- Pascale Lafitte
Bonjour, bienvenue, je suis Pascale Laffitte, je vous présente Internes en médecine, le podcast à suivre sans ordonnance ni modération. Une série de rencontres et de conversations avec des internes en médecine. Une émission réalisée en partenariat avec l'ISNI, l'InterSyndicale Nationale des Internes. Aujourd'hui, nous allons rencontrer Thomas Sitti, docteur junior à Nice, en médecine intensive réanimation. Comme Thomas est aisé, qu'il a donc prêté serment. Je me suis empressé de lui demander ce qu'il avait ressenti à ce moment-là.
- Thomas Citti
C'était quelque chose d'émouvant parce qu'il y a la famille, il y a les parents, mais j'étais extrêmement concentré sur ma soutenance de thèse et sur tous les éléments que je traite à côté. Donc c'est un élément extrêmement important la thèse, mais je suis quand même quelqu'un de concentré. Donc je pense que mon grand sentiment de relâchement et d'accomplissement... viendra à la fin de mon internat, à la fin du Docteur Junior.
- Pascale Lafitte
Rien qu'à son ton, vous percevez Thomas, droit, déterminé, déroutant parfois. Thomas nous parle de son engagement auprès de l'ISNI. Il est actuellement en charge des politiques de santé, soit, je le cite, la gestion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, l'accès aux soins, le temps de travail, la lutte... contre les violences sexistes et sexuelles et la revalorisation du statut d'interne en tant qu'agent public. Thomas, qui dans cet entretien, nous parle également d'un projet personnel, Spike Project, qui vous allez l'entendre, l'a amené en haut du plus haut sommet d'Afrique, le Kilimandjaro, et en haut du Denali, le plus haut sommet d'Amérique du Nord, en Alaska, avec une altitude de 6190 mètres. Tout ça, on y revient, mais d'abord, écoutons pourquoi Thomas a choisi de faire des études de médecine.
- Thomas Citti
Ça n'a pas été vraiment un choix, ça a été une certitude. À l'âge de 6 ans, je savais que je serais médecin. Je n'ai pas vraiment de médecin dans ma famille. J'ai mon oncle qui est médecin généraliste. Et c'est vrai que quand j'ai été chez lui pour la première fois, et que ma mère m'a dit qu'il était médecin, dans mes souvenirs... Voilà, je savais que je voulais faire médecine, ça venait de soi de prendre soin des autres.
- Pascale Lafitte
Quand on est déterminé, quand on a 6 ans, quand on veut être médecin, qu'on est déterminé, c'est obsessionnel même dans son parcours scolaire ? Est-ce qu'on se donne ces moyens-là que d'y arriver ?
- Thomas Citti
Je pense que ça dépend de chacun.
- Pascale Lafitte
Pour vous, je ne parle pas pour les autres.
- Thomas Citti
Moi, j'ai toujours été un étudiant moyen plus, avec 13-14 de moyenne au lycée, parce que je savais qu'à l'époque, pour rejoindre les études de médecine, On n'avait pas besoin d'avoir 18 de moyenne pour rejoindre une grande prépa. Donc j'ai fait en sorte d'avoir mon bac avec la mention bien et d'être accepté dans la fac que je souhaitais. Donc je ne me suis pas réellement mis de pression avant les études de médecine. Et par contre, le jour où on commence les études de médecine, la pression arrive du jour au lendemain.
- Pascale Lafitte
Vous appelez quoi commencer les études de médecine ? C'est la première année ou c'est après cette première année ?
- Thomas Citti
Non, les études de médecine commencent lors de la première année. C'est la première année où on se rend compte du concours, du stress. Moi, je n'ai pas particulièrement vécu de climat de nauséabond entre les différents étudiants. J'ai plutôt rencontré des gens qui avaient un climat d'entraide. Mais on se rend compte que, moi, à l'université où j'étais, il y avait plus de 3000 personnes qui candidataient pour à peu près 300 personnes qui passaient. Donc, c'est vrai qu'il y a une sélection qui est faite, une sélection que, à post-théorie, je peux vous dire que je trouve complètement stupide. Et je pense qu'il faudrait supprimer ce climat-là parce qu'on ne se rend pas compte qu'en inspirant la compétition, dès le début de notre parcours, parcours. Cette compétition-là va après affecter nos relations interprofessionnelles tout au long de notre parcours. Et je pense qu'il y a une partie du climat de tension qui peut résider parfois à l'hôpital, qui est liée à cette compétition omniprésente tout au long de nos études.
- Pascale Lafitte
Parce que cette compétition, vous la ressentez maintenant. Alors vous êtes interne, vous avez passé ce cap de l'externat du concours, du deuxième concours, et vous ressentez encore cette compétition ici. Là, on est devant l'hôpital de Nice. À l'intérieur, dans les couloirs, il y a toujours de la compétition ?
- Thomas Citti
Disons que lorsqu'on est interne, il y a une tension de poste, une tension de carrière en fonction des volontés de chacun. Ce n'est plus réellement de la compétition. Une fois qu'on a passé le concours de l'internat, c'est plus réellement de la compétition. Mais il y a un climat professionnel qui peut être entravé de par cette culture de la compétition que l'on peut avoir.
- Pascale Lafitte
Ça veut dire quoi un climat professionnel entravé ? Qu'on comprenne bien.
- Thomas Citti
Ça veut dire bien une chose. En fonction de la spécialité, bien sûr, il y a aussi les égaux qui viennent intervenir. Ce conflit d'égaux-là peut amener à des fois des discussions ou des volontés, des décisions qui sont prises pour les patients qui ne sont pas forcément les meilleures, en tout cas celles qui auraient pu être prises dans un climat tempéré avec une considération commune de chaque intervenant.
- Pascale Lafitte
Revenons à votre premier jour d'internat. Est-ce que vous vous souvenez ? Le jour où vous êtes arrivé pour une première fois à l'internat, donc c'était peut-être en 2 novembre, en tout cas c'était tout début novembre ?
- Thomas Citti
Oui, c'était en novembre, tout à fait.
- Pascale Lafitte
Vous vous souvenez ?
- Thomas Citti
Je me souviens de l'arrivée à l'internat, je me souviens de mon premier jour, de mes premières discussions avec chacun des médecins du service.
- Pascale Lafitte
Vous pouvez nous raconter? Qu'est-ce qu'on ressent quand on sort d'années d'externat où on est juste étudiant et que, paf, après six mois d'arrêt... pouf, ça vous tombe dessus.
- Thomas Citti
Vous soulevez un point qui est extrêmement important, c'est vrai que lorsqu'on est externe, on étudie, on bachote nos bouquins, la priorité c'est d'engranger le plus d'informations possibles, le plus rapidement possible pour faire le meilleur classement. Direct, le mot direct est bien, dès qu'on arrive en tant qu'interne, on se retrouve médecin, à devoir faire des prescriptions, à avoir des responsabilités pour les patients, et en fonction de l'encadrement et de la bienveillance qu'il peut y avoir dans l'équipe, on peut se retrouver confronté à des situations qui... qui peuvent toucher à la fois notre aspect émotionnel, mais même notre estime de nous-mêmes, avec le fameux syndrome de l'imposteur qui perdure au fur et à mesure en fonction des situations vécues.
- Pascale Lafitte
Syndrome de l'imposteur, vous l'avez ressenti, vous ?
- Thomas Citti
Si vous voulez, pour moi, le syndrome de l'imposteur s'est vite transformé en une sorte de frustration interne qui me faisait me dire que je ne devrais pas être dans cette situation-là, car étant en début d'internat, bien que médecin, car j'avais le droit de prescrire des médicaments, l'encadrement... et la gestion interne n'était pas suffisante et entraînait justement ce syndrome de l'imposteur-là qui par la suite entraîne toutes les atteintes psycho-émotionnelles des internes en médecine avec les syndromes anxieux, les syndromes dépressifs, parfois aussi très fréquemment du burn-out. Et donc c'est vrai que c'est un peu comme un syndrome de stress post-traumatique ou en tout cas on va dire un trouble de stress anx-aigu. qui survient les premiers jours qui suivent un événement traumatisant. S'il n'y a pas de prise en charge ou de discussion, ou en tout cas de retour sur l'expérience, ça peut évoluer vers un syndrome de stress post-traumatique. Donc ça, c'est pour des événements qui sont plus importants. C'est bien décrit pour les gens qui ont été à la guerre, par exemple. Mais je pense que pour des internes, des gens qui se retrouvent dans un climat où ils se trouvent dans une sorte de syndrome de l'imposteur, sans encadrement, avec des situations qui les marquent, qui se retrouvent un peu isolés de leur équipe, parce qu'il y a parfois cette tendance-là, si jamais l'interne n'est pas forcément ce qu'on peut dire adapté, adapté au code de l'hôpital, il peut ne plus se retrouver dans la situation, il peut discuter et témoigner de ce qui ne va pas, en tout cas au niveau émotionnel, et on se retrouve avec tous les trous anxieux, dépressifs et le burn-out. Et c'est ce manque d'accompagnement à l'hôpital, il faudrait envisager des équipes mobiles qui puissent aller dans les services pour attester de la qualité de vie au travail, favoriser les discussions, éviter ce système où les gens se retrouvent isolés assez facilement.
- Pascale Lafitte
Selon une enquête menée en 2021 par l'Association Nationale des Étudiants en Médecine de France, par l'Intersyndicale National Autonome Représentatif des Internes de Médecine Générale et par l'ISNI, 67% des externes et des internes rapportaient des signes de burn-out et 39% présentaient des symptômes dépressifs. Et malgré ces chiffres alarmants, les données précisent sur le pourcentage d'internes ayant recours à un soutien psychologique reste limité. Une étude de 2024 indique que 21% des internes ont eu des idées suicidaires au cours des 12 derniers mois, soulignant l'importance d'un soutien psychologique adéquat.
- Thomas Citti
Il existe plusieurs possibilités. Tout d'abord, se tourner vers la médecine du travail, de l'hôpital, dans cet hôpital, ça existe. Il y a aussi la possibilité de contacter les syndicats locaux pour demander les cellules locales de SOS, qui sont souvent... gérés par des psychiatres qui sont aussi également des internes. Donc il y a forcément ce climat, lorsqu'on est un interne, qu'on ne se sent pas compris à l'hôpital et qu'on n'est pas compris de nos cours internes, qu'on se met en arrêt maladie et que ça cristallise une tension par rapport au planning, etc. Aller se confier à notre interne, ça rajoute du stress, on a de l'anxiété préventive, en tout cas au fait d'aller se rassurer. En général, les internes qui gèrent ça, le font très bien, donc ça permet quand même une certaine aide. Après, il y a des systèmes de numéros nationaux. Mais ce qui est certain, c'est qu'actuellement, la santé psychologique des étudiants, des internes, n'est pas prise en charge comme elle devrait l'être.
- Pascale Lafitte
J'ai le sentiment que c'est un sujet sur lequel vous réfléchissez beaucoup.
- Thomas Citti
De par mon engagement syndical depuis 4 ans, j'ai été amené à m'occuper d'internes qui ont vécu ça. Je suis amené à en discuter de manière régulière et on essaye de mettre en place justement ces moyens-là. Oui, c'est un sujet qui nous concerne, notamment avec les enquêtes santé mentale qui ont été publiées. Il y a une enquête qui a été publiée en 2024. que j'avais largement contribué à faire. Et donc oui, c'est un élément qui est l'élément clé du bien-être à l'hôpital. Et cet élément clé du bien-être à l'hôpital permet d'avoir des soignants épanouis sur leur lieu de travail, qui sont plus concentrés et qui permettent de mieux prendre en charge leurs patients.
- Pascale Lafitte
Vous pensez bien qu'il y a beaucoup à dire sur ce sujet. Du coup, je vous invite à consulter l'enquête dont a parlé Thomas. Elle est disponible sur le site de l'ISNI. Vous recherchez « Enquête en santé mentale » . Elle a été publiée en novembre 2024.
En observant et en écoutant Thomas, je me suis dit qu'il était hyperactif.
- Thomas Citti
Je pense que je suis très sincèrement hyperactif, avec un petit trou de l'attention associée. Mais cette hyperactivité est bénéfique, elle me permet de faire plein de choses. Elle me permet de me lever tous les matins et de traiter différents sujets et cultive mon bien-être. Donc j'en suis extrêmement content.
- Pascale Lafitte
Moi je suis toujours très attachée à la sémantique. Quand vous me dites qu'elle me permet de me lever tous les matins, j'entends si je n'avais pas cette hyperactivité. Je n'aurais pas la force, la foi ou l'énergie de me lever tous les matins. J'entends bien ou j'entends mal ?
- Thomas Citti
Vous entendez bien. Il faut comprendre que moi, avant mon internat, je dormais 10 heures par nuit. J'étais travailleur comme tout étudiant en médecine, mais je travaillais de 10 heures à 13 heures à la bibliothèque, puis de 14 à 19 heures. Je n'étais pas du genre d'étudiant à faire des nocturnes. Je ne travaillais pas le dimanche. Toutes ces choses-là faisaient que j'avais... une santé même physique, enfin voilà, j'étais à mon avis plus en forme, donc là j'ai atteint un niveau de fatigue au fur et à mesure des années d'internat qui je pense est assez élevé, mais justement j'ai aussi, grâce à cette hyperactivité-là, réussi, et cet engagement que j'ai créé, que ce soit par l'alpinisme humanitaire ou que ce soit par mon engagement syndical, ça m'a permis de vivre des expériences, d'enrichir ma compréhension du système de santé, d'enrichir ma compréhension de l'espèce humaine, et de continuer à essayer d'avancer pour contribuer à minima, bien sûr c'est toujours extrêmement à minima, il faut bien s'en rendre compte, à essayer d'améliorer, en tout cas selon ma vision des choses, l'hôpital, l'accès aux soins et toutes ces choses.
- Pascale Lafitte
Je vais revenir donc à l'alpinisme, mais vos réponses à chaque fois induisent une nouvelle question. C'est difficile de vivre fatigué, et de plus en plus fatigué, et de se dire qu'on va arriver à une extrême fatigue ? Et ne pas savoir ce qu'il y a après cette extrême fatigue, comme niveau de fatigue ?
- Thomas Citti
Pour l'instant, pour tout vous dire, ce niveau de fatigue ne me pose pas réellement de soucis, parce que ça ne dépend que de moi aussi, de ralentir. Si demain j'ai besoin de ralentir, je pense que j'ai la possibilité de ralentir, ce qui n'est pas une chance qu'ont beaucoup d'internes qui travaillent 80 heures par semaine et qui sont dépendants de choses bien plus restrictives.
- Pascale Lafitte
Vous parlez des chirurgiens ?
- Thomas Citti
Notamment des chirurgiens, oui, tout à fait.
- Pascale Lafitte
C'est eux qui font le plus d'heures de présence de travail, non ? Peut-être que je dis une bêtise.
- Thomas Citti
Non, non, non. Vous avez tout à fait vrai, les études le montrent. Le temps de travail moyen d'un interne par semaine est de 59 heures. Pour un interne de spécialité médicale, un interne de chirurgie va vers les 70, vers les 80 heures. Ce qui est, pendant cinq années, énorme.
L'alpinisme, on y vient, mais je pense que le plus simple est d'écouter Thomas nous décrire son projet. Spike Project, c'est un projet d'alpinisme solidaire, avec un aspect humanitaire. L'idée est de gravir les sept montagnes les plus hautes de chaque continent. Ça s'appelle le Seven Summit Challenge. Et tous les cinq mètres d'ascension verticale, redonner un euro à une association partenaire, puis par la suite aller s'engager en tant que médecin ou en tant qu'humanitaire bénévole, ou médecin bénévole bien sûr, avec eux dans leur théâtre d'opération humanitaire.
- Pascale Lafitte
Est-ce que votre engagement professionnel et cet engagement-là sont liés ? Évidemment, vous m'avez donné la réponse. Oui, le lien est évident.
- Thomas Citti
Il y a un lien. Disons que mon métier de médecin me permet d'avoir une action humanitaire en tant que médecin. Parfois il n'y a pas de lien, j'ai par exemple été en Tanzanie faire une don à un orphelinat de jeunes filles et ça s'est même créé. Initialement j'avais aussi pour volonté de faire des actions humanitaires locales, c'est-à-dire de récolter des fonds et d'aller sur place, et sur place en rencontrant les locaux faire une action humanitaire ponctuelle.
- Pascale Lafitte
Et qu'est-ce que Spike Project a apporté à votre exercice de la médecine ?
- Thomas Citti
C'est une excellente question. J'ai fait un séjour humanitaire au Togo. Et à travers ce séjour humanitaire au Togo, j'ai réellement posé les pieds sur terre et je me suis rendu compte de la chance qu'on avait, déjà d'avoir les études qu'on a ici en France, qui nous permettent d'être les médecins qu'on est aujourd'hui, mais d'autant plus d'avoir un système de santé ouvert à tous, comme c'est le cas, d'avoir des systèmes de pointe, d'avoir accès aux examens, malgré les problématiques d'accès aux soins qui sont grandissantes et qui sont aussi extrêmement graves, mais on a quand même énormément de chance d'être en France.
- Pascale Lafitte
Et ça... avant d'aller au Togo, vous ne l'aviez pas vraiment touché du doigt ?
- Thomas Citti
On le touche du doigt, on le perçoit. Mais quand j'étais au Togo, il m'arrivait de faire des échographies cardiaques à des patients, trouver des cardiopathies terminales biventriculaires dilatées, des éléments qui en France devraient négocier, on pourrait envisager un projet de greffe, au moins avoir des traitements d'insuffisance cardiaque qui pourraient améliorer leur qualité de vie. pour la fin de leur vie. Au Togo, malheureusement, du jour au lendemain, il faut considérer qu'en tant que médecin, on est strictement impuissant et qu'on ne pourra pas permettre à ces gens-là de survivre. Et donc, c'est des gens qui arrivent un peu essoufflés et qui peuvent ressortir de cette consultation avec une alliance gravissime. Bien sûr, ça n'a pas d'intérêt de la faire, donc on ne leur dit pas que les choses vont être gravissimes ou en tout cas, on voit avec la famille, etc. Mais voilà, c'est une médecine qui est différente. qui est beaucoup moins séduisante d'un point de vue médical, car le médecin parfois ressent le besoin de devoir soigner la personne qui est en face de lui. Et cette frustration-là m'a amené à penser que j'ai énormément, énormément de respect pour l'association avec qui j'y suis allé, parce que c'est une association qui est dirigée par une dame qui est extrêmement âgée, qui y va deux fois par an, avec la chaleur, et qui se bat depuis plus de dix ans pour permettre l'accès aux soins des populations togolaises. Malgré cet élément-là de frustration, il y a quand même énormément qui est fait, notamment des chirurgies qui, elles, sont curables et qui permettent de sauver la vie de certains Togolais. Donc c'est une action qui est indispensable et qui nous rappelle tout de même que ces populations-là n'ont pas l'aide de leur gouvernement comme nous on l'a en France. Et ça nous rappelle aussi, encore une fois, la chance que l'on a d'avoir la démocratie et le système de santé que l'on a ici. Il ne faut pas débattre de supprimer l'AME ou de supprimer l'aide à des gens qui en ont le besoin. Il faut respecter notre serment d'hypocrate. Il y a plein d'éléments qui sont aujourd'hui mis dans le débat politique, que ce soit la régulation, l'installation, les mesures restrictives, l'absence de considération à la fois des besoins de la population, mais de manière efficiente en regard de la littérature internationale. Il ne faut pas succomber à des mesures émotionnelles qui viseraient juste à satisfaire un électorat qui ne permettrait pas d'améliorer réellement l'accès aux soins. Tous ces débats sont des choses passionnantes. Le contexte politique actuel est extrêmement compliqué avec les censures du gouvernement. Donc il y a encore beaucoup de travail. C'est ce qui fait qu'il faut se lever tous les matins avec le sourire.
- Pascale Lafitte
Et vous ne m'avez pas donné le nom de l'association ?
- Thomas Citti
C'est l'association Terre d'Azur.
- Pascale Lafitte
Terre d'Azur que tout un chacun peut aider aussi ?
- Thomas Citti
Oui, vous pouvez faire un don sur le site www.terredazur.org et ce sera extrêmement apprécié de la part de l'association.
- Pascale Lafitte
Deux mots sur l'association Terre d'Azur, c'est une association à vocation médicale créée en 1990 par un groupe de médecins. Elle a pour but d'aider les populations défavorisées, elle soigne, forme, éduque et équipe. Et pour en savoir plus, là encore, je vous invite à consulter le site internet de cette association, terredazur.org.
Revenons à Thomas et à son goût pour l'alpinisme, qui à ma grande surprise ne lui vient pas de l'enfance, mais remonte à juste 4 courtes années.
- Thomas Citti
J'ai découvert l'alpinisme dans un voyage entre mon externa et mon internat, où j'avais initialement été en Alaska pour m'aérer, faire un peu de survie en kayak. Et suite à cette survie-là, avant de partir en kayak pour plusieurs jours, j'ai croisé un couple de Canadiens dans un van. Et le Canadien qui était sapeur-pompier venait de faire l'ascension du Denali, qui est le plus haut sommet d'Amérique du Nord, qui est une montagne qui culmine à 6100 mètres, 6100 et quelques mètres, qui est une des plus froides de la planète. Et quand il m'a raconté son histoire, j'étais complètement les yeux... J'avais commencé à faire du trekking et j'avais donc les étoiles dans les yeux. Et je lui ai raconté ce que j'allais faire en kayak. Il m'a dit, mais t'es complètement fou, c'est 100 fois plus dangereux. Et bon, au début, j'ai dit non, on s'est fait des petits échanges. J'ai dit non, c'est toi le plus fou seulement, bref. Et je me suis dit, un jour, il faudrait que je tente le Denali. Un mois plus tard, j'étais en Bolivie. Je voyageais en solitaire à l'époque. Et j'ai vu une petite agence d'alpinisme qui proposait l'ascension du Huayna Potosi, qui est un 6 000 mètres extrêmement facile, qui se fait pour quelques centaines d'euros, ce qui n'existe pas en Europe. Une journée avec un guide en Europe, c'est 500 euros. Et donc j'ai fait l'ascension du Waina Potosi, arrivé en haut, j'ai eu les larmes aux yeux, je suis arrivé avec le lever de soleil et j'ai passé un des plus beaux moments de ma vie. Et je me suis dit bon c'est décidé, je ferai le Denali un jour. La suite a fait que mon métier de médecin, mon envie de m'engager et d'essayer de contribuer m'a poussé à monter un projet d'alpinisme solidaire.
- Pascale Lafitte
Alors dans vos projets, il y a toujours ce lien avec la population, des endroits où vous allez, parce qu'avant de grimper au sommet, on part de la base. Et la base, il y a souvent des populations. Est-ce que dans tous vos projets, vous imaginez le lien que vous pouvez tisser ou ce que vous pouvez apporter à ces populations ?
- Thomas Citti
C'est aussi ça qui a extrêmement motivé tout ce que j'ai fait, c'est que j'ai appris à rencontrer des gens, des populations locales, des gens qui voyageaient aussi en solitaire de tous les horizons. Et c'est vrai que ça donne l'impression que l'espèce humaine, où qu'on aille, a quelque chose de bon à nous accorder, si l'on accepte de leur accorder quelque chose de bon en retour, ou même initialement. Et donc cet aspect humanitaire, ou en tout cas solidaire, dans le voyage, est quelque chose que j'ai voulu associer à l'alpinisme, en fait.
- Pascale Lafitte
Comment est-ce que vous organisez ? Alors, pour le syndicat, vous avez du temps, un détachement de temps, mais pour Spike Project, c'est votre temps personnel ?
- Thomas Citti
Oui, tout à fait. Alors, il faut savoir que, malheureusement, enfin malheureusement, non pas malheureusement, mais depuis que j'ai repris ce mandat à l'ISNI, qui est un mandat extrêmement chronophage, qui est un métier à part entière, je n'ai pas été en montagne depuis à peu près 6-7 mois. Et je n'irai pas en montagne pendant les 6-7 prochains mois. Mon temps est totalement consacré à mon action hospitalière ou à mon action syndicale. Mais auparavant, j'ai pris une année de disponibilité, parce qu'il faut savoir que pendant l'internat, on peut faire des disponibilités. Et donc j'ai pris une année de disponibilité pour me consacrer à mon projet d'alpinisme solidaire.
- Pascale Lafitte
Donc l'année de disponibilité, elle était après ce voyage, ce premier voyage où vous avez eu le déclic, où vous avez rencontré ce couple dans un van et que vous avez décidé d'aller faire de l'ascension.
- Thomas Citti
Oui, exactement. Cette rencontre-là a eu lieu entre l'externat et l'internat. Et j'ai fait cette année de pause pendant l'internat.
- Pascale Lafitte
Les films que moi j'ai pu voir sur Instagram, c'est Spike Project, l'adresse Instagram.
- Thomas Citti
Oui, tout à fait.
- Pascale Lafitte
Avec un tiré entre les deux.
- Thomas Citti
Un tiré du bas, oui.
- Pascale Lafitte
Exactement. Que les gens se retrouvent bien, parce que c'est important. J'ai dû vous voir, c'était l'été 2022, c'est ça ? Vous étiez en Tanzanie, vous avez fait le Kilimanjaro, je ne me trompe pas ?
- Thomas Citti
Non, non, c'est vrai. J'ai essayé d'associer à chaque ascension une cause qui me tenait à cœur, et donc je me suis dit que ça pouvait être intéressant de faire l'ascension du Kilimanjaro et de réunir dix internes de spécialités et de villes différentes qui ne se connaissaient pas, en tout cas dans la meilleure mesure possible, pour sensibiliser sur la cause des internes et les interviewer tout au long de l'ascension pour connaître ce qui allait pendant l'internat, pendant les études de médecine, essayer de sensibiliser à nos conditions. Malheureusement, la vie a fait que j'ai perdu tout le matériel, enfin qu'on m'a volé tout le matériel vidéo à la rentrée en France et donc je n'ai jamais pu projeter le film.
- Pascale Lafitte
C'est pour ça que j'ai vu une interview, c'est ça ? Il y en a une quand même qui est disponible ?
- Thomas Citti
Initialement, je m'étais dit oui, que je voulais récupérer tout ça, donc j'ai fait revenir Cola. qui habitait Nice pour le réinterviewer. Mais je me suis rendu compte que ça n'avait plus rien à voir. Les interviews tout au long de l'Ascension, avec l'émotion, la fatigue, l'altitude, le compagnonnage qu'on avait créé pendant l'Ascension, étaient bien plus authentiques. Et j'avais également fait une série d'interviews avec des Tanzaniens locaux pour leur parler de leur accès aux soins et de leur système de santé. Et notamment juste après la crise Covid, donc c'était intéressant de voir leur rapport au vaccin et à toutes ces choses-là. Et malheureusement, tout a disparu également. Ça a mis un peu un coup d'arrêt à ma notion de reporter.
- Pascale Lafitte
Oui, mais ça doit être hyper frustrant ce qui vous est arrivé ?
- Thomas Citti
C'est les éléments de la vie. Il y a des choses qui arrivent, mais je suis intimement convaincu que la vie est bien faite et que si des éléments arrivent, c'est pour en apporter d'autres. Donc, ça a été extrêmement difficile pendant quelques temps, mais il y a d'autres projets, donc il faut rebondir.
- Pascale Lafitte
Donc, le Kilimanjaro, en fait, c'est le premier officiel de tous.
- Thomas Citti
C'est le premier officiel de tous, oui.
- Pascale Lafitte
Il y en a eu un autre ?
- Thomas Citti
Oui.Il y a eu le Denali, du coup.
- Pascale Lafitte
Le deuxième, celui que vous aviez imaginé au tout début ?
- Thomas Citti
Tout à fait.
- Pascale Lafitte
Celui-là, il est plus difficile que le Kilimanjaro ?
- Thomas Citti
Celui-là est intimement plus, enfin pas intimement, mais entièrement plus difficile que le Kilimanjaro, même intimement plus difficile. C'est pas du tout la même ascension, c'est une moyenne de trois semaines où on bivouac dans la neige, c'est une des montagnes les plus froides du monde, ils peuvent faire jusqu'à moins 40 degrés, voilà. Il y a des morts chaque année. et puis moi j'ai pris le parti de tout faire sans guide ce qui fait que l'autonomie, le risque et le rapport à la montagne n'est pas la même, lorsqu'on a un guide il nous dit où est-ce qu'on s'arrête, ce qu'on fait le lendemain quand est-ce qu'on mange, ce qu'il faut porter voilà, quand on est en autonomie c'est autre chose je ne pensais absolument pas à mon métier et c'est une des raisons pour lesquelles c'est extraordinaire de faire l'alpinisme et que j'invite n'importe qui à aller le faire, c'est que lorsque vous marchez pendant 12 heures à moins 10, moins 15 degrés, avec du vent à 100 km heure, je vous assure que vous pensez à mettre un pied devant l'autre et à rien d'autre. Et c'est ça qui est bon. Il faut savoir qu'on a fait l'ascension, on est arrivé au sommet en 7 jours, quand la moyenne est de 14 à 21 jours. Les fenêtres météo et les problèmes de valise, on avait raccourci la nécessité de faire l'ascension, donc on avait décidé de la faire en 7 jours. J'ai eu un mal des montagnes en haut, j'ai été confus, j'ai frôlé les gelures au niveau des orteils. C'était costaud. À la redescente, on est tout resté bloqué dans une tempête de neige pendant deux jours. C'est un rapport à la vie qui est différent. J'étais avec le téléphone satellite en train de demander à mon frère déjà de ne pas prévenir mes parents que j'étais dans la tempête pour pas qu'ils s'inquiètent et de me donner la fenêtre météo pour s'échapper.
- Pascale Lafitte
Un dernier mot avant de quitter Thomas ? Un mot sur demain, sur son avenir ? Je lui ai demandé si dans quelques mois, à la fin de ses études de médecine, de son engagement auprès de l'ISNI, il retournerait en montagne.
- Thomas Citti
Peut-être cet été, du coup dans les six mois qui viennent, peut-être que j'irai faire l'ascension d'un 7000 mètres. Pour remettre à l'alpinisme, dans le cadre du Spike Project, il ne fait pas partie du 7th Summit Challenge, mais oui, peut-être que j'y retournerai, que je ferai une nouvelle levée de fonds. J'ai besoin d'y retourner, il m'est arrivé beaucoup de choses en montagne. J'ai un moment, en grimpant, je me suis perforé la cuisse suite à un relais qui était mal fixé. J'ai dû faire un rappel avec un garrot sur la jambe à tréli-porter. On a failli tomber dans une avalanche au Népal en tentant de faire la première d'un sommet de 6000 mètres. Toutes ces choses-là m'ont aussi un peu éloigné de la montagne. en me disant que c'était une belle passion, une passion qui pouvait être mortelle. Et il y a une petite voix dans ma tête qui me dit que je n'ai pas envie d'infliger ça à mes parents. Et donc ce rapport-là fait que pour l'instant, je suis encore dans la réflexion sur mon avenir. En tout cas, des grosses expéditions bien engagées. J'ai le cœur qui a envie d'y retourner, mais la tête qui m'en empêche.
- Pascale Lafitte
Et votre avenir professionnel, vous savez ce que vous allez faire quand vous allez avoir, donc, arrêté votre engagement syndical, et terminé votre année de Docteur Junior ?
- Thomas Citti
Tout ce que je souhaite, c'est pouvoir continuer à faire des choses qui me permettent de me lever le matin avec le sourire.
- Pascale Lafitte
Je vous remercie Thomas d'avoir ce sourire. Merci.
Encore un grand merci à Thomas et un grand merci à vous tous de nous avoir écoutés. Si vous aimez ces entretiens, alors abonnez-vous et partagez-les. Et n'oubliez pas, Internes en médecine, le podcast, est à suivre sans ordonnance ni modération.