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J'ai coutume de dire...

Aimeline, bloquée et unie au Japon

Aimeline, bloquée et unie au Japon

20min |04/09/2024
Play
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20min |04/09/2024
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Description

Aimeline est partie pour un voyage en solo au Japon. Elle a vécu une aventure pour le moins inattendue, en pleine crise en Nouvelle-Calédonie elle s'est retrouvée bloquée au Japon, seule. Mais ce qui aurait pu être une épreuve s'est transformé en une expérience humaine riche en résilience et en solidarité.


Elle a finalement rencontré d'autres Calédoniens dans la même situation. Ensemble, ils ont créé des liens forts durant ces deux semaines, formant une petite communauté soudée loin de chez eux. Dans cet épisode, Aimeline nous raconte comment ils ont suivi la crise en Nouvelle-Calédonie à distance, soutenant leurs proches tout en vivant cette expérience unique.


Pour nous soutenir le podcast, vous pouvez faire un don : https://www.cotizup.com/jcdd


Réalisation et montage: Manon Dejean

Mixage : Philippe Buston


Illustration du podcast : Lavenstudio


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Aimeline

    J'ai coutume de dire que tout ce qui arrive, arrive pour une bonne raison. J'ai coutume de dire, un podcast réalisé par Manon Dejean.

  • Manon

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de J'ai coutume de dire. Aujourd'hui j'ai le plaisir de recevoir Emeline, une voyageuse intrépide qui a vécu une histoire pour le moins inattendue. Partie pour un voyage en solo au Japon, Emeline s'est retrouvée bloquée dans ce pays fascinant durant la crise en Nouvelle-Calédonie. Mais ce qui aurait pu être une épreuve s'est transformé en une expérience humaine riche en solidarité. Coincée au Japon, elle a rencontré d'autres Calédoniens dans la même situation. Ensemble, ils ont créé des liens forts au cours de ces deux semaines, formant une petite communauté soudée loin de chez eux. Dans cet épisode, Emeline nous raconte comment ils ont suivi la crise en Nouvelle-Calédonie à distance, soutenant leurs proches tout en vivant cette expérience unique. Sans plus attendre, plongeons ensemble dans cette histoire de résilience où des étrangers sont devenus une famille le temps d'une crise. Salut Emeline ! Salut ! Comment tu vas aujourd'hui ?

  • Aimeline

    Je sors d'une bonne grippe mais ça va, j'ai retrouvé la forme.

  • Manon

    Dis-toi, tu avais quelque chose à me raconter aujourd'hui.

  • Aimeline

    Bien, tout a commencé quand j'ai décidé de partir au Japon du jour au lendemain. parce que c'était une idée qui me trottait dans la tête, j'avais besoin d'un break et tout le monde me recommandait de tenter l'expérience solo trip. Du coup je me suis lancée. Du coup j'ai appris beaucoup de concepts, de toute façon c'était ceux qui m'étaient préconisés. C'était quand tu fais un voyage en solo, tu te concentres uniquement sur toi-même, tu te ressentes sur tes émotions, tu fais un point sur ta vie. Il y a d'autres choses toutes bénignes aussi qu'on a tendance à oublier dans le quotidien. C'est la contemplation de ce qui nous entoure, les paysages, les gens, la culture, les mouvements de vie. Et du coup, c'est ce que j'avais envie d'expérimenter au Japon et c'est ce que j'ai fait. Quand je suis partie au Japon, j'avais des objectifs. C'était justement faire un point sur ma vie, faire un point sur ma santé mentale, on peut dire les choses comme ça. J'avais envie de me dégager de la fast life un peu. Métro, boulot, dodo, copain, voilà. J'avais envie de vivre la vie et surtout l'instant présent. Et en fin de compte, je me suis rapidement aperçue que c'est vrai que quand tu es seule, tu prends plus de temps pour observer, pour apprécier, pour vivre. Et même si j'avais un peu peur de faire cette expérience, Je pense qu'en fin de compte, un peu comme tous mes amis qui me le recommandaient, je le recommande également. Parce que c'est une vérité. Et pareil, on a l'habitude, vu qu'on vit en communauté, d'être très dépendants les uns des autres. Et je trouve que c'est pas mal de temps en temps, en fin de compte, d'apprendre à ne dépendre que de soi. que l'indépendance est une qualité qui est beaucoup trop négligée chez chacun d'entre nous. Je trouve qu'on se repose beaucoup trop sur les autres dans tous les aspects de la vie. Donc forcément, la meilleure façon d'avancer, c'est de se connaître. Et pour ça, je trouve qu'un voyage au Japon en solitaire, c'est un très bon moyen justement de développer cette indépendance. Parce que, hormis Kabukicho à Tokyo, t'as quand même beaucoup d'endroits C'est le pays de la zénitude, mine de rien. Donc, quand tu vas au temple, quand tu vas au parc japonais, tu as un espèce de sentiment de sérénité qui t'envahit et tes pensées deviennent tout de suite beaucoup plus claires, beaucoup plus calmes. Après, je pense que tu peux le faire en Nouvelle-Calédonie aussi, si tu vas à Pouy un week-end. Mais après, c'est bien de le faire à l'étranger aussi, comme ça tu découvres des choses en même temps.

  • Manon

    Et donc le 13 mai 2024, tu es où ? Qu'est-ce qui se passe dans ta vie à ce moment-là ?

  • Aimeline

    Alors le 13 mai 2024, je me trouve à Tokyo, à Kabukicho. Je suis en plein milieu de l'effervescence tokyoïte. Et je commence à recevoir plein d'appels, de SMS, de photos, de vidéos, de tous mes proches, collègues inclus. Tout le monde commence à m'informer de la situation en Nouvelle-Calédonie. Et je suis un peu dans le déni. Je me dis que tout ce qui se passe, c'est comme une toute petite crise, comme on a déjà eu l'habitude de rencontrer par le passé. Et je me dis que c'est temporaire et ça va passer.

  • Manon

    Et quelle est ta réaction face à ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie ?

  • Aimeline

    Petit à petit, je commence à prendre l'ampleur de la situation. Les jours passent et ça continue et même ça va de pire en pire. Je rentre dans une phase d'isolement total. C'est-à-dire que je suis complètement obsédée par la situation. Je m'enferme dans ma chambre d'hôtel et je suis au téléphone H24 pour savoir ce qui se passe, pour essayer de comprendre. Après, je commence à sentir que... en termes de santé mentale, ça va me détruire. Tu restes enfermée, tu ne fais que ça, il y a moyen de devenir complètement fou. Du coup, je me dis, écoute, secoue-toi un peu, recommence à sortir, et fais des activités pour t'aérer l'esprit, pour tenir bon, parce que tu ne sais pas combien de temps tu vas être enfermée, tu ne sais pas combien de temps tu vas être bloquée.

  • Manon

    Donc à ce moment-là, les frontières sont fermées, tu ne peux pas retourner en Nouvelle-Calédonie.

  • Aimeline

    Exactement. Et du coup, je me dis, tiens, mais je ne dois pas être la seule, en fait. Parce que toutes les personnes qui rentrent en France passent forcément par le Japon. Et il y en a même juste qui vont beaucoup au Japon pour les vacances. Et je commence à regarder un peu les réseaux sociaux un peu plus axés sur le Japon. Et je me rends compte qu'il y a des postes d'autres Calédoniens qui sont bloqués au Japon. Et là... Il y a deux autres Calédoniens qui sont bloqués à Tokyo. Et en fait, on se dit, vas-y, il faut qu'on se regroupe. Laisse tomber l'idée du solo trip parce que là, circonstance exceptionnelle. On se rend compte, le feeling passe super bien. Et du coup, on décide de se rendre à des festivals japonais traditionnels. On décide d'aller au bar, d'aller à des activités typiques japonaises, genre les karaokés, bar à volonté, avec nourriture et tout ça. Et franchement, pendant quelques heures, t'arrives enfin à t'extirper un peu de ce climat oxygène. Mais en fait, on s'est demandé, est-ce qu'on avait le droit de vivre ça ? On avait un énorme sentiment de culpabilité dans le sens où, je veux dire, moi j'avais des amis bloqués dans des immeubles qui se demandaient si ça n'allait pas partir en feu leur foyer. Et moi à côté, j'étais en train de manger un petit gâteau avec ma pote, en train d'observer des magnifiques paysages japonais. Il y a un sentiment de culpabilité qui se développe, impressionnant. Voilà, vu que les autres sont malheureux, est-ce que toi tu as le droit d'être heureux ? Ne serait-ce que pendant une heure, parce que comme je te disais, ça ne durait jamais longtemps. Mais c'était un sentiment très très fort et omniprésent. Tu étais en train de rigoler, tu étais en plein milieu d'un fou rire, et d'un coup, pensée parasite, mais c'est horrible ce que je suis en train de faire. Mais pourquoi je rigole ? Mais en fait... Quand je vois tout ce qui se passe chez moi, je n'ai pas le droit de rigoler, mais je suis immonde de faire ça, de penser comme ça, de me comporter comme ça. Ce n'est pas juste. Ce qui était intéressant, c'est qu'on ne tombait jamais en même temps, on tombait tour à tour. Dès que le moral d'un baissait, il y avait toujours les deux autres, ou alors quand on était à Narita, les 20 autres, pour remonter le moral de la personne et lui dire, écoute, dans tous les cas, ça ne sert à rien. il est question de tenir le coup. Donc autorise-toi l'espace d'un après-midi ou l'espace d'une soirée à penser à autre chose. Et en fait, il y a plein de gens par exemple qui n'ont jamais la possibilité de voyager, d'aller dans un pays aussi magnifique que Japon. Toi t'es là, c'est comme ça. Alors écoute, profites-en. Ça sert à quoi de culpabiliser ? Parce qu'au fin de compte, tu ne vas rien changer sur la situation de Nouvelle-Calédonie. Et en même temps, tu vas te rajouter de la charge mentale dont tu n'as déjà pas besoin, parce que tu es déjà conscient de la situation. Ça a été dur quand, par exemple, on avait quelques-uns de nos proches qui nous disaient De toute façon, on en revient à la culpabilité. Vous n'avez pas le droit de vraiment vous plaindre parce que vous ne vivez pas ce qu'on est en train de vivre sur le territoire. C'était une minorité, je vous rassure, c'est pas tout le monde qui tient ce genre de propos. Mais en fait, c'était difficile à encaisser, parce qu'il faut bien comprendre qu'en fait, peu importe que la douleur que tu vises soit différente de celle d'autrui, dans le sens où chacun vit personnellement sa propre souffrance, et t'es pas forcément dans la tête de l'autre pour savoir quelle est par exemple sa tolérance à la souffrance.

  • Manon

    Il n'y a pas d'hierarchie de la souffrance.

  • Aimeline

    Exactement, c'est ça le terme. Il n'y a pas d'hierarchie de la souffrance. Chacun a sa propre souffrance et chacun la vit de sa manière. On ne peut pas faire de la projection émotionnelle comme ça sur autrui. Sachant qu'en plus, on était un peu les oubliés. Ceux qui étaient coincés à l'étranger, on avait très peu d'informations sur est-ce qu'on va rentrer ? Quand ? On ne savait pas combien de temps ça allait durer les émeutes en Nouvelle-Calédonie. Et en fin de compte... À un moment, quand ça faisait quasiment deux semaines qu'on était bloqués là-bas, on s'est dit non mais en fait, soit ça peut durer un mois, soit ça peut durer six, soit en fait il faut qu'on, je sais pas, qu'on essaie d'aller vers la France ou d'aller vers un autre endroit parce que, je le comprends, on n'était clairement pas la première priorité du territoire, c'est tout à fait normal. Mais d'un autre côté, il y avait quand même des enjeux derrière. Comme je disais, il y avait beaucoup de solo-trippers. Et du coup, nous, on n'avait pas justement les gens à qui on tient le plus au monde auprès de nous. Dans un second temps, une de mes amies me dit que, justement, il y a un énorme groupe de Calédoniens qui s'est formé sur Narita. Parce que pareil, autre problème technique, on ne sait pas combien ça va nous coûter d'être bloqué aussi longtemps. C'est une très bonne solution d'aller tous les rejoindre à Narita. Et donc c'est ce qu'on fait. Une fois sur Narita, en fin de compte, c'était dingue parce que ces gens-là, on ne les connaissait pas. On venait tous d'univers extrêmement différents, d'âges extrêmement différents. Vraiment, ça allait de 25 à 70 ans. Il y a un lien instantané qui s'est créé entre nous. Mais je suppose que c'était lié au climat extrêmement particulier qu'on vivait. On vivait tous des situations uniques, difficiles. Mais... Avec l'effet groupe et la cohésion, on s'est décidé pareil d'entreprendre des activités. On a décidé de faire des repas très fréquents, un peu à la mode calédonienne, c'est-à-dire genre tout le monde emmène un petit peu et en fin de compte, tu te retrouves avec un énorme banquet et tu ne sais plus ce que tu vas faire de toute cette nourriture. On faisait ça très fréquemment.

  • Manon

    Et toi, à ce moment-là, tu fêtes tes 25 ans à Narita. C'est ça. Tu peux raconter ?

  • Aimeline

    Je devais fêter mon quart de siècle. En Calédonie, mais le destin en a décidé autrement. Et en fin de compte, j'avais un peu honte d'en parler aux autres. Et j'en parle quand même à quelques-uns dont je suis particulièrement proche. Et ils me disent, non mais, on prévient tout le monde. Au final, moi-même, je finis par envoyer un petit message dans le groupe. Parce que je me dis, vas-y, ça sert à rien. Et donc, en fin de compte, c'est eux qui me proposent tous de faire une soirée très atypique. Où en fait, on est à Narita, il n'y a pas grand-chose. Donc on décide tous de se rejoindre à l'aéroport. Parce qu'en fait, dans les aéroports, t'as des énormes foudres courtes. Et en fait, on a fait un peu une soirée sauvage dans cette foudre courte, où tout le monde est allé chercher un peu de nourriture, un peu d'alcool. On s'est tous rejoints sur les tables, et en fin de compte, c'était l'un des anniversaires les plus mémorables de ma vie. Ils ont même pensé à m'amener des petits cadeaux, mais ironiques, dans le sens, on peut pas t'offrir d'avion ? On t'en offre un miniature que tu pourras mettre sur ton porte-clés. On t'a pas trouvé de gâteau d'anniversaire comme ça se fait en France, c'est pas grave, on t'a amené des miniardises japonaises. Que des petites attentions comme ça qui ont fait qu'en fin de compte, ça rend l'anniversaire mémorable. Qui peut se vanter d'avoir fait ses 25 ans bloqués au Japon, dans un aéroport, avec des gens qu'elle connaît depuis une semaine ? Et qui en plus sont fantastiques.

  • Manon

    Vous avez tissé des liens mémorables ?

  • Aimeline

    Ah oui, effectivement. Non seulement parce que je trouve que chaque personne de ce groupe est fantastique. Mais en plus parce que la dynamique qui s'est instaurée dans le groupe était juste... Ça fait un peu conte de fées en fait.

  • Manon

    Qu'est-ce que vous avez ressenti et toi particulièrement en ayant vécu tout ça à distance ?

  • Aimeline

    Le premier sentiment, comme je disais tout à l'heure, c'était le déni. Parce que t'es pas sur place. Du coup, derrière un écran, tu sais, mais tu intègres pas forcément l'information. Ensuite, c'était l'impuissance. Parce que tous mes proches étaient dans des quartiers difficiles, où on vécu des choses tragiques. Tandis que moi, j'étais au Japon, protégée, en sécurité. Et par la suite, une fois que j'ai intégré le groupe, Je dirais pas que toute tristesse s'est envolée ou toute inquiétude s'est envolée, c'est complètement faux. C'était tous les jours. On était en permanence stressés, même angoissés. Mais la cohésion et la bienveillance du groupe faisaient qu'en fait... On devenait résilients et surtout, on arrivait quand même à tirer une expérience formidable de par toutes les activités qu'on faisait ensemble, tous les moments qu'on partageait ensemble. Et on a réussi à affronter cette épreuve, je pense, parce qu'on était ensemble. Seul, ça aurait été complètement différent. Je ne pense pas qu'on aurait réussi à encaisser une telle avalanche de sentiments négatifs si on avait été isolés.

  • Manon

    Quand est-ce que tu as appris que tu pouvais retourner sur le territoire ?

  • Aimeline

    Oula, j'ai appris que je pouvais rentrer sur le territoire un petit peu du jour au lendemain. C'était dans la nuit du 28 au 29. On a reçu juste un appel pour nous prévenir qu'on pouvait rentrer. Et en fait, on n'y croyait pas vraiment parce que ça faisait deux semaines qu'on n'avait pas trop de nouvelles. Du coup, on ne savait pas si on devait se réjouir, si on devait patienter, si ça allait être une fausse joie, si on allait être déçu. Sachant qu'en plus, dans notre groupe, Il y avait de base quatre personnes qui restaient sur le carreau. C'est bizarre à quel point on peut s'attacher vite parce que le fait que ces quatre personnes soient bloquées, ça nous a empêchés de ressentir de la joie ou du moins son paroxysme. Parce qu'en fait, on avait un sentiment d'amertume. C'est comme si on rentrait pas entier. Il manquait une part de nous. Il manquait une part du groupe. Dans des situations pareilles, c'est dingue à quel point... Les liens qui sont construits entre les gens en situation de crise sont forts. On n'arrivait pas à se réjouir pour rentrer. Et en fin de compte, l'histoire se finit bien parce qu'au final, ils ont pu se greffer sur notre vol le lendemain. Et là, explosion de joie, tout le monde rentre chez soi, tout le monde va retrouver ses proches.

  • Manon

    Vous prenez ce vol, vous atterrissez en Nouvelle-Calédonie. Qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ? Vous faites le constat de ce qui s'est passé pendant ces deux semaines. Vous vous sentez comment ?

  • Aimeline

    La première chose qui m'a choquée, c'est quand on est arrivé à l'aéroport et que j'ai vu le nombre de militaires, le nombre d'armes. Et là, c'est comme une petite bulle dans laquelle tu étais plongée, qui te protégeait et qui explose d'un coup. Tu prends la réalité en pleine face. Suite à ça, quand on commence à sortir de l'aéroport, je commence à constater les dégâts, mais je ne me balade pas énormément dans Nouméa. Peut-être de peur de prendre en considération l'étendue, l'ampleur des dégâts. Et puis ça se fait progressivement. J'essaie de ne pas trop me faire violence parce que je sais très bien que... Enfin ça y est, j'ai assimilé maintenant que la situation va durer un petit moment. Du coup, je fais les choses progressivement. Donc ça se passe plutôt bien, dans le sens où c'est pas un moment agréable à vivre, mais je l'accepte progressivement. Et puis après, petit à petit, j'essaie de garder le moral positif, parce que je me suis rapidement rendue compte que le climat en Nouvelle-Calédonie était devenu complètement oxygène. C'est-à-dire que tout le monde parle de la situation en permanence. Que ça soit avec tes amis, avec ta famille, avec tes collègues de travail. Et qu'en fin de compte, je dis pas qu'il faut nier la situation. Je dis juste que si tu restes en permanence focalisée dessus, tu vas perdre ta sanité. Et à quoi bon ? C'est dans ce genre de situation qu'au contraire, il faut rester un minimum fort.

  • Manon

    Bon, et comment ça va vraiment, Emeline ?

  • Aimeline

    Maintenant, plutôt bien. J'ai coutume de dire que tout ce qui arrive, arrive pour une bonne raison. Et quand je dis ça, je pense à la Calédonie, mais également à ce qui s'est passé au Japon, où en fin de compte, l'idée était de partir dans un solo trip pour se recentrer sur soi-même. Et en fin de compte, je me retrouve dans un groupe de 20 personnes. où je réapprends à quel point, dans une situation aussi terrible, l'humanité reste très belle. En Nouvelle-Calédonie, ça se bat, et au Japon, ça soutient, ça fait des amitiés, que de l'amour, quoi. Très bien.

  • Manon

    Alors si tu as un mot pour la fin, et qu'est-ce que tu aurais envie de dire à tous ceux qui se sentent comme toi ?

  • Aimeline

    Je dirais que même dans les pires situations, même si c'est facile à dire, Il faut toujours essayer de se raccrocher aux moindres petits éléments positifs. Avoir ce genre de mindset, ça permet justement de ne pas perdre pied et de continuer à avancer, peu importe les obstacles qui se présentent. A toi.

  • Manon

    Merci beaucoup, Aimeline, d'avoir partagé cette aventure avec nous.

  • Aimeline

    Merci à toi pour l'invitation. Et à bientôt. A bientôt.

  • Manon

    Merci d'avoir partagé avec nous ce moment, de nous avoir écouté tout le monde de ce récit. A très bientôt pour un nouvel épisode de J'ai coutume de lire, où d'autres voix et d'autres histoires viendront nous donner envie de nous réinventer et de réfléchir sur l'avenir. A très vite.

Description

Aimeline est partie pour un voyage en solo au Japon. Elle a vécu une aventure pour le moins inattendue, en pleine crise en Nouvelle-Calédonie elle s'est retrouvée bloquée au Japon, seule. Mais ce qui aurait pu être une épreuve s'est transformé en une expérience humaine riche en résilience et en solidarité.


Elle a finalement rencontré d'autres Calédoniens dans la même situation. Ensemble, ils ont créé des liens forts durant ces deux semaines, formant une petite communauté soudée loin de chez eux. Dans cet épisode, Aimeline nous raconte comment ils ont suivi la crise en Nouvelle-Calédonie à distance, soutenant leurs proches tout en vivant cette expérience unique.


Pour nous soutenir le podcast, vous pouvez faire un don : https://www.cotizup.com/jcdd


Réalisation et montage: Manon Dejean

Mixage : Philippe Buston


Illustration du podcast : Lavenstudio


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Aimeline

    J'ai coutume de dire que tout ce qui arrive, arrive pour une bonne raison. J'ai coutume de dire, un podcast réalisé par Manon Dejean.

  • Manon

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de J'ai coutume de dire. Aujourd'hui j'ai le plaisir de recevoir Emeline, une voyageuse intrépide qui a vécu une histoire pour le moins inattendue. Partie pour un voyage en solo au Japon, Emeline s'est retrouvée bloquée dans ce pays fascinant durant la crise en Nouvelle-Calédonie. Mais ce qui aurait pu être une épreuve s'est transformé en une expérience humaine riche en solidarité. Coincée au Japon, elle a rencontré d'autres Calédoniens dans la même situation. Ensemble, ils ont créé des liens forts au cours de ces deux semaines, formant une petite communauté soudée loin de chez eux. Dans cet épisode, Emeline nous raconte comment ils ont suivi la crise en Nouvelle-Calédonie à distance, soutenant leurs proches tout en vivant cette expérience unique. Sans plus attendre, plongeons ensemble dans cette histoire de résilience où des étrangers sont devenus une famille le temps d'une crise. Salut Emeline ! Salut ! Comment tu vas aujourd'hui ?

  • Aimeline

    Je sors d'une bonne grippe mais ça va, j'ai retrouvé la forme.

  • Manon

    Dis-toi, tu avais quelque chose à me raconter aujourd'hui.

  • Aimeline

    Bien, tout a commencé quand j'ai décidé de partir au Japon du jour au lendemain. parce que c'était une idée qui me trottait dans la tête, j'avais besoin d'un break et tout le monde me recommandait de tenter l'expérience solo trip. Du coup je me suis lancée. Du coup j'ai appris beaucoup de concepts, de toute façon c'était ceux qui m'étaient préconisés. C'était quand tu fais un voyage en solo, tu te concentres uniquement sur toi-même, tu te ressentes sur tes émotions, tu fais un point sur ta vie. Il y a d'autres choses toutes bénignes aussi qu'on a tendance à oublier dans le quotidien. C'est la contemplation de ce qui nous entoure, les paysages, les gens, la culture, les mouvements de vie. Et du coup, c'est ce que j'avais envie d'expérimenter au Japon et c'est ce que j'ai fait. Quand je suis partie au Japon, j'avais des objectifs. C'était justement faire un point sur ma vie, faire un point sur ma santé mentale, on peut dire les choses comme ça. J'avais envie de me dégager de la fast life un peu. Métro, boulot, dodo, copain, voilà. J'avais envie de vivre la vie et surtout l'instant présent. Et en fin de compte, je me suis rapidement aperçue que c'est vrai que quand tu es seule, tu prends plus de temps pour observer, pour apprécier, pour vivre. Et même si j'avais un peu peur de faire cette expérience, Je pense qu'en fin de compte, un peu comme tous mes amis qui me le recommandaient, je le recommande également. Parce que c'est une vérité. Et pareil, on a l'habitude, vu qu'on vit en communauté, d'être très dépendants les uns des autres. Et je trouve que c'est pas mal de temps en temps, en fin de compte, d'apprendre à ne dépendre que de soi. que l'indépendance est une qualité qui est beaucoup trop négligée chez chacun d'entre nous. Je trouve qu'on se repose beaucoup trop sur les autres dans tous les aspects de la vie. Donc forcément, la meilleure façon d'avancer, c'est de se connaître. Et pour ça, je trouve qu'un voyage au Japon en solitaire, c'est un très bon moyen justement de développer cette indépendance. Parce que, hormis Kabukicho à Tokyo, t'as quand même beaucoup d'endroits C'est le pays de la zénitude, mine de rien. Donc, quand tu vas au temple, quand tu vas au parc japonais, tu as un espèce de sentiment de sérénité qui t'envahit et tes pensées deviennent tout de suite beaucoup plus claires, beaucoup plus calmes. Après, je pense que tu peux le faire en Nouvelle-Calédonie aussi, si tu vas à Pouy un week-end. Mais après, c'est bien de le faire à l'étranger aussi, comme ça tu découvres des choses en même temps.

  • Manon

    Et donc le 13 mai 2024, tu es où ? Qu'est-ce qui se passe dans ta vie à ce moment-là ?

  • Aimeline

    Alors le 13 mai 2024, je me trouve à Tokyo, à Kabukicho. Je suis en plein milieu de l'effervescence tokyoïte. Et je commence à recevoir plein d'appels, de SMS, de photos, de vidéos, de tous mes proches, collègues inclus. Tout le monde commence à m'informer de la situation en Nouvelle-Calédonie. Et je suis un peu dans le déni. Je me dis que tout ce qui se passe, c'est comme une toute petite crise, comme on a déjà eu l'habitude de rencontrer par le passé. Et je me dis que c'est temporaire et ça va passer.

  • Manon

    Et quelle est ta réaction face à ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie ?

  • Aimeline

    Petit à petit, je commence à prendre l'ampleur de la situation. Les jours passent et ça continue et même ça va de pire en pire. Je rentre dans une phase d'isolement total. C'est-à-dire que je suis complètement obsédée par la situation. Je m'enferme dans ma chambre d'hôtel et je suis au téléphone H24 pour savoir ce qui se passe, pour essayer de comprendre. Après, je commence à sentir que... en termes de santé mentale, ça va me détruire. Tu restes enfermée, tu ne fais que ça, il y a moyen de devenir complètement fou. Du coup, je me dis, écoute, secoue-toi un peu, recommence à sortir, et fais des activités pour t'aérer l'esprit, pour tenir bon, parce que tu ne sais pas combien de temps tu vas être enfermée, tu ne sais pas combien de temps tu vas être bloquée.

  • Manon

    Donc à ce moment-là, les frontières sont fermées, tu ne peux pas retourner en Nouvelle-Calédonie.

  • Aimeline

    Exactement. Et du coup, je me dis, tiens, mais je ne dois pas être la seule, en fait. Parce que toutes les personnes qui rentrent en France passent forcément par le Japon. Et il y en a même juste qui vont beaucoup au Japon pour les vacances. Et je commence à regarder un peu les réseaux sociaux un peu plus axés sur le Japon. Et je me rends compte qu'il y a des postes d'autres Calédoniens qui sont bloqués au Japon. Et là... Il y a deux autres Calédoniens qui sont bloqués à Tokyo. Et en fait, on se dit, vas-y, il faut qu'on se regroupe. Laisse tomber l'idée du solo trip parce que là, circonstance exceptionnelle. On se rend compte, le feeling passe super bien. Et du coup, on décide de se rendre à des festivals japonais traditionnels. On décide d'aller au bar, d'aller à des activités typiques japonaises, genre les karaokés, bar à volonté, avec nourriture et tout ça. Et franchement, pendant quelques heures, t'arrives enfin à t'extirper un peu de ce climat oxygène. Mais en fait, on s'est demandé, est-ce qu'on avait le droit de vivre ça ? On avait un énorme sentiment de culpabilité dans le sens où, je veux dire, moi j'avais des amis bloqués dans des immeubles qui se demandaient si ça n'allait pas partir en feu leur foyer. Et moi à côté, j'étais en train de manger un petit gâteau avec ma pote, en train d'observer des magnifiques paysages japonais. Il y a un sentiment de culpabilité qui se développe, impressionnant. Voilà, vu que les autres sont malheureux, est-ce que toi tu as le droit d'être heureux ? Ne serait-ce que pendant une heure, parce que comme je te disais, ça ne durait jamais longtemps. Mais c'était un sentiment très très fort et omniprésent. Tu étais en train de rigoler, tu étais en plein milieu d'un fou rire, et d'un coup, pensée parasite, mais c'est horrible ce que je suis en train de faire. Mais pourquoi je rigole ? Mais en fait... Quand je vois tout ce qui se passe chez moi, je n'ai pas le droit de rigoler, mais je suis immonde de faire ça, de penser comme ça, de me comporter comme ça. Ce n'est pas juste. Ce qui était intéressant, c'est qu'on ne tombait jamais en même temps, on tombait tour à tour. Dès que le moral d'un baissait, il y avait toujours les deux autres, ou alors quand on était à Narita, les 20 autres, pour remonter le moral de la personne et lui dire, écoute, dans tous les cas, ça ne sert à rien. il est question de tenir le coup. Donc autorise-toi l'espace d'un après-midi ou l'espace d'une soirée à penser à autre chose. Et en fait, il y a plein de gens par exemple qui n'ont jamais la possibilité de voyager, d'aller dans un pays aussi magnifique que Japon. Toi t'es là, c'est comme ça. Alors écoute, profites-en. Ça sert à quoi de culpabiliser ? Parce qu'au fin de compte, tu ne vas rien changer sur la situation de Nouvelle-Calédonie. Et en même temps, tu vas te rajouter de la charge mentale dont tu n'as déjà pas besoin, parce que tu es déjà conscient de la situation. Ça a été dur quand, par exemple, on avait quelques-uns de nos proches qui nous disaient De toute façon, on en revient à la culpabilité. Vous n'avez pas le droit de vraiment vous plaindre parce que vous ne vivez pas ce qu'on est en train de vivre sur le territoire. C'était une minorité, je vous rassure, c'est pas tout le monde qui tient ce genre de propos. Mais en fait, c'était difficile à encaisser, parce qu'il faut bien comprendre qu'en fait, peu importe que la douleur que tu vises soit différente de celle d'autrui, dans le sens où chacun vit personnellement sa propre souffrance, et t'es pas forcément dans la tête de l'autre pour savoir quelle est par exemple sa tolérance à la souffrance.

  • Manon

    Il n'y a pas d'hierarchie de la souffrance.

  • Aimeline

    Exactement, c'est ça le terme. Il n'y a pas d'hierarchie de la souffrance. Chacun a sa propre souffrance et chacun la vit de sa manière. On ne peut pas faire de la projection émotionnelle comme ça sur autrui. Sachant qu'en plus, on était un peu les oubliés. Ceux qui étaient coincés à l'étranger, on avait très peu d'informations sur est-ce qu'on va rentrer ? Quand ? On ne savait pas combien de temps ça allait durer les émeutes en Nouvelle-Calédonie. Et en fin de compte... À un moment, quand ça faisait quasiment deux semaines qu'on était bloqués là-bas, on s'est dit non mais en fait, soit ça peut durer un mois, soit ça peut durer six, soit en fait il faut qu'on, je sais pas, qu'on essaie d'aller vers la France ou d'aller vers un autre endroit parce que, je le comprends, on n'était clairement pas la première priorité du territoire, c'est tout à fait normal. Mais d'un autre côté, il y avait quand même des enjeux derrière. Comme je disais, il y avait beaucoup de solo-trippers. Et du coup, nous, on n'avait pas justement les gens à qui on tient le plus au monde auprès de nous. Dans un second temps, une de mes amies me dit que, justement, il y a un énorme groupe de Calédoniens qui s'est formé sur Narita. Parce que pareil, autre problème technique, on ne sait pas combien ça va nous coûter d'être bloqué aussi longtemps. C'est une très bonne solution d'aller tous les rejoindre à Narita. Et donc c'est ce qu'on fait. Une fois sur Narita, en fin de compte, c'était dingue parce que ces gens-là, on ne les connaissait pas. On venait tous d'univers extrêmement différents, d'âges extrêmement différents. Vraiment, ça allait de 25 à 70 ans. Il y a un lien instantané qui s'est créé entre nous. Mais je suppose que c'était lié au climat extrêmement particulier qu'on vivait. On vivait tous des situations uniques, difficiles. Mais... Avec l'effet groupe et la cohésion, on s'est décidé pareil d'entreprendre des activités. On a décidé de faire des repas très fréquents, un peu à la mode calédonienne, c'est-à-dire genre tout le monde emmène un petit peu et en fin de compte, tu te retrouves avec un énorme banquet et tu ne sais plus ce que tu vas faire de toute cette nourriture. On faisait ça très fréquemment.

  • Manon

    Et toi, à ce moment-là, tu fêtes tes 25 ans à Narita. C'est ça. Tu peux raconter ?

  • Aimeline

    Je devais fêter mon quart de siècle. En Calédonie, mais le destin en a décidé autrement. Et en fin de compte, j'avais un peu honte d'en parler aux autres. Et j'en parle quand même à quelques-uns dont je suis particulièrement proche. Et ils me disent, non mais, on prévient tout le monde. Au final, moi-même, je finis par envoyer un petit message dans le groupe. Parce que je me dis, vas-y, ça sert à rien. Et donc, en fin de compte, c'est eux qui me proposent tous de faire une soirée très atypique. Où en fait, on est à Narita, il n'y a pas grand-chose. Donc on décide tous de se rejoindre à l'aéroport. Parce qu'en fait, dans les aéroports, t'as des énormes foudres courtes. Et en fait, on a fait un peu une soirée sauvage dans cette foudre courte, où tout le monde est allé chercher un peu de nourriture, un peu d'alcool. On s'est tous rejoints sur les tables, et en fin de compte, c'était l'un des anniversaires les plus mémorables de ma vie. Ils ont même pensé à m'amener des petits cadeaux, mais ironiques, dans le sens, on peut pas t'offrir d'avion ? On t'en offre un miniature que tu pourras mettre sur ton porte-clés. On t'a pas trouvé de gâteau d'anniversaire comme ça se fait en France, c'est pas grave, on t'a amené des miniardises japonaises. Que des petites attentions comme ça qui ont fait qu'en fin de compte, ça rend l'anniversaire mémorable. Qui peut se vanter d'avoir fait ses 25 ans bloqués au Japon, dans un aéroport, avec des gens qu'elle connaît depuis une semaine ? Et qui en plus sont fantastiques.

  • Manon

    Vous avez tissé des liens mémorables ?

  • Aimeline

    Ah oui, effectivement. Non seulement parce que je trouve que chaque personne de ce groupe est fantastique. Mais en plus parce que la dynamique qui s'est instaurée dans le groupe était juste... Ça fait un peu conte de fées en fait.

  • Manon

    Qu'est-ce que vous avez ressenti et toi particulièrement en ayant vécu tout ça à distance ?

  • Aimeline

    Le premier sentiment, comme je disais tout à l'heure, c'était le déni. Parce que t'es pas sur place. Du coup, derrière un écran, tu sais, mais tu intègres pas forcément l'information. Ensuite, c'était l'impuissance. Parce que tous mes proches étaient dans des quartiers difficiles, où on vécu des choses tragiques. Tandis que moi, j'étais au Japon, protégée, en sécurité. Et par la suite, une fois que j'ai intégré le groupe, Je dirais pas que toute tristesse s'est envolée ou toute inquiétude s'est envolée, c'est complètement faux. C'était tous les jours. On était en permanence stressés, même angoissés. Mais la cohésion et la bienveillance du groupe faisaient qu'en fait... On devenait résilients et surtout, on arrivait quand même à tirer une expérience formidable de par toutes les activités qu'on faisait ensemble, tous les moments qu'on partageait ensemble. Et on a réussi à affronter cette épreuve, je pense, parce qu'on était ensemble. Seul, ça aurait été complètement différent. Je ne pense pas qu'on aurait réussi à encaisser une telle avalanche de sentiments négatifs si on avait été isolés.

  • Manon

    Quand est-ce que tu as appris que tu pouvais retourner sur le territoire ?

  • Aimeline

    Oula, j'ai appris que je pouvais rentrer sur le territoire un petit peu du jour au lendemain. C'était dans la nuit du 28 au 29. On a reçu juste un appel pour nous prévenir qu'on pouvait rentrer. Et en fait, on n'y croyait pas vraiment parce que ça faisait deux semaines qu'on n'avait pas trop de nouvelles. Du coup, on ne savait pas si on devait se réjouir, si on devait patienter, si ça allait être une fausse joie, si on allait être déçu. Sachant qu'en plus, dans notre groupe, Il y avait de base quatre personnes qui restaient sur le carreau. C'est bizarre à quel point on peut s'attacher vite parce que le fait que ces quatre personnes soient bloquées, ça nous a empêchés de ressentir de la joie ou du moins son paroxysme. Parce qu'en fait, on avait un sentiment d'amertume. C'est comme si on rentrait pas entier. Il manquait une part de nous. Il manquait une part du groupe. Dans des situations pareilles, c'est dingue à quel point... Les liens qui sont construits entre les gens en situation de crise sont forts. On n'arrivait pas à se réjouir pour rentrer. Et en fin de compte, l'histoire se finit bien parce qu'au final, ils ont pu se greffer sur notre vol le lendemain. Et là, explosion de joie, tout le monde rentre chez soi, tout le monde va retrouver ses proches.

  • Manon

    Vous prenez ce vol, vous atterrissez en Nouvelle-Calédonie. Qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ? Vous faites le constat de ce qui s'est passé pendant ces deux semaines. Vous vous sentez comment ?

  • Aimeline

    La première chose qui m'a choquée, c'est quand on est arrivé à l'aéroport et que j'ai vu le nombre de militaires, le nombre d'armes. Et là, c'est comme une petite bulle dans laquelle tu étais plongée, qui te protégeait et qui explose d'un coup. Tu prends la réalité en pleine face. Suite à ça, quand on commence à sortir de l'aéroport, je commence à constater les dégâts, mais je ne me balade pas énormément dans Nouméa. Peut-être de peur de prendre en considération l'étendue, l'ampleur des dégâts. Et puis ça se fait progressivement. J'essaie de ne pas trop me faire violence parce que je sais très bien que... Enfin ça y est, j'ai assimilé maintenant que la situation va durer un petit moment. Du coup, je fais les choses progressivement. Donc ça se passe plutôt bien, dans le sens où c'est pas un moment agréable à vivre, mais je l'accepte progressivement. Et puis après, petit à petit, j'essaie de garder le moral positif, parce que je me suis rapidement rendue compte que le climat en Nouvelle-Calédonie était devenu complètement oxygène. C'est-à-dire que tout le monde parle de la situation en permanence. Que ça soit avec tes amis, avec ta famille, avec tes collègues de travail. Et qu'en fin de compte, je dis pas qu'il faut nier la situation. Je dis juste que si tu restes en permanence focalisée dessus, tu vas perdre ta sanité. Et à quoi bon ? C'est dans ce genre de situation qu'au contraire, il faut rester un minimum fort.

  • Manon

    Bon, et comment ça va vraiment, Emeline ?

  • Aimeline

    Maintenant, plutôt bien. J'ai coutume de dire que tout ce qui arrive, arrive pour une bonne raison. Et quand je dis ça, je pense à la Calédonie, mais également à ce qui s'est passé au Japon, où en fin de compte, l'idée était de partir dans un solo trip pour se recentrer sur soi-même. Et en fin de compte, je me retrouve dans un groupe de 20 personnes. où je réapprends à quel point, dans une situation aussi terrible, l'humanité reste très belle. En Nouvelle-Calédonie, ça se bat, et au Japon, ça soutient, ça fait des amitiés, que de l'amour, quoi. Très bien.

  • Manon

    Alors si tu as un mot pour la fin, et qu'est-ce que tu aurais envie de dire à tous ceux qui se sentent comme toi ?

  • Aimeline

    Je dirais que même dans les pires situations, même si c'est facile à dire, Il faut toujours essayer de se raccrocher aux moindres petits éléments positifs. Avoir ce genre de mindset, ça permet justement de ne pas perdre pied et de continuer à avancer, peu importe les obstacles qui se présentent. A toi.

  • Manon

    Merci beaucoup, Aimeline, d'avoir partagé cette aventure avec nous.

  • Aimeline

    Merci à toi pour l'invitation. Et à bientôt. A bientôt.

  • Manon

    Merci d'avoir partagé avec nous ce moment, de nous avoir écouté tout le monde de ce récit. A très bientôt pour un nouvel épisode de J'ai coutume de lire, où d'autres voix et d'autres histoires viendront nous donner envie de nous réinventer et de réfléchir sur l'avenir. A très vite.

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Description

Aimeline est partie pour un voyage en solo au Japon. Elle a vécu une aventure pour le moins inattendue, en pleine crise en Nouvelle-Calédonie elle s'est retrouvée bloquée au Japon, seule. Mais ce qui aurait pu être une épreuve s'est transformé en une expérience humaine riche en résilience et en solidarité.


Elle a finalement rencontré d'autres Calédoniens dans la même situation. Ensemble, ils ont créé des liens forts durant ces deux semaines, formant une petite communauté soudée loin de chez eux. Dans cet épisode, Aimeline nous raconte comment ils ont suivi la crise en Nouvelle-Calédonie à distance, soutenant leurs proches tout en vivant cette expérience unique.


Pour nous soutenir le podcast, vous pouvez faire un don : https://www.cotizup.com/jcdd


Réalisation et montage: Manon Dejean

Mixage : Philippe Buston


Illustration du podcast : Lavenstudio


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Aimeline

    J'ai coutume de dire que tout ce qui arrive, arrive pour une bonne raison. J'ai coutume de dire, un podcast réalisé par Manon Dejean.

  • Manon

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de J'ai coutume de dire. Aujourd'hui j'ai le plaisir de recevoir Emeline, une voyageuse intrépide qui a vécu une histoire pour le moins inattendue. Partie pour un voyage en solo au Japon, Emeline s'est retrouvée bloquée dans ce pays fascinant durant la crise en Nouvelle-Calédonie. Mais ce qui aurait pu être une épreuve s'est transformé en une expérience humaine riche en solidarité. Coincée au Japon, elle a rencontré d'autres Calédoniens dans la même situation. Ensemble, ils ont créé des liens forts au cours de ces deux semaines, formant une petite communauté soudée loin de chez eux. Dans cet épisode, Emeline nous raconte comment ils ont suivi la crise en Nouvelle-Calédonie à distance, soutenant leurs proches tout en vivant cette expérience unique. Sans plus attendre, plongeons ensemble dans cette histoire de résilience où des étrangers sont devenus une famille le temps d'une crise. Salut Emeline ! Salut ! Comment tu vas aujourd'hui ?

  • Aimeline

    Je sors d'une bonne grippe mais ça va, j'ai retrouvé la forme.

  • Manon

    Dis-toi, tu avais quelque chose à me raconter aujourd'hui.

  • Aimeline

    Bien, tout a commencé quand j'ai décidé de partir au Japon du jour au lendemain. parce que c'était une idée qui me trottait dans la tête, j'avais besoin d'un break et tout le monde me recommandait de tenter l'expérience solo trip. Du coup je me suis lancée. Du coup j'ai appris beaucoup de concepts, de toute façon c'était ceux qui m'étaient préconisés. C'était quand tu fais un voyage en solo, tu te concentres uniquement sur toi-même, tu te ressentes sur tes émotions, tu fais un point sur ta vie. Il y a d'autres choses toutes bénignes aussi qu'on a tendance à oublier dans le quotidien. C'est la contemplation de ce qui nous entoure, les paysages, les gens, la culture, les mouvements de vie. Et du coup, c'est ce que j'avais envie d'expérimenter au Japon et c'est ce que j'ai fait. Quand je suis partie au Japon, j'avais des objectifs. C'était justement faire un point sur ma vie, faire un point sur ma santé mentale, on peut dire les choses comme ça. J'avais envie de me dégager de la fast life un peu. Métro, boulot, dodo, copain, voilà. J'avais envie de vivre la vie et surtout l'instant présent. Et en fin de compte, je me suis rapidement aperçue que c'est vrai que quand tu es seule, tu prends plus de temps pour observer, pour apprécier, pour vivre. Et même si j'avais un peu peur de faire cette expérience, Je pense qu'en fin de compte, un peu comme tous mes amis qui me le recommandaient, je le recommande également. Parce que c'est une vérité. Et pareil, on a l'habitude, vu qu'on vit en communauté, d'être très dépendants les uns des autres. Et je trouve que c'est pas mal de temps en temps, en fin de compte, d'apprendre à ne dépendre que de soi. que l'indépendance est une qualité qui est beaucoup trop négligée chez chacun d'entre nous. Je trouve qu'on se repose beaucoup trop sur les autres dans tous les aspects de la vie. Donc forcément, la meilleure façon d'avancer, c'est de se connaître. Et pour ça, je trouve qu'un voyage au Japon en solitaire, c'est un très bon moyen justement de développer cette indépendance. Parce que, hormis Kabukicho à Tokyo, t'as quand même beaucoup d'endroits C'est le pays de la zénitude, mine de rien. Donc, quand tu vas au temple, quand tu vas au parc japonais, tu as un espèce de sentiment de sérénité qui t'envahit et tes pensées deviennent tout de suite beaucoup plus claires, beaucoup plus calmes. Après, je pense que tu peux le faire en Nouvelle-Calédonie aussi, si tu vas à Pouy un week-end. Mais après, c'est bien de le faire à l'étranger aussi, comme ça tu découvres des choses en même temps.

  • Manon

    Et donc le 13 mai 2024, tu es où ? Qu'est-ce qui se passe dans ta vie à ce moment-là ?

  • Aimeline

    Alors le 13 mai 2024, je me trouve à Tokyo, à Kabukicho. Je suis en plein milieu de l'effervescence tokyoïte. Et je commence à recevoir plein d'appels, de SMS, de photos, de vidéos, de tous mes proches, collègues inclus. Tout le monde commence à m'informer de la situation en Nouvelle-Calédonie. Et je suis un peu dans le déni. Je me dis que tout ce qui se passe, c'est comme une toute petite crise, comme on a déjà eu l'habitude de rencontrer par le passé. Et je me dis que c'est temporaire et ça va passer.

  • Manon

    Et quelle est ta réaction face à ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie ?

  • Aimeline

    Petit à petit, je commence à prendre l'ampleur de la situation. Les jours passent et ça continue et même ça va de pire en pire. Je rentre dans une phase d'isolement total. C'est-à-dire que je suis complètement obsédée par la situation. Je m'enferme dans ma chambre d'hôtel et je suis au téléphone H24 pour savoir ce qui se passe, pour essayer de comprendre. Après, je commence à sentir que... en termes de santé mentale, ça va me détruire. Tu restes enfermée, tu ne fais que ça, il y a moyen de devenir complètement fou. Du coup, je me dis, écoute, secoue-toi un peu, recommence à sortir, et fais des activités pour t'aérer l'esprit, pour tenir bon, parce que tu ne sais pas combien de temps tu vas être enfermée, tu ne sais pas combien de temps tu vas être bloquée.

  • Manon

    Donc à ce moment-là, les frontières sont fermées, tu ne peux pas retourner en Nouvelle-Calédonie.

  • Aimeline

    Exactement. Et du coup, je me dis, tiens, mais je ne dois pas être la seule, en fait. Parce que toutes les personnes qui rentrent en France passent forcément par le Japon. Et il y en a même juste qui vont beaucoup au Japon pour les vacances. Et je commence à regarder un peu les réseaux sociaux un peu plus axés sur le Japon. Et je me rends compte qu'il y a des postes d'autres Calédoniens qui sont bloqués au Japon. Et là... Il y a deux autres Calédoniens qui sont bloqués à Tokyo. Et en fait, on se dit, vas-y, il faut qu'on se regroupe. Laisse tomber l'idée du solo trip parce que là, circonstance exceptionnelle. On se rend compte, le feeling passe super bien. Et du coup, on décide de se rendre à des festivals japonais traditionnels. On décide d'aller au bar, d'aller à des activités typiques japonaises, genre les karaokés, bar à volonté, avec nourriture et tout ça. Et franchement, pendant quelques heures, t'arrives enfin à t'extirper un peu de ce climat oxygène. Mais en fait, on s'est demandé, est-ce qu'on avait le droit de vivre ça ? On avait un énorme sentiment de culpabilité dans le sens où, je veux dire, moi j'avais des amis bloqués dans des immeubles qui se demandaient si ça n'allait pas partir en feu leur foyer. Et moi à côté, j'étais en train de manger un petit gâteau avec ma pote, en train d'observer des magnifiques paysages japonais. Il y a un sentiment de culpabilité qui se développe, impressionnant. Voilà, vu que les autres sont malheureux, est-ce que toi tu as le droit d'être heureux ? Ne serait-ce que pendant une heure, parce que comme je te disais, ça ne durait jamais longtemps. Mais c'était un sentiment très très fort et omniprésent. Tu étais en train de rigoler, tu étais en plein milieu d'un fou rire, et d'un coup, pensée parasite, mais c'est horrible ce que je suis en train de faire. Mais pourquoi je rigole ? Mais en fait... Quand je vois tout ce qui se passe chez moi, je n'ai pas le droit de rigoler, mais je suis immonde de faire ça, de penser comme ça, de me comporter comme ça. Ce n'est pas juste. Ce qui était intéressant, c'est qu'on ne tombait jamais en même temps, on tombait tour à tour. Dès que le moral d'un baissait, il y avait toujours les deux autres, ou alors quand on était à Narita, les 20 autres, pour remonter le moral de la personne et lui dire, écoute, dans tous les cas, ça ne sert à rien. il est question de tenir le coup. Donc autorise-toi l'espace d'un après-midi ou l'espace d'une soirée à penser à autre chose. Et en fait, il y a plein de gens par exemple qui n'ont jamais la possibilité de voyager, d'aller dans un pays aussi magnifique que Japon. Toi t'es là, c'est comme ça. Alors écoute, profites-en. Ça sert à quoi de culpabiliser ? Parce qu'au fin de compte, tu ne vas rien changer sur la situation de Nouvelle-Calédonie. Et en même temps, tu vas te rajouter de la charge mentale dont tu n'as déjà pas besoin, parce que tu es déjà conscient de la situation. Ça a été dur quand, par exemple, on avait quelques-uns de nos proches qui nous disaient De toute façon, on en revient à la culpabilité. Vous n'avez pas le droit de vraiment vous plaindre parce que vous ne vivez pas ce qu'on est en train de vivre sur le territoire. C'était une minorité, je vous rassure, c'est pas tout le monde qui tient ce genre de propos. Mais en fait, c'était difficile à encaisser, parce qu'il faut bien comprendre qu'en fait, peu importe que la douleur que tu vises soit différente de celle d'autrui, dans le sens où chacun vit personnellement sa propre souffrance, et t'es pas forcément dans la tête de l'autre pour savoir quelle est par exemple sa tolérance à la souffrance.

  • Manon

    Il n'y a pas d'hierarchie de la souffrance.

  • Aimeline

    Exactement, c'est ça le terme. Il n'y a pas d'hierarchie de la souffrance. Chacun a sa propre souffrance et chacun la vit de sa manière. On ne peut pas faire de la projection émotionnelle comme ça sur autrui. Sachant qu'en plus, on était un peu les oubliés. Ceux qui étaient coincés à l'étranger, on avait très peu d'informations sur est-ce qu'on va rentrer ? Quand ? On ne savait pas combien de temps ça allait durer les émeutes en Nouvelle-Calédonie. Et en fin de compte... À un moment, quand ça faisait quasiment deux semaines qu'on était bloqués là-bas, on s'est dit non mais en fait, soit ça peut durer un mois, soit ça peut durer six, soit en fait il faut qu'on, je sais pas, qu'on essaie d'aller vers la France ou d'aller vers un autre endroit parce que, je le comprends, on n'était clairement pas la première priorité du territoire, c'est tout à fait normal. Mais d'un autre côté, il y avait quand même des enjeux derrière. Comme je disais, il y avait beaucoup de solo-trippers. Et du coup, nous, on n'avait pas justement les gens à qui on tient le plus au monde auprès de nous. Dans un second temps, une de mes amies me dit que, justement, il y a un énorme groupe de Calédoniens qui s'est formé sur Narita. Parce que pareil, autre problème technique, on ne sait pas combien ça va nous coûter d'être bloqué aussi longtemps. C'est une très bonne solution d'aller tous les rejoindre à Narita. Et donc c'est ce qu'on fait. Une fois sur Narita, en fin de compte, c'était dingue parce que ces gens-là, on ne les connaissait pas. On venait tous d'univers extrêmement différents, d'âges extrêmement différents. Vraiment, ça allait de 25 à 70 ans. Il y a un lien instantané qui s'est créé entre nous. Mais je suppose que c'était lié au climat extrêmement particulier qu'on vivait. On vivait tous des situations uniques, difficiles. Mais... Avec l'effet groupe et la cohésion, on s'est décidé pareil d'entreprendre des activités. On a décidé de faire des repas très fréquents, un peu à la mode calédonienne, c'est-à-dire genre tout le monde emmène un petit peu et en fin de compte, tu te retrouves avec un énorme banquet et tu ne sais plus ce que tu vas faire de toute cette nourriture. On faisait ça très fréquemment.

  • Manon

    Et toi, à ce moment-là, tu fêtes tes 25 ans à Narita. C'est ça. Tu peux raconter ?

  • Aimeline

    Je devais fêter mon quart de siècle. En Calédonie, mais le destin en a décidé autrement. Et en fin de compte, j'avais un peu honte d'en parler aux autres. Et j'en parle quand même à quelques-uns dont je suis particulièrement proche. Et ils me disent, non mais, on prévient tout le monde. Au final, moi-même, je finis par envoyer un petit message dans le groupe. Parce que je me dis, vas-y, ça sert à rien. Et donc, en fin de compte, c'est eux qui me proposent tous de faire une soirée très atypique. Où en fait, on est à Narita, il n'y a pas grand-chose. Donc on décide tous de se rejoindre à l'aéroport. Parce qu'en fait, dans les aéroports, t'as des énormes foudres courtes. Et en fait, on a fait un peu une soirée sauvage dans cette foudre courte, où tout le monde est allé chercher un peu de nourriture, un peu d'alcool. On s'est tous rejoints sur les tables, et en fin de compte, c'était l'un des anniversaires les plus mémorables de ma vie. Ils ont même pensé à m'amener des petits cadeaux, mais ironiques, dans le sens, on peut pas t'offrir d'avion ? On t'en offre un miniature que tu pourras mettre sur ton porte-clés. On t'a pas trouvé de gâteau d'anniversaire comme ça se fait en France, c'est pas grave, on t'a amené des miniardises japonaises. Que des petites attentions comme ça qui ont fait qu'en fin de compte, ça rend l'anniversaire mémorable. Qui peut se vanter d'avoir fait ses 25 ans bloqués au Japon, dans un aéroport, avec des gens qu'elle connaît depuis une semaine ? Et qui en plus sont fantastiques.

  • Manon

    Vous avez tissé des liens mémorables ?

  • Aimeline

    Ah oui, effectivement. Non seulement parce que je trouve que chaque personne de ce groupe est fantastique. Mais en plus parce que la dynamique qui s'est instaurée dans le groupe était juste... Ça fait un peu conte de fées en fait.

  • Manon

    Qu'est-ce que vous avez ressenti et toi particulièrement en ayant vécu tout ça à distance ?

  • Aimeline

    Le premier sentiment, comme je disais tout à l'heure, c'était le déni. Parce que t'es pas sur place. Du coup, derrière un écran, tu sais, mais tu intègres pas forcément l'information. Ensuite, c'était l'impuissance. Parce que tous mes proches étaient dans des quartiers difficiles, où on vécu des choses tragiques. Tandis que moi, j'étais au Japon, protégée, en sécurité. Et par la suite, une fois que j'ai intégré le groupe, Je dirais pas que toute tristesse s'est envolée ou toute inquiétude s'est envolée, c'est complètement faux. C'était tous les jours. On était en permanence stressés, même angoissés. Mais la cohésion et la bienveillance du groupe faisaient qu'en fait... On devenait résilients et surtout, on arrivait quand même à tirer une expérience formidable de par toutes les activités qu'on faisait ensemble, tous les moments qu'on partageait ensemble. Et on a réussi à affronter cette épreuve, je pense, parce qu'on était ensemble. Seul, ça aurait été complètement différent. Je ne pense pas qu'on aurait réussi à encaisser une telle avalanche de sentiments négatifs si on avait été isolés.

  • Manon

    Quand est-ce que tu as appris que tu pouvais retourner sur le territoire ?

  • Aimeline

    Oula, j'ai appris que je pouvais rentrer sur le territoire un petit peu du jour au lendemain. C'était dans la nuit du 28 au 29. On a reçu juste un appel pour nous prévenir qu'on pouvait rentrer. Et en fait, on n'y croyait pas vraiment parce que ça faisait deux semaines qu'on n'avait pas trop de nouvelles. Du coup, on ne savait pas si on devait se réjouir, si on devait patienter, si ça allait être une fausse joie, si on allait être déçu. Sachant qu'en plus, dans notre groupe, Il y avait de base quatre personnes qui restaient sur le carreau. C'est bizarre à quel point on peut s'attacher vite parce que le fait que ces quatre personnes soient bloquées, ça nous a empêchés de ressentir de la joie ou du moins son paroxysme. Parce qu'en fait, on avait un sentiment d'amertume. C'est comme si on rentrait pas entier. Il manquait une part de nous. Il manquait une part du groupe. Dans des situations pareilles, c'est dingue à quel point... Les liens qui sont construits entre les gens en situation de crise sont forts. On n'arrivait pas à se réjouir pour rentrer. Et en fin de compte, l'histoire se finit bien parce qu'au final, ils ont pu se greffer sur notre vol le lendemain. Et là, explosion de joie, tout le monde rentre chez soi, tout le monde va retrouver ses proches.

  • Manon

    Vous prenez ce vol, vous atterrissez en Nouvelle-Calédonie. Qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ? Vous faites le constat de ce qui s'est passé pendant ces deux semaines. Vous vous sentez comment ?

  • Aimeline

    La première chose qui m'a choquée, c'est quand on est arrivé à l'aéroport et que j'ai vu le nombre de militaires, le nombre d'armes. Et là, c'est comme une petite bulle dans laquelle tu étais plongée, qui te protégeait et qui explose d'un coup. Tu prends la réalité en pleine face. Suite à ça, quand on commence à sortir de l'aéroport, je commence à constater les dégâts, mais je ne me balade pas énormément dans Nouméa. Peut-être de peur de prendre en considération l'étendue, l'ampleur des dégâts. Et puis ça se fait progressivement. J'essaie de ne pas trop me faire violence parce que je sais très bien que... Enfin ça y est, j'ai assimilé maintenant que la situation va durer un petit moment. Du coup, je fais les choses progressivement. Donc ça se passe plutôt bien, dans le sens où c'est pas un moment agréable à vivre, mais je l'accepte progressivement. Et puis après, petit à petit, j'essaie de garder le moral positif, parce que je me suis rapidement rendue compte que le climat en Nouvelle-Calédonie était devenu complètement oxygène. C'est-à-dire que tout le monde parle de la situation en permanence. Que ça soit avec tes amis, avec ta famille, avec tes collègues de travail. Et qu'en fin de compte, je dis pas qu'il faut nier la situation. Je dis juste que si tu restes en permanence focalisée dessus, tu vas perdre ta sanité. Et à quoi bon ? C'est dans ce genre de situation qu'au contraire, il faut rester un minimum fort.

  • Manon

    Bon, et comment ça va vraiment, Emeline ?

  • Aimeline

    Maintenant, plutôt bien. J'ai coutume de dire que tout ce qui arrive, arrive pour une bonne raison. Et quand je dis ça, je pense à la Calédonie, mais également à ce qui s'est passé au Japon, où en fin de compte, l'idée était de partir dans un solo trip pour se recentrer sur soi-même. Et en fin de compte, je me retrouve dans un groupe de 20 personnes. où je réapprends à quel point, dans une situation aussi terrible, l'humanité reste très belle. En Nouvelle-Calédonie, ça se bat, et au Japon, ça soutient, ça fait des amitiés, que de l'amour, quoi. Très bien.

  • Manon

    Alors si tu as un mot pour la fin, et qu'est-ce que tu aurais envie de dire à tous ceux qui se sentent comme toi ?

  • Aimeline

    Je dirais que même dans les pires situations, même si c'est facile à dire, Il faut toujours essayer de se raccrocher aux moindres petits éléments positifs. Avoir ce genre de mindset, ça permet justement de ne pas perdre pied et de continuer à avancer, peu importe les obstacles qui se présentent. A toi.

  • Manon

    Merci beaucoup, Aimeline, d'avoir partagé cette aventure avec nous.

  • Aimeline

    Merci à toi pour l'invitation. Et à bientôt. A bientôt.

  • Manon

    Merci d'avoir partagé avec nous ce moment, de nous avoir écouté tout le monde de ce récit. A très bientôt pour un nouvel épisode de J'ai coutume de lire, où d'autres voix et d'autres histoires viendront nous donner envie de nous réinventer et de réfléchir sur l'avenir. A très vite.

Description

Aimeline est partie pour un voyage en solo au Japon. Elle a vécu une aventure pour le moins inattendue, en pleine crise en Nouvelle-Calédonie elle s'est retrouvée bloquée au Japon, seule. Mais ce qui aurait pu être une épreuve s'est transformé en une expérience humaine riche en résilience et en solidarité.


Elle a finalement rencontré d'autres Calédoniens dans la même situation. Ensemble, ils ont créé des liens forts durant ces deux semaines, formant une petite communauté soudée loin de chez eux. Dans cet épisode, Aimeline nous raconte comment ils ont suivi la crise en Nouvelle-Calédonie à distance, soutenant leurs proches tout en vivant cette expérience unique.


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Réalisation et montage: Manon Dejean

Mixage : Philippe Buston


Illustration du podcast : Lavenstudio


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Aimeline

    J'ai coutume de dire que tout ce qui arrive, arrive pour une bonne raison. J'ai coutume de dire, un podcast réalisé par Manon Dejean.

  • Manon

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de J'ai coutume de dire. Aujourd'hui j'ai le plaisir de recevoir Emeline, une voyageuse intrépide qui a vécu une histoire pour le moins inattendue. Partie pour un voyage en solo au Japon, Emeline s'est retrouvée bloquée dans ce pays fascinant durant la crise en Nouvelle-Calédonie. Mais ce qui aurait pu être une épreuve s'est transformé en une expérience humaine riche en solidarité. Coincée au Japon, elle a rencontré d'autres Calédoniens dans la même situation. Ensemble, ils ont créé des liens forts au cours de ces deux semaines, formant une petite communauté soudée loin de chez eux. Dans cet épisode, Emeline nous raconte comment ils ont suivi la crise en Nouvelle-Calédonie à distance, soutenant leurs proches tout en vivant cette expérience unique. Sans plus attendre, plongeons ensemble dans cette histoire de résilience où des étrangers sont devenus une famille le temps d'une crise. Salut Emeline ! Salut ! Comment tu vas aujourd'hui ?

  • Aimeline

    Je sors d'une bonne grippe mais ça va, j'ai retrouvé la forme.

  • Manon

    Dis-toi, tu avais quelque chose à me raconter aujourd'hui.

  • Aimeline

    Bien, tout a commencé quand j'ai décidé de partir au Japon du jour au lendemain. parce que c'était une idée qui me trottait dans la tête, j'avais besoin d'un break et tout le monde me recommandait de tenter l'expérience solo trip. Du coup je me suis lancée. Du coup j'ai appris beaucoup de concepts, de toute façon c'était ceux qui m'étaient préconisés. C'était quand tu fais un voyage en solo, tu te concentres uniquement sur toi-même, tu te ressentes sur tes émotions, tu fais un point sur ta vie. Il y a d'autres choses toutes bénignes aussi qu'on a tendance à oublier dans le quotidien. C'est la contemplation de ce qui nous entoure, les paysages, les gens, la culture, les mouvements de vie. Et du coup, c'est ce que j'avais envie d'expérimenter au Japon et c'est ce que j'ai fait. Quand je suis partie au Japon, j'avais des objectifs. C'était justement faire un point sur ma vie, faire un point sur ma santé mentale, on peut dire les choses comme ça. J'avais envie de me dégager de la fast life un peu. Métro, boulot, dodo, copain, voilà. J'avais envie de vivre la vie et surtout l'instant présent. Et en fin de compte, je me suis rapidement aperçue que c'est vrai que quand tu es seule, tu prends plus de temps pour observer, pour apprécier, pour vivre. Et même si j'avais un peu peur de faire cette expérience, Je pense qu'en fin de compte, un peu comme tous mes amis qui me le recommandaient, je le recommande également. Parce que c'est une vérité. Et pareil, on a l'habitude, vu qu'on vit en communauté, d'être très dépendants les uns des autres. Et je trouve que c'est pas mal de temps en temps, en fin de compte, d'apprendre à ne dépendre que de soi. que l'indépendance est une qualité qui est beaucoup trop négligée chez chacun d'entre nous. Je trouve qu'on se repose beaucoup trop sur les autres dans tous les aspects de la vie. Donc forcément, la meilleure façon d'avancer, c'est de se connaître. Et pour ça, je trouve qu'un voyage au Japon en solitaire, c'est un très bon moyen justement de développer cette indépendance. Parce que, hormis Kabukicho à Tokyo, t'as quand même beaucoup d'endroits C'est le pays de la zénitude, mine de rien. Donc, quand tu vas au temple, quand tu vas au parc japonais, tu as un espèce de sentiment de sérénité qui t'envahit et tes pensées deviennent tout de suite beaucoup plus claires, beaucoup plus calmes. Après, je pense que tu peux le faire en Nouvelle-Calédonie aussi, si tu vas à Pouy un week-end. Mais après, c'est bien de le faire à l'étranger aussi, comme ça tu découvres des choses en même temps.

  • Manon

    Et donc le 13 mai 2024, tu es où ? Qu'est-ce qui se passe dans ta vie à ce moment-là ?

  • Aimeline

    Alors le 13 mai 2024, je me trouve à Tokyo, à Kabukicho. Je suis en plein milieu de l'effervescence tokyoïte. Et je commence à recevoir plein d'appels, de SMS, de photos, de vidéos, de tous mes proches, collègues inclus. Tout le monde commence à m'informer de la situation en Nouvelle-Calédonie. Et je suis un peu dans le déni. Je me dis que tout ce qui se passe, c'est comme une toute petite crise, comme on a déjà eu l'habitude de rencontrer par le passé. Et je me dis que c'est temporaire et ça va passer.

  • Manon

    Et quelle est ta réaction face à ce qui se passe en Nouvelle-Calédonie ?

  • Aimeline

    Petit à petit, je commence à prendre l'ampleur de la situation. Les jours passent et ça continue et même ça va de pire en pire. Je rentre dans une phase d'isolement total. C'est-à-dire que je suis complètement obsédée par la situation. Je m'enferme dans ma chambre d'hôtel et je suis au téléphone H24 pour savoir ce qui se passe, pour essayer de comprendre. Après, je commence à sentir que... en termes de santé mentale, ça va me détruire. Tu restes enfermée, tu ne fais que ça, il y a moyen de devenir complètement fou. Du coup, je me dis, écoute, secoue-toi un peu, recommence à sortir, et fais des activités pour t'aérer l'esprit, pour tenir bon, parce que tu ne sais pas combien de temps tu vas être enfermée, tu ne sais pas combien de temps tu vas être bloquée.

  • Manon

    Donc à ce moment-là, les frontières sont fermées, tu ne peux pas retourner en Nouvelle-Calédonie.

  • Aimeline

    Exactement. Et du coup, je me dis, tiens, mais je ne dois pas être la seule, en fait. Parce que toutes les personnes qui rentrent en France passent forcément par le Japon. Et il y en a même juste qui vont beaucoup au Japon pour les vacances. Et je commence à regarder un peu les réseaux sociaux un peu plus axés sur le Japon. Et je me rends compte qu'il y a des postes d'autres Calédoniens qui sont bloqués au Japon. Et là... Il y a deux autres Calédoniens qui sont bloqués à Tokyo. Et en fait, on se dit, vas-y, il faut qu'on se regroupe. Laisse tomber l'idée du solo trip parce que là, circonstance exceptionnelle. On se rend compte, le feeling passe super bien. Et du coup, on décide de se rendre à des festivals japonais traditionnels. On décide d'aller au bar, d'aller à des activités typiques japonaises, genre les karaokés, bar à volonté, avec nourriture et tout ça. Et franchement, pendant quelques heures, t'arrives enfin à t'extirper un peu de ce climat oxygène. Mais en fait, on s'est demandé, est-ce qu'on avait le droit de vivre ça ? On avait un énorme sentiment de culpabilité dans le sens où, je veux dire, moi j'avais des amis bloqués dans des immeubles qui se demandaient si ça n'allait pas partir en feu leur foyer. Et moi à côté, j'étais en train de manger un petit gâteau avec ma pote, en train d'observer des magnifiques paysages japonais. Il y a un sentiment de culpabilité qui se développe, impressionnant. Voilà, vu que les autres sont malheureux, est-ce que toi tu as le droit d'être heureux ? Ne serait-ce que pendant une heure, parce que comme je te disais, ça ne durait jamais longtemps. Mais c'était un sentiment très très fort et omniprésent. Tu étais en train de rigoler, tu étais en plein milieu d'un fou rire, et d'un coup, pensée parasite, mais c'est horrible ce que je suis en train de faire. Mais pourquoi je rigole ? Mais en fait... Quand je vois tout ce qui se passe chez moi, je n'ai pas le droit de rigoler, mais je suis immonde de faire ça, de penser comme ça, de me comporter comme ça. Ce n'est pas juste. Ce qui était intéressant, c'est qu'on ne tombait jamais en même temps, on tombait tour à tour. Dès que le moral d'un baissait, il y avait toujours les deux autres, ou alors quand on était à Narita, les 20 autres, pour remonter le moral de la personne et lui dire, écoute, dans tous les cas, ça ne sert à rien. il est question de tenir le coup. Donc autorise-toi l'espace d'un après-midi ou l'espace d'une soirée à penser à autre chose. Et en fait, il y a plein de gens par exemple qui n'ont jamais la possibilité de voyager, d'aller dans un pays aussi magnifique que Japon. Toi t'es là, c'est comme ça. Alors écoute, profites-en. Ça sert à quoi de culpabiliser ? Parce qu'au fin de compte, tu ne vas rien changer sur la situation de Nouvelle-Calédonie. Et en même temps, tu vas te rajouter de la charge mentale dont tu n'as déjà pas besoin, parce que tu es déjà conscient de la situation. Ça a été dur quand, par exemple, on avait quelques-uns de nos proches qui nous disaient De toute façon, on en revient à la culpabilité. Vous n'avez pas le droit de vraiment vous plaindre parce que vous ne vivez pas ce qu'on est en train de vivre sur le territoire. C'était une minorité, je vous rassure, c'est pas tout le monde qui tient ce genre de propos. Mais en fait, c'était difficile à encaisser, parce qu'il faut bien comprendre qu'en fait, peu importe que la douleur que tu vises soit différente de celle d'autrui, dans le sens où chacun vit personnellement sa propre souffrance, et t'es pas forcément dans la tête de l'autre pour savoir quelle est par exemple sa tolérance à la souffrance.

  • Manon

    Il n'y a pas d'hierarchie de la souffrance.

  • Aimeline

    Exactement, c'est ça le terme. Il n'y a pas d'hierarchie de la souffrance. Chacun a sa propre souffrance et chacun la vit de sa manière. On ne peut pas faire de la projection émotionnelle comme ça sur autrui. Sachant qu'en plus, on était un peu les oubliés. Ceux qui étaient coincés à l'étranger, on avait très peu d'informations sur est-ce qu'on va rentrer ? Quand ? On ne savait pas combien de temps ça allait durer les émeutes en Nouvelle-Calédonie. Et en fin de compte... À un moment, quand ça faisait quasiment deux semaines qu'on était bloqués là-bas, on s'est dit non mais en fait, soit ça peut durer un mois, soit ça peut durer six, soit en fait il faut qu'on, je sais pas, qu'on essaie d'aller vers la France ou d'aller vers un autre endroit parce que, je le comprends, on n'était clairement pas la première priorité du territoire, c'est tout à fait normal. Mais d'un autre côté, il y avait quand même des enjeux derrière. Comme je disais, il y avait beaucoup de solo-trippers. Et du coup, nous, on n'avait pas justement les gens à qui on tient le plus au monde auprès de nous. Dans un second temps, une de mes amies me dit que, justement, il y a un énorme groupe de Calédoniens qui s'est formé sur Narita. Parce que pareil, autre problème technique, on ne sait pas combien ça va nous coûter d'être bloqué aussi longtemps. C'est une très bonne solution d'aller tous les rejoindre à Narita. Et donc c'est ce qu'on fait. Une fois sur Narita, en fin de compte, c'était dingue parce que ces gens-là, on ne les connaissait pas. On venait tous d'univers extrêmement différents, d'âges extrêmement différents. Vraiment, ça allait de 25 à 70 ans. Il y a un lien instantané qui s'est créé entre nous. Mais je suppose que c'était lié au climat extrêmement particulier qu'on vivait. On vivait tous des situations uniques, difficiles. Mais... Avec l'effet groupe et la cohésion, on s'est décidé pareil d'entreprendre des activités. On a décidé de faire des repas très fréquents, un peu à la mode calédonienne, c'est-à-dire genre tout le monde emmène un petit peu et en fin de compte, tu te retrouves avec un énorme banquet et tu ne sais plus ce que tu vas faire de toute cette nourriture. On faisait ça très fréquemment.

  • Manon

    Et toi, à ce moment-là, tu fêtes tes 25 ans à Narita. C'est ça. Tu peux raconter ?

  • Aimeline

    Je devais fêter mon quart de siècle. En Calédonie, mais le destin en a décidé autrement. Et en fin de compte, j'avais un peu honte d'en parler aux autres. Et j'en parle quand même à quelques-uns dont je suis particulièrement proche. Et ils me disent, non mais, on prévient tout le monde. Au final, moi-même, je finis par envoyer un petit message dans le groupe. Parce que je me dis, vas-y, ça sert à rien. Et donc, en fin de compte, c'est eux qui me proposent tous de faire une soirée très atypique. Où en fait, on est à Narita, il n'y a pas grand-chose. Donc on décide tous de se rejoindre à l'aéroport. Parce qu'en fait, dans les aéroports, t'as des énormes foudres courtes. Et en fait, on a fait un peu une soirée sauvage dans cette foudre courte, où tout le monde est allé chercher un peu de nourriture, un peu d'alcool. On s'est tous rejoints sur les tables, et en fin de compte, c'était l'un des anniversaires les plus mémorables de ma vie. Ils ont même pensé à m'amener des petits cadeaux, mais ironiques, dans le sens, on peut pas t'offrir d'avion ? On t'en offre un miniature que tu pourras mettre sur ton porte-clés. On t'a pas trouvé de gâteau d'anniversaire comme ça se fait en France, c'est pas grave, on t'a amené des miniardises japonaises. Que des petites attentions comme ça qui ont fait qu'en fin de compte, ça rend l'anniversaire mémorable. Qui peut se vanter d'avoir fait ses 25 ans bloqués au Japon, dans un aéroport, avec des gens qu'elle connaît depuis une semaine ? Et qui en plus sont fantastiques.

  • Manon

    Vous avez tissé des liens mémorables ?

  • Aimeline

    Ah oui, effectivement. Non seulement parce que je trouve que chaque personne de ce groupe est fantastique. Mais en plus parce que la dynamique qui s'est instaurée dans le groupe était juste... Ça fait un peu conte de fées en fait.

  • Manon

    Qu'est-ce que vous avez ressenti et toi particulièrement en ayant vécu tout ça à distance ?

  • Aimeline

    Le premier sentiment, comme je disais tout à l'heure, c'était le déni. Parce que t'es pas sur place. Du coup, derrière un écran, tu sais, mais tu intègres pas forcément l'information. Ensuite, c'était l'impuissance. Parce que tous mes proches étaient dans des quartiers difficiles, où on vécu des choses tragiques. Tandis que moi, j'étais au Japon, protégée, en sécurité. Et par la suite, une fois que j'ai intégré le groupe, Je dirais pas que toute tristesse s'est envolée ou toute inquiétude s'est envolée, c'est complètement faux. C'était tous les jours. On était en permanence stressés, même angoissés. Mais la cohésion et la bienveillance du groupe faisaient qu'en fait... On devenait résilients et surtout, on arrivait quand même à tirer une expérience formidable de par toutes les activités qu'on faisait ensemble, tous les moments qu'on partageait ensemble. Et on a réussi à affronter cette épreuve, je pense, parce qu'on était ensemble. Seul, ça aurait été complètement différent. Je ne pense pas qu'on aurait réussi à encaisser une telle avalanche de sentiments négatifs si on avait été isolés.

  • Manon

    Quand est-ce que tu as appris que tu pouvais retourner sur le territoire ?

  • Aimeline

    Oula, j'ai appris que je pouvais rentrer sur le territoire un petit peu du jour au lendemain. C'était dans la nuit du 28 au 29. On a reçu juste un appel pour nous prévenir qu'on pouvait rentrer. Et en fait, on n'y croyait pas vraiment parce que ça faisait deux semaines qu'on n'avait pas trop de nouvelles. Du coup, on ne savait pas si on devait se réjouir, si on devait patienter, si ça allait être une fausse joie, si on allait être déçu. Sachant qu'en plus, dans notre groupe, Il y avait de base quatre personnes qui restaient sur le carreau. C'est bizarre à quel point on peut s'attacher vite parce que le fait que ces quatre personnes soient bloquées, ça nous a empêchés de ressentir de la joie ou du moins son paroxysme. Parce qu'en fait, on avait un sentiment d'amertume. C'est comme si on rentrait pas entier. Il manquait une part de nous. Il manquait une part du groupe. Dans des situations pareilles, c'est dingue à quel point... Les liens qui sont construits entre les gens en situation de crise sont forts. On n'arrivait pas à se réjouir pour rentrer. Et en fin de compte, l'histoire se finit bien parce qu'au final, ils ont pu se greffer sur notre vol le lendemain. Et là, explosion de joie, tout le monde rentre chez soi, tout le monde va retrouver ses proches.

  • Manon

    Vous prenez ce vol, vous atterrissez en Nouvelle-Calédonie. Qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ? Vous faites le constat de ce qui s'est passé pendant ces deux semaines. Vous vous sentez comment ?

  • Aimeline

    La première chose qui m'a choquée, c'est quand on est arrivé à l'aéroport et que j'ai vu le nombre de militaires, le nombre d'armes. Et là, c'est comme une petite bulle dans laquelle tu étais plongée, qui te protégeait et qui explose d'un coup. Tu prends la réalité en pleine face. Suite à ça, quand on commence à sortir de l'aéroport, je commence à constater les dégâts, mais je ne me balade pas énormément dans Nouméa. Peut-être de peur de prendre en considération l'étendue, l'ampleur des dégâts. Et puis ça se fait progressivement. J'essaie de ne pas trop me faire violence parce que je sais très bien que... Enfin ça y est, j'ai assimilé maintenant que la situation va durer un petit moment. Du coup, je fais les choses progressivement. Donc ça se passe plutôt bien, dans le sens où c'est pas un moment agréable à vivre, mais je l'accepte progressivement. Et puis après, petit à petit, j'essaie de garder le moral positif, parce que je me suis rapidement rendue compte que le climat en Nouvelle-Calédonie était devenu complètement oxygène. C'est-à-dire que tout le monde parle de la situation en permanence. Que ça soit avec tes amis, avec ta famille, avec tes collègues de travail. Et qu'en fin de compte, je dis pas qu'il faut nier la situation. Je dis juste que si tu restes en permanence focalisée dessus, tu vas perdre ta sanité. Et à quoi bon ? C'est dans ce genre de situation qu'au contraire, il faut rester un minimum fort.

  • Manon

    Bon, et comment ça va vraiment, Emeline ?

  • Aimeline

    Maintenant, plutôt bien. J'ai coutume de dire que tout ce qui arrive, arrive pour une bonne raison. Et quand je dis ça, je pense à la Calédonie, mais également à ce qui s'est passé au Japon, où en fin de compte, l'idée était de partir dans un solo trip pour se recentrer sur soi-même. Et en fin de compte, je me retrouve dans un groupe de 20 personnes. où je réapprends à quel point, dans une situation aussi terrible, l'humanité reste très belle. En Nouvelle-Calédonie, ça se bat, et au Japon, ça soutient, ça fait des amitiés, que de l'amour, quoi. Très bien.

  • Manon

    Alors si tu as un mot pour la fin, et qu'est-ce que tu aurais envie de dire à tous ceux qui se sentent comme toi ?

  • Aimeline

    Je dirais que même dans les pires situations, même si c'est facile à dire, Il faut toujours essayer de se raccrocher aux moindres petits éléments positifs. Avoir ce genre de mindset, ça permet justement de ne pas perdre pied et de continuer à avancer, peu importe les obstacles qui se présentent. A toi.

  • Manon

    Merci beaucoup, Aimeline, d'avoir partagé cette aventure avec nous.

  • Aimeline

    Merci à toi pour l'invitation. Et à bientôt. A bientôt.

  • Manon

    Merci d'avoir partagé avec nous ce moment, de nous avoir écouté tout le monde de ce récit. A très bientôt pour un nouvel épisode de J'ai coutume de lire, où d'autres voix et d'autres histoires viendront nous donner envie de nous réinventer et de réfléchir sur l'avenir. A très vite.

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