- Speaker #0
3,6% de la population mondiale n'habite pas dans son pays de naissance. De ce chiffre est née notre envie de raconter les histoires des migrations qui forgent cette réalité. Les parcours de celles et ceux qui souffrent de n'être que des statistiques. Je suis migrant leur rend la parole.
- Speaker #1
Laissez-moi chuchoter quelques mots à votre oreille. Personne ne devrait l'entendre, je veux parler des épouses à vendre. Personne ne devrait entendre ma voix, car c'est contre la religion. Ils disent qu'une femme doit rester silencieuse, c'est la tradition de cette ville. Crier au lieu du silence à vie d'une femme. Crier au lieu de la profondeur des blessures de ce corps. Crier de par ce corps qui est fatigué au fond de cette cage. Sonita Alizadeh, Daughters for Sale. Moi, mon nom c'est Mbal Fatimata. J'ai 19 ans. Je suis Guinée-Guinée-Kwanakre.
- Speaker #0
Je suis migrant, épisode 4, l'exil dans le corps, première partie. Ce quatrième épisode en deux volets retrace le parcours de Fatimata et de son mari Mamba. Dans cette première partie, vous entendrez Fatimata raconter les mots de sa condition de femme, les mots de son corps. Pour une meilleure compréhension des propos qui vont suivre, ayez en tête qu'il arrive fréquemment que des pronoms soient utilisés dans le mauvais genre. Elle devient lui, et inversement.
- Speaker #1
Moi, je suis mariée à l'âge de 12 ans. Dès que tu vas avoir 10 ans comme ça, on va dire qu'il faut te marier. Tu es un enfant, tu vas te marier vite. Sinon, c'est comme ça. Le moment que mon papa a décidé que je voulais me marier, je n'ai pas envie pour le moment même. Ma maman seule ne peut rien faire. Ma maman ne peut rien faire. Parce que moi, mon papa, lui, c'est un imam. Si tu rentres à Limoges, dès que tu vas demander le nom de mon papa, tu vas connaître. Tout le monde connaît, même si un enfant connaît mon père. Tout le monde a peur de lui. C'est un homme qui est... très très... Même ses enfants, quand, si elle est à la maison, tout le monde est timide. Moi, ma maman, s'il parle sur moi, lui va commencer à pleurer. Il est tellement peur. Du coup, après, elle a dit maintenant, il veut que je te donne ma fille. Mais moi aussi, dès que je vis, le bimba, il me plaît maintenant. J'avais trop aimé quand même. Moi, encore, j'ai accepté. Depuis que moi et Mbimbo on est ensemble, il ne m'a rien fait du mal. Rien, rien, rien, rien, rien. Comme ce que je vois mon papa, ce qu'il va faire à ma maman, Mbimbo n'a jamais fait la manière que mon père fait. Il n'a jamais fait ça. Jamais.
- Speaker #0
À 12 ans, Fatimata épouse donc Mbimbo, de 15 ans son aîné. Quelques mois auparavant, La fillette y avait été préparée dans sa chair.
- Speaker #1
Moi, quand même, j'ai un problème de ça. Excision. Sinon, tu peux suivre l'excision 10 ans, 7 ans, ça dépend. Parce que moi, j'ai suivi l'excision à 12 ans. Après ça, maintenant, même pas 3, moi, je me suis mariée. Sinon, c'est comme ça.
- Speaker #2
Les mutilations sexuelles féminines, c'est... l'ablation totale ou partielle des organes génitaux féminins pour des raisons non médicales.
- Speaker #0
Ramata Kapo, présidente de l'association Excision Parlons-en.
- Speaker #2
On en recense quatre. La première, c'est ce qu'on appelle la clitoridectomie. La clitoridectomie, c'est le fait de venir couper le gland du clitoris. Il y a à peu près entre 5 et 10 % des mutilations qui sont des clitoridectomies. Vous avez le deuxième type qu'on appelle l'excision, donc c'est celui dont on entend le plus parler, qui représente à peu près 85%. Alors l'excision, c'est le fait de venir couper le capuchon du gland du clitoris, ainsi que l'ablation des petites et ou des grandes lèvres. Vous avez le type 3 qui est l'infibulation, c'est le fait de fermer, d'accoler les deux lèvres entre elles pour ne laisser qu'un orifice pour permettre à la femme d'aller soit à l'urine et d'avoir l'écoulement béréal. Il se peut qu'il y ait eu soit une clitoridotomie avant, soit une excision, ou aucune des deux.
- Speaker #0
Le quatrième type de mutilation regroupe tous les autres gestes néfastes exercés à des fins non médicales, comme piquer, percer, inciser, racler ou cauteriser les organes génitaux féminins. Toutes ces mutilations sexuelles féminines peuvent même parfois être pratiquées par des professionnels de santé.
- Speaker #2
On a deux courants, on a les excisuses traditionnelles qui, eux, perpétuent. une tradition, une croyance de génération en génération. Et on a aussi toute la partie professionnelle, médicale, qui connaissent totalement les conséquences de l'excision, mais qui sont vraiment là dans, on va dire, la domination patriarcale et le fait de contrôler le corps de la femme. Parce que pour eux, une femme mutilée, c'est une femme qui, entre guillemets, répond au diktat de la société et qui, en fait, finalement, ne devient qu'un objet sexuel, bonne à marier, et qui... ne doit pas jouir de son plaisir et de son corps. Selon les derniers chiffres de l'UNICEF, on est à 230 millions de femmes qui vivent avec une mutilation sexuelle féminine dans le monde. C'est une petite fille toutes les 4 minutes. Et c'est à peu près... 31 pays dans le monde concernés, tous continents confondus. Même si c'est vrai qu'ils sont énormément localisés sur le continent africain, il y a aussi le continent asiatique, le Moyen-Orient et tous les pays où on n'a aucune donnée qui nous sont transmises. Les mutilations sexuelles féminines ont lieu, règle générale, c'est à un moment de l'arrivée des règles, mais aujourd'hui on constate que les mutilations se pratiquent de plus en plus jeune. Il y a certaines victimes. qui sont mutilés des bébés. Parce qu'on estime qu'en étant bébé, l'enfant souffre moins. Moi-même, j'ai été mutilé dans mon pays d'origine. J'étais très jeune, parce que je suis née dans mon pays et je suis arrivée en France à l'âge de 1 an et demi, 2 ans. J'ai été mutilé avant mon arrivée et je n'ai aucun souvenir, en tout cas conscient de l'acte qui a été fait sur moi. Les mutilations sexuelles féminines sont pratiquées dans le monde pour plusieurs raisons. La première, c'est que la femme puisse arriver vierge à son mariage ou même que pendant son mariage qu'elle n'ait pas de rapport sexuel hors mariage. Il y a aussi beaucoup de communautés qui pratiquent les mutilations sexuelles féminines parce que c'est considéré comme des rites de passage. C'est-à-dire qu'on considère qu'une petite fille arrivée à l'âge adulte doit passer. par la mutilation pour devenir une femme à part entière. Et dans d'autres communautés, c'est considéré comme une purification parce que c'est une croyance. Dans certaines communautés, on pense que le gland du clitoris est une émanation du sexe de l'homme chez la femme. Et pour purifier la femme, il faut le couper. C'est aussi une norme, c'est-à-dire que dans les communautés où on a toujours connu les mutilations sexuelles féminines, on la pratique parce qu'on ne connaît que ça. Pour eux, ils ne sont pas en train de faire du mal à leur petite fille. Au contraire, ils sont en train de pratiquer un acte, entre guillemets, par amour, pour être sûr que la petite fille soit acceptée par l'associé. Parce que la mutilation est une condition sine qua non pour accéder au mariage. Beaucoup de personnes font l'amalgame entre mutilation sexuelle féminine, religion musulmane. Il ne faut pas oublier que les mutilations sont apparues avant. toutes les religions monothéistes. C'est-à-dire qu'aujourd'hui dans le monde, toutes les religions sont concernées, que ce soit l'islam, que ce soit le christianisme, ou même certaines communautés au niveau du judaïsme. Donc, ce n'est pas parce que beaucoup de communautés de confessions musulmanes pratiquent les mutilations que les mutilations sont dictées par la religion musulmane. Donc, il y a beaucoup d'amalgames qui sont faits autour de ça. Et qu'on arrête aussi de condamner... forcément les communautés sans comprendre et de stigmatiser en les traitant peut-être de sauvages ou de barbares parce que c'est pas ce qui va nous faire avancer dans notre groupe.
- Speaker #1
Moi j'ai fait l'excision c'est pas facile, passer un seul couteau et vous en faire dix personnes avec un seul couteau Il y a beaucoup de maladies parce que moi aussi j'ai suivi ça. J'avais beaucoup de saillie, beaucoup de saillie. Jusqu'à un mois et quelques, ça me faisait mal, mal, mal, mal. J'ai dit, si on fait l'excision, avec l'arbre, il y avait un arbre là-bas, on va couper ça, on épile ça, c'est ça qu'on va mettre dedans. Ça va piquer, ça va piquer, beaucoup, beaucoup. Tu vas marcher comme ça, on dirait que... Tu vas marcher comme ça, tu vas faire jusqu'à une semaine, tu ne peux rien faire, rien. C'est mal, ça fait mal, ça fait mal. Des fois, même si on fait l'excision, les personnes ne vont mourir, rien. Oui, oui.
- Speaker #2
Il n'y a aucune conséquence positive sur le corps de la femme. Ça vient détruire des vies, ça vient détruire... des jeunes filles, le risque médical, la première des choses, c'est la mort. C'est-à-dire qu'une petite fille qui est mutilée à vivre, on peut lui couper une artère, parce que le clitoris, c'est un organe qui a énormément de terminaisons nerveuses. Et donc l'exciseuse traditionnelle peut sectionner une artère et donc elle peut mourir d'une hémorragie. Une femme qui est mutilée sans anesthésie, en règle générale, ça se fait à vivre. effectivement par du matériel qui est souvent réutilisé parce que les mutilations se font, comme je vous dis, par rites de passage. Donc vous avez plusieurs jeunes filles qui sont mutilées les unes après les autres en utilisant le même outil, on va dire ustensile, que ce soit le couteau, que ce soit la lame. Si une petite fille avait une infection, on peut la transmettre à celle qui a été mutilée derrière. C'est des infections urinaires, il y a aussi tout ce qu'on appelle les infections vulvaires. C'est des IST qui peuvent être transmis d'une femme, d'une victime à l'autre. Et les risques sexuels tout au long de la vie, parce que l'organe du clitoris est un organe qui a une fonction principale dans le corps humain, c'est de procurer du plaisir à la femme. Et le fait de venir couper le gland du clitoris peut, je dis bien, peut engendrer des rapports sexuels à la fois douloureux à cause de la cicatrice. L'organe ayant... sectionnées, la femme peut ne pas avoir de plaisir mais c'est important aussi de dire que des femmes qui ont été mutilées peuvent aussi être épanouies sexuellement. Et il y a aussi des risques de grossesse ou d'accouchement compliqué lié à l'excision notamment à cause de la cicatrisation qui peut se faire et la femme peut avoir des déchirures au moment de son accouchement.
- Speaker #1
Si toi tu es méchant, selon toi tu peux faire. Parce que ça là c'est la méchanterie. C'est que tu n'as pas fait école, tu ne connais rien. On t'attrape quelqu'un, deux personnes vont t'attraper ici, trois personnes vont t'attraper ici, l'autre aussi va t'attraper ici, l'autre aussi va t'attraper. Et puis avec un grand dame qui va t'asseoir ici maintenant, pour que tu ne bouges pas. Après on fait la sélection maintenant.
- Speaker #2
Concernant les risques psychologiques. En règle générale, ça se fait un peu via la ruse. C'est-à-dire qu'on dit à la petite fille, tu vas passer un rite de passage, tu vas devenir une femme. La petite fille pense qu'on organise une fête pour elle, parce qu'en règle générale, ça se fait par des proches. Donc il y a aussi cette perte de confiance, de trahison que la petite fille peut ressentir. Et bien évidemment, il y a aussi tout ce qui est autour de l'estime de soi, la confiance en soi, l'angoisse, l'anxiété, etc.
- Speaker #0
Fatimata a laissé en Guinée sa fillette de 7 ans, qui vit avec les parents de Mamba. Si Fatimata raconte que sa belle-mère l'a accueillie et toujours considérée comme sa propre fille, elles sont en profond désaccord sur l'excision et sa perpétuation.
- Speaker #1
Jusqu'à présent, je ne veux pas que personne n'ait qu'à exciser mon enfant. Je suis trop inquiétée pour elle, surtout sur les vacances. Parce que c'est comme ça, les vacances, on va exciser les enfants. Moi, mon enfant va partir ailleurs, je n'aime pas ça. On va faire l'excision. Donc, c'est ça que j'ai interdit. Ça, ça m'a beaucoup inquiétée. Parce que ce que je suis, je ne veux pas que mon enfant aussi va suivre ça. Toute la famille des Mbemba sont excisés. Donc, j'ai peur pour lui aussi. J'ai peur. J'ai très, très peur pour lui. Mais je n'ai pas de soin.
- Speaker #2
Alors, la Guinée, c'est un pays qui a beaucoup de paradoxes. C'est l'un des premiers pays dans le monde qui a condamné et légiféré sur les mutilations sexuelles féminines. Donc aujourd'hui, c'est interdit en Guinée de mutiler une femme à risque de peine de prison, comme dans 25 pays sur les 31 qui la pratiquent. Sauf que dans les faits, malheureusement, aujourd'hui en Guinée, on a un taux de prévalence qui est très élevé. Je crois qu'on est dans les alentours de 97% des jeunes femmes et filles qui sont victimes de mutilations sexuelles féminines. Malgré un tissu associatif très performant et puissant, en Guinée, on est vraiment sur une stabilité de cette pratique. Et il y a beaucoup de Guinéennes, malheureusement, qui sont à risque de mutilation. En règle générale, ces histoires restent en famille et on n'en parle pas. Donc c'est assez tabou. C'est très difficile pour une jeune fille d'aller porter plainte contre sa propre famille et de la mettre... derrière les barreaux. Et il y a aussi, on va dire, peut-être un laxisme des autorités qui ne sont pas assez fermes. En France, on a l'autorité parentale qui est exercée par la mère et le père qui décident pour leur enfant. Dans les communautés où c'est pratiqué, l'autorité parentale, elle est exercée par l'ensemble de la communauté. C'est-à-dire que la grand-mère, si elle estime que pour elle, mutiler sa petite fille, rentre dans ces codes, elle n'a pas besoin de l'autorisation ni de sa belle-fille ou de son fils pour le faire dans beaucoup de cas d'excision. Les parents sont totalement contre, mais les filles sont tout de même mutilées parce que la grand-mère, une tante, une cousine a estimé qu'il était nécessaire de le faire. Il y a plus de 20 000 petites filles. qui sont sous la protection de l'OFPRA parce que justement, avec une meilleure connaissance des risques et aussi une prise de conscience des communautés, de plus en plus de familles quittent leur pays d'origine pour protéger leurs petites filles des risques d'excision. C'est à peu près 3 millions de jeunes filles qui sont à risque chaque année. Malheureusement, encore aujourd'hui, on pense que c'est un sujet qui est exotique. Les mutilations sexuelles féminines, ça concerne aussi des femmes françaises et pas que des femmes issues de communautés lointaines. Vous avez à peu près 125 000 femmes qui vivent sur le territoire français avec une mutilation sexuelle féminine. On constate aujourd'hui que la troisième génération ne sont plus... à risque de mutilation, parce que tout le travail fait par les associations et l'institution française ont quand même eu des résultats. Donc aujourd'hui, les familles sont plutôt dans une tendance d'abandonner cette pratique. Ça, c'est pour la foi.
- Speaker #0
Et pour les femmes qui n'ont pas eu la chance d'échapper à l'excision, la chirurgie peut permettre à certaines d'entre elles d'entamer une reconstruction.
- Speaker #2
La possibilité de la réparation clitoridienne, d'ailleurs, je mets entre guillemets le terme réparation, parce que pour moi, il nous faut... femme n'est pas un objet qu'on casse et qu'ensuite on puisse réparer. Il y a le professeur Pierre Foldez qui a mis en place une technique qui permet de reconstruire le gland du clitoris, parce que le clitoris est un organe qui mesure entre 8 et 14 cm et on peut reconstruire le gland du clitoris en venant réouvrir la cicatrice qui a été faite. Cette reconstruction, c'est aussi vécue par certaines femmes comme un traumatisme parce qu'on revient toucher à l'endroit qui a été mutilé et le corps n'oublie jamais ce qui lui est arrivé et ça peut recréer un traumatisme dans ce cas. C'est pas la solution pour toutes les femmes qui ont été victimes de mutilations sexuelles féminines. Il y a 230 millions de femmes victimes de mutilations, il y a 230 millions d'histoires différentes, il y a 230 millions de manières de guérir différemment.
- Speaker #0
Le corps mutilé de Fatimata est aussi un corps malade. Il lui faut à la fois guérir de sa chair meurtrie et à la fois se battre pour pouvoir se soigner de la tuberculose.
- Speaker #1
Au pays, à chaque fois que je suis malade, au pays, il n'y a pas de traitement de tuberculose là-bas. J'ai vu ça au pays, la tuberculose, les gens, même ma propre amie, on dormait ensemble, on faisait tout ensemble. tuberculose qui a tué. Mais nous, au pays, ça, il n'y a pas de médicament. Même si on te dit qu'il y a un médicament, mais il n'y a pas. Ça, je ne crois pas. Même si on dit au pays que la tuberculose, ça tue beaucoup de gens avec le problème du cœur. Parce que nous, notre famille, on a ça. Ça a tué une personne, deux personnes, jusqu'à trois personnes dans notre famille. Ça, c'est héritage quand même. Si je laissais au pays, ça se trouve que j'ai déjà mouru.
- Speaker #3
La tuberculose, c'est une maladie infectieuse. Donc, c'est par un agent infectieux, une bactérie, une bacille de corps, ça s'appelle.
- Speaker #0
Arnaud Weiss, directeur général du ComEd, Comité pour la santé des exilés.
- Speaker #3
C'est une des principales maladies infectieuses dans le monde, partout dans le monde. Il y a des cas de tuberculose en France. Mais clairement, il y en a beaucoup plus en Afrique et en Asie. Ce n'est pas parce qu'on est infecté qu'on va forcément être malade. L'infection va se développer en particulier quand les gens sont en mauvaise santé et dénutris. C'est une maladie infectieuse qui est particulièrement associée à des conditions de vie précaires. C'est la maladie de la pauvreté. Quand on est en bonne santé... on a quand même une chance sur deux de ne pas être malade. Dans plus des deux tiers des cas, c'est la tuberculose pulmonaire la plus connue, celle qui fait tousser et qui détruit les poumons, si on ne la soigne pas. Et donc le dépistage, le premier dépistage, c'est la radio des poumons. C'est une maladie qui est très contagieuse, qui se transmet par voie aérienne quand on tousse. C'est une maladie qui se soigne, c'est une maladie infectieuse qui se traite pendant longtemps, au minimum six mois, voire dans certaines formes, ça peut durer dix à douze mois le traitement. Et c'est un traitement qu'il faut prendre absolument. tous les jours. C'est une maladie qui reste grave si elle ne se soigne pas. Chaque année dans le monde, au moins un million de personnes meurent de la tuberculose. Il y a beaucoup de cas de tuberculose en Guinée. C'est un des pays les plus touchés par la tuberculose, en Guinée comme dans les autres pays. Du même niveau de vie, il y a ce qu'on appelle des programmes nationaux soutenus par l'OMS et avec des financements notamment internationaux, de dépistage gratuit et de traitement gratuit. À première vue, on devrait pouvoir se soigner. Et on trouve par exemple un rapport du ministère de la Santé guinéen qui explique que ça marche que pour 76% de la population à l'heure actuelle. Donc il y a un quart de la population qui n'y accède pas. Et ensuite, le problème, c'est que ça ne se traite pas en cinq jours, comme certaines maladies infectieuses. Et que donc, c'est toute la question de pouvoir avoir les conditions de vie qui permettent d'aller prendre son traitement tous les matins, pendant plusieurs mois. Mais ce n'est pas seulement une question de gratuité des traitements, c'est la capacité à voir des médecins ou des professionnels de santé si on a des complications. Et la Guinée, par exemple, fait partie des pays où il y a le moins de densité médicale et de médecins spécialistes au monde. Il y a quand même beaucoup de gens qui, malheureusement, échappent et au dépistage d'abord, et au traitement ensuite.
- Speaker #1
Je suis rentrée en Tunisie, j'ai cherché le médicament là-bas. Je n'ai pas eu. Je suis rentrée encore en Italie. Ce qu'on m'a donné là-bas, Dolipran. Un seul Dolipran, la nuit je ne dors pas. La nuit je ne dors pas. J'ai fait là-bas deux semaines en Italie. Et même s'il y avait une fille camérounaise là-bas, lui m'a beaucoup aidée pour que je gagne le médicament, mais ça ne marche pas. Souvent j'entendais, si tu es malade, tu viens en France, tu vas... gagner le médicament. Ça aussi, j'entendais ça.
- Speaker #3
Dans les données du ComEd, la fréquence de la tuberculose, c'est 6 cas pour 1000 personnes. Là, c'est 10 fois moins que le diabète et c'est 25 fois moins que les troubles psychiques graves, par exemple. Pour comparer avec le VIH, le VIH, c'est, dans notre observation, c'est 16 personnes pour 1000. Paradoxalement, Parmi les maladies graves qu'on va recommander de dépister chez les personnes migrantes récemment arrivées, c'est, je dirais, la moins fréquente. Elle est recommandée par la santé publique et notamment dans des instructions du ministère de la Santé de 2018 qui dit qu'il faut mettre en place un rendez-vous santé. Ils appellent ça dans leur circulaire, ça s'appelle un bilan de santé pour tous les migrants. quel que soit leur statut, c'est avec ou sans papier, demandeur d'asile ou pas, demandeur de carte de séjour ou pas, enfin bref. Et un bilan de santé librement consenti, il faut que ce soit dans un objectif de protection de la santé et pas dans un objectif de contrôle de l'immigration. Pourquoi je dis ça ? Parce que la seule chose qui soit obligatoire en France, qui est une aberration de santé publique qu'on dénonce se commettre depuis très très longtemps, c'est ce qu'on appelle les visites. médicale obligatoire de l'ofi qui est un contrôle sanitaire introduit dans la loi française il ya 100 ans qui impose aux étrangers au moment où ils vont accéder à une carte de long séjour un examen médical sommaire avec radio des poumons obligatoire c'est tout totalement contradictoire avec le principe de la prévention et des soins. C'est même interdit par la loi, quand on est médecin, de faire du contrôle médical, ce qui est une violation directe de l'article 100 du Code de déontologie médicale. Quand on fait de la médecine de contrôle, par définition, on n'a pas le consentement des gens et donc ce n'est pas possible de faire de la prévention et des soins. Comme c'est au moment où les étrangers sont admis au long séjour, souvent ce n'est pas au moment où ils arrivent en France, c'est trois ans, quatre ans après, c'est trop tard. En termes de bénéfices individuels, c'est absurde d'attendre 3 et 4 ans pour proposer aux personnes concernées de faire une radio des poumons, parce que si par malheur ils avaient la tuberculose, ils l'auraient déjà depuis 3 ou 4 ans. En dehors de cette visite médicale obligatoire de l'OFI et de tous les problèmes éthiques que ça pose, et du non-intérêt de santé publique, en fait malheureusement ces recommandations du ministère de la Santé ne sont pas appliquées sur le terrain, sauf par les organisations volontaires qui mettent en place des bilans de santé comme le Ausha. En fait, il n'y a pas de dispositif en France qui soit un dispositif gratuit, accessible, facilement accessible pour les personnes migrantes et qui propose l'ensemble des examens du bilan de santé.
- Speaker #1
Après, on a pris le train pour venir ici. On est parti directement à l'hôpital. Parce que moi je ne pensais pas si j'avais envie de vivre maintenant. Mon corps, je suis rentrée ici, c'était tellement gâté. J'étais gravement malade. Je ne me souviens même pas les docteurs qui ont pris soin de moi à l'hôpital. Je parlais de mon histoire quand même. Mon corps, tout ça, ça tremble. Tu vois, c'est un peu triste. Moi, je ne connais pas beaucoup, beaucoup en français. Mon mari connaît ici. Mais même jusqu'à présent, si je lui dis, il faut m'expliquer, je suis ta femme, ils vont dire que toi, tu es un enfant. C'est lui qui m'a envoyée à l'hôpital. Tout et tout. Je suis allée là-bas deux mois. On m'a demandé si je pouvais prendre le papier. J'ai dit, quoi papier ? Je ne connais pas. Je ne connais pas. L'autre m'avait sorti une carte et dit, c'est ça qu'on appelle du papier. Je dis non, je passe. Moi, je n'ai rien du tout. Je dis je passe pour mieux, je perds. Je ne sais pas si c'est ici ou si c'est en Tunisie.
- Speaker #3
Les freins principaux pour l'accès aux soins des étrangers en France, c'est d'abord sur le plan législatif. C'est qu'on sort de 30 ans de politique où les politiques de contrôle de l'immigration ont pris le pas sur les... des politiques de protection de la santé. Les recommandations du ministère de la Santé ne sont pas appliquées dans la pratique puisqu'elles sont entravées par des politiques d'immigration qui vont réduire le droit à la sécurité sociale, à l'aide médicale, et qui conduisent des personnes très nombreuses à devoir attendre plusieurs mois pour pouvoir se faire soigner correctement comme tout le monde. Le deuxième frein, c'est l'application même des droits. Et vous avez des caisses de sécurité sociale formatées pour les assurés sociaux lambda. qui disent « Ah ben non, on ne peut pas faire votre dossier tant que vous ne donnez pas un relevé d'identité bancaire » , ce qui est une aberration. Ils n'ont pas de compte bancaire. Ou qui disent « On ne peut pas vous ouvrir un dossier tant que vous n'avez pas une carte d'identité ou un passeport » . C'est le cas de beaucoup d'exils et théoriquement c'est déclaratif. Il y a une telle suspicion autour de l'aide médicale à l'État dans le discours politique qu'on a des exemples stupéfiants de caisses de sécurité sociale qui envoient des lettres aux demandeurs d'aide médicale à l'État en disant On voudrait être sûr que vous n'avez pas le droit à la sécurité sociale avant de vous ouvrir les droits à l'aide médicale d'État. Donc merci de nous fournir un document de la préfecture attestant que vous n'avez pas de papier. Ce n'est pas le boulot des préfectures de faire des attestations sans papier. Et évidemment que les personnes, elles n'ont pas très envie d'aller à la préfecture pour qu'on leur dise qu'elles sont sans papier. Théoriquement, c'est la mission de l'hôpital public de soigner tous les gens qui n'ont pas encore de droit dans la pratique. la moitié des hôpitaux ne remplissent pas du tout cette mission et la moitié qui les remplissent le font de manière pas toujours aussi exhaustive que ça devrait l'être.
- Speaker #1
En France, ici, c'est bon quand même pour le traitement. C'est très très bon. On m'a donné pour faire un ticket pour faire sortir le papier, c'est une séance d'assurance des maladies. Depuis que je suis venue ici, je n'ai jamais payé l'argent pour acheter le médicament.
- Speaker #0
Quand on a une maladie grave et qu'on a besoin d'avoir les médicaments, le suivi médical, que ce soit par la Sécurité sociale ou l'aide médicale État, dans les deux cas, c'est pris en charge. Et c'est pris en charge sans dispense d'avance des frais, ce qui est fondamental, puisque les gens n'ont pas d'argent. Dans les années 80-90, toute personne résidant en France, si elle n'avait pas d'argent, pouvait avoir une protection maladie au titre de la Sécurité sociale ou de l'aide médicale. Ça, ça s'est beaucoup réduit ces dernières années. Mais concrètement... Pour les personnes qui sont en cours de demande d'asile, ils ont droit à l'assurance maladie, à la sécurité sociale, mais il a été imposé en 2019 qu'ils devaient attendre trois mois pour avoir droit à la sécurité sociale. La même réforme de 2019 a encore reculé de trois mois supplémentaires le droit à l'aide médicale état pour les personnes sans papiers. Avant la réforme CMU, l'aide médicale, c'était les pauvres, français ou étrangers. Ce n'était pas que les sans papiers, c'était les personnes pauvres précaires. Mais depuis 1998, c'est devenu très stigmatisant. C'est la protection maladie des sans-papiers. Donc à chaque loi de finances rectificatives en fin d'année, les politiciens qui veulent essayer de gagner un peu d'électorat xénophobe l'utilisent, cette histoire de la réforme de l'aide médicale à l'État, pour essayer de le raboter de plus en plus. On ne compte plus les rapports, les argumentaires, les chiffrages, pour expliquer que les restrictions d'accès à l'aide médicale à l'État sont une aberration surtout. tous les plans, sur le plan économique, ça coûte plus cher de soigner les gens quand ils sont plus malades, ça met la pression sur les hôpitaux publics qui n'en ont pas plus besoin que ça, qui sont déjà en difficulté. C'est un contresens majeur en termes de santé publique, mais on tombe face à des interlocuteurs dans les réunions où on leur explique ça, du pouvoir, qui disent on comprend tout à fait vos arguments, mais politiquement, il faut qu'on fasse quelque chose. Donc on est sur un exemple formidable de politique irrationnelle ou rationnelle et cynique. comme on voudra la qualifier, mais complètement déconnectée des rapports des associations, des soignants, des sociétés savantes de santé publique. Toutes les crispations politiques autour de l'aide médicale à l'État ont fait que, dans les multiples réformes de ces 20 dernières années, il y a un certain nombre de prestations qui ont été supprimées, alors des choses que personne n'a jamais utilisées, par exemple les cures thermales, qui sont un élément d'obsession de certains parlementaires. Nous, on n'a jamais vu au comète de migrants... voulant faire des cures thermales en profitant de leur aide médicale état. Mais des choses qui sont par contre déjà beaucoup plus utiles, qui sont les prothèses dentaires par exemple, ou auditives.
- Speaker #1
Une fois sortie de l'hôpital, Fatimata a pu poursuivre sa convalescence dans une structure d'accueil temporaire des personnes sans domicile fixe. dont l'état de santé n'est pas compatible avec la vie à la rue. Elle y a entamé ses démarches administratives.
- Speaker #2
On a fait une demande de type de maladie. Je ne sais pas si on va me donner. Si je gagne ma santé, c'est ça qui est la première solution. De deux, je prie le bon Dieu pour que mon mari gagne du papier. Parce qu'en France, si tu n'as pas de papier, ce n'est pas facile à prendre. Beaucoup souffrent ici quand même. Avec le froid là, pour dormir dehors, ce n'est pas facile. Le jour que Dieu va décider qu'il va gagner son papier, ça arrivera. Ne décourage jamais dans la vie. Un jour, ça va changer.
- Speaker #1
Il n'est pas possible de faire une demande d'asile pour raison de santé, car l'OFPRA et la CNDA jugent sur le fondement de la Convention de Genève qui ne prévoit pas de motif médical. Reste alors la demande de carte de séjour étranger malade.
- Speaker #0
Le droit au séjour pour raison médicale, c'est inscrit dans la loi française, en théorie de manière là aussi indépendante des politiques d'immigration et des quotas, puisqu'il s'agit d'une évaluation médicale transmise à l'administration. Toute personne doit être régularisée pour raison médicale si, premièrement, elle aurait un risque de conséquence d'une exceptionnelle gravité en cas d'absence de traitement, de prise en charge de sa maladie, de soins appropriés. Et deuxièmement, il s'agit d'évaluer si, en cas de retour dans son pays d'origine, la personne pourrait être soignée correctement ou pas. Jusqu'en 2016, ce droit a été appliqué de manière assez favorable lorsque c'était des médecins qui agissaient et qui faisaient cette évaluation pour le compte du ministère de la Santé, qui étaient les médecins des ARS, et qui donnaient des avis globalement favorables dans 75% des cas pour les étrangers malades. Dans la réforme de l'immigration de 2016, il s'est passé une catastrophe. Cette évaluation médicale, qui théoriquement n'a pas changé, les critères sont les mêmes, Elle a été confiée à Lofi, qui est donc une agence du ministère de l'Intérieur. Le taux global de protection a chuté en dessous de la moitié. même à un quart pour les demandes les plus fréquentes qui, par définition, sont pour les psychotraumatismes, puisque c'est ça dont souffrent d'abord les personnes exilées. En général, à l'heure actuelle, on a plus d'une chance sur deux de ne pas se voir reconnaître son droit au séjour pour raison médicale. Si c'est pour la tuberculose, généralement, les réponses sont très défavorables, au prétexte que c'est une maladie qui est un traitement et dont on va guérir. C'est une inquiétude pour l'avenir. qu'on expulse massivement des gens qui ne pourraient pas se faire soigner dans son pays d'origine.
- Speaker #1
Le témoignage de Fatimata ne s'achève pas ici. Dans la deuxième partie de cet épisode, vous la retrouverez avec son mari Memba, dans un récit à deux voix. Exil, séparation, enfants, chacun de leurs points de vue, ils racontent ce qui a façonné leur vie. Vous venez d'écouter Je suis migrant, une série documentaire indépendante. Merci à Fatimata qui a bien voulu nous partager son récit de vie et son récit de migration. Et merci à vous pour votre écoute.