait Médecins du Monde. C'est une forme de consultation bénévole auprès de patients souvent qui n'ont pas de droit.

  • Pascale Lafitte

    Ça ne veut pas dire forcément Médecins du Monde parcourir le monde ?

  • Shabnam

    Non, je ne me vois pas aller faire des missions à l'étranger, en tout cas pas tout de suite, mais il y a déjà des besoins sur notre territoire auprès de ces patients-là. Donc, travailler dans ces structures, ça m'intéresse beaucoup.

  • Pascale Lafitte

    "Interne en médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération". Shabnam a été présidente du syndicat des internes de Nice. Elle est aujourd'hui chargée de mission à l'ISNI. Elle a un mari, elle l'a évoqué. Elle fait des gardes, comme tout bon interne. Bref, comme une évidence, nous en sommes venus à évoquer son emploi du temps surchargé, particulièrement depuis son investissement syndical.

  • Shabnam

    C'était très compliqué au début. Quand je suis arrivée à la présidence du syndicat local, c'est quelque chose que je voulais faire. Je n'avais pas encore l'idée de à quel point ce serait chronophage et même difficile moralement.

  • Pascale Lafitte

    C'est quoi ce difficile moralement ?

  • Shabnam

    En fait, un de nos rôles en tant que représentant des internes au local, c'est de recueillir les difficultés qui sont ressenties par les internes. On n'est pas leur psychiatre, on n'a pas de responsabilité de leur santé mentale ou de leur santé tout court. Mais par contre, on recueille énormément de témoignages et on doit faire avec. Et on sait que c'est des situations qui ne vont pas se régler du jour au lendemain. C'est dur de recevoir tout ça. C'est dur de recevoir tous ces témoignages et de savoir quoi en faire.

  • Pascale Lafitte

    Oui, c'est ça. C'est quand on a les témoignages, qu'est-ce qu'on en fait ? Est-ce qu'on les garde comme un poids ? Ça, c'est pas possible. Donc, comment on fait pour les poser, les traiter, les comprendre, aider la personne, mais sans qu'ils vous encombrent ?

  • Shabnam

    C'est ça, en fait. Tout ça, ça s'apprend aussi, malheureusement, au fur et à mesure. On est aidé de ceux qui ont été représentants avant nous et ceux qui le font dans d'autres villes. Le tout, c'est de connaître bien les différentes structures qui composent nos institutions, les différents interlocuteurs qu'on a. Chaque situation est différente. et pourtant... Dans chaque situation qui est recueillie, on se rend compte qu'il y a un petit peu de tout. Il y a la situation personnelle de l'interne, il y a son stage, il y a ses co-internes, il y a ses supérieurs, il y a tout qui se mélange. Et nous, on doit faire la part des choses pour savoir comment l'aider sur un peu tous les plans. On a quand même réussi à aider pas mal d'internes, je pense, c'est ce qu'ils nous ont dit en tout cas. Sauf qu'on se rend compte que là où on est limité, c'est de faire changer. les choses qui sont profondément ancrées dans certains services. Je vous donne un exemple concret. Les systèmes d'astreinte des internes, ils doivent être joignables toute la nuit et se déplacer si besoin pour aller voir tel ou tel patient.

  • Pascale Lafitte

    Tout en n'étant pas de garde ?

  • Shabnam

    Non, donc ce n'est pas un système de garde. On n'est pas sur place, on est chez nous. Normalement, suite à un déplacement en astreinte, après le dernier déplacement, on est censé avoir un repos de sécurité. comme on est censé avoir après une garde. Sauf qu'on va dire que certains services ne fonctionnent pas comme ça depuis des années. Le même interne va être d'astreinte 4 nuits d'affilée, sans repos de sécurité après son astreinte, parce que personne n'en prend, on met un petit peu la pression pour ne pas en prendre. Donc ça veut dire qu'il va travailler nuit et jour pendant 5 jours. Ça, ça existe dans certains services et c'est partout en France. Et quand c'est ancré et quand ça arrange certains internes et qu'au final, il y en a un ou deux qui vont être mal, qui ne vont pas supporter ce système-là, il faut changer le tout, il faut rappeler la loi, il faut que tout le monde accepte de changer les choses qui sont pourtant faites depuis des années. Et ça, on n'y arrive pas forcément du jour au lendemain, malheureusement.

  • Pascale Lafitte

    La loi, les hôpitaux la connaissent ?

  • Shabnam

    Les hôpitaux connaissent la loi, mais ce n'est pas respecté, en fait. La loi, ils la connaissent, et pas seulement ils la connaissent. En tant que représentant, on la rappelle. C'est juste qu'à partir du moment où on n'est pas en train de gratter en permanence et les internes ne nous rapportent pas ce qui se passe réellement dans les services, la loi ne sera pas respectée. Parce qu'il y a un besoin de permanence de soins qui fait que tant qu'on peut exploiter les personnes qui sont présentes, on continuera à les exploiter.

  • Pascale Lafitte

    En fait, ce qu'on comprend quand on vous écoute, c'est que les internes ont une charge de travail et une responsabilité énorme.

  • Shabnam

    Alors oui, les médecins à l'hôpital et même en ville de manière générale ont une responsabilité énorme. Les internes sont en apprentissage, ils découvrent comme une claque cette responsabilité-là. Ils ont une charge, en plus du stress d'être interne, de découvrir cette responsabilité-là. Ils ont des horaires de travail qui sont trop importants. Et tout ça, c'est trop lourd à porter, en fait. C'est beaucoup trop lourd pour un interne de se prendre cette claque.

  • Pascale Lafitte

    Ce que j'oublie parfois de rappeler, c'est qu'ils ont plus cette année-là des cours. Les années d'internat, il y a des cours. Il y a une inscription à l'université. Et il y a aussi une thèse à préparer. Tout ça, c'est ample. plus de tout le reste.

  • Shabnam

    On parlait tout à l'heure de couper par rapport à nos patients. En fait, des fois, on aimerait juste couper par rapport à notre cursus, par rapport à nos études. Et avec tout ça en permanence dans notre tête, la thèse a préparé les cours à rendre, les formations auxquelles on doit assister, les masters ou les DU que nous ont fortement suggérés, voire ordonnés de faire nos supérieurs. Des cours de spécialité qu'on doit faire dans telle ou telle ville à nos propres frais, parce que les internes doivent payer leur déplacement pour aller se former alors que le cours est obligatoire dans une autre ville. Le logement qu'on doit payer, franchement, c'est un tout, c'est très difficile et je pense que c'est ça qui m'a pesée en tant que représentante, c'est qu'on n'a pas du tout les moyens de travailler, de changer les choses sur tous les plans. Pourtant, chaque interne qu'on a aidé ne serait sur qu'un de ces plans été profondément reconnaissant.

  • Pascale Lafitte

    Et pourtant, vous continuez. Alors, vous avez rejoint l'ISNI, donc au niveau national, et vous travaillez, vous êtes chargée de mission, et vous travaillez sur le temps de travail des internes. Vous réalisez une enquête, c'est ça ?

  • Shabnam

    Vous l'aurez compris, le temps de travail des internes, c'est un sujet qui me tient pas mal à cœur.

  • Pascale Lafitte

    Je vous interromps et je vous redonne la parole… mais je pense que c'est un sujet qui tient aussi à cœur à tous les internes. Quand on entend les nombres d'heures et les récits, on se dit que le temps de travail, que la fatigue, que les gardes, qu'apprendre à récupérer, se retrouver au bout, au bout, au bout de la fatigue et pourtant se lever le matin encore, c'est un vrai subjet.

  • Shabnam

    Oui, j'ai envie de dire, si les patients savaient que leur médecin n'a pas dormi depuis 48 heures, Je pense qu'il se liguerait à nos côtés pour combattre le... C'est le système. Mais oui, j'ai décidé de rejoindre un temps de chargé de mission Lysini. Ça peut être considéré comme une enquête, ce que je fais, mais c'est plutôt un suivi de comment, dans les différentes villes de France, sera mis en place un outil de décompte du temps de travail fiable pour les internes. On se bat pour ça, on se bat pour que les outils de décompte existent et pour que la loi soit appliquée. Donc qu'on puisse arriver à 8h30, partir peut-être à 20h, 3 jours d'affilée, mais savoir que ces heures qu'on a faites seront rattrapées comme l'exige la loi. Et savoir aussi qu'on va avoir un temps dédié sur la semaine ou sur le mois pour notre formation personnelle. Parce que vous l'avez dit, on a des thèses, on a des cours, on a des envies de réviser certains sujets. C'est pas juste que ce soit notre temps libre du soir ou du week-end, on est censé pouvoir s'occuper de nous, qu'il soit dédié à ça. Donc normalement la loi exige un temps de formation personnelle.

  • Pascale Lafitte

    Une loi stipule que le temps de travail des internes ne doit pas dépasser 48 heures par semaine. Lorsqu'un interne dépasse ce temps-là, il peut rattraper ses heures à un autre moment. Il a donc droit à du repos. Les lois existent, mais les outils de décompte du temps de travail peinent à se mettre en place. Et donc, sans décompte fiable, pas de respect de la loi. Nous avons déjà évoqué ce sujet, mais il n'est pas inutile de revenir dessus. Ainsi donc... le 20 février 2025, le tribunal administratif de Poitiers a enjoint le CHU de Poitiers de se doter, avant l'été de cette même année, d'un logiciel fiable, objectif et accessible, permettant de décompter le nombre journalier d'heures de travail effectuées par chaque interne. Une décision faisant suite à un recours déposé entre autres par l'ISNI. Je rajouterai que le CHU de Poitiers... a fait appel de cette décision et que l'affaire est désormais portée devant la cour administrative d'appel. On va laisser faire la justice, évidemment. Mais à titre perso, et ce podcast est et reste perso, si j'étais CHU, je me cacherais dans un trou de souris. Je rappelle qu'aujourd'hui, les actions se poursuivent et que de nombreux centres hospitaliers universitaires en France sont appelés à mettre en place des systèmes fiables. de décompte du temps de travail des internes. Ça, dans l'intérêt des internes, nous l'avons compris, et par conséquent, aussi des patients et du bon fonctionnement du système de santé. Shabnam, c'est le calme avant la tempête. Et il m'est arrivé avec elle une chose que je n'avais pas vue venir. À la fin de notre entretien, je la sentais désorientée, insatisfaite. Alors je lui ai demandé ce qui l'a chagriné. Elle m'a répondu « avoir encore des choses à dire » . Alors, j'ai remis mon enregistreur en marche, un peu vite, car j'ai oublié, vous allez l'entendre, de brancher un des deux micros. Mais bon, on entend tout de même bien Shabnam, qui après nous avoir parlé de sa position auprès des patients, de la fin de son internat et de sa mission auprès de l'ISNI, voulait nous confier... son désarroi et cette peur qu'en fait, tout ça n'est servi à rien.

  • Shabnam

    En fait, oui. Je sais que sur le coup, pendant l'année où j'étais là, on a fait des choses. Et je sais que chaque année, les syndicats se battent pour faire des choses. Mais au long terme, on a quand même ce sentiment que tant qu'il n'y a pas une prise de conscience de la part de certains internes, il n'y a pas une solidarité qui se met en place, le fond, rien ne va changer. J'étais... Vraiment chagrinée pendant tout mon mandat de voir à quel point dans un service, dans un pool d'internes, un groupe d'internes, il y avait parfois un manque de solidarité ou de considération les uns envers les autres. Il y avait un ou deux internes qui souffraient pourtant, qui souffraient d'un système qui est profondément injuste envers eux, qui est illégal. Et pourtant les autres internes refusaient de s'allier à eux pour protester. On avait des vieux internes si près du but. qui n'avaient pas envie de gâcher tout ce qu'ils ont fait et qui du coup ne disaient rien, des jeunes internes qui viennent d'arriver et qui ont trop peur de donner une mauvaise image d'eux à peine arrivés. Il y a des internes qui ne se rendent même pas compte du système dans lequel ils travaillent parce qu'en fait ils se sont mis à penser comme on leur a demandé de penser, rentrer dans le moule en fait. Et au milieu de tout ça, il y a des internes qui empathisent et qui se sentent profondément seuls. Et voilà, j'ai une crainte que tant qu'il y aura ça, ce manque de solidarité dans certains services, certaines spécialités, rien ne changera au long terme.

  • Pascale Lafitte

    Alors ce que j'entends dans ce que vous dites, c'est que le nœud du problème, il est dans ce noyau de 30 000 internes dans lesquels il y a mille façons de voir le métier et puis peut-être de serrer les dents. Parce qu'il n'y en a pas un qui ne dise pas que les gardes, c'est... que c'est lourd, que les horaires, il y en a beaucoup, mais tous voient différemment la finalité de ces 3, 4, 5, voire 6 années d'internat.

  • Shabnam

    En fait, oui, c'est ça, c'est qu'il y a un sentiment, quelque chose qui est profondément ancré chez certains internes, qui fait que les choses risquent de ne pas bouger, en tout cas pas à la vitesse qu'on voudrait.

  • Pascale Lafitte

    C'est quelque chose de très profond à vous, cette inquiétude. C'est quelque chose... On parlait de... On a parlé de poser les valises par rapport à vos patients, mais en fait, votre plus gros fardeau aujourd'hui, c'est celui-là, non ?

  • Shabnam

    Alors oui, mais je me retrouve à être devenue moi-même un peu fataliste par moments. En fait, le bilan de mon année de mandat, c'est qu'on part utopiste, qu'on fait tout pour... qu'on donne tout, en fait, pour faire changer les choses. Et que quand on prend un petit peu de recul et qu'on fait l'analyse de ce qui concrètement a changé, on se rend compte que tant que les internes ne s'allient pas complètement, on n'aura pas le renversement qu'on souhaiterait qu'il y ait. Et ça, le fond de mon pessimisme, c'est que j'aimerais une solidarité totale dans la lutte. Et je sais qu'on la trouvera jamais. Merci à Shabnam pour sa sincérité. Pour accompagner le podcast, pour lui donner un peu plus de visibilité, il y a le compte Instagram. Alors, ce n'est pas simple, mais je suis sûre que vous allez y arriver. C'est interne-en-medicine-podcast. Interne-en-medicine-podcast. Auquel vous pouvez vous abonner. Quant au podcast, vous l'écoutez sur votre plateforme habituelle. sans oublier d'activer les notifications pour être tenu au courant des nouveaux épisodes, nouveaux entretiens et nouvelles rencontres en ligne. Je vous remercie et j'espère vous retrouver vite pour un prochain épisode d'Internes en médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération.

Chapters

  • Introduction au podcast et présentation de l'invitée

    00:09

  • Shabnam parle de son choix de devenir médecin

    00:26

  • L'engagement de Shabnam face aux injustices sociales

    00:47

  • La relation médecin-patient et l'accès aux soins

    01:38

  • Les injustices vécues par les internes en médecine

    04:09

  • Choix de spécialité et réflexions sur l'internat

    05:07

  • Premiers jours à l'internat et gestion du stress

    07:01

  • La peur de l'erreur et le syndrome de l'imposteur

    10:06

  • L'évolution du métier de médecin au fil des générations

    13:49

  • Les défis du temps de travail des internes

    22:08

  • Conclusion et réflexions finales de Shabnam

    26:10

Description

Vous êtes-vous déjà vous demandé comment un parcours personnel peut influencer une carrière dédiée à la médecine et à la justice sociale ? Dans cet épisode d'Interne en médecine, j'ai le plaisir de vous présenter Shabnam, une interne en médecine générale à Nice, dont l'engagement au sein de l'ISNI est à la fois inspirant et révélateur des défis contemporains de notre système de santé.


Shabnam nous raconte comment son histoire familiale l'a guidée vers la médecine. Ses parents, véritables piliers de son parcours, ont insufflé en elle une passion pour l'équité et la justice. Elle nous explique comment son intérêt pour les injustices sociales l’a conduite à choisir cette carrière, où elle se bat au quotidien pour améliorer la vie de patients souvent laissés pour compte. Ensemble, nous explorons les défis rencontrés par les patients en situation de précarité, et surtout, l'importance cruciale de la relation médecin-patient dans la pratique médicale.


Shabnam évoque également son rôle avec l'ISNI, partageant ses expériences face aux témoignages de souffrance qu'elle reçoit. La nécessité d'une solidarité entre internes est primordiale pour faire évoluer la situation actuelle, et elle n'hésite pas à aborder les injustices vécues par les internes, notamment la pression, les horaires de travail démesurés, et l'impact de ces expériences sur leur bien-être. "Nous sommes tous dans le même bateau", dit-elle, rappelant l'importance de s'entraider dans ce parcours exigeant.


Shabnam ne se contente pas de dénoncer les injustices ; elle exprime également son désir profond d'améliorer les conditions de travail des internes. Elle prône une médecine d'écoute et de prévention, où chaque patient est traité avec dignité et respect. Cet épisode est une invitation à réfléchir sur l'avenir de la médecine, sur le rôle des professionnels de santé, et sur la manière dont ils peuvent tous contribuer à un système plus juste.


Rejoignez-nous pour cette conversation enrichissante qui met en lumière des enjeux cruciaux de notre époque, et découvrez comment l'engagement d'une seule personne peut avoir un impact considérable sur la communauté médicale et au-delà. Ne manquez pas cet épisode captivant d'Interne en médecine avec Pascale Lafitte et Shabnam, une voix essentielle pour le changement !


Interne en médecine est un podcast de et avec Pascale Lafitte, réalisé en partenariat avec l'ISNI, l’InterSyndicale Nationale des Internes.

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Pascale Lafitte

    Bonjour, bienvenue, je vous présente Interne en médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération. Une série de rencontres et de conversations avec des internes en médecine. Une émission réalisée en partenariat avec l'ISNI, l'intersyndicale nationale des internes. Aujourd'hui, nous allons rencontrer Shabnam, qui est en fin d'internat de docteur généraliste à Nice. Il est chargé de mission près de l'ISNI. Nous allons parler de son engagement syndical. et plus précisément de son engagement tout court, car vous allez le constater, Shabnam est engagée, simplement et définitivement engagée. Mais avant tout, évidemment, je lui ai demandé pourquoi elle avait choisi de devenir médecin.

  • Shabnam

    J'ai choisi d'être médecin parce que mes parents m'ont conseillé fortement. Depuis que je suis petite, ils me disent tu seras médecin ou ingénieur, pour rigoler. Puis finalement, ça a un peu mûri et j'ai choisi ça. Je pense la dernière année de lycée, un peu sur un coup de tête parce qu'ingénieur, ça traînait par là aussi. Et finalement, une fois que j'y étais, je me suis rendue compte à quel point j'ai fait le bon choix.

  • Pascale Lafitte

    Qu'est-ce qui vous fait dire que vous avez fait le bon choix ?

  • Shabnam

    J'ai toujours été très sensible aux injustices et je me suis rendue compte que le métier de médecin nous permet de lutter contre ces injustices tous à notre manière. Et finalement, la médecine générale, c'est ce qui me permettait d'être au plus près des patients, de créer une patientèle qui m'est propre et de lutter à mon échelle.

  • Pascale Lafitte

    Quel est le lien entre ces injustices et le métier de médecin ?

  • Shabnam

    C'est un secret pour personne, il y a encore beaucoup d'inégalités d'accès aux soins. Et ça passe en premier lieu déjà par trouver un médecin traitant pour tout le monde, dans tous les milieux, pour tous les niveaux sociaux. On sait qu'il y a des... patients en situation de précarité qui ont du mal à trouver un médecin traitant.

  • Pascale Lafitte

    Donc le métier de médecin, c'est avant tout pour vous la relation au patient ?

  • Shabnam

    Je pense que c'est la relation au patient, je pense que c'est s'adapter à la patientelle, je pense que chacun d'entre nous sait avec qui on a le plus de facilité à travailler, à communiquer. Ça, c'est quelque chose qui a mûri petit à petit, c'est en allant justement en stage auprès de médecins généralistes ou en hôpital que je me suis rendue compte que... que oui, on peut faire quelque chose contre ces injustices.

  • Pascale Lafitte

    Vous avez des exemples aujourd'hui de personnes, de patients, que vous avez pu finalement, peut-être en posant votre stéthoscope et en écoutant ce qu'ils avaient à vous dire, leurs paroles, que vous avez pu amener vers plus de... Vous parlez d'injustice, donc je dirais plus de justice.

  • Shabnam

    Je m'en suis rendue compte, par exemple, pendant des gardes aux urgences avec des patients qui ne parlent pas français. où un examen clinique succinct ne permet pas de comprendre le fond de la situation. Et quand on prend le temps, avec des systèmes de traduction, quand on creuse un peu plus, on peut détecter des situations médicales graves qui nécessitent une prise en charge tout autre que celle qui était initialement prévue. Le cabinet Ausha actuellement mène énormément d'actions pour les personnes en situation de précarité. Je vais donner l'exemple des patients pour qui la prévention en santé n'est pas une priorité. Et on fait des démarches d'aller vers pour aller leur expliquer pourquoi c'est important la prévention. Un exemple concret, la distribution de kits d'autoprélèvement pour le dépistage du cancer du col. Pour les patientes qui ne vont pas aller faire leur frottis chez un gynéco.

  • Pascale Lafitte

    La médecine que vous vous envisagez de faire plus tard, la médecine générale, ça sera une médecine d'écoute et de prévention. C'est votre manière d'envisager votre avenir professionnel ?

  • Shabnam

    C'est ce dans quoi je pense être performante. C'est ce que j'aimerais faire, oui, beaucoup de prévention auprès des personnes en situation de précarité. Je me suis rendue compte que les injustices, elles n'existent pas seulement chez les patients qu'on reçoit, mais aussi chez les étudiants qu'on côtoie tous les jours. Ces injustices-là aussi, au final, elles ont émergé en moi le besoin de faire partie d'associations pour aider les autres étudiants qu'il y a autour de moi.

  • Pascale Lafitte

    C'est quoi les injustices entre internes ?

  • Shabnam

    C'était assez brutal de me rendre compte à quel point la vie d'un interne peut être injuste. C'est les heures de travail qui nous empêchent de faire ce que n'importe quelle personne complète à notre âge devrait pouvoir faire, du sport, des rendez-vous médicaux, des loisirs, voir ses amis, voir sa famille, voyager. Je me suis rendue compte à quel point l'internat est un sacrifice et à quel point... Pour certaines spécialités, c'est plus difficile que pour d'autres.

  • Pascale Lafitte

    Vous, vous avez choisi médecin général ou médecine générale, pardon, d'être médecin généraliste. Donc, c'est l'internat le plus court, si je ne dis pas de bêtises. Et c'est une des raisons pour lesquelles vous avez choisi médecine générale ?

  • Shabnam

    Alors, c'est rentré en compte dans ma réflexion. Mais je me suis aussi dit que j'avais envie de faire de la prévention. c'était une des spécialités où j'ai... on a le plus de temps avec les patients, que le mieux on les suit. Et par contre, je m'étais aussi dit que peut-être, psychologiquement, je ne serais pas capable de supporter certaines hautes spécialités à cause du temps de travail, à cause de la difficulté, de la pression qu'on peut nous mettre pendant les études et même après, la responsabilité que c'est. Tout ça, ça fait partie de nos réflexions quand on choisit une spécialité. Et c'est parfois dommage que l'angoisse de la période d'internat ... nous peinent dans le choix de la spécialité qu'on veut exercer plus tard.

  • Pascale Lafitte

    Dans l'absolu, sinon, vous auriez fait autre chose ?

  • Shabnam

    Je pensais à d'autres spécialités. Je pensais à l'oncologie, je pensais à l'endocrinologie, à la médecine légale aussi.

  • Pascale Lafitte

    Ce vécu de l'interne, vous l'avez découvert en arrivant à l'internat ou vous commenciez à avoir des suspicions avant de passer le concours ? de sixième année.

  • Shabnam

    En fait, on se renseigne tous un petit peu auprès d'internes quand on est encore externe pour savoir quelles spécialités prendre. On va les rencontrer, on passe quelques jours dans leur stage et je me rappelle encore que j'étais allée voir un interne d'oncologie parce que je m'intéressais à sa spécialité qui m'a expliqué à quel point c'était une bonne spécialité mais qu'il allait la quitter, faire un droit au remords parce qu'il ne supportait plus la pression. Donc j'ai compris que en fait, on peut être brillant, on peut être plein d'ambition et... Et ça ne fonctionne pas parce que le système fait que les internes sont parfois broyés.

  • Pascale Lafitte

    Est-ce que vous avez le souvenir de votre premier jour à l'internat, c'est-à-dire cette bascule ? Vous vous souvenez de cette journée-là ?

  • Shabnam

    Oui, je m'en rappelle très bien. J'ai commencé par mon stage aux urgences en plus, celui que j'appréhendais le plus. Je voulais que ce soit fait, je voulais commencer par ça, comme ça c'était fini. Je suis arrivée limite en tremblant, on avait une petite matinée d'accueil. Finalement, les premiers jours se sont bien passés. Mais tout ce que j'avais en tête pendant ces premiers jours, c'est le fait que je ne fasse pas de mal à un malade, le fait que personne ne meure, le fait que j'y arrive. Et heureusement, c'était un stage où on était très bien encadrés, donc ça s'est bien passé. Mais oui, je me rappelle de la prévention, la boule au ventre, le stress en rentrant chez soi le soir, repenser aux patients qu'on a vu la journée.

  • Pascale Lafitte

    Et se demander si on a bien fait. Vous arrivez, vous, à poser les valises quand vous rentrez chez vous ?

  • Shabnam

    Pas du tout. C'est quelque chose que j'apprends à faire au fur et à mesure de chaque stage que je commence. Les deux, trois premiers mois, donc jusqu'à même la moitié des stages en général, je n'arrive pas à couper en rentrant chez moi. C'est problématique, mais je pense que c'est un peu ce que nous apprend l'internat aussi. C'est ce que veulent nous véhiculer nos formateurs. C'est qu'il y a la journée de travail et il y a le à côté où il faut qu'on apprenne à couper complètement.

  • Pascale Lafitte

    Vous pensez que ça s'apprend, ça ?

  • Shabnam

    Alors, ça s'apprend, c'est sûr. Et surtout, il y a des stratégies à mettre en place que peuvent nous apprendre les médecins auprès de qui on se forme. Exemple, pour un médecin généraliste, noter au lendemain ou à la semaine d'après de rappeler tel ou tel patient quand on sait que ça va nous tourner dans la tête toute la semaine si on ne le fait pas. À partir du moment où on a posé par écrit quelque chose, ça nous évite d'y repenser. C'est posé là, on va rappeler tel patient, on prendra des nouvelles. Et je l'ai testé, ça fonctionne. On peut aussi laisser des notes à nos collègues, par exemple quand on part trois jours du cabinet. Noter à notre collègue de vérifier telle ou telle information. On sait qu'on a partagé et qu'on ne va plus y penser et que quelqu'un d'autre a ça entre les mains. Mais ce sont des stratégies qui sont différentes en fonction du lieu d'exercice et de la spécialité. Ça fait partie de ce qu'on doit apprendre pendant l'internat.

  • Pascale Lafitte

    Mais ça c'est une transmission de médecin d'interne à interne ou de chef à interne, c'est pas dans un manuel d'apprentissage de la médecine ?

  • Shabnam

    Non, je ne l'ai jamais lu moi dans un manuel d'apprentissage de la médecine, c'est plutôt un partage d'expérience. D'interne à interne aussi, c'est vrai. On s'aide beaucoup, on discute beaucoup entre internes de ce qu'on vit en stage. Et ces techniques, ça fait partie de ce qu'on partage.

  • Pascale Lafitte

    Ces patients que vous n'arrivez pas à lâcher, qui sont chez vous, qui vous suivent après le travail, ces patients sur lesquels, soit les cas sont graves, soit vous avez peur, vous, de passer à côté de quelque chose, vous avez peut-être... On a déjà parlé avec vos collègues du syndrome de l'imposteur qu'on a au début. dans ce métier, est-ce que ça en fait partie, de ce sentiment-là ?

  • Shabnam

    En fait, oui, c'est de la peur qu'il arrive quelque chose à la personne parce qu'on a oublié de poser telle ou telle question. Et c'est vrai, on a tous oublié de poser des questions dans notre intégratoire. Personne n'est complètement exhaustif. Donc oui, on repense à ce qu'on aurait dû leur demander, ce qu'on aurait dû leur prescrire ou ne pas leur prescrire, ce qu'on aurait dû revérifier deux fois sur la prise de sang. Finalement, ça arrive rarement. Parce qu'on a des tocs de vérification, on demande à tel collègue de checker la bio au cabinet pour nous, pour vérifier la qualité de tel patient, mais finalement ça arrive rarement qu'on se soit trompé. Et je pense qu'à force aussi de réaliser qu'il arrive peu de drames, même si c'est ce qu'on n'arrive pas par notre faute. Ça nous fait prendre en confiance. Et puis cette confiance, elle est cassée à chaque fois qu'il se passe quelque chose. Par contre, à chaque fois qu'on nous explique qu'on a fait une erreur, il faut la reconstruire, cette confiance. Et ça, malheureusement, ça ne concerne pas que les internes. C'est les médecins eux-mêmes, les docteurs qui en font les frais. Là,

  • Pascale Lafitte

    sur cette confiance et sur la résilience sur l'erreur, ça aussi, c'est quelque chose que vous aviez anticipé avant de faire cet internat ?

  • Shabnam

    Pas vraiment. En fait, avant de commencer médecine, j'avais toujours des bonnes notes partout. J'arrivais à prendre par cœur mes cours. Et même la première année, le concours, c'était un peu ça. C'était pas mal du par cœur et des maths, des choses, on va dire une science exacte. Et puis on est arrivé interne et on se rend compte que la médecine, ce n'est pas toujours exact. Les patients ne disent pas toujours tout. On n'arrive pas toujours à être exhaustif. On manque de temps, on manque d'énergie, on manque de concentration. Parfois, quand on vient de finir, quand on est à la 23e heure de notre garde. Non, on ne peut pas anticiper ça. Et on ne peut pas anticiper la manière dont on va réagir. Mais on peut analyser ces sentiments-là, on peut en discuter, on peut trouver des techniques pour les dompter, ces sentiments.

  • Pascale Lafitte

    Il y a beaucoup de techniques, finalement, qui peuvent être transmises et auxquelles tous les internes n'accèdent pas, parce qu'il faut tomber sur la personne qui transmet ces techniques. Mais en vous écoutant, j'ai le sentiment qu'il y en a, des techniques.

  • Shabnam

    Des techniques, il y en a. Chacun a trouvé un peu celle qui lui corresponde au fur et à mesure des mois de pratique. Mais je regrette qu'on ne passe pas plus de temps à partager ces techniques entre nous, entre internes, rien que ça. Parce que quand on se réunit, on parle de nos cas. Oui, on parle de médecine beaucoup au final. Mais finalement, on ne parle peut-être pas assez de ce qu'on a réussi à mettre en place pour gérer nos émotions, pour gérer notre stress. C'est dommage, mais on va finir par y arriver, à instaurer ça en cours. Nous, en médias, on a pas mal de cours à la fac. Je pense que ça devrait faire partie de nos enseignements, se réunir et partager nos techniques.

  • Pascale Lafitte

    Avec Shabnam, nous avons aussi parlé de l'évolution du métier au fil des générations.

  • Shabnam

    Alors, tout a changé. Le nombre de patients augmente, l'âge des patients augmente, le nombre de médecins. diminue. Les médecins maintenant stagnent, on va dire. Les médecins ont des priorités et des pratiques qui ne sont pas les mêmes qu'à l'époque. De toute façon, qu'on le veuille ou non, il y a une pression sur le nombre de patients à avoir. Et ça réduit le temps et l'énergie qu'on peut accorder à nos patients. Si on parle de médecine générale, c'est juste la quantité de patients qui impose qu'on doit diminuer notre temps de consultation. Il y a quand même certains stages hospitaliers où il y a aussi une pression par la hiérarchie pour voir un tel nombre de patients en un tel temps. Donc, c'est un peu partout, en fait. Cette pression, on se la met soi-même. Les conditions de travail dans certains hôpitaux, il y a aussi juste l'augmentation du nombre de patients et le vieillissement de la population qui nous la met aussi.

  • Pascale Lafitte

    Vous voulez être un médecin plus tard des villes ou un médecin des champs ?

  • Shabnam

    Ça dépend. En fait, je vais dire quelque chose, c'est peut-être très cliché, mais c'est vrai. Je vais choisir où je travaille en fonction de où mon conjoint trouvera un emploi. sachant qu'il a une spécialité qui s'exerce principalement en CHU. Je ne me vois pas travailler trop loin du CHU et donc de mon lieu de vie. En revanche, j'aimerais beaucoup travailler auprès des personnes en situation de précarité et ça se peut que ce soit finalement dans un petit désert médical proche de la ville.

  • Pascale Lafitte

    Vous n'avez jamais pensé à faire de l'humanitaire ? Ça fait partie des choses qui ont trotté dans votre tête ?

  • Shabnam

    Ça dépend ce qu'on entend par humanitaire. Une structure qui m'intéresse énormément, ce serait Médecins du Monde. C'est une forme de consultation bénévole auprès de patients souvent qui n'ont pas de droit.

  • Pascale Lafitte

    Ça ne veut pas dire forcément Médecins du Monde parcourir le monde ?

  • Shabnam

    Non, je ne me vois pas aller faire des missions à l'étranger, en tout cas pas tout de suite, mais il y a déjà des besoins sur notre territoire auprès de ces patients-là. Donc, travailler dans ces structures, ça m'intéresse beaucoup.

  • Pascale Lafitte

    "Interne en médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération". Shabnam a été présidente du syndicat des internes de Nice. Elle est aujourd'hui chargée de mission à l'ISNI. Elle a un mari, elle l'a évoqué. Elle fait des gardes, comme tout bon interne. Bref, comme une évidence, nous en sommes venus à évoquer son emploi du temps surchargé, particulièrement depuis son investissement syndical.

  • Shabnam

    C'était très compliqué au début. Quand je suis arrivée à la présidence du syndicat local, c'est quelque chose que je voulais faire. Je n'avais pas encore l'idée de à quel point ce serait chronophage et même difficile moralement.

  • Pascale Lafitte

    C'est quoi ce difficile moralement ?

  • Shabnam

    En fait, un de nos rôles en tant que représentant des internes au local, c'est de recueillir les difficultés qui sont ressenties par les internes. On n'est pas leur psychiatre, on n'a pas de responsabilité de leur santé mentale ou de leur santé tout court. Mais par contre, on recueille énormément de témoignages et on doit faire avec. Et on sait que c'est des situations qui ne vont pas se régler du jour au lendemain. C'est dur de recevoir tout ça. C'est dur de recevoir tous ces témoignages et de savoir quoi en faire.

  • Pascale Lafitte

    Oui, c'est ça. C'est quand on a les témoignages, qu'est-ce qu'on en fait ? Est-ce qu'on les garde comme un poids ? Ça, c'est pas possible. Donc, comment on fait pour les poser, les traiter, les comprendre, aider la personne, mais sans qu'ils vous encombrent ?

  • Shabnam

    C'est ça, en fait. Tout ça, ça s'apprend aussi, malheureusement, au fur et à mesure. On est aidé de ceux qui ont été représentants avant nous et ceux qui le font dans d'autres villes. Le tout, c'est de connaître bien les différentes structures qui composent nos institutions, les différents interlocuteurs qu'on a. Chaque situation est différente. et pourtant... Dans chaque situation qui est recueillie, on se rend compte qu'il y a un petit peu de tout. Il y a la situation personnelle de l'interne, il y a son stage, il y a ses co-internes, il y a ses supérieurs, il y a tout qui se mélange. Et nous, on doit faire la part des choses pour savoir comment l'aider sur un peu tous les plans. On a quand même réussi à aider pas mal d'internes, je pense, c'est ce qu'ils nous ont dit en tout cas. Sauf qu'on se rend compte que là où on est limité, c'est de faire changer. les choses qui sont profondément ancrées dans certains services. Je vous donne un exemple concret. Les systèmes d'astreinte des internes, ils doivent être joignables toute la nuit et se déplacer si besoin pour aller voir tel ou tel patient.

  • Pascale Lafitte

    Tout en n'étant pas de garde ?

  • Shabnam

    Non, donc ce n'est pas un système de garde. On n'est pas sur place, on est chez nous. Normalement, suite à un déplacement en astreinte, après le dernier déplacement, on est censé avoir un repos de sécurité. comme on est censé avoir après une garde. Sauf qu'on va dire que certains services ne fonctionnent pas comme ça depuis des années. Le même interne va être d'astreinte 4 nuits d'affilée, sans repos de sécurité après son astreinte, parce que personne n'en prend, on met un petit peu la pression pour ne pas en prendre. Donc ça veut dire qu'il va travailler nuit et jour pendant 5 jours. Ça, ça existe dans certains services et c'est partout en France. Et quand c'est ancré et quand ça arrange certains internes et qu'au final, il y en a un ou deux qui vont être mal, qui ne vont pas supporter ce système-là, il faut changer le tout, il faut rappeler la loi, il faut que tout le monde accepte de changer les choses qui sont pourtant faites depuis des années. Et ça, on n'y arrive pas forcément du jour au lendemain, malheureusement.

  • Pascale Lafitte

    La loi, les hôpitaux la connaissent ?

  • Shabnam

    Les hôpitaux connaissent la loi, mais ce n'est pas respecté, en fait. La loi, ils la connaissent, et pas seulement ils la connaissent. En tant que représentant, on la rappelle. C'est juste qu'à partir du moment où on n'est pas en train de gratter en permanence et les internes ne nous rapportent pas ce qui se passe réellement dans les services, la loi ne sera pas respectée. Parce qu'il y a un besoin de permanence de soins qui fait que tant qu'on peut exploiter les personnes qui sont présentes, on continuera à les exploiter.

  • Pascale Lafitte

    En fait, ce qu'on comprend quand on vous écoute, c'est que les internes ont une charge de travail et une responsabilité énorme.

  • Shabnam

    Alors oui, les médecins à l'hôpital et même en ville de manière générale ont une responsabilité énorme. Les internes sont en apprentissage, ils découvrent comme une claque cette responsabilité-là. Ils ont une charge, en plus du stress d'être interne, de découvrir cette responsabilité-là. Ils ont des horaires de travail qui sont trop importants. Et tout ça, c'est trop lourd à porter, en fait. C'est beaucoup trop lourd pour un interne de se prendre cette claque.

  • Pascale Lafitte

    Ce que j'oublie parfois de rappeler, c'est qu'ils ont plus cette année-là des cours. Les années d'internat, il y a des cours. Il y a une inscription à l'université. Et il y a aussi une thèse à préparer. Tout ça, c'est ample. plus de tout le reste.

  • Shabnam

    On parlait tout à l'heure de couper par rapport à nos patients. En fait, des fois, on aimerait juste couper par rapport à notre cursus, par rapport à nos études. Et avec tout ça en permanence dans notre tête, la thèse a préparé les cours à rendre, les formations auxquelles on doit assister, les masters ou les DU que nous ont fortement suggérés, voire ordonnés de faire nos supérieurs. Des cours de spécialité qu'on doit faire dans telle ou telle ville à nos propres frais, parce que les internes doivent payer leur déplacement pour aller se former alors que le cours est obligatoire dans une autre ville. Le logement qu'on doit payer, franchement, c'est un tout, c'est très difficile et je pense que c'est ça qui m'a pesée en tant que représentante, c'est qu'on n'a pas du tout les moyens de travailler, de changer les choses sur tous les plans. Pourtant, chaque interne qu'on a aidé ne serait sur qu'un de ces plans été profondément reconnaissant.

  • Pascale Lafitte

    Et pourtant, vous continuez. Alors, vous avez rejoint l'ISNI, donc au niveau national, et vous travaillez, vous êtes chargée de mission, et vous travaillez sur le temps de travail des internes. Vous réalisez une enquête, c'est ça ?

  • Shabnam

    Vous l'aurez compris, le temps de travail des internes, c'est un sujet qui me tient pas mal à cœur.

  • Pascale Lafitte

    Je vous interromps et je vous redonne la parole… mais je pense que c'est un sujet qui tient aussi à cœur à tous les internes. Quand on entend les nombres d'heures et les récits, on se dit que le temps de travail, que la fatigue, que les gardes, qu'apprendre à récupérer, se retrouver au bout, au bout, au bout de la fatigue et pourtant se lever le matin encore, c'est un vrai subjet.

  • Shabnam

    Oui, j'ai envie de dire, si les patients savaient que leur médecin n'a pas dormi depuis 48 heures, Je pense qu'il se liguerait à nos côtés pour combattre le... C'est le système. Mais oui, j'ai décidé de rejoindre un temps de chargé de mission Lysini. Ça peut être considéré comme une enquête, ce que je fais, mais c'est plutôt un suivi de comment, dans les différentes villes de France, sera mis en place un outil de décompte du temps de travail fiable pour les internes. On se bat pour ça, on se bat pour que les outils de décompte existent et pour que la loi soit appliquée. Donc qu'on puisse arriver à 8h30, partir peut-être à 20h, 3 jours d'affilée, mais savoir que ces heures qu'on a faites seront rattrapées comme l'exige la loi. Et savoir aussi qu'on va avoir un temps dédié sur la semaine ou sur le mois pour notre formation personnelle. Parce que vous l'avez dit, on a des thèses, on a des cours, on a des envies de réviser certains sujets. C'est pas juste que ce soit notre temps libre du soir ou du week-end, on est censé pouvoir s'occuper de nous, qu'il soit dédié à ça. Donc normalement la loi exige un temps de formation personnelle.

  • Pascale Lafitte

    Une loi stipule que le temps de travail des internes ne doit pas dépasser 48 heures par semaine. Lorsqu'un interne dépasse ce temps-là, il peut rattraper ses heures à un autre moment. Il a donc droit à du repos. Les lois existent, mais les outils de décompte du temps de travail peinent à se mettre en place. Et donc, sans décompte fiable, pas de respect de la loi. Nous avons déjà évoqué ce sujet, mais il n'est pas inutile de revenir dessus. Ainsi donc... le 20 février 2025, le tribunal administratif de Poitiers a enjoint le CHU de Poitiers de se doter, avant l'été de cette même année, d'un logiciel fiable, objectif et accessible, permettant de décompter le nombre journalier d'heures de travail effectuées par chaque interne. Une décision faisant suite à un recours déposé entre autres par l'ISNI. Je rajouterai que le CHU de Poitiers... a fait appel de cette décision et que l'affaire est désormais portée devant la cour administrative d'appel. On va laisser faire la justice, évidemment. Mais à titre perso, et ce podcast est et reste perso, si j'étais CHU, je me cacherais dans un trou de souris. Je rappelle qu'aujourd'hui, les actions se poursuivent et que de nombreux centres hospitaliers universitaires en France sont appelés à mettre en place des systèmes fiables. de décompte du temps de travail des internes. Ça, dans l'intérêt des internes, nous l'avons compris, et par conséquent, aussi des patients et du bon fonctionnement du système de santé. Shabnam, c'est le calme avant la tempête. Et il m'est arrivé avec elle une chose que je n'avais pas vue venir. À la fin de notre entretien, je la sentais désorientée, insatisfaite. Alors je lui ai demandé ce qui l'a chagriné. Elle m'a répondu « avoir encore des choses à dire » . Alors, j'ai remis mon enregistreur en marche, un peu vite, car j'ai oublié, vous allez l'entendre, de brancher un des deux micros. Mais bon, on entend tout de même bien Shabnam, qui après nous avoir parlé de sa position auprès des patients, de la fin de son internat et de sa mission auprès de l'ISNI, voulait nous confier... son désarroi et cette peur qu'en fait, tout ça n'est servi à rien.

  • Shabnam

    En fait, oui. Je sais que sur le coup, pendant l'année où j'étais là, on a fait des choses. Et je sais que chaque année, les syndicats se battent pour faire des choses. Mais au long terme, on a quand même ce sentiment que tant qu'il n'y a pas une prise de conscience de la part de certains internes, il n'y a pas une solidarité qui se met en place, le fond, rien ne va changer. J'étais... Vraiment chagrinée pendant tout mon mandat de voir à quel point dans un service, dans un pool d'internes, un groupe d'internes, il y avait parfois un manque de solidarité ou de considération les uns envers les autres. Il y avait un ou deux internes qui souffraient pourtant, qui souffraient d'un système qui est profondément injuste envers eux, qui est illégal. Et pourtant les autres internes refusaient de s'allier à eux pour protester. On avait des vieux internes si près du but. qui n'avaient pas envie de gâcher tout ce qu'ils ont fait et qui du coup ne disaient rien, des jeunes internes qui viennent d'arriver et qui ont trop peur de donner une mauvaise image d'eux à peine arrivés. Il y a des internes qui ne se rendent même pas compte du système dans lequel ils travaillent parce qu'en fait ils se sont mis à penser comme on leur a demandé de penser, rentrer dans le moule en fait. Et au milieu de tout ça, il y a des internes qui empathisent et qui se sentent profondément seuls. Et voilà, j'ai une crainte que tant qu'il y aura ça, ce manque de solidarité dans certains services, certaines spécialités, rien ne changera au long terme.

  • Pascale Lafitte

    Alors ce que j'entends dans ce que vous dites, c'est que le nœud du problème, il est dans ce noyau de 30 000 internes dans lesquels il y a mille façons de voir le métier et puis peut-être de serrer les dents. Parce qu'il n'y en a pas un qui ne dise pas que les gardes, c'est... que c'est lourd, que les horaires, il y en a beaucoup, mais tous voient différemment la finalité de ces 3, 4, 5, voire 6 années d'internat.

  • Shabnam

    En fait, oui, c'est ça, c'est qu'il y a un sentiment, quelque chose qui est profondément ancré chez certains internes, qui fait que les choses risquent de ne pas bouger, en tout cas pas à la vitesse qu'on voudrait.

  • Pascale Lafitte

    C'est quelque chose de très profond à vous, cette inquiétude. C'est quelque chose... On parlait de... On a parlé de poser les valises par rapport à vos patients, mais en fait, votre plus gros fardeau aujourd'hui, c'est celui-là, non ?

  • Shabnam

    Alors oui, mais je me retrouve à être devenue moi-même un peu fataliste par moments. En fait, le bilan de mon année de mandat, c'est qu'on part utopiste, qu'on fait tout pour... qu'on donne tout, en fait, pour faire changer les choses. Et que quand on prend un petit peu de recul et qu'on fait l'analyse de ce qui concrètement a changé, on se rend compte que tant que les internes ne s'allient pas complètement, on n'aura pas le renversement qu'on souhaiterait qu'il y ait. Et ça, le fond de mon pessimisme, c'est que j'aimerais une solidarité totale dans la lutte. Et je sais qu'on la trouvera jamais. Merci à Shabnam pour sa sincérité. Pour accompagner le podcast, pour lui donner un peu plus de visibilité, il y a le compte Instagram. Alors, ce n'est pas simple, mais je suis sûre que vous allez y arriver. C'est interne-en-medicine-podcast. Interne-en-medicine-podcast. Auquel vous pouvez vous abonner. Quant au podcast, vous l'écoutez sur votre plateforme habituelle. sans oublier d'activer les notifications pour être tenu au courant des nouveaux épisodes, nouveaux entretiens et nouvelles rencontres en ligne. Je vous remercie et j'espère vous retrouver vite pour un prochain épisode d'Internes en médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération.

Chapters

  • Introduction au podcast et présentation de l'invitée

    00:09

  • Shabnam parle de son choix de devenir médecin

    00:26

  • L'engagement de Shabnam face aux injustices sociales

    00:47

  • La relation médecin-patient et l'accès aux soins

    01:38

  • Les injustices vécues par les internes en médecine

    04:09

  • Choix de spécialité et réflexions sur l'internat

    05:07

  • Premiers jours à l'internat et gestion du stress

    07:01

  • La peur de l'erreur et le syndrome de l'imposteur

    10:06

  • L'évolution du métier de médecin au fil des générations

    13:49

  • Les défis du temps de travail des internes

    22:08

  • Conclusion et réflexions finales de Shabnam

    26:10

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Description

Vous êtes-vous déjà vous demandé comment un parcours personnel peut influencer une carrière dédiée à la médecine et à la justice sociale ? Dans cet épisode d'Interne en médecine, j'ai le plaisir de vous présenter Shabnam, une interne en médecine générale à Nice, dont l'engagement au sein de l'ISNI est à la fois inspirant et révélateur des défis contemporains de notre système de santé.


Shabnam nous raconte comment son histoire familiale l'a guidée vers la médecine. Ses parents, véritables piliers de son parcours, ont insufflé en elle une passion pour l'équité et la justice. Elle nous explique comment son intérêt pour les injustices sociales l’a conduite à choisir cette carrière, où elle se bat au quotidien pour améliorer la vie de patients souvent laissés pour compte. Ensemble, nous explorons les défis rencontrés par les patients en situation de précarité, et surtout, l'importance cruciale de la relation médecin-patient dans la pratique médicale.


Shabnam évoque également son rôle avec l'ISNI, partageant ses expériences face aux témoignages de souffrance qu'elle reçoit. La nécessité d'une solidarité entre internes est primordiale pour faire évoluer la situation actuelle, et elle n'hésite pas à aborder les injustices vécues par les internes, notamment la pression, les horaires de travail démesurés, et l'impact de ces expériences sur leur bien-être. "Nous sommes tous dans le même bateau", dit-elle, rappelant l'importance de s'entraider dans ce parcours exigeant.


Shabnam ne se contente pas de dénoncer les injustices ; elle exprime également son désir profond d'améliorer les conditions de travail des internes. Elle prône une médecine d'écoute et de prévention, où chaque patient est traité avec dignité et respect. Cet épisode est une invitation à réfléchir sur l'avenir de la médecine, sur le rôle des professionnels de santé, et sur la manière dont ils peuvent tous contribuer à un système plus juste.


Rejoignez-nous pour cette conversation enrichissante qui met en lumière des enjeux cruciaux de notre époque, et découvrez comment l'engagement d'une seule personne peut avoir un impact considérable sur la communauté médicale et au-delà. Ne manquez pas cet épisode captivant d'Interne en médecine avec Pascale Lafitte et Shabnam, une voix essentielle pour le changement !


Interne en médecine est un podcast de et avec Pascale Lafitte, réalisé en partenariat avec l'ISNI, l’InterSyndicale Nationale des Internes.

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Et si ce podcast vous séduit, alors partagez-le avec vos proches, amis, collègues, voisins et votre médecin aussi qui a peut-être enfouit sous une montagne d’antibiotiques et de prescriptions ses années d’internat.



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Pascale Lafitte

    Bonjour, bienvenue, je vous présente Interne en médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération. Une série de rencontres et de conversations avec des internes en médecine. Une émission réalisée en partenariat avec l'ISNI, l'intersyndicale nationale des internes. Aujourd'hui, nous allons rencontrer Shabnam, qui est en fin d'internat de docteur généraliste à Nice. Il est chargé de mission près de l'ISNI. Nous allons parler de son engagement syndical. et plus précisément de son engagement tout court, car vous allez le constater, Shabnam est engagée, simplement et définitivement engagée. Mais avant tout, évidemment, je lui ai demandé pourquoi elle avait choisi de devenir médecin.

  • Shabnam

    J'ai choisi d'être médecin parce que mes parents m'ont conseillé fortement. Depuis que je suis petite, ils me disent tu seras médecin ou ingénieur, pour rigoler. Puis finalement, ça a un peu mûri et j'ai choisi ça. Je pense la dernière année de lycée, un peu sur un coup de tête parce qu'ingénieur, ça traînait par là aussi. Et finalement, une fois que j'y étais, je me suis rendue compte à quel point j'ai fait le bon choix.

  • Pascale Lafitte

    Qu'est-ce qui vous fait dire que vous avez fait le bon choix ?

  • Shabnam

    J'ai toujours été très sensible aux injustices et je me suis rendue compte que le métier de médecin nous permet de lutter contre ces injustices tous à notre manière. Et finalement, la médecine générale, c'est ce qui me permettait d'être au plus près des patients, de créer une patientèle qui m'est propre et de lutter à mon échelle.

  • Pascale Lafitte

    Quel est le lien entre ces injustices et le métier de médecin ?

  • Shabnam

    C'est un secret pour personne, il y a encore beaucoup d'inégalités d'accès aux soins. Et ça passe en premier lieu déjà par trouver un médecin traitant pour tout le monde, dans tous les milieux, pour tous les niveaux sociaux. On sait qu'il y a des... patients en situation de précarité qui ont du mal à trouver un médecin traitant.

  • Pascale Lafitte

    Donc le métier de médecin, c'est avant tout pour vous la relation au patient ?

  • Shabnam

    Je pense que c'est la relation au patient, je pense que c'est s'adapter à la patientelle, je pense que chacun d'entre nous sait avec qui on a le plus de facilité à travailler, à communiquer. Ça, c'est quelque chose qui a mûri petit à petit, c'est en allant justement en stage auprès de médecins généralistes ou en hôpital que je me suis rendue compte que... que oui, on peut faire quelque chose contre ces injustices.

  • Pascale Lafitte

    Vous avez des exemples aujourd'hui de personnes, de patients, que vous avez pu finalement, peut-être en posant votre stéthoscope et en écoutant ce qu'ils avaient à vous dire, leurs paroles, que vous avez pu amener vers plus de... Vous parlez d'injustice, donc je dirais plus de justice.

  • Shabnam

    Je m'en suis rendue compte, par exemple, pendant des gardes aux urgences avec des patients qui ne parlent pas français. où un examen clinique succinct ne permet pas de comprendre le fond de la situation. Et quand on prend le temps, avec des systèmes de traduction, quand on creuse un peu plus, on peut détecter des situations médicales graves qui nécessitent une prise en charge tout autre que celle qui était initialement prévue. Le cabinet Ausha actuellement mène énormément d'actions pour les personnes en situation de précarité. Je vais donner l'exemple des patients pour qui la prévention en santé n'est pas une priorité. Et on fait des démarches d'aller vers pour aller leur expliquer pourquoi c'est important la prévention. Un exemple concret, la distribution de kits d'autoprélèvement pour le dépistage du cancer du col. Pour les patientes qui ne vont pas aller faire leur frottis chez un gynéco.

  • Pascale Lafitte

    La médecine que vous vous envisagez de faire plus tard, la médecine générale, ça sera une médecine d'écoute et de prévention. C'est votre manière d'envisager votre avenir professionnel ?

  • Shabnam

    C'est ce dans quoi je pense être performante. C'est ce que j'aimerais faire, oui, beaucoup de prévention auprès des personnes en situation de précarité. Je me suis rendue compte que les injustices, elles n'existent pas seulement chez les patients qu'on reçoit, mais aussi chez les étudiants qu'on côtoie tous les jours. Ces injustices-là aussi, au final, elles ont émergé en moi le besoin de faire partie d'associations pour aider les autres étudiants qu'il y a autour de moi.

  • Pascale Lafitte

    C'est quoi les injustices entre internes ?

  • Shabnam

    C'était assez brutal de me rendre compte à quel point la vie d'un interne peut être injuste. C'est les heures de travail qui nous empêchent de faire ce que n'importe quelle personne complète à notre âge devrait pouvoir faire, du sport, des rendez-vous médicaux, des loisirs, voir ses amis, voir sa famille, voyager. Je me suis rendue compte à quel point l'internat est un sacrifice et à quel point... Pour certaines spécialités, c'est plus difficile que pour d'autres.

  • Pascale Lafitte

    Vous, vous avez choisi médecin général ou médecine générale, pardon, d'être médecin généraliste. Donc, c'est l'internat le plus court, si je ne dis pas de bêtises. Et c'est une des raisons pour lesquelles vous avez choisi médecine générale ?

  • Shabnam

    Alors, c'est rentré en compte dans ma réflexion. Mais je me suis aussi dit que j'avais envie de faire de la prévention. c'était une des spécialités où j'ai... on a le plus de temps avec les patients, que le mieux on les suit. Et par contre, je m'étais aussi dit que peut-être, psychologiquement, je ne serais pas capable de supporter certaines hautes spécialités à cause du temps de travail, à cause de la difficulté, de la pression qu'on peut nous mettre pendant les études et même après, la responsabilité que c'est. Tout ça, ça fait partie de nos réflexions quand on choisit une spécialité. Et c'est parfois dommage que l'angoisse de la période d'internat ... nous peinent dans le choix de la spécialité qu'on veut exercer plus tard.

  • Pascale Lafitte

    Dans l'absolu, sinon, vous auriez fait autre chose ?

  • Shabnam

    Je pensais à d'autres spécialités. Je pensais à l'oncologie, je pensais à l'endocrinologie, à la médecine légale aussi.

  • Pascale Lafitte

    Ce vécu de l'interne, vous l'avez découvert en arrivant à l'internat ou vous commenciez à avoir des suspicions avant de passer le concours ? de sixième année.

  • Shabnam

    En fait, on se renseigne tous un petit peu auprès d'internes quand on est encore externe pour savoir quelles spécialités prendre. On va les rencontrer, on passe quelques jours dans leur stage et je me rappelle encore que j'étais allée voir un interne d'oncologie parce que je m'intéressais à sa spécialité qui m'a expliqué à quel point c'était une bonne spécialité mais qu'il allait la quitter, faire un droit au remords parce qu'il ne supportait plus la pression. Donc j'ai compris que en fait, on peut être brillant, on peut être plein d'ambition et... Et ça ne fonctionne pas parce que le système fait que les internes sont parfois broyés.

  • Pascale Lafitte

    Est-ce que vous avez le souvenir de votre premier jour à l'internat, c'est-à-dire cette bascule ? Vous vous souvenez de cette journée-là ?

  • Shabnam

    Oui, je m'en rappelle très bien. J'ai commencé par mon stage aux urgences en plus, celui que j'appréhendais le plus. Je voulais que ce soit fait, je voulais commencer par ça, comme ça c'était fini. Je suis arrivée limite en tremblant, on avait une petite matinée d'accueil. Finalement, les premiers jours se sont bien passés. Mais tout ce que j'avais en tête pendant ces premiers jours, c'est le fait que je ne fasse pas de mal à un malade, le fait que personne ne meure, le fait que j'y arrive. Et heureusement, c'était un stage où on était très bien encadrés, donc ça s'est bien passé. Mais oui, je me rappelle de la prévention, la boule au ventre, le stress en rentrant chez soi le soir, repenser aux patients qu'on a vu la journée.

  • Pascale Lafitte

    Et se demander si on a bien fait. Vous arrivez, vous, à poser les valises quand vous rentrez chez vous ?

  • Shabnam

    Pas du tout. C'est quelque chose que j'apprends à faire au fur et à mesure de chaque stage que je commence. Les deux, trois premiers mois, donc jusqu'à même la moitié des stages en général, je n'arrive pas à couper en rentrant chez moi. C'est problématique, mais je pense que c'est un peu ce que nous apprend l'internat aussi. C'est ce que veulent nous véhiculer nos formateurs. C'est qu'il y a la journée de travail et il y a le à côté où il faut qu'on apprenne à couper complètement.

  • Pascale Lafitte

    Vous pensez que ça s'apprend, ça ?

  • Shabnam

    Alors, ça s'apprend, c'est sûr. Et surtout, il y a des stratégies à mettre en place que peuvent nous apprendre les médecins auprès de qui on se forme. Exemple, pour un médecin généraliste, noter au lendemain ou à la semaine d'après de rappeler tel ou tel patient quand on sait que ça va nous tourner dans la tête toute la semaine si on ne le fait pas. À partir du moment où on a posé par écrit quelque chose, ça nous évite d'y repenser. C'est posé là, on va rappeler tel patient, on prendra des nouvelles. Et je l'ai testé, ça fonctionne. On peut aussi laisser des notes à nos collègues, par exemple quand on part trois jours du cabinet. Noter à notre collègue de vérifier telle ou telle information. On sait qu'on a partagé et qu'on ne va plus y penser et que quelqu'un d'autre a ça entre les mains. Mais ce sont des stratégies qui sont différentes en fonction du lieu d'exercice et de la spécialité. Ça fait partie de ce qu'on doit apprendre pendant l'internat.

  • Pascale Lafitte

    Mais ça c'est une transmission de médecin d'interne à interne ou de chef à interne, c'est pas dans un manuel d'apprentissage de la médecine ?

  • Shabnam

    Non, je ne l'ai jamais lu moi dans un manuel d'apprentissage de la médecine, c'est plutôt un partage d'expérience. D'interne à interne aussi, c'est vrai. On s'aide beaucoup, on discute beaucoup entre internes de ce qu'on vit en stage. Et ces techniques, ça fait partie de ce qu'on partage.

  • Pascale Lafitte

    Ces patients que vous n'arrivez pas à lâcher, qui sont chez vous, qui vous suivent après le travail, ces patients sur lesquels, soit les cas sont graves, soit vous avez peur, vous, de passer à côté de quelque chose, vous avez peut-être... On a déjà parlé avec vos collègues du syndrome de l'imposteur qu'on a au début. dans ce métier, est-ce que ça en fait partie, de ce sentiment-là ?

  • Shabnam

    En fait, oui, c'est de la peur qu'il arrive quelque chose à la personne parce qu'on a oublié de poser telle ou telle question. Et c'est vrai, on a tous oublié de poser des questions dans notre intégratoire. Personne n'est complètement exhaustif. Donc oui, on repense à ce qu'on aurait dû leur demander, ce qu'on aurait dû leur prescrire ou ne pas leur prescrire, ce qu'on aurait dû revérifier deux fois sur la prise de sang. Finalement, ça arrive rarement. Parce qu'on a des tocs de vérification, on demande à tel collègue de checker la bio au cabinet pour nous, pour vérifier la qualité de tel patient, mais finalement ça arrive rarement qu'on se soit trompé. Et je pense qu'à force aussi de réaliser qu'il arrive peu de drames, même si c'est ce qu'on n'arrive pas par notre faute. Ça nous fait prendre en confiance. Et puis cette confiance, elle est cassée à chaque fois qu'il se passe quelque chose. Par contre, à chaque fois qu'on nous explique qu'on a fait une erreur, il faut la reconstruire, cette confiance. Et ça, malheureusement, ça ne concerne pas que les internes. C'est les médecins eux-mêmes, les docteurs qui en font les frais. Là,

  • Pascale Lafitte

    sur cette confiance et sur la résilience sur l'erreur, ça aussi, c'est quelque chose que vous aviez anticipé avant de faire cet internat ?

  • Shabnam

    Pas vraiment. En fait, avant de commencer médecine, j'avais toujours des bonnes notes partout. J'arrivais à prendre par cœur mes cours. Et même la première année, le concours, c'était un peu ça. C'était pas mal du par cœur et des maths, des choses, on va dire une science exacte. Et puis on est arrivé interne et on se rend compte que la médecine, ce n'est pas toujours exact. Les patients ne disent pas toujours tout. On n'arrive pas toujours à être exhaustif. On manque de temps, on manque d'énergie, on manque de concentration. Parfois, quand on vient de finir, quand on est à la 23e heure de notre garde. Non, on ne peut pas anticiper ça. Et on ne peut pas anticiper la manière dont on va réagir. Mais on peut analyser ces sentiments-là, on peut en discuter, on peut trouver des techniques pour les dompter, ces sentiments.

  • Pascale Lafitte

    Il y a beaucoup de techniques, finalement, qui peuvent être transmises et auxquelles tous les internes n'accèdent pas, parce qu'il faut tomber sur la personne qui transmet ces techniques. Mais en vous écoutant, j'ai le sentiment qu'il y en a, des techniques.

  • Shabnam

    Des techniques, il y en a. Chacun a trouvé un peu celle qui lui corresponde au fur et à mesure des mois de pratique. Mais je regrette qu'on ne passe pas plus de temps à partager ces techniques entre nous, entre internes, rien que ça. Parce que quand on se réunit, on parle de nos cas. Oui, on parle de médecine beaucoup au final. Mais finalement, on ne parle peut-être pas assez de ce qu'on a réussi à mettre en place pour gérer nos émotions, pour gérer notre stress. C'est dommage, mais on va finir par y arriver, à instaurer ça en cours. Nous, en médias, on a pas mal de cours à la fac. Je pense que ça devrait faire partie de nos enseignements, se réunir et partager nos techniques.

  • Pascale Lafitte

    Avec Shabnam, nous avons aussi parlé de l'évolution du métier au fil des générations.

  • Shabnam

    Alors, tout a changé. Le nombre de patients augmente, l'âge des patients augmente, le nombre de médecins. diminue. Les médecins maintenant stagnent, on va dire. Les médecins ont des priorités et des pratiques qui ne sont pas les mêmes qu'à l'époque. De toute façon, qu'on le veuille ou non, il y a une pression sur le nombre de patients à avoir. Et ça réduit le temps et l'énergie qu'on peut accorder à nos patients. Si on parle de médecine générale, c'est juste la quantité de patients qui impose qu'on doit diminuer notre temps de consultation. Il y a quand même certains stages hospitaliers où il y a aussi une pression par la hiérarchie pour voir un tel nombre de patients en un tel temps. Donc, c'est un peu partout, en fait. Cette pression, on se la met soi-même. Les conditions de travail dans certains hôpitaux, il y a aussi juste l'augmentation du nombre de patients et le vieillissement de la population qui nous la met aussi.

  • Pascale Lafitte

    Vous voulez être un médecin plus tard des villes ou un médecin des champs ?

  • Shabnam

    Ça dépend. En fait, je vais dire quelque chose, c'est peut-être très cliché, mais c'est vrai. Je vais choisir où je travaille en fonction de où mon conjoint trouvera un emploi. sachant qu'il a une spécialité qui s'exerce principalement en CHU. Je ne me vois pas travailler trop loin du CHU et donc de mon lieu de vie. En revanche, j'aimerais beaucoup travailler auprès des personnes en situation de précarité et ça se peut que ce soit finalement dans un petit désert médical proche de la ville.

  • Pascale Lafitte

    Vous n'avez jamais pensé à faire de l'humanitaire ? Ça fait partie des choses qui ont trotté dans votre tête ?

  • Shabnam

    Ça dépend ce qu'on entend par humanitaire. Une structure qui m'intéresse énormément, ce serait Médecins du Monde. C'est une forme de consultation bénévole auprès de patients souvent qui n'ont pas de droit.

  • Pascale Lafitte

    Ça ne veut pas dire forcément Médecins du Monde parcourir le monde ?

  • Shabnam

    Non, je ne me vois pas aller faire des missions à l'étranger, en tout cas pas tout de suite, mais il y a déjà des besoins sur notre territoire auprès de ces patients-là. Donc, travailler dans ces structures, ça m'intéresse beaucoup.

  • Pascale Lafitte

    "Interne en médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération". Shabnam a été présidente du syndicat des internes de Nice. Elle est aujourd'hui chargée de mission à l'ISNI. Elle a un mari, elle l'a évoqué. Elle fait des gardes, comme tout bon interne. Bref, comme une évidence, nous en sommes venus à évoquer son emploi du temps surchargé, particulièrement depuis son investissement syndical.

  • Shabnam

    C'était très compliqué au début. Quand je suis arrivée à la présidence du syndicat local, c'est quelque chose que je voulais faire. Je n'avais pas encore l'idée de à quel point ce serait chronophage et même difficile moralement.

  • Pascale Lafitte

    C'est quoi ce difficile moralement ?

  • Shabnam

    En fait, un de nos rôles en tant que représentant des internes au local, c'est de recueillir les difficultés qui sont ressenties par les internes. On n'est pas leur psychiatre, on n'a pas de responsabilité de leur santé mentale ou de leur santé tout court. Mais par contre, on recueille énormément de témoignages et on doit faire avec. Et on sait que c'est des situations qui ne vont pas se régler du jour au lendemain. C'est dur de recevoir tout ça. C'est dur de recevoir tous ces témoignages et de savoir quoi en faire.

  • Pascale Lafitte

    Oui, c'est ça. C'est quand on a les témoignages, qu'est-ce qu'on en fait ? Est-ce qu'on les garde comme un poids ? Ça, c'est pas possible. Donc, comment on fait pour les poser, les traiter, les comprendre, aider la personne, mais sans qu'ils vous encombrent ?

  • Shabnam

    C'est ça, en fait. Tout ça, ça s'apprend aussi, malheureusement, au fur et à mesure. On est aidé de ceux qui ont été représentants avant nous et ceux qui le font dans d'autres villes. Le tout, c'est de connaître bien les différentes structures qui composent nos institutions, les différents interlocuteurs qu'on a. Chaque situation est différente. et pourtant... Dans chaque situation qui est recueillie, on se rend compte qu'il y a un petit peu de tout. Il y a la situation personnelle de l'interne, il y a son stage, il y a ses co-internes, il y a ses supérieurs, il y a tout qui se mélange. Et nous, on doit faire la part des choses pour savoir comment l'aider sur un peu tous les plans. On a quand même réussi à aider pas mal d'internes, je pense, c'est ce qu'ils nous ont dit en tout cas. Sauf qu'on se rend compte que là où on est limité, c'est de faire changer. les choses qui sont profondément ancrées dans certains services. Je vous donne un exemple concret. Les systèmes d'astreinte des internes, ils doivent être joignables toute la nuit et se déplacer si besoin pour aller voir tel ou tel patient.

  • Pascale Lafitte

    Tout en n'étant pas de garde ?

  • Shabnam

    Non, donc ce n'est pas un système de garde. On n'est pas sur place, on est chez nous. Normalement, suite à un déplacement en astreinte, après le dernier déplacement, on est censé avoir un repos de sécurité. comme on est censé avoir après une garde. Sauf qu'on va dire que certains services ne fonctionnent pas comme ça depuis des années. Le même interne va être d'astreinte 4 nuits d'affilée, sans repos de sécurité après son astreinte, parce que personne n'en prend, on met un petit peu la pression pour ne pas en prendre. Donc ça veut dire qu'il va travailler nuit et jour pendant 5 jours. Ça, ça existe dans certains services et c'est partout en France. Et quand c'est ancré et quand ça arrange certains internes et qu'au final, il y en a un ou deux qui vont être mal, qui ne vont pas supporter ce système-là, il faut changer le tout, il faut rappeler la loi, il faut que tout le monde accepte de changer les choses qui sont pourtant faites depuis des années. Et ça, on n'y arrive pas forcément du jour au lendemain, malheureusement.

  • Pascale Lafitte

    La loi, les hôpitaux la connaissent ?

  • Shabnam

    Les hôpitaux connaissent la loi, mais ce n'est pas respecté, en fait. La loi, ils la connaissent, et pas seulement ils la connaissent. En tant que représentant, on la rappelle. C'est juste qu'à partir du moment où on n'est pas en train de gratter en permanence et les internes ne nous rapportent pas ce qui se passe réellement dans les services, la loi ne sera pas respectée. Parce qu'il y a un besoin de permanence de soins qui fait que tant qu'on peut exploiter les personnes qui sont présentes, on continuera à les exploiter.

  • Pascale Lafitte

    En fait, ce qu'on comprend quand on vous écoute, c'est que les internes ont une charge de travail et une responsabilité énorme.

  • Shabnam

    Alors oui, les médecins à l'hôpital et même en ville de manière générale ont une responsabilité énorme. Les internes sont en apprentissage, ils découvrent comme une claque cette responsabilité-là. Ils ont une charge, en plus du stress d'être interne, de découvrir cette responsabilité-là. Ils ont des horaires de travail qui sont trop importants. Et tout ça, c'est trop lourd à porter, en fait. C'est beaucoup trop lourd pour un interne de se prendre cette claque.

  • Pascale Lafitte

    Ce que j'oublie parfois de rappeler, c'est qu'ils ont plus cette année-là des cours. Les années d'internat, il y a des cours. Il y a une inscription à l'université. Et il y a aussi une thèse à préparer. Tout ça, c'est ample. plus de tout le reste.

  • Shabnam

    On parlait tout à l'heure de couper par rapport à nos patients. En fait, des fois, on aimerait juste couper par rapport à notre cursus, par rapport à nos études. Et avec tout ça en permanence dans notre tête, la thèse a préparé les cours à rendre, les formations auxquelles on doit assister, les masters ou les DU que nous ont fortement suggérés, voire ordonnés de faire nos supérieurs. Des cours de spécialité qu'on doit faire dans telle ou telle ville à nos propres frais, parce que les internes doivent payer leur déplacement pour aller se former alors que le cours est obligatoire dans une autre ville. Le logement qu'on doit payer, franchement, c'est un tout, c'est très difficile et je pense que c'est ça qui m'a pesée en tant que représentante, c'est qu'on n'a pas du tout les moyens de travailler, de changer les choses sur tous les plans. Pourtant, chaque interne qu'on a aidé ne serait sur qu'un de ces plans été profondément reconnaissant.

  • Pascale Lafitte

    Et pourtant, vous continuez. Alors, vous avez rejoint l'ISNI, donc au niveau national, et vous travaillez, vous êtes chargée de mission, et vous travaillez sur le temps de travail des internes. Vous réalisez une enquête, c'est ça ?

  • Shabnam

    Vous l'aurez compris, le temps de travail des internes, c'est un sujet qui me tient pas mal à cœur.

  • Pascale Lafitte

    Je vous interromps et je vous redonne la parole… mais je pense que c'est un sujet qui tient aussi à cœur à tous les internes. Quand on entend les nombres d'heures et les récits, on se dit que le temps de travail, que la fatigue, que les gardes, qu'apprendre à récupérer, se retrouver au bout, au bout, au bout de la fatigue et pourtant se lever le matin encore, c'est un vrai subjet.

  • Shabnam

    Oui, j'ai envie de dire, si les patients savaient que leur médecin n'a pas dormi depuis 48 heures, Je pense qu'il se liguerait à nos côtés pour combattre le... C'est le système. Mais oui, j'ai décidé de rejoindre un temps de chargé de mission Lysini. Ça peut être considéré comme une enquête, ce que je fais, mais c'est plutôt un suivi de comment, dans les différentes villes de France, sera mis en place un outil de décompte du temps de travail fiable pour les internes. On se bat pour ça, on se bat pour que les outils de décompte existent et pour que la loi soit appliquée. Donc qu'on puisse arriver à 8h30, partir peut-être à 20h, 3 jours d'affilée, mais savoir que ces heures qu'on a faites seront rattrapées comme l'exige la loi. Et savoir aussi qu'on va avoir un temps dédié sur la semaine ou sur le mois pour notre formation personnelle. Parce que vous l'avez dit, on a des thèses, on a des cours, on a des envies de réviser certains sujets. C'est pas juste que ce soit notre temps libre du soir ou du week-end, on est censé pouvoir s'occuper de nous, qu'il soit dédié à ça. Donc normalement la loi exige un temps de formation personnelle.

  • Pascale Lafitte

    Une loi stipule que le temps de travail des internes ne doit pas dépasser 48 heures par semaine. Lorsqu'un interne dépasse ce temps-là, il peut rattraper ses heures à un autre moment. Il a donc droit à du repos. Les lois existent, mais les outils de décompte du temps de travail peinent à se mettre en place. Et donc, sans décompte fiable, pas de respect de la loi. Nous avons déjà évoqué ce sujet, mais il n'est pas inutile de revenir dessus. Ainsi donc... le 20 février 2025, le tribunal administratif de Poitiers a enjoint le CHU de Poitiers de se doter, avant l'été de cette même année, d'un logiciel fiable, objectif et accessible, permettant de décompter le nombre journalier d'heures de travail effectuées par chaque interne. Une décision faisant suite à un recours déposé entre autres par l'ISNI. Je rajouterai que le CHU de Poitiers... a fait appel de cette décision et que l'affaire est désormais portée devant la cour administrative d'appel. On va laisser faire la justice, évidemment. Mais à titre perso, et ce podcast est et reste perso, si j'étais CHU, je me cacherais dans un trou de souris. Je rappelle qu'aujourd'hui, les actions se poursuivent et que de nombreux centres hospitaliers universitaires en France sont appelés à mettre en place des systèmes fiables. de décompte du temps de travail des internes. Ça, dans l'intérêt des internes, nous l'avons compris, et par conséquent, aussi des patients et du bon fonctionnement du système de santé. Shabnam, c'est le calme avant la tempête. Et il m'est arrivé avec elle une chose que je n'avais pas vue venir. À la fin de notre entretien, je la sentais désorientée, insatisfaite. Alors je lui ai demandé ce qui l'a chagriné. Elle m'a répondu « avoir encore des choses à dire » . Alors, j'ai remis mon enregistreur en marche, un peu vite, car j'ai oublié, vous allez l'entendre, de brancher un des deux micros. Mais bon, on entend tout de même bien Shabnam, qui après nous avoir parlé de sa position auprès des patients, de la fin de son internat et de sa mission auprès de l'ISNI, voulait nous confier... son désarroi et cette peur qu'en fait, tout ça n'est servi à rien.

  • Shabnam

    En fait, oui. Je sais que sur le coup, pendant l'année où j'étais là, on a fait des choses. Et je sais que chaque année, les syndicats se battent pour faire des choses. Mais au long terme, on a quand même ce sentiment que tant qu'il n'y a pas une prise de conscience de la part de certains internes, il n'y a pas une solidarité qui se met en place, le fond, rien ne va changer. J'étais... Vraiment chagrinée pendant tout mon mandat de voir à quel point dans un service, dans un pool d'internes, un groupe d'internes, il y avait parfois un manque de solidarité ou de considération les uns envers les autres. Il y avait un ou deux internes qui souffraient pourtant, qui souffraient d'un système qui est profondément injuste envers eux, qui est illégal. Et pourtant les autres internes refusaient de s'allier à eux pour protester. On avait des vieux internes si près du but. qui n'avaient pas envie de gâcher tout ce qu'ils ont fait et qui du coup ne disaient rien, des jeunes internes qui viennent d'arriver et qui ont trop peur de donner une mauvaise image d'eux à peine arrivés. Il y a des internes qui ne se rendent même pas compte du système dans lequel ils travaillent parce qu'en fait ils se sont mis à penser comme on leur a demandé de penser, rentrer dans le moule en fait. Et au milieu de tout ça, il y a des internes qui empathisent et qui se sentent profondément seuls. Et voilà, j'ai une crainte que tant qu'il y aura ça, ce manque de solidarité dans certains services, certaines spécialités, rien ne changera au long terme.

  • Pascale Lafitte

    Alors ce que j'entends dans ce que vous dites, c'est que le nœud du problème, il est dans ce noyau de 30 000 internes dans lesquels il y a mille façons de voir le métier et puis peut-être de serrer les dents. Parce qu'il n'y en a pas un qui ne dise pas que les gardes, c'est... que c'est lourd, que les horaires, il y en a beaucoup, mais tous voient différemment la finalité de ces 3, 4, 5, voire 6 années d'internat.

  • Shabnam

    En fait, oui, c'est ça, c'est qu'il y a un sentiment, quelque chose qui est profondément ancré chez certains internes, qui fait que les choses risquent de ne pas bouger, en tout cas pas à la vitesse qu'on voudrait.

  • Pascale Lafitte

    C'est quelque chose de très profond à vous, cette inquiétude. C'est quelque chose... On parlait de... On a parlé de poser les valises par rapport à vos patients, mais en fait, votre plus gros fardeau aujourd'hui, c'est celui-là, non ?

  • Shabnam

    Alors oui, mais je me retrouve à être devenue moi-même un peu fataliste par moments. En fait, le bilan de mon année de mandat, c'est qu'on part utopiste, qu'on fait tout pour... qu'on donne tout, en fait, pour faire changer les choses. Et que quand on prend un petit peu de recul et qu'on fait l'analyse de ce qui concrètement a changé, on se rend compte que tant que les internes ne s'allient pas complètement, on n'aura pas le renversement qu'on souhaiterait qu'il y ait. Et ça, le fond de mon pessimisme, c'est que j'aimerais une solidarité totale dans la lutte. Et je sais qu'on la trouvera jamais. Merci à Shabnam pour sa sincérité. Pour accompagner le podcast, pour lui donner un peu plus de visibilité, il y a le compte Instagram. Alors, ce n'est pas simple, mais je suis sûre que vous allez y arriver. C'est interne-en-medicine-podcast. Interne-en-medicine-podcast. Auquel vous pouvez vous abonner. Quant au podcast, vous l'écoutez sur votre plateforme habituelle. sans oublier d'activer les notifications pour être tenu au courant des nouveaux épisodes, nouveaux entretiens et nouvelles rencontres en ligne. Je vous remercie et j'espère vous retrouver vite pour un prochain épisode d'Internes en médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération.

Chapters

  • Introduction au podcast et présentation de l'invitée

    00:09

  • Shabnam parle de son choix de devenir médecin

    00:26

  • L'engagement de Shabnam face aux injustices sociales

    00:47

  • La relation médecin-patient et l'accès aux soins

    01:38

  • Les injustices vécues par les internes en médecine

    04:09

  • Choix de spécialité et réflexions sur l'internat

    05:07

  • Premiers jours à l'internat et gestion du stress

    07:01

  • La peur de l'erreur et le syndrome de l'imposteur

    10:06

  • L'évolution du métier de médecin au fil des générations

    13:49

  • Les défis du temps de travail des internes

    22:08

  • Conclusion et réflexions finales de Shabnam

    26:10

Description

Vous êtes-vous déjà vous demandé comment un parcours personnel peut influencer une carrière dédiée à la médecine et à la justice sociale ? Dans cet épisode d'Interne en médecine, j'ai le plaisir de vous présenter Shabnam, une interne en médecine générale à Nice, dont l'engagement au sein de l'ISNI est à la fois inspirant et révélateur des défis contemporains de notre système de santé.


Shabnam nous raconte comment son histoire familiale l'a guidée vers la médecine. Ses parents, véritables piliers de son parcours, ont insufflé en elle une passion pour l'équité et la justice. Elle nous explique comment son intérêt pour les injustices sociales l’a conduite à choisir cette carrière, où elle se bat au quotidien pour améliorer la vie de patients souvent laissés pour compte. Ensemble, nous explorons les défis rencontrés par les patients en situation de précarité, et surtout, l'importance cruciale de la relation médecin-patient dans la pratique médicale.


Shabnam évoque également son rôle avec l'ISNI, partageant ses expériences face aux témoignages de souffrance qu'elle reçoit. La nécessité d'une solidarité entre internes est primordiale pour faire évoluer la situation actuelle, et elle n'hésite pas à aborder les injustices vécues par les internes, notamment la pression, les horaires de travail démesurés, et l'impact de ces expériences sur leur bien-être. "Nous sommes tous dans le même bateau", dit-elle, rappelant l'importance de s'entraider dans ce parcours exigeant.


Shabnam ne se contente pas de dénoncer les injustices ; elle exprime également son désir profond d'améliorer les conditions de travail des internes. Elle prône une médecine d'écoute et de prévention, où chaque patient est traité avec dignité et respect. Cet épisode est une invitation à réfléchir sur l'avenir de la médecine, sur le rôle des professionnels de santé, et sur la manière dont ils peuvent tous contribuer à un système plus juste.


Rejoignez-nous pour cette conversation enrichissante qui met en lumière des enjeux cruciaux de notre époque, et découvrez comment l'engagement d'une seule personne peut avoir un impact considérable sur la communauté médicale et au-delà. Ne manquez pas cet épisode captivant d'Interne en médecine avec Pascale Lafitte et Shabnam, une voix essentielle pour le changement !


Interne en médecine est un podcast de et avec Pascale Lafitte, réalisé en partenariat avec l'ISNI, l’InterSyndicale Nationale des Internes.

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Pascale Lafitte

    Bonjour, bienvenue, je vous présente Interne en médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération. Une série de rencontres et de conversations avec des internes en médecine. Une émission réalisée en partenariat avec l'ISNI, l'intersyndicale nationale des internes. Aujourd'hui, nous allons rencontrer Shabnam, qui est en fin d'internat de docteur généraliste à Nice. Il est chargé de mission près de l'ISNI. Nous allons parler de son engagement syndical. et plus précisément de son engagement tout court, car vous allez le constater, Shabnam est engagée, simplement et définitivement engagée. Mais avant tout, évidemment, je lui ai demandé pourquoi elle avait choisi de devenir médecin.

  • Shabnam

    J'ai choisi d'être médecin parce que mes parents m'ont conseillé fortement. Depuis que je suis petite, ils me disent tu seras médecin ou ingénieur, pour rigoler. Puis finalement, ça a un peu mûri et j'ai choisi ça. Je pense la dernière année de lycée, un peu sur un coup de tête parce qu'ingénieur, ça traînait par là aussi. Et finalement, une fois que j'y étais, je me suis rendue compte à quel point j'ai fait le bon choix.

  • Pascale Lafitte

    Qu'est-ce qui vous fait dire que vous avez fait le bon choix ?

  • Shabnam

    J'ai toujours été très sensible aux injustices et je me suis rendue compte que le métier de médecin nous permet de lutter contre ces injustices tous à notre manière. Et finalement, la médecine générale, c'est ce qui me permettait d'être au plus près des patients, de créer une patientèle qui m'est propre et de lutter à mon échelle.

  • Pascale Lafitte

    Quel est le lien entre ces injustices et le métier de médecin ?

  • Shabnam

    C'est un secret pour personne, il y a encore beaucoup d'inégalités d'accès aux soins. Et ça passe en premier lieu déjà par trouver un médecin traitant pour tout le monde, dans tous les milieux, pour tous les niveaux sociaux. On sait qu'il y a des... patients en situation de précarité qui ont du mal à trouver un médecin traitant.

  • Pascale Lafitte

    Donc le métier de médecin, c'est avant tout pour vous la relation au patient ?

  • Shabnam

    Je pense que c'est la relation au patient, je pense que c'est s'adapter à la patientelle, je pense que chacun d'entre nous sait avec qui on a le plus de facilité à travailler, à communiquer. Ça, c'est quelque chose qui a mûri petit à petit, c'est en allant justement en stage auprès de médecins généralistes ou en hôpital que je me suis rendue compte que... que oui, on peut faire quelque chose contre ces injustices.

  • Pascale Lafitte

    Vous avez des exemples aujourd'hui de personnes, de patients, que vous avez pu finalement, peut-être en posant votre stéthoscope et en écoutant ce qu'ils avaient à vous dire, leurs paroles, que vous avez pu amener vers plus de... Vous parlez d'injustice, donc je dirais plus de justice.

  • Shabnam

    Je m'en suis rendue compte, par exemple, pendant des gardes aux urgences avec des patients qui ne parlent pas français. où un examen clinique succinct ne permet pas de comprendre le fond de la situation. Et quand on prend le temps, avec des systèmes de traduction, quand on creuse un peu plus, on peut détecter des situations médicales graves qui nécessitent une prise en charge tout autre que celle qui était initialement prévue. Le cabinet Ausha actuellement mène énormément d'actions pour les personnes en situation de précarité. Je vais donner l'exemple des patients pour qui la prévention en santé n'est pas une priorité. Et on fait des démarches d'aller vers pour aller leur expliquer pourquoi c'est important la prévention. Un exemple concret, la distribution de kits d'autoprélèvement pour le dépistage du cancer du col. Pour les patientes qui ne vont pas aller faire leur frottis chez un gynéco.

  • Pascale Lafitte

    La médecine que vous vous envisagez de faire plus tard, la médecine générale, ça sera une médecine d'écoute et de prévention. C'est votre manière d'envisager votre avenir professionnel ?

  • Shabnam

    C'est ce dans quoi je pense être performante. C'est ce que j'aimerais faire, oui, beaucoup de prévention auprès des personnes en situation de précarité. Je me suis rendue compte que les injustices, elles n'existent pas seulement chez les patients qu'on reçoit, mais aussi chez les étudiants qu'on côtoie tous les jours. Ces injustices-là aussi, au final, elles ont émergé en moi le besoin de faire partie d'associations pour aider les autres étudiants qu'il y a autour de moi.

  • Pascale Lafitte

    C'est quoi les injustices entre internes ?

  • Shabnam

    C'était assez brutal de me rendre compte à quel point la vie d'un interne peut être injuste. C'est les heures de travail qui nous empêchent de faire ce que n'importe quelle personne complète à notre âge devrait pouvoir faire, du sport, des rendez-vous médicaux, des loisirs, voir ses amis, voir sa famille, voyager. Je me suis rendue compte à quel point l'internat est un sacrifice et à quel point... Pour certaines spécialités, c'est plus difficile que pour d'autres.

  • Pascale Lafitte

    Vous, vous avez choisi médecin général ou médecine générale, pardon, d'être médecin généraliste. Donc, c'est l'internat le plus court, si je ne dis pas de bêtises. Et c'est une des raisons pour lesquelles vous avez choisi médecine générale ?

  • Shabnam

    Alors, c'est rentré en compte dans ma réflexion. Mais je me suis aussi dit que j'avais envie de faire de la prévention. c'était une des spécialités où j'ai... on a le plus de temps avec les patients, que le mieux on les suit. Et par contre, je m'étais aussi dit que peut-être, psychologiquement, je ne serais pas capable de supporter certaines hautes spécialités à cause du temps de travail, à cause de la difficulté, de la pression qu'on peut nous mettre pendant les études et même après, la responsabilité que c'est. Tout ça, ça fait partie de nos réflexions quand on choisit une spécialité. Et c'est parfois dommage que l'angoisse de la période d'internat ... nous peinent dans le choix de la spécialité qu'on veut exercer plus tard.

  • Pascale Lafitte

    Dans l'absolu, sinon, vous auriez fait autre chose ?

  • Shabnam

    Je pensais à d'autres spécialités. Je pensais à l'oncologie, je pensais à l'endocrinologie, à la médecine légale aussi.

  • Pascale Lafitte

    Ce vécu de l'interne, vous l'avez découvert en arrivant à l'internat ou vous commenciez à avoir des suspicions avant de passer le concours ? de sixième année.

  • Shabnam

    En fait, on se renseigne tous un petit peu auprès d'internes quand on est encore externe pour savoir quelles spécialités prendre. On va les rencontrer, on passe quelques jours dans leur stage et je me rappelle encore que j'étais allée voir un interne d'oncologie parce que je m'intéressais à sa spécialité qui m'a expliqué à quel point c'était une bonne spécialité mais qu'il allait la quitter, faire un droit au remords parce qu'il ne supportait plus la pression. Donc j'ai compris que en fait, on peut être brillant, on peut être plein d'ambition et... Et ça ne fonctionne pas parce que le système fait que les internes sont parfois broyés.

  • Pascale Lafitte

    Est-ce que vous avez le souvenir de votre premier jour à l'internat, c'est-à-dire cette bascule ? Vous vous souvenez de cette journée-là ?

  • Shabnam

    Oui, je m'en rappelle très bien. J'ai commencé par mon stage aux urgences en plus, celui que j'appréhendais le plus. Je voulais que ce soit fait, je voulais commencer par ça, comme ça c'était fini. Je suis arrivée limite en tremblant, on avait une petite matinée d'accueil. Finalement, les premiers jours se sont bien passés. Mais tout ce que j'avais en tête pendant ces premiers jours, c'est le fait que je ne fasse pas de mal à un malade, le fait que personne ne meure, le fait que j'y arrive. Et heureusement, c'était un stage où on était très bien encadrés, donc ça s'est bien passé. Mais oui, je me rappelle de la prévention, la boule au ventre, le stress en rentrant chez soi le soir, repenser aux patients qu'on a vu la journée.

  • Pascale Lafitte

    Et se demander si on a bien fait. Vous arrivez, vous, à poser les valises quand vous rentrez chez vous ?

  • Shabnam

    Pas du tout. C'est quelque chose que j'apprends à faire au fur et à mesure de chaque stage que je commence. Les deux, trois premiers mois, donc jusqu'à même la moitié des stages en général, je n'arrive pas à couper en rentrant chez moi. C'est problématique, mais je pense que c'est un peu ce que nous apprend l'internat aussi. C'est ce que veulent nous véhiculer nos formateurs. C'est qu'il y a la journée de travail et il y a le à côté où il faut qu'on apprenne à couper complètement.

  • Pascale Lafitte

    Vous pensez que ça s'apprend, ça ?

  • Shabnam

    Alors, ça s'apprend, c'est sûr. Et surtout, il y a des stratégies à mettre en place que peuvent nous apprendre les médecins auprès de qui on se forme. Exemple, pour un médecin généraliste, noter au lendemain ou à la semaine d'après de rappeler tel ou tel patient quand on sait que ça va nous tourner dans la tête toute la semaine si on ne le fait pas. À partir du moment où on a posé par écrit quelque chose, ça nous évite d'y repenser. C'est posé là, on va rappeler tel patient, on prendra des nouvelles. Et je l'ai testé, ça fonctionne. On peut aussi laisser des notes à nos collègues, par exemple quand on part trois jours du cabinet. Noter à notre collègue de vérifier telle ou telle information. On sait qu'on a partagé et qu'on ne va plus y penser et que quelqu'un d'autre a ça entre les mains. Mais ce sont des stratégies qui sont différentes en fonction du lieu d'exercice et de la spécialité. Ça fait partie de ce qu'on doit apprendre pendant l'internat.

  • Pascale Lafitte

    Mais ça c'est une transmission de médecin d'interne à interne ou de chef à interne, c'est pas dans un manuel d'apprentissage de la médecine ?

  • Shabnam

    Non, je ne l'ai jamais lu moi dans un manuel d'apprentissage de la médecine, c'est plutôt un partage d'expérience. D'interne à interne aussi, c'est vrai. On s'aide beaucoup, on discute beaucoup entre internes de ce qu'on vit en stage. Et ces techniques, ça fait partie de ce qu'on partage.

  • Pascale Lafitte

    Ces patients que vous n'arrivez pas à lâcher, qui sont chez vous, qui vous suivent après le travail, ces patients sur lesquels, soit les cas sont graves, soit vous avez peur, vous, de passer à côté de quelque chose, vous avez peut-être... On a déjà parlé avec vos collègues du syndrome de l'imposteur qu'on a au début. dans ce métier, est-ce que ça en fait partie, de ce sentiment-là ?

  • Shabnam

    En fait, oui, c'est de la peur qu'il arrive quelque chose à la personne parce qu'on a oublié de poser telle ou telle question. Et c'est vrai, on a tous oublié de poser des questions dans notre intégratoire. Personne n'est complètement exhaustif. Donc oui, on repense à ce qu'on aurait dû leur demander, ce qu'on aurait dû leur prescrire ou ne pas leur prescrire, ce qu'on aurait dû revérifier deux fois sur la prise de sang. Finalement, ça arrive rarement. Parce qu'on a des tocs de vérification, on demande à tel collègue de checker la bio au cabinet pour nous, pour vérifier la qualité de tel patient, mais finalement ça arrive rarement qu'on se soit trompé. Et je pense qu'à force aussi de réaliser qu'il arrive peu de drames, même si c'est ce qu'on n'arrive pas par notre faute. Ça nous fait prendre en confiance. Et puis cette confiance, elle est cassée à chaque fois qu'il se passe quelque chose. Par contre, à chaque fois qu'on nous explique qu'on a fait une erreur, il faut la reconstruire, cette confiance. Et ça, malheureusement, ça ne concerne pas que les internes. C'est les médecins eux-mêmes, les docteurs qui en font les frais. Là,

  • Pascale Lafitte

    sur cette confiance et sur la résilience sur l'erreur, ça aussi, c'est quelque chose que vous aviez anticipé avant de faire cet internat ?

  • Shabnam

    Pas vraiment. En fait, avant de commencer médecine, j'avais toujours des bonnes notes partout. J'arrivais à prendre par cœur mes cours. Et même la première année, le concours, c'était un peu ça. C'était pas mal du par cœur et des maths, des choses, on va dire une science exacte. Et puis on est arrivé interne et on se rend compte que la médecine, ce n'est pas toujours exact. Les patients ne disent pas toujours tout. On n'arrive pas toujours à être exhaustif. On manque de temps, on manque d'énergie, on manque de concentration. Parfois, quand on vient de finir, quand on est à la 23e heure de notre garde. Non, on ne peut pas anticiper ça. Et on ne peut pas anticiper la manière dont on va réagir. Mais on peut analyser ces sentiments-là, on peut en discuter, on peut trouver des techniques pour les dompter, ces sentiments.

  • Pascale Lafitte

    Il y a beaucoup de techniques, finalement, qui peuvent être transmises et auxquelles tous les internes n'accèdent pas, parce qu'il faut tomber sur la personne qui transmet ces techniques. Mais en vous écoutant, j'ai le sentiment qu'il y en a, des techniques.

  • Shabnam

    Des techniques, il y en a. Chacun a trouvé un peu celle qui lui corresponde au fur et à mesure des mois de pratique. Mais je regrette qu'on ne passe pas plus de temps à partager ces techniques entre nous, entre internes, rien que ça. Parce que quand on se réunit, on parle de nos cas. Oui, on parle de médecine beaucoup au final. Mais finalement, on ne parle peut-être pas assez de ce qu'on a réussi à mettre en place pour gérer nos émotions, pour gérer notre stress. C'est dommage, mais on va finir par y arriver, à instaurer ça en cours. Nous, en médias, on a pas mal de cours à la fac. Je pense que ça devrait faire partie de nos enseignements, se réunir et partager nos techniques.

  • Pascale Lafitte

    Avec Shabnam, nous avons aussi parlé de l'évolution du métier au fil des générations.

  • Shabnam

    Alors, tout a changé. Le nombre de patients augmente, l'âge des patients augmente, le nombre de médecins. diminue. Les médecins maintenant stagnent, on va dire. Les médecins ont des priorités et des pratiques qui ne sont pas les mêmes qu'à l'époque. De toute façon, qu'on le veuille ou non, il y a une pression sur le nombre de patients à avoir. Et ça réduit le temps et l'énergie qu'on peut accorder à nos patients. Si on parle de médecine générale, c'est juste la quantité de patients qui impose qu'on doit diminuer notre temps de consultation. Il y a quand même certains stages hospitaliers où il y a aussi une pression par la hiérarchie pour voir un tel nombre de patients en un tel temps. Donc, c'est un peu partout, en fait. Cette pression, on se la met soi-même. Les conditions de travail dans certains hôpitaux, il y a aussi juste l'augmentation du nombre de patients et le vieillissement de la population qui nous la met aussi.

  • Pascale Lafitte

    Vous voulez être un médecin plus tard des villes ou un médecin des champs ?

  • Shabnam

    Ça dépend. En fait, je vais dire quelque chose, c'est peut-être très cliché, mais c'est vrai. Je vais choisir où je travaille en fonction de où mon conjoint trouvera un emploi. sachant qu'il a une spécialité qui s'exerce principalement en CHU. Je ne me vois pas travailler trop loin du CHU et donc de mon lieu de vie. En revanche, j'aimerais beaucoup travailler auprès des personnes en situation de précarité et ça se peut que ce soit finalement dans un petit désert médical proche de la ville.

  • Pascale Lafitte

    Vous n'avez jamais pensé à faire de l'humanitaire ? Ça fait partie des choses qui ont trotté dans votre tête ?

  • Shabnam

    Ça dépend ce qu'on entend par humanitaire. Une structure qui m'intéresse énormément, ce serait Médecins du Monde. C'est une forme de consultation bénévole auprès de patients souvent qui n'ont pas de droit.

  • Pascale Lafitte

    Ça ne veut pas dire forcément Médecins du Monde parcourir le monde ?

  • Shabnam

    Non, je ne me vois pas aller faire des missions à l'étranger, en tout cas pas tout de suite, mais il y a déjà des besoins sur notre territoire auprès de ces patients-là. Donc, travailler dans ces structures, ça m'intéresse beaucoup.

  • Pascale Lafitte

    "Interne en médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération". Shabnam a été présidente du syndicat des internes de Nice. Elle est aujourd'hui chargée de mission à l'ISNI. Elle a un mari, elle l'a évoqué. Elle fait des gardes, comme tout bon interne. Bref, comme une évidence, nous en sommes venus à évoquer son emploi du temps surchargé, particulièrement depuis son investissement syndical.

  • Shabnam

    C'était très compliqué au début. Quand je suis arrivée à la présidence du syndicat local, c'est quelque chose que je voulais faire. Je n'avais pas encore l'idée de à quel point ce serait chronophage et même difficile moralement.

  • Pascale Lafitte

    C'est quoi ce difficile moralement ?

  • Shabnam

    En fait, un de nos rôles en tant que représentant des internes au local, c'est de recueillir les difficultés qui sont ressenties par les internes. On n'est pas leur psychiatre, on n'a pas de responsabilité de leur santé mentale ou de leur santé tout court. Mais par contre, on recueille énormément de témoignages et on doit faire avec. Et on sait que c'est des situations qui ne vont pas se régler du jour au lendemain. C'est dur de recevoir tout ça. C'est dur de recevoir tous ces témoignages et de savoir quoi en faire.

  • Pascale Lafitte

    Oui, c'est ça. C'est quand on a les témoignages, qu'est-ce qu'on en fait ? Est-ce qu'on les garde comme un poids ? Ça, c'est pas possible. Donc, comment on fait pour les poser, les traiter, les comprendre, aider la personne, mais sans qu'ils vous encombrent ?

  • Shabnam

    C'est ça, en fait. Tout ça, ça s'apprend aussi, malheureusement, au fur et à mesure. On est aidé de ceux qui ont été représentants avant nous et ceux qui le font dans d'autres villes. Le tout, c'est de connaître bien les différentes structures qui composent nos institutions, les différents interlocuteurs qu'on a. Chaque situation est différente. et pourtant... Dans chaque situation qui est recueillie, on se rend compte qu'il y a un petit peu de tout. Il y a la situation personnelle de l'interne, il y a son stage, il y a ses co-internes, il y a ses supérieurs, il y a tout qui se mélange. Et nous, on doit faire la part des choses pour savoir comment l'aider sur un peu tous les plans. On a quand même réussi à aider pas mal d'internes, je pense, c'est ce qu'ils nous ont dit en tout cas. Sauf qu'on se rend compte que là où on est limité, c'est de faire changer. les choses qui sont profondément ancrées dans certains services. Je vous donne un exemple concret. Les systèmes d'astreinte des internes, ils doivent être joignables toute la nuit et se déplacer si besoin pour aller voir tel ou tel patient.

  • Pascale Lafitte

    Tout en n'étant pas de garde ?

  • Shabnam

    Non, donc ce n'est pas un système de garde. On n'est pas sur place, on est chez nous. Normalement, suite à un déplacement en astreinte, après le dernier déplacement, on est censé avoir un repos de sécurité. comme on est censé avoir après une garde. Sauf qu'on va dire que certains services ne fonctionnent pas comme ça depuis des années. Le même interne va être d'astreinte 4 nuits d'affilée, sans repos de sécurité après son astreinte, parce que personne n'en prend, on met un petit peu la pression pour ne pas en prendre. Donc ça veut dire qu'il va travailler nuit et jour pendant 5 jours. Ça, ça existe dans certains services et c'est partout en France. Et quand c'est ancré et quand ça arrange certains internes et qu'au final, il y en a un ou deux qui vont être mal, qui ne vont pas supporter ce système-là, il faut changer le tout, il faut rappeler la loi, il faut que tout le monde accepte de changer les choses qui sont pourtant faites depuis des années. Et ça, on n'y arrive pas forcément du jour au lendemain, malheureusement.

  • Pascale Lafitte

    La loi, les hôpitaux la connaissent ?

  • Shabnam

    Les hôpitaux connaissent la loi, mais ce n'est pas respecté, en fait. La loi, ils la connaissent, et pas seulement ils la connaissent. En tant que représentant, on la rappelle. C'est juste qu'à partir du moment où on n'est pas en train de gratter en permanence et les internes ne nous rapportent pas ce qui se passe réellement dans les services, la loi ne sera pas respectée. Parce qu'il y a un besoin de permanence de soins qui fait que tant qu'on peut exploiter les personnes qui sont présentes, on continuera à les exploiter.

  • Pascale Lafitte

    En fait, ce qu'on comprend quand on vous écoute, c'est que les internes ont une charge de travail et une responsabilité énorme.

  • Shabnam

    Alors oui, les médecins à l'hôpital et même en ville de manière générale ont une responsabilité énorme. Les internes sont en apprentissage, ils découvrent comme une claque cette responsabilité-là. Ils ont une charge, en plus du stress d'être interne, de découvrir cette responsabilité-là. Ils ont des horaires de travail qui sont trop importants. Et tout ça, c'est trop lourd à porter, en fait. C'est beaucoup trop lourd pour un interne de se prendre cette claque.

  • Pascale Lafitte

    Ce que j'oublie parfois de rappeler, c'est qu'ils ont plus cette année-là des cours. Les années d'internat, il y a des cours. Il y a une inscription à l'université. Et il y a aussi une thèse à préparer. Tout ça, c'est ample. plus de tout le reste.

  • Shabnam

    On parlait tout à l'heure de couper par rapport à nos patients. En fait, des fois, on aimerait juste couper par rapport à notre cursus, par rapport à nos études. Et avec tout ça en permanence dans notre tête, la thèse a préparé les cours à rendre, les formations auxquelles on doit assister, les masters ou les DU que nous ont fortement suggérés, voire ordonnés de faire nos supérieurs. Des cours de spécialité qu'on doit faire dans telle ou telle ville à nos propres frais, parce que les internes doivent payer leur déplacement pour aller se former alors que le cours est obligatoire dans une autre ville. Le logement qu'on doit payer, franchement, c'est un tout, c'est très difficile et je pense que c'est ça qui m'a pesée en tant que représentante, c'est qu'on n'a pas du tout les moyens de travailler, de changer les choses sur tous les plans. Pourtant, chaque interne qu'on a aidé ne serait sur qu'un de ces plans été profondément reconnaissant.

  • Pascale Lafitte

    Et pourtant, vous continuez. Alors, vous avez rejoint l'ISNI, donc au niveau national, et vous travaillez, vous êtes chargée de mission, et vous travaillez sur le temps de travail des internes. Vous réalisez une enquête, c'est ça ?

  • Shabnam

    Vous l'aurez compris, le temps de travail des internes, c'est un sujet qui me tient pas mal à cœur.

  • Pascale Lafitte

    Je vous interromps et je vous redonne la parole… mais je pense que c'est un sujet qui tient aussi à cœur à tous les internes. Quand on entend les nombres d'heures et les récits, on se dit que le temps de travail, que la fatigue, que les gardes, qu'apprendre à récupérer, se retrouver au bout, au bout, au bout de la fatigue et pourtant se lever le matin encore, c'est un vrai subjet.

  • Shabnam

    Oui, j'ai envie de dire, si les patients savaient que leur médecin n'a pas dormi depuis 48 heures, Je pense qu'il se liguerait à nos côtés pour combattre le... C'est le système. Mais oui, j'ai décidé de rejoindre un temps de chargé de mission Lysini. Ça peut être considéré comme une enquête, ce que je fais, mais c'est plutôt un suivi de comment, dans les différentes villes de France, sera mis en place un outil de décompte du temps de travail fiable pour les internes. On se bat pour ça, on se bat pour que les outils de décompte existent et pour que la loi soit appliquée. Donc qu'on puisse arriver à 8h30, partir peut-être à 20h, 3 jours d'affilée, mais savoir que ces heures qu'on a faites seront rattrapées comme l'exige la loi. Et savoir aussi qu'on va avoir un temps dédié sur la semaine ou sur le mois pour notre formation personnelle. Parce que vous l'avez dit, on a des thèses, on a des cours, on a des envies de réviser certains sujets. C'est pas juste que ce soit notre temps libre du soir ou du week-end, on est censé pouvoir s'occuper de nous, qu'il soit dédié à ça. Donc normalement la loi exige un temps de formation personnelle.

  • Pascale Lafitte

    Une loi stipule que le temps de travail des internes ne doit pas dépasser 48 heures par semaine. Lorsqu'un interne dépasse ce temps-là, il peut rattraper ses heures à un autre moment. Il a donc droit à du repos. Les lois existent, mais les outils de décompte du temps de travail peinent à se mettre en place. Et donc, sans décompte fiable, pas de respect de la loi. Nous avons déjà évoqué ce sujet, mais il n'est pas inutile de revenir dessus. Ainsi donc... le 20 février 2025, le tribunal administratif de Poitiers a enjoint le CHU de Poitiers de se doter, avant l'été de cette même année, d'un logiciel fiable, objectif et accessible, permettant de décompter le nombre journalier d'heures de travail effectuées par chaque interne. Une décision faisant suite à un recours déposé entre autres par l'ISNI. Je rajouterai que le CHU de Poitiers... a fait appel de cette décision et que l'affaire est désormais portée devant la cour administrative d'appel. On va laisser faire la justice, évidemment. Mais à titre perso, et ce podcast est et reste perso, si j'étais CHU, je me cacherais dans un trou de souris. Je rappelle qu'aujourd'hui, les actions se poursuivent et que de nombreux centres hospitaliers universitaires en France sont appelés à mettre en place des systèmes fiables. de décompte du temps de travail des internes. Ça, dans l'intérêt des internes, nous l'avons compris, et par conséquent, aussi des patients et du bon fonctionnement du système de santé. Shabnam, c'est le calme avant la tempête. Et il m'est arrivé avec elle une chose que je n'avais pas vue venir. À la fin de notre entretien, je la sentais désorientée, insatisfaite. Alors je lui ai demandé ce qui l'a chagriné. Elle m'a répondu « avoir encore des choses à dire » . Alors, j'ai remis mon enregistreur en marche, un peu vite, car j'ai oublié, vous allez l'entendre, de brancher un des deux micros. Mais bon, on entend tout de même bien Shabnam, qui après nous avoir parlé de sa position auprès des patients, de la fin de son internat et de sa mission auprès de l'ISNI, voulait nous confier... son désarroi et cette peur qu'en fait, tout ça n'est servi à rien.

  • Shabnam

    En fait, oui. Je sais que sur le coup, pendant l'année où j'étais là, on a fait des choses. Et je sais que chaque année, les syndicats se battent pour faire des choses. Mais au long terme, on a quand même ce sentiment que tant qu'il n'y a pas une prise de conscience de la part de certains internes, il n'y a pas une solidarité qui se met en place, le fond, rien ne va changer. J'étais... Vraiment chagrinée pendant tout mon mandat de voir à quel point dans un service, dans un pool d'internes, un groupe d'internes, il y avait parfois un manque de solidarité ou de considération les uns envers les autres. Il y avait un ou deux internes qui souffraient pourtant, qui souffraient d'un système qui est profondément injuste envers eux, qui est illégal. Et pourtant les autres internes refusaient de s'allier à eux pour protester. On avait des vieux internes si près du but. qui n'avaient pas envie de gâcher tout ce qu'ils ont fait et qui du coup ne disaient rien, des jeunes internes qui viennent d'arriver et qui ont trop peur de donner une mauvaise image d'eux à peine arrivés. Il y a des internes qui ne se rendent même pas compte du système dans lequel ils travaillent parce qu'en fait ils se sont mis à penser comme on leur a demandé de penser, rentrer dans le moule en fait. Et au milieu de tout ça, il y a des internes qui empathisent et qui se sentent profondément seuls. Et voilà, j'ai une crainte que tant qu'il y aura ça, ce manque de solidarité dans certains services, certaines spécialités, rien ne changera au long terme.

  • Pascale Lafitte

    Alors ce que j'entends dans ce que vous dites, c'est que le nœud du problème, il est dans ce noyau de 30 000 internes dans lesquels il y a mille façons de voir le métier et puis peut-être de serrer les dents. Parce qu'il n'y en a pas un qui ne dise pas que les gardes, c'est... que c'est lourd, que les horaires, il y en a beaucoup, mais tous voient différemment la finalité de ces 3, 4, 5, voire 6 années d'internat.

  • Shabnam

    En fait, oui, c'est ça, c'est qu'il y a un sentiment, quelque chose qui est profondément ancré chez certains internes, qui fait que les choses risquent de ne pas bouger, en tout cas pas à la vitesse qu'on voudrait.

  • Pascale Lafitte

    C'est quelque chose de très profond à vous, cette inquiétude. C'est quelque chose... On parlait de... On a parlé de poser les valises par rapport à vos patients, mais en fait, votre plus gros fardeau aujourd'hui, c'est celui-là, non ?

  • Shabnam

    Alors oui, mais je me retrouve à être devenue moi-même un peu fataliste par moments. En fait, le bilan de mon année de mandat, c'est qu'on part utopiste, qu'on fait tout pour... qu'on donne tout, en fait, pour faire changer les choses. Et que quand on prend un petit peu de recul et qu'on fait l'analyse de ce qui concrètement a changé, on se rend compte que tant que les internes ne s'allient pas complètement, on n'aura pas le renversement qu'on souhaiterait qu'il y ait. Et ça, le fond de mon pessimisme, c'est que j'aimerais une solidarité totale dans la lutte. Et je sais qu'on la trouvera jamais. Merci à Shabnam pour sa sincérité. Pour accompagner le podcast, pour lui donner un peu plus de visibilité, il y a le compte Instagram. Alors, ce n'est pas simple, mais je suis sûre que vous allez y arriver. C'est interne-en-medicine-podcast. Interne-en-medicine-podcast. Auquel vous pouvez vous abonner. Quant au podcast, vous l'écoutez sur votre plateforme habituelle. sans oublier d'activer les notifications pour être tenu au courant des nouveaux épisodes, nouveaux entretiens et nouvelles rencontres en ligne. Je vous remercie et j'espère vous retrouver vite pour un prochain épisode d'Internes en médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération.

Chapters

  • Introduction au podcast et présentation de l'invitée

    00:09

  • Shabnam parle de son choix de devenir médecin

    00:26

  • L'engagement de Shabnam face aux injustices sociales

    00:47

  • La relation médecin-patient et l'accès aux soins

    01:38

  • Les injustices vécues par les internes en médecine

    04:09

  • Choix de spécialité et réflexions sur l'internat

    05:07

  • Premiers jours à l'internat et gestion du stress

    07:01

  • La peur de l'erreur et le syndrome de l'imposteur

    10:06

  • L'évolution du métier de médecin au fil des générations

    13:49

  • Les défis du temps de travail des internes

    22:08

  • Conclusion et réflexions finales de Shabnam

    26:10

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