- Gaspard, réanimateur médical
Bonjour et bienvenue, nous nous retrouvons pour un nouvel épisode d'Interne en médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération, une série de rencontres et de conversations avec des internes en médecine. Aujourd'hui, nous allons rencontrer Gaspard, un interne au parcours sinueux. Alors moi j'ai choisi initialement la neurologie à Paris, qui était la spécialité que j'avais toujours plus ou moins voulu faire. Puis après, pendant mon parcours, mes deux premières années, je me suis posé la question de savoir si je voulais plutôt m'orienter vers les soins aigus en neurologie, donc quelque chose d'un peu plus intense, un peu plus critique dans la prise en charge des patients. Et en France, l'organisation de la neurologie était un peu complexe pour faire ça. Et du coup, il y a un stage en réanimation médicale à Bichat que j'ai beaucoup apprécié, où j'ai pu rencontrer notamment des neurologues qui étaient devenus réanimateurs. De fil en aiguille, j'ai pensé que c'était la meilleure chose pour moi après avoir rencontré pas mal de gens. Du coup, je me suis réorienté vers la réanimation médicale pour pouvoir faire de la réanimation neurologique. Et c'est ce que je fais aujourd'hui.
- Pascale Lafitte
Quand tu dis réorienté, tu as fait ce qu'on appelle un droit au remords ?
- Gaspard, réanimateur médical
Exactement. J'ai fait le fameux droit au remords dont on parle pas mal. On est pas mal à avoir réfléchi à ça et au final, on est plus que ce que je pensais à l'avoir fait.
- Pascale Lafitte
Ça te fait perdre des années ou tu gardes tout ce que tu as fait avant ?
- Gaspard, réanimateur médical
Non, non, ça c'était plutôt cool. C'est que j'ai réfléchi à ça, je pense que je ne l'aurais pas fait quand même si j'avais perdu des années. Le parcours de la réanimation médicale est assez vaste. Et en fait, j'ai fait un internat comme si j'avais fait ce parcours initialement. Donc, je n'ai rien perdu et je continue comme ce qu'aurait fait un interne en réanimation médicale classique. Donc ça, c'était plutôt positif et ça ne m'a rien fait perdre.
- Pascale Lafitte
Gaspard a donc initialement choisi la neurologie. Et puis, s'est ensuite orienté vers la réanimation neurologique. Il a exercé, vous l'avez entendu, un droit au remords, soit une possibilité offerte aux internes de changer de spécialité, mais sous certaines conditions strictes. Le droit au remords doit être exercé entre 1 et 2 ans après le début de l'internat. Il dépend des postes disponibles. L'interne est censée redémarrer au début de la phase socle de son nouveau choix. Il faut savoir que certaines spécialités partagent des stages de formation commune, ce qui permet de valider des années déjà effectuées. Et Gaspard, vous l'avez entendu, en a bénéficié. Il faut savoir aussi que la décision finale ne dépend pas d'une règle unique, mais de l'évaluation du coordinateur local et national de la nouvelle spécialité. Ce que précise l'ARS, l'Agence régionale de santé, c'est que les étudiants ne sont autorisés à exercer leur droit au remords au cours de leur internat, dans la subdivision d'affectation, au plus tard lors de leur quatrième semestre d'internat, et qu'ils doivent être classés dans la nouvelle spécialité choisie avant le dernier candidat du même concours affecté dans cette spécialité au niveau de la subdivision. Revenons à Gaspard, à ses choix, ses doutes, ses questionnements, ses décisions. réfléchies, pondérées et aussi questions récurrentes aux raisons pour lesquelles il a décidé de suivre des études de médecine.
- Gaspard, réanimateur médical
J'ai toujours voulu faire ça, je crois. On m'a toujours dit que j'avais voulu faire ça, et je crois que j'ai toujours voulu faire ça. J'ai un grand-père qui est médecin. C'est le seul de ma famille, mais j'ai toujours eu une filiation très importante avec lui. Et même si lui, il ne voulait pas que je fasse ça.
- Pascale Lafitte
Il t'avait dit pourquoi ?
- Gaspard, réanimateur médical
Trop dur, une espérance d'un métier dévalorisé. dans lequel on ne gagne pas assez d'argent, le travail à l'assistance publique, c'est donner une partie de sa vie sans forcément un retour, en contrepartie, alors que finalement, quand il racontait toute sa vie et tout ce qu'il avait pu faire dans son métier, ça donnait quand même beaucoup plus envie que faire d'autres choses.
- Pascale Lafitte
Qu'est-ce qu'il faisait, lui, comme spécialité ?
- Gaspard, réanimateur médical
Lui était néphrologue, il a travaillé dans les premières équipes de dialyse et de transplantation rénale en France, avec les grands pionniers en France dans les années 50-60. Il a pu voir les premières greffes, il est allé aux Etats-Unis, il a vu les premières dialyses en Hollande, il a travaillé avec les grands néphrologues et transplanteurs de son temps en Burgé, etc. Et du coup, il a pu participer à cette aventure, et c'est vraiment une aventure de médecine comme on en connaît un peu moins aujourd'hui. Et c'est ça aussi qui m'avait orienté vers la neurologie, un peu le nouveau monde de la neurologie. Le cerveau, cet organe qui est un peu insaisissable. Et donc c'est ça qui m'a globalement donné envie, en plus d'un attrait pour la science globalement que j'ai toujours eu. Je pense qu'il y a une partie de moi qui a voulu faire comme lui. Même si de toute façon, en plus, j'ai pris un chemin totalement différent dans la pratique de la médecine que je veux que je fasse. je ferai plus tard. Mais lui, c'était de la recherche fondamentale, sans règles, sans foi ni loi. Et c'était le cheval Kiki qu'ils avaient et qui produisait le sérum contre les lymphocytes pour prévenir la greffe rénale.
- Pascale Lafitte
Le cheval qui appartenait à ton grand-père ?
- Gaspard, réanimateur médical
Qui appartenait au service, oui.
- Pascale Lafitte
Au service ? C'est pas vrai.
- Gaspard, réanimateur médical
Oui, c'est ça. C'était les lames de singes. Bon, c'est sûr que ce n'est pas très moderne aujourd'hui de parler de ça. Il y avait moins de règles sur la protection animale. Mais dans la voiture de ma grand-mère qui racontait qu'elle retrouvait dans la boîte à gants les lames de foie, pardon, de reins de singe qui avaient été colorés par mon grand-père le dimanche, qui travaillait sur les rejets de greffe, etc. Donc c'était vraiment une aventure.
- Pascale Lafitte
Et ton grand-père est encore en vie ?
- Gaspard, réanimateur médical
Non, malheureusement, il n'est pas en vie.
- Pascale Lafitte
Et il sait qu'il est parti avant ? Avant que tu fasses ton choix de médecine ou il savait que tu allais faire médecine ?
- Gaspard, réanimateur médical
Non, heureusement, il a vécu jusqu'à la sixième année. Donc, il savait que j'allais être médecin. Il était quand même content au final. Il était assez heureux.
- Pascale Lafitte
Et maintenant ? Tu n'es même plus dans un service d'internat parce que tu as encore fait un autre choix. Tu as décidé de faire une césure et de faire d'autres études.
- Gaspard, réanimateur médical
J'ai décidé, ce que font plutôt pas mal d'internes, de faire une pause d'un an, qu'on a le droit de faire pendant l'internat, on a le droit à trois ans au total, et un an pour faire de la recherche, et pour faire un master 2, pour faire de l'épidémiologie clinique, et pour pouvoir me rapprocher du monde de la recherche, et pouvoir essayer de faire ça plus tard. Enfin, si c'est possible, et si j'aime ça, c'est surtout pour voir, pour faire une pause, pour rencontrer des gens qui viennent d'univers un peu différents, et pour apprendre de nouvelles techniques, de nouvelles compétences.
- Pascale Lafitte
Je ne savais pas que ça se faisait si fréquemment et tu me laisses entendre que c'est quelque chose qui se fait. Je pensais qu'on faisait une césure plutôt en fin d'études, pour faire un petit break, se remettre d'aplomb avant de plonger dans le grand bain.
- Gaspard, réanimateur médical
Oui, moi j'ai fait ça assez tôt parce que j'ai eu l'opportunité de le faire et que j'ai rencontré les bonnes personnes et qu'ils m'ont proposé les projets que je voulais entreprendre. C'est sûr qu'à mon âge, les gens sont assez étonnés à chaque fois quand je leur dis que je suis en césure. juste après le quatrième semestre de l'internat. Mais c'est quelque chose qu'en fait pas mal d'internes font et les gens sont contents de faire autre chose, rencontrer d'autres gens, de s'éloigner un peu de la clinique et pour pouvoir après y retourner. Et surtout, on apprend des choses qui nous permettent d'améliorer notre pratique et d'un peu prendre du recul sur ce qu'on voit tous les jours parce qu'on a quand même un peu la tête baissée dans ce qu'on fait. Donc ça, c'est quand même un point positif. Et au final, je crois qu'en tout cas, dans les spécialités médicales et chirurgicales, Il y a quand même pas mal de gens qui font ce M2 en recherche. Il y a aussi pas mal en médecine générale, des gens qui vont essayer d'implémenter de la recherche dans la pratique quotidienne en médecine de ville.
- Pascale Lafitte
Tu penses que tu auras un autre regard quand tu vas revenir avec tes patients ?
- Gaspard, réanimateur médical
Alors ça, c'est une question que j'ai pu me poser du coup grâce aux cours que j'ai eus et notamment grâce à toute une partie qui se développe en médecine de plus en plus sur la place du patient dans la prise en charge. Et il y a tout un mouvement depuis une dizaine d'années, qu'on n'apprend pas pendant les études de médecine, c'est sur l'implication directement des patients dans la recherche. C'est-à-dire que maintenant, dans les grands mouvements de recherche, on demande aux patients de demander quelles sont les questions auxquelles ils pensent que sont les plus intéressantes de se poser, et pas uniquement des questions purement médicales, de choses qui sont très subjectives et qui parlent à des médecins mais qui ne parlent pas à des patients. Parfois, on se rend compte qu'on se questionne sur des choses mais qui n'ont aucun impact sur la vie future des gens. Et du coup, maintenant, les patients sont de plus en plus impliqués dans les protocoles globaux de recherche. Et on leur demande de donner leur avis et d'être impliqués dans la question de recherche. Et ça, c'est quelque chose qui nous permet, quand on retourne voir des patients, par exemple en garde, de se dire, ah, mais est-ce que ce qu'on va faire, est-ce que c'est juste pour traiter une valeur numérique ou une valeur biologique ou un examen d'imagerie ? Est-ce que ça apporte vraiment quelque chose aux patients plus tard ? Merci. Le plus important, ce n'est pas qu'il puisse reparler à sa famille, marcher, reprendre sa vie d'avant. Et donc ça, c'est assez important et on essaie de nous l'inculquer surtout dans le master que je fais. Et d'ailleurs, à l'international, en fait, maintenant, ça devient presque obligatoire. Et les meilleures équipes sont obligées d'implémenter ça. Même les grandes entreprises pharmaceutiques, ils sont obligés un peu de suivre ce mouvement pour pouvoir garder, être à la page. Donc ça pose aussi d'autres questions, c'est de savoir est-ce que... Le point de vue des patients est parfois même un peu biaisé. Savoir si certains patients, qui sont souvent ceux qui viennent des associations, est-ce qu'ils répondent vraiment à la question globale de ce que voudrait une population ? Parce que c'est des décisions après médicales qui se prennent au niveau des administrations des pays. Du coup, c'est des questions importantes parce qu'une grosse étude peut changer la prise en charge globale de beaucoup de gens dans des maladies chroniques, des maladies qui toussent beaucoup. qui touche beaucoup de personnes. Donc c'est quand même un changement de paradigme qui est en train de se mettre en place dans la recherche clinique, en tout cas dans ce que je suis en train d'étudier. Donc c'est vraiment intéressant de voir qu'on est moins patriarcal, on est moins dans la vision du médecin-chef qui se dit... je suis content, j'ai réussi à faire ma prothèse de hanche. Alors, est-ce que c'est ça qui est important ou c'est plutôt juste que le patient à qui on a fait une prothèse de hanche, est-ce qu'il est capable de marcher 100 mètres, retourner au parc pour promener son chien ou juste que la prothèse de hanche ait marché pour le chirurgien ? Donc voilà, tout un ensemble de choses qui permet de se reposer des questions au lit du malade différemment.
- Pascale Lafitte
Tu fais encore des gardes, avec toutes tes études, c'est pour ne pas quitter les passions, c'est parce que c'est aussi ta seule source de revenus, c'est pour quelles raisons que tu fais encore des gardes ?
- Gaspard, réanimateur médical
Pour deux raisons, c'est pour la source de revenus, même si j'ai de la chance d'avoir une bourse qui est plutôt... pas si mal doté.
- Pascale Lafitte
Bourse que tu as eu pour cette césure, pour faire de la recherche, ou bourse que tu avais avant ?
- Gaspard, réanimateur médical
Oui, exactement. C'est la bourse de l'agence régionale de santé. On a pas mal d'internes pour faire leur M2, demandent cette bourse-là. On est d'ailleurs, je crois, quasiment tous à l'avoir eu. Donc ça, c'est quand même quelque chose de très positif. Donc on garde un salaire tous les mois, mais qui n'est pas mirobolant, mais qui est finalement celui d'un interne de notre âge si on avait continué l'internat. Continuer des gardes, ça permet de garder une source de revenus supplémentaires, mais c'est surtout aussi pour rester dans les services et pour garder un peu la main, parce qu'en fait, on se rend compte qu'on perd très très très vite. Les choses évoluent tellement vite et le fait de ne plus aller à l'hôpital tous les jours, il y a les automatismes qui se perdent, alors ça revient, mais je trouve que c'est quand même pas mal de se remettre en difficulté devant le patient, parce qu'on se rend compte que rester dans un bureau devant un ordinateur, ça ne permet pas de soigner les gens et il faut quand même rester, rester dans la chambre du patient parce que sinon, on a du mal.
- Pascale Lafitte
C'est quoi se mettre en difficulté devant un patient ?
- Gaspard, réanimateur médical
C'est arriver devant une situation où on n'a pas de réponse, une urgence. C'est de se dire, est-ce qu'on prend le bon choix ? Et donc là, il y a les réflexes qui se mettent en place. Quand on n'en a pas fait pendant un moment, on se repose des questions sur des choses bêtes, mais qui sont, comme on dit, sous-corticales pour un médecin qui continue sa pratique. C'est savoir quels médicaments en urgence administrés. C'est savoir les premiers signes qui vont nous orienter vers, je ne sais pas, une infection ou vers une urgence dite métabolique, donc un ion qui ne va pas dans le sang, etc. Et ça, c'est des automatismes qu'on perd très rapidement. Alors, c'est comme le vélo, ça revient vite, mais finalement, je pense que les gens qui vont faire de la recherche clinique et qui perdent la clinique vont moins bien faire de la recherche parce que, comme ce qu'on disait avant, ils ne verront pas le patient et ils ne verront pas comment les gens évoluent. Et en fait, rien qu'en trois mois, on perd déjà énormément. Donc c'est quand même pas mal de pouvoir continuer à faire ça.
- Pascale Lafitte
Le M2, dont parle Gaspard, ou Master 2 Recherche, est un apprentissage de niveau Bac plus 5 qui permet aux étudiants en médecine d'acquérir une formation approfondie en recherche fondamentale clinique ou translationnelle. Sont éligibles au M2 les internes à partir de leur deuxième année d'internat ayant un projet de recherche, Master 2 ou doctorat de sciences. Le montant brut annuel de la bourse, donc de la rémunération des internes, effectuant une année de recherche, est de 27 596 euros. Ils ont la possibilité de compléter leurs revenus, nous l'avons entendu, en faisant des gardes ou astreintes, mais aussi de faire des demandes d'autres bourses, notamment auprès des sociétés savantes, qui sont précieuses et qui sont multiples aussi, cardio, anesthésie, réanimation, neurologie, dermatologie, en fait, elles couvrent tous les domaines de la médecine. Petit retour dans le temps avec Gaspard, à qui j'ai demandé de nous raconter sa première journée d'internat en neurologie.
- Gaspard, réanimateur médical
C'était à Créteil, à Mondor. Première journée finalement où il ne se passe pas grand chose. On a des grandes réunions, on nous explique qu'il faut se laver les mains et enlever les montres. C'est ça, c'est un peu ça. Après, j'ai eu beaucoup de chance pendant mon internat. Je ne vais pas m'apitoyer sur mon sort. J'ai toujours été dans des services où on a été très bien traités. Et dans mon premier service, les premières journées, on était aidés. Les chefs les plus vieux étaient au support, les chefs de clinique. Franchement, on a été bien aidés pour rentrer dans le jeu un peu. J'ai des co-internes qui l'ont moins bien vécu que moi. Moi, je l'ai plutôt bien vécu.
- Pascale Lafitte
Il n'y a pas d'angoisse à se retrouver comme un grand, à devoir faire tout seul une ordonnance, prendre des décisions ?
- Gaspard, réanimateur médical
Les premières angoisses, et là, c'était un peu plus dur quand même. C'était les premières gardes. Ils nous ont fait faire des gardes-chefs, comme on dit, où on est tout seul. À l'hôpital, en neurologie, dans un grand CHU. où on se retrouve à 19h avec deux téléphones, téléphone pour le SAMU, pour accepter les AVC, les alertes, des possibles accidents vasculaires, et le téléphone de tout le 94, de tous les avis médicaux, et avec un chef d'unité par WhatsApp qui, à 23h, nous dit « Bon, bah bonne nuit, good luck et à demain » . Donc là, c'est un peu technique. Et en fait, on ne se rend pas compte, mais on n'a pas du tout le niveau, en fait, même si on est très bien formé. Et donc, heureusement, il ne s'est rien passé. Tout s'est plutôt bien passé, au final. Mais on se retrouve dans des situations où... On ne devrait pas, en fait, parce qu'il faut avoir de l'expérience et que ce n'est pas un interne de premier semestre, en troisième mois de premier semestre, qui peut répondre à ça. Et quand, à trois heures du matin, le téléphone sonne dans tous les sens, alors on est toujours aidé à l'hôpital et dans les grands CHE. Même si on nous demandait, si on acceptait de vouloir faire ces gardes-là, au final, on accepte parce qu'on a envie, on se dit, si je n'accepte pas. Ça prouve que je n'ai pas le niveau, donc il y a quand même un peu de concurrence entre nous, même si ce n'est finalement pas vrai. C'est plutôt bienveillant. Si je n'avais pas accepté de faire ces gardes-là, on ne m'en aurait pas voulu. Mais a posteriori, il y a des situations qui étaient quand même un peu dangereuses pour les patients. Et moi, si j'avais été patient et si j'avais su que c'était un interne de première semestre, en fait, le problème, le grand problème, c'est que les patients ne sont pas au courant. C'est qu'on ne leur laisse pas tellement de choix.
- Pascale Lafitte
Quand tu arrives et que tu as fait un AVC, on ne te laisse pas le choix. On est déjà content d'avoir quelqu'un qui nous récupère.
- Gaspard, réanimateur médical
C'est sûr, mais après, c'est la question de savoir si tout le monde pourrait, à la chance, être pris en charge de la meilleure des façons. Quand on est un peu abandonné à tout seul à minuit, que la personne en face du téléphone ne répond plus trop ou qu'on a peur de l'appeler parce que c'est un vieux chef. À 2h du matin, on se dit on ne va pas le réveiller quand même, je vais essayer de m'en sortir tout seul. Heureusement pour moi, il n'y a pas eu de couac. Mais ça aurait pu, ça aurait pu. On ne va pas se le dire.
- Pascale Lafitte
Et ça, ça ne change pas en fait. Il y a beaucoup de choses qui changent, mais ça, ça ne change pas ?
- Gaspard, réanimateur médical
Ça ne change pas parce qu'il n'y a pas assez de médecins. Ça ne change pas parce qu'il y a des lois qui passent. En fait, c'est des lois qui disent qu'on n'a pas le droit de faire ça. Mais malheureusement, il y a des services qui ne tournent pas si on ne fait pas ça. Si les internes ne prennent pas des gardes de chef avant de pouvoir prendre des gardes de chef.
- Pascale Lafitte
C'est quoi une garde de chef ?
- Gaspard, réanimateur médical
Une garde de chef, c'est juste une garde où normalement c'est un senior qui est sur place. Il y a des règles à respecter. Il faut normalement être... au moins cinquième semestre dans sa spécialité, avoir sa licence de remplacement, etc. Alors je ne sais pas si c'est pareil pour toutes les spécialités, mais globalement, il faut avoir de l'expérience. Et du coup, qui dit garde de chef, dit paye de chef. On est un peu mieux payé parce que plus de responsabilités. Mais normalement, c'est quelque chose à laquelle on ne devrait pas être mis en relation aussitôt dans l'internat. Et d'ailleurs, c'est quelque chose qui m'a un peu vacciné dans le sens où... Aujourd'hui, si on me proposait, alors que j'ai plus d'expérience et je pense que je suis meilleur, évidemment, heureusement, de prendre des gardes de ce niveau-là, dans des centres ultra spécialisés, où en fait, les gens font 800 kilomètres pour venir et je ne sens pas légitime de pouvoir donner des avis ou de dire quoi faire à des médecins qui sont plus vieux que moi à 3h du matin, même si encore une fois, on est bien formés. Donc je pense que je vais prendre mon temps avant d'accepter ce genre de choses.
- Pascale Lafitte
Et tu l'as accepté au début ?
- Gaspard, réanimateur médical
Oui, je l'ai accepté au début, oui. Ouais, c'était une connerie. On n'aurait pas dû, en fait.
- Pascale Lafitte
Mais est-ce qu'on aurait dû te la proposer ? Non.
- Gaspard, réanimateur médical
Non, mais finalement, ils étaient bienveillants. Ils nous ont dit qu'on n'était pas obligés. Mais au final, on l'a tous fait. Je me suis dit, ça va bien se passer. Moi, j'étais particulier parce que j'ai eu des situations où j'ai été... Ce que je disais tout à l'heure, c'était que j'étais avec un vieux chef, tout le temps la même personne, qui était d'astreinte. Les autres ont eu plus de chance. Ils étaient avec des jeunes qui leur répondaient au téléphone qui était derrière eux. Donc quand même, il y avait une protection. Je n'ai pas envie de dire que c'est du tout et n'importe quoi. Mais c'est vrai que parfois, il y a des situations un peu dangereuses.
- Pascale Lafitte
C'est difficile de... de contrarier un chef, c'est pas ce que je veux dire. Est-ce que c'est difficile quand vous êtes jeunes internes, que vous démarrez en fait sur les deux premières années, vous êtes très jeunes encore, et vous êtes là pour apprendre ? On rappelle que vous êtes étudiants, même si vous travaillez beaucoup. Est-ce que c'est difficile d'oser dire non mais moi je me sens pas prêt, je me sens pas capable. Est-ce qu'on a peur de la hiérarchie, d'une mise à l'écart ?
- Gaspard, réanimateur médical
Je pense que ça dépend de l'environnement dans lequel on est. Là, moi, où je vais... Travailler potentiellement, c'est quand même très bienveillant. Donc je n'aurais pas peur de dire non. Mais encore une fois, c'est l'expérience qui me dit que je sais que je ne sais pas. Plus on sait, plus on voit où là on a des lacunes et plus on se dit qu'on n'a pas les capacités de faire. Donc je ne pourrais plus dire non aujourd'hui qu'avant. Mais peut-être aussi parce qu'en fait, on n'est plus vieux. On nous respecte un peu plus dans ce qu'on fait. On nous laisse un peu plus la main. Et les médecins seniors et les plus vieux ont plus confiance en nous. Je pense que c'est plutôt les plus jeunes qu'il faut protéger, mais il ne faut pas aller dans le sens inverse, c'est qu'après, parfois, on a un peu la montée d'adrénaline et on se prend un peu pour MacGyver. Et c'est là que c'est quand même bien qu'il y ait une certaine hiérarchie, mais je ne pense pas que j'aurais peur de dire ce genre de choses aux plus vieux.
- Pascale Lafitte
Lorsque tu me dis que c'est les plus jeunes qu'il faut protéger, maintenant que tu vas devenir un vieux, dans quelques mois, tu vas devenir un vieil interne. Est-ce que tu te dis que tu pourrais prévenir des jeunes ? Est-ce que tu penses que c'est fait que ces nouveaux entrants, ceux qui sont en premier semestre, deuxième semestre, sont assez entourés peut-être par les anciens ? Ou est-ce que c'est chacun pour soi ?
- Gaspard, réanimateur médical
Non, ce n'est pas chacun pour soi. Alors, je pense que dans les spécialités médicales, dans les hospitalisations, là, c'est dangereux parce qu'on peut vite être tout seul. Moi, j'ai de la chance en réanimation. On est des grosses promos, on est beaucoup. En fait, on s'entraide, ça devient vite une petite famille, comme dans les services de chirurgie où on est dans le bureau, on se met sur un canapé et en fait, très vite, il y a une émulation de groupe. Et donc là, on va s'entraider et les vieux vont aider les jeunes. Ce qu'il faudrait protéger, c'est toujours ceux qui sont un peu à l'écart, qui sont dans des stages où ils vont être tout seuls, où il suffit qu'il n'y ait que deux internes et la relation se passe mal au début. Et alors là, c'est chacun pour soi et en fait, ça peut devenir... vite très loin, 6 mois, ça peut être un tunnel. Et je pense que là, il faudrait qu'il y ait un peu plus d'aide et d'entraide. Peut-être, je ne sais pas, s'il y a des tuteurs, ça serait pas mal pour pouvoir s'entraider. Ça, ça pourrait être une idée.
- Pascale Lafitte
En externe, il y a du tutorat ?
- Gaspard, réanimateur médical
Oui, à la fac, il y a du tutorat au début de l'externe. Ça,
- Pascale Lafitte
C'est précieux, le tutorat ?
- Gaspard, réanimateur médical
Je crois que c'est assez précieux, oui. Parce qu'en fait, on ne se rend pas compte de la pression qu'ils ont les premières années. Encore plus maintenant, ils n'ont plus qu'un one-shot. Mais c'est sûr que le support des autres, ça aidera toujours dans ce genre de situation. Internant médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération.
- Pascale Lafitte
Est-ce que tu penses faire ce métier, toi, toute ta vie ?
- Gaspard, réanimateur médical
Oui, ça c'est sûr. catégorique ? Non, il n'y a pas de question. Ça sera à l'hôpital et pas autre part.
- Pascale Lafitte
Et ça sera à l'hôpital. Pour quelles raisons ?
- Gaspard, réanimateur médical
Parce que ça a toujours été comme ça dans ma tête et que c'est là qu'on fait la meilleure médecine. C'est là qu'on travaille le plus en groupe. C'est là qu'il y a les innovations. C'est là qu'on peut faire de la recherche. C'est là que c'est le mieux. Je ne me vois pas travailler autre part. Vraiment. Et l'hôpital public, j'aime bien le concept. C'est quelque chose qu'on nous a inculqué, qu'on grand-père m'a inculqué, ma famille.
- Pascale Lafitte
Rappelle-nous ce concept de l'hôpital public, parce que parfois peut-être qu'on l'oublie. Nous, en tant que patients, on le critique beaucoup.
- Gaspard, réanimateur médical
Alors l'hôpital public, c'est une merveilleuse invention qui dit que la société accepte de mettre les ressources au service de la population pour créer des centres qui vont accueillir l'entièreté des populations, quel que soit leur niveau. socio-économiques, leurs origines, qu'ils soient migrants, français, au fin fond d'un quartier UP parisien, et que tout le monde soit pris en charge de la même façon avec les meilleures prises en charge qui existent dans le monde occidental, et que ça bénéficie à tout le monde. Je pense que c'était un peu l'idéal de l'hôpital public qui a été atteint en France dans les années 1990-2000. avant un peu de se casser la gueule comme on le voit aujourd'hui. Je pense que c'est un idéal qu'on peut se permettre d'espérer comme encore possible. En tout cas, moi je l'espère parce que sinon je ne ferais pas ça. Je pense que le Covid a montré que quand on laisse les gens qui sont dans le métier prendre des initiatives et réfléchir à ce genre de choses, ça peut s'améliorer, mais malheureusement la vie politique... La vie du pays et la vie des événements internationaux, on ne va pas partir dans des grandes considérations.
- Pascale Lafitte
Non, mais peut-être que ça peut te donner d'autres envies. Est-ce que tu pourrais t'engager, toi, en politique, pour que cet hôpital perdure, cet hôpital pour lequel tu veux travailler ?
- Gaspard, réanimateur médical
Oui, potentiellement. Si on me propose, j'ai déjà un peu réfléchi. J'avais discuté avec des médecins qui étaient associés au collectif Interurgence. Je voulais voir si c'était possible d'avoir des internes à l'intérieur. Puis après, j'avais été pris par d'autres choses. Mais franchement, je pense que s'il y a un mouvement... Je pourrais y participer, oui.
- Pascale Lafitte
La réa, c'est un service d'urgence. La littérature, le cinéma, les séries nous montrent toujours des services à nébulition. Des brancards, des couloirs bondés, des salles où l'on court tout le temps, où le drame est permanent, où sans cesse la vie flirte avec la mort. On imagine des équipes médicales concentrées 24 sur 24. graves, tendus, préoccupés. Ça, c'est ce qu'on imagine.
- Gaspard, réanimateur médical
On s'amuse tout le temps.
- Pascale Lafitte
Vous vous amusez tout le temps ?
- Gaspard, réanimateur médical
Oui, on s'amuse en vrai. On rigole entre nous.
- Pascale Lafitte
C'est quoi l'ambiance ? Je ne sais pas, je ne suis jamais allée dans un service de réa, merci. Mais c'est quoi l'ambiance ?
- Gaspard, réanimateur médical
Non, l'ambiance, c'est... On rigole bien parce qu'il y a des bonnes ambiances. On est toujours ensemble, c'est un peu des familles. Oui, donc... Ce qui est bien, c'est qu'on est très lié aux infirmiers, aux aides-soignants, tout le monde se connaît, c'est plus collectif qu'un service de médecine standard, même s'il y a des services de médecine qui sont aussi collectifs, mais du coup on rigole, il y a un peu des open space où tout le monde passe, et puis après il y a des hauts et des bas, parce qu'après on va avoir des familles qui sont malheureusement très tristes de l'évolution, de savoir qu'ils vont perdre un proche. Donc... Pour contrebalancer ça, on est obligé de rigoler, sinon ça ne se passerait pas bien pour nous, je pense.
- Pascale Lafitte
Je me souviens d'un jeune étudiant en médecine qui parlait avec une jeune étudiante en médecine et qui se disait, toi, qu'est-ce que tu en penses ? Est-ce que c'est plus difficile d'annoncer à quelqu'un que sa maladie est fatale, qu'il va vers la fin de sa vie ? ou d'annoncer à la famille qu'elle va perdre quelqu'un ? Je me suis toujours posé cette question, mais je ne suis pas médecin, donc tant mieux, je n'aurais pas annoncé ça. Qu'est-ce qui est le plus difficile pour toi ?
- Gaspard, réanimateur médical
Le réanimateur, il est quand même plus du côté de la famille. Il est plus dans une situation où, en général, le patient n'est pas vraiment en état de pouvoir rentrer dans la discussion. Donc nous, on est plus en lien avec la famille et ça, c'est quelque chose qu'on ne peut pas prévoir. qui peut être un peu traumatisant, mais qui peut aussi vachement bien se passer. Et des familles, finalement, qui vont même remercier les équipes. Et ce qu'on dit souvent en réanimation, c'est qu'on soigne les familles plus que les patients, parfois. Donc ça, c'est quand même assez important. Dans la grande majorité des cas, ça se passe bien au final. Il peut y avoir des conflits, mais quand les équipes sont formées, elles sont de mieux en mieux formées, parce que maintenant, elles savent comment aborder les sujets. On sait quels sont les... les types de familles qui vont plus ou moins bien répondre. Donc au final, ça se passe quand même plutôt bien. On s'en sort de mieux en mieux dans ces situations-là.
- Pascale Lafitte
Ça doit être angoissant, non, la première fois ?
- Gaspard, réanimateur médical
Qu'on annonce une fin de vie ? Ce qui est angoissant, c'est de se dire qu'on va dire une connerie. Parce que les gens vont s'accrocher à une phrase, parfois. Et ce qui est angoissant, c'est pas le contact. Ce n'est pas les attentes parce qu'on sait nous ce qui va se passer, on sait ce qu'on va proposer et on sait parfois, en fait, a priori, comment va réagir une famille. Mais moi, j'ai souvent peur de dire une bêtise qui est en fait où les personnes vont s'accrocher dessus parce que j'ai mal été compris ou de rentrer dans des considérations trop techniques et d'oublier que les gens ne sont pas médecins. Et c'est comme si moi, on me parlait d'un sujet que je ne comprends pas. Je n'ai pas envie qu'on utilise des termes. que je ne vais pas comprendre pour m'annoncer que mon proche va décéder. Donc ça, c'est plutôt ça qui m'angoisse.
- Pascale Lafitte
Je te remercie, Gaspard.
- Gaspard, réanimateur médical
Merci à vous.
- Pascale Lafitte
Encore merci à Gaspard, et merci à vous tous de nous avoir écoutés. Je vous invite à vous abonner, si ce n'est pas encore fait, et à activer les notifications, car sans ça, vous risqueriez de passer à côté de votre prochain épisode d'Internet en médecine, le podcast, à suivre sans ordonnance. ni modération. A bientôt.