- Speaker #0
Bonjour à tous et bienvenue, nous nous retrouvons pour un nouvel épisode d'Internes en médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération. Une série de rencontres et de conversations avec des internes en médecine. Une émission réalisée en partenariat avec l'ISNI, l'intersyndicale nationale des internes. Vous allez découvrir aujourd'hui le parcours de Safa, interne en oncologie médicale. Nous nous sommes rencontrés au centre de lutte... contre le cancer de l'hôpital Édouard Hériot à Lyon. Et j'ai lui demandé si, comme ça nous l'a été dit récemment à ce micro, elle pensait que les oncologues étaient des gentils.
- Speaker #1
C'est vrai qu'on a un peu des clichés sur les spécialités. Je pense déjà dans l'imaginaire, un peu l'imaginaire hors médecine. Et puis je pense qu'au sein des internes en médecine, oui, on a un peu des clichés sur les professions. et c'est vrai que Il y a ce côté où les oncologues, ils sont cette image un peu du bisounours. Et puis même souvent quand vous rencontrez des gens par hasard et qu'ils vous demandent ce que vous faites et que vous dites « bon ben je suis médecin et qui interne en médecine » , qu'ils vous demandent quelle spécialité vous faites, ou vous dites « cancéreux » , on a souvent ce « ah » . On a souvent ce « ah oui, c'est pas trop dur, c'est important ce que vous faites, heureusement que vous le faites » . Et du coup, je pense qu'on a à la fois dans l'imaginaire collectif cette image du sacrifice des gens qui... qui accepte un peu de dealer avec cette maladie difficile qui est associée quand même à la mort. Le mot cancer fait peur. Et puis, à la fois au sein de notre corps de métier, un peu cette image, oui, effectivement, de bisounours. Puis je pense qu'on a aussi un peu l'image d'éternel optimiste. On a envie que nos traitements marchent. Auprès des autres disciplines, on a un peu cette image de... Oui, on a envie que ce qu'on propose, ce qu'on entreprend, fonctionne et ait un intérêt et un bénéfice pour nos patients. Oui, des optimistes un peu, des gentils un peu optimistes, oui.
- Speaker #0
Safa vient de passer six mois à Lyon, grâce à un interchut, on va y revenir. Elle est rattachée au CHU de Strasbourg, où elle est désormais retournée. Avec elle, nous allons parler de recherche, de sa thèse aussi, à présenter d'ici un an, de molécules, de phases précoces, de sciences, de patients, de soins palliatifs et de guérison. Mais avant tout ça, Safa raconte pourquoi. Elle a choisi de faire des études de médecine.
- Speaker #1
Alors moi, il n'y a pas eu de désir formel. À un moment, je me suis dit que c'était ce que je voulais faire. Je pense que c'était sur l'exemple de ma grande sœur qui a suivi cette voie-là. Elle a un an de plus que moi et donc j'ai un petit peu suivi. Je trouvais que c'était une discipline qui laissait un peu d'ouverture, je trouve, entre le côté scientifique, puisque j'étais plutôt issue d'un parcours scientifique, j'avais fait un bac S à l'époque, et puis le côté humain. qui faisait qu'on gardait aussi une ouverture par rapport au côté un peu technique, scientifique qu'on peut avoir dans certaines disciplines. Donc ça me convenait plutôt bien. Et initialement, j'avais en tête, j'avais adoré mes cours de philo et j'avais plutôt en tête de faire de la psychiatrie. Et finalement, les choses ont un peu évolué au cours de mon parcours.
- Speaker #0
Vous êtes allée vers l'oncologie. Vous avez une raison particulière pour être allée vers l'oncologie ?
- Speaker #1
Oui, il y a plusieurs raisons qui m'ont... qui m'ont orientée vers l'onco pendant mon parcours d'interne, enfin d'externe plutôt. Je l'ai rencontrée un peu par hasard dans un stage d'oncologie thoracique. On passait soit en pneumologie générale, soit en oncologie thoracique. Je me suis retrouvée un petit peu par défaut à faire de l'oncologie thoracique. Et puis finalement, ça a été une spécialité qui m'a beaucoup attirée. C'était en quatrième année de médecine pour plusieurs raisons. Après, quand j'y ai réfléchi, la première raison, c'était le côté transversal de la spécialité. Bon, la cancéro, en fait, ça touche à tous les organes, ça fait des complications diverses et variées, qui touchent aussi à beaucoup d'autres disciplines, donc il y a un côté très transversal. J'avais aussi une attirance, je pense, pour une relation un peu particulière aux patients, dans le sens où, en oncologie, on est face à des patients qui ont une maladie grave, quel que soit le diagnostic qui sera posé, quel que soit le cancer, les patients ont une maladie grave, et donc c'était quelque chose qui, spontanément, me paraissait important. Je trouvais qu'il y avait quelque chose qui se jouait là d'assez important. Et puis, il y avait le côté scientifique assez dynamique, où j'avais l'impression qu'il y avait un côté où, effectivement, c'était en train de se faire en cancéro. On voit qu'il y a eu un boom aussi sur les dernières années en termes de développement des thérapeutiques. Et c'est vrai que du coup, il y avait un côté où c'était en train de se faire et ça ressemblait un peu à la maladie du siècle, comme on dit parfois.
- Speaker #0
Vous vous souvenez de votre premier jour à l'internat ?
- Speaker #1
Alors, je me souviens du deuxième jour. où en toute audacité j'ai fini en larmes par la pression, par le fait de devoir assimiler plein de choses de manière très rapide par un lexique aussi avec lequel on n'est pas familier alors on se familiarise un petit peu avec dans les bouquins pendant l'externat mais en fait il y a tout un jargon spécifique au travail d'interne qu'on découvre un peu sur le tas par les interactions aussi avec les médecins les externes, les infirmières ... Donc, on découvre beaucoup de choses. Il faut prendre un peu le train en marche. Et c'est vrai que j'avais fini un petit peu en larmes très tard, un peu en larmes. Et j'avais eu la chance d'être épaulée par une interne plus vieille avec qui on est devenu amie par la suite. À ce moment-là, qui avait vu que j'étais en larmes à la fin de mon deuxième jour d'internat. Le premier, c'était peut-être un peu plus administratif. Donc, je m'en souviens un peu moins. Il m'a un peu moins marquée.
- Speaker #0
Avant de découvrir plus précisément son expérience d'interne, c'est de sa spécialité dont nous avons parlé. En véritable néophyte et en toute naïveté, j'ai évoqué les avancées dans le domaine du cancer, qui, comme on l'entend fréquemment dans les médias et comme on peut le lire dans la presse, sera ou serait, dans les années à venir, une maladie, et je mets des guillemets aux mots qui suivent, banale. Une maladie qu'on guérira. Son point de vue avisé est bien évidemment plus nuancé.
- Speaker #1
Je pense qu'il y a deux niveaux de réponse. Il y a un niveau de réponse qui est celui de l'espoir et je pense qu'il faut garder aussi un enthousiasme et un optimisme par rapport à ça. Évidemment, quand on va vers ce type de spécialité, on a envie que les choses avancent et on a envie de faire de mieux en mieux. Et après, il y a un autre niveau de réponse, probablement en termes d'échelle, qui est qu'on se rend quand même compte qu'avec le développement des nouvelles thérapeutiques, parfois on gagne quelque chose. mais on peut aussi perdre quelque chose. Et l'oncologie se morcelle quand même de plus en plus, donc ça ne devient pas une seule pathologie. Mais c'est plein de pathologies aussi distinctes et variées, avec des pronostics qui sont variés. Il y en a certaines où on avance, d'autres où on avance un peu moins. Et on se rend compte qu'il reste quand même pas mal de travail.
- Speaker #0
On avance sur quoi ? On avance un peu moins sur quoi ?
- Speaker #1
Il y a certaines pathologies où on a de plus en plus, donc type de pathologie cancéreuse, donc souvent localisation cancéreuse, parce que c'est comme ça qu'on raisonne en oncologie. on raisonne quand même beaucoup par... localisation par type de cancer. Donc, cancer du sein, cancer du côlon, cancer de la prostate, etc. Et il y a plusieurs pathologies où il y a des indications qui se multiplient pour des thérapies innovantes. On a beaucoup entendu parler, par exemple, de l'immunothérapie. Donc, il y a certaines localisations où ça marche très bien, par exemple, et où il y a eu les premières indications de l'immunothérapie, typiquement le mélanome, le rein, le poumon, par la suite. avec certains profils particuliers de cancer du poumon. Et puis, il y a effectivement d'autres localisations où on se rend compte que ce type de thérapie innovante qu'on essaie de repositionner dans ces types de localisations fonctionne un peu moins bien ou un peu moins que ce que l'on aurait souhaité. Typiquement, par exemple, le cancer de l'ovaire. Et donc, on se rend compte que ce n'est pas linéaire. L'avancée, le progrès scientifique n'est pas forcément linéaire. Ça se fait par à-coups, parfois on avance, parfois on recule. C'est une maladie aussi qui devient de plus en plus morcelée, donc en termes de localisation, mais aussi en termes moléculaires. On va rechercher les caractéristiques moléculaires des tumeurs, avec certains types de mutations aussi qui peuvent être ciblées par certains types de traitements. C'est ce qu'on appelle la médecine personnalisée. Et donc ça crée des niches de patients qui relèvent d'indications spécifiques avec certains groupes chez qui on avance, et puis d'autres groupes... un peu orphelin, chez qui on avance un peu moins et on est un peu plus dans des impasses par rapport à ça.
- Speaker #0
Quand je vous écoute, je me dis que vous êtes médecin, mais c'est comme si vous étiez aussi un peu chercheur. C'est le propre de l'oncologie ?
- Speaker #1
Je pense qu'il y a de tous les profils et je pense que c'est bien qu'il y ait de tous les profils d'oncologue médical. C'est vrai que l'oncologie, c'est quand même une spécialité qui est à la lisière de la biologie. Avec la façon dont se développent les nouvelles thérapies, on a l'impression aussi, et c'est une exigence aussi sur notre métier qui peut être aussi un point en tant qu'interne dans notre formation, mais c'est sûr qu'on a l'impression qu'on ne peut pas ne pas s'intéresser du moins un peu à la biologie parce que c'est quand même le tour que ça prend de plus en plus. Après, c'est aussi parce que là, dans mon parcours récemment, l'année dernière, moi j'étais en M2 recherche avec un master en biologie du cancer. donc c'est aussi pour ça qu'il y a cette... vision-là dans les propos que j'ai, parce que j'en sors tout juste, quoi, et que je suis dans le service aussi des essais de phase précoce au CLB à Lyon, donc je suis aussi immergée dedans, donc forcément, la parole est un peu située, mais je pense qu'il y a de tous les profils, je pense que c'est important qu'il y ait de tous les profils, je pense qu'il faut ce qu'on appelle des paléatologues, donc des gens qui s'intéressent un peu plus aux soins paliatifs, je pense qu'il faut des profils de chercheurs, je pense qu'il faut des profils de cliniciens, je pense qu'il faut vraiment de tout, et que on a... On gagne aussi un peu à être polyvalent. À une ère où on se sur-spécialise de plus en plus, je trouve que parfois c'est bien de retrouver un petit peu de polyvalence, mais c'est mon avis personnel sur le sujet.
- Speaker #0
La polyvalence dans le soin et la polyvalence dans l'écoute du patient aussi, dans l'empathie avec le patient ?
- Speaker #1
Je pense que quand on est face à des patients aussi, on n'a pas trop le choix de s'intéresser à l'exercice particulier qui est celui d'être face à un patient en fait. Donc je pense qu'il faut garder un œil un peu ouvert, éviter d'être dogmatique aussi parce qu'on... Je pense que notre parcours de médecin est aussi jalonné de dogmes et finalement je me rends compte qu'au fur et à mesure du parcours, on les déconstruit un petit peu ces dogmes-là, du coup c'est intéressant de faire des allers-retours.
- Speaker #0
Vous me disiez que vous aviez fait un M2, ça veut dire que vous avez fait une césure pour faire de la recherche. Qu'est-ce que ça a changé ? Est-ce que vous êtes revenu un peu différemment ? Vous n'êtes plus le même médecin ? qu'avant d'avoir fait cette recherche ?
- Speaker #1
Je pense effectivement qu'il y a pas mal de choses qui m'ont changé. Moi, j'y suis plutôt allée par curiosité intellectuelle, parce que c'est aussi un moment, comme vous dites, de césure. Donc, c'est aussi un moment où on sort un peu la tête de l'eau, on lève la tête un peu du guidon de l'internat, où finalement, c'est assez linéaire et on prend les choses une à une. C'est aussi le moment de se mettre un peu en recul par rapport au métier. Donc, je pense qu'effectivement, ça a changé en ça quelque chose. Dans ma pratique, j'y retrouve quand même une continuité derrière. Je ne sais pas si on est totalement différents, mais en tout cas, je pense que c'est aussi bien d'avoir vu ce qui se passe un peu en amont du parcours de l'oncologue clinicien, où on prescrit des thérapeutiques qui, souvent, sont nées dans des laboratoires. C'était intéressant et important pour moi, à la fois d'un point de vue scientifique, mais aussi presque d'un point de vue extérieur. de voir ce qu'il en était au laboratoire de recherche et comment les choses s'articulaient là-bas.
- Speaker #0
Lorsque vous étiez en recherche, vous avez continué à voir des patients ?
- Speaker #1
Pendant l'année de recherche, ça m'a un petit peu manqué de ne plus voir de patients, de ne plus avoir ce moment aussi de consultation qui est quand même un moment un peu particulier où on échange autour de ce qu'on a appris et de ce qu'on peut apporter comme aide aux patients. On échange aussi sur la maladie, on a aussi ce retour en fait. de l'autre côté, qui est important. Donc moi, c'est quelque chose qui m'a manqué pendant mon année de recherche.
- Speaker #0
C'est ça, vous, on sait ce que vous nous apportez quand on est patient. Mais est-ce qu'on vous apporte quelque chose, nous, patients ?
- Speaker #1
Ça me semble assez évident, oui, que les patients nous apportent quelque chose, évidemment. Alors, il y a toujours les belles réussites, où forcément, c'est une gratification pour nous, mais aussi pour toute l'échelle derrière nous. Et le labo, c'était aussi important de voir, de remonter un peu l'échelle derrière ce moment. où la décision thérapeutique est prise et on est à la consultation avec les bons résultats. Donc, en ce sens, c'est de la satisfaction, c'est de la gratification. Puis, en fait, aussi, dans les échecs, ça nous apprend déjà, d'une part, une forme d'humilité. Et puis, moi, je le vois aussi un peu comme une forme de rappel aussi de ce qui est important. Donc, oui, clairement, je pense que c'est un enrichissement de la part des patients qui nous ouvrent aussi un peu la porte sur certains de leurs moments de vie, même s'ils sont difficiles. Et donc, oui, c'est un enrichissement constant, même si on ne s'en rend pas tout le temps compte et que c'est parfois très difficile. assez lourds émotionnellement.
- Speaker #0
Qu'est-ce que vous appelez rappel de ce qui est important ?
- Speaker #1
C'est une dimension où, finalement, quand on est pris aussi dans le monde du travail, effectivement, il y a des moments où on est un peu dans le rituel, dans la frénésie un peu du quotidien, etc. Et où, finalement, c'est des moments qui nous permettent de recentrer un peu les choses et de se rendre compte qu'en face de nous, il y a très souvent... C'est malheureusement le cas dans notre métier, mais c'est très souvent un drame qui se joue une fois que la porte est fermée. Mais aussi quelque chose d'important qui a trait à notre humanité et qui nous appelle et qui nous touche. Internant médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération.
- Speaker #0
Est-ce que vous avez choisi de faire médecine, donc de suivre l'exemple de votre sœur ? Vous vous attendiez à tout ce que vous découvrez, tout ce que vous vivez, tout ce que vous avez vécu, tout ce que vous allez encore vivre ?
- Speaker #1
Non, pas du tout. Je pense qu'on sous-estime déjà d'une part l'impact émotionnel puisqu'on en parle à l'instant. Je pense qu'on sous-estime aussi la longueur des études. Je pense qu'on sous-estime aussi l'exigence des études, parce que c'est des études qui sont assez exigeantes. Je ne sais pas si sous-estimer le bon terme, mais... Je pense qu'on découvre que le chemin est jalonné de plein de choses, de déceptions aussi, sincèrement, de déceptions par rapport à tout un tas de choses. Et donc, il y a un côté... Paradoxalement, en fait, par rapport à d'autres métiers de la société, pour en avoir discuté par exemple avec des copains, on a l'impression qu'en fait l'avantage de notre métier, c'est qu'on a l'impression qu'on n'a pas besoin de rechercher le sens de notre métier. Mais je trouve qu'on est quand même aussi traversé par... On peut aussi, et c'est le cas de beaucoup d'internes en fait, traverser par des pertes de sens dans notre métier. Et je pense qu'en dix ans d'études, et puis même après en fait, dans la suite de notre parcours, moi je n'y suis pas encore, mais je pense qu'on est quand même, malgré tout ça... et malgré cette évidence traversée aussi par des pertes de sens. Et donc, effectivement, on découvre tout un tas de choses. Et puis, en fait, entre ce qu'on imagine, ce qu'on pense vouloir faire aussi. Initialement, on en parlait un petit peu au début. Et puis, ce qui nous intéresse, ce qui nous drive un petit peu à un instant T. Et bien oui, c'est plein de surprises, de bonnes comme de mauvaises surprises. Mais c'est plein de surprises, c'est certain.
- Speaker #0
Lorsque nous nous sommes rencontrés, Safa était donc en quatrième année d'internat. Elle a désormais attaqué sa cinquième année avec une thèse qui approche à grands pas.
- Speaker #1
Oui, la thèse est assez éminente. Normalement, ça devrait être dans les prochains mois. Je n'ai pas de date définie, mais c'est en cours. J'ai une vision un peu désacralisée de la thèse. Pourquoi ? Je pense que c'est un côté symbolique et je suis assez contente de la concrétisation que ce sera. Je pense que je suis très contente aussi de la passer pour mon entourage. C'est aussi le moment où l'entourage se représente ce qui a été notre parcours et entend un peu parler de nous face à une audience. et où on fait face aussi un peu à son entourage, à la fois à son jury. Donc, je pense que ce sera un moment probablement très symbolique. Après, le travail de thèse en tant que tel, je l'ai un petit peu désacralisé parce que je trouve que ce n'est pas l'essentiel de notre métier et que finalement, il y a tout un tas de choses sur lesquelles il faut qu'on fasse nos preuves indépendamment de la thèse en tant que médecin, dans notre pratique, je veux dire, quotidienne.
- Speaker #0
Je saute du coq à l'âne, mais puisque vous parlez de vos proches, quel rôle ont-ils joué dans la réussite de vos études ? Et puis dans le... les bons et les mauvais moments.
- Speaker #1
Nous, c'est assez... Mes parents ne sont pas du tout médecins. Ils ne sont pas du tout issus du milieu médical. Ils sont plutôt ingénieurs. Et nous, on est quatre. Et donc, on est trois pour les plus grands à avoir fait médecine. Donc, on a tous suivi un petit peu le même chemin. Et je pense que c'est une source de fierté pour eux. Puis, je pense qu'ils ont été un soutien assez incommensurable par rapport à ça. Je pense qu'ils ont vécu aussi... pas mal du stress de ces études en tant que parents. Je pense qu'ils ont beaucoup absorbé le stress qui a été le nôtre. Je pense qu'ils ont aussi sous-estimé, parce qu'ils nous ont évidemment encouragé pendant notre scolarité à faire des études. Ils avaient aussi cette vision du côté noble du métier de médecin. Forcément, dans la représentation de la société, il y a ce côté-là. Donc, on a été encouragés par nos parents.
- Speaker #0
Mais sous-estimer quoi ?
- Speaker #1
La longueur des études, la charge de travail. Ils découvrent en fait un peu avec nous. La question des postes aussi, qui se pose de manière non linéaire. On a souvent l'impression que les choses se font de manière un petit peu automatique. Pour les médecins, c'est un peu moins vrai. Je trouve qu'on le découvre ça un peu pendant l'internat.
- Speaker #0
C'est-à-dire que ce n'est pas évident, quand on a fini, d'avoir un poste là où on le désire ?
- Speaker #1
Je pense qu'en oncologie, l'oncologie médicale est une spécialité qui est sous-dotée de toute façon. Il y a des postes, ça c'est certain, mais c'est vrai qu'il y a plusieurs modalités d'exercice. Il y a des modalités d'exercice qui sont probablement plus concurrentielles que d'autres, des lieux aussi d'exercice qui sont plus concurrentiels que d'autres. Et puis, on n'a pas aussi l'occasion, alors ça dépend pour qui, mais on n'a pas aussi, durant notre internat, l'occasion de découvrir toutes les modalités d'exercice. Et donc, on peut avoir l'impression de ne pas forcément avoir le choix pour la suite ou d'avoir des choix qui peuvent être un peu subis, effectivement. Et je pense que c'est quelque chose que mes parents découvrent un peu avec nous. ils avaient probablement une vision un petit peu idéalisée aussi de... de ce métier, de la médecine, de la position sociale que ça confère, parce que c'est sûr que même s'il y a une crise un peu de confiance vis-à-vis des médecins, ça confère une certaine position sociale. La rémunération, le fait de ne pas connaître certaines difficultés liées par exemple au chômage, etc. Ça c'est certain, donc il y avait une idéalisation. Mais il découvre effectivement les exigences que ça implique et puis les difficultés qu'on peut rencontrer quand même dans notre parcours et dans le monde du travail, parce que ça reste en fait le milieu du travail, même si on l'oublie. En tant qu'interne, on n'est pas sensibilisés au fait qu'on se trouve un peu plongé dans le monde du travail parce que ça se fait naturellement, on passe les concours et puis en fait on arrive là. Mais en fait c'est le monde du travail et on n'est pas assez sensibilisés à ça.
- Speaker #0
Le monde du travail, c'est la hiérarchie entre autres ?
- Speaker #1
C'est la hiérarchie, je pense qu'on a une position qui est un petit peu particulière en tant qu'interne parce qu'il y a ce côté très en formation, c'est dans la continuité de nos études, c'est souvent présenté comme ça, mais on est quand même agent de la fonction hospitalière. pour certaines spécialités, mais en tout cas agent de la fonction publique. Et en même temps, on n'est pas formé ou sensibilisé aux questions, au fait qu'on rencontre le monde professionnel, puisqu'on se retrouve un peu immergé par continuité. Et en fait, on se retrouve confronté à des problématiques du milieu du travail, du monde du travail, du monde professionnel, sans en avoir les codes. Et je trouve qu'on est très peu conscientisé en tant qu'interne, et puis même parfois par la suite à ça.
- Speaker #0
Vous appelez quoi les codes ?
- Speaker #1
On ne voit pas forcément notre métier comme un travail au sens professionnel du terme. Et donc, du coup, on a peut-être un peu moins ces codes de revendication, de rappel au droit du travail. Les syndicats font un travail important là-dessus. On y est de plus en plus sensibilisés, mais en fait, on est dans une culture un peu de campagnonnage sur la formation qui fait que c'est toujours aussi un peu difficile de... Alors que les gens qui nous encadrent et qui sont de notre hiérarchie n'ont pas connu ces codes-là, d'avoir ce rappel de « je suis un employé de la fonction publique, et donc j'ai ces prérogatives-là aussi, indépendamment de ma formation » .
- Speaker #0
Vous pâtissez d'une image, presque d'une littérature du médecin.
- Speaker #1
En fait, vous voyez, les études de médecine, c'est quand même très linéaire. On est souvent issus... Alors, il y a des parcours un peu plus marginaux, je ne le dis pas péjorativement quand je dis « marginaux » , mais très souvent, c'est linéaire. En post-bac, on passait la première année de médecine, ensuite quand on avait le concours, c'était les deux premières années, ensuite l'externat, ensuite on a un concours, ensuite c'était l'internat, donc ça reste quand même très linéaire, même s'il y a des interruptions, c'est quand même très linéaire. Et donc ça se fait dans une forme de continuité où, comme on n'a pas connu ce monde du travail, en fait on a cette vision de ça se fait dans la suite d'un parcours universitaire dans lesquelles on doit... Répondre en tant qu'étudiant et moins en tant que travailleur. On a moins tendance à avoir la casquette du travailleur, alors qu'on est quand même des travailleurs, que la casquette d'étudiant.
- Speaker #0
SAFA vient de passer six mois à Ninterchus à Lyon. Évidemment, les étudiants en médecine, les médecins, les soignants en fait, savent ce qu'est l'Ninterchus. Mais pour ceux qui nous écoutent et qui ne sont pas du Serail, et moi je vous espère nombreux... Une précision s'impose. L'interchut est une procédure administrative qui permet à un interne en médecine de demander, à titre exceptionnel, à effectuer une partie de son internat dans une autre subdivision que celle où il a été affecté lors des épreuves classantes nationales. Il ne s'agit pas d'un changement définitif de subdivision, mais d'un stage temporaire dans un autre CHU, motivé par un projet professionnel précis et pour une durée limitée. Safa, interne à Strasbourg, a effectué un semestre à Lyon. Elle s'est ainsi rapprochée de sa famille, mais ça n'est pas la seule considération.
- Speaker #1
Il y a un côté où effectivement ça permet, je trouve, d'ouvrir un peu les œillères et de voir d'autres modalités, de voir pas forcément si l'herbe est plus verte ailleurs, mais en tout cas de confronter ce qu'on a connu. à un autre type de pratique, un autre centre, d'autres intervenants, etc. et de revenir avec cette expérience-là. Ça permet aussi, dans mon cas, je fais mon stage actuellement dans un service de phase précoce qui reste quand même assez spécifique. Les phases précoces, c'est dans le développement du médicament, c'est les essais thérapeutiques, ce qu'on appelle « first in human » , donc la première fois chez l'homme. Donc c'est très tôt dans le développement du médicament. Et en cancéro, c'est particulier, puisque en général, cette phase-là, qu'on appelle la phase 1 du développement du médicament, se fait plutôt chez des volontaires sains et a vocation à trouver la dose toxique limitante. Et en cancéro, il y a la possibilité de le faire chez des patients malades, à la fois pour offrir des possibilités thérapeutiques à des patients qui n'en auraient pas par ailleurs, et à la fois, effectivement, pour essayer d'avoir cette... cette recherche d'efficacité, bien qu'on soit plutôt dans une recherche d'évaluation de la toxicité. Donc c'est quand même assez spécifique, assez spécialisé. Il y a plusieurs centres en France. À Estrasbourg, ça se développe, mais c'est quand même assez balbutiant. C'était un petit peu le début. Et donc c'était l'occasion d'aller dans un service avec une expérience forte de 15 ans. Donc ça permet aussi de développer des compétences qu'on n'a pas forcément la possibilité d'avoir dans notre subdivision.
- Speaker #0
Vous gardez un côté très scientifique en vous.
- Speaker #1
Oui, probablement. Alors, je ne m'en rends pas forcément compte, mais j'ai l'impression que vous le soulignez à plusieurs reprises. Donc, peut-être, oui. Mais en tout cas, oui, c'est assez cohérent dans mon parcours. Mais je pense que je garde quand même un peu la casquette observatrice. En tout cas, j'aime bien cette casquette-là. Je pense qu'il y a le côté scientifique, mais il y a aussi le côté observateur de ce qui se passe.
- Speaker #0
Quand on fait médecine, c'est plutôt pour soigner, non ?
- Speaker #1
Oui, oui. Et c'est ce qu'on essaye de faire, oui. Oui, oui, totalement. Je pense qu'on fait aussi médecine pour tout un tas d'autres raisons, conscientes et inconscientes. Mais oui, c'est principalement pour soigner. Et c'est vrai que l'oncologie, c'est soigner, mais c'est aussi accepter de ne pas soigner. Ça, c'est sûr. De ne pas réussir à soigner ou en tout cas de soigner différemment.
- Speaker #0
Vous avez appris à accepter ça ?
- Speaker #1
Oui. Je pense que j'ai... appris et je pense que c'est important qu'on le garde en tête. Je pense qu'on est un peu plus sensibilisés chez les jeunes générations. Si on parle un peu plus de soins palliatifs, je pense que c'est important aussi de... De se rendre compte que ça n'est pas ne pas soigner. En fait, j'ai dit, on a appris à ne pas soigner. Je pense que c'est un peu faux. Ça n'est pas ne pas soigner, que parfois ne pas proposer certaines thérapeutiques, qu'elles soient innovantes ou autres à nos patients, mais de les soigner différemment et d'axer plutôt le reste de leur parcours de soins et de leur histoire oncologique, de leur histoire de la maladie, sur l'accompagnement et sur les soins.
- Speaker #0
Et de voir partir des gens, est-ce que c'est quelque chose qui peut être lourd pour vous au quotidien, dans votre vie, quand vous quittez l'hôpital ?
- Speaker #1
Oui, je pense qu'il y a des moments où c'est lourd et on ne s'en rend pas forcément compte, où il y a un besoin de légèreté, etc. et que ce n'est pas forcément conscient. Il y a des moments où on a des situations qui nous touchent plus que d'autres et on le ressent vraiment sur l'instant. C'est un peu moins latent, mais c'est là, au moment de l'instant, où on est un peu plus ému. On apprend aussi, on parle souvent du côté habituel, on a l'impression que ça peut être aussi une inhumanité, mais je pense qu'on apprend aussi à gérer un petit peu tout ça, à mettre un peu de côté, à avoir certains termes. À vivre avec ça, en fait, aussi, parce que c'est vrai qu'on est confrontés de manière quotidienne à la mort, dans certains stages plus que d'autres, ça c'est sûr, mais il y a des stages qui sont particulièrement lourds émotionnellement par rapport à ça. Mais oui, on est confrontés à cette question-là de manière quotidienne, oui.
- Speaker #0
Quand vous dites que vous apprenez, c'est vous, individu, qui apprenez vous-même. On ne vous apprend pas, ça.
- Speaker #1
Je pense qu'il y a une dimension théorique aussi une dimension qu'on ne ressent finalement que quand on la vit. J'ai l'impression qu'on est de plus en plus sensibilisés quand même à la dimension, alors à la fois la dimension théorique où c'est des questions sur lesquelles on nous sensibilise, bien qu'il n'y ait pas forcément de moments spécifiques, mais il y a toujours un peu, je trouve, de plus en plus d'initiatives qui prolifèrent en ce sens. Et sur la dimension pratique, il y a aussi pas mal de groupes de paroles qui se développent. C'est plus la question en fait de... de pouvoir, nous, en tant qu'interne, accorder un moment à ces groupes de parole. Parfois, on est pris aussi un peu dans notre journée. On a tout un tas de trucs à faire. On a 10 000 lignes sur la to-do list. Et donc, du coup, on sait qu'on a 7 heures qui est dédiée à ça, avec plein de personnes de bonne volonté. Et puis, finalement, on se dit 15 jours avant qu'on va y aller. Puis, en fait, on n'y va pas parce qu'on est pris dans le quotidien. Ça, c'est sûr. Mais je trouve qu'on est de plus en plus sensibilisés à ça. On parle beaucoup entre nous aussi. Je trouve qu'on arrive à discuter de plus en plus dans les groupes d'interne. on est quand même assez solidaires enfin moi l'expérience que j'ai enfin Je ne veux pas parler de manière générale, mais l'expérience que j'ai eue de mon internat, c'est que dans les stages où j'ai été, on a toujours été plutôt de bons groupes d'internes qui étaient confrontés aux mêmes situations, qui ont toujours pu en discuter, qui, bien que ce soit difficile, ont pu quand même avoir une écoute. Donc, on s'autogère aussi un petit peu par rapport à ça. Mais j'ai l'impression que l'évolution, elle est plutôt positive parce qu'il y a quand même une sensibilisation à la fois sur les questions théoriques et à la fois des groupes un peu pratiques pour en discuter qui s'amorcent. Donc, ça, c'est plutôt bien, je trouve.
- Speaker #0
Vous allez faire ce métier toute votre vie ?
- Speaker #1
Ah, bonne question, je ne sais pas. Je ne sais pas si je serai oncologue pendant 40 ans. À ce stade, sincèrement, j'en ai aucune idée. C'est sûr que quand on a commencé à s'engager dans des études quand même assez exigeantes très tôt, on a peur. Alors, pareil, je vais plutôt parler pour moi que de manière générale. Oui, je peux avoir plutôt peur de ce que je pourrais rater, manquer, de découvrir par ailleurs. Moi, personnellement, j'ai toujours besoin de me dire qu'un ailleurs ou une autre voie est possible. Je ne sais pas si elle se concrétisera. Peut-être que je serai oncologue médicale 40 ans et que ça continuera de me passionner. Peut-être pas, on verra.
- Speaker #0
Je vous remercie beaucoup, Safa. Merci beaucoup.
- Speaker #1
Merci à vous, c'était un plaisir.
- Speaker #0
Merci de nous avoir écoutés. Merci de nous être fidèles. Un mot encore, faites vivre et prospérer ces entretiens en vous abonnant et en partageant le lien. Et n'oubliez pas d'activer les notifications pour être tenu au courant des nouveaux épisodes, nouvelles conversations et nouvelles rencontres. À bientôt pour un prochain épisode d'Internes en médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération.