- Pascale Lafitte
Bonjour, je suis Pascale Lafitte et je vous présente Internes en médecine, le podcast, à suivre sans ordonnance ni modération. Une série de rencontres et de conversations avec des internes en médecine. Une émission réalisée en partenariat avec l'ISNI, l'intersyndicale nationale des internes. Pour cet épisode, j'ai rencontré Carla Magot, interne en médecine générale à Nice et vice-présidente chargée de la communication et du handicap pour l'ISNI. Carla, je vous l'ai dit, est donc interne. elle est militante, Carla est aussi déterminée. Et Carla s'ennuie vite, c'est elle qui me l'a confiée. Alors Carla bosse beaucoup. Carla est handicapée et avant d'être médecin, elle a été patiente. Je lui ai demandé si son parcours de vie avait une incidence dans son exercice du métier.
- Carla Magaud
Oui, je pense que c'est sûr que oui. Je me mets sûrement beaucoup plus à la place des patients dans certaines situations que d'autres. Enfin, j'ai pas... Tout connu, heureusement. Mais par exemple, en pédiatrie, j'arrivais beaucoup plus à être empathique avec les parents parce que je me disais, c'est normal qu'ils soient angoissés pour le moindre truc parce que je me disais, mes parents étaient pareils. Donc, je comprenais plus les parents qui étaient stressés pour leur enfant que peut-être quelqu'un qui n'a jamais connu ça.
- Pascale Lafitte
Carla a 27 ans. Elle est en cinquième semestre de médecine générale, ce qui signifie qu'en novembre de cette année, Elle sera docteur et aura terminé ses études. En préambule à cet entretien, je lui ai demandé pourquoi elle avait choisi de faire des études de médecine.
- Carla Magaud
Alors, c'est un peu par hasard, on va dire. Je suis passée un peu par toutes les envies de métier dans le médical. Au début, je voulais être vétérinaire. Puis j'ai fait mes fameuses stages d'observation de troisième. Et en fait, j'étais traumatisée par... par toutes les euthanasies des animaux. Et puis, ça me touchait un peu trop. Et donc, je me suis dit non, en fait, ce n'est pas fait pour moi. J'ai voulu faire kiné. J'ai aussi fait des stages. Ça m'a beaucoup plu, mais je trouvais ça un petit peu trop physique. Et donc, je me disais, mais quand même, il y a quelque chose qui m'attire dans le médical. Et puis, finalement, j'ai pris une filière scientifique au lycée. Et je me suis dit, pourquoi pas tenter médecine ? Et j'ai passé beaucoup de temps, du coup, à l'hôpital. mon enfance. Au début, je ne voulais pas trop. Je me disais que c'était un peu bizarre de vouloir faire médecin alors qu'on a passé sa vie à faire ça. Mais finalement, je ne regrette pas du tout. J'ai tenté. Je me suis dit que si c'était pour moi, je l'aurais. Ce serait mon destin et que si ce n'était pas fait pour moi, je ne l'aurais pas. Et je l'ai eu. Après, il fallait se débrouiller avec ça. Et ça se passe très bien. Je suis très contente.
- Pascale Lafitte
Vous avez un handicap. Vous dites que vous avez passé beaucoup de temps à l'hôpital. Est-ce que finalement, au fond de vous, il n'y avait pas un besoin de rendre ce qu'on vous avait donné ?
- Carla Magaud
Je pense que c'est un peu ça. J'avais une très bonne relation avec tous mes médecins, que ce soit chirurgien, médecin généraliste, autre spécialité. Et puis, j'aimais beaucoup cette relation. Je me disais que si j'arrivais à faire ce qu'ils avaient fait pour moi, pour d'autres personnes, ça me ferait plaisir. Et je pensais à ce besoin un petit peu de rendre l'appareil.
- Pascale Lafitte
Racontez-moi votre premier jour en internat ?
- Carla Magaud
Je ne suis pas sûre de mon souvenir, là.
- Pascale Lafitte
On ne se souvient pas du premier jour, quand on arrive, quand on passe ce foutu concours, quand on a fait cet externat et que du jour au lendemain on se retrouve responsable. de malade à devoir prescrire avec une charge de responsabilité qui vous tombe dessus. Vous êtes sûre que vous ne vous souvenez pas vraiment de ce jour-là ?
- Carla Magaud
Oh ! dit comme ça, c'est vrai que j'ai commencé mon premier semestre en ville chez le praticien, donc ce n'est peut-être pas ce jour-là qui m'a marquée, mais par contre je faisais des gardes en même temps. Vu que je venais d'une autre ville, j'ai changé de ville pour mon internat. Je n'avais pas de logement, donc j'ai voulu prendre l'internat. C'était pour... Avoir l'internat quand on est en stage en ville, il fallait plutôt prendre une périphérie et faire des gardes pour accéder à l'internat. Ce qui m'a le plus marquée, ce serait peut-être ma première garde d'interne, où je n'en avais pas vraiment fait en tant qu'externe, un petit peu, mais ce n'était pas pareil du tout. Et du coup, lâcher dans la nature. En plus, c'était un stage de périphérie, donc on avait les urgences et en même temps les appels dans les étages. C'est là où j'ai fait mes gardes, c'était vraiment... Un siège qui drainait beaucoup, beaucoup de flux. Il y avait en plus des grèves ou des arrêts dans les autres sièges où il y avait des urgences. Donc on se prenait encore plus de patients. Donc j'arrivais déjà le soir à 18h avec beaucoup de dossiers à reprendre, plus le téléphone qui sonnait sans arrêt dans les étages pour des problèmes, pour des décès. Un peu backdads, comme on dit. Donc c'était très éprouvant, j'étais hyper stressée. Mais après, au fur et à mesure, on se rend compte qu'on n'est pas tout seul, qu'on a nos co-internes, on a nos chefs. Et puis, au fur et à mesure de faire des gardes, ça va de mieux en mieux.
- Pascale Lafitte
Le travail d'interne est une grosse charge de travail. Or, vous... vous avez décidé de vous impliquer dans un syndicat qui est l'ISNI ?
- Carla Magaud
Oui, je suis un petit peu masochiste sur les bords, je pense. Mais c'est peut-être un petit peu pour ça aussi, parce que quand on voit nos conditions de travail, quand on voit nous-mêmes ou des co-internes qui vont mal, ça peut être du stress, des dépressions, mais ça peut être beaucoup plus grave aussi, malheureusement. Ça donne envie de faire bouger les choses et de faire un peu respecter nos droits, en fait. Donc, j'ai commencé juste par le syndicat local de Nice, un tout petit peu la première année, puis vraiment la deuxième année en tant que secrétaire générale. Et puis, finalement, pour finir là au syndicat national des internes, pour encore plus de portée et d'essayer de faire bouger les choses.
- Pascale Lafitte
Lorsque je rencontre des internes, je vois quand même des gens qui travaillent beaucoup. Le nombre d'heures est intense, impressionnant. Ça veut dire que c'est l'ensemble de votre vie aujourd'hui que vous donnez à la médecine, c'est tout ?
- Carla Magaud
Oui, en fait c'est ça. Je me dis que c'est le moment de faire ça parce que je suis à la réforme de trois ans de médecine générale. Donc là, ça vient de passer à quatre ans. Enfin, on verra plus ou moins. En tout cas, moi, je suis dans l'ancien DES. C'est très court, trois ans au final. Je l'ai vu passer en un éclair. Il me reste un semestre et demi. J'ai l'impression que je viens de rentrer. Donc, je me dis que je n'ai pas beaucoup de temps pour faire ce genre de choses. Et je me suis posé beaucoup de questions avant de m'engager dans l'ISNI. Je me suis dit, si je ne le fais pas maintenant, en fait, après, j'ai fini et je serai docteur à la fin de l'année. Et je me suis dit, si je ne le fais pas maintenant, je ne le ferai jamais. Donc, c'était le moment de tout donner. C'est vrai que ça prend... J'essaie des fois de me dire à quel pourcentage de ma vie je donne tout ça. Et je pense que si on compte mon internat plus le syndicat, c'est bien 80% de toute ma vie à la médecine et au syndicat. Et plus que 10-20% de personnel, on va dire.
- Pascale Lafitte
Et vous n'avez pas peur de vous brûler ?
- Carla Magaud
Si, un petit peu, mais quand je vois les résultats que ça donne, je me dis que ça en vaut la peine.
- Pascale Lafitte
L'ISNI est l'intersyndicale nationale des internes. Elle représente et défend les intérêts des internes en médecine, odontologie, en France. Sa mission principale est de promouvoir leurs droits et de veiller à l'amélioration de leurs conditions de travail, de formation et de vie durant leur internat. L'ISNI joue un rôle important dans les négociations des réformes touchant à l'internat et dans la défense des internes. face aux défis de leur parcours professionnel. Aujourd'hui, l'ISNI exprime plusieurs revendications majeures, principalement centrées sur la réforme de la quatrième année du diplôme d'études spécialisée de médecine générale, prévu pour novembre 2026. L'ISNI considère cette réforme inapplicable en l'état actuel et appelle à une grève nationale des internes, le 29 janvier, pour en demander le report.
- Carla Magaud
Donc là, il y a la réforme qui est passée. Depuis deux ans, on n'a toujours aucun décret de sortie. On est en grève pour le 29 janvier pour demander un report de cette réforme parce qu'elle n'est pour l'instant pas du tout applicable. Il manque environ 60 % de stages universitaires pour que cette réforme soit faite. Le but d'un médecin généraliste, c'est d'être formé à la médecine de ville parce que c'est là où on est censé exercer plus tard. Donc la quatrième année est censée être une année de docteur junior ambulatoire et pas à l'hôpital, là où du coup on ne travaillera pas. Seulement là, elle n'est pas du tout faite pour. On n'a pas du tout le nombre suffisant de maîtres de stage universitaire. J'ai plusieurs chiffres en tête de plusieurs facs différentes, ça varie quand même. Mais il manque entre 40 et 60% de maîtres de stage par rapport au nombre d'internes. Donc là, ce n'est pas du tout applicable en l'état. Il manque du coup des infrastructures. Tout ça, il manque plein de choses pour que ça soit fait en novembre 2026.
- Pascale Lafitte
Quand vous dites "maître de stage", ce sont des médecins qui sont capables d'encadrer et qui sont formés à encadrer des internes. Ce sont des médecins qui sont volontaires, qui se portent volontaires. Comment on devient maître de stage ?
- Carla Magaud
Il y a une formation pour ça qu'ils demandent à faire. Il y en a plusieurs. Après, il y a pour les niveaux 1 du coup, les premières semaines d'internat. Pour les derniers semestres, ça se passe du coup. Et après, aussi pour le Dr Junior ambulatoire. Donc tout ça demande beaucoup de préparation parce qu'il faut du coup les former avant qu'ils puissent nous accueillir. Donc ça demande du temps et on manque beaucoup de médecins dans toutes les filières.
- Pascale Lafitte
Il faut les former, ça prend du temps pour les former, mais eux, il faut qu'ils aient aussi le temps de venir se former. On sait qu'aujourd'hui... La médecine de ville, elle est à flux tendu ?
- Carla Magaud
C'est ça, il faut qu'on en ait un des volontaires, mais malheureusement pas assez. Donc on essaie de voir comment on peut faire pour pallier à ça.
- Pascale Lafitte
Comment vous êtes entendus par les autorités, que ce soit le ministère, le gouvernement, les hôpitaux, les directions hospitalières ?
- Carla Magaud
Après, du coup, il y a plusieurs actions, donc il y a local et national. Je sais que, par exemple, le syndicat local... échangent avec le département de médecine générale, avec l'ARS, avec les directions des affaires médicales, les doyens. Et puis après, du coup, nous, au National, enfin pas moi personnellement, plutôt président politique de santé, mais qui échangent du coup avec les ministères, avec d'autres intersyndicales, notamment avec l'ISNAR-IMG, le syndicat de médecine générale, pour travailler ensemble, pour faire appliquer cette réforme, mais dans de bonnes conditions.
- Pascale Lafitte
Comme l'a précisé Carla, la grève des internes en médecine prévue le 29 janvier est initiée par l'ISNAR-IMG, Intersyndicale National Autonome Représentatif des Internes de Médecine Générale. L'ISNI, l'Intersyndicale National des Internes, a également rejoint cet appel à la grève, partageant les mêmes préoccupations quant à la mise en œuvre de cette réforme. Carla est une combattante, une dure à cuire, une badass, dit-on aujourd'hui. Et vous allez voir que son parcours de médecin interne en situation de handicap n'est pas simple. Ce choix professionnel lui demande de la détermination. Qu'en est-il des internes en médecine en situation de handicap ? Alors peut-être que la question ne tient pas vraiment la route, mais je lui ai demandé s'il y avait des quotas.
- Carla Magaud
Pas vraiment parce qu'en plus on n'est pas trop déclaré du coup. C'est difficile d'avoir des chiffres et c'est aussi pour ça que je vais lancer une enquête bientôt pour recueillir un peu les chiffres sur les internes de situation de handicap. Il y a énormément de handicaps différents. Il y en a qui justement ne se reconnaissent pas. Il y a des handicaps moteurs, puis plutôt psychiques, mentales, et qui sont des fois, même la personne ne sait pas qu'elle a un handicap et du coup, qu'elle ne sait pas qu'elle peut avoir accès à certains droits. qui peuvent l'aider à améliorer son internat. Alors,
- Pascale Lafitte
j'ai lu dans des publications, d'ailleurs, de l'ISNI, que certains travailleurs avec un handicap le cachaient parce que ce n'était pas bien vu. Je ne sais pas pour quelles raisons, d'ailleurs. Or, on se dit qu'on est à l'hôpital et on a l'impression que le cordonnier n'est pas très bien chaussé ?
- Carla Magaud
Oui, on a un peu cette impression que le médecin doit être... en super forme, pas de problème. Et puis surtout, ne rien dire et pas se plaindre, mais ne se plaindre de rien, parce que ça va un peu dans tout l'internat, on ne peut pas se plaindre qu'on travaille trop. Il ne faut pas dire non plus qu'on a des soucis. Je rencontre beaucoup ce problème avec des internes qui ont plutôt des handicaps invisibles, que ce soit physique, invisible, mais aussi le plus, c'est mental. Du coup, dès qu'il y a un souci comme ça, les services, les directions sont beaucoup plus réticentes. Et il y a des internes qui m'ont raconté qu'on leur avait conseillé de cacher leur handicap ou alors aussi, si c'était quelque chose de plutôt psychique, de dire qu'ils n'avaient pas une maladie mentale pour ne pas qu'on les prenne pour des fous. Parce qu'il vaut mieux quand même dire qu'on a une petite forme d'autisme ou de retard qu'avoir une maladie psychiatrique. Donc ça m'avait énormément choquée. qu'on leur demande en plus de cacher leur handicap aux services, aux directions, pour ne pas être catégorisés. Alors que du coup, ça peut s'adapter avec différentes têtes, si on s'est bien pris en charge. Mais il y a beaucoup, beaucoup de chemin à faire dans les mentalités à ce niveau-là. Internant médecine,
- Pascale Lafitte
Et je lisais aussi que les travailleurs handicapés étaient deux fois plus exposés aux violences que les autres.
- Carla Magaud
Oui, dans l'enquête santé mentale aussi, on parle de ces chiffres, mais malheureusement, c'est vrai.
- Pascale Lafitte
Mais qu'est-ce qu'on appelle violence ?
- Carla Magaud
Alors, violence, je pense que ça dépend des internes, mais ça peut être maltraitance, harcèlement, violence verbale, physique, toutes les formes de violence. Malheureusement, je pense que c'est sexuel et sexiste aussi, mais sur les violences par rapport au respect du temps de travail, ça doit être un peu plus difficile parce que je pense qu'ils acceptent moins les aménagements. Donc, ça tire un peu plus sur la corde.
- Pascale Lafitte
Vous avez, vous, subi des violences, ou verbales, ou sexistes, ou sur le temps de travail ?
- Carla Magaud
Alors, j'ai la chance que non. Donc, je suis, je pense, un peu privilégiée là-dessus. Ou alors, c'est que justement, j'ai fait attention à aménager mes stages, à me présenter en amont, à aller dans des stages où je savais que ça se passait bien. Et du coup, je me dis que c'est un peu la preuve qu'on peut aménager son internat en sachant comment l'aménager et où aller pour que ça se passe bien. L'idéal, ce serait que ça se passe bien partout et que tout le monde ait un internat avec des aménagements. On en est loin, mais je pense que si on arrive en début d'internat en se présentant avec l'aide de nos syndicats, en réfléchissant dès le début à comment ça peut bien se passer. Moi, j'ai eu un retard de un semestre où du coup, je ne savais pas au premier semestre que j'avais le droit d'aménagement. Tout ça, j'ai eu la chance d'être en ville. Du coup, ça allait. Mais j'ai bien anticipé pour mon semestre d'urgence. Et du coup, ça s'est très bien passé. Mais parce que j'ai anticipé, si je n'avais rien fait, ça se serait très mal passé. Ce que vous me dites,
- Pascale Lafitte
c'est que vous êtes allée sur le service, sur le site, avant de démarrer votre stage de six mois d'internat avec votre canne. Pour qu'ils sachent que vous avez une canne, pour qu'ils soient prêts, eux, psychologiquement, à vous accueillir ?
- Carla Magaud
C'est un peu plus compliqué que ça, mais...
- Pascale Lafitte
C'est quoi alors ?
- Carla Magaud
La première chose que j'ai faite, c'est appeler le syndicat. Du coup, je n'étais pas encore dedans. C'est après un peu comme ça, à force de les connaître, que je suis rentrée dedans. Mais du coup, pour leur expliquer mon handicap, et puis comment j'avais fait quand j'étais externe, parce qu'il y a eu tout l'externat avant aussi, accessoirement. qui a duré six ans, donc il fallait bien s'adapter. Et du coup, je leur ai dit que je savais que j'avais mon semestre d'urgence, que j'avais eu des aménagements, moi, quand j'étais externe aux urgences.
- Pascale Lafitte
Quel type d'aménagement ?
- Carla Magaud
Alors, quand j'étais externe, je ne faisais pas de 24 heures. C'est quelque chose que je fais encore en étant interne. Donc, je ne faisais pas de garde de 24 heures, alors que là où j'étais, mes urgences ne fonctionnaient qu'en garde de 24 heures. Donc, j'y étais allée, on avait vu avec la chef qui s'occupait des internes, qui était super. Et... qui m'a très bien accueillie, on dit on va te faire un emploi du temps sur mesure, où tu feras des 12 heures, du coup on coupait en deux. Et ça s'est très bien passé comme ça, donc je savais que c'était possible, je savais que ça s'était bien passé comme ça. Donc j'ai appelé le syndicat, et je savais que ça serait un peu plus compliqué en tant qu'interne, parce que bon voilà, un externe, bien que là où j'étais on faisait beaucoup beaucoup de choses, là on a les responsabilités, et puis il y a toute l'histoire de, il ne faut pas que ça empathise sur mes coûts internes, et ça c'est très dur pour moi. de demander à mes co-internes de faire plus si moi je dois faire moins. Donc c'est pour ça que j'avais trouvé avec le syndicat d'être en surnombre, justement pour pas que ça impacte sur mes collègues de travail. Du coup, j'étais en plus des quotas. Donc au contraire, il faisait moins d'heures parce que j'étais là. Donc là, tout de suite, ça passe mieux. Donc j'ai négocié un surnombre avec l'ARS, donc l'ARS, l'Agence régionale de santé, et le syndicat pour être en plus. Et du coup, me dire, voilà, je suis là, je fais mon stage avec mes aménagements et je n'impacte pas sur mes collègues de travail, voire au contraire, ils ont un interne de plus, donc tout le monde est content. Après, il a fallu trouver le service qui voulait bien accueillir un surnombre, parce que c'est un financement en fait aussi, donc voilà, tout est toujours histoire de financement malheureusement. Et donc, il y avait deux endroits qui voulaient bien... M'accueillir, j'ai choisi un plus que l'autre parce qu'on le sentait mieux, tout simplement. Et donc je me suis présentée au chef, donc la chef qui nous accueillait, et qui, comme ça je fonctionne à chaque fois, du coup informe l'ensemble de ses collègues par le moyen qu'ils veulent, un mail, un message. Et puis voilà, du coup ça s'est très bien passé parce qu'on a anticipé en amont tous les aménagements possibles. C'était un semestre difficile parce que ça reste les urgences, mais que j'ai quand même bien vécu parce qu'on m'a bien accueilli et qu'on a bien aménagé les choses en amont.
- Pascale Lafitte
Je trouve que c'est très lourd pour vous. Ça ne devrait pas être à vous de faire tout ça. Je ne sais pas ce que vous en pensez. Il pourrait y avoir quelque chose de plus simple, de fluidifié. Parce qu'on sait quand même que vous faites des études qui sont lourdes, qui vous prennent beaucoup de temps. Donc, si en plus, vous devez anticiper tout ça tous les six mois, pendant trois ans, mais ça vous demande déjà beaucoup plus d'énergie qu'une personne qui n'a aucun handicap ?
- Carla Magaud
C'est l'enfer. Même pour un interne, je veux dire, lambda, si ça existe un interne lambda, mais bon. tous les six mois, on change de stage. Donc déjà, c'est extrêmement inconfortable. C'est bien pour notre formation de tout voir, mais ça nous met quand même toujours dans des situations où en plus, les spécialités choisissent, les autres spécialités que la médecine générale choisissent souvent un peu avant, parce qu'ils sont moins, ils ont des maquettes, souvent en milieu de stage, ils savent un peu déjà où ils vont aller. Nous, en tant que médecine générale, c'est un peu aussi pour ça que j'ai choisi Nice, parce que les périphes sont assez rapprochés. Mais voilà, tous les six mois, on se retrouve un mois avant, qu'on choisit un mois avant. Des fois, on a des réponses pour les logements d'internat aussi, des fois 15 jours avant. Le début du stage, on nous dit bon, là, tu vas aller là. Et puis dans ces mois, tu vas là. Et en fait, on doit tout le temps, tout le temps changer. Donc déjà, de base, c'est quand même extrêmement difficile de faire ça pendant trois ou quatre ans. Et du coup, moi, je dois anticiper encore en amont. Là, par exemple, mon prochain semestre est en mai. On est en janvier, j'ai déjà vu avec le syndicat comment aménager mon prochain stage. Donc là j'ai réussi à avoir un surnom sur tout mon internat, ça s'est acté. Mais mine de rien, tous les six mois, il faut que je trouve un stage qui veut bien m'accueillir, qui est d'accord avec l'aménagement, qui est d'accord pour financer un surnom, et où je sais que ça va quand même bien se passer.
- Pascale Lafitte
Les aménagements de temps de travail pour les internes en médecine en situation de handicap visent à concilier les exigences professionnelles et la gestion des particularités liées à leur état de santé. Ces mesures découlent des principes d'égalité des chances et d'inclusion inscrits dans la législation française. La loi du 11 février 2005, qui marque un moment décisif dans la reconnaissance des droits des personnes en situation de handicap en France, implique les établissements de santé, en tant qu'employeur public qui doivent se conformer à ces obligations et mettre en place des aménagements pour leurs salariés et stagiaires en situation de handicap. Un décret paru en 2010 fixe les règles relatives au temps de travail des internes et permet d'y inclure des dérogations spécifiques pour les situations de handicap. Les principaux axes d'aménagement concernent la réduction du temps de travail, les aménagements horaires, les dispenses de garde ou de nuit, et les congés spécifiques.
Le handicap de Carla est visible, impossible donc à dissimuler, alors nous en parlons.
- Carla Magaud
C'est ça, du coup, moi, je ne sais pas si c'est une chance, mais en fait, ça se voit. Donc, on sait qu'il faut s'adapter. que c'est plus facile de demander quelque chose. C'est beaucoup plus dur pour les handicaps invisibles, où il y a des internes qui galèrent beaucoup plus et qui, du coup, des fois, n'osent pas demander, parce qu'ils ont un peu l'habitude que le milieu n'en prenne pas en compte et, du coup, ne demande tout simplement pas. Et après, ça peut donner des stages où ça ne se passe pas. Et puis, du coup, ils s'arrêtent, alors que ça aurait pu être anticipé en amont.
- Pascale Lafitte
Il y a des échecs dans les études de médecine dues à ce handicap. qui ne sont pas aidées ?
- Carla Magaud
Oui, il y en a forcément. Dans des semestres, j'en connais qui, du coup, ont pris des disponibilités aussi pour faire des pauses parce qu'un peu difficiles, ou qui ont refait des semestres parce que ça ne s'était pas très bien passé. Malheureusement, ça arrive.
- Pascale Lafitte
Or, ce sont des bons médecins, ou des bons docteurs, parce que médecins, là, vous l'êtes tous, quand vous êtes interne. Laissez passer vos amis les ambulanciers. Or ce sont des bons médecins qu'on perd en route, c'est ça ? Et puis on sait qu'aujourd'hui, des docteurs, il en manque, et puis il en manque je crois pour quelques années.
- Carla Magaud
C'est aussi souvent, en fait, je trouve qu'on n'est pas très bien aiguillé à la fin de notre externa pour du coup nous aider à choisir des spécialités adaptées aussi. Parce que donc... Le but, c'est que l'hôpital et l'internat s'adaptent à l'interne. Mais malheureusement, il faut aussi aider à choisir des spécialités où on peut avoir une bonne qualité de vie. Parce que la qualité de vie est très importante. On le voit quand même beaucoup plus depuis le Covid que ça devrait être la chose principale dans notre vie, une bonne qualité de vie. Et je pense que malheureusement, du coup, il y a pas mal d'internes qui... qui choisit une spécialité un peu au hasard, sans avoir pu vraiment se renseigner, et du coup qui arrive à devoir... Faire des droits aux remords plus ou moins contraints, vers des fois quelque chose qui leur plaît, mais du coup, on ne perd jamais des années parce que c'est des connaissances. Mais des fois, on se retrouve à faire deux ans d'internat et on se dit, mais en fait, pas du tout. Qu'est-ce que je fais ? Ça ne me plaît pas. Il faut autre chose pour que je m'épanouisse plus. Et je pense que ça pourrait être un peu anticipé en fin d'externat. Oui,
- Pascale Lafitte
Parce qu'en fait, ce qu'on oublie souvent de dire, c'est qu'il vous arrive de faire des choix en ne connaissant pas la spécialité. À tous les internes, ça peut arriver. Vous allez faire anesthésie-réanimation, n'ayant jamais fait de réanimation, ayant juste fait trois mois en externat, d'anesthésie ou ORL ou peu importe. Et ce n'est pas forcément le coup de foudre, en fait, lorsqu'on met les pieds dans une spécialité ?
- Carla Magaud
Non, on ne se rend pas compte. La vision qu'on a quand on est externe d'une spécialité, elle est vraiment différente quand on passe interne. Franchement, il y a un monde, un fossé entre les deux et on ne se rend pas compte. Et je connais énormément d'internes qui ont fait des droits aux remords, qui heureusement vont mieux avec ces droits aux remords, mais qui voulaient exprimer une spécialité et ça se passe vraiment trop mal, par trop de travail, ça ne leur plaît pas tout simplement aussi. Mais du coup, des fois, des spécialités incompatibles avec notre santé. Donc, je pense qu'on en est loin de pouvoir adapter, par exemple, de la chirurgie à un interne avec un handicap. Mais bon...
- Pascale Lafitte
Vous pensez vraiment qu'on en est loin ? Je voyais un chirurgien, je crois, qui était à Bordeaux et qui opérait un patient qui était à Tokyo, ou à Pékin. Est-ce que l'évolution... technologique ne va pas justement pouvoir permettre à des personnes en situation de handicap et qui, comme vous, par exemple, vous ne pourriez pas rester 100 heures par semaine le dos baissé sur un patient en train de lui charcuter le bidon, mais peut-être demain ?
- Carla Magaud
C'est vrai que pour avoir fait beaucoup de stages de chirurgie pendant mon externat, parce qu'il y avait des formations obligatoires et j'aimais bien ça quand même, J'en aurais pas fait ma spécialité, mais ça s'était quand même bien passé. J'ai fait un stage de gynécologie quand j'étais externe et je l'opérais tout le temps avec une chef avec qui je m'entendais très bien. Et c'est vrai que des fois, on restait cinq heures debout, mais parce que je me sentais de le faire aussi. J'étais plus jeune, donc je commençais à prendre de l'âge. Mais là, je sais que je n'aurais pas pu le faire en tant qu'interne. Je l'ai fait en tant qu'externe, mais... Par exemple, avant, on faisait toutes les opérations de l'abdomen. C'était de la parotomie, donc on ouvre le ventre, on est forcément dedans pendant des heures. Déjà maintenant, franchement, ça existe encore, mais beaucoup moins. On a la celluloscopie avec les caméras, et puis maintenant on a le robot. Je voyais mes chefs qui opéraient au robot, assis à côté. Donc voilà, c'est quand même beaucoup plus... Beaucoup plus pratique d'opérer comme ça. Il y a des chirurgies où ils opèrent quasiment que au robot. Donc il y a des chirurgies où on est assis, où c'est quand même beaucoup plus facile que par exemple la chirurgie orthopédique où là c'est taper avec des marteaux et puis quand même scier des os. Là, avant qu'on fasse ça avec un robot, je pense qu'on en est un peu loin, mais on progresse très vite, donc pourquoi pas.
- Pascale Lafitte
Je vous invite à découvrir le site internet ISNI.fr ainsi que leurs publications.
Merci à Carla et merci à vous tous de nous avoir écoutés. Si vous aimez ces entretiens, alors partagez-les et n'oubliez pas, interne en médecine, le podcast est à suivre sans ordonnance ni modération. A très vite.