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Je suis migrant·e

Calais, entre les lignes

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42min |17/06/2025
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Description

Médiatisée au moment de la Jungle en 2016, la ville de Calais est depuis sortie des radars médiatiques. Pourtant certain·e·s ont fait le choix de ne pas détourner le regard de la frontière franco-britannique qui tue toujours un peu plus ; de garder les yeux rivés sur la Manche, cette mer qui avale les candidat·e·s à l ‘exil. L’association Utopia56 s’est engagée, le long du littoral, au plus près de ces traversées périlleuses.

Que se passe-t-il réellement à Calais ? Nous avons voulu comprendre – entre les lignes - la situation d’impasse actuelle et les enjeux migratoires qui s’y jouent…


Avec l’équipe Utopia56 : Angèle et Laura, coordinatrices Calais ; Salomé, coordinatrice Grande-Synthe ; Adèle, Simon et Clément, bénévoles.

Un épisode commenté par Olivier Clochard, Géographe, chargé de recherche au CNRS et directeur de Migrinter.



📖 SOURCES :

🎵 MUSIQUES :

  • Khandahar - The Calais Sessions

  • A Fortnight - Jamie Ross Breiwick, John Christensen, Jerry Gruvis, Jordan Spencer Lee

  • Just Feels Right - Nicolas Phillimore Dagnall, Vance Westlake


🎙️ LECTURE :

  • Océane Claveau


🎧 Ré-écoutez nos précédents épisodes


Pour nous contacter : jesuismigrant@protonmail.com | Instagram : jesuismigrant.podcast


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    3,6% de la population mondiale n'habite pas dans son pays de naissance. De ce chiffre est née notre envie de raconter les histoires des migrations qui forgent cette réalité. Les parcours de celles et ceux qui souffrent de n'être que des statistiques. Je suis migrant leur rend la parole.

  • Speaker #1

    Si la Terre a des frontières, les rêves des migrants n'en auront jamais. Souleymane Boel

  • Speaker #2

    En fait, je trouvais ça dingue que des personnes risquent leur vie pour essayer d'atteindre un territoire.

  • Speaker #0

    Je suis migrant, épisode 5, calé entre les lignes.

  • Speaker #2

    On fait de l'accueil par le trottoir pour des personnes qui, en fait, juste fuient d'autres choses et je pense que ce serait complètement récidant leur pays si vous avez pu avoir le choix. Je ne comprends pas comment on laisse des gens mourir. Je me sens un peu responsable quand même. C'est littéralement chez moi que ça se passe.

  • Speaker #0

    Ces quelques phrases de Salomé, coordinatrice Utopia 56 Grande Sainte, résument bien les interrogations qui nous ont menées à Calais. Nous avons eu envie de comprendre ce qui se passe dans cette ville frontière et appréhender la réalité des traversées en suivant l'engagement d'Utopia 56 au plus près de cette barrière maritime. Ces deux antennes de Calais et Grande Sainte sont les seules structures associatives du coin qui reçoivent directement les appels de détresse en mer et organisent conjointement les maraudes nocturnes dites du littoral. Dans cet épisode, vous n'entendrez pas directement le récit des personnes en exil, mais derrière toutes les voix que vous allez entendre, ce sont bien sûr d'elles que nous parlons, de leur détermination à franchir cette ligne invisible, mais pourtant bien mortelle.

  • Speaker #3

    Depuis... La fermesure et le démantèlement de la Grande Jungle en 2016, qui a atteint 10 000 personnes. Les personnes exilées sont repoussées hors du centre-ville de Calais et invisibilisées par une politique qui s'appelle « lutte contre les points de fixation » , ce que nous, on va appeler des décampements ou des lieux de vie de ces personnes-là. Le terme « jungle » , c'est un mot qui est employé par les personnes elles-mêmes pour décrire leur endroit, parce que ça veut dire « forêt » dans certaines langues. Les personnes s'installent dans des petits campements informels. sous tente quand elles réussissent à avoir des tentes, dans les petits espaces verts qui restent aux alentours de Calais. Donc très loin des points de distribution de l'État, très loin de l'aide qui peut être apportée dans Calais. Donc c'est assez compliqué pour elles d'avoir accès à une aide humanitaire ou en tout cas une aide de première urgence de qualité. Et ça va être aussi des squats. Des bâtiments abandonnés qui sont squattés, il y en a notamment un en ce moment depuis à peu près un an, où il y a plus ou moins 300 personnes à l'intérieur, dans un hangar. Ça passe aussi par un espace urbain qui est rendu le plus hostile possible, avec notamment des rochers qui ont été installés cet hiver, par exemple, sur les quais du centre-ville, dans des petits parcs du centre-ville, avec plus de 3000 tonnes de rochers qui ont été déversés par la mairie pour empêcher l'installation des tentes, dans les lieux visibles notamment. Ça passe surtout par un climat de contrôle policier super fréquent, d'arrestation arbitraire, d'obéissance et d'éviction toutes les 48 heures. Donc avec un cordon de CRS et une entreprise de nettoyage qui vient expulser les personnes de leur tente, récupérer ces tentes et les effets personnels des gens. N'importe qui qui est venu il y a longtemps le dira que c'est de plus en plus dur pour les gens d'habiter à Calais. de survivre sur les campements, etc., avec un rythme d'expulsion qui est phénoménal. Il y a tout qui est fait pour les empêcher d'habiter ici, de rester à la frontière.

  • Speaker #0

    Grande-Synthe connaît le même phénomène d'éloignement des personnes exilées.

  • Speaker #2

    Petit à petit, le campement n'est même plus dans la commune de Grande-Synthe. Les personnes ont été vraiment poussées à l'extérieur dans une nouvelle commune qui s'appelle Loun-Plage.

  • Speaker #0

    Salomé, coordinatrice Utopia 56 Grande-Synthe.

  • Speaker #2

    Les personnes vont rester ici par organisation et parce qu'il y a énormément d'associations. C'est là où les personnes peuvent avoir accès à ne serait-ce qu'une tente, une couverture et un repas de midi. Il n'y a absolument pas d'accueil de jour. Les personnes restent en errance jour comme nuit dans les champs à côté de la départementale de Lounes-Plage et dans la boue ou dans les forêts. Ici à Grande-Synthe, il n'y a aucune action du département pour les mineurs qui sont présents sur le camp. pour les identifier, pour... leur présenter leurs droits et pour les mettre à l'abri. Pour un petit exemple, là en novembre 2025 doit commencer la construction d'un centre de rétention administrative sur la commune de Lounes-Plage. Mais par contre un foyer ou un hôtel d'hébergement, il n'y a pas les moyens.

  • Speaker #3

    Le nombre de populations exilées qu'il peut y avoir à Calais, ça se trouve entre 400 et 800 personnes. avec beaucoup de femmes, seules, isolées, avec des enfants et des familles aussi. Et la population varie au rythme des fenêtres météo et des passages dans la Manche. En une nuit, on peut passer de 800 personnes à 400 personnes facilement.

  • Speaker #2

    En ce moment, par exemple, il y a environ 700-800 personnes. Et l'été 2024, on était à 1200 personnes sur Grand Sainte. Et que ce soit hommes, femmes, enfants, familles, bébés, mineurs non accompagnés, tout le monde est un peu sur les mêmes lieux de vie.

  • Speaker #3

    Il y a beaucoup de Soudanais, beaucoup de personnes afghanes aussi, des personnes syriennes. Je pense que ça, c'est les trois nationalités les plus représentées. Il y a beaucoup de Koweïtiens, notamment de la communauté bidoune. Et après, il y a plein de petits lieux de vie dans lesquels vivent des personnes érythréennes, somaliennes. et éthiopiennes. Il y a un peu moins en ce moment de personnes iraniennes, mais c'est quand même très régulier.

  • Speaker #2

    On a aussi pas mal de personnes vietnamiennes à Grande-Synthe.

  • Speaker #3

    L'hiver, ça va être le moment où il y a moins de fenêtres météo. Les personnes qui passent en bateau, elles peuvent passer deux à trois semaines sous détente jusqu'à ce qu'elles réussissent le passage. L'été, il y a des personnes qui passent une journée. qui arrivent en train et qui repartent en bateau le lendemain et qui réussissent la traversée. Il y a des communautés qui vont arriver à mettre en place des réseaux infrafamiliaux ou en tout cas de leur côté pour récolter l'argent nécessaire pour passer en bateau. Là où il y a des communautés qui ont moins de chance, moins de moyens, notamment la communauté soudanaise, et qui va du coup se tourner sur des solutions qui sont moins chères et qui vont être le passage en camion. C'est un moyen de passage qui est très très long et très très difficile à entreprendre. Donc il y a des personnes qui peuvent passer parfois un an à Calais jusqu'à ce qu'elles réussissent le passage en camion. À l'époque, les deux poques de la Grande Jungle et même avant, tout le monde tentait en camion. Sauf qu'il y a eu énormément de moyens de sécurisation qui ont été mis en place, ce qui rend le passage de plus en plus dur. Et donc, au fur et à mesure, les gens se sont tournés vers des passages en bateau. Et donc maintenant, c'est le moyen de traverser principal, même si... Ces passages en camion sont toujours existants. C'est hyper difficile de donner un chiffre parce que ce sont des personnes qui ne sont pas trouvées une fois qu'elles arrivent en Angleterre, contrairement aux personnes en bateau.

  • Speaker #0

    Mais revenons justement un peu en arrière sur la construction de cette frontière franco-britannique et de son hyper-sécurisation progressive.

  • Speaker #4

    Cette frontière à Calais, du moins cette frontière migratoire, a été construite par... des ententes bilatérales entre la France et le Royaume-Uni, et avec des soutiens aussi de l'Union européenne.

  • Speaker #0

    Olivier Clochard, géographe, chargé de recherche au CNRS et directeur de MigrinTerre.

  • Speaker #4

    Un des premiers accords qui ont été mis en place, c'est avec le projet d'ouverture du tunnel sous la Manche, et notamment avec l'accord de Sangatte de 1991, qui répondait à une situation inédite. l'accès au territoire britannique via la lévion ferroviaire Transmanche, notamment celle de l'Eurostar, mais pas que, parce que ça concernait aussi les marchandises. Et donc l'idée, c'était de rationaliser les contrôles frontaliers de part et d'autre de la Manche pour fluidifier aussi bien les trafics des marchandises que les trafics des voyageurs. Avec l'arrivée du ferroviaire, on voit qu'il y a des passages irréguliers qui se mettent en place. et de plus en plus loin, depuis les gares qui relient Londres à Paris ou à Lille, voire à Bruxelles, etc. Et puis, on va avoir aussi un étalement de ces passages face aux contrôles qui se mettent en place, aussi bien au niveau du terminal Transmange qu'au sein du port de Calais. On va avoir des contrôles qui vont se mettre en place. vers Dunkerque, Le Havre, Ouistreham, près de Caen, voire Cherbourg. C'est vraiment un des premiers éléments de l'externalisation des contrôles migratoires que le Royaume-Uni met en place sur le territoire français. Et donc il demande aux autorités françaises d'assurer un contrôle de plus en plus important. pour tenter de freiner les tentatives irrégulières des personnes qui tentent de gagner l'Angleterre.

  • Speaker #0

    Ce sont les accords du Touquet, signés en 2003, qui permettent à la fois cette délocalisation des contrôles dans un plus grand nombre de points de passage, mais aussi des contrôles frontaliers britanniques directement sur le territoire français. Par exemple, pour chaque passager clandestin intercepté dans un camion français, Les autorités britanniques verbalisent lourdement les transporteurs et les chauffeurs. La sanction, une amende récemment passée de 2 000 à plus de 12 000 euros, pousse les chauffeurs à s'en prendre violemment aux personnes exilées. Et les moyens de contrôle se font toujours plus innovants et performants.

  • Speaker #4

    On va avoir de nouvelles technologies qui vont se mettre en place, ça va être des détecteurs de rythme cardiaque. des recours à des chiens renifleurs dans les premiers temps, on va avoir des scanners qui vont être déployés par les Français, mais aussi par l'armée britannique, pour contrôler les camions de transport de marchandises, on va avoir des doublements, voire des triplements de clôtures autour des zones portuaires et ferroviaires, dont là aussi, certaines sont parfois offertes par la Grande-Bretagne, et on va avoir aussi la mise en place de plusieurs centaines. de caméras fixes et mobiles, de vidéosurveillance dans les zones urbaines, mais aussi dans les zones littorales, avec des drones.

  • Speaker #2

    J'aime pas trop parler d'inaction de l'État parce qu'en fait, l'État fait beaucoup. Ils englent tout sur la sécurité et j'entends beaucoup de personnes, notamment des hébergeurs qui sont originaires d'ici, qui ne comprennent pas comment le paysage a autant changé. C'est hyper violent en fait. Moi, je vois déjà en deux ans ce que ça a changé. Il n'y avait pas de barbelés il y a deux ans à Grande-Synthe, il n'y avait pas de clôture. toutes les barrières qu'il y a.

  • Speaker #4

    Il y avait notamment Pierre Bonneval qui a fourni un rapport pour la plateforme de soutien aux migrants, la PSM, en 2022, qui avait estimé 1,3 milliard d'euros sur la période de 1998 à 2021 pour des investissements sécuritaires. C'est un chiffre assez disproportionné au regard des besoins humanitaires nécessaires auprès des personnes qui sont en transit. dans la région de Calais, mais aussi dans d'autres ports de la Manche.

  • Speaker #3

    C'est un endroit où on sait que les personnes traversent. Elles n'occupent pas l'espace, elles sont en mouvement perpétuel, elles vont traverser, elles sont là pour traverser la Manche. C'est ça qui change avec... Une ville, par exemple Paris, où il y a beaucoup de populations exilées en attente d'asile ou en attente de statut, qui dort à la rue aussi, mais qui par contre s'installe, s'implante dans cette ville-là. C'est soit des personnes qui sont à la fin de leur route de migration, qui sont à 30 kilomètres de leur arrivée. Donc c'est des personnes qui ont envie de traverser et qui ont encore l'énergie de faire cette traversée-là. mais qui sont quand même très très fatigués de tout le parcours qu'ils ont vécu avant. C'est assez ambivalent de voir qu'on est à 30 kilomètres, mais c'est très très difficile de traverser cette frontière, donc c'est assez difficile pour elles psychologiquement.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui motive ces personnes à poursuivre leur chemin ? Pourquoi cette attractivité du Royaume-Uni ? Nous avons posé la question à Olivier Clochard.

  • Speaker #4

    Parfois parce que les gens pratiquent la langue. et ça leur semble plus facile pour pouvoir trouver un emploi, pour pouvoir s'intégrer dans un pays, parfois parce que les gens ont des liens familiaux ou amicaux. Donc là, on parle effectivement de filières migratoires. Et puis après, on peut avoir aussi des raisons qui sont entretenues par la situation calaisienne. on va avoir des... des réseaux de passeurs qui vont entretenir l'idée qu'en Angleterre, ce sera beaucoup plus facile et que la situation sociale et économique sera bien meilleure qu'à Calais.

  • Speaker #3

    Et après, il y a le deuxième type de personnes qui vont être des gens qui ont été déboutés du droit d'asile en Europe ou alors qui sont dublinés dans un pays dans lequel ils n'ont pas envie. de demander l'asile, donc à leurs empreintes dans ce pays-là, et qui du coup traversent pour échapper au système du Blin, puisqu'étant donné que le Royaume-Uni est sorti de l'Union européenne, ne dépend plus du même système d'asile. Et pour ces personnes-là, c'est encore un autre niveau de difficulté parce que c'est des gens qui ont eu l'espoir d'avoir un statut en Europe, de s'installer en Europe, et qui ne pensaient pas forcément à traverser la Manche à la base, et qui du coup se retrouvent à retenter un parcours d'exil après un premier parcours d'exil, à replonger dans une situation de rue pour certaines, à de nouveau faire face à la police et à des situations de frontières. Donc c'est un autre niveau de difficulté psy, je pense.

  • Speaker #2

    En une semaine, on a dû appeler 12 fois le 15 ou le 18 pour des personnes qui ne se sentaient pas bien sur le camp, qui décompensaient ou alors qui étaient complètement malades ou blessées. Ça crée d'énormes traumas. Il y a toute la violence, qu'elle soit du coup policière, mais qu'elle soit aussi institutionnelle, étatique, les habitants à côté parfois. Tout ça, en fait, c'est juste un environnement extrêmement violent. Les personnes sont tout le temps traumatisées et personne ne fait rien, mis à part les personnes solidaires d'ici.

  • Speaker #3

    En fait, il y a beaucoup, beaucoup d'incompréhension. Il y a des personnes qui se font démanteler leur campement le matin et le soir, qui se font empêcher la traversée de la Manche. Et en fait, ces personnes, elles nous disent, mais ils nous enlèvent notre tente, ils ne veulent pas qu'on reste là, mais ils nous empêchent aussi de partir. C'est un gros questionnement, une grosse problématique parce que les personnes ne comprennent pas et sont un peu déboussolées et surtout très en colère aussi contre l'État français qui fait ça.

  • Speaker #4

    Pour reprendre une expression notamment... qui avait été prononcée pour la première fois en 2012 par Theresa May, qui était alors secrétaire d'État à l'intérieur au niveau du Royaume-Uni, elle parlait de la création d'un environnement hostile. Aujourd'hui, les politiques d'asile et d'immigration de la France sont assez marquées par cette expression-là. Il y a des cabinets qui réfléchissent à une possibilité, par exemple sur Calais, de pouvoir mettre en place un dispositif discriminatoire, à savoir qu'on ferait monter une équipe. uniquement les personnes qui pourraient être en situation régulière dans les bus de la ville qui sont gratuits. Ce sont des choses qui sont pensées et qui montrent tout ce volet raciste des politiques qui aujourd'hui a l'œuvre sur le territoire français. Cet espace est devenu un non-respect des droits humains de par les arrestations qui se font de manière très régulière. des mesures d'enfermement successives et où les gens ne sont pas toujours informés de leurs droits. Les distributions de nourriture par les associations ou des collectifs parfois sont interdites et donc on est obligé d'en faire recours à la justice pour tenter, ne serait-ce que les gens puissent avoir accès à un point d'eau, ne puissent avoir accès à des... à de la nourriture. Il a fallu attendre une ordonnance en 2023 du Conseil d'État pour obliger la commune de Ouistreham et le ministère de l'Intérieur à mettre en place des dispositifs à l'eau potable, à l'eau courante, pour que les gens puissent prendre des douches. On voit qu'au fil des années, ce sont ancrés notamment dans les pratiques dans les pratiques administratives liées à l'hébergement d'urgence, le refus de mettre à l'abri des personnes étrangères parce que le seul fait qu'elle n'ait pas de papier. C'est une manière d'opérer qui va à l'encontre du principe d'égalité et d'inconditionnalité de l'accueil en France.

  • Speaker #2

    On n'a jamais eu autant de moyens déployés et autant d'argent injecté dans la sécurisation de la frontière et autant de personnes décédées à la frontière. Depuis le début de l'année, il y a 14 personnes qui ont perdu la vie.

  • Speaker #0

    Malheureusement, ce décompte des morts est déjà faux. Quelques semaines après notre enregistrement, on déplore 20 morts à la frontière. Et en 2024, le décompte macabre s'élève à 78 personnes qui ont péri en mer.

  • Speaker #2

    Bruno Retailleau a dit en novembre qu'il y avait beaucoup moins de bateaux qui passaient au Royaume-Uni et que c'était super. En effet, il y a moins de bateaux parce qu'il y a de plus en plus de personnes qui vont essayer au sein d'un même bateau. On constate en fait que les chiffres montent et que les personnes qui arrivent au UK entre 2023 et 2024 et maintenant, ça augmente.

  • Speaker #0

    Le Home Office du Royaume-Uni a enregistré environ 35 000 entrées sur son territoire par la Manche en 2024, soit 25% de plus qu'en 2023. Et depuis janvier 2025, nous en sommes quasiment à 15 000 entrées, un niveau jamais atteint aussi tôt dans l'année.

  • Speaker #4

    Ces discours de fermeture des frontières et emprunts de positions idéologiques qui ne correspondent absolument pas à la réalité, et on le voit bien effectivement que ces différents dispositifs qui ont pu être mis en place depuis près de 25 ans. n'empêche pas les gens de traverser. Les projets migratoires des personnes, les projets personnels, sont bien plus forts que ces dispositifs. Mettre en place de bonnes conditions d'accueil ne va pas conduire à ce qui est souvent décrié d'un appel d'air, mais ça va conduire plutôt à créer des conditions saines et acceptables. pour un État de droit comme la France.

  • Speaker #0

    Et pour pallier à tous ces manquements de l'État, mais aussi pour proposer une meilleure coordination citoyenne, que l'association Utopia 56 a été créée fin 2015. Dix ans plus tard, son action dans le Nord s'est largement étoffée.

  • Speaker #2

    Toutes les missions tournent grâce à l'équipe bénévole, qui sont à peu près une quinzaine par mois. Les personnes viennent pour au minimum quatre semaines. Et du coup, on a des missions 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et qui vont principalement être liées aux traversées. On a des missions de maraude de jour, où on va aller sur les lieux de vie, rencontrer les personnes, pouvoir les orienter, essayer de les faire accéder aux droits communs. On va faire beaucoup de réduction des risques, donc par exemple, quel numéro de secours appeler lorsqu'il se passe quelque chose à terre ou est-ce qu'il y a un problème sur une embarcation en mer. On va aussi expliquer des petits gestes réflexes. comment envoyer sa position GPS, comment regarder les vagues, comment mettre un gilet de sauvetage finalement pour essayer de rendre la traversée la moins dangereuse possible si je puis dire. Et ensuite on a un numéro de téléphone qui est une ligne ouverte 24 heures sur 24 et tenue par les bénévoles de jour et de nuit où les personnes nous contactent sur des sollicitations du coup liées au campement où ils ont des besoins d'information, besoin de de soins, de nourriture etc. Et ensuite beaucoup de personnes nous contactent depuis un bateau. ou depuis un camion, où nous on va un peu jouer le relais avec les secours compétents. Et beaucoup de personnes nous contactent aussi, notamment la nuit, sur la côte, proche des plages, lorsqu'ils ont essayé de traverser mais que ça n'a pas fonctionné, par groupe de parfois 40, 50, 70 personnes, qui parfois sont trempées.

  • Speaker #1

    Quels visages ont-ils dans la face de l'eau, dans l'ombre de l'oubli ? Ils voyagent dans le flot rapace de l'esclavage. Quel cœur ont-ils dans un temps rapiécé, dans les grilles de la mort ? Ils voyagent, ils meurent à la une des journaux. Quelle valeur ont-ils sur le marché des passeurs, dans le temps exploité ? Ils voyagent dans le visage du malheur. Quels noms ont-ils sur les murs de la mémoire, dans le silence des consciences ? Anonyme, ils s'embarquent. Anonyme, ils naviguent. Anonyme, ils se noient. Anonyme, il s'oublie. Pierre Goebel, anonyme.

  • Speaker #0

    Avec ses falaises, visibles à l'œil nu les jours de beau temps, la côte anglaise s'affiche comme un mirage, si proche et si souvent inaccessible.

  • Speaker #2

    Les personnes essayent de traverser depuis tout au nord vers la frontière belge jusqu'à sud du Touquet. Ça dure environ 6 à 8 heures lorsque les personnes partent de Calais. Et depuis quelques mois, voire un an ou deux, il y a pas mal de personnes qui essayent de partir depuis la baie de Somme, depuis Dieppe. Parce que du coup, il y a moins de présence policière pour le moment. Ça fait plus de 200 kilomètres, ce qui triple la durée.

  • Speaker #3

    Les personnes, en général, attendent dans des... zones de départ qui vont être des grandes dunes par exemple, des zones où il y a des bois, des territoires où les personnes peuvent se cacher pendant un certain temps, hors des villes, donc hors de Calais, de Boulogne, de Dunkerque, et attendent le moment où elles vont pouvoir monter dans le bateau ou être récupérées par un bateau qui arrive déjà en mer pour tenter la traversée. Et ça, le principal souci, entre guillemets, c'est la présence policière qui est... extrêmement accrue et qui s'accroît d'année en année, de mois en mois, qui rend la montée dans le bateau et le passage en bateau de plus en plus compliqués pour les personnes, de plus en plus violents surtout, et de plus en plus risqués.

  • Speaker #2

    Les départs risqueraient beaucoup dans la précipitation pour justement échapper aux forces de l'ordre. Les personnes, elles ne vont pas prendre le temps de bien gonfler le bateau, de bien mettre leur gilet de sauvetage quand elles en ont. Il y a beaucoup trop de monde pour ces embarcations. Du coup, il y a beaucoup de personnes qui essayent de monter dans le bateau, mais qui n'y arrivent pas. Et c'est là où d'ailleurs... se passe la plupart des accidents ?

  • Speaker #0

    Ces embarcations qui arrivent depuis la mer, on les appelle des taxiboats. Ils sont sous la loi maritime, donc la police n'a plus le droit de les intercepter ni de les arrêter.

  • Speaker #2

    Il y a des nuits où on va recevoir énormément d'appels de points de localisation en pleine mer. On va alerter le CROSS qui s'occupe des secours en mer dans les eaux françaises, ou alors les gardes-côtes côté anglais. On essaye d'obtenir une localisation de la part des personnes et d'avoir des informations sur est-ce qu'il y a quelqu'un à l'eau, est-ce qu'il y a un problème avec le bateau, est-ce que vous avez des gilets de sauvetage, combien il y a de personnes, pour essayer de donner le maximum d'informations au CROSS et qui puisse... après envoyer les moyens adaptés. On leur demande toujours s'ils ont déjà appelé le 112 et les secours et s'ils peuvent essayer de le faire eux-mêmes parce que du coup ça enlève un intermédiaire. C'est si le 112 ne répond pas, si la communication est compliquée, qu'ils n'arrivent pas à parler en français ou en anglais et que du coup ils nous envoient des messages traduits. Une fois qu'on a alerté le CROSS, on fait des petits suivis des situations et si la situation s'empire, on rappelle. Et on essaye de garder le lien avec les personnes pour, si jamais ça ne va pas, leur dire qu'on a prévenu et qu'on espère que les secours vont arriver. Mais on n'a jamais de certitude.

  • Speaker #3

    On en a reçu 18 dans la nuit de lundi à mardi. C'est beaucoup. Je pense que c'est la première fois qu'on en reçoit autant. Mais c'est aussi parce qu'il y a 12 bateaux qui ont traversé cette nuit-là.

  • Speaker #2

    Les nuits où nous, on est débordés, souvent le cross l'est aussi. Il n'y a pas du tout assez de moyens de secours déployés et les équipes ne sont pas forcément formées sur ce qu'on appelle le secours de masse. Mais généralement, les alertes sont prises en compte. Donc ça, c'est rassurant.

  • Speaker #5

    Leurs moyens de sauvetage ne sont pas assez adaptés à la Manche et à ce qui s'y passe, notamment parce que les risques de traversée ne sont plus les mêmes qu'ils l'étaient il y a encore deux ans, où la plupart des drames et des grandes problématiques étaient... Au large.

  • Speaker #0

    Laura, coordinatrice Utopia 56 Calais.

  • Speaker #5

    Et maintenant, ça se passe très très proche de la côte. Donc très peu profond. Et le fait que ce soit très peu profond fait que les gros bateaux n'arrivent pas à se rapprocher assez. Ou qu'ils prennent plus de temps. Parce qu'ils ont trop des fonds de cales profonds.

  • Speaker #2

    Du coup, il y a pas mal de personnes dont la traversée n'a pas fonctionné à quelques centaines de mètres des côtes et qui du coup vont revenir à la nage. Et c'est pour ça aussi que la plupart sont trempés.

  • Speaker #5

    C'est hyper, hyper dangereux, notamment pour les personnes qui reviennent de tentatives ratées et qui sont complètement à pied sur la côte et qui remontent au camp de Grande-Synthe, donc à Lune-Plage. Le plus simple, souvent, c'est de marcher sur l'autoroute. Les gens sont épuisés, viennent de passer des jours dans les dunes, n'ont pas été pris en charge, par exemple, à un retour au port, etc. Ils marchent sur l'autoroute et se font heurter par une voiture, un camion.

  • Speaker #2

    Sinon, celles qui ont été secourues en mer, on va les trouver dans les ports de Boulogne, Calais ou Dunkerque. Il y a toujours une ambulance, un camion de la police aux frontières, des arrestations. Et les personnes sont toujours trempées, n'ont pas eu à manger, n'ont pas vu de médecin, n'ont pas vu de médecin pour la santé physique, mais aussi pour la santé mentale.

  • Speaker #0

    La maraude du littoral intervient toute la nuit pour aller à la rencontre de ces naufragés. L'association appelle ces tentatives des « trailles » . Nous retrouvons deux bénévoles en mission au petit matin, sous une pluie battante à Sangatte, une commune au nom familier. C'est là que, de 1999 à 2002, était installé un hangar pour les personnes en exil. Cette structure d'accueil qui a vu passer 70 000 personnes en trois ans, a finalement été fermée par Nicolas Sarkozy. Cette nuit-là, l'équipe d'Astreinte avait anticipé de traverser, car les conditions météo étaient favorables.

  • Speaker #6

    Ce qu'on appelle fenêtre ouverte, c'est quand on considère qu'il y a des conditions météorologiques avec lesquelles les personnes peuvent traverser.

  • Speaker #0

    Adèle, bénévole Utopia 56.

  • Speaker #6

    On considère qu'au-dessus de 10 nœuds de vent, Et de 0,5 m de vague, ça devient très dangereux de traverser. 0,5 m, puisque c'est à peu près la taille des boudins qui sont sur le small boat. Donc au-dessus, l'eau rentre dans le small boat. Et on regarde aussi la marée, si elle est haute ou basse, puisqu'il y a des endroits où quand la marée est basse, l'eau est à 2 km de la plage. Donc c'est des distances qui sont très longues à traverser. Donc les personnes vont préférer partir en marée haute.

  • Speaker #0

    Et de fait ? L'équipe de Calais a reçu cette nuit-là un appel de détresse. Eux peuvent nous tenir au courant s'ils ont des informations pour dire dans telle zone, il y a un départ qui se prépare, il y a un retour de travail. Et du coup, nous, on est mobile, on peut se déplacer un peu tout le long de la côte. Donc, on peut au mieux, du mieux possible intervenir sur les lieux qui le nécessitent.

  • Speaker #1

    Simon, bénévole Utopia 56.

  • Speaker #0

    Et on a aussi du coup des outils, notamment Vessel Finder. et Marine Trafic qui sont des applications site internet qui répertorie les bateaux parce que du coup quand des personnes exilées partent en mer, elles peuvent être accompagnées par le CROSS donc les gares de côte qui peuvent les accompagner jusqu'aux côtes anglaises ou les ramener parfois au port de Calais. Et du coup en fonction du positionnement, de la vitesse des différents bateaux on peut euh... devinés, suspectés d'avoir telle ou telle situation. Ensuite on essaie de confirmer en se rendant sur place, en communiquant avec les autres équipes pour essayer d'être le plus réactif pour aider les personnes qui sont de retour sur les côtes françaises.

  • Speaker #2

    On essaie de comprendre ce qui s'est passé. Généralement les personnes nous disent direct « la police a gazé, la police a coupé le bateau » et du coup là on essaie d'avoir le maximum d'informations pour essayer nous derrière d'agir. et de leur dire que c'est pas normal et qu'ils n'ont pas à vivre ça.

  • Speaker #0

    On essaye de voir déjà eux leurs besoins. La priorité souvent c'est s'ils sont encore mouillés, donc de leur apporter des vêtements secs déjà. Après on a du gâteau, des thés pour les réconforter et leur redonner un peu d'énergie.

  • Speaker #2

    Les personnes nous demandent un hébergement parce que parfois il est 2h du matin, ils sont à plus de 6h à pied de leur lieu de vie. Le 115, tous les foyers sont saturés, il n'y a pas de mise à l'abri possible. Et du coup, là, on va essayer de faire pression sur les autorités pour des ouvertures de gymnases, pour quelques heures, des ouvertures de salles. Ça, ça ne marche quasiment jamais. Mais on essaye quand même et on essaye d'expliquer au mieux aux personnes et si elles ont envie d'attendre et si on les a envie qu'on lance tout ça, on le fait.

  • Speaker #0

    Et après, il y a tout un tissu associatif où on essaie de les rediriger s'ils ont besoin de logement. Il y a une assez bonne coordination entre les différentes associations. Sur Calais et alentour, il y a des logements d'urgence, des logements spécialisés pour les mineurs non accompagnés, mais qui peuvent être assez vite remplis. En dernier recours, en tout cas, ce qu'on essaye, c'est au moins de fournir des tentes et des couvertures. Mais même ça, on n'a pas des stocks illimités non plus, donc on priorise certaines situations par rapport à d'autres.

  • Speaker #2

    Le but, c'est aussi juste de discuter, d'être là en soutien et que si les personnes ont envie de parler, on soit là. et parfois les personnes elles sont juste fatiguées et énervées, traumatisées et du coup on est là. Il y a des personnes qu'on croise plusieurs fois dans la même semaine sur les mêmes plages et d'autres où on s'est connu juste le temps d'une heure, une nuit et voilà. On est souvent accusé... de complicité avec les réseaux de passage ou même d'aide au passage complètement. On se fait extrêmement contrôler, on est suivi parfois quand on est sur le littoral. Il y a beaucoup de contrôles qui sont plus ou moins intimidants envers nos équipes bénévoles. On a donné par exemple nos plaques de voiture, on a des stickers sur notre voiture, on a des chasubles. Et pour autant, ils fouillent tout le coffre, ils nous demandent de sortir. Ils essayent de nous immobiliser par moments.

  • Speaker #3

    Il y a des policiers qui sont vraiment... Ils m'ont persuadée que ce qu'on fait, c'est mal, qu'ils ne connaissent pas du tout le terrain, qu'ils nous demandent si on a de l'essence, des bateaux dans nos véhicules et qu'ils vont nous demander de partir, nous demander de ne pas filmer alors qu'on a le droit de filmer la police.

  • Speaker #2

    On est quand même témoins, nous, de beaucoup, beaucoup de violences policières et ils savent qu'on est là, qu'on documente, qu'on regarde et qu'on essaye de relayer.

  • Speaker #3

    On note les plaques, ce qui nous permet après de pouvoir comparer avec des situations qu'on reçoit ou des témoignages de personnes qui nous disent qu'elles ont reçu des violences policières, de savoir quel corps était présent à ce moment-là.

  • Speaker #2

    Et à côté, il y a parfois des agents de police qui viennent et qui nous appellent, qui nous disent « oui, il y a une famille qui est trempée, il faut que vous veniez l'aider, etc. » Du coup, c'est un rapport assez ambigu. Évidemment que la police, sa mission n'est pas de rhabiller les personnes, mais c'est d'activer la protection civile via la préfecture pour rhabiller les personnes, pour éviter les risques d'hypothermie, etc.

  • Speaker #4

    On se retrouve souvent à faire une position d'intermédiaire entre les gens et les services étatiques. Alors avec la mairie de Calais, c'est extrêmement compliqué, il n'y en a pas de rapport, mais ça, c'est pas que Utopia, c'est toutes les assos. Et ça, c'est pareil avec toutes les mairies du littoral. On fait un travail de mise en relation avec les mairies du littoral parce qu'elles ont un pouvoir d'agir, notamment pour la prise en charge des personnes en tentative de passage ratée. Et c'est aussi super compliqué parce qu'il y a aussi la préfecture qui... a envie de garder un étau dessus, un regard sur ce qui se passe. La préfecture du Pas-de-Calais bloque énormément nos demandes. Donc c'est très compliqué de rentrer en contact et d'instaurer un lien, juste professionnel.

  • Speaker #2

    Ça fait des années que ça dure. Et vu que tout est fait pour invisibiliser les personnes, et il n'y a aucune vraie information. qui est donnée aux habitants et habitantes aussi. Il y en a beaucoup qui ne se saisissent pas de cet enjeu-là ou qui, en fait, ne comprennent même pas trop ce qui se passe ici. Et vu qu'on martèle l'information que les personnes exilées sont des personnes dangereuses, que ça crée de l'insalubrité, que ça crée de l'insécurité, j'entends que ce discours marche et qu'il soit pris en compte. Ce qui est important, c'est justement d'essayer d'informer et d'expliquer. et de raconter pourquoi les personnes sont là et pourquoi est-ce qu'elles doivent partir, ou veulent, mais souvent c'est qu'elles doivent partir. Quand on essaye d'organiser des réunions publiques, par exemple, pour informer, ou quand on essaye de faire tout ça, c'est souvent la mairie ou la préfecture qui bloquent et qui ne nous autorisent pas d'ouvrir des salles. Et en même temps, par exemple, quand on fait des collectes alimentaires et qu'on explique le travail qu'on fait, il y a quand même beaucoup de soutien et de messages de force, donc ça c'est rassurant, ça fait du bien.

  • Speaker #4

    Il y a un gros travail étatique. qui a travaillé avec les médias, en tout cas symboliquement et en termes de représentation. Il y a eu un énorme travail de fait pour que les gens oublient la situation à Calais et une image de... En fait, c'est une frontière, mais il n'y a plus personne qui essaye de la franchir. C'est très difficile de la déconstruire, cette image, quand elle a été mise dans le crâne de tous les Français et Françaises pendant dix ans.

  • Speaker #2

    Il y a des personnes qui arrivent carrément à aller sur la plage le dimanche et à profiter. Moi, je crois qu'à chaque plage, j'ai une situation en tête qui me revient et j'ai du mal.

  • Speaker #4

    Je ne sais pas si on s'habitue, on intériorise au fur et à mesure. Il y a des situations qui nous touchent de moins en moins, ou au contraire, qui vont de plus en plus nous toucher, etc. Parce qu'on les voit tout le temps. Je pense qu'il faut arriver à garder... en tête que c'est pas normal.

  • Speaker #1

    Comment faire face, à titre personnel, à ces situations d'extrême précarité et de grande détresse au quotidien ? Comment ne pas sombrer dans la colère ou dans l'abattement ? Chacun, chacune, trouve son propre ressort parmi les ressources psy, les groupes de parole et les vacances obligatoires tous les deux mois chez Utopia 56. Mais tout semble surtout s'articuler autour du collectif.

  • Speaker #4

    On arrive dans cette bulle militante associative qui fait qu'on a envie de s'investir plus. C'est un territoire où il y a énormément d'initiatives de mise en commun de la lutte et de comment on arrive à travailler ensemble malgré nos différences associatives, de positionnement et à unir nos liens pour aider au mieux ces personnes tout en réfléchissant sur notre positionnement militant, notre positionnement de sauveur ou entre guillemets.

  • Speaker #2

    C'est important de se replacer et de se dire que dans tous les cas, quoi qu'il arrive, on n'est que en soutien. Et qu'en fait, les personnes sont arrivées jusqu'ici sans nous. Se dire que, ouais, juste on n'est pas indispensable et qu'on fait de notre mieux. Mais que dans tous les cas, il y aura toujours plus à faire. C'est jamais fini. Je pleure beaucoup moins depuis que je suis ici et je rigole. Tout est ultra intense, que ce soit le terrain, la violence, mais du coup aussi les amitiés qu'on crée. Ce collectif-là fait vivre aussi plein d'espoir, plein de partage d'expériences, de pratiques, de luttes politiques aussi en général. Et du coup, ça redonne beaucoup de force.

  • Speaker #4

    Notre situation est absolument incomparable à celle des personnes qui vivent dans les campements et qui tentent de la traverser. Et c'est des personnes qui gardent l'envie ou en tout cas la force de traverser et de continuer à... à lutter intérieurement pour leur situation. Ça donne de la motivation pour continuer à travailler.

  • Speaker #5

    Il y a aussi beaucoup de moments de joie, de sourire, de partage qu'on peut expérimenter avec les gens sur leur campagne, malgré les conditions de vie, etc.

  • Speaker #1

    Clément, bénévole Utopia 56.

  • Speaker #5

    Généralement, c'est nous qui arrivons, qui proposons de l'eau. Mais ça m'est arrivé plusieurs fois que les gens, au contraire, ils nous accueillent, ils nous proposent du thé à nous. C'est un peu un renversement du rapport qu'on a habituellement. Mais en même temps, c'est... très normal parce qu'on se déplace chez les gens, même s'ils vivent de manière très informelle. On se déplace chez eux et ils nous accueillent comme tel,

  • Speaker #6

    avec le sourire.

  • Speaker #1

    La musique que vous écoutez

  • Speaker #6

    a été créée et enregistrée dans la jungle de Calais en 2016 avec des musiciens exilés et anglais sur les paroles de deux jeunes sœurs afghanes de 9 et 12 ans.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter Je suis migrant, une série documentaire indépendante. Merci à Angèle, Salomé, Laura, Adèle, Simon et Clément de l'équipe Utopia 56, Calais et Grande-Synthe d'avoir partagé avec nous leur expérience militante et solidaire. Merci également à Olivier Clochard. Et merci à vous pour votre écoute.

Description

Médiatisée au moment de la Jungle en 2016, la ville de Calais est depuis sortie des radars médiatiques. Pourtant certain·e·s ont fait le choix de ne pas détourner le regard de la frontière franco-britannique qui tue toujours un peu plus ; de garder les yeux rivés sur la Manche, cette mer qui avale les candidat·e·s à l ‘exil. L’association Utopia56 s’est engagée, le long du littoral, au plus près de ces traversées périlleuses.

Que se passe-t-il réellement à Calais ? Nous avons voulu comprendre – entre les lignes - la situation d’impasse actuelle et les enjeux migratoires qui s’y jouent…


Avec l’équipe Utopia56 : Angèle et Laura, coordinatrices Calais ; Salomé, coordinatrice Grande-Synthe ; Adèle, Simon et Clément, bénévoles.

Un épisode commenté par Olivier Clochard, Géographe, chargé de recherche au CNRS et directeur de Migrinter.



📖 SOURCES :

🎵 MUSIQUES :

  • Khandahar - The Calais Sessions

  • A Fortnight - Jamie Ross Breiwick, John Christensen, Jerry Gruvis, Jordan Spencer Lee

  • Just Feels Right - Nicolas Phillimore Dagnall, Vance Westlake


🎙️ LECTURE :

  • Océane Claveau


🎧 Ré-écoutez nos précédents épisodes


Pour nous contacter : jesuismigrant@protonmail.com | Instagram : jesuismigrant.podcast


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    3,6% de la population mondiale n'habite pas dans son pays de naissance. De ce chiffre est née notre envie de raconter les histoires des migrations qui forgent cette réalité. Les parcours de celles et ceux qui souffrent de n'être que des statistiques. Je suis migrant leur rend la parole.

  • Speaker #1

    Si la Terre a des frontières, les rêves des migrants n'en auront jamais. Souleymane Boel

  • Speaker #2

    En fait, je trouvais ça dingue que des personnes risquent leur vie pour essayer d'atteindre un territoire.

  • Speaker #0

    Je suis migrant, épisode 5, calé entre les lignes.

  • Speaker #2

    On fait de l'accueil par le trottoir pour des personnes qui, en fait, juste fuient d'autres choses et je pense que ce serait complètement récidant leur pays si vous avez pu avoir le choix. Je ne comprends pas comment on laisse des gens mourir. Je me sens un peu responsable quand même. C'est littéralement chez moi que ça se passe.

  • Speaker #0

    Ces quelques phrases de Salomé, coordinatrice Utopia 56 Grande Sainte, résument bien les interrogations qui nous ont menées à Calais. Nous avons eu envie de comprendre ce qui se passe dans cette ville frontière et appréhender la réalité des traversées en suivant l'engagement d'Utopia 56 au plus près de cette barrière maritime. Ces deux antennes de Calais et Grande Sainte sont les seules structures associatives du coin qui reçoivent directement les appels de détresse en mer et organisent conjointement les maraudes nocturnes dites du littoral. Dans cet épisode, vous n'entendrez pas directement le récit des personnes en exil, mais derrière toutes les voix que vous allez entendre, ce sont bien sûr d'elles que nous parlons, de leur détermination à franchir cette ligne invisible, mais pourtant bien mortelle.

  • Speaker #3

    Depuis... La fermesure et le démantèlement de la Grande Jungle en 2016, qui a atteint 10 000 personnes. Les personnes exilées sont repoussées hors du centre-ville de Calais et invisibilisées par une politique qui s'appelle « lutte contre les points de fixation » , ce que nous, on va appeler des décampements ou des lieux de vie de ces personnes-là. Le terme « jungle » , c'est un mot qui est employé par les personnes elles-mêmes pour décrire leur endroit, parce que ça veut dire « forêt » dans certaines langues. Les personnes s'installent dans des petits campements informels. sous tente quand elles réussissent à avoir des tentes, dans les petits espaces verts qui restent aux alentours de Calais. Donc très loin des points de distribution de l'État, très loin de l'aide qui peut être apportée dans Calais. Donc c'est assez compliqué pour elles d'avoir accès à une aide humanitaire ou en tout cas une aide de première urgence de qualité. Et ça va être aussi des squats. Des bâtiments abandonnés qui sont squattés, il y en a notamment un en ce moment depuis à peu près un an, où il y a plus ou moins 300 personnes à l'intérieur, dans un hangar. Ça passe aussi par un espace urbain qui est rendu le plus hostile possible, avec notamment des rochers qui ont été installés cet hiver, par exemple, sur les quais du centre-ville, dans des petits parcs du centre-ville, avec plus de 3000 tonnes de rochers qui ont été déversés par la mairie pour empêcher l'installation des tentes, dans les lieux visibles notamment. Ça passe surtout par un climat de contrôle policier super fréquent, d'arrestation arbitraire, d'obéissance et d'éviction toutes les 48 heures. Donc avec un cordon de CRS et une entreprise de nettoyage qui vient expulser les personnes de leur tente, récupérer ces tentes et les effets personnels des gens. N'importe qui qui est venu il y a longtemps le dira que c'est de plus en plus dur pour les gens d'habiter à Calais. de survivre sur les campements, etc., avec un rythme d'expulsion qui est phénoménal. Il y a tout qui est fait pour les empêcher d'habiter ici, de rester à la frontière.

  • Speaker #0

    Grande-Synthe connaît le même phénomène d'éloignement des personnes exilées.

  • Speaker #2

    Petit à petit, le campement n'est même plus dans la commune de Grande-Synthe. Les personnes ont été vraiment poussées à l'extérieur dans une nouvelle commune qui s'appelle Loun-Plage.

  • Speaker #0

    Salomé, coordinatrice Utopia 56 Grande-Synthe.

  • Speaker #2

    Les personnes vont rester ici par organisation et parce qu'il y a énormément d'associations. C'est là où les personnes peuvent avoir accès à ne serait-ce qu'une tente, une couverture et un repas de midi. Il n'y a absolument pas d'accueil de jour. Les personnes restent en errance jour comme nuit dans les champs à côté de la départementale de Lounes-Plage et dans la boue ou dans les forêts. Ici à Grande-Synthe, il n'y a aucune action du département pour les mineurs qui sont présents sur le camp. pour les identifier, pour... leur présenter leurs droits et pour les mettre à l'abri. Pour un petit exemple, là en novembre 2025 doit commencer la construction d'un centre de rétention administrative sur la commune de Lounes-Plage. Mais par contre un foyer ou un hôtel d'hébergement, il n'y a pas les moyens.

  • Speaker #3

    Le nombre de populations exilées qu'il peut y avoir à Calais, ça se trouve entre 400 et 800 personnes. avec beaucoup de femmes, seules, isolées, avec des enfants et des familles aussi. Et la population varie au rythme des fenêtres météo et des passages dans la Manche. En une nuit, on peut passer de 800 personnes à 400 personnes facilement.

  • Speaker #2

    En ce moment, par exemple, il y a environ 700-800 personnes. Et l'été 2024, on était à 1200 personnes sur Grand Sainte. Et que ce soit hommes, femmes, enfants, familles, bébés, mineurs non accompagnés, tout le monde est un peu sur les mêmes lieux de vie.

  • Speaker #3

    Il y a beaucoup de Soudanais, beaucoup de personnes afghanes aussi, des personnes syriennes. Je pense que ça, c'est les trois nationalités les plus représentées. Il y a beaucoup de Koweïtiens, notamment de la communauté bidoune. Et après, il y a plein de petits lieux de vie dans lesquels vivent des personnes érythréennes, somaliennes. et éthiopiennes. Il y a un peu moins en ce moment de personnes iraniennes, mais c'est quand même très régulier.

  • Speaker #2

    On a aussi pas mal de personnes vietnamiennes à Grande-Synthe.

  • Speaker #3

    L'hiver, ça va être le moment où il y a moins de fenêtres météo. Les personnes qui passent en bateau, elles peuvent passer deux à trois semaines sous détente jusqu'à ce qu'elles réussissent le passage. L'été, il y a des personnes qui passent une journée. qui arrivent en train et qui repartent en bateau le lendemain et qui réussissent la traversée. Il y a des communautés qui vont arriver à mettre en place des réseaux infrafamiliaux ou en tout cas de leur côté pour récolter l'argent nécessaire pour passer en bateau. Là où il y a des communautés qui ont moins de chance, moins de moyens, notamment la communauté soudanaise, et qui va du coup se tourner sur des solutions qui sont moins chères et qui vont être le passage en camion. C'est un moyen de passage qui est très très long et très très difficile à entreprendre. Donc il y a des personnes qui peuvent passer parfois un an à Calais jusqu'à ce qu'elles réussissent le passage en camion. À l'époque, les deux poques de la Grande Jungle et même avant, tout le monde tentait en camion. Sauf qu'il y a eu énormément de moyens de sécurisation qui ont été mis en place, ce qui rend le passage de plus en plus dur. Et donc, au fur et à mesure, les gens se sont tournés vers des passages en bateau. Et donc maintenant, c'est le moyen de traverser principal, même si... Ces passages en camion sont toujours existants. C'est hyper difficile de donner un chiffre parce que ce sont des personnes qui ne sont pas trouvées une fois qu'elles arrivent en Angleterre, contrairement aux personnes en bateau.

  • Speaker #0

    Mais revenons justement un peu en arrière sur la construction de cette frontière franco-britannique et de son hyper-sécurisation progressive.

  • Speaker #4

    Cette frontière à Calais, du moins cette frontière migratoire, a été construite par... des ententes bilatérales entre la France et le Royaume-Uni, et avec des soutiens aussi de l'Union européenne.

  • Speaker #0

    Olivier Clochard, géographe, chargé de recherche au CNRS et directeur de MigrinTerre.

  • Speaker #4

    Un des premiers accords qui ont été mis en place, c'est avec le projet d'ouverture du tunnel sous la Manche, et notamment avec l'accord de Sangatte de 1991, qui répondait à une situation inédite. l'accès au territoire britannique via la lévion ferroviaire Transmanche, notamment celle de l'Eurostar, mais pas que, parce que ça concernait aussi les marchandises. Et donc l'idée, c'était de rationaliser les contrôles frontaliers de part et d'autre de la Manche pour fluidifier aussi bien les trafics des marchandises que les trafics des voyageurs. Avec l'arrivée du ferroviaire, on voit qu'il y a des passages irréguliers qui se mettent en place. et de plus en plus loin, depuis les gares qui relient Londres à Paris ou à Lille, voire à Bruxelles, etc. Et puis, on va avoir aussi un étalement de ces passages face aux contrôles qui se mettent en place, aussi bien au niveau du terminal Transmange qu'au sein du port de Calais. On va avoir des contrôles qui vont se mettre en place. vers Dunkerque, Le Havre, Ouistreham, près de Caen, voire Cherbourg. C'est vraiment un des premiers éléments de l'externalisation des contrôles migratoires que le Royaume-Uni met en place sur le territoire français. Et donc il demande aux autorités françaises d'assurer un contrôle de plus en plus important. pour tenter de freiner les tentatives irrégulières des personnes qui tentent de gagner l'Angleterre.

  • Speaker #0

    Ce sont les accords du Touquet, signés en 2003, qui permettent à la fois cette délocalisation des contrôles dans un plus grand nombre de points de passage, mais aussi des contrôles frontaliers britanniques directement sur le territoire français. Par exemple, pour chaque passager clandestin intercepté dans un camion français, Les autorités britanniques verbalisent lourdement les transporteurs et les chauffeurs. La sanction, une amende récemment passée de 2 000 à plus de 12 000 euros, pousse les chauffeurs à s'en prendre violemment aux personnes exilées. Et les moyens de contrôle se font toujours plus innovants et performants.

  • Speaker #4

    On va avoir de nouvelles technologies qui vont se mettre en place, ça va être des détecteurs de rythme cardiaque. des recours à des chiens renifleurs dans les premiers temps, on va avoir des scanners qui vont être déployés par les Français, mais aussi par l'armée britannique, pour contrôler les camions de transport de marchandises, on va avoir des doublements, voire des triplements de clôtures autour des zones portuaires et ferroviaires, dont là aussi, certaines sont parfois offertes par la Grande-Bretagne, et on va avoir aussi la mise en place de plusieurs centaines. de caméras fixes et mobiles, de vidéosurveillance dans les zones urbaines, mais aussi dans les zones littorales, avec des drones.

  • Speaker #2

    J'aime pas trop parler d'inaction de l'État parce qu'en fait, l'État fait beaucoup. Ils englent tout sur la sécurité et j'entends beaucoup de personnes, notamment des hébergeurs qui sont originaires d'ici, qui ne comprennent pas comment le paysage a autant changé. C'est hyper violent en fait. Moi, je vois déjà en deux ans ce que ça a changé. Il n'y avait pas de barbelés il y a deux ans à Grande-Synthe, il n'y avait pas de clôture. toutes les barrières qu'il y a.

  • Speaker #4

    Il y avait notamment Pierre Bonneval qui a fourni un rapport pour la plateforme de soutien aux migrants, la PSM, en 2022, qui avait estimé 1,3 milliard d'euros sur la période de 1998 à 2021 pour des investissements sécuritaires. C'est un chiffre assez disproportionné au regard des besoins humanitaires nécessaires auprès des personnes qui sont en transit. dans la région de Calais, mais aussi dans d'autres ports de la Manche.

  • Speaker #3

    C'est un endroit où on sait que les personnes traversent. Elles n'occupent pas l'espace, elles sont en mouvement perpétuel, elles vont traverser, elles sont là pour traverser la Manche. C'est ça qui change avec... Une ville, par exemple Paris, où il y a beaucoup de populations exilées en attente d'asile ou en attente de statut, qui dort à la rue aussi, mais qui par contre s'installe, s'implante dans cette ville-là. C'est soit des personnes qui sont à la fin de leur route de migration, qui sont à 30 kilomètres de leur arrivée. Donc c'est des personnes qui ont envie de traverser et qui ont encore l'énergie de faire cette traversée-là. mais qui sont quand même très très fatigués de tout le parcours qu'ils ont vécu avant. C'est assez ambivalent de voir qu'on est à 30 kilomètres, mais c'est très très difficile de traverser cette frontière, donc c'est assez difficile pour elles psychologiquement.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui motive ces personnes à poursuivre leur chemin ? Pourquoi cette attractivité du Royaume-Uni ? Nous avons posé la question à Olivier Clochard.

  • Speaker #4

    Parfois parce que les gens pratiquent la langue. et ça leur semble plus facile pour pouvoir trouver un emploi, pour pouvoir s'intégrer dans un pays, parfois parce que les gens ont des liens familiaux ou amicaux. Donc là, on parle effectivement de filières migratoires. Et puis après, on peut avoir aussi des raisons qui sont entretenues par la situation calaisienne. on va avoir des... des réseaux de passeurs qui vont entretenir l'idée qu'en Angleterre, ce sera beaucoup plus facile et que la situation sociale et économique sera bien meilleure qu'à Calais.

  • Speaker #3

    Et après, il y a le deuxième type de personnes qui vont être des gens qui ont été déboutés du droit d'asile en Europe ou alors qui sont dublinés dans un pays dans lequel ils n'ont pas envie. de demander l'asile, donc à leurs empreintes dans ce pays-là, et qui du coup traversent pour échapper au système du Blin, puisqu'étant donné que le Royaume-Uni est sorti de l'Union européenne, ne dépend plus du même système d'asile. Et pour ces personnes-là, c'est encore un autre niveau de difficulté parce que c'est des gens qui ont eu l'espoir d'avoir un statut en Europe, de s'installer en Europe, et qui ne pensaient pas forcément à traverser la Manche à la base, et qui du coup se retrouvent à retenter un parcours d'exil après un premier parcours d'exil, à replonger dans une situation de rue pour certaines, à de nouveau faire face à la police et à des situations de frontières. Donc c'est un autre niveau de difficulté psy, je pense.

  • Speaker #2

    En une semaine, on a dû appeler 12 fois le 15 ou le 18 pour des personnes qui ne se sentaient pas bien sur le camp, qui décompensaient ou alors qui étaient complètement malades ou blessées. Ça crée d'énormes traumas. Il y a toute la violence, qu'elle soit du coup policière, mais qu'elle soit aussi institutionnelle, étatique, les habitants à côté parfois. Tout ça, en fait, c'est juste un environnement extrêmement violent. Les personnes sont tout le temps traumatisées et personne ne fait rien, mis à part les personnes solidaires d'ici.

  • Speaker #3

    En fait, il y a beaucoup, beaucoup d'incompréhension. Il y a des personnes qui se font démanteler leur campement le matin et le soir, qui se font empêcher la traversée de la Manche. Et en fait, ces personnes, elles nous disent, mais ils nous enlèvent notre tente, ils ne veulent pas qu'on reste là, mais ils nous empêchent aussi de partir. C'est un gros questionnement, une grosse problématique parce que les personnes ne comprennent pas et sont un peu déboussolées et surtout très en colère aussi contre l'État français qui fait ça.

  • Speaker #4

    Pour reprendre une expression notamment... qui avait été prononcée pour la première fois en 2012 par Theresa May, qui était alors secrétaire d'État à l'intérieur au niveau du Royaume-Uni, elle parlait de la création d'un environnement hostile. Aujourd'hui, les politiques d'asile et d'immigration de la France sont assez marquées par cette expression-là. Il y a des cabinets qui réfléchissent à une possibilité, par exemple sur Calais, de pouvoir mettre en place un dispositif discriminatoire, à savoir qu'on ferait monter une équipe. uniquement les personnes qui pourraient être en situation régulière dans les bus de la ville qui sont gratuits. Ce sont des choses qui sont pensées et qui montrent tout ce volet raciste des politiques qui aujourd'hui a l'œuvre sur le territoire français. Cet espace est devenu un non-respect des droits humains de par les arrestations qui se font de manière très régulière. des mesures d'enfermement successives et où les gens ne sont pas toujours informés de leurs droits. Les distributions de nourriture par les associations ou des collectifs parfois sont interdites et donc on est obligé d'en faire recours à la justice pour tenter, ne serait-ce que les gens puissent avoir accès à un point d'eau, ne puissent avoir accès à des... à de la nourriture. Il a fallu attendre une ordonnance en 2023 du Conseil d'État pour obliger la commune de Ouistreham et le ministère de l'Intérieur à mettre en place des dispositifs à l'eau potable, à l'eau courante, pour que les gens puissent prendre des douches. On voit qu'au fil des années, ce sont ancrés notamment dans les pratiques dans les pratiques administratives liées à l'hébergement d'urgence, le refus de mettre à l'abri des personnes étrangères parce que le seul fait qu'elle n'ait pas de papier. C'est une manière d'opérer qui va à l'encontre du principe d'égalité et d'inconditionnalité de l'accueil en France.

  • Speaker #2

    On n'a jamais eu autant de moyens déployés et autant d'argent injecté dans la sécurisation de la frontière et autant de personnes décédées à la frontière. Depuis le début de l'année, il y a 14 personnes qui ont perdu la vie.

  • Speaker #0

    Malheureusement, ce décompte des morts est déjà faux. Quelques semaines après notre enregistrement, on déplore 20 morts à la frontière. Et en 2024, le décompte macabre s'élève à 78 personnes qui ont péri en mer.

  • Speaker #2

    Bruno Retailleau a dit en novembre qu'il y avait beaucoup moins de bateaux qui passaient au Royaume-Uni et que c'était super. En effet, il y a moins de bateaux parce qu'il y a de plus en plus de personnes qui vont essayer au sein d'un même bateau. On constate en fait que les chiffres montent et que les personnes qui arrivent au UK entre 2023 et 2024 et maintenant, ça augmente.

  • Speaker #0

    Le Home Office du Royaume-Uni a enregistré environ 35 000 entrées sur son territoire par la Manche en 2024, soit 25% de plus qu'en 2023. Et depuis janvier 2025, nous en sommes quasiment à 15 000 entrées, un niveau jamais atteint aussi tôt dans l'année.

  • Speaker #4

    Ces discours de fermeture des frontières et emprunts de positions idéologiques qui ne correspondent absolument pas à la réalité, et on le voit bien effectivement que ces différents dispositifs qui ont pu être mis en place depuis près de 25 ans. n'empêche pas les gens de traverser. Les projets migratoires des personnes, les projets personnels, sont bien plus forts que ces dispositifs. Mettre en place de bonnes conditions d'accueil ne va pas conduire à ce qui est souvent décrié d'un appel d'air, mais ça va conduire plutôt à créer des conditions saines et acceptables. pour un État de droit comme la France.

  • Speaker #0

    Et pour pallier à tous ces manquements de l'État, mais aussi pour proposer une meilleure coordination citoyenne, que l'association Utopia 56 a été créée fin 2015. Dix ans plus tard, son action dans le Nord s'est largement étoffée.

  • Speaker #2

    Toutes les missions tournent grâce à l'équipe bénévole, qui sont à peu près une quinzaine par mois. Les personnes viennent pour au minimum quatre semaines. Et du coup, on a des missions 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et qui vont principalement être liées aux traversées. On a des missions de maraude de jour, où on va aller sur les lieux de vie, rencontrer les personnes, pouvoir les orienter, essayer de les faire accéder aux droits communs. On va faire beaucoup de réduction des risques, donc par exemple, quel numéro de secours appeler lorsqu'il se passe quelque chose à terre ou est-ce qu'il y a un problème sur une embarcation en mer. On va aussi expliquer des petits gestes réflexes. comment envoyer sa position GPS, comment regarder les vagues, comment mettre un gilet de sauvetage finalement pour essayer de rendre la traversée la moins dangereuse possible si je puis dire. Et ensuite on a un numéro de téléphone qui est une ligne ouverte 24 heures sur 24 et tenue par les bénévoles de jour et de nuit où les personnes nous contactent sur des sollicitations du coup liées au campement où ils ont des besoins d'information, besoin de de soins, de nourriture etc. Et ensuite beaucoup de personnes nous contactent depuis un bateau. ou depuis un camion, où nous on va un peu jouer le relais avec les secours compétents. Et beaucoup de personnes nous contactent aussi, notamment la nuit, sur la côte, proche des plages, lorsqu'ils ont essayé de traverser mais que ça n'a pas fonctionné, par groupe de parfois 40, 50, 70 personnes, qui parfois sont trempées.

  • Speaker #1

    Quels visages ont-ils dans la face de l'eau, dans l'ombre de l'oubli ? Ils voyagent dans le flot rapace de l'esclavage. Quel cœur ont-ils dans un temps rapiécé, dans les grilles de la mort ? Ils voyagent, ils meurent à la une des journaux. Quelle valeur ont-ils sur le marché des passeurs, dans le temps exploité ? Ils voyagent dans le visage du malheur. Quels noms ont-ils sur les murs de la mémoire, dans le silence des consciences ? Anonyme, ils s'embarquent. Anonyme, ils naviguent. Anonyme, ils se noient. Anonyme, il s'oublie. Pierre Goebel, anonyme.

  • Speaker #0

    Avec ses falaises, visibles à l'œil nu les jours de beau temps, la côte anglaise s'affiche comme un mirage, si proche et si souvent inaccessible.

  • Speaker #2

    Les personnes essayent de traverser depuis tout au nord vers la frontière belge jusqu'à sud du Touquet. Ça dure environ 6 à 8 heures lorsque les personnes partent de Calais. Et depuis quelques mois, voire un an ou deux, il y a pas mal de personnes qui essayent de partir depuis la baie de Somme, depuis Dieppe. Parce que du coup, il y a moins de présence policière pour le moment. Ça fait plus de 200 kilomètres, ce qui triple la durée.

  • Speaker #3

    Les personnes, en général, attendent dans des... zones de départ qui vont être des grandes dunes par exemple, des zones où il y a des bois, des territoires où les personnes peuvent se cacher pendant un certain temps, hors des villes, donc hors de Calais, de Boulogne, de Dunkerque, et attendent le moment où elles vont pouvoir monter dans le bateau ou être récupérées par un bateau qui arrive déjà en mer pour tenter la traversée. Et ça, le principal souci, entre guillemets, c'est la présence policière qui est... extrêmement accrue et qui s'accroît d'année en année, de mois en mois, qui rend la montée dans le bateau et le passage en bateau de plus en plus compliqués pour les personnes, de plus en plus violents surtout, et de plus en plus risqués.

  • Speaker #2

    Les départs risqueraient beaucoup dans la précipitation pour justement échapper aux forces de l'ordre. Les personnes, elles ne vont pas prendre le temps de bien gonfler le bateau, de bien mettre leur gilet de sauvetage quand elles en ont. Il y a beaucoup trop de monde pour ces embarcations. Du coup, il y a beaucoup de personnes qui essayent de monter dans le bateau, mais qui n'y arrivent pas. Et c'est là où d'ailleurs... se passe la plupart des accidents ?

  • Speaker #0

    Ces embarcations qui arrivent depuis la mer, on les appelle des taxiboats. Ils sont sous la loi maritime, donc la police n'a plus le droit de les intercepter ni de les arrêter.

  • Speaker #2

    Il y a des nuits où on va recevoir énormément d'appels de points de localisation en pleine mer. On va alerter le CROSS qui s'occupe des secours en mer dans les eaux françaises, ou alors les gardes-côtes côté anglais. On essaye d'obtenir une localisation de la part des personnes et d'avoir des informations sur est-ce qu'il y a quelqu'un à l'eau, est-ce qu'il y a un problème avec le bateau, est-ce que vous avez des gilets de sauvetage, combien il y a de personnes, pour essayer de donner le maximum d'informations au CROSS et qui puisse... après envoyer les moyens adaptés. On leur demande toujours s'ils ont déjà appelé le 112 et les secours et s'ils peuvent essayer de le faire eux-mêmes parce que du coup ça enlève un intermédiaire. C'est si le 112 ne répond pas, si la communication est compliquée, qu'ils n'arrivent pas à parler en français ou en anglais et que du coup ils nous envoient des messages traduits. Une fois qu'on a alerté le CROSS, on fait des petits suivis des situations et si la situation s'empire, on rappelle. Et on essaye de garder le lien avec les personnes pour, si jamais ça ne va pas, leur dire qu'on a prévenu et qu'on espère que les secours vont arriver. Mais on n'a jamais de certitude.

  • Speaker #3

    On en a reçu 18 dans la nuit de lundi à mardi. C'est beaucoup. Je pense que c'est la première fois qu'on en reçoit autant. Mais c'est aussi parce qu'il y a 12 bateaux qui ont traversé cette nuit-là.

  • Speaker #2

    Les nuits où nous, on est débordés, souvent le cross l'est aussi. Il n'y a pas du tout assez de moyens de secours déployés et les équipes ne sont pas forcément formées sur ce qu'on appelle le secours de masse. Mais généralement, les alertes sont prises en compte. Donc ça, c'est rassurant.

  • Speaker #5

    Leurs moyens de sauvetage ne sont pas assez adaptés à la Manche et à ce qui s'y passe, notamment parce que les risques de traversée ne sont plus les mêmes qu'ils l'étaient il y a encore deux ans, où la plupart des drames et des grandes problématiques étaient... Au large.

  • Speaker #0

    Laura, coordinatrice Utopia 56 Calais.

  • Speaker #5

    Et maintenant, ça se passe très très proche de la côte. Donc très peu profond. Et le fait que ce soit très peu profond fait que les gros bateaux n'arrivent pas à se rapprocher assez. Ou qu'ils prennent plus de temps. Parce qu'ils ont trop des fonds de cales profonds.

  • Speaker #2

    Du coup, il y a pas mal de personnes dont la traversée n'a pas fonctionné à quelques centaines de mètres des côtes et qui du coup vont revenir à la nage. Et c'est pour ça aussi que la plupart sont trempés.

  • Speaker #5

    C'est hyper, hyper dangereux, notamment pour les personnes qui reviennent de tentatives ratées et qui sont complètement à pied sur la côte et qui remontent au camp de Grande-Synthe, donc à Lune-Plage. Le plus simple, souvent, c'est de marcher sur l'autoroute. Les gens sont épuisés, viennent de passer des jours dans les dunes, n'ont pas été pris en charge, par exemple, à un retour au port, etc. Ils marchent sur l'autoroute et se font heurter par une voiture, un camion.

  • Speaker #2

    Sinon, celles qui ont été secourues en mer, on va les trouver dans les ports de Boulogne, Calais ou Dunkerque. Il y a toujours une ambulance, un camion de la police aux frontières, des arrestations. Et les personnes sont toujours trempées, n'ont pas eu à manger, n'ont pas vu de médecin, n'ont pas vu de médecin pour la santé physique, mais aussi pour la santé mentale.

  • Speaker #0

    La maraude du littoral intervient toute la nuit pour aller à la rencontre de ces naufragés. L'association appelle ces tentatives des « trailles » . Nous retrouvons deux bénévoles en mission au petit matin, sous une pluie battante à Sangatte, une commune au nom familier. C'est là que, de 1999 à 2002, était installé un hangar pour les personnes en exil. Cette structure d'accueil qui a vu passer 70 000 personnes en trois ans, a finalement été fermée par Nicolas Sarkozy. Cette nuit-là, l'équipe d'Astreinte avait anticipé de traverser, car les conditions météo étaient favorables.

  • Speaker #6

    Ce qu'on appelle fenêtre ouverte, c'est quand on considère qu'il y a des conditions météorologiques avec lesquelles les personnes peuvent traverser.

  • Speaker #0

    Adèle, bénévole Utopia 56.

  • Speaker #6

    On considère qu'au-dessus de 10 nœuds de vent, Et de 0,5 m de vague, ça devient très dangereux de traverser. 0,5 m, puisque c'est à peu près la taille des boudins qui sont sur le small boat. Donc au-dessus, l'eau rentre dans le small boat. Et on regarde aussi la marée, si elle est haute ou basse, puisqu'il y a des endroits où quand la marée est basse, l'eau est à 2 km de la plage. Donc c'est des distances qui sont très longues à traverser. Donc les personnes vont préférer partir en marée haute.

  • Speaker #0

    Et de fait ? L'équipe de Calais a reçu cette nuit-là un appel de détresse. Eux peuvent nous tenir au courant s'ils ont des informations pour dire dans telle zone, il y a un départ qui se prépare, il y a un retour de travail. Et du coup, nous, on est mobile, on peut se déplacer un peu tout le long de la côte. Donc, on peut au mieux, du mieux possible intervenir sur les lieux qui le nécessitent.

  • Speaker #1

    Simon, bénévole Utopia 56.

  • Speaker #0

    Et on a aussi du coup des outils, notamment Vessel Finder. et Marine Trafic qui sont des applications site internet qui répertorie les bateaux parce que du coup quand des personnes exilées partent en mer, elles peuvent être accompagnées par le CROSS donc les gares de côte qui peuvent les accompagner jusqu'aux côtes anglaises ou les ramener parfois au port de Calais. Et du coup en fonction du positionnement, de la vitesse des différents bateaux on peut euh... devinés, suspectés d'avoir telle ou telle situation. Ensuite on essaie de confirmer en se rendant sur place, en communiquant avec les autres équipes pour essayer d'être le plus réactif pour aider les personnes qui sont de retour sur les côtes françaises.

  • Speaker #2

    On essaie de comprendre ce qui s'est passé. Généralement les personnes nous disent direct « la police a gazé, la police a coupé le bateau » et du coup là on essaie d'avoir le maximum d'informations pour essayer nous derrière d'agir. et de leur dire que c'est pas normal et qu'ils n'ont pas à vivre ça.

  • Speaker #0

    On essaye de voir déjà eux leurs besoins. La priorité souvent c'est s'ils sont encore mouillés, donc de leur apporter des vêtements secs déjà. Après on a du gâteau, des thés pour les réconforter et leur redonner un peu d'énergie.

  • Speaker #2

    Les personnes nous demandent un hébergement parce que parfois il est 2h du matin, ils sont à plus de 6h à pied de leur lieu de vie. Le 115, tous les foyers sont saturés, il n'y a pas de mise à l'abri possible. Et du coup, là, on va essayer de faire pression sur les autorités pour des ouvertures de gymnases, pour quelques heures, des ouvertures de salles. Ça, ça ne marche quasiment jamais. Mais on essaye quand même et on essaye d'expliquer au mieux aux personnes et si elles ont envie d'attendre et si on les a envie qu'on lance tout ça, on le fait.

  • Speaker #0

    Et après, il y a tout un tissu associatif où on essaie de les rediriger s'ils ont besoin de logement. Il y a une assez bonne coordination entre les différentes associations. Sur Calais et alentour, il y a des logements d'urgence, des logements spécialisés pour les mineurs non accompagnés, mais qui peuvent être assez vite remplis. En dernier recours, en tout cas, ce qu'on essaye, c'est au moins de fournir des tentes et des couvertures. Mais même ça, on n'a pas des stocks illimités non plus, donc on priorise certaines situations par rapport à d'autres.

  • Speaker #2

    Le but, c'est aussi juste de discuter, d'être là en soutien et que si les personnes ont envie de parler, on soit là. et parfois les personnes elles sont juste fatiguées et énervées, traumatisées et du coup on est là. Il y a des personnes qu'on croise plusieurs fois dans la même semaine sur les mêmes plages et d'autres où on s'est connu juste le temps d'une heure, une nuit et voilà. On est souvent accusé... de complicité avec les réseaux de passage ou même d'aide au passage complètement. On se fait extrêmement contrôler, on est suivi parfois quand on est sur le littoral. Il y a beaucoup de contrôles qui sont plus ou moins intimidants envers nos équipes bénévoles. On a donné par exemple nos plaques de voiture, on a des stickers sur notre voiture, on a des chasubles. Et pour autant, ils fouillent tout le coffre, ils nous demandent de sortir. Ils essayent de nous immobiliser par moments.

  • Speaker #3

    Il y a des policiers qui sont vraiment... Ils m'ont persuadée que ce qu'on fait, c'est mal, qu'ils ne connaissent pas du tout le terrain, qu'ils nous demandent si on a de l'essence, des bateaux dans nos véhicules et qu'ils vont nous demander de partir, nous demander de ne pas filmer alors qu'on a le droit de filmer la police.

  • Speaker #2

    On est quand même témoins, nous, de beaucoup, beaucoup de violences policières et ils savent qu'on est là, qu'on documente, qu'on regarde et qu'on essaye de relayer.

  • Speaker #3

    On note les plaques, ce qui nous permet après de pouvoir comparer avec des situations qu'on reçoit ou des témoignages de personnes qui nous disent qu'elles ont reçu des violences policières, de savoir quel corps était présent à ce moment-là.

  • Speaker #2

    Et à côté, il y a parfois des agents de police qui viennent et qui nous appellent, qui nous disent « oui, il y a une famille qui est trempée, il faut que vous veniez l'aider, etc. » Du coup, c'est un rapport assez ambigu. Évidemment que la police, sa mission n'est pas de rhabiller les personnes, mais c'est d'activer la protection civile via la préfecture pour rhabiller les personnes, pour éviter les risques d'hypothermie, etc.

  • Speaker #4

    On se retrouve souvent à faire une position d'intermédiaire entre les gens et les services étatiques. Alors avec la mairie de Calais, c'est extrêmement compliqué, il n'y en a pas de rapport, mais ça, c'est pas que Utopia, c'est toutes les assos. Et ça, c'est pareil avec toutes les mairies du littoral. On fait un travail de mise en relation avec les mairies du littoral parce qu'elles ont un pouvoir d'agir, notamment pour la prise en charge des personnes en tentative de passage ratée. Et c'est aussi super compliqué parce qu'il y a aussi la préfecture qui... a envie de garder un étau dessus, un regard sur ce qui se passe. La préfecture du Pas-de-Calais bloque énormément nos demandes. Donc c'est très compliqué de rentrer en contact et d'instaurer un lien, juste professionnel.

  • Speaker #2

    Ça fait des années que ça dure. Et vu que tout est fait pour invisibiliser les personnes, et il n'y a aucune vraie information. qui est donnée aux habitants et habitantes aussi. Il y en a beaucoup qui ne se saisissent pas de cet enjeu-là ou qui, en fait, ne comprennent même pas trop ce qui se passe ici. Et vu qu'on martèle l'information que les personnes exilées sont des personnes dangereuses, que ça crée de l'insalubrité, que ça crée de l'insécurité, j'entends que ce discours marche et qu'il soit pris en compte. Ce qui est important, c'est justement d'essayer d'informer et d'expliquer. et de raconter pourquoi les personnes sont là et pourquoi est-ce qu'elles doivent partir, ou veulent, mais souvent c'est qu'elles doivent partir. Quand on essaye d'organiser des réunions publiques, par exemple, pour informer, ou quand on essaye de faire tout ça, c'est souvent la mairie ou la préfecture qui bloquent et qui ne nous autorisent pas d'ouvrir des salles. Et en même temps, par exemple, quand on fait des collectes alimentaires et qu'on explique le travail qu'on fait, il y a quand même beaucoup de soutien et de messages de force, donc ça c'est rassurant, ça fait du bien.

  • Speaker #4

    Il y a un gros travail étatique. qui a travaillé avec les médias, en tout cas symboliquement et en termes de représentation. Il y a eu un énorme travail de fait pour que les gens oublient la situation à Calais et une image de... En fait, c'est une frontière, mais il n'y a plus personne qui essaye de la franchir. C'est très difficile de la déconstruire, cette image, quand elle a été mise dans le crâne de tous les Français et Françaises pendant dix ans.

  • Speaker #2

    Il y a des personnes qui arrivent carrément à aller sur la plage le dimanche et à profiter. Moi, je crois qu'à chaque plage, j'ai une situation en tête qui me revient et j'ai du mal.

  • Speaker #4

    Je ne sais pas si on s'habitue, on intériorise au fur et à mesure. Il y a des situations qui nous touchent de moins en moins, ou au contraire, qui vont de plus en plus nous toucher, etc. Parce qu'on les voit tout le temps. Je pense qu'il faut arriver à garder... en tête que c'est pas normal.

  • Speaker #1

    Comment faire face, à titre personnel, à ces situations d'extrême précarité et de grande détresse au quotidien ? Comment ne pas sombrer dans la colère ou dans l'abattement ? Chacun, chacune, trouve son propre ressort parmi les ressources psy, les groupes de parole et les vacances obligatoires tous les deux mois chez Utopia 56. Mais tout semble surtout s'articuler autour du collectif.

  • Speaker #4

    On arrive dans cette bulle militante associative qui fait qu'on a envie de s'investir plus. C'est un territoire où il y a énormément d'initiatives de mise en commun de la lutte et de comment on arrive à travailler ensemble malgré nos différences associatives, de positionnement et à unir nos liens pour aider au mieux ces personnes tout en réfléchissant sur notre positionnement militant, notre positionnement de sauveur ou entre guillemets.

  • Speaker #2

    C'est important de se replacer et de se dire que dans tous les cas, quoi qu'il arrive, on n'est que en soutien. Et qu'en fait, les personnes sont arrivées jusqu'ici sans nous. Se dire que, ouais, juste on n'est pas indispensable et qu'on fait de notre mieux. Mais que dans tous les cas, il y aura toujours plus à faire. C'est jamais fini. Je pleure beaucoup moins depuis que je suis ici et je rigole. Tout est ultra intense, que ce soit le terrain, la violence, mais du coup aussi les amitiés qu'on crée. Ce collectif-là fait vivre aussi plein d'espoir, plein de partage d'expériences, de pratiques, de luttes politiques aussi en général. Et du coup, ça redonne beaucoup de force.

  • Speaker #4

    Notre situation est absolument incomparable à celle des personnes qui vivent dans les campements et qui tentent de la traverser. Et c'est des personnes qui gardent l'envie ou en tout cas la force de traverser et de continuer à... à lutter intérieurement pour leur situation. Ça donne de la motivation pour continuer à travailler.

  • Speaker #5

    Il y a aussi beaucoup de moments de joie, de sourire, de partage qu'on peut expérimenter avec les gens sur leur campagne, malgré les conditions de vie, etc.

  • Speaker #1

    Clément, bénévole Utopia 56.

  • Speaker #5

    Généralement, c'est nous qui arrivons, qui proposons de l'eau. Mais ça m'est arrivé plusieurs fois que les gens, au contraire, ils nous accueillent, ils nous proposent du thé à nous. C'est un peu un renversement du rapport qu'on a habituellement. Mais en même temps, c'est... très normal parce qu'on se déplace chez les gens, même s'ils vivent de manière très informelle. On se déplace chez eux et ils nous accueillent comme tel,

  • Speaker #6

    avec le sourire.

  • Speaker #1

    La musique que vous écoutez

  • Speaker #6

    a été créée et enregistrée dans la jungle de Calais en 2016 avec des musiciens exilés et anglais sur les paroles de deux jeunes sœurs afghanes de 9 et 12 ans.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter Je suis migrant, une série documentaire indépendante. Merci à Angèle, Salomé, Laura, Adèle, Simon et Clément de l'équipe Utopia 56, Calais et Grande-Synthe d'avoir partagé avec nous leur expérience militante et solidaire. Merci également à Olivier Clochard. Et merci à vous pour votre écoute.

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Description

Médiatisée au moment de la Jungle en 2016, la ville de Calais est depuis sortie des radars médiatiques. Pourtant certain·e·s ont fait le choix de ne pas détourner le regard de la frontière franco-britannique qui tue toujours un peu plus ; de garder les yeux rivés sur la Manche, cette mer qui avale les candidat·e·s à l ‘exil. L’association Utopia56 s’est engagée, le long du littoral, au plus près de ces traversées périlleuses.

Que se passe-t-il réellement à Calais ? Nous avons voulu comprendre – entre les lignes - la situation d’impasse actuelle et les enjeux migratoires qui s’y jouent…


Avec l’équipe Utopia56 : Angèle et Laura, coordinatrices Calais ; Salomé, coordinatrice Grande-Synthe ; Adèle, Simon et Clément, bénévoles.

Un épisode commenté par Olivier Clochard, Géographe, chargé de recherche au CNRS et directeur de Migrinter.



📖 SOURCES :

🎵 MUSIQUES :

  • Khandahar - The Calais Sessions

  • A Fortnight - Jamie Ross Breiwick, John Christensen, Jerry Gruvis, Jordan Spencer Lee

  • Just Feels Right - Nicolas Phillimore Dagnall, Vance Westlake


🎙️ LECTURE :

  • Océane Claveau


🎧 Ré-écoutez nos précédents épisodes


Pour nous contacter : jesuismigrant@protonmail.com | Instagram : jesuismigrant.podcast


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    3,6% de la population mondiale n'habite pas dans son pays de naissance. De ce chiffre est née notre envie de raconter les histoires des migrations qui forgent cette réalité. Les parcours de celles et ceux qui souffrent de n'être que des statistiques. Je suis migrant leur rend la parole.

  • Speaker #1

    Si la Terre a des frontières, les rêves des migrants n'en auront jamais. Souleymane Boel

  • Speaker #2

    En fait, je trouvais ça dingue que des personnes risquent leur vie pour essayer d'atteindre un territoire.

  • Speaker #0

    Je suis migrant, épisode 5, calé entre les lignes.

  • Speaker #2

    On fait de l'accueil par le trottoir pour des personnes qui, en fait, juste fuient d'autres choses et je pense que ce serait complètement récidant leur pays si vous avez pu avoir le choix. Je ne comprends pas comment on laisse des gens mourir. Je me sens un peu responsable quand même. C'est littéralement chez moi que ça se passe.

  • Speaker #0

    Ces quelques phrases de Salomé, coordinatrice Utopia 56 Grande Sainte, résument bien les interrogations qui nous ont menées à Calais. Nous avons eu envie de comprendre ce qui se passe dans cette ville frontière et appréhender la réalité des traversées en suivant l'engagement d'Utopia 56 au plus près de cette barrière maritime. Ces deux antennes de Calais et Grande Sainte sont les seules structures associatives du coin qui reçoivent directement les appels de détresse en mer et organisent conjointement les maraudes nocturnes dites du littoral. Dans cet épisode, vous n'entendrez pas directement le récit des personnes en exil, mais derrière toutes les voix que vous allez entendre, ce sont bien sûr d'elles que nous parlons, de leur détermination à franchir cette ligne invisible, mais pourtant bien mortelle.

  • Speaker #3

    Depuis... La fermesure et le démantèlement de la Grande Jungle en 2016, qui a atteint 10 000 personnes. Les personnes exilées sont repoussées hors du centre-ville de Calais et invisibilisées par une politique qui s'appelle « lutte contre les points de fixation » , ce que nous, on va appeler des décampements ou des lieux de vie de ces personnes-là. Le terme « jungle » , c'est un mot qui est employé par les personnes elles-mêmes pour décrire leur endroit, parce que ça veut dire « forêt » dans certaines langues. Les personnes s'installent dans des petits campements informels. sous tente quand elles réussissent à avoir des tentes, dans les petits espaces verts qui restent aux alentours de Calais. Donc très loin des points de distribution de l'État, très loin de l'aide qui peut être apportée dans Calais. Donc c'est assez compliqué pour elles d'avoir accès à une aide humanitaire ou en tout cas une aide de première urgence de qualité. Et ça va être aussi des squats. Des bâtiments abandonnés qui sont squattés, il y en a notamment un en ce moment depuis à peu près un an, où il y a plus ou moins 300 personnes à l'intérieur, dans un hangar. Ça passe aussi par un espace urbain qui est rendu le plus hostile possible, avec notamment des rochers qui ont été installés cet hiver, par exemple, sur les quais du centre-ville, dans des petits parcs du centre-ville, avec plus de 3000 tonnes de rochers qui ont été déversés par la mairie pour empêcher l'installation des tentes, dans les lieux visibles notamment. Ça passe surtout par un climat de contrôle policier super fréquent, d'arrestation arbitraire, d'obéissance et d'éviction toutes les 48 heures. Donc avec un cordon de CRS et une entreprise de nettoyage qui vient expulser les personnes de leur tente, récupérer ces tentes et les effets personnels des gens. N'importe qui qui est venu il y a longtemps le dira que c'est de plus en plus dur pour les gens d'habiter à Calais. de survivre sur les campements, etc., avec un rythme d'expulsion qui est phénoménal. Il y a tout qui est fait pour les empêcher d'habiter ici, de rester à la frontière.

  • Speaker #0

    Grande-Synthe connaît le même phénomène d'éloignement des personnes exilées.

  • Speaker #2

    Petit à petit, le campement n'est même plus dans la commune de Grande-Synthe. Les personnes ont été vraiment poussées à l'extérieur dans une nouvelle commune qui s'appelle Loun-Plage.

  • Speaker #0

    Salomé, coordinatrice Utopia 56 Grande-Synthe.

  • Speaker #2

    Les personnes vont rester ici par organisation et parce qu'il y a énormément d'associations. C'est là où les personnes peuvent avoir accès à ne serait-ce qu'une tente, une couverture et un repas de midi. Il n'y a absolument pas d'accueil de jour. Les personnes restent en errance jour comme nuit dans les champs à côté de la départementale de Lounes-Plage et dans la boue ou dans les forêts. Ici à Grande-Synthe, il n'y a aucune action du département pour les mineurs qui sont présents sur le camp. pour les identifier, pour... leur présenter leurs droits et pour les mettre à l'abri. Pour un petit exemple, là en novembre 2025 doit commencer la construction d'un centre de rétention administrative sur la commune de Lounes-Plage. Mais par contre un foyer ou un hôtel d'hébergement, il n'y a pas les moyens.

  • Speaker #3

    Le nombre de populations exilées qu'il peut y avoir à Calais, ça se trouve entre 400 et 800 personnes. avec beaucoup de femmes, seules, isolées, avec des enfants et des familles aussi. Et la population varie au rythme des fenêtres météo et des passages dans la Manche. En une nuit, on peut passer de 800 personnes à 400 personnes facilement.

  • Speaker #2

    En ce moment, par exemple, il y a environ 700-800 personnes. Et l'été 2024, on était à 1200 personnes sur Grand Sainte. Et que ce soit hommes, femmes, enfants, familles, bébés, mineurs non accompagnés, tout le monde est un peu sur les mêmes lieux de vie.

  • Speaker #3

    Il y a beaucoup de Soudanais, beaucoup de personnes afghanes aussi, des personnes syriennes. Je pense que ça, c'est les trois nationalités les plus représentées. Il y a beaucoup de Koweïtiens, notamment de la communauté bidoune. Et après, il y a plein de petits lieux de vie dans lesquels vivent des personnes érythréennes, somaliennes. et éthiopiennes. Il y a un peu moins en ce moment de personnes iraniennes, mais c'est quand même très régulier.

  • Speaker #2

    On a aussi pas mal de personnes vietnamiennes à Grande-Synthe.

  • Speaker #3

    L'hiver, ça va être le moment où il y a moins de fenêtres météo. Les personnes qui passent en bateau, elles peuvent passer deux à trois semaines sous détente jusqu'à ce qu'elles réussissent le passage. L'été, il y a des personnes qui passent une journée. qui arrivent en train et qui repartent en bateau le lendemain et qui réussissent la traversée. Il y a des communautés qui vont arriver à mettre en place des réseaux infrafamiliaux ou en tout cas de leur côté pour récolter l'argent nécessaire pour passer en bateau. Là où il y a des communautés qui ont moins de chance, moins de moyens, notamment la communauté soudanaise, et qui va du coup se tourner sur des solutions qui sont moins chères et qui vont être le passage en camion. C'est un moyen de passage qui est très très long et très très difficile à entreprendre. Donc il y a des personnes qui peuvent passer parfois un an à Calais jusqu'à ce qu'elles réussissent le passage en camion. À l'époque, les deux poques de la Grande Jungle et même avant, tout le monde tentait en camion. Sauf qu'il y a eu énormément de moyens de sécurisation qui ont été mis en place, ce qui rend le passage de plus en plus dur. Et donc, au fur et à mesure, les gens se sont tournés vers des passages en bateau. Et donc maintenant, c'est le moyen de traverser principal, même si... Ces passages en camion sont toujours existants. C'est hyper difficile de donner un chiffre parce que ce sont des personnes qui ne sont pas trouvées une fois qu'elles arrivent en Angleterre, contrairement aux personnes en bateau.

  • Speaker #0

    Mais revenons justement un peu en arrière sur la construction de cette frontière franco-britannique et de son hyper-sécurisation progressive.

  • Speaker #4

    Cette frontière à Calais, du moins cette frontière migratoire, a été construite par... des ententes bilatérales entre la France et le Royaume-Uni, et avec des soutiens aussi de l'Union européenne.

  • Speaker #0

    Olivier Clochard, géographe, chargé de recherche au CNRS et directeur de MigrinTerre.

  • Speaker #4

    Un des premiers accords qui ont été mis en place, c'est avec le projet d'ouverture du tunnel sous la Manche, et notamment avec l'accord de Sangatte de 1991, qui répondait à une situation inédite. l'accès au territoire britannique via la lévion ferroviaire Transmanche, notamment celle de l'Eurostar, mais pas que, parce que ça concernait aussi les marchandises. Et donc l'idée, c'était de rationaliser les contrôles frontaliers de part et d'autre de la Manche pour fluidifier aussi bien les trafics des marchandises que les trafics des voyageurs. Avec l'arrivée du ferroviaire, on voit qu'il y a des passages irréguliers qui se mettent en place. et de plus en plus loin, depuis les gares qui relient Londres à Paris ou à Lille, voire à Bruxelles, etc. Et puis, on va avoir aussi un étalement de ces passages face aux contrôles qui se mettent en place, aussi bien au niveau du terminal Transmange qu'au sein du port de Calais. On va avoir des contrôles qui vont se mettre en place. vers Dunkerque, Le Havre, Ouistreham, près de Caen, voire Cherbourg. C'est vraiment un des premiers éléments de l'externalisation des contrôles migratoires que le Royaume-Uni met en place sur le territoire français. Et donc il demande aux autorités françaises d'assurer un contrôle de plus en plus important. pour tenter de freiner les tentatives irrégulières des personnes qui tentent de gagner l'Angleterre.

  • Speaker #0

    Ce sont les accords du Touquet, signés en 2003, qui permettent à la fois cette délocalisation des contrôles dans un plus grand nombre de points de passage, mais aussi des contrôles frontaliers britanniques directement sur le territoire français. Par exemple, pour chaque passager clandestin intercepté dans un camion français, Les autorités britanniques verbalisent lourdement les transporteurs et les chauffeurs. La sanction, une amende récemment passée de 2 000 à plus de 12 000 euros, pousse les chauffeurs à s'en prendre violemment aux personnes exilées. Et les moyens de contrôle se font toujours plus innovants et performants.

  • Speaker #4

    On va avoir de nouvelles technologies qui vont se mettre en place, ça va être des détecteurs de rythme cardiaque. des recours à des chiens renifleurs dans les premiers temps, on va avoir des scanners qui vont être déployés par les Français, mais aussi par l'armée britannique, pour contrôler les camions de transport de marchandises, on va avoir des doublements, voire des triplements de clôtures autour des zones portuaires et ferroviaires, dont là aussi, certaines sont parfois offertes par la Grande-Bretagne, et on va avoir aussi la mise en place de plusieurs centaines. de caméras fixes et mobiles, de vidéosurveillance dans les zones urbaines, mais aussi dans les zones littorales, avec des drones.

  • Speaker #2

    J'aime pas trop parler d'inaction de l'État parce qu'en fait, l'État fait beaucoup. Ils englent tout sur la sécurité et j'entends beaucoup de personnes, notamment des hébergeurs qui sont originaires d'ici, qui ne comprennent pas comment le paysage a autant changé. C'est hyper violent en fait. Moi, je vois déjà en deux ans ce que ça a changé. Il n'y avait pas de barbelés il y a deux ans à Grande-Synthe, il n'y avait pas de clôture. toutes les barrières qu'il y a.

  • Speaker #4

    Il y avait notamment Pierre Bonneval qui a fourni un rapport pour la plateforme de soutien aux migrants, la PSM, en 2022, qui avait estimé 1,3 milliard d'euros sur la période de 1998 à 2021 pour des investissements sécuritaires. C'est un chiffre assez disproportionné au regard des besoins humanitaires nécessaires auprès des personnes qui sont en transit. dans la région de Calais, mais aussi dans d'autres ports de la Manche.

  • Speaker #3

    C'est un endroit où on sait que les personnes traversent. Elles n'occupent pas l'espace, elles sont en mouvement perpétuel, elles vont traverser, elles sont là pour traverser la Manche. C'est ça qui change avec... Une ville, par exemple Paris, où il y a beaucoup de populations exilées en attente d'asile ou en attente de statut, qui dort à la rue aussi, mais qui par contre s'installe, s'implante dans cette ville-là. C'est soit des personnes qui sont à la fin de leur route de migration, qui sont à 30 kilomètres de leur arrivée. Donc c'est des personnes qui ont envie de traverser et qui ont encore l'énergie de faire cette traversée-là. mais qui sont quand même très très fatigués de tout le parcours qu'ils ont vécu avant. C'est assez ambivalent de voir qu'on est à 30 kilomètres, mais c'est très très difficile de traverser cette frontière, donc c'est assez difficile pour elles psychologiquement.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui motive ces personnes à poursuivre leur chemin ? Pourquoi cette attractivité du Royaume-Uni ? Nous avons posé la question à Olivier Clochard.

  • Speaker #4

    Parfois parce que les gens pratiquent la langue. et ça leur semble plus facile pour pouvoir trouver un emploi, pour pouvoir s'intégrer dans un pays, parfois parce que les gens ont des liens familiaux ou amicaux. Donc là, on parle effectivement de filières migratoires. Et puis après, on peut avoir aussi des raisons qui sont entretenues par la situation calaisienne. on va avoir des... des réseaux de passeurs qui vont entretenir l'idée qu'en Angleterre, ce sera beaucoup plus facile et que la situation sociale et économique sera bien meilleure qu'à Calais.

  • Speaker #3

    Et après, il y a le deuxième type de personnes qui vont être des gens qui ont été déboutés du droit d'asile en Europe ou alors qui sont dublinés dans un pays dans lequel ils n'ont pas envie. de demander l'asile, donc à leurs empreintes dans ce pays-là, et qui du coup traversent pour échapper au système du Blin, puisqu'étant donné que le Royaume-Uni est sorti de l'Union européenne, ne dépend plus du même système d'asile. Et pour ces personnes-là, c'est encore un autre niveau de difficulté parce que c'est des gens qui ont eu l'espoir d'avoir un statut en Europe, de s'installer en Europe, et qui ne pensaient pas forcément à traverser la Manche à la base, et qui du coup se retrouvent à retenter un parcours d'exil après un premier parcours d'exil, à replonger dans une situation de rue pour certaines, à de nouveau faire face à la police et à des situations de frontières. Donc c'est un autre niveau de difficulté psy, je pense.

  • Speaker #2

    En une semaine, on a dû appeler 12 fois le 15 ou le 18 pour des personnes qui ne se sentaient pas bien sur le camp, qui décompensaient ou alors qui étaient complètement malades ou blessées. Ça crée d'énormes traumas. Il y a toute la violence, qu'elle soit du coup policière, mais qu'elle soit aussi institutionnelle, étatique, les habitants à côté parfois. Tout ça, en fait, c'est juste un environnement extrêmement violent. Les personnes sont tout le temps traumatisées et personne ne fait rien, mis à part les personnes solidaires d'ici.

  • Speaker #3

    En fait, il y a beaucoup, beaucoup d'incompréhension. Il y a des personnes qui se font démanteler leur campement le matin et le soir, qui se font empêcher la traversée de la Manche. Et en fait, ces personnes, elles nous disent, mais ils nous enlèvent notre tente, ils ne veulent pas qu'on reste là, mais ils nous empêchent aussi de partir. C'est un gros questionnement, une grosse problématique parce que les personnes ne comprennent pas et sont un peu déboussolées et surtout très en colère aussi contre l'État français qui fait ça.

  • Speaker #4

    Pour reprendre une expression notamment... qui avait été prononcée pour la première fois en 2012 par Theresa May, qui était alors secrétaire d'État à l'intérieur au niveau du Royaume-Uni, elle parlait de la création d'un environnement hostile. Aujourd'hui, les politiques d'asile et d'immigration de la France sont assez marquées par cette expression-là. Il y a des cabinets qui réfléchissent à une possibilité, par exemple sur Calais, de pouvoir mettre en place un dispositif discriminatoire, à savoir qu'on ferait monter une équipe. uniquement les personnes qui pourraient être en situation régulière dans les bus de la ville qui sont gratuits. Ce sont des choses qui sont pensées et qui montrent tout ce volet raciste des politiques qui aujourd'hui a l'œuvre sur le territoire français. Cet espace est devenu un non-respect des droits humains de par les arrestations qui se font de manière très régulière. des mesures d'enfermement successives et où les gens ne sont pas toujours informés de leurs droits. Les distributions de nourriture par les associations ou des collectifs parfois sont interdites et donc on est obligé d'en faire recours à la justice pour tenter, ne serait-ce que les gens puissent avoir accès à un point d'eau, ne puissent avoir accès à des... à de la nourriture. Il a fallu attendre une ordonnance en 2023 du Conseil d'État pour obliger la commune de Ouistreham et le ministère de l'Intérieur à mettre en place des dispositifs à l'eau potable, à l'eau courante, pour que les gens puissent prendre des douches. On voit qu'au fil des années, ce sont ancrés notamment dans les pratiques dans les pratiques administratives liées à l'hébergement d'urgence, le refus de mettre à l'abri des personnes étrangères parce que le seul fait qu'elle n'ait pas de papier. C'est une manière d'opérer qui va à l'encontre du principe d'égalité et d'inconditionnalité de l'accueil en France.

  • Speaker #2

    On n'a jamais eu autant de moyens déployés et autant d'argent injecté dans la sécurisation de la frontière et autant de personnes décédées à la frontière. Depuis le début de l'année, il y a 14 personnes qui ont perdu la vie.

  • Speaker #0

    Malheureusement, ce décompte des morts est déjà faux. Quelques semaines après notre enregistrement, on déplore 20 morts à la frontière. Et en 2024, le décompte macabre s'élève à 78 personnes qui ont péri en mer.

  • Speaker #2

    Bruno Retailleau a dit en novembre qu'il y avait beaucoup moins de bateaux qui passaient au Royaume-Uni et que c'était super. En effet, il y a moins de bateaux parce qu'il y a de plus en plus de personnes qui vont essayer au sein d'un même bateau. On constate en fait que les chiffres montent et que les personnes qui arrivent au UK entre 2023 et 2024 et maintenant, ça augmente.

  • Speaker #0

    Le Home Office du Royaume-Uni a enregistré environ 35 000 entrées sur son territoire par la Manche en 2024, soit 25% de plus qu'en 2023. Et depuis janvier 2025, nous en sommes quasiment à 15 000 entrées, un niveau jamais atteint aussi tôt dans l'année.

  • Speaker #4

    Ces discours de fermeture des frontières et emprunts de positions idéologiques qui ne correspondent absolument pas à la réalité, et on le voit bien effectivement que ces différents dispositifs qui ont pu être mis en place depuis près de 25 ans. n'empêche pas les gens de traverser. Les projets migratoires des personnes, les projets personnels, sont bien plus forts que ces dispositifs. Mettre en place de bonnes conditions d'accueil ne va pas conduire à ce qui est souvent décrié d'un appel d'air, mais ça va conduire plutôt à créer des conditions saines et acceptables. pour un État de droit comme la France.

  • Speaker #0

    Et pour pallier à tous ces manquements de l'État, mais aussi pour proposer une meilleure coordination citoyenne, que l'association Utopia 56 a été créée fin 2015. Dix ans plus tard, son action dans le Nord s'est largement étoffée.

  • Speaker #2

    Toutes les missions tournent grâce à l'équipe bénévole, qui sont à peu près une quinzaine par mois. Les personnes viennent pour au minimum quatre semaines. Et du coup, on a des missions 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et qui vont principalement être liées aux traversées. On a des missions de maraude de jour, où on va aller sur les lieux de vie, rencontrer les personnes, pouvoir les orienter, essayer de les faire accéder aux droits communs. On va faire beaucoup de réduction des risques, donc par exemple, quel numéro de secours appeler lorsqu'il se passe quelque chose à terre ou est-ce qu'il y a un problème sur une embarcation en mer. On va aussi expliquer des petits gestes réflexes. comment envoyer sa position GPS, comment regarder les vagues, comment mettre un gilet de sauvetage finalement pour essayer de rendre la traversée la moins dangereuse possible si je puis dire. Et ensuite on a un numéro de téléphone qui est une ligne ouverte 24 heures sur 24 et tenue par les bénévoles de jour et de nuit où les personnes nous contactent sur des sollicitations du coup liées au campement où ils ont des besoins d'information, besoin de de soins, de nourriture etc. Et ensuite beaucoup de personnes nous contactent depuis un bateau. ou depuis un camion, où nous on va un peu jouer le relais avec les secours compétents. Et beaucoup de personnes nous contactent aussi, notamment la nuit, sur la côte, proche des plages, lorsqu'ils ont essayé de traverser mais que ça n'a pas fonctionné, par groupe de parfois 40, 50, 70 personnes, qui parfois sont trempées.

  • Speaker #1

    Quels visages ont-ils dans la face de l'eau, dans l'ombre de l'oubli ? Ils voyagent dans le flot rapace de l'esclavage. Quel cœur ont-ils dans un temps rapiécé, dans les grilles de la mort ? Ils voyagent, ils meurent à la une des journaux. Quelle valeur ont-ils sur le marché des passeurs, dans le temps exploité ? Ils voyagent dans le visage du malheur. Quels noms ont-ils sur les murs de la mémoire, dans le silence des consciences ? Anonyme, ils s'embarquent. Anonyme, ils naviguent. Anonyme, ils se noient. Anonyme, il s'oublie. Pierre Goebel, anonyme.

  • Speaker #0

    Avec ses falaises, visibles à l'œil nu les jours de beau temps, la côte anglaise s'affiche comme un mirage, si proche et si souvent inaccessible.

  • Speaker #2

    Les personnes essayent de traverser depuis tout au nord vers la frontière belge jusqu'à sud du Touquet. Ça dure environ 6 à 8 heures lorsque les personnes partent de Calais. Et depuis quelques mois, voire un an ou deux, il y a pas mal de personnes qui essayent de partir depuis la baie de Somme, depuis Dieppe. Parce que du coup, il y a moins de présence policière pour le moment. Ça fait plus de 200 kilomètres, ce qui triple la durée.

  • Speaker #3

    Les personnes, en général, attendent dans des... zones de départ qui vont être des grandes dunes par exemple, des zones où il y a des bois, des territoires où les personnes peuvent se cacher pendant un certain temps, hors des villes, donc hors de Calais, de Boulogne, de Dunkerque, et attendent le moment où elles vont pouvoir monter dans le bateau ou être récupérées par un bateau qui arrive déjà en mer pour tenter la traversée. Et ça, le principal souci, entre guillemets, c'est la présence policière qui est... extrêmement accrue et qui s'accroît d'année en année, de mois en mois, qui rend la montée dans le bateau et le passage en bateau de plus en plus compliqués pour les personnes, de plus en plus violents surtout, et de plus en plus risqués.

  • Speaker #2

    Les départs risqueraient beaucoup dans la précipitation pour justement échapper aux forces de l'ordre. Les personnes, elles ne vont pas prendre le temps de bien gonfler le bateau, de bien mettre leur gilet de sauvetage quand elles en ont. Il y a beaucoup trop de monde pour ces embarcations. Du coup, il y a beaucoup de personnes qui essayent de monter dans le bateau, mais qui n'y arrivent pas. Et c'est là où d'ailleurs... se passe la plupart des accidents ?

  • Speaker #0

    Ces embarcations qui arrivent depuis la mer, on les appelle des taxiboats. Ils sont sous la loi maritime, donc la police n'a plus le droit de les intercepter ni de les arrêter.

  • Speaker #2

    Il y a des nuits où on va recevoir énormément d'appels de points de localisation en pleine mer. On va alerter le CROSS qui s'occupe des secours en mer dans les eaux françaises, ou alors les gardes-côtes côté anglais. On essaye d'obtenir une localisation de la part des personnes et d'avoir des informations sur est-ce qu'il y a quelqu'un à l'eau, est-ce qu'il y a un problème avec le bateau, est-ce que vous avez des gilets de sauvetage, combien il y a de personnes, pour essayer de donner le maximum d'informations au CROSS et qui puisse... après envoyer les moyens adaptés. On leur demande toujours s'ils ont déjà appelé le 112 et les secours et s'ils peuvent essayer de le faire eux-mêmes parce que du coup ça enlève un intermédiaire. C'est si le 112 ne répond pas, si la communication est compliquée, qu'ils n'arrivent pas à parler en français ou en anglais et que du coup ils nous envoient des messages traduits. Une fois qu'on a alerté le CROSS, on fait des petits suivis des situations et si la situation s'empire, on rappelle. Et on essaye de garder le lien avec les personnes pour, si jamais ça ne va pas, leur dire qu'on a prévenu et qu'on espère que les secours vont arriver. Mais on n'a jamais de certitude.

  • Speaker #3

    On en a reçu 18 dans la nuit de lundi à mardi. C'est beaucoup. Je pense que c'est la première fois qu'on en reçoit autant. Mais c'est aussi parce qu'il y a 12 bateaux qui ont traversé cette nuit-là.

  • Speaker #2

    Les nuits où nous, on est débordés, souvent le cross l'est aussi. Il n'y a pas du tout assez de moyens de secours déployés et les équipes ne sont pas forcément formées sur ce qu'on appelle le secours de masse. Mais généralement, les alertes sont prises en compte. Donc ça, c'est rassurant.

  • Speaker #5

    Leurs moyens de sauvetage ne sont pas assez adaptés à la Manche et à ce qui s'y passe, notamment parce que les risques de traversée ne sont plus les mêmes qu'ils l'étaient il y a encore deux ans, où la plupart des drames et des grandes problématiques étaient... Au large.

  • Speaker #0

    Laura, coordinatrice Utopia 56 Calais.

  • Speaker #5

    Et maintenant, ça se passe très très proche de la côte. Donc très peu profond. Et le fait que ce soit très peu profond fait que les gros bateaux n'arrivent pas à se rapprocher assez. Ou qu'ils prennent plus de temps. Parce qu'ils ont trop des fonds de cales profonds.

  • Speaker #2

    Du coup, il y a pas mal de personnes dont la traversée n'a pas fonctionné à quelques centaines de mètres des côtes et qui du coup vont revenir à la nage. Et c'est pour ça aussi que la plupart sont trempés.

  • Speaker #5

    C'est hyper, hyper dangereux, notamment pour les personnes qui reviennent de tentatives ratées et qui sont complètement à pied sur la côte et qui remontent au camp de Grande-Synthe, donc à Lune-Plage. Le plus simple, souvent, c'est de marcher sur l'autoroute. Les gens sont épuisés, viennent de passer des jours dans les dunes, n'ont pas été pris en charge, par exemple, à un retour au port, etc. Ils marchent sur l'autoroute et se font heurter par une voiture, un camion.

  • Speaker #2

    Sinon, celles qui ont été secourues en mer, on va les trouver dans les ports de Boulogne, Calais ou Dunkerque. Il y a toujours une ambulance, un camion de la police aux frontières, des arrestations. Et les personnes sont toujours trempées, n'ont pas eu à manger, n'ont pas vu de médecin, n'ont pas vu de médecin pour la santé physique, mais aussi pour la santé mentale.

  • Speaker #0

    La maraude du littoral intervient toute la nuit pour aller à la rencontre de ces naufragés. L'association appelle ces tentatives des « trailles » . Nous retrouvons deux bénévoles en mission au petit matin, sous une pluie battante à Sangatte, une commune au nom familier. C'est là que, de 1999 à 2002, était installé un hangar pour les personnes en exil. Cette structure d'accueil qui a vu passer 70 000 personnes en trois ans, a finalement été fermée par Nicolas Sarkozy. Cette nuit-là, l'équipe d'Astreinte avait anticipé de traverser, car les conditions météo étaient favorables.

  • Speaker #6

    Ce qu'on appelle fenêtre ouverte, c'est quand on considère qu'il y a des conditions météorologiques avec lesquelles les personnes peuvent traverser.

  • Speaker #0

    Adèle, bénévole Utopia 56.

  • Speaker #6

    On considère qu'au-dessus de 10 nœuds de vent, Et de 0,5 m de vague, ça devient très dangereux de traverser. 0,5 m, puisque c'est à peu près la taille des boudins qui sont sur le small boat. Donc au-dessus, l'eau rentre dans le small boat. Et on regarde aussi la marée, si elle est haute ou basse, puisqu'il y a des endroits où quand la marée est basse, l'eau est à 2 km de la plage. Donc c'est des distances qui sont très longues à traverser. Donc les personnes vont préférer partir en marée haute.

  • Speaker #0

    Et de fait ? L'équipe de Calais a reçu cette nuit-là un appel de détresse. Eux peuvent nous tenir au courant s'ils ont des informations pour dire dans telle zone, il y a un départ qui se prépare, il y a un retour de travail. Et du coup, nous, on est mobile, on peut se déplacer un peu tout le long de la côte. Donc, on peut au mieux, du mieux possible intervenir sur les lieux qui le nécessitent.

  • Speaker #1

    Simon, bénévole Utopia 56.

  • Speaker #0

    Et on a aussi du coup des outils, notamment Vessel Finder. et Marine Trafic qui sont des applications site internet qui répertorie les bateaux parce que du coup quand des personnes exilées partent en mer, elles peuvent être accompagnées par le CROSS donc les gares de côte qui peuvent les accompagner jusqu'aux côtes anglaises ou les ramener parfois au port de Calais. Et du coup en fonction du positionnement, de la vitesse des différents bateaux on peut euh... devinés, suspectés d'avoir telle ou telle situation. Ensuite on essaie de confirmer en se rendant sur place, en communiquant avec les autres équipes pour essayer d'être le plus réactif pour aider les personnes qui sont de retour sur les côtes françaises.

  • Speaker #2

    On essaie de comprendre ce qui s'est passé. Généralement les personnes nous disent direct « la police a gazé, la police a coupé le bateau » et du coup là on essaie d'avoir le maximum d'informations pour essayer nous derrière d'agir. et de leur dire que c'est pas normal et qu'ils n'ont pas à vivre ça.

  • Speaker #0

    On essaye de voir déjà eux leurs besoins. La priorité souvent c'est s'ils sont encore mouillés, donc de leur apporter des vêtements secs déjà. Après on a du gâteau, des thés pour les réconforter et leur redonner un peu d'énergie.

  • Speaker #2

    Les personnes nous demandent un hébergement parce que parfois il est 2h du matin, ils sont à plus de 6h à pied de leur lieu de vie. Le 115, tous les foyers sont saturés, il n'y a pas de mise à l'abri possible. Et du coup, là, on va essayer de faire pression sur les autorités pour des ouvertures de gymnases, pour quelques heures, des ouvertures de salles. Ça, ça ne marche quasiment jamais. Mais on essaye quand même et on essaye d'expliquer au mieux aux personnes et si elles ont envie d'attendre et si on les a envie qu'on lance tout ça, on le fait.

  • Speaker #0

    Et après, il y a tout un tissu associatif où on essaie de les rediriger s'ils ont besoin de logement. Il y a une assez bonne coordination entre les différentes associations. Sur Calais et alentour, il y a des logements d'urgence, des logements spécialisés pour les mineurs non accompagnés, mais qui peuvent être assez vite remplis. En dernier recours, en tout cas, ce qu'on essaye, c'est au moins de fournir des tentes et des couvertures. Mais même ça, on n'a pas des stocks illimités non plus, donc on priorise certaines situations par rapport à d'autres.

  • Speaker #2

    Le but, c'est aussi juste de discuter, d'être là en soutien et que si les personnes ont envie de parler, on soit là. et parfois les personnes elles sont juste fatiguées et énervées, traumatisées et du coup on est là. Il y a des personnes qu'on croise plusieurs fois dans la même semaine sur les mêmes plages et d'autres où on s'est connu juste le temps d'une heure, une nuit et voilà. On est souvent accusé... de complicité avec les réseaux de passage ou même d'aide au passage complètement. On se fait extrêmement contrôler, on est suivi parfois quand on est sur le littoral. Il y a beaucoup de contrôles qui sont plus ou moins intimidants envers nos équipes bénévoles. On a donné par exemple nos plaques de voiture, on a des stickers sur notre voiture, on a des chasubles. Et pour autant, ils fouillent tout le coffre, ils nous demandent de sortir. Ils essayent de nous immobiliser par moments.

  • Speaker #3

    Il y a des policiers qui sont vraiment... Ils m'ont persuadée que ce qu'on fait, c'est mal, qu'ils ne connaissent pas du tout le terrain, qu'ils nous demandent si on a de l'essence, des bateaux dans nos véhicules et qu'ils vont nous demander de partir, nous demander de ne pas filmer alors qu'on a le droit de filmer la police.

  • Speaker #2

    On est quand même témoins, nous, de beaucoup, beaucoup de violences policières et ils savent qu'on est là, qu'on documente, qu'on regarde et qu'on essaye de relayer.

  • Speaker #3

    On note les plaques, ce qui nous permet après de pouvoir comparer avec des situations qu'on reçoit ou des témoignages de personnes qui nous disent qu'elles ont reçu des violences policières, de savoir quel corps était présent à ce moment-là.

  • Speaker #2

    Et à côté, il y a parfois des agents de police qui viennent et qui nous appellent, qui nous disent « oui, il y a une famille qui est trempée, il faut que vous veniez l'aider, etc. » Du coup, c'est un rapport assez ambigu. Évidemment que la police, sa mission n'est pas de rhabiller les personnes, mais c'est d'activer la protection civile via la préfecture pour rhabiller les personnes, pour éviter les risques d'hypothermie, etc.

  • Speaker #4

    On se retrouve souvent à faire une position d'intermédiaire entre les gens et les services étatiques. Alors avec la mairie de Calais, c'est extrêmement compliqué, il n'y en a pas de rapport, mais ça, c'est pas que Utopia, c'est toutes les assos. Et ça, c'est pareil avec toutes les mairies du littoral. On fait un travail de mise en relation avec les mairies du littoral parce qu'elles ont un pouvoir d'agir, notamment pour la prise en charge des personnes en tentative de passage ratée. Et c'est aussi super compliqué parce qu'il y a aussi la préfecture qui... a envie de garder un étau dessus, un regard sur ce qui se passe. La préfecture du Pas-de-Calais bloque énormément nos demandes. Donc c'est très compliqué de rentrer en contact et d'instaurer un lien, juste professionnel.

  • Speaker #2

    Ça fait des années que ça dure. Et vu que tout est fait pour invisibiliser les personnes, et il n'y a aucune vraie information. qui est donnée aux habitants et habitantes aussi. Il y en a beaucoup qui ne se saisissent pas de cet enjeu-là ou qui, en fait, ne comprennent même pas trop ce qui se passe ici. Et vu qu'on martèle l'information que les personnes exilées sont des personnes dangereuses, que ça crée de l'insalubrité, que ça crée de l'insécurité, j'entends que ce discours marche et qu'il soit pris en compte. Ce qui est important, c'est justement d'essayer d'informer et d'expliquer. et de raconter pourquoi les personnes sont là et pourquoi est-ce qu'elles doivent partir, ou veulent, mais souvent c'est qu'elles doivent partir. Quand on essaye d'organiser des réunions publiques, par exemple, pour informer, ou quand on essaye de faire tout ça, c'est souvent la mairie ou la préfecture qui bloquent et qui ne nous autorisent pas d'ouvrir des salles. Et en même temps, par exemple, quand on fait des collectes alimentaires et qu'on explique le travail qu'on fait, il y a quand même beaucoup de soutien et de messages de force, donc ça c'est rassurant, ça fait du bien.

  • Speaker #4

    Il y a un gros travail étatique. qui a travaillé avec les médias, en tout cas symboliquement et en termes de représentation. Il y a eu un énorme travail de fait pour que les gens oublient la situation à Calais et une image de... En fait, c'est une frontière, mais il n'y a plus personne qui essaye de la franchir. C'est très difficile de la déconstruire, cette image, quand elle a été mise dans le crâne de tous les Français et Françaises pendant dix ans.

  • Speaker #2

    Il y a des personnes qui arrivent carrément à aller sur la plage le dimanche et à profiter. Moi, je crois qu'à chaque plage, j'ai une situation en tête qui me revient et j'ai du mal.

  • Speaker #4

    Je ne sais pas si on s'habitue, on intériorise au fur et à mesure. Il y a des situations qui nous touchent de moins en moins, ou au contraire, qui vont de plus en plus nous toucher, etc. Parce qu'on les voit tout le temps. Je pense qu'il faut arriver à garder... en tête que c'est pas normal.

  • Speaker #1

    Comment faire face, à titre personnel, à ces situations d'extrême précarité et de grande détresse au quotidien ? Comment ne pas sombrer dans la colère ou dans l'abattement ? Chacun, chacune, trouve son propre ressort parmi les ressources psy, les groupes de parole et les vacances obligatoires tous les deux mois chez Utopia 56. Mais tout semble surtout s'articuler autour du collectif.

  • Speaker #4

    On arrive dans cette bulle militante associative qui fait qu'on a envie de s'investir plus. C'est un territoire où il y a énormément d'initiatives de mise en commun de la lutte et de comment on arrive à travailler ensemble malgré nos différences associatives, de positionnement et à unir nos liens pour aider au mieux ces personnes tout en réfléchissant sur notre positionnement militant, notre positionnement de sauveur ou entre guillemets.

  • Speaker #2

    C'est important de se replacer et de se dire que dans tous les cas, quoi qu'il arrive, on n'est que en soutien. Et qu'en fait, les personnes sont arrivées jusqu'ici sans nous. Se dire que, ouais, juste on n'est pas indispensable et qu'on fait de notre mieux. Mais que dans tous les cas, il y aura toujours plus à faire. C'est jamais fini. Je pleure beaucoup moins depuis que je suis ici et je rigole. Tout est ultra intense, que ce soit le terrain, la violence, mais du coup aussi les amitiés qu'on crée. Ce collectif-là fait vivre aussi plein d'espoir, plein de partage d'expériences, de pratiques, de luttes politiques aussi en général. Et du coup, ça redonne beaucoup de force.

  • Speaker #4

    Notre situation est absolument incomparable à celle des personnes qui vivent dans les campements et qui tentent de la traverser. Et c'est des personnes qui gardent l'envie ou en tout cas la force de traverser et de continuer à... à lutter intérieurement pour leur situation. Ça donne de la motivation pour continuer à travailler.

  • Speaker #5

    Il y a aussi beaucoup de moments de joie, de sourire, de partage qu'on peut expérimenter avec les gens sur leur campagne, malgré les conditions de vie, etc.

  • Speaker #1

    Clément, bénévole Utopia 56.

  • Speaker #5

    Généralement, c'est nous qui arrivons, qui proposons de l'eau. Mais ça m'est arrivé plusieurs fois que les gens, au contraire, ils nous accueillent, ils nous proposent du thé à nous. C'est un peu un renversement du rapport qu'on a habituellement. Mais en même temps, c'est... très normal parce qu'on se déplace chez les gens, même s'ils vivent de manière très informelle. On se déplace chez eux et ils nous accueillent comme tel,

  • Speaker #6

    avec le sourire.

  • Speaker #1

    La musique que vous écoutez

  • Speaker #6

    a été créée et enregistrée dans la jungle de Calais en 2016 avec des musiciens exilés et anglais sur les paroles de deux jeunes sœurs afghanes de 9 et 12 ans.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter Je suis migrant, une série documentaire indépendante. Merci à Angèle, Salomé, Laura, Adèle, Simon et Clément de l'équipe Utopia 56, Calais et Grande-Synthe d'avoir partagé avec nous leur expérience militante et solidaire. Merci également à Olivier Clochard. Et merci à vous pour votre écoute.

Description

Médiatisée au moment de la Jungle en 2016, la ville de Calais est depuis sortie des radars médiatiques. Pourtant certain·e·s ont fait le choix de ne pas détourner le regard de la frontière franco-britannique qui tue toujours un peu plus ; de garder les yeux rivés sur la Manche, cette mer qui avale les candidat·e·s à l ‘exil. L’association Utopia56 s’est engagée, le long du littoral, au plus près de ces traversées périlleuses.

Que se passe-t-il réellement à Calais ? Nous avons voulu comprendre – entre les lignes - la situation d’impasse actuelle et les enjeux migratoires qui s’y jouent…


Avec l’équipe Utopia56 : Angèle et Laura, coordinatrices Calais ; Salomé, coordinatrice Grande-Synthe ; Adèle, Simon et Clément, bénévoles.

Un épisode commenté par Olivier Clochard, Géographe, chargé de recherche au CNRS et directeur de Migrinter.



📖 SOURCES :

🎵 MUSIQUES :

  • Khandahar - The Calais Sessions

  • A Fortnight - Jamie Ross Breiwick, John Christensen, Jerry Gruvis, Jordan Spencer Lee

  • Just Feels Right - Nicolas Phillimore Dagnall, Vance Westlake


🎙️ LECTURE :

  • Océane Claveau


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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    3,6% de la population mondiale n'habite pas dans son pays de naissance. De ce chiffre est née notre envie de raconter les histoires des migrations qui forgent cette réalité. Les parcours de celles et ceux qui souffrent de n'être que des statistiques. Je suis migrant leur rend la parole.

  • Speaker #1

    Si la Terre a des frontières, les rêves des migrants n'en auront jamais. Souleymane Boel

  • Speaker #2

    En fait, je trouvais ça dingue que des personnes risquent leur vie pour essayer d'atteindre un territoire.

  • Speaker #0

    Je suis migrant, épisode 5, calé entre les lignes.

  • Speaker #2

    On fait de l'accueil par le trottoir pour des personnes qui, en fait, juste fuient d'autres choses et je pense que ce serait complètement récidant leur pays si vous avez pu avoir le choix. Je ne comprends pas comment on laisse des gens mourir. Je me sens un peu responsable quand même. C'est littéralement chez moi que ça se passe.

  • Speaker #0

    Ces quelques phrases de Salomé, coordinatrice Utopia 56 Grande Sainte, résument bien les interrogations qui nous ont menées à Calais. Nous avons eu envie de comprendre ce qui se passe dans cette ville frontière et appréhender la réalité des traversées en suivant l'engagement d'Utopia 56 au plus près de cette barrière maritime. Ces deux antennes de Calais et Grande Sainte sont les seules structures associatives du coin qui reçoivent directement les appels de détresse en mer et organisent conjointement les maraudes nocturnes dites du littoral. Dans cet épisode, vous n'entendrez pas directement le récit des personnes en exil, mais derrière toutes les voix que vous allez entendre, ce sont bien sûr d'elles que nous parlons, de leur détermination à franchir cette ligne invisible, mais pourtant bien mortelle.

  • Speaker #3

    Depuis... La fermesure et le démantèlement de la Grande Jungle en 2016, qui a atteint 10 000 personnes. Les personnes exilées sont repoussées hors du centre-ville de Calais et invisibilisées par une politique qui s'appelle « lutte contre les points de fixation » , ce que nous, on va appeler des décampements ou des lieux de vie de ces personnes-là. Le terme « jungle » , c'est un mot qui est employé par les personnes elles-mêmes pour décrire leur endroit, parce que ça veut dire « forêt » dans certaines langues. Les personnes s'installent dans des petits campements informels. sous tente quand elles réussissent à avoir des tentes, dans les petits espaces verts qui restent aux alentours de Calais. Donc très loin des points de distribution de l'État, très loin de l'aide qui peut être apportée dans Calais. Donc c'est assez compliqué pour elles d'avoir accès à une aide humanitaire ou en tout cas une aide de première urgence de qualité. Et ça va être aussi des squats. Des bâtiments abandonnés qui sont squattés, il y en a notamment un en ce moment depuis à peu près un an, où il y a plus ou moins 300 personnes à l'intérieur, dans un hangar. Ça passe aussi par un espace urbain qui est rendu le plus hostile possible, avec notamment des rochers qui ont été installés cet hiver, par exemple, sur les quais du centre-ville, dans des petits parcs du centre-ville, avec plus de 3000 tonnes de rochers qui ont été déversés par la mairie pour empêcher l'installation des tentes, dans les lieux visibles notamment. Ça passe surtout par un climat de contrôle policier super fréquent, d'arrestation arbitraire, d'obéissance et d'éviction toutes les 48 heures. Donc avec un cordon de CRS et une entreprise de nettoyage qui vient expulser les personnes de leur tente, récupérer ces tentes et les effets personnels des gens. N'importe qui qui est venu il y a longtemps le dira que c'est de plus en plus dur pour les gens d'habiter à Calais. de survivre sur les campements, etc., avec un rythme d'expulsion qui est phénoménal. Il y a tout qui est fait pour les empêcher d'habiter ici, de rester à la frontière.

  • Speaker #0

    Grande-Synthe connaît le même phénomène d'éloignement des personnes exilées.

  • Speaker #2

    Petit à petit, le campement n'est même plus dans la commune de Grande-Synthe. Les personnes ont été vraiment poussées à l'extérieur dans une nouvelle commune qui s'appelle Loun-Plage.

  • Speaker #0

    Salomé, coordinatrice Utopia 56 Grande-Synthe.

  • Speaker #2

    Les personnes vont rester ici par organisation et parce qu'il y a énormément d'associations. C'est là où les personnes peuvent avoir accès à ne serait-ce qu'une tente, une couverture et un repas de midi. Il n'y a absolument pas d'accueil de jour. Les personnes restent en errance jour comme nuit dans les champs à côté de la départementale de Lounes-Plage et dans la boue ou dans les forêts. Ici à Grande-Synthe, il n'y a aucune action du département pour les mineurs qui sont présents sur le camp. pour les identifier, pour... leur présenter leurs droits et pour les mettre à l'abri. Pour un petit exemple, là en novembre 2025 doit commencer la construction d'un centre de rétention administrative sur la commune de Lounes-Plage. Mais par contre un foyer ou un hôtel d'hébergement, il n'y a pas les moyens.

  • Speaker #3

    Le nombre de populations exilées qu'il peut y avoir à Calais, ça se trouve entre 400 et 800 personnes. avec beaucoup de femmes, seules, isolées, avec des enfants et des familles aussi. Et la population varie au rythme des fenêtres météo et des passages dans la Manche. En une nuit, on peut passer de 800 personnes à 400 personnes facilement.

  • Speaker #2

    En ce moment, par exemple, il y a environ 700-800 personnes. Et l'été 2024, on était à 1200 personnes sur Grand Sainte. Et que ce soit hommes, femmes, enfants, familles, bébés, mineurs non accompagnés, tout le monde est un peu sur les mêmes lieux de vie.

  • Speaker #3

    Il y a beaucoup de Soudanais, beaucoup de personnes afghanes aussi, des personnes syriennes. Je pense que ça, c'est les trois nationalités les plus représentées. Il y a beaucoup de Koweïtiens, notamment de la communauté bidoune. Et après, il y a plein de petits lieux de vie dans lesquels vivent des personnes érythréennes, somaliennes. et éthiopiennes. Il y a un peu moins en ce moment de personnes iraniennes, mais c'est quand même très régulier.

  • Speaker #2

    On a aussi pas mal de personnes vietnamiennes à Grande-Synthe.

  • Speaker #3

    L'hiver, ça va être le moment où il y a moins de fenêtres météo. Les personnes qui passent en bateau, elles peuvent passer deux à trois semaines sous détente jusqu'à ce qu'elles réussissent le passage. L'été, il y a des personnes qui passent une journée. qui arrivent en train et qui repartent en bateau le lendemain et qui réussissent la traversée. Il y a des communautés qui vont arriver à mettre en place des réseaux infrafamiliaux ou en tout cas de leur côté pour récolter l'argent nécessaire pour passer en bateau. Là où il y a des communautés qui ont moins de chance, moins de moyens, notamment la communauté soudanaise, et qui va du coup se tourner sur des solutions qui sont moins chères et qui vont être le passage en camion. C'est un moyen de passage qui est très très long et très très difficile à entreprendre. Donc il y a des personnes qui peuvent passer parfois un an à Calais jusqu'à ce qu'elles réussissent le passage en camion. À l'époque, les deux poques de la Grande Jungle et même avant, tout le monde tentait en camion. Sauf qu'il y a eu énormément de moyens de sécurisation qui ont été mis en place, ce qui rend le passage de plus en plus dur. Et donc, au fur et à mesure, les gens se sont tournés vers des passages en bateau. Et donc maintenant, c'est le moyen de traverser principal, même si... Ces passages en camion sont toujours existants. C'est hyper difficile de donner un chiffre parce que ce sont des personnes qui ne sont pas trouvées une fois qu'elles arrivent en Angleterre, contrairement aux personnes en bateau.

  • Speaker #0

    Mais revenons justement un peu en arrière sur la construction de cette frontière franco-britannique et de son hyper-sécurisation progressive.

  • Speaker #4

    Cette frontière à Calais, du moins cette frontière migratoire, a été construite par... des ententes bilatérales entre la France et le Royaume-Uni, et avec des soutiens aussi de l'Union européenne.

  • Speaker #0

    Olivier Clochard, géographe, chargé de recherche au CNRS et directeur de MigrinTerre.

  • Speaker #4

    Un des premiers accords qui ont été mis en place, c'est avec le projet d'ouverture du tunnel sous la Manche, et notamment avec l'accord de Sangatte de 1991, qui répondait à une situation inédite. l'accès au territoire britannique via la lévion ferroviaire Transmanche, notamment celle de l'Eurostar, mais pas que, parce que ça concernait aussi les marchandises. Et donc l'idée, c'était de rationaliser les contrôles frontaliers de part et d'autre de la Manche pour fluidifier aussi bien les trafics des marchandises que les trafics des voyageurs. Avec l'arrivée du ferroviaire, on voit qu'il y a des passages irréguliers qui se mettent en place. et de plus en plus loin, depuis les gares qui relient Londres à Paris ou à Lille, voire à Bruxelles, etc. Et puis, on va avoir aussi un étalement de ces passages face aux contrôles qui se mettent en place, aussi bien au niveau du terminal Transmange qu'au sein du port de Calais. On va avoir des contrôles qui vont se mettre en place. vers Dunkerque, Le Havre, Ouistreham, près de Caen, voire Cherbourg. C'est vraiment un des premiers éléments de l'externalisation des contrôles migratoires que le Royaume-Uni met en place sur le territoire français. Et donc il demande aux autorités françaises d'assurer un contrôle de plus en plus important. pour tenter de freiner les tentatives irrégulières des personnes qui tentent de gagner l'Angleterre.

  • Speaker #0

    Ce sont les accords du Touquet, signés en 2003, qui permettent à la fois cette délocalisation des contrôles dans un plus grand nombre de points de passage, mais aussi des contrôles frontaliers britanniques directement sur le territoire français. Par exemple, pour chaque passager clandestin intercepté dans un camion français, Les autorités britanniques verbalisent lourdement les transporteurs et les chauffeurs. La sanction, une amende récemment passée de 2 000 à plus de 12 000 euros, pousse les chauffeurs à s'en prendre violemment aux personnes exilées. Et les moyens de contrôle se font toujours plus innovants et performants.

  • Speaker #4

    On va avoir de nouvelles technologies qui vont se mettre en place, ça va être des détecteurs de rythme cardiaque. des recours à des chiens renifleurs dans les premiers temps, on va avoir des scanners qui vont être déployés par les Français, mais aussi par l'armée britannique, pour contrôler les camions de transport de marchandises, on va avoir des doublements, voire des triplements de clôtures autour des zones portuaires et ferroviaires, dont là aussi, certaines sont parfois offertes par la Grande-Bretagne, et on va avoir aussi la mise en place de plusieurs centaines. de caméras fixes et mobiles, de vidéosurveillance dans les zones urbaines, mais aussi dans les zones littorales, avec des drones.

  • Speaker #2

    J'aime pas trop parler d'inaction de l'État parce qu'en fait, l'État fait beaucoup. Ils englent tout sur la sécurité et j'entends beaucoup de personnes, notamment des hébergeurs qui sont originaires d'ici, qui ne comprennent pas comment le paysage a autant changé. C'est hyper violent en fait. Moi, je vois déjà en deux ans ce que ça a changé. Il n'y avait pas de barbelés il y a deux ans à Grande-Synthe, il n'y avait pas de clôture. toutes les barrières qu'il y a.

  • Speaker #4

    Il y avait notamment Pierre Bonneval qui a fourni un rapport pour la plateforme de soutien aux migrants, la PSM, en 2022, qui avait estimé 1,3 milliard d'euros sur la période de 1998 à 2021 pour des investissements sécuritaires. C'est un chiffre assez disproportionné au regard des besoins humanitaires nécessaires auprès des personnes qui sont en transit. dans la région de Calais, mais aussi dans d'autres ports de la Manche.

  • Speaker #3

    C'est un endroit où on sait que les personnes traversent. Elles n'occupent pas l'espace, elles sont en mouvement perpétuel, elles vont traverser, elles sont là pour traverser la Manche. C'est ça qui change avec... Une ville, par exemple Paris, où il y a beaucoup de populations exilées en attente d'asile ou en attente de statut, qui dort à la rue aussi, mais qui par contre s'installe, s'implante dans cette ville-là. C'est soit des personnes qui sont à la fin de leur route de migration, qui sont à 30 kilomètres de leur arrivée. Donc c'est des personnes qui ont envie de traverser et qui ont encore l'énergie de faire cette traversée-là. mais qui sont quand même très très fatigués de tout le parcours qu'ils ont vécu avant. C'est assez ambivalent de voir qu'on est à 30 kilomètres, mais c'est très très difficile de traverser cette frontière, donc c'est assez difficile pour elles psychologiquement.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui motive ces personnes à poursuivre leur chemin ? Pourquoi cette attractivité du Royaume-Uni ? Nous avons posé la question à Olivier Clochard.

  • Speaker #4

    Parfois parce que les gens pratiquent la langue. et ça leur semble plus facile pour pouvoir trouver un emploi, pour pouvoir s'intégrer dans un pays, parfois parce que les gens ont des liens familiaux ou amicaux. Donc là, on parle effectivement de filières migratoires. Et puis après, on peut avoir aussi des raisons qui sont entretenues par la situation calaisienne. on va avoir des... des réseaux de passeurs qui vont entretenir l'idée qu'en Angleterre, ce sera beaucoup plus facile et que la situation sociale et économique sera bien meilleure qu'à Calais.

  • Speaker #3

    Et après, il y a le deuxième type de personnes qui vont être des gens qui ont été déboutés du droit d'asile en Europe ou alors qui sont dublinés dans un pays dans lequel ils n'ont pas envie. de demander l'asile, donc à leurs empreintes dans ce pays-là, et qui du coup traversent pour échapper au système du Blin, puisqu'étant donné que le Royaume-Uni est sorti de l'Union européenne, ne dépend plus du même système d'asile. Et pour ces personnes-là, c'est encore un autre niveau de difficulté parce que c'est des gens qui ont eu l'espoir d'avoir un statut en Europe, de s'installer en Europe, et qui ne pensaient pas forcément à traverser la Manche à la base, et qui du coup se retrouvent à retenter un parcours d'exil après un premier parcours d'exil, à replonger dans une situation de rue pour certaines, à de nouveau faire face à la police et à des situations de frontières. Donc c'est un autre niveau de difficulté psy, je pense.

  • Speaker #2

    En une semaine, on a dû appeler 12 fois le 15 ou le 18 pour des personnes qui ne se sentaient pas bien sur le camp, qui décompensaient ou alors qui étaient complètement malades ou blessées. Ça crée d'énormes traumas. Il y a toute la violence, qu'elle soit du coup policière, mais qu'elle soit aussi institutionnelle, étatique, les habitants à côté parfois. Tout ça, en fait, c'est juste un environnement extrêmement violent. Les personnes sont tout le temps traumatisées et personne ne fait rien, mis à part les personnes solidaires d'ici.

  • Speaker #3

    En fait, il y a beaucoup, beaucoup d'incompréhension. Il y a des personnes qui se font démanteler leur campement le matin et le soir, qui se font empêcher la traversée de la Manche. Et en fait, ces personnes, elles nous disent, mais ils nous enlèvent notre tente, ils ne veulent pas qu'on reste là, mais ils nous empêchent aussi de partir. C'est un gros questionnement, une grosse problématique parce que les personnes ne comprennent pas et sont un peu déboussolées et surtout très en colère aussi contre l'État français qui fait ça.

  • Speaker #4

    Pour reprendre une expression notamment... qui avait été prononcée pour la première fois en 2012 par Theresa May, qui était alors secrétaire d'État à l'intérieur au niveau du Royaume-Uni, elle parlait de la création d'un environnement hostile. Aujourd'hui, les politiques d'asile et d'immigration de la France sont assez marquées par cette expression-là. Il y a des cabinets qui réfléchissent à une possibilité, par exemple sur Calais, de pouvoir mettre en place un dispositif discriminatoire, à savoir qu'on ferait monter une équipe. uniquement les personnes qui pourraient être en situation régulière dans les bus de la ville qui sont gratuits. Ce sont des choses qui sont pensées et qui montrent tout ce volet raciste des politiques qui aujourd'hui a l'œuvre sur le territoire français. Cet espace est devenu un non-respect des droits humains de par les arrestations qui se font de manière très régulière. des mesures d'enfermement successives et où les gens ne sont pas toujours informés de leurs droits. Les distributions de nourriture par les associations ou des collectifs parfois sont interdites et donc on est obligé d'en faire recours à la justice pour tenter, ne serait-ce que les gens puissent avoir accès à un point d'eau, ne puissent avoir accès à des... à de la nourriture. Il a fallu attendre une ordonnance en 2023 du Conseil d'État pour obliger la commune de Ouistreham et le ministère de l'Intérieur à mettre en place des dispositifs à l'eau potable, à l'eau courante, pour que les gens puissent prendre des douches. On voit qu'au fil des années, ce sont ancrés notamment dans les pratiques dans les pratiques administratives liées à l'hébergement d'urgence, le refus de mettre à l'abri des personnes étrangères parce que le seul fait qu'elle n'ait pas de papier. C'est une manière d'opérer qui va à l'encontre du principe d'égalité et d'inconditionnalité de l'accueil en France.

  • Speaker #2

    On n'a jamais eu autant de moyens déployés et autant d'argent injecté dans la sécurisation de la frontière et autant de personnes décédées à la frontière. Depuis le début de l'année, il y a 14 personnes qui ont perdu la vie.

  • Speaker #0

    Malheureusement, ce décompte des morts est déjà faux. Quelques semaines après notre enregistrement, on déplore 20 morts à la frontière. Et en 2024, le décompte macabre s'élève à 78 personnes qui ont péri en mer.

  • Speaker #2

    Bruno Retailleau a dit en novembre qu'il y avait beaucoup moins de bateaux qui passaient au Royaume-Uni et que c'était super. En effet, il y a moins de bateaux parce qu'il y a de plus en plus de personnes qui vont essayer au sein d'un même bateau. On constate en fait que les chiffres montent et que les personnes qui arrivent au UK entre 2023 et 2024 et maintenant, ça augmente.

  • Speaker #0

    Le Home Office du Royaume-Uni a enregistré environ 35 000 entrées sur son territoire par la Manche en 2024, soit 25% de plus qu'en 2023. Et depuis janvier 2025, nous en sommes quasiment à 15 000 entrées, un niveau jamais atteint aussi tôt dans l'année.

  • Speaker #4

    Ces discours de fermeture des frontières et emprunts de positions idéologiques qui ne correspondent absolument pas à la réalité, et on le voit bien effectivement que ces différents dispositifs qui ont pu être mis en place depuis près de 25 ans. n'empêche pas les gens de traverser. Les projets migratoires des personnes, les projets personnels, sont bien plus forts que ces dispositifs. Mettre en place de bonnes conditions d'accueil ne va pas conduire à ce qui est souvent décrié d'un appel d'air, mais ça va conduire plutôt à créer des conditions saines et acceptables. pour un État de droit comme la France.

  • Speaker #0

    Et pour pallier à tous ces manquements de l'État, mais aussi pour proposer une meilleure coordination citoyenne, que l'association Utopia 56 a été créée fin 2015. Dix ans plus tard, son action dans le Nord s'est largement étoffée.

  • Speaker #2

    Toutes les missions tournent grâce à l'équipe bénévole, qui sont à peu près une quinzaine par mois. Les personnes viennent pour au minimum quatre semaines. Et du coup, on a des missions 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et qui vont principalement être liées aux traversées. On a des missions de maraude de jour, où on va aller sur les lieux de vie, rencontrer les personnes, pouvoir les orienter, essayer de les faire accéder aux droits communs. On va faire beaucoup de réduction des risques, donc par exemple, quel numéro de secours appeler lorsqu'il se passe quelque chose à terre ou est-ce qu'il y a un problème sur une embarcation en mer. On va aussi expliquer des petits gestes réflexes. comment envoyer sa position GPS, comment regarder les vagues, comment mettre un gilet de sauvetage finalement pour essayer de rendre la traversée la moins dangereuse possible si je puis dire. Et ensuite on a un numéro de téléphone qui est une ligne ouverte 24 heures sur 24 et tenue par les bénévoles de jour et de nuit où les personnes nous contactent sur des sollicitations du coup liées au campement où ils ont des besoins d'information, besoin de de soins, de nourriture etc. Et ensuite beaucoup de personnes nous contactent depuis un bateau. ou depuis un camion, où nous on va un peu jouer le relais avec les secours compétents. Et beaucoup de personnes nous contactent aussi, notamment la nuit, sur la côte, proche des plages, lorsqu'ils ont essayé de traverser mais que ça n'a pas fonctionné, par groupe de parfois 40, 50, 70 personnes, qui parfois sont trempées.

  • Speaker #1

    Quels visages ont-ils dans la face de l'eau, dans l'ombre de l'oubli ? Ils voyagent dans le flot rapace de l'esclavage. Quel cœur ont-ils dans un temps rapiécé, dans les grilles de la mort ? Ils voyagent, ils meurent à la une des journaux. Quelle valeur ont-ils sur le marché des passeurs, dans le temps exploité ? Ils voyagent dans le visage du malheur. Quels noms ont-ils sur les murs de la mémoire, dans le silence des consciences ? Anonyme, ils s'embarquent. Anonyme, ils naviguent. Anonyme, ils se noient. Anonyme, il s'oublie. Pierre Goebel, anonyme.

  • Speaker #0

    Avec ses falaises, visibles à l'œil nu les jours de beau temps, la côte anglaise s'affiche comme un mirage, si proche et si souvent inaccessible.

  • Speaker #2

    Les personnes essayent de traverser depuis tout au nord vers la frontière belge jusqu'à sud du Touquet. Ça dure environ 6 à 8 heures lorsque les personnes partent de Calais. Et depuis quelques mois, voire un an ou deux, il y a pas mal de personnes qui essayent de partir depuis la baie de Somme, depuis Dieppe. Parce que du coup, il y a moins de présence policière pour le moment. Ça fait plus de 200 kilomètres, ce qui triple la durée.

  • Speaker #3

    Les personnes, en général, attendent dans des... zones de départ qui vont être des grandes dunes par exemple, des zones où il y a des bois, des territoires où les personnes peuvent se cacher pendant un certain temps, hors des villes, donc hors de Calais, de Boulogne, de Dunkerque, et attendent le moment où elles vont pouvoir monter dans le bateau ou être récupérées par un bateau qui arrive déjà en mer pour tenter la traversée. Et ça, le principal souci, entre guillemets, c'est la présence policière qui est... extrêmement accrue et qui s'accroît d'année en année, de mois en mois, qui rend la montée dans le bateau et le passage en bateau de plus en plus compliqués pour les personnes, de plus en plus violents surtout, et de plus en plus risqués.

  • Speaker #2

    Les départs risqueraient beaucoup dans la précipitation pour justement échapper aux forces de l'ordre. Les personnes, elles ne vont pas prendre le temps de bien gonfler le bateau, de bien mettre leur gilet de sauvetage quand elles en ont. Il y a beaucoup trop de monde pour ces embarcations. Du coup, il y a beaucoup de personnes qui essayent de monter dans le bateau, mais qui n'y arrivent pas. Et c'est là où d'ailleurs... se passe la plupart des accidents ?

  • Speaker #0

    Ces embarcations qui arrivent depuis la mer, on les appelle des taxiboats. Ils sont sous la loi maritime, donc la police n'a plus le droit de les intercepter ni de les arrêter.

  • Speaker #2

    Il y a des nuits où on va recevoir énormément d'appels de points de localisation en pleine mer. On va alerter le CROSS qui s'occupe des secours en mer dans les eaux françaises, ou alors les gardes-côtes côté anglais. On essaye d'obtenir une localisation de la part des personnes et d'avoir des informations sur est-ce qu'il y a quelqu'un à l'eau, est-ce qu'il y a un problème avec le bateau, est-ce que vous avez des gilets de sauvetage, combien il y a de personnes, pour essayer de donner le maximum d'informations au CROSS et qui puisse... après envoyer les moyens adaptés. On leur demande toujours s'ils ont déjà appelé le 112 et les secours et s'ils peuvent essayer de le faire eux-mêmes parce que du coup ça enlève un intermédiaire. C'est si le 112 ne répond pas, si la communication est compliquée, qu'ils n'arrivent pas à parler en français ou en anglais et que du coup ils nous envoient des messages traduits. Une fois qu'on a alerté le CROSS, on fait des petits suivis des situations et si la situation s'empire, on rappelle. Et on essaye de garder le lien avec les personnes pour, si jamais ça ne va pas, leur dire qu'on a prévenu et qu'on espère que les secours vont arriver. Mais on n'a jamais de certitude.

  • Speaker #3

    On en a reçu 18 dans la nuit de lundi à mardi. C'est beaucoup. Je pense que c'est la première fois qu'on en reçoit autant. Mais c'est aussi parce qu'il y a 12 bateaux qui ont traversé cette nuit-là.

  • Speaker #2

    Les nuits où nous, on est débordés, souvent le cross l'est aussi. Il n'y a pas du tout assez de moyens de secours déployés et les équipes ne sont pas forcément formées sur ce qu'on appelle le secours de masse. Mais généralement, les alertes sont prises en compte. Donc ça, c'est rassurant.

  • Speaker #5

    Leurs moyens de sauvetage ne sont pas assez adaptés à la Manche et à ce qui s'y passe, notamment parce que les risques de traversée ne sont plus les mêmes qu'ils l'étaient il y a encore deux ans, où la plupart des drames et des grandes problématiques étaient... Au large.

  • Speaker #0

    Laura, coordinatrice Utopia 56 Calais.

  • Speaker #5

    Et maintenant, ça se passe très très proche de la côte. Donc très peu profond. Et le fait que ce soit très peu profond fait que les gros bateaux n'arrivent pas à se rapprocher assez. Ou qu'ils prennent plus de temps. Parce qu'ils ont trop des fonds de cales profonds.

  • Speaker #2

    Du coup, il y a pas mal de personnes dont la traversée n'a pas fonctionné à quelques centaines de mètres des côtes et qui du coup vont revenir à la nage. Et c'est pour ça aussi que la plupart sont trempés.

  • Speaker #5

    C'est hyper, hyper dangereux, notamment pour les personnes qui reviennent de tentatives ratées et qui sont complètement à pied sur la côte et qui remontent au camp de Grande-Synthe, donc à Lune-Plage. Le plus simple, souvent, c'est de marcher sur l'autoroute. Les gens sont épuisés, viennent de passer des jours dans les dunes, n'ont pas été pris en charge, par exemple, à un retour au port, etc. Ils marchent sur l'autoroute et se font heurter par une voiture, un camion.

  • Speaker #2

    Sinon, celles qui ont été secourues en mer, on va les trouver dans les ports de Boulogne, Calais ou Dunkerque. Il y a toujours une ambulance, un camion de la police aux frontières, des arrestations. Et les personnes sont toujours trempées, n'ont pas eu à manger, n'ont pas vu de médecin, n'ont pas vu de médecin pour la santé physique, mais aussi pour la santé mentale.

  • Speaker #0

    La maraude du littoral intervient toute la nuit pour aller à la rencontre de ces naufragés. L'association appelle ces tentatives des « trailles » . Nous retrouvons deux bénévoles en mission au petit matin, sous une pluie battante à Sangatte, une commune au nom familier. C'est là que, de 1999 à 2002, était installé un hangar pour les personnes en exil. Cette structure d'accueil qui a vu passer 70 000 personnes en trois ans, a finalement été fermée par Nicolas Sarkozy. Cette nuit-là, l'équipe d'Astreinte avait anticipé de traverser, car les conditions météo étaient favorables.

  • Speaker #6

    Ce qu'on appelle fenêtre ouverte, c'est quand on considère qu'il y a des conditions météorologiques avec lesquelles les personnes peuvent traverser.

  • Speaker #0

    Adèle, bénévole Utopia 56.

  • Speaker #6

    On considère qu'au-dessus de 10 nœuds de vent, Et de 0,5 m de vague, ça devient très dangereux de traverser. 0,5 m, puisque c'est à peu près la taille des boudins qui sont sur le small boat. Donc au-dessus, l'eau rentre dans le small boat. Et on regarde aussi la marée, si elle est haute ou basse, puisqu'il y a des endroits où quand la marée est basse, l'eau est à 2 km de la plage. Donc c'est des distances qui sont très longues à traverser. Donc les personnes vont préférer partir en marée haute.

  • Speaker #0

    Et de fait ? L'équipe de Calais a reçu cette nuit-là un appel de détresse. Eux peuvent nous tenir au courant s'ils ont des informations pour dire dans telle zone, il y a un départ qui se prépare, il y a un retour de travail. Et du coup, nous, on est mobile, on peut se déplacer un peu tout le long de la côte. Donc, on peut au mieux, du mieux possible intervenir sur les lieux qui le nécessitent.

  • Speaker #1

    Simon, bénévole Utopia 56.

  • Speaker #0

    Et on a aussi du coup des outils, notamment Vessel Finder. et Marine Trafic qui sont des applications site internet qui répertorie les bateaux parce que du coup quand des personnes exilées partent en mer, elles peuvent être accompagnées par le CROSS donc les gares de côte qui peuvent les accompagner jusqu'aux côtes anglaises ou les ramener parfois au port de Calais. Et du coup en fonction du positionnement, de la vitesse des différents bateaux on peut euh... devinés, suspectés d'avoir telle ou telle situation. Ensuite on essaie de confirmer en se rendant sur place, en communiquant avec les autres équipes pour essayer d'être le plus réactif pour aider les personnes qui sont de retour sur les côtes françaises.

  • Speaker #2

    On essaie de comprendre ce qui s'est passé. Généralement les personnes nous disent direct « la police a gazé, la police a coupé le bateau » et du coup là on essaie d'avoir le maximum d'informations pour essayer nous derrière d'agir. et de leur dire que c'est pas normal et qu'ils n'ont pas à vivre ça.

  • Speaker #0

    On essaye de voir déjà eux leurs besoins. La priorité souvent c'est s'ils sont encore mouillés, donc de leur apporter des vêtements secs déjà. Après on a du gâteau, des thés pour les réconforter et leur redonner un peu d'énergie.

  • Speaker #2

    Les personnes nous demandent un hébergement parce que parfois il est 2h du matin, ils sont à plus de 6h à pied de leur lieu de vie. Le 115, tous les foyers sont saturés, il n'y a pas de mise à l'abri possible. Et du coup, là, on va essayer de faire pression sur les autorités pour des ouvertures de gymnases, pour quelques heures, des ouvertures de salles. Ça, ça ne marche quasiment jamais. Mais on essaye quand même et on essaye d'expliquer au mieux aux personnes et si elles ont envie d'attendre et si on les a envie qu'on lance tout ça, on le fait.

  • Speaker #0

    Et après, il y a tout un tissu associatif où on essaie de les rediriger s'ils ont besoin de logement. Il y a une assez bonne coordination entre les différentes associations. Sur Calais et alentour, il y a des logements d'urgence, des logements spécialisés pour les mineurs non accompagnés, mais qui peuvent être assez vite remplis. En dernier recours, en tout cas, ce qu'on essaye, c'est au moins de fournir des tentes et des couvertures. Mais même ça, on n'a pas des stocks illimités non plus, donc on priorise certaines situations par rapport à d'autres.

  • Speaker #2

    Le but, c'est aussi juste de discuter, d'être là en soutien et que si les personnes ont envie de parler, on soit là. et parfois les personnes elles sont juste fatiguées et énervées, traumatisées et du coup on est là. Il y a des personnes qu'on croise plusieurs fois dans la même semaine sur les mêmes plages et d'autres où on s'est connu juste le temps d'une heure, une nuit et voilà. On est souvent accusé... de complicité avec les réseaux de passage ou même d'aide au passage complètement. On se fait extrêmement contrôler, on est suivi parfois quand on est sur le littoral. Il y a beaucoup de contrôles qui sont plus ou moins intimidants envers nos équipes bénévoles. On a donné par exemple nos plaques de voiture, on a des stickers sur notre voiture, on a des chasubles. Et pour autant, ils fouillent tout le coffre, ils nous demandent de sortir. Ils essayent de nous immobiliser par moments.

  • Speaker #3

    Il y a des policiers qui sont vraiment... Ils m'ont persuadée que ce qu'on fait, c'est mal, qu'ils ne connaissent pas du tout le terrain, qu'ils nous demandent si on a de l'essence, des bateaux dans nos véhicules et qu'ils vont nous demander de partir, nous demander de ne pas filmer alors qu'on a le droit de filmer la police.

  • Speaker #2

    On est quand même témoins, nous, de beaucoup, beaucoup de violences policières et ils savent qu'on est là, qu'on documente, qu'on regarde et qu'on essaye de relayer.

  • Speaker #3

    On note les plaques, ce qui nous permet après de pouvoir comparer avec des situations qu'on reçoit ou des témoignages de personnes qui nous disent qu'elles ont reçu des violences policières, de savoir quel corps était présent à ce moment-là.

  • Speaker #2

    Et à côté, il y a parfois des agents de police qui viennent et qui nous appellent, qui nous disent « oui, il y a une famille qui est trempée, il faut que vous veniez l'aider, etc. » Du coup, c'est un rapport assez ambigu. Évidemment que la police, sa mission n'est pas de rhabiller les personnes, mais c'est d'activer la protection civile via la préfecture pour rhabiller les personnes, pour éviter les risques d'hypothermie, etc.

  • Speaker #4

    On se retrouve souvent à faire une position d'intermédiaire entre les gens et les services étatiques. Alors avec la mairie de Calais, c'est extrêmement compliqué, il n'y en a pas de rapport, mais ça, c'est pas que Utopia, c'est toutes les assos. Et ça, c'est pareil avec toutes les mairies du littoral. On fait un travail de mise en relation avec les mairies du littoral parce qu'elles ont un pouvoir d'agir, notamment pour la prise en charge des personnes en tentative de passage ratée. Et c'est aussi super compliqué parce qu'il y a aussi la préfecture qui... a envie de garder un étau dessus, un regard sur ce qui se passe. La préfecture du Pas-de-Calais bloque énormément nos demandes. Donc c'est très compliqué de rentrer en contact et d'instaurer un lien, juste professionnel.

  • Speaker #2

    Ça fait des années que ça dure. Et vu que tout est fait pour invisibiliser les personnes, et il n'y a aucune vraie information. qui est donnée aux habitants et habitantes aussi. Il y en a beaucoup qui ne se saisissent pas de cet enjeu-là ou qui, en fait, ne comprennent même pas trop ce qui se passe ici. Et vu qu'on martèle l'information que les personnes exilées sont des personnes dangereuses, que ça crée de l'insalubrité, que ça crée de l'insécurité, j'entends que ce discours marche et qu'il soit pris en compte. Ce qui est important, c'est justement d'essayer d'informer et d'expliquer. et de raconter pourquoi les personnes sont là et pourquoi est-ce qu'elles doivent partir, ou veulent, mais souvent c'est qu'elles doivent partir. Quand on essaye d'organiser des réunions publiques, par exemple, pour informer, ou quand on essaye de faire tout ça, c'est souvent la mairie ou la préfecture qui bloquent et qui ne nous autorisent pas d'ouvrir des salles. Et en même temps, par exemple, quand on fait des collectes alimentaires et qu'on explique le travail qu'on fait, il y a quand même beaucoup de soutien et de messages de force, donc ça c'est rassurant, ça fait du bien.

  • Speaker #4

    Il y a un gros travail étatique. qui a travaillé avec les médias, en tout cas symboliquement et en termes de représentation. Il y a eu un énorme travail de fait pour que les gens oublient la situation à Calais et une image de... En fait, c'est une frontière, mais il n'y a plus personne qui essaye de la franchir. C'est très difficile de la déconstruire, cette image, quand elle a été mise dans le crâne de tous les Français et Françaises pendant dix ans.

  • Speaker #2

    Il y a des personnes qui arrivent carrément à aller sur la plage le dimanche et à profiter. Moi, je crois qu'à chaque plage, j'ai une situation en tête qui me revient et j'ai du mal.

  • Speaker #4

    Je ne sais pas si on s'habitue, on intériorise au fur et à mesure. Il y a des situations qui nous touchent de moins en moins, ou au contraire, qui vont de plus en plus nous toucher, etc. Parce qu'on les voit tout le temps. Je pense qu'il faut arriver à garder... en tête que c'est pas normal.

  • Speaker #1

    Comment faire face, à titre personnel, à ces situations d'extrême précarité et de grande détresse au quotidien ? Comment ne pas sombrer dans la colère ou dans l'abattement ? Chacun, chacune, trouve son propre ressort parmi les ressources psy, les groupes de parole et les vacances obligatoires tous les deux mois chez Utopia 56. Mais tout semble surtout s'articuler autour du collectif.

  • Speaker #4

    On arrive dans cette bulle militante associative qui fait qu'on a envie de s'investir plus. C'est un territoire où il y a énormément d'initiatives de mise en commun de la lutte et de comment on arrive à travailler ensemble malgré nos différences associatives, de positionnement et à unir nos liens pour aider au mieux ces personnes tout en réfléchissant sur notre positionnement militant, notre positionnement de sauveur ou entre guillemets.

  • Speaker #2

    C'est important de se replacer et de se dire que dans tous les cas, quoi qu'il arrive, on n'est que en soutien. Et qu'en fait, les personnes sont arrivées jusqu'ici sans nous. Se dire que, ouais, juste on n'est pas indispensable et qu'on fait de notre mieux. Mais que dans tous les cas, il y aura toujours plus à faire. C'est jamais fini. Je pleure beaucoup moins depuis que je suis ici et je rigole. Tout est ultra intense, que ce soit le terrain, la violence, mais du coup aussi les amitiés qu'on crée. Ce collectif-là fait vivre aussi plein d'espoir, plein de partage d'expériences, de pratiques, de luttes politiques aussi en général. Et du coup, ça redonne beaucoup de force.

  • Speaker #4

    Notre situation est absolument incomparable à celle des personnes qui vivent dans les campements et qui tentent de la traverser. Et c'est des personnes qui gardent l'envie ou en tout cas la force de traverser et de continuer à... à lutter intérieurement pour leur situation. Ça donne de la motivation pour continuer à travailler.

  • Speaker #5

    Il y a aussi beaucoup de moments de joie, de sourire, de partage qu'on peut expérimenter avec les gens sur leur campagne, malgré les conditions de vie, etc.

  • Speaker #1

    Clément, bénévole Utopia 56.

  • Speaker #5

    Généralement, c'est nous qui arrivons, qui proposons de l'eau. Mais ça m'est arrivé plusieurs fois que les gens, au contraire, ils nous accueillent, ils nous proposent du thé à nous. C'est un peu un renversement du rapport qu'on a habituellement. Mais en même temps, c'est... très normal parce qu'on se déplace chez les gens, même s'ils vivent de manière très informelle. On se déplace chez eux et ils nous accueillent comme tel,

  • Speaker #6

    avec le sourire.

  • Speaker #1

    La musique que vous écoutez

  • Speaker #6

    a été créée et enregistrée dans la jungle de Calais en 2016 avec des musiciens exilés et anglais sur les paroles de deux jeunes sœurs afghanes de 9 et 12 ans.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter Je suis migrant, une série documentaire indépendante. Merci à Angèle, Salomé, Laura, Adèle, Simon et Clément de l'équipe Utopia 56, Calais et Grande-Synthe d'avoir partagé avec nous leur expérience militante et solidaire. Merci également à Olivier Clochard. Et merci à vous pour votre écoute.

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