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J'ai coutume de dire...

David, se donner la chance de rêver

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21min |03/10/2024
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21min |03/10/2024
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Description

Alors que beaucoup pensaient que tout contact était rompu, David en plein déménagement, était toujours sur le terrain multipliant les actions solidaires. Il a su maintenir ce qui est, pour lui, le plus important : le lien entre les gens.


Dans une période où l'isolement semblait inévitable, David a su rester actif et disponible pour aider concrètement celles et ceux qui en avaient besoin. Aujourd'hui encore, il encourage chacun à sortir, à se rencontrer, et à ne pas laisser la crise briser les relations humaines. Dans cet épisode, David nous parlera aussi de son radio forum au marché de Rivière Salée un espace d’échanges où chaque personne peut venir débattre, échanger des idées et fissurer ces certitudes.


Pour nous soutenir le podcast, vous pouvez faire un don : https://www.cotizup.com/jcdd


Réalisation et montage: Manon Dejean

Mixage : Philippe Buston


Illustration du podcast : Lavenstudio


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • David

    Ça, c'est vraiment aussi un truc que j'ai coutume de dire, c'est qu'il faut absolument travailler pour fissurer cette certitude. J'ai coutume de dire, un podcast réalisé par Manon Dejean.

  • Manon

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de J'ai coutume de dire. Aujourd'hui, j'ai le plaisir de recevoir David, un véritable couteau suisse humain. Pendant la crise en Nouvelle-Calédonie, alors que beaucoup pensaient que tout contact était rompu, David, en plein déménagement, était toujours sur le terrain, multipliant les actions solidaires. Il a su maintenir ce qui est pour lui le plus important, le lien entre les gens. Dans une période où l'isolement semblait inévitable, David a su rester actif et disponible pour aider concrètement celles et ceux qui en avaient besoin. Aujourd'hui encore, il encourage chacun à sortir, à se rencontrer et à ne pas laisser la crise briser les relations humaines. Dans cet épisode, David nous parlera aussi de son radioforum au marché de Rivière-Salée, un espace d'échange où chaque personne peut venir débattre, échanger des idées et fissurer ses certitudes. Sans plus attendre, plongeons ensemble dans l'univers de David et découvrons comment à travers ses actions et son engagement, il a su préserver le lien social, même dans les moments les plus difficiles. Salut David !

  • David

    Bonjour Manon !

  • Manon

    Comment tu vas aujourd'hui ?

  • David

    Ça va, et toi ?

  • Manon

    Ça va bien. Dis-moi, tu avais quelque chose à nous raconter aujourd'hui.

  • David

    Ouais, moi tout a commencé en 2000 ou 2001, quand je suis parti vivre dans les Alpes, alors que j'avais tout juste 18 ou 19 ans, et que j'ai quitté finalement ma terre natale du centre de la France, où j'avais grandi, et où j'ai découvert dans les Alpes un autre monde en fait, un monde qui était beau et avec des gens. qui avaient envie de faire des choses et qui étaient heureux. Parce que moi, j'avais grandi dans un univers de banlieue assez tristouné, où le dicton du jour, enfin le dicton là-bas, c'était un petit peu... La vie est une grande tartine de merde, excuse-moi du langage, mais c'était ça. Et tous les jours, en fait, il faut en manger un morceau. Puis j'ai vécu dans mon enfance, mon adolescence, dans un univers où les gens ne sont pas heureux et pensent que le bonheur n'existe pas, en fait. Moi j'ai eu la chance de m'extraire de ça finalement quand j'ai eu 18 ou 19 ans et de voir que finalement la vie elle était belle et que le monde il n'était pas comme on m'avait dit qu'il était, qu'il y avait des choses à faire intéressantes, qu'il y avait des belles personnes à rencontrer et qu'il y avait tout un monde à explorer et à découvrir quoi. Et ça en fait ça m'a donné un déclic déjà dès ce moment là, ça a été de vouloir raconter le monde et j'ai fait ça pendant des années, c'est ça qui m'a mis le pied à l'étrier au voyage, au grand voyage. et qui un jour m'a amené ici en Calédonie en 2014.

  • Manon

    Et qu'est-ce qui t'a fait prendre conscience finalement que tu n'étais pas à ta place là où tu étais et que tu avais besoin de partir ?

  • David

    Ça a été un déclic, une opportunité professionnelle. À la base, moi je suis pâtissier-boulanger, j'ai passé un CAP boulanger et un CAP pâtissier et j'ai décidé de partir à Annecy parce que j'avais vu une offre de poste pour me perfectionner dans la glacerie, fabrication de glace à l'époque. Donc je suis parti à Annecy, mais vraiment, pas par hasard, ça a été un choix. Mais j'ai vraiment découvert, vu la lumière du monde à ce moment-là. Et ça aurait pu être n'importe où ailleurs en fait. Je me suis juste extrait d'un univers. Et j'ai envie de parler de ça aujourd'hui parce qu'il y a beaucoup de gens qui ne s'extraient pas de cet univers et qui sont persuadés que le monde n'est pas beau, que le monde est hostile, qu'il n'y a pas d'opportunité. Et moi je pense que c'est directement lié à la crise qu'on traverse aujourd'hui. J'ai eu l'opportunité d'être prof. pour des secpas ici. Et je trouvais que vraiment, c'est des gamins qui ont des grandes difficultés, certes. Mais si déjà, quand tu as 14, 15 ans, 16 ans, on te dit que de toute façon, quoi que tu fasses dans la vie, tu n'y arriveras pas, c'est clair et net que tu n'y arriveras pas et que tu n'auras pas envie de rester dans les clous et de respecter les règles d'une société dans laquelle tu ne réussiras pas, en fait. Et moi, je pense qu'il faut vraiment trouver... un moyen pour faire rêver ses gamins. Des clés pour changer la société, il y en a plein, mais celle-là, c'en est une qui est vraiment intéressante et assez facile à explorer, juste pour donner du sens à l'existence des jeunes, de la jeunesse et des gens de façon générale. Les jeunes qui ont tout pété, qui ont tout détruit autour de nous, ce sont des jeunes qui ne voyaient pas la lumière du tunnel. Moi, clairement, au même âge que dans le même endroit à l'époque, tu m'aurais donné des allumettes, j'aurais tout brûlé aussi. J'étais comme eux, je suis passé par là. C'est pour ça qu'on ne peut pas excuser ce qui se passe, mais on peut le comprendre. Et il y a vraiment quelque chose qui est hyper important, c'est qu'il faut absolument donner un sens, montrer où est la lumière, et que la vie peut être belle. Il faut absolument donner des objectifs, et redonner le goût d'avoir de l'ambition à la jeunesse. Et même pas à la jeunesse, à tout le monde. Parce que c'est un petit peu tout le monde qui a aujourd'hui perdu le sens de la vie et le fait de se dire que la vie, elle peut être belle et qu'elle est belle, en fait. Il faut juste la regarder un peu différemment et puis se donner la chance de rêver, quoi.

  • Manon

    Et à quel moment tu as trouvé le sens de ta vie ?

  • David

    Alors je ne sais pas si j'ai trouvé le sens de ma vie. Ça c'est une bonne question. Je ne sais pas si on trouve le sens de sa vie... Enfin peut-être qu'on le trouve de façon perpétuelle en fait, tu vois, je ne sais pas. En tout cas, j'ai peut-être compris mon rôle. Et ça c'est assez récent en vrai. Moi mon rôle c'est... Je sais faire du lien entre les gens. C'est ce que je sais faire le mieux, peut-être même la seule chose que je sais faire en fait, mais qui est hyper utile, qui est hyper pratique et hyper utile, et qui peut être déclinée de plein de manières différentes. Mais je crois que c'est ça, moi, mon rôle, c'est vraiment d'arriver à mettre en relation les clous et les marteaux, et les vis et les visseuses, tu vois. Ça, c'est un truc que je sais faire. Puis voilà, ici en Calédonie, on n'est pas nombreux, on se connaît vite. Tous et toutes. Et du coup, c'est assez facile de faire les liens. Mais je m'aperçois que beaucoup de gens ne font pas cet effort. J'essaie toujours de le faire et ça fonctionne. Donc le sens à ma vie, je ne sais pas si je l'ai trouvé, mais en tout cas, je vais trouver mon rôle. Je vais trouver ma fonction.

  • Manon

    Et pourquoi en Nouvelle-Calédonie ?

  • David

    Je te dis, je suis arrivé ici un peu par hasard. Et j'ai été... Ça fait 10 ans cette année. Je suis arrivé en 2014, donc ça fait 10 ans cette année que je suis là. Pendant à peu près 3 ou 4 ans, dans ma tête, je partais dans 3 semaines. Tu vois ? Je fais ça, je fais le GR Nord, puis j'y vais. Je finis cette mission, et puis j'y vais. Je vais à l'IFU, et puis j'y vais. Enfin, ça a été vraiment ça. Et je suis même parti. En 2015, je suis parti, en fait. Je suis parti au Banouatou. Tata, ça y est, la bande ! Et puis, au bout de six mois, je suis revenu. Parce que j'avais dépensé tous mes sous au Banouatou. Je suis revenu là pour me dire, ok, je vais regagner des sous. Puis finalement, je ne sais plus quand est-ce que c'était, mais je crois que c'était assez tard en fait. C'était genre en 2017. J'ai dit, bon, je crois qu'en fait, je suis là. Et j'y suis très bien. Et j'y suis très, très bien. Mais ça a été vraiment une... Je me rappelle presque de ce jour-là. Oui, je me rappelle même clairement. Je me disais, mais en fait, laisse tomber. Arrête de dire que tu vas faire ça et partir. T'es bien là, quoi. Et ça avait été un espèce de... de soulagement ou de joie de dire mais je suis bien là en fait et j'ai plus besoin de courir à droite à gauche tu vois je suis là ici c'est chez moi en fait avec toute la délicatesse que ce terme de demande quand on est ici en Nouvelle-Calédonie mais je m'y sentais vraiment chez moi et j'ai eu envie je faisais déjà pas mal de choses avant mais depuis ce jour là j'ai eu envie de faire des choses pour ce pays en fait Pour moi, pour ce pays, pour les gens que je côtoyais, je me suis dit, ici c'est chez moi, je crois que c'est là que je vais vieillir et j'ai envie que ce pays soit consistant de bien. J'ai envie de participer à la vie collective de cette terre. Là, il se passe ce qui se passe. C'est difficile de savoir s'il faut être optimiste ou pessimiste en ce moment. En tout cas, on avance au jour le jour et on fait au mieux.

  • Manon

    Justement, le 13 mai 2024, il se passe quoi pour toi ?

  • David

    Franchement, je comprends pas. Le 13 mai, je comprends pas et sur le coup, je me dis OK, il y a déjà beaucoup de choses qui ont cramé, qui ont brûlé. Il y a l'air d'avoir une vraie colère, mais c'est passager et il va falloir entendre ce qui se passe. Mais ça va passer. Et puis, c'était pas si grave. Nous, on rentrait, on venait de passer cinq jours sur la Côte oubliée, donc en kayak, donc sans téléphone, sans rien du tout. On arrivait à Thiau, on disait tiens, il y a beaucoup de drapeaux. Le choc a été brutal. Puis... Et en vrai, très vite, je me suis dit mais qu'est-ce qu'on a été naïf, évidemment que ça allait péter. Évidemment. Peut-être pas de cette ampleur-là, peut-être pas comme ça, peut-être pas avec cette colère et cette haine qui a été vraiment ressentie à un moment. Et ce danger, on s'est tous sentis en danger. Donc à ce point-là, je ne sais pas. Mais il se passe quoi pour moi ? Il se passe beaucoup de choses à ce moment-là parce que c'était prévu qu'avec ma copine, on emménage ensemble le 15 mai. Donc ce qu'on a fait, on a eu les clés de la maison finalement le 16 et on a quand même déménagé et emménagé. Moi à la base j'habitais à Dambert-Rivière, ma copine à Vallée-du-Génie, avec des chiens, des chats, et j'ai eu envie très vite de mettre tout le monde en sécurité, c'était ma priorité, mettre tout le monde en sécurité, enfin en tout cas au même endroit. Et le fait de faire ça, ça m'a obligé à faire la route, d'aller à Dambert-Rivière, d'aller chercher les chiens, tous les jours j'ai fait la route depuis le début. Alors que les gens disaient il ne faut surtout pas sortir, c'est couvre-feu, etc. Moi tous les jours j'ai fait la route. J'ai vraiment été confronté à des choses qu'on n'imagine plus. Même si j'y ai été confronté de façon très proche, que je l'ai vécu, j'ai du mal à me dire que ça s'est vraiment arrivé. C'était hyper violent. On se sentait vraiment en danger quand on passait Yahweh, Auteuil, tout ça. C'était chaud, quoi. Tu voyais les rassemblements, la queue devant les supermarchés, les jours d'après, à partir du 15, 16, 17, la queue. Et puis des gens qui sortaient des magasins avec les bras chargés alors que le magasin était fermé. Mais à côté, t'avais des gens qui faisaient la queue pour aller faire les courses. Tu vois, et puis il y a plein de choses qui se mélangent dans ma tête parce que tu as vraiment cette image de la queue, des gens qui font la queue sagement pour aller faire leur course, pour manger pendant des heures et pas savoir s'ils vont trouver un sac de riz ou un sac de pâtes quand ça va être leur tour, mais qui laissent passer les personnes âgées, qui discutent, qui vont se vivre ensemble dans la queue qui était là. Et puis de l'autre côté, je te parle de la magie intagléale, tu vois, où tu avais le casino qui était... et à côté tu avais Thierry qui était en train de se faire... pillés en pleine journée devant les flics, les mecs qui chargeaient la benne, etc. Et tout ça dans un seul et même univers. Il y avait donc ceux qu'on a appelés les jeunes émeutiers par la suite qui étaient là, en plein milieu de ça, qui faisaient un peu les malins avec leurs bouteilles d'alcool, en train d'arranguer, de narguer un peu la police et les gens. Il y avait tout ça, tu vois. Les endroits où tu passais, tu faisais bien attention de fermer tes fenêtres, verrouiller tes portes, t'entendais la radio, attention, il y a eu un carjacking ici, il y a eu un truc. Et puis du coup, des gens qui disaient je peux pas sortir de chez moi, j'ai machin, j'ai... Soit j'ai plus d'essence dans la voiture, j'ai plus de gaz, j'ai plus de riz, j'ai trois enfants. Et donc il y avait eu cet élan de solidarité qui s'est vite mis en place. Et du coup, moi j'ai essayé de voir un petit peu à chaque fois avant de faire un trajet, je vais passer par là, donc de regarder sur Facebook si je pouvais pas déposer un truc à quelqu'un, tu vois. Mais le fait de faire ça, à la fin de ma journée, ça m'aidait à accuser le coup de dire bon, j'ai fait un truc Parce que c'était ça qui était dur aussi au début, c'était de voir tout ça, puis de se sentir tellement démuni et inutile. D'avoir participé à cet échec collectif et puis d'être là aujourd'hui et de dire je peux rien faire Donc juste d'avoir donné un truc à quelqu'un, d'avoir parlé à quelqu'un dans la journée qui n'est pas de la même couleur que moi, qui n'a pas les mêmes idées que moi, de prouver à moi que finalement ça va, et puis d'avoir aidé quelqu'un, ça m'aidait le soir à être apaisé. Donc c'est aussi pour ça que je le faisais. Puis on a fait ce déménagement coûte que coûte. Mais le 13 mai ça a été... Ça a été beaucoup de choses contradictoires. Le fait de ne pas arriver à croire le niveau de violence qui était en train de se jouer. Moi j'ai vu des gens, parce qu'il y a un truc que j'ai fait très vite aussi, c'est de prendre mon micro, puis d'aller me promener dans les quartiers, d'aller recueillir les témoignages des gens. Et je suis allé notamment très vite à Cameray. Et à Cameray, j'ai rencontré des gens, des vieux calédoniens, tu sais, tu ne sais pas s'ils sont caldoches, tahitiens ou alisiens, des calédoniens, tu vois. Devant mon micro, ils criaient au secours. Ils imploraient le président de la République qui venait de partir ou qui était encore là de les indemniser pour qu'ils puissent s'enfuir. Il y a eu ça. Ces gens-là, il faudrait que je retourne les voir pour savoir s'ils vont mieux aujourd'hui, s'ils ont toujours envie de partir. Mais ces calédoniens-là qui ne connaissaient rien ailleurs, ils sont ici, chez eux. C'était sauf qui peut. Ils étaient prêts à perdre leur maison, à perdre leur boulot, à tout perdre et à aller dans un pays qu'ils connaissent pas parce qu'ils ont eu peur quoi. Ils ont eu peur, alors il y a eu la peur, il y a eu aussi le découragement de ces gens là de se dire on n'arrivera pas à faire société finalement parce qu'on essaye depuis longtemps et là c'est la goutte de trop qui montre qu'on n'y arrivera pas en fait. Ça je parle de ça encore une fois, on était vraiment le 17, 18, 20 mai par là. Je pense qu'aujourd'hui, ça s'est peut-être calmé, ça s'est peut-être estompé.

  • Manon

    Toi, personnellement, qu'est-ce que tu as ressenti pendant tout ça ?

  • David

    Moi, je me suis toujours... J'ai de la chance parce que j'aime ce pays. Moi, j'ai envie de vieillir ici. Mais en fait, on ne sait pas si on va pouvoir rester. On a envie de rester. Comme on dit, on sera les derniers. On va éteindre la lumière en partant. Mais là, clairement, quand on regarde la situation avec l'usidité, on ne sait pas si on va être capable de rester. On n'a pas envie de partir. Mais encore aujourd'hui, ce n'est pas à cause de la peur, ce n'est pas à cause de l'animosité, mais c'est juste que... Là, le tissu économique, médical, associatif, solidaire, en fait, tout le tissu de solidarité du pays, il est détruit. Est-ce qu'on va être capable de vivre encore dans ce pays-là ? J'espère, et on travaille pour. Et on est nombreux aujourd'hui à se retrousser les manches et à essayer de faire en sorte d'amortir les dégâts et de faire en sorte que ce pays soit encore vivable. C'est pas le vivre ensemble qui est en danger. Vivre ensemble, on le voit partout au marché de Rivière-Salée, partout, on le voit dès qu'il y a des endroits, des manifestations. Ce n'est pas les blancs contre les kanaks ou les inversements. Ça, c'est se donner une fausse excuse. Quand tu dis à quelqu'un, il ne m'aime pas parce que je suis blanc ou il ne m'aime pas parce que je suis noir, tu n'as rien à te reprocher, ce n'est pas de ta faute. Tu vois ? C'est se donner une excuse. Moi, je pense que dire que ce conflit, il est ethnique, c'est un conflit qui est social. On peut en faire une analogie avec ce qui se passe dans les banlieues en France. En fait, c'est la source du problème. Moi, je pense qu'elle est assez similaire, en fait. Et du coup, quand on se dit qu'on va pouvoir vivre ici, C'est pas de se dire est-ce que l'autre va m'accepter ou pas, il est pas là le problème, c'est juste qu'on... Ce qui fait qu'on aime la Calédonie, le cadre de vie qu'on a, les relations qu'on a entre les gens, ça pouvait exister parce qu'on avait un tissu économique, social, solidaire, solide, et ça c'est parti en fumée. Les gens s'en rendent pas compte aujourd'hui je pense. Il y a une espèce d'inconséquence en fait de ce qui se passe parce que ça fait des années qu'il y a de l'argent magique qui coule après une catastrophe. Il y a aussi beaucoup, moi je le vois sur les radioforums, les gens pensent que mutation il y a Dieu, il va réparer. Enfin du coup ça crée une espèce d'inconséquence dans l'esprit des gens où on peut tout détruire parce que derrière on ne va pas payer les conséquences. Alors je ne pense pas que ce soit formulé comme ça dans la tête des gens, mais il y a quand même ce sentiment de... On n'a jamais vraiment vécu les conséquences des crises qu'on a traversées depuis les 30 dernières années, enfin que le pays a traversées. Et du coup là je pense qu'il y a un sentiment, en tout cas on a toute une partie de la population qui pense que ce qui se passe ce n'est pas grave. Mais on va devoir payer l'addition maintenant.

  • Manon

    Comment ça va vraiment, David ?

  • David

    Comment moi je me sens ? Moi je me sens bien parce que depuis le début, en fait... Je peux te raconter juste une petite anecdote ? Je l'ai entendue il n'y a pas longtemps et je me suis dit, purée, c'est vraiment moi cette petite souris. La souris qui est les deux souris qui sont dans un petit pot de crème. Et t'en as une qui se laisse aller, qui cherche des solutions, qui cherche à s'évader et qui n'y arrive pas. Puis du coup, elle sombre et elle se noie. Puis t'en as une qui passe son temps à nager, elle bat des pattes, elle bat des pattes, elle bat des pattes, elle bat des pattes. Puis finalement, la crème, elle se transforme en beurre. Et du coup, elle se retrouve sur un socle solide et la souris est sauvée. Et en fait, c'est exactement moi ce que je suis en train de faire et que j'ai fait depuis le début. C'était de faire en sorte de rester actif. Au début, c'était juste donner un sac de riz à une personne qui en a besoin sur la route. Après, ça a été d'aller dans les quartiers avec mon micro pour récolter des témoignages et avoir l'impression d'être utile. Après, il y a eu la mise en place de la bibliothèque humaine, qui a été, ok, on va recréer des espaces de dialogue, des conversations impromptues et improbables entre les gens. Après, il y a eu le radioforum. Et puis, tout ça, ça m'a permis de rester à la surface des choses et d'avoir l'impression de faire des trucs. Et ça m'a permis de me sentir bien. Quand je regarde la situation avec Lucidité, je me dis, bon, il va falloir faire les valises et partir. Et je n'ai pas du tout envie de ça, donc je suis accablé. Mais du coup, là, j'essaye de voir le positif à travers des actions concrètes qu'on mène, qui sont simples. qui sont faciles à faire. Et du coup, ça me permet, encore une fois, de finir mes journées en ayant l'impression d'avoir fait quelque chose de positif pour le pays. Et que si on est nombreux à faire ça, et on est nombreux à faire ça, on va réussir à faire quelque chose et à s'en sortir. Un jour, on va se retourner, on va se compter, on sera 17 à rester. Et il y aura un pays à construire. Et voilà. Mais non, en gros, je n'ai pas le droit de me plaindre. Je n'ai pas le droit de me plaindre. Vraiment. Pourquoi ? Je ne fais pas partie des gens qui se demandent comment on va payer le loyer à la fin du mois. Je ne fais pas partie des gens qui se disent je n'arrive plus à acheter du lait en poudre ou on passe à un repas par jour parce qu'on n'a pas les moyens d'en manger trois Il y a ces situations-là qui sont là de plus en plus. On est attaché ici, on a envie de faire notre vie ici, mais on peut aller partout et on peut partir du jour au lendemain. Donc on n'a pas le droit de se plaindre. Enfin si, on a le droit de se plaindre. Tout le monde a le droit de se plaindre. Mais ça va quoi. Ça va.

  • Manon

    Tu m'as parlé également avant tout ça de ton rapport aux doutes, ce que tu peux développer.

  • David

    Ça c'est vraiment aussi un truc que j'ai coutume de dire, c'est qu'il faut absolument travailler pour fissurer ces certitudes, quelles qu'elles soient, quiconque soit. Avec le Radio Forum, on va partir directement sur un exemple concret. Donc le Radio Forum, c'est tout simplement, on pose un micro sur une table, des chaises, en plein milieu d'un endroit où il y a du monde. Notamment en ce moment, on le fait au marché de Rivière-Salée. Et c'est de créer donc des conversations et des rencontres. improbable et de provoquer, de faire se rencontrer des gens qui se rencontreront jamais dans... Voilà, ils savent que chacun existe, mais ils se sont jamais parlé et ils ont beaucoup de stéréotypes et de préjugés sur la personne quelle qu'elle soit. Le jeune lycéen il va se dire ah oui le vieux retraité caldoche il est comme ça, le vieux retraité caldoche il dit ah oui mais le mec de la tribu lui il est comme ça Avec ce radioforum on les fait se rencontrer, on les fait discuter et quand ils repartent de là, même s'ils ont discuté que 5 minutes ou 10 minutes ou voilà... ils repartent de là avec leurs certitudes qui sont fissurées. Les certitudes, ça crée des extrêmes. Quand on est sûr de soi, on devient extrémiste parce que la vérité est simple et facile. Quand tu commences à douter, et quand tu commences à vouloir comprendre que c'est peut-être plus complexe que ce que tu as imaginé, ça ne te permet plus d'avoir des certitudes, ça te permet plus de te poser des questions, d'être curieux de l'autre, et ça, ça ramène vers un centre modéré où on se parle et où on s'écoute.

  • Manon

    C'était un mot pour la fin. Et qu'est-ce que tu as à dire aux gens qui se sentent comme toi ?

  • David

    Les gens qui se sentent comme moi, c'est-à-dire que c'est les gens qui se sentent un petit peu lucides par rapport à la situation grave qu'on traverse, mais qui ont envie de continuer à pédaler dans la semoule pour provoquer des choses positives et potentiellement... Offrir un tapis d'amortissage à la situation. Ces gens-là, ce que j'ai envie de leur dire, c'est continuez à pédaler dans la semoule, rejoignez-vous, rejoignons-nous, parce que plein plein de choses en ce moment, les gens qui écoutent ça et qui se disent qu'ils se sentent inutiles sur leur canapé et qu'ils n'osent pas faire des choses, etc. et qui finissent leur journée un peu en dépression, ou qui ont peur parce qu'on leur dit que c'est dangereux, et que si, et que ça, qu'ils ne veulent pas aller à la rivière salée, parce que, oulala, mon dieu, la route, et bien... Venez, sortez petit à petit, allez parler à votre voisin, sortez de chez vous. La réalité, elle est terrible, mais le fait de se rencontrer entre gens qui font des choses, ça fait vraiment du bien et on lance des choses. Et là, il y a plein de petits événements, plein de petites choses que ces gens-là peuvent rejoindre.

  • Manon

    En tout cas, un tout grand merci, David, d'être venu partager ton histoire à mon micro.

  • David

    Merci à toi surtout de faire ça, parce qu'il faut créer des temps de parole. C'est important. Et puis vraiment partir du principe que tout le monde. à des choses à dire à partir du moment où on a quelqu'un qui facilite leur parole. Donc il faut donner la parole à tout le monde et prendre le temps qu'il faut pour les écouter.

  • Manon

    Merci beaucoup.

  • David

    Merci à toi.

  • Manon

    Merci d'avoir partagé avec nous ce moment, de nous avoir écouté tout au long de ces récits. À très bientôt pour un nouvel épisode de J'écoutume de dire, où d'autres voix et d'autres histoires viendront nous donner envie de nous réinventer et de réfléchir sur l'avenir. À très vite !

Description

Alors que beaucoup pensaient que tout contact était rompu, David en plein déménagement, était toujours sur le terrain multipliant les actions solidaires. Il a su maintenir ce qui est, pour lui, le plus important : le lien entre les gens.


Dans une période où l'isolement semblait inévitable, David a su rester actif et disponible pour aider concrètement celles et ceux qui en avaient besoin. Aujourd'hui encore, il encourage chacun à sortir, à se rencontrer, et à ne pas laisser la crise briser les relations humaines. Dans cet épisode, David nous parlera aussi de son radio forum au marché de Rivière Salée un espace d’échanges où chaque personne peut venir débattre, échanger des idées et fissurer ces certitudes.


Pour nous soutenir le podcast, vous pouvez faire un don : https://www.cotizup.com/jcdd


Réalisation et montage: Manon Dejean

Mixage : Philippe Buston


Illustration du podcast : Lavenstudio


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • David

    Ça, c'est vraiment aussi un truc que j'ai coutume de dire, c'est qu'il faut absolument travailler pour fissurer cette certitude. J'ai coutume de dire, un podcast réalisé par Manon Dejean.

  • Manon

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de J'ai coutume de dire. Aujourd'hui, j'ai le plaisir de recevoir David, un véritable couteau suisse humain. Pendant la crise en Nouvelle-Calédonie, alors que beaucoup pensaient que tout contact était rompu, David, en plein déménagement, était toujours sur le terrain, multipliant les actions solidaires. Il a su maintenir ce qui est pour lui le plus important, le lien entre les gens. Dans une période où l'isolement semblait inévitable, David a su rester actif et disponible pour aider concrètement celles et ceux qui en avaient besoin. Aujourd'hui encore, il encourage chacun à sortir, à se rencontrer et à ne pas laisser la crise briser les relations humaines. Dans cet épisode, David nous parlera aussi de son radioforum au marché de Rivière-Salée, un espace d'échange où chaque personne peut venir débattre, échanger des idées et fissurer ses certitudes. Sans plus attendre, plongeons ensemble dans l'univers de David et découvrons comment à travers ses actions et son engagement, il a su préserver le lien social, même dans les moments les plus difficiles. Salut David !

  • David

    Bonjour Manon !

  • Manon

    Comment tu vas aujourd'hui ?

  • David

    Ça va, et toi ?

  • Manon

    Ça va bien. Dis-moi, tu avais quelque chose à nous raconter aujourd'hui.

  • David

    Ouais, moi tout a commencé en 2000 ou 2001, quand je suis parti vivre dans les Alpes, alors que j'avais tout juste 18 ou 19 ans, et que j'ai quitté finalement ma terre natale du centre de la France, où j'avais grandi, et où j'ai découvert dans les Alpes un autre monde en fait, un monde qui était beau et avec des gens. qui avaient envie de faire des choses et qui étaient heureux. Parce que moi, j'avais grandi dans un univers de banlieue assez tristouné, où le dicton du jour, enfin le dicton là-bas, c'était un petit peu... La vie est une grande tartine de merde, excuse-moi du langage, mais c'était ça. Et tous les jours, en fait, il faut en manger un morceau. Puis j'ai vécu dans mon enfance, mon adolescence, dans un univers où les gens ne sont pas heureux et pensent que le bonheur n'existe pas, en fait. Moi j'ai eu la chance de m'extraire de ça finalement quand j'ai eu 18 ou 19 ans et de voir que finalement la vie elle était belle et que le monde il n'était pas comme on m'avait dit qu'il était, qu'il y avait des choses à faire intéressantes, qu'il y avait des belles personnes à rencontrer et qu'il y avait tout un monde à explorer et à découvrir quoi. Et ça en fait ça m'a donné un déclic déjà dès ce moment là, ça a été de vouloir raconter le monde et j'ai fait ça pendant des années, c'est ça qui m'a mis le pied à l'étrier au voyage, au grand voyage. et qui un jour m'a amené ici en Calédonie en 2014.

  • Manon

    Et qu'est-ce qui t'a fait prendre conscience finalement que tu n'étais pas à ta place là où tu étais et que tu avais besoin de partir ?

  • David

    Ça a été un déclic, une opportunité professionnelle. À la base, moi je suis pâtissier-boulanger, j'ai passé un CAP boulanger et un CAP pâtissier et j'ai décidé de partir à Annecy parce que j'avais vu une offre de poste pour me perfectionner dans la glacerie, fabrication de glace à l'époque. Donc je suis parti à Annecy, mais vraiment, pas par hasard, ça a été un choix. Mais j'ai vraiment découvert, vu la lumière du monde à ce moment-là. Et ça aurait pu être n'importe où ailleurs en fait. Je me suis juste extrait d'un univers. Et j'ai envie de parler de ça aujourd'hui parce qu'il y a beaucoup de gens qui ne s'extraient pas de cet univers et qui sont persuadés que le monde n'est pas beau, que le monde est hostile, qu'il n'y a pas d'opportunité. Et moi je pense que c'est directement lié à la crise qu'on traverse aujourd'hui. J'ai eu l'opportunité d'être prof. pour des secpas ici. Et je trouvais que vraiment, c'est des gamins qui ont des grandes difficultés, certes. Mais si déjà, quand tu as 14, 15 ans, 16 ans, on te dit que de toute façon, quoi que tu fasses dans la vie, tu n'y arriveras pas, c'est clair et net que tu n'y arriveras pas et que tu n'auras pas envie de rester dans les clous et de respecter les règles d'une société dans laquelle tu ne réussiras pas, en fait. Et moi, je pense qu'il faut vraiment trouver... un moyen pour faire rêver ses gamins. Des clés pour changer la société, il y en a plein, mais celle-là, c'en est une qui est vraiment intéressante et assez facile à explorer, juste pour donner du sens à l'existence des jeunes, de la jeunesse et des gens de façon générale. Les jeunes qui ont tout pété, qui ont tout détruit autour de nous, ce sont des jeunes qui ne voyaient pas la lumière du tunnel. Moi, clairement, au même âge que dans le même endroit à l'époque, tu m'aurais donné des allumettes, j'aurais tout brûlé aussi. J'étais comme eux, je suis passé par là. C'est pour ça qu'on ne peut pas excuser ce qui se passe, mais on peut le comprendre. Et il y a vraiment quelque chose qui est hyper important, c'est qu'il faut absolument donner un sens, montrer où est la lumière, et que la vie peut être belle. Il faut absolument donner des objectifs, et redonner le goût d'avoir de l'ambition à la jeunesse. Et même pas à la jeunesse, à tout le monde. Parce que c'est un petit peu tout le monde qui a aujourd'hui perdu le sens de la vie et le fait de se dire que la vie, elle peut être belle et qu'elle est belle, en fait. Il faut juste la regarder un peu différemment et puis se donner la chance de rêver, quoi.

  • Manon

    Et à quel moment tu as trouvé le sens de ta vie ?

  • David

    Alors je ne sais pas si j'ai trouvé le sens de ma vie. Ça c'est une bonne question. Je ne sais pas si on trouve le sens de sa vie... Enfin peut-être qu'on le trouve de façon perpétuelle en fait, tu vois, je ne sais pas. En tout cas, j'ai peut-être compris mon rôle. Et ça c'est assez récent en vrai. Moi mon rôle c'est... Je sais faire du lien entre les gens. C'est ce que je sais faire le mieux, peut-être même la seule chose que je sais faire en fait, mais qui est hyper utile, qui est hyper pratique et hyper utile, et qui peut être déclinée de plein de manières différentes. Mais je crois que c'est ça, moi, mon rôle, c'est vraiment d'arriver à mettre en relation les clous et les marteaux, et les vis et les visseuses, tu vois. Ça, c'est un truc que je sais faire. Puis voilà, ici en Calédonie, on n'est pas nombreux, on se connaît vite. Tous et toutes. Et du coup, c'est assez facile de faire les liens. Mais je m'aperçois que beaucoup de gens ne font pas cet effort. J'essaie toujours de le faire et ça fonctionne. Donc le sens à ma vie, je ne sais pas si je l'ai trouvé, mais en tout cas, je vais trouver mon rôle. Je vais trouver ma fonction.

  • Manon

    Et pourquoi en Nouvelle-Calédonie ?

  • David

    Je te dis, je suis arrivé ici un peu par hasard. Et j'ai été... Ça fait 10 ans cette année. Je suis arrivé en 2014, donc ça fait 10 ans cette année que je suis là. Pendant à peu près 3 ou 4 ans, dans ma tête, je partais dans 3 semaines. Tu vois ? Je fais ça, je fais le GR Nord, puis j'y vais. Je finis cette mission, et puis j'y vais. Je vais à l'IFU, et puis j'y vais. Enfin, ça a été vraiment ça. Et je suis même parti. En 2015, je suis parti, en fait. Je suis parti au Banouatou. Tata, ça y est, la bande ! Et puis, au bout de six mois, je suis revenu. Parce que j'avais dépensé tous mes sous au Banouatou. Je suis revenu là pour me dire, ok, je vais regagner des sous. Puis finalement, je ne sais plus quand est-ce que c'était, mais je crois que c'était assez tard en fait. C'était genre en 2017. J'ai dit, bon, je crois qu'en fait, je suis là. Et j'y suis très bien. Et j'y suis très, très bien. Mais ça a été vraiment une... Je me rappelle presque de ce jour-là. Oui, je me rappelle même clairement. Je me disais, mais en fait, laisse tomber. Arrête de dire que tu vas faire ça et partir. T'es bien là, quoi. Et ça avait été un espèce de... de soulagement ou de joie de dire mais je suis bien là en fait et j'ai plus besoin de courir à droite à gauche tu vois je suis là ici c'est chez moi en fait avec toute la délicatesse que ce terme de demande quand on est ici en Nouvelle-Calédonie mais je m'y sentais vraiment chez moi et j'ai eu envie je faisais déjà pas mal de choses avant mais depuis ce jour là j'ai eu envie de faire des choses pour ce pays en fait Pour moi, pour ce pays, pour les gens que je côtoyais, je me suis dit, ici c'est chez moi, je crois que c'est là que je vais vieillir et j'ai envie que ce pays soit consistant de bien. J'ai envie de participer à la vie collective de cette terre. Là, il se passe ce qui se passe. C'est difficile de savoir s'il faut être optimiste ou pessimiste en ce moment. En tout cas, on avance au jour le jour et on fait au mieux.

  • Manon

    Justement, le 13 mai 2024, il se passe quoi pour toi ?

  • David

    Franchement, je comprends pas. Le 13 mai, je comprends pas et sur le coup, je me dis OK, il y a déjà beaucoup de choses qui ont cramé, qui ont brûlé. Il y a l'air d'avoir une vraie colère, mais c'est passager et il va falloir entendre ce qui se passe. Mais ça va passer. Et puis, c'était pas si grave. Nous, on rentrait, on venait de passer cinq jours sur la Côte oubliée, donc en kayak, donc sans téléphone, sans rien du tout. On arrivait à Thiau, on disait tiens, il y a beaucoup de drapeaux. Le choc a été brutal. Puis... Et en vrai, très vite, je me suis dit mais qu'est-ce qu'on a été naïf, évidemment que ça allait péter. Évidemment. Peut-être pas de cette ampleur-là, peut-être pas comme ça, peut-être pas avec cette colère et cette haine qui a été vraiment ressentie à un moment. Et ce danger, on s'est tous sentis en danger. Donc à ce point-là, je ne sais pas. Mais il se passe quoi pour moi ? Il se passe beaucoup de choses à ce moment-là parce que c'était prévu qu'avec ma copine, on emménage ensemble le 15 mai. Donc ce qu'on a fait, on a eu les clés de la maison finalement le 16 et on a quand même déménagé et emménagé. Moi à la base j'habitais à Dambert-Rivière, ma copine à Vallée-du-Génie, avec des chiens, des chats, et j'ai eu envie très vite de mettre tout le monde en sécurité, c'était ma priorité, mettre tout le monde en sécurité, enfin en tout cas au même endroit. Et le fait de faire ça, ça m'a obligé à faire la route, d'aller à Dambert-Rivière, d'aller chercher les chiens, tous les jours j'ai fait la route depuis le début. Alors que les gens disaient il ne faut surtout pas sortir, c'est couvre-feu, etc. Moi tous les jours j'ai fait la route. J'ai vraiment été confronté à des choses qu'on n'imagine plus. Même si j'y ai été confronté de façon très proche, que je l'ai vécu, j'ai du mal à me dire que ça s'est vraiment arrivé. C'était hyper violent. On se sentait vraiment en danger quand on passait Yahweh, Auteuil, tout ça. C'était chaud, quoi. Tu voyais les rassemblements, la queue devant les supermarchés, les jours d'après, à partir du 15, 16, 17, la queue. Et puis des gens qui sortaient des magasins avec les bras chargés alors que le magasin était fermé. Mais à côté, t'avais des gens qui faisaient la queue pour aller faire les courses. Tu vois, et puis il y a plein de choses qui se mélangent dans ma tête parce que tu as vraiment cette image de la queue, des gens qui font la queue sagement pour aller faire leur course, pour manger pendant des heures et pas savoir s'ils vont trouver un sac de riz ou un sac de pâtes quand ça va être leur tour, mais qui laissent passer les personnes âgées, qui discutent, qui vont se vivre ensemble dans la queue qui était là. Et puis de l'autre côté, je te parle de la magie intagléale, tu vois, où tu avais le casino qui était... et à côté tu avais Thierry qui était en train de se faire... pillés en pleine journée devant les flics, les mecs qui chargeaient la benne, etc. Et tout ça dans un seul et même univers. Il y avait donc ceux qu'on a appelés les jeunes émeutiers par la suite qui étaient là, en plein milieu de ça, qui faisaient un peu les malins avec leurs bouteilles d'alcool, en train d'arranguer, de narguer un peu la police et les gens. Il y avait tout ça, tu vois. Les endroits où tu passais, tu faisais bien attention de fermer tes fenêtres, verrouiller tes portes, t'entendais la radio, attention, il y a eu un carjacking ici, il y a eu un truc. Et puis du coup, des gens qui disaient je peux pas sortir de chez moi, j'ai machin, j'ai... Soit j'ai plus d'essence dans la voiture, j'ai plus de gaz, j'ai plus de riz, j'ai trois enfants. Et donc il y avait eu cet élan de solidarité qui s'est vite mis en place. Et du coup, moi j'ai essayé de voir un petit peu à chaque fois avant de faire un trajet, je vais passer par là, donc de regarder sur Facebook si je pouvais pas déposer un truc à quelqu'un, tu vois. Mais le fait de faire ça, à la fin de ma journée, ça m'aidait à accuser le coup de dire bon, j'ai fait un truc Parce que c'était ça qui était dur aussi au début, c'était de voir tout ça, puis de se sentir tellement démuni et inutile. D'avoir participé à cet échec collectif et puis d'être là aujourd'hui et de dire je peux rien faire Donc juste d'avoir donné un truc à quelqu'un, d'avoir parlé à quelqu'un dans la journée qui n'est pas de la même couleur que moi, qui n'a pas les mêmes idées que moi, de prouver à moi que finalement ça va, et puis d'avoir aidé quelqu'un, ça m'aidait le soir à être apaisé. Donc c'est aussi pour ça que je le faisais. Puis on a fait ce déménagement coûte que coûte. Mais le 13 mai ça a été... Ça a été beaucoup de choses contradictoires. Le fait de ne pas arriver à croire le niveau de violence qui était en train de se jouer. Moi j'ai vu des gens, parce qu'il y a un truc que j'ai fait très vite aussi, c'est de prendre mon micro, puis d'aller me promener dans les quartiers, d'aller recueillir les témoignages des gens. Et je suis allé notamment très vite à Cameray. Et à Cameray, j'ai rencontré des gens, des vieux calédoniens, tu sais, tu ne sais pas s'ils sont caldoches, tahitiens ou alisiens, des calédoniens, tu vois. Devant mon micro, ils criaient au secours. Ils imploraient le président de la République qui venait de partir ou qui était encore là de les indemniser pour qu'ils puissent s'enfuir. Il y a eu ça. Ces gens-là, il faudrait que je retourne les voir pour savoir s'ils vont mieux aujourd'hui, s'ils ont toujours envie de partir. Mais ces calédoniens-là qui ne connaissaient rien ailleurs, ils sont ici, chez eux. C'était sauf qui peut. Ils étaient prêts à perdre leur maison, à perdre leur boulot, à tout perdre et à aller dans un pays qu'ils connaissent pas parce qu'ils ont eu peur quoi. Ils ont eu peur, alors il y a eu la peur, il y a eu aussi le découragement de ces gens là de se dire on n'arrivera pas à faire société finalement parce qu'on essaye depuis longtemps et là c'est la goutte de trop qui montre qu'on n'y arrivera pas en fait. Ça je parle de ça encore une fois, on était vraiment le 17, 18, 20 mai par là. Je pense qu'aujourd'hui, ça s'est peut-être calmé, ça s'est peut-être estompé.

  • Manon

    Toi, personnellement, qu'est-ce que tu as ressenti pendant tout ça ?

  • David

    Moi, je me suis toujours... J'ai de la chance parce que j'aime ce pays. Moi, j'ai envie de vieillir ici. Mais en fait, on ne sait pas si on va pouvoir rester. On a envie de rester. Comme on dit, on sera les derniers. On va éteindre la lumière en partant. Mais là, clairement, quand on regarde la situation avec l'usidité, on ne sait pas si on va être capable de rester. On n'a pas envie de partir. Mais encore aujourd'hui, ce n'est pas à cause de la peur, ce n'est pas à cause de l'animosité, mais c'est juste que... Là, le tissu économique, médical, associatif, solidaire, en fait, tout le tissu de solidarité du pays, il est détruit. Est-ce qu'on va être capable de vivre encore dans ce pays-là ? J'espère, et on travaille pour. Et on est nombreux aujourd'hui à se retrousser les manches et à essayer de faire en sorte d'amortir les dégâts et de faire en sorte que ce pays soit encore vivable. C'est pas le vivre ensemble qui est en danger. Vivre ensemble, on le voit partout au marché de Rivière-Salée, partout, on le voit dès qu'il y a des endroits, des manifestations. Ce n'est pas les blancs contre les kanaks ou les inversements. Ça, c'est se donner une fausse excuse. Quand tu dis à quelqu'un, il ne m'aime pas parce que je suis blanc ou il ne m'aime pas parce que je suis noir, tu n'as rien à te reprocher, ce n'est pas de ta faute. Tu vois ? C'est se donner une excuse. Moi, je pense que dire que ce conflit, il est ethnique, c'est un conflit qui est social. On peut en faire une analogie avec ce qui se passe dans les banlieues en France. En fait, c'est la source du problème. Moi, je pense qu'elle est assez similaire, en fait. Et du coup, quand on se dit qu'on va pouvoir vivre ici, C'est pas de se dire est-ce que l'autre va m'accepter ou pas, il est pas là le problème, c'est juste qu'on... Ce qui fait qu'on aime la Calédonie, le cadre de vie qu'on a, les relations qu'on a entre les gens, ça pouvait exister parce qu'on avait un tissu économique, social, solidaire, solide, et ça c'est parti en fumée. Les gens s'en rendent pas compte aujourd'hui je pense. Il y a une espèce d'inconséquence en fait de ce qui se passe parce que ça fait des années qu'il y a de l'argent magique qui coule après une catastrophe. Il y a aussi beaucoup, moi je le vois sur les radioforums, les gens pensent que mutation il y a Dieu, il va réparer. Enfin du coup ça crée une espèce d'inconséquence dans l'esprit des gens où on peut tout détruire parce que derrière on ne va pas payer les conséquences. Alors je ne pense pas que ce soit formulé comme ça dans la tête des gens, mais il y a quand même ce sentiment de... On n'a jamais vraiment vécu les conséquences des crises qu'on a traversées depuis les 30 dernières années, enfin que le pays a traversées. Et du coup là je pense qu'il y a un sentiment, en tout cas on a toute une partie de la population qui pense que ce qui se passe ce n'est pas grave. Mais on va devoir payer l'addition maintenant.

  • Manon

    Comment ça va vraiment, David ?

  • David

    Comment moi je me sens ? Moi je me sens bien parce que depuis le début, en fait... Je peux te raconter juste une petite anecdote ? Je l'ai entendue il n'y a pas longtemps et je me suis dit, purée, c'est vraiment moi cette petite souris. La souris qui est les deux souris qui sont dans un petit pot de crème. Et t'en as une qui se laisse aller, qui cherche des solutions, qui cherche à s'évader et qui n'y arrive pas. Puis du coup, elle sombre et elle se noie. Puis t'en as une qui passe son temps à nager, elle bat des pattes, elle bat des pattes, elle bat des pattes, elle bat des pattes. Puis finalement, la crème, elle se transforme en beurre. Et du coup, elle se retrouve sur un socle solide et la souris est sauvée. Et en fait, c'est exactement moi ce que je suis en train de faire et que j'ai fait depuis le début. C'était de faire en sorte de rester actif. Au début, c'était juste donner un sac de riz à une personne qui en a besoin sur la route. Après, ça a été d'aller dans les quartiers avec mon micro pour récolter des témoignages et avoir l'impression d'être utile. Après, il y a eu la mise en place de la bibliothèque humaine, qui a été, ok, on va recréer des espaces de dialogue, des conversations impromptues et improbables entre les gens. Après, il y a eu le radioforum. Et puis, tout ça, ça m'a permis de rester à la surface des choses et d'avoir l'impression de faire des trucs. Et ça m'a permis de me sentir bien. Quand je regarde la situation avec Lucidité, je me dis, bon, il va falloir faire les valises et partir. Et je n'ai pas du tout envie de ça, donc je suis accablé. Mais du coup, là, j'essaye de voir le positif à travers des actions concrètes qu'on mène, qui sont simples. qui sont faciles à faire. Et du coup, ça me permet, encore une fois, de finir mes journées en ayant l'impression d'avoir fait quelque chose de positif pour le pays. Et que si on est nombreux à faire ça, et on est nombreux à faire ça, on va réussir à faire quelque chose et à s'en sortir. Un jour, on va se retourner, on va se compter, on sera 17 à rester. Et il y aura un pays à construire. Et voilà. Mais non, en gros, je n'ai pas le droit de me plaindre. Je n'ai pas le droit de me plaindre. Vraiment. Pourquoi ? Je ne fais pas partie des gens qui se demandent comment on va payer le loyer à la fin du mois. Je ne fais pas partie des gens qui se disent je n'arrive plus à acheter du lait en poudre ou on passe à un repas par jour parce qu'on n'a pas les moyens d'en manger trois Il y a ces situations-là qui sont là de plus en plus. On est attaché ici, on a envie de faire notre vie ici, mais on peut aller partout et on peut partir du jour au lendemain. Donc on n'a pas le droit de se plaindre. Enfin si, on a le droit de se plaindre. Tout le monde a le droit de se plaindre. Mais ça va quoi. Ça va.

  • Manon

    Tu m'as parlé également avant tout ça de ton rapport aux doutes, ce que tu peux développer.

  • David

    Ça c'est vraiment aussi un truc que j'ai coutume de dire, c'est qu'il faut absolument travailler pour fissurer ces certitudes, quelles qu'elles soient, quiconque soit. Avec le Radio Forum, on va partir directement sur un exemple concret. Donc le Radio Forum, c'est tout simplement, on pose un micro sur une table, des chaises, en plein milieu d'un endroit où il y a du monde. Notamment en ce moment, on le fait au marché de Rivière-Salée. Et c'est de créer donc des conversations et des rencontres. improbable et de provoquer, de faire se rencontrer des gens qui se rencontreront jamais dans... Voilà, ils savent que chacun existe, mais ils se sont jamais parlé et ils ont beaucoup de stéréotypes et de préjugés sur la personne quelle qu'elle soit. Le jeune lycéen il va se dire ah oui le vieux retraité caldoche il est comme ça, le vieux retraité caldoche il dit ah oui mais le mec de la tribu lui il est comme ça Avec ce radioforum on les fait se rencontrer, on les fait discuter et quand ils repartent de là, même s'ils ont discuté que 5 minutes ou 10 minutes ou voilà... ils repartent de là avec leurs certitudes qui sont fissurées. Les certitudes, ça crée des extrêmes. Quand on est sûr de soi, on devient extrémiste parce que la vérité est simple et facile. Quand tu commences à douter, et quand tu commences à vouloir comprendre que c'est peut-être plus complexe que ce que tu as imaginé, ça ne te permet plus d'avoir des certitudes, ça te permet plus de te poser des questions, d'être curieux de l'autre, et ça, ça ramène vers un centre modéré où on se parle et où on s'écoute.

  • Manon

    C'était un mot pour la fin. Et qu'est-ce que tu as à dire aux gens qui se sentent comme toi ?

  • David

    Les gens qui se sentent comme moi, c'est-à-dire que c'est les gens qui se sentent un petit peu lucides par rapport à la situation grave qu'on traverse, mais qui ont envie de continuer à pédaler dans la semoule pour provoquer des choses positives et potentiellement... Offrir un tapis d'amortissage à la situation. Ces gens-là, ce que j'ai envie de leur dire, c'est continuez à pédaler dans la semoule, rejoignez-vous, rejoignons-nous, parce que plein plein de choses en ce moment, les gens qui écoutent ça et qui se disent qu'ils se sentent inutiles sur leur canapé et qu'ils n'osent pas faire des choses, etc. et qui finissent leur journée un peu en dépression, ou qui ont peur parce qu'on leur dit que c'est dangereux, et que si, et que ça, qu'ils ne veulent pas aller à la rivière salée, parce que, oulala, mon dieu, la route, et bien... Venez, sortez petit à petit, allez parler à votre voisin, sortez de chez vous. La réalité, elle est terrible, mais le fait de se rencontrer entre gens qui font des choses, ça fait vraiment du bien et on lance des choses. Et là, il y a plein de petits événements, plein de petites choses que ces gens-là peuvent rejoindre.

  • Manon

    En tout cas, un tout grand merci, David, d'être venu partager ton histoire à mon micro.

  • David

    Merci à toi surtout de faire ça, parce qu'il faut créer des temps de parole. C'est important. Et puis vraiment partir du principe que tout le monde. à des choses à dire à partir du moment où on a quelqu'un qui facilite leur parole. Donc il faut donner la parole à tout le monde et prendre le temps qu'il faut pour les écouter.

  • Manon

    Merci beaucoup.

  • David

    Merci à toi.

  • Manon

    Merci d'avoir partagé avec nous ce moment, de nous avoir écouté tout au long de ces récits. À très bientôt pour un nouvel épisode de J'écoutume de dire, où d'autres voix et d'autres histoires viendront nous donner envie de nous réinventer et de réfléchir sur l'avenir. À très vite !

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Description

Alors que beaucoup pensaient que tout contact était rompu, David en plein déménagement, était toujours sur le terrain multipliant les actions solidaires. Il a su maintenir ce qui est, pour lui, le plus important : le lien entre les gens.


Dans une période où l'isolement semblait inévitable, David a su rester actif et disponible pour aider concrètement celles et ceux qui en avaient besoin. Aujourd'hui encore, il encourage chacun à sortir, à se rencontrer, et à ne pas laisser la crise briser les relations humaines. Dans cet épisode, David nous parlera aussi de son radio forum au marché de Rivière Salée un espace d’échanges où chaque personne peut venir débattre, échanger des idées et fissurer ces certitudes.


Pour nous soutenir le podcast, vous pouvez faire un don : https://www.cotizup.com/jcdd


Réalisation et montage: Manon Dejean

Mixage : Philippe Buston


Illustration du podcast : Lavenstudio


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • David

    Ça, c'est vraiment aussi un truc que j'ai coutume de dire, c'est qu'il faut absolument travailler pour fissurer cette certitude. J'ai coutume de dire, un podcast réalisé par Manon Dejean.

  • Manon

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de J'ai coutume de dire. Aujourd'hui, j'ai le plaisir de recevoir David, un véritable couteau suisse humain. Pendant la crise en Nouvelle-Calédonie, alors que beaucoup pensaient que tout contact était rompu, David, en plein déménagement, était toujours sur le terrain, multipliant les actions solidaires. Il a su maintenir ce qui est pour lui le plus important, le lien entre les gens. Dans une période où l'isolement semblait inévitable, David a su rester actif et disponible pour aider concrètement celles et ceux qui en avaient besoin. Aujourd'hui encore, il encourage chacun à sortir, à se rencontrer et à ne pas laisser la crise briser les relations humaines. Dans cet épisode, David nous parlera aussi de son radioforum au marché de Rivière-Salée, un espace d'échange où chaque personne peut venir débattre, échanger des idées et fissurer ses certitudes. Sans plus attendre, plongeons ensemble dans l'univers de David et découvrons comment à travers ses actions et son engagement, il a su préserver le lien social, même dans les moments les plus difficiles. Salut David !

  • David

    Bonjour Manon !

  • Manon

    Comment tu vas aujourd'hui ?

  • David

    Ça va, et toi ?

  • Manon

    Ça va bien. Dis-moi, tu avais quelque chose à nous raconter aujourd'hui.

  • David

    Ouais, moi tout a commencé en 2000 ou 2001, quand je suis parti vivre dans les Alpes, alors que j'avais tout juste 18 ou 19 ans, et que j'ai quitté finalement ma terre natale du centre de la France, où j'avais grandi, et où j'ai découvert dans les Alpes un autre monde en fait, un monde qui était beau et avec des gens. qui avaient envie de faire des choses et qui étaient heureux. Parce que moi, j'avais grandi dans un univers de banlieue assez tristouné, où le dicton du jour, enfin le dicton là-bas, c'était un petit peu... La vie est une grande tartine de merde, excuse-moi du langage, mais c'était ça. Et tous les jours, en fait, il faut en manger un morceau. Puis j'ai vécu dans mon enfance, mon adolescence, dans un univers où les gens ne sont pas heureux et pensent que le bonheur n'existe pas, en fait. Moi j'ai eu la chance de m'extraire de ça finalement quand j'ai eu 18 ou 19 ans et de voir que finalement la vie elle était belle et que le monde il n'était pas comme on m'avait dit qu'il était, qu'il y avait des choses à faire intéressantes, qu'il y avait des belles personnes à rencontrer et qu'il y avait tout un monde à explorer et à découvrir quoi. Et ça en fait ça m'a donné un déclic déjà dès ce moment là, ça a été de vouloir raconter le monde et j'ai fait ça pendant des années, c'est ça qui m'a mis le pied à l'étrier au voyage, au grand voyage. et qui un jour m'a amené ici en Calédonie en 2014.

  • Manon

    Et qu'est-ce qui t'a fait prendre conscience finalement que tu n'étais pas à ta place là où tu étais et que tu avais besoin de partir ?

  • David

    Ça a été un déclic, une opportunité professionnelle. À la base, moi je suis pâtissier-boulanger, j'ai passé un CAP boulanger et un CAP pâtissier et j'ai décidé de partir à Annecy parce que j'avais vu une offre de poste pour me perfectionner dans la glacerie, fabrication de glace à l'époque. Donc je suis parti à Annecy, mais vraiment, pas par hasard, ça a été un choix. Mais j'ai vraiment découvert, vu la lumière du monde à ce moment-là. Et ça aurait pu être n'importe où ailleurs en fait. Je me suis juste extrait d'un univers. Et j'ai envie de parler de ça aujourd'hui parce qu'il y a beaucoup de gens qui ne s'extraient pas de cet univers et qui sont persuadés que le monde n'est pas beau, que le monde est hostile, qu'il n'y a pas d'opportunité. Et moi je pense que c'est directement lié à la crise qu'on traverse aujourd'hui. J'ai eu l'opportunité d'être prof. pour des secpas ici. Et je trouvais que vraiment, c'est des gamins qui ont des grandes difficultés, certes. Mais si déjà, quand tu as 14, 15 ans, 16 ans, on te dit que de toute façon, quoi que tu fasses dans la vie, tu n'y arriveras pas, c'est clair et net que tu n'y arriveras pas et que tu n'auras pas envie de rester dans les clous et de respecter les règles d'une société dans laquelle tu ne réussiras pas, en fait. Et moi, je pense qu'il faut vraiment trouver... un moyen pour faire rêver ses gamins. Des clés pour changer la société, il y en a plein, mais celle-là, c'en est une qui est vraiment intéressante et assez facile à explorer, juste pour donner du sens à l'existence des jeunes, de la jeunesse et des gens de façon générale. Les jeunes qui ont tout pété, qui ont tout détruit autour de nous, ce sont des jeunes qui ne voyaient pas la lumière du tunnel. Moi, clairement, au même âge que dans le même endroit à l'époque, tu m'aurais donné des allumettes, j'aurais tout brûlé aussi. J'étais comme eux, je suis passé par là. C'est pour ça qu'on ne peut pas excuser ce qui se passe, mais on peut le comprendre. Et il y a vraiment quelque chose qui est hyper important, c'est qu'il faut absolument donner un sens, montrer où est la lumière, et que la vie peut être belle. Il faut absolument donner des objectifs, et redonner le goût d'avoir de l'ambition à la jeunesse. Et même pas à la jeunesse, à tout le monde. Parce que c'est un petit peu tout le monde qui a aujourd'hui perdu le sens de la vie et le fait de se dire que la vie, elle peut être belle et qu'elle est belle, en fait. Il faut juste la regarder un peu différemment et puis se donner la chance de rêver, quoi.

  • Manon

    Et à quel moment tu as trouvé le sens de ta vie ?

  • David

    Alors je ne sais pas si j'ai trouvé le sens de ma vie. Ça c'est une bonne question. Je ne sais pas si on trouve le sens de sa vie... Enfin peut-être qu'on le trouve de façon perpétuelle en fait, tu vois, je ne sais pas. En tout cas, j'ai peut-être compris mon rôle. Et ça c'est assez récent en vrai. Moi mon rôle c'est... Je sais faire du lien entre les gens. C'est ce que je sais faire le mieux, peut-être même la seule chose que je sais faire en fait, mais qui est hyper utile, qui est hyper pratique et hyper utile, et qui peut être déclinée de plein de manières différentes. Mais je crois que c'est ça, moi, mon rôle, c'est vraiment d'arriver à mettre en relation les clous et les marteaux, et les vis et les visseuses, tu vois. Ça, c'est un truc que je sais faire. Puis voilà, ici en Calédonie, on n'est pas nombreux, on se connaît vite. Tous et toutes. Et du coup, c'est assez facile de faire les liens. Mais je m'aperçois que beaucoup de gens ne font pas cet effort. J'essaie toujours de le faire et ça fonctionne. Donc le sens à ma vie, je ne sais pas si je l'ai trouvé, mais en tout cas, je vais trouver mon rôle. Je vais trouver ma fonction.

  • Manon

    Et pourquoi en Nouvelle-Calédonie ?

  • David

    Je te dis, je suis arrivé ici un peu par hasard. Et j'ai été... Ça fait 10 ans cette année. Je suis arrivé en 2014, donc ça fait 10 ans cette année que je suis là. Pendant à peu près 3 ou 4 ans, dans ma tête, je partais dans 3 semaines. Tu vois ? Je fais ça, je fais le GR Nord, puis j'y vais. Je finis cette mission, et puis j'y vais. Je vais à l'IFU, et puis j'y vais. Enfin, ça a été vraiment ça. Et je suis même parti. En 2015, je suis parti, en fait. Je suis parti au Banouatou. Tata, ça y est, la bande ! Et puis, au bout de six mois, je suis revenu. Parce que j'avais dépensé tous mes sous au Banouatou. Je suis revenu là pour me dire, ok, je vais regagner des sous. Puis finalement, je ne sais plus quand est-ce que c'était, mais je crois que c'était assez tard en fait. C'était genre en 2017. J'ai dit, bon, je crois qu'en fait, je suis là. Et j'y suis très bien. Et j'y suis très, très bien. Mais ça a été vraiment une... Je me rappelle presque de ce jour-là. Oui, je me rappelle même clairement. Je me disais, mais en fait, laisse tomber. Arrête de dire que tu vas faire ça et partir. T'es bien là, quoi. Et ça avait été un espèce de... de soulagement ou de joie de dire mais je suis bien là en fait et j'ai plus besoin de courir à droite à gauche tu vois je suis là ici c'est chez moi en fait avec toute la délicatesse que ce terme de demande quand on est ici en Nouvelle-Calédonie mais je m'y sentais vraiment chez moi et j'ai eu envie je faisais déjà pas mal de choses avant mais depuis ce jour là j'ai eu envie de faire des choses pour ce pays en fait Pour moi, pour ce pays, pour les gens que je côtoyais, je me suis dit, ici c'est chez moi, je crois que c'est là que je vais vieillir et j'ai envie que ce pays soit consistant de bien. J'ai envie de participer à la vie collective de cette terre. Là, il se passe ce qui se passe. C'est difficile de savoir s'il faut être optimiste ou pessimiste en ce moment. En tout cas, on avance au jour le jour et on fait au mieux.

  • Manon

    Justement, le 13 mai 2024, il se passe quoi pour toi ?

  • David

    Franchement, je comprends pas. Le 13 mai, je comprends pas et sur le coup, je me dis OK, il y a déjà beaucoup de choses qui ont cramé, qui ont brûlé. Il y a l'air d'avoir une vraie colère, mais c'est passager et il va falloir entendre ce qui se passe. Mais ça va passer. Et puis, c'était pas si grave. Nous, on rentrait, on venait de passer cinq jours sur la Côte oubliée, donc en kayak, donc sans téléphone, sans rien du tout. On arrivait à Thiau, on disait tiens, il y a beaucoup de drapeaux. Le choc a été brutal. Puis... Et en vrai, très vite, je me suis dit mais qu'est-ce qu'on a été naïf, évidemment que ça allait péter. Évidemment. Peut-être pas de cette ampleur-là, peut-être pas comme ça, peut-être pas avec cette colère et cette haine qui a été vraiment ressentie à un moment. Et ce danger, on s'est tous sentis en danger. Donc à ce point-là, je ne sais pas. Mais il se passe quoi pour moi ? Il se passe beaucoup de choses à ce moment-là parce que c'était prévu qu'avec ma copine, on emménage ensemble le 15 mai. Donc ce qu'on a fait, on a eu les clés de la maison finalement le 16 et on a quand même déménagé et emménagé. Moi à la base j'habitais à Dambert-Rivière, ma copine à Vallée-du-Génie, avec des chiens, des chats, et j'ai eu envie très vite de mettre tout le monde en sécurité, c'était ma priorité, mettre tout le monde en sécurité, enfin en tout cas au même endroit. Et le fait de faire ça, ça m'a obligé à faire la route, d'aller à Dambert-Rivière, d'aller chercher les chiens, tous les jours j'ai fait la route depuis le début. Alors que les gens disaient il ne faut surtout pas sortir, c'est couvre-feu, etc. Moi tous les jours j'ai fait la route. J'ai vraiment été confronté à des choses qu'on n'imagine plus. Même si j'y ai été confronté de façon très proche, que je l'ai vécu, j'ai du mal à me dire que ça s'est vraiment arrivé. C'était hyper violent. On se sentait vraiment en danger quand on passait Yahweh, Auteuil, tout ça. C'était chaud, quoi. Tu voyais les rassemblements, la queue devant les supermarchés, les jours d'après, à partir du 15, 16, 17, la queue. Et puis des gens qui sortaient des magasins avec les bras chargés alors que le magasin était fermé. Mais à côté, t'avais des gens qui faisaient la queue pour aller faire les courses. Tu vois, et puis il y a plein de choses qui se mélangent dans ma tête parce que tu as vraiment cette image de la queue, des gens qui font la queue sagement pour aller faire leur course, pour manger pendant des heures et pas savoir s'ils vont trouver un sac de riz ou un sac de pâtes quand ça va être leur tour, mais qui laissent passer les personnes âgées, qui discutent, qui vont se vivre ensemble dans la queue qui était là. Et puis de l'autre côté, je te parle de la magie intagléale, tu vois, où tu avais le casino qui était... et à côté tu avais Thierry qui était en train de se faire... pillés en pleine journée devant les flics, les mecs qui chargeaient la benne, etc. Et tout ça dans un seul et même univers. Il y avait donc ceux qu'on a appelés les jeunes émeutiers par la suite qui étaient là, en plein milieu de ça, qui faisaient un peu les malins avec leurs bouteilles d'alcool, en train d'arranguer, de narguer un peu la police et les gens. Il y avait tout ça, tu vois. Les endroits où tu passais, tu faisais bien attention de fermer tes fenêtres, verrouiller tes portes, t'entendais la radio, attention, il y a eu un carjacking ici, il y a eu un truc. Et puis du coup, des gens qui disaient je peux pas sortir de chez moi, j'ai machin, j'ai... Soit j'ai plus d'essence dans la voiture, j'ai plus de gaz, j'ai plus de riz, j'ai trois enfants. Et donc il y avait eu cet élan de solidarité qui s'est vite mis en place. Et du coup, moi j'ai essayé de voir un petit peu à chaque fois avant de faire un trajet, je vais passer par là, donc de regarder sur Facebook si je pouvais pas déposer un truc à quelqu'un, tu vois. Mais le fait de faire ça, à la fin de ma journée, ça m'aidait à accuser le coup de dire bon, j'ai fait un truc Parce que c'était ça qui était dur aussi au début, c'était de voir tout ça, puis de se sentir tellement démuni et inutile. D'avoir participé à cet échec collectif et puis d'être là aujourd'hui et de dire je peux rien faire Donc juste d'avoir donné un truc à quelqu'un, d'avoir parlé à quelqu'un dans la journée qui n'est pas de la même couleur que moi, qui n'a pas les mêmes idées que moi, de prouver à moi que finalement ça va, et puis d'avoir aidé quelqu'un, ça m'aidait le soir à être apaisé. Donc c'est aussi pour ça que je le faisais. Puis on a fait ce déménagement coûte que coûte. Mais le 13 mai ça a été... Ça a été beaucoup de choses contradictoires. Le fait de ne pas arriver à croire le niveau de violence qui était en train de se jouer. Moi j'ai vu des gens, parce qu'il y a un truc que j'ai fait très vite aussi, c'est de prendre mon micro, puis d'aller me promener dans les quartiers, d'aller recueillir les témoignages des gens. Et je suis allé notamment très vite à Cameray. Et à Cameray, j'ai rencontré des gens, des vieux calédoniens, tu sais, tu ne sais pas s'ils sont caldoches, tahitiens ou alisiens, des calédoniens, tu vois. Devant mon micro, ils criaient au secours. Ils imploraient le président de la République qui venait de partir ou qui était encore là de les indemniser pour qu'ils puissent s'enfuir. Il y a eu ça. Ces gens-là, il faudrait que je retourne les voir pour savoir s'ils vont mieux aujourd'hui, s'ils ont toujours envie de partir. Mais ces calédoniens-là qui ne connaissaient rien ailleurs, ils sont ici, chez eux. C'était sauf qui peut. Ils étaient prêts à perdre leur maison, à perdre leur boulot, à tout perdre et à aller dans un pays qu'ils connaissent pas parce qu'ils ont eu peur quoi. Ils ont eu peur, alors il y a eu la peur, il y a eu aussi le découragement de ces gens là de se dire on n'arrivera pas à faire société finalement parce qu'on essaye depuis longtemps et là c'est la goutte de trop qui montre qu'on n'y arrivera pas en fait. Ça je parle de ça encore une fois, on était vraiment le 17, 18, 20 mai par là. Je pense qu'aujourd'hui, ça s'est peut-être calmé, ça s'est peut-être estompé.

  • Manon

    Toi, personnellement, qu'est-ce que tu as ressenti pendant tout ça ?

  • David

    Moi, je me suis toujours... J'ai de la chance parce que j'aime ce pays. Moi, j'ai envie de vieillir ici. Mais en fait, on ne sait pas si on va pouvoir rester. On a envie de rester. Comme on dit, on sera les derniers. On va éteindre la lumière en partant. Mais là, clairement, quand on regarde la situation avec l'usidité, on ne sait pas si on va être capable de rester. On n'a pas envie de partir. Mais encore aujourd'hui, ce n'est pas à cause de la peur, ce n'est pas à cause de l'animosité, mais c'est juste que... Là, le tissu économique, médical, associatif, solidaire, en fait, tout le tissu de solidarité du pays, il est détruit. Est-ce qu'on va être capable de vivre encore dans ce pays-là ? J'espère, et on travaille pour. Et on est nombreux aujourd'hui à se retrousser les manches et à essayer de faire en sorte d'amortir les dégâts et de faire en sorte que ce pays soit encore vivable. C'est pas le vivre ensemble qui est en danger. Vivre ensemble, on le voit partout au marché de Rivière-Salée, partout, on le voit dès qu'il y a des endroits, des manifestations. Ce n'est pas les blancs contre les kanaks ou les inversements. Ça, c'est se donner une fausse excuse. Quand tu dis à quelqu'un, il ne m'aime pas parce que je suis blanc ou il ne m'aime pas parce que je suis noir, tu n'as rien à te reprocher, ce n'est pas de ta faute. Tu vois ? C'est se donner une excuse. Moi, je pense que dire que ce conflit, il est ethnique, c'est un conflit qui est social. On peut en faire une analogie avec ce qui se passe dans les banlieues en France. En fait, c'est la source du problème. Moi, je pense qu'elle est assez similaire, en fait. Et du coup, quand on se dit qu'on va pouvoir vivre ici, C'est pas de se dire est-ce que l'autre va m'accepter ou pas, il est pas là le problème, c'est juste qu'on... Ce qui fait qu'on aime la Calédonie, le cadre de vie qu'on a, les relations qu'on a entre les gens, ça pouvait exister parce qu'on avait un tissu économique, social, solidaire, solide, et ça c'est parti en fumée. Les gens s'en rendent pas compte aujourd'hui je pense. Il y a une espèce d'inconséquence en fait de ce qui se passe parce que ça fait des années qu'il y a de l'argent magique qui coule après une catastrophe. Il y a aussi beaucoup, moi je le vois sur les radioforums, les gens pensent que mutation il y a Dieu, il va réparer. Enfin du coup ça crée une espèce d'inconséquence dans l'esprit des gens où on peut tout détruire parce que derrière on ne va pas payer les conséquences. Alors je ne pense pas que ce soit formulé comme ça dans la tête des gens, mais il y a quand même ce sentiment de... On n'a jamais vraiment vécu les conséquences des crises qu'on a traversées depuis les 30 dernières années, enfin que le pays a traversées. Et du coup là je pense qu'il y a un sentiment, en tout cas on a toute une partie de la population qui pense que ce qui se passe ce n'est pas grave. Mais on va devoir payer l'addition maintenant.

  • Manon

    Comment ça va vraiment, David ?

  • David

    Comment moi je me sens ? Moi je me sens bien parce que depuis le début, en fait... Je peux te raconter juste une petite anecdote ? Je l'ai entendue il n'y a pas longtemps et je me suis dit, purée, c'est vraiment moi cette petite souris. La souris qui est les deux souris qui sont dans un petit pot de crème. Et t'en as une qui se laisse aller, qui cherche des solutions, qui cherche à s'évader et qui n'y arrive pas. Puis du coup, elle sombre et elle se noie. Puis t'en as une qui passe son temps à nager, elle bat des pattes, elle bat des pattes, elle bat des pattes, elle bat des pattes. Puis finalement, la crème, elle se transforme en beurre. Et du coup, elle se retrouve sur un socle solide et la souris est sauvée. Et en fait, c'est exactement moi ce que je suis en train de faire et que j'ai fait depuis le début. C'était de faire en sorte de rester actif. Au début, c'était juste donner un sac de riz à une personne qui en a besoin sur la route. Après, ça a été d'aller dans les quartiers avec mon micro pour récolter des témoignages et avoir l'impression d'être utile. Après, il y a eu la mise en place de la bibliothèque humaine, qui a été, ok, on va recréer des espaces de dialogue, des conversations impromptues et improbables entre les gens. Après, il y a eu le radioforum. Et puis, tout ça, ça m'a permis de rester à la surface des choses et d'avoir l'impression de faire des trucs. Et ça m'a permis de me sentir bien. Quand je regarde la situation avec Lucidité, je me dis, bon, il va falloir faire les valises et partir. Et je n'ai pas du tout envie de ça, donc je suis accablé. Mais du coup, là, j'essaye de voir le positif à travers des actions concrètes qu'on mène, qui sont simples. qui sont faciles à faire. Et du coup, ça me permet, encore une fois, de finir mes journées en ayant l'impression d'avoir fait quelque chose de positif pour le pays. Et que si on est nombreux à faire ça, et on est nombreux à faire ça, on va réussir à faire quelque chose et à s'en sortir. Un jour, on va se retourner, on va se compter, on sera 17 à rester. Et il y aura un pays à construire. Et voilà. Mais non, en gros, je n'ai pas le droit de me plaindre. Je n'ai pas le droit de me plaindre. Vraiment. Pourquoi ? Je ne fais pas partie des gens qui se demandent comment on va payer le loyer à la fin du mois. Je ne fais pas partie des gens qui se disent je n'arrive plus à acheter du lait en poudre ou on passe à un repas par jour parce qu'on n'a pas les moyens d'en manger trois Il y a ces situations-là qui sont là de plus en plus. On est attaché ici, on a envie de faire notre vie ici, mais on peut aller partout et on peut partir du jour au lendemain. Donc on n'a pas le droit de se plaindre. Enfin si, on a le droit de se plaindre. Tout le monde a le droit de se plaindre. Mais ça va quoi. Ça va.

  • Manon

    Tu m'as parlé également avant tout ça de ton rapport aux doutes, ce que tu peux développer.

  • David

    Ça c'est vraiment aussi un truc que j'ai coutume de dire, c'est qu'il faut absolument travailler pour fissurer ces certitudes, quelles qu'elles soient, quiconque soit. Avec le Radio Forum, on va partir directement sur un exemple concret. Donc le Radio Forum, c'est tout simplement, on pose un micro sur une table, des chaises, en plein milieu d'un endroit où il y a du monde. Notamment en ce moment, on le fait au marché de Rivière-Salée. Et c'est de créer donc des conversations et des rencontres. improbable et de provoquer, de faire se rencontrer des gens qui se rencontreront jamais dans... Voilà, ils savent que chacun existe, mais ils se sont jamais parlé et ils ont beaucoup de stéréotypes et de préjugés sur la personne quelle qu'elle soit. Le jeune lycéen il va se dire ah oui le vieux retraité caldoche il est comme ça, le vieux retraité caldoche il dit ah oui mais le mec de la tribu lui il est comme ça Avec ce radioforum on les fait se rencontrer, on les fait discuter et quand ils repartent de là, même s'ils ont discuté que 5 minutes ou 10 minutes ou voilà... ils repartent de là avec leurs certitudes qui sont fissurées. Les certitudes, ça crée des extrêmes. Quand on est sûr de soi, on devient extrémiste parce que la vérité est simple et facile. Quand tu commences à douter, et quand tu commences à vouloir comprendre que c'est peut-être plus complexe que ce que tu as imaginé, ça ne te permet plus d'avoir des certitudes, ça te permet plus de te poser des questions, d'être curieux de l'autre, et ça, ça ramène vers un centre modéré où on se parle et où on s'écoute.

  • Manon

    C'était un mot pour la fin. Et qu'est-ce que tu as à dire aux gens qui se sentent comme toi ?

  • David

    Les gens qui se sentent comme moi, c'est-à-dire que c'est les gens qui se sentent un petit peu lucides par rapport à la situation grave qu'on traverse, mais qui ont envie de continuer à pédaler dans la semoule pour provoquer des choses positives et potentiellement... Offrir un tapis d'amortissage à la situation. Ces gens-là, ce que j'ai envie de leur dire, c'est continuez à pédaler dans la semoule, rejoignez-vous, rejoignons-nous, parce que plein plein de choses en ce moment, les gens qui écoutent ça et qui se disent qu'ils se sentent inutiles sur leur canapé et qu'ils n'osent pas faire des choses, etc. et qui finissent leur journée un peu en dépression, ou qui ont peur parce qu'on leur dit que c'est dangereux, et que si, et que ça, qu'ils ne veulent pas aller à la rivière salée, parce que, oulala, mon dieu, la route, et bien... Venez, sortez petit à petit, allez parler à votre voisin, sortez de chez vous. La réalité, elle est terrible, mais le fait de se rencontrer entre gens qui font des choses, ça fait vraiment du bien et on lance des choses. Et là, il y a plein de petits événements, plein de petites choses que ces gens-là peuvent rejoindre.

  • Manon

    En tout cas, un tout grand merci, David, d'être venu partager ton histoire à mon micro.

  • David

    Merci à toi surtout de faire ça, parce qu'il faut créer des temps de parole. C'est important. Et puis vraiment partir du principe que tout le monde. à des choses à dire à partir du moment où on a quelqu'un qui facilite leur parole. Donc il faut donner la parole à tout le monde et prendre le temps qu'il faut pour les écouter.

  • Manon

    Merci beaucoup.

  • David

    Merci à toi.

  • Manon

    Merci d'avoir partagé avec nous ce moment, de nous avoir écouté tout au long de ces récits. À très bientôt pour un nouvel épisode de J'écoutume de dire, où d'autres voix et d'autres histoires viendront nous donner envie de nous réinventer et de réfléchir sur l'avenir. À très vite !

Description

Alors que beaucoup pensaient que tout contact était rompu, David en plein déménagement, était toujours sur le terrain multipliant les actions solidaires. Il a su maintenir ce qui est, pour lui, le plus important : le lien entre les gens.


Dans une période où l'isolement semblait inévitable, David a su rester actif et disponible pour aider concrètement celles et ceux qui en avaient besoin. Aujourd'hui encore, il encourage chacun à sortir, à se rencontrer, et à ne pas laisser la crise briser les relations humaines. Dans cet épisode, David nous parlera aussi de son radio forum au marché de Rivière Salée un espace d’échanges où chaque personne peut venir débattre, échanger des idées et fissurer ces certitudes.


Pour nous soutenir le podcast, vous pouvez faire un don : https://www.cotizup.com/jcdd


Réalisation et montage: Manon Dejean

Mixage : Philippe Buston


Illustration du podcast : Lavenstudio


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • David

    Ça, c'est vraiment aussi un truc que j'ai coutume de dire, c'est qu'il faut absolument travailler pour fissurer cette certitude. J'ai coutume de dire, un podcast réalisé par Manon Dejean.

  • Manon

    Bonjour à toutes et à tous et bienvenue dans ce nouvel épisode de J'ai coutume de dire. Aujourd'hui, j'ai le plaisir de recevoir David, un véritable couteau suisse humain. Pendant la crise en Nouvelle-Calédonie, alors que beaucoup pensaient que tout contact était rompu, David, en plein déménagement, était toujours sur le terrain, multipliant les actions solidaires. Il a su maintenir ce qui est pour lui le plus important, le lien entre les gens. Dans une période où l'isolement semblait inévitable, David a su rester actif et disponible pour aider concrètement celles et ceux qui en avaient besoin. Aujourd'hui encore, il encourage chacun à sortir, à se rencontrer et à ne pas laisser la crise briser les relations humaines. Dans cet épisode, David nous parlera aussi de son radioforum au marché de Rivière-Salée, un espace d'échange où chaque personne peut venir débattre, échanger des idées et fissurer ses certitudes. Sans plus attendre, plongeons ensemble dans l'univers de David et découvrons comment à travers ses actions et son engagement, il a su préserver le lien social, même dans les moments les plus difficiles. Salut David !

  • David

    Bonjour Manon !

  • Manon

    Comment tu vas aujourd'hui ?

  • David

    Ça va, et toi ?

  • Manon

    Ça va bien. Dis-moi, tu avais quelque chose à nous raconter aujourd'hui.

  • David

    Ouais, moi tout a commencé en 2000 ou 2001, quand je suis parti vivre dans les Alpes, alors que j'avais tout juste 18 ou 19 ans, et que j'ai quitté finalement ma terre natale du centre de la France, où j'avais grandi, et où j'ai découvert dans les Alpes un autre monde en fait, un monde qui était beau et avec des gens. qui avaient envie de faire des choses et qui étaient heureux. Parce que moi, j'avais grandi dans un univers de banlieue assez tristouné, où le dicton du jour, enfin le dicton là-bas, c'était un petit peu... La vie est une grande tartine de merde, excuse-moi du langage, mais c'était ça. Et tous les jours, en fait, il faut en manger un morceau. Puis j'ai vécu dans mon enfance, mon adolescence, dans un univers où les gens ne sont pas heureux et pensent que le bonheur n'existe pas, en fait. Moi j'ai eu la chance de m'extraire de ça finalement quand j'ai eu 18 ou 19 ans et de voir que finalement la vie elle était belle et que le monde il n'était pas comme on m'avait dit qu'il était, qu'il y avait des choses à faire intéressantes, qu'il y avait des belles personnes à rencontrer et qu'il y avait tout un monde à explorer et à découvrir quoi. Et ça en fait ça m'a donné un déclic déjà dès ce moment là, ça a été de vouloir raconter le monde et j'ai fait ça pendant des années, c'est ça qui m'a mis le pied à l'étrier au voyage, au grand voyage. et qui un jour m'a amené ici en Calédonie en 2014.

  • Manon

    Et qu'est-ce qui t'a fait prendre conscience finalement que tu n'étais pas à ta place là où tu étais et que tu avais besoin de partir ?

  • David

    Ça a été un déclic, une opportunité professionnelle. À la base, moi je suis pâtissier-boulanger, j'ai passé un CAP boulanger et un CAP pâtissier et j'ai décidé de partir à Annecy parce que j'avais vu une offre de poste pour me perfectionner dans la glacerie, fabrication de glace à l'époque. Donc je suis parti à Annecy, mais vraiment, pas par hasard, ça a été un choix. Mais j'ai vraiment découvert, vu la lumière du monde à ce moment-là. Et ça aurait pu être n'importe où ailleurs en fait. Je me suis juste extrait d'un univers. Et j'ai envie de parler de ça aujourd'hui parce qu'il y a beaucoup de gens qui ne s'extraient pas de cet univers et qui sont persuadés que le monde n'est pas beau, que le monde est hostile, qu'il n'y a pas d'opportunité. Et moi je pense que c'est directement lié à la crise qu'on traverse aujourd'hui. J'ai eu l'opportunité d'être prof. pour des secpas ici. Et je trouvais que vraiment, c'est des gamins qui ont des grandes difficultés, certes. Mais si déjà, quand tu as 14, 15 ans, 16 ans, on te dit que de toute façon, quoi que tu fasses dans la vie, tu n'y arriveras pas, c'est clair et net que tu n'y arriveras pas et que tu n'auras pas envie de rester dans les clous et de respecter les règles d'une société dans laquelle tu ne réussiras pas, en fait. Et moi, je pense qu'il faut vraiment trouver... un moyen pour faire rêver ses gamins. Des clés pour changer la société, il y en a plein, mais celle-là, c'en est une qui est vraiment intéressante et assez facile à explorer, juste pour donner du sens à l'existence des jeunes, de la jeunesse et des gens de façon générale. Les jeunes qui ont tout pété, qui ont tout détruit autour de nous, ce sont des jeunes qui ne voyaient pas la lumière du tunnel. Moi, clairement, au même âge que dans le même endroit à l'époque, tu m'aurais donné des allumettes, j'aurais tout brûlé aussi. J'étais comme eux, je suis passé par là. C'est pour ça qu'on ne peut pas excuser ce qui se passe, mais on peut le comprendre. Et il y a vraiment quelque chose qui est hyper important, c'est qu'il faut absolument donner un sens, montrer où est la lumière, et que la vie peut être belle. Il faut absolument donner des objectifs, et redonner le goût d'avoir de l'ambition à la jeunesse. Et même pas à la jeunesse, à tout le monde. Parce que c'est un petit peu tout le monde qui a aujourd'hui perdu le sens de la vie et le fait de se dire que la vie, elle peut être belle et qu'elle est belle, en fait. Il faut juste la regarder un peu différemment et puis se donner la chance de rêver, quoi.

  • Manon

    Et à quel moment tu as trouvé le sens de ta vie ?

  • David

    Alors je ne sais pas si j'ai trouvé le sens de ma vie. Ça c'est une bonne question. Je ne sais pas si on trouve le sens de sa vie... Enfin peut-être qu'on le trouve de façon perpétuelle en fait, tu vois, je ne sais pas. En tout cas, j'ai peut-être compris mon rôle. Et ça c'est assez récent en vrai. Moi mon rôle c'est... Je sais faire du lien entre les gens. C'est ce que je sais faire le mieux, peut-être même la seule chose que je sais faire en fait, mais qui est hyper utile, qui est hyper pratique et hyper utile, et qui peut être déclinée de plein de manières différentes. Mais je crois que c'est ça, moi, mon rôle, c'est vraiment d'arriver à mettre en relation les clous et les marteaux, et les vis et les visseuses, tu vois. Ça, c'est un truc que je sais faire. Puis voilà, ici en Calédonie, on n'est pas nombreux, on se connaît vite. Tous et toutes. Et du coup, c'est assez facile de faire les liens. Mais je m'aperçois que beaucoup de gens ne font pas cet effort. J'essaie toujours de le faire et ça fonctionne. Donc le sens à ma vie, je ne sais pas si je l'ai trouvé, mais en tout cas, je vais trouver mon rôle. Je vais trouver ma fonction.

  • Manon

    Et pourquoi en Nouvelle-Calédonie ?

  • David

    Je te dis, je suis arrivé ici un peu par hasard. Et j'ai été... Ça fait 10 ans cette année. Je suis arrivé en 2014, donc ça fait 10 ans cette année que je suis là. Pendant à peu près 3 ou 4 ans, dans ma tête, je partais dans 3 semaines. Tu vois ? Je fais ça, je fais le GR Nord, puis j'y vais. Je finis cette mission, et puis j'y vais. Je vais à l'IFU, et puis j'y vais. Enfin, ça a été vraiment ça. Et je suis même parti. En 2015, je suis parti, en fait. Je suis parti au Banouatou. Tata, ça y est, la bande ! Et puis, au bout de six mois, je suis revenu. Parce que j'avais dépensé tous mes sous au Banouatou. Je suis revenu là pour me dire, ok, je vais regagner des sous. Puis finalement, je ne sais plus quand est-ce que c'était, mais je crois que c'était assez tard en fait. C'était genre en 2017. J'ai dit, bon, je crois qu'en fait, je suis là. Et j'y suis très bien. Et j'y suis très, très bien. Mais ça a été vraiment une... Je me rappelle presque de ce jour-là. Oui, je me rappelle même clairement. Je me disais, mais en fait, laisse tomber. Arrête de dire que tu vas faire ça et partir. T'es bien là, quoi. Et ça avait été un espèce de... de soulagement ou de joie de dire mais je suis bien là en fait et j'ai plus besoin de courir à droite à gauche tu vois je suis là ici c'est chez moi en fait avec toute la délicatesse que ce terme de demande quand on est ici en Nouvelle-Calédonie mais je m'y sentais vraiment chez moi et j'ai eu envie je faisais déjà pas mal de choses avant mais depuis ce jour là j'ai eu envie de faire des choses pour ce pays en fait Pour moi, pour ce pays, pour les gens que je côtoyais, je me suis dit, ici c'est chez moi, je crois que c'est là que je vais vieillir et j'ai envie que ce pays soit consistant de bien. J'ai envie de participer à la vie collective de cette terre. Là, il se passe ce qui se passe. C'est difficile de savoir s'il faut être optimiste ou pessimiste en ce moment. En tout cas, on avance au jour le jour et on fait au mieux.

  • Manon

    Justement, le 13 mai 2024, il se passe quoi pour toi ?

  • David

    Franchement, je comprends pas. Le 13 mai, je comprends pas et sur le coup, je me dis OK, il y a déjà beaucoup de choses qui ont cramé, qui ont brûlé. Il y a l'air d'avoir une vraie colère, mais c'est passager et il va falloir entendre ce qui se passe. Mais ça va passer. Et puis, c'était pas si grave. Nous, on rentrait, on venait de passer cinq jours sur la Côte oubliée, donc en kayak, donc sans téléphone, sans rien du tout. On arrivait à Thiau, on disait tiens, il y a beaucoup de drapeaux. Le choc a été brutal. Puis... Et en vrai, très vite, je me suis dit mais qu'est-ce qu'on a été naïf, évidemment que ça allait péter. Évidemment. Peut-être pas de cette ampleur-là, peut-être pas comme ça, peut-être pas avec cette colère et cette haine qui a été vraiment ressentie à un moment. Et ce danger, on s'est tous sentis en danger. Donc à ce point-là, je ne sais pas. Mais il se passe quoi pour moi ? Il se passe beaucoup de choses à ce moment-là parce que c'était prévu qu'avec ma copine, on emménage ensemble le 15 mai. Donc ce qu'on a fait, on a eu les clés de la maison finalement le 16 et on a quand même déménagé et emménagé. Moi à la base j'habitais à Dambert-Rivière, ma copine à Vallée-du-Génie, avec des chiens, des chats, et j'ai eu envie très vite de mettre tout le monde en sécurité, c'était ma priorité, mettre tout le monde en sécurité, enfin en tout cas au même endroit. Et le fait de faire ça, ça m'a obligé à faire la route, d'aller à Dambert-Rivière, d'aller chercher les chiens, tous les jours j'ai fait la route depuis le début. Alors que les gens disaient il ne faut surtout pas sortir, c'est couvre-feu, etc. Moi tous les jours j'ai fait la route. J'ai vraiment été confronté à des choses qu'on n'imagine plus. Même si j'y ai été confronté de façon très proche, que je l'ai vécu, j'ai du mal à me dire que ça s'est vraiment arrivé. C'était hyper violent. On se sentait vraiment en danger quand on passait Yahweh, Auteuil, tout ça. C'était chaud, quoi. Tu voyais les rassemblements, la queue devant les supermarchés, les jours d'après, à partir du 15, 16, 17, la queue. Et puis des gens qui sortaient des magasins avec les bras chargés alors que le magasin était fermé. Mais à côté, t'avais des gens qui faisaient la queue pour aller faire les courses. Tu vois, et puis il y a plein de choses qui se mélangent dans ma tête parce que tu as vraiment cette image de la queue, des gens qui font la queue sagement pour aller faire leur course, pour manger pendant des heures et pas savoir s'ils vont trouver un sac de riz ou un sac de pâtes quand ça va être leur tour, mais qui laissent passer les personnes âgées, qui discutent, qui vont se vivre ensemble dans la queue qui était là. Et puis de l'autre côté, je te parle de la magie intagléale, tu vois, où tu avais le casino qui était... et à côté tu avais Thierry qui était en train de se faire... pillés en pleine journée devant les flics, les mecs qui chargeaient la benne, etc. Et tout ça dans un seul et même univers. Il y avait donc ceux qu'on a appelés les jeunes émeutiers par la suite qui étaient là, en plein milieu de ça, qui faisaient un peu les malins avec leurs bouteilles d'alcool, en train d'arranguer, de narguer un peu la police et les gens. Il y avait tout ça, tu vois. Les endroits où tu passais, tu faisais bien attention de fermer tes fenêtres, verrouiller tes portes, t'entendais la radio, attention, il y a eu un carjacking ici, il y a eu un truc. Et puis du coup, des gens qui disaient je peux pas sortir de chez moi, j'ai machin, j'ai... Soit j'ai plus d'essence dans la voiture, j'ai plus de gaz, j'ai plus de riz, j'ai trois enfants. Et donc il y avait eu cet élan de solidarité qui s'est vite mis en place. Et du coup, moi j'ai essayé de voir un petit peu à chaque fois avant de faire un trajet, je vais passer par là, donc de regarder sur Facebook si je pouvais pas déposer un truc à quelqu'un, tu vois. Mais le fait de faire ça, à la fin de ma journée, ça m'aidait à accuser le coup de dire bon, j'ai fait un truc Parce que c'était ça qui était dur aussi au début, c'était de voir tout ça, puis de se sentir tellement démuni et inutile. D'avoir participé à cet échec collectif et puis d'être là aujourd'hui et de dire je peux rien faire Donc juste d'avoir donné un truc à quelqu'un, d'avoir parlé à quelqu'un dans la journée qui n'est pas de la même couleur que moi, qui n'a pas les mêmes idées que moi, de prouver à moi que finalement ça va, et puis d'avoir aidé quelqu'un, ça m'aidait le soir à être apaisé. Donc c'est aussi pour ça que je le faisais. Puis on a fait ce déménagement coûte que coûte. Mais le 13 mai ça a été... Ça a été beaucoup de choses contradictoires. Le fait de ne pas arriver à croire le niveau de violence qui était en train de se jouer. Moi j'ai vu des gens, parce qu'il y a un truc que j'ai fait très vite aussi, c'est de prendre mon micro, puis d'aller me promener dans les quartiers, d'aller recueillir les témoignages des gens. Et je suis allé notamment très vite à Cameray. Et à Cameray, j'ai rencontré des gens, des vieux calédoniens, tu sais, tu ne sais pas s'ils sont caldoches, tahitiens ou alisiens, des calédoniens, tu vois. Devant mon micro, ils criaient au secours. Ils imploraient le président de la République qui venait de partir ou qui était encore là de les indemniser pour qu'ils puissent s'enfuir. Il y a eu ça. Ces gens-là, il faudrait que je retourne les voir pour savoir s'ils vont mieux aujourd'hui, s'ils ont toujours envie de partir. Mais ces calédoniens-là qui ne connaissaient rien ailleurs, ils sont ici, chez eux. C'était sauf qui peut. Ils étaient prêts à perdre leur maison, à perdre leur boulot, à tout perdre et à aller dans un pays qu'ils connaissent pas parce qu'ils ont eu peur quoi. Ils ont eu peur, alors il y a eu la peur, il y a eu aussi le découragement de ces gens là de se dire on n'arrivera pas à faire société finalement parce qu'on essaye depuis longtemps et là c'est la goutte de trop qui montre qu'on n'y arrivera pas en fait. Ça je parle de ça encore une fois, on était vraiment le 17, 18, 20 mai par là. Je pense qu'aujourd'hui, ça s'est peut-être calmé, ça s'est peut-être estompé.

  • Manon

    Toi, personnellement, qu'est-ce que tu as ressenti pendant tout ça ?

  • David

    Moi, je me suis toujours... J'ai de la chance parce que j'aime ce pays. Moi, j'ai envie de vieillir ici. Mais en fait, on ne sait pas si on va pouvoir rester. On a envie de rester. Comme on dit, on sera les derniers. On va éteindre la lumière en partant. Mais là, clairement, quand on regarde la situation avec l'usidité, on ne sait pas si on va être capable de rester. On n'a pas envie de partir. Mais encore aujourd'hui, ce n'est pas à cause de la peur, ce n'est pas à cause de l'animosité, mais c'est juste que... Là, le tissu économique, médical, associatif, solidaire, en fait, tout le tissu de solidarité du pays, il est détruit. Est-ce qu'on va être capable de vivre encore dans ce pays-là ? J'espère, et on travaille pour. Et on est nombreux aujourd'hui à se retrousser les manches et à essayer de faire en sorte d'amortir les dégâts et de faire en sorte que ce pays soit encore vivable. C'est pas le vivre ensemble qui est en danger. Vivre ensemble, on le voit partout au marché de Rivière-Salée, partout, on le voit dès qu'il y a des endroits, des manifestations. Ce n'est pas les blancs contre les kanaks ou les inversements. Ça, c'est se donner une fausse excuse. Quand tu dis à quelqu'un, il ne m'aime pas parce que je suis blanc ou il ne m'aime pas parce que je suis noir, tu n'as rien à te reprocher, ce n'est pas de ta faute. Tu vois ? C'est se donner une excuse. Moi, je pense que dire que ce conflit, il est ethnique, c'est un conflit qui est social. On peut en faire une analogie avec ce qui se passe dans les banlieues en France. En fait, c'est la source du problème. Moi, je pense qu'elle est assez similaire, en fait. Et du coup, quand on se dit qu'on va pouvoir vivre ici, C'est pas de se dire est-ce que l'autre va m'accepter ou pas, il est pas là le problème, c'est juste qu'on... Ce qui fait qu'on aime la Calédonie, le cadre de vie qu'on a, les relations qu'on a entre les gens, ça pouvait exister parce qu'on avait un tissu économique, social, solidaire, solide, et ça c'est parti en fumée. Les gens s'en rendent pas compte aujourd'hui je pense. Il y a une espèce d'inconséquence en fait de ce qui se passe parce que ça fait des années qu'il y a de l'argent magique qui coule après une catastrophe. Il y a aussi beaucoup, moi je le vois sur les radioforums, les gens pensent que mutation il y a Dieu, il va réparer. Enfin du coup ça crée une espèce d'inconséquence dans l'esprit des gens où on peut tout détruire parce que derrière on ne va pas payer les conséquences. Alors je ne pense pas que ce soit formulé comme ça dans la tête des gens, mais il y a quand même ce sentiment de... On n'a jamais vraiment vécu les conséquences des crises qu'on a traversées depuis les 30 dernières années, enfin que le pays a traversées. Et du coup là je pense qu'il y a un sentiment, en tout cas on a toute une partie de la population qui pense que ce qui se passe ce n'est pas grave. Mais on va devoir payer l'addition maintenant.

  • Manon

    Comment ça va vraiment, David ?

  • David

    Comment moi je me sens ? Moi je me sens bien parce que depuis le début, en fait... Je peux te raconter juste une petite anecdote ? Je l'ai entendue il n'y a pas longtemps et je me suis dit, purée, c'est vraiment moi cette petite souris. La souris qui est les deux souris qui sont dans un petit pot de crème. Et t'en as une qui se laisse aller, qui cherche des solutions, qui cherche à s'évader et qui n'y arrive pas. Puis du coup, elle sombre et elle se noie. Puis t'en as une qui passe son temps à nager, elle bat des pattes, elle bat des pattes, elle bat des pattes, elle bat des pattes. Puis finalement, la crème, elle se transforme en beurre. Et du coup, elle se retrouve sur un socle solide et la souris est sauvée. Et en fait, c'est exactement moi ce que je suis en train de faire et que j'ai fait depuis le début. C'était de faire en sorte de rester actif. Au début, c'était juste donner un sac de riz à une personne qui en a besoin sur la route. Après, ça a été d'aller dans les quartiers avec mon micro pour récolter des témoignages et avoir l'impression d'être utile. Après, il y a eu la mise en place de la bibliothèque humaine, qui a été, ok, on va recréer des espaces de dialogue, des conversations impromptues et improbables entre les gens. Après, il y a eu le radioforum. Et puis, tout ça, ça m'a permis de rester à la surface des choses et d'avoir l'impression de faire des trucs. Et ça m'a permis de me sentir bien. Quand je regarde la situation avec Lucidité, je me dis, bon, il va falloir faire les valises et partir. Et je n'ai pas du tout envie de ça, donc je suis accablé. Mais du coup, là, j'essaye de voir le positif à travers des actions concrètes qu'on mène, qui sont simples. qui sont faciles à faire. Et du coup, ça me permet, encore une fois, de finir mes journées en ayant l'impression d'avoir fait quelque chose de positif pour le pays. Et que si on est nombreux à faire ça, et on est nombreux à faire ça, on va réussir à faire quelque chose et à s'en sortir. Un jour, on va se retourner, on va se compter, on sera 17 à rester. Et il y aura un pays à construire. Et voilà. Mais non, en gros, je n'ai pas le droit de me plaindre. Je n'ai pas le droit de me plaindre. Vraiment. Pourquoi ? Je ne fais pas partie des gens qui se demandent comment on va payer le loyer à la fin du mois. Je ne fais pas partie des gens qui se disent je n'arrive plus à acheter du lait en poudre ou on passe à un repas par jour parce qu'on n'a pas les moyens d'en manger trois Il y a ces situations-là qui sont là de plus en plus. On est attaché ici, on a envie de faire notre vie ici, mais on peut aller partout et on peut partir du jour au lendemain. Donc on n'a pas le droit de se plaindre. Enfin si, on a le droit de se plaindre. Tout le monde a le droit de se plaindre. Mais ça va quoi. Ça va.

  • Manon

    Tu m'as parlé également avant tout ça de ton rapport aux doutes, ce que tu peux développer.

  • David

    Ça c'est vraiment aussi un truc que j'ai coutume de dire, c'est qu'il faut absolument travailler pour fissurer ces certitudes, quelles qu'elles soient, quiconque soit. Avec le Radio Forum, on va partir directement sur un exemple concret. Donc le Radio Forum, c'est tout simplement, on pose un micro sur une table, des chaises, en plein milieu d'un endroit où il y a du monde. Notamment en ce moment, on le fait au marché de Rivière-Salée. Et c'est de créer donc des conversations et des rencontres. improbable et de provoquer, de faire se rencontrer des gens qui se rencontreront jamais dans... Voilà, ils savent que chacun existe, mais ils se sont jamais parlé et ils ont beaucoup de stéréotypes et de préjugés sur la personne quelle qu'elle soit. Le jeune lycéen il va se dire ah oui le vieux retraité caldoche il est comme ça, le vieux retraité caldoche il dit ah oui mais le mec de la tribu lui il est comme ça Avec ce radioforum on les fait se rencontrer, on les fait discuter et quand ils repartent de là, même s'ils ont discuté que 5 minutes ou 10 minutes ou voilà... ils repartent de là avec leurs certitudes qui sont fissurées. Les certitudes, ça crée des extrêmes. Quand on est sûr de soi, on devient extrémiste parce que la vérité est simple et facile. Quand tu commences à douter, et quand tu commences à vouloir comprendre que c'est peut-être plus complexe que ce que tu as imaginé, ça ne te permet plus d'avoir des certitudes, ça te permet plus de te poser des questions, d'être curieux de l'autre, et ça, ça ramène vers un centre modéré où on se parle et où on s'écoute.

  • Manon

    C'était un mot pour la fin. Et qu'est-ce que tu as à dire aux gens qui se sentent comme toi ?

  • David

    Les gens qui se sentent comme moi, c'est-à-dire que c'est les gens qui se sentent un petit peu lucides par rapport à la situation grave qu'on traverse, mais qui ont envie de continuer à pédaler dans la semoule pour provoquer des choses positives et potentiellement... Offrir un tapis d'amortissage à la situation. Ces gens-là, ce que j'ai envie de leur dire, c'est continuez à pédaler dans la semoule, rejoignez-vous, rejoignons-nous, parce que plein plein de choses en ce moment, les gens qui écoutent ça et qui se disent qu'ils se sentent inutiles sur leur canapé et qu'ils n'osent pas faire des choses, etc. et qui finissent leur journée un peu en dépression, ou qui ont peur parce qu'on leur dit que c'est dangereux, et que si, et que ça, qu'ils ne veulent pas aller à la rivière salée, parce que, oulala, mon dieu, la route, et bien... Venez, sortez petit à petit, allez parler à votre voisin, sortez de chez vous. La réalité, elle est terrible, mais le fait de se rencontrer entre gens qui font des choses, ça fait vraiment du bien et on lance des choses. Et là, il y a plein de petits événements, plein de petites choses que ces gens-là peuvent rejoindre.

  • Manon

    En tout cas, un tout grand merci, David, d'être venu partager ton histoire à mon micro.

  • David

    Merci à toi surtout de faire ça, parce qu'il faut créer des temps de parole. C'est important. Et puis vraiment partir du principe que tout le monde. à des choses à dire à partir du moment où on a quelqu'un qui facilite leur parole. Donc il faut donner la parole à tout le monde et prendre le temps qu'il faut pour les écouter.

  • Manon

    Merci beaucoup.

  • David

    Merci à toi.

  • Manon

    Merci d'avoir partagé avec nous ce moment, de nous avoir écouté tout au long de ces récits. À très bientôt pour un nouvel épisode de J'écoutume de dire, où d'autres voix et d'autres histoires viendront nous donner envie de nous réinventer et de réfléchir sur l'avenir. À très vite !

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