undefined cover
undefined cover
La charité blanche : je t'aide moi non plus cover
La charité blanche : je t'aide moi non plus cover
Je suis migrant·e

La charité blanche : je t'aide moi non plus

La charité blanche : je t'aide moi non plus

37min |13/05/2024
Play
undefined cover
undefined cover
La charité blanche : je t'aide moi non plus cover
La charité blanche : je t'aide moi non plus cover
Je suis migrant·e

La charité blanche : je t'aide moi non plus

La charité blanche : je t'aide moi non plus

37min |13/05/2024
Play

Description

Habib a fui le Soudan suite à son engagement politique contre un état autoritaire. Il a connu comme tant d’autres la violence de la Libye, des campements de la Jungle de Calais ou ceux de la Chapelle à Paris.

Mais il a aussi vécu la violence qui s’insinue parfois dans la relation aidant-aidé…


Un récit commenté par Léo Manac'h, Doctorant en anthropologie et Frédéric Ballière, Sociologue et Chargé d'études à l'APRADIS, Chercheur associé au CURAPP-ESS (UMR 7319) et à l'Institut Convergence Migrations.



📖 SOURCES :



🎵 MUSIQUES :

  • Percussion Show — Igor Khainskyi

  • A.L.O.N.E – Mike Leite

  • Ballade apatride - Cheikh sidi bemol


👍 Suivez-nous sur Instagram

🎧 Ré-écoutez l'épisode 1 Je suis aussi Mounir et l'épisode 2 Mineurs non accompagnés : accueillir ces enfants isolés


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    3,6% de la population mondiale n'habite pas dans son pays de naissance. De ce chiffre est née notre envie de raconter des histoires d'immigration qui forgent cette réalité. Les parcours de celles et ceux qui souffrent ne n'est que des statistiques. Je suis migrant leur rend la parole. La vraie charité ne consiste pas à pleurer ou simplement à donner, mais à agir contre l'injustice.

  • Speaker #1

    Je m'appelle Habib Ali Mohamed Moussa, j'ai 35 ans, je viens de Soudan.

  • Speaker #0

    Je suis migrant, épisode 3, la charité blanche, je t'aide moi non plus.

  • Speaker #1

    Ça fait longtemps que je ne dis rien, j'ai décidé en fait de rien dire, de juste rester ici, observer le comportement, en tout cas de façon du jeune égyptien. Sans rien dire. Il y a un côté de moi qui manifeste, qui dit, il faut prendre la parole et dire, ou partager des choses avec des gens, même si ça fait mal, ça fait partie de la vie, il faut l'accepter. Je sais très bien, il y a beaucoup de gens qui sont silencieux, qui ont beaucoup de choses à dire. Mais c'est juste, ils n'ont pas cette opportunité d'avoir peut-être le micro. Si moi j'ai eu cette opportunité, il faut que je le saisisse. Je vais aussi envoyer des messages. Je me mets à l'écriture parce que je trouve que c'est un bon moyen d'exprimer ou parler des choses que je vois et que je sens. Aussi c'est une arme. Moi dans l'écriture, je peux être plus clair qu'en parlant. À la base, moi j'écris quand j'étais chez moi. Avant j'écris des poèmes, des petites histoires, souvent, mais je ne les garde pas. J'ai remis dans l'écriture pour écrire un roman. Avec le temps, j'ai beaucoup accumulé dans ma tête. Un jour, elle est arrivée juste comme ça, elle voulait sortir et elle est sortie.

  • Speaker #2

    Mohamed se demandait s'il a été les rêves derrière lesquels il avait couru. en prenant tous les risques, menant lui-même son âme vers la mort. Était-ce pour cela qu'il avait fui la mort et la pauvreté pour finir dans un monde d'esclavage et de racisme de son propre gré ? Il en arriva à penser que, puisqu'il avait fait ce choix, il méritait tout cela, et qu'il en était de même pour tous ceux qui en avaient fait autant. Pourquoi n'avait-il pas été capable de réaliser leurs rêves dans leur pays, et pourquoi n'était-il pas resté chez eux jusqu'à en changer la situation, au lieu de venir mendier leur pain en Europe ? N'était-il pas maintenant devenu des réfugiés, des apatrides sans valeur ? Ici, prétendument terre des droits de l'homme, une grande différence était faite entre les citoyens et les autres. Si les Européens étaient de première classe, on ne savait dans laquelle pouvaient être placés les autres.

  • Speaker #0

    Dans cet extrait de son roman « De l'aube au crépuscule » , à travers son personnage Mohamed, Habib questionne les conditions d'accueil en Europe. Lui qui affuie le Soudan suite à son engagement politique contre un État autoritaire, a connu comme tant d'autres la violence de la Libye, des campements de la jungle de Calais ou ceux de la chapelle à Paris. Mais il a aussi vécu la violence qui s'insinue parfois dans la relation aidant-aidé.

  • Speaker #1

    Tout le temps c'est difficile d'accepter quelqu'un, peut-être noir ou mégane, puisse écrire. qu'ils puissent faire des choses incroyables. Faire des choses en tant qu'ils sont beaux et belles. Tu es un migrant, tu ne peux pas faire des choses. C'est juste cette imagination qu'ils ont dans leur tête. Donc tu arrives à prendre ta place, peut-être à exprimer bien. Ça, ça le étend ou ça le gêne des fois. Ils ne t'imaginent pas, tu es capable de faire ça. Moi, en tout cas, les choses que j'ai vues, que j'ai vécues au quotidien et que j'ai vues jusqu'à maintenant, même dans les asso, dans tous les milieux militants. C'est la même chose qui reste dans le cerveau peut-être des Belges ou des Occidentaux. En tout cas, une personne qui vient vers l'Afrique ou est exilée, elle ne peut pas apporter de grandes choses avec lui. Tu as un regard différent en fait. Même là, si je me rappelle, j'étais en résidence à l'écriture de livres. J'étais avec... J'avais une copine, un travail sur le livre, donc il y a beaucoup d'artistes qui arrivent, qui disent on est des militants, on est ouverts, on sait, on sait. Mais qui viennent, qui demandent la question, est-ce que vous faites des cours de français ? Si t'es avec personne, ça veut dire que c'est un ordre devant lui, qu'il y a des caillots, ça veut dire directement que t'es immigrant, ça veut dire que tu fais des cours de français. Ils ne vont même pas imaginer d'autres choses.

  • Speaker #3

    Il y a une méconnaissance des profils de la migration, il y a des profils très divers.

  • Speaker #0

    Léo Manac, doctorant en anthropologie.

  • Speaker #3

    Mais souvent, c'est quand même des personnes qui ne sont pas les plus pauvres, les plus précaires dans des populations qui ont pu avoir les capacités financières, symboliques, relationnelles d'entamer une trajectoire de migration, même s'il y a de tout. On rencontre beaucoup de personnes qui ont fait des études supérieures, qui... qui travaillaient, qui avaient plein de compétences à pouvoir faire valoriser dans les sociétés d'arrivée, mais qui, dans un contexte de travail bridé et de répartition raciale du travail en France, les personnes immigrées non-blanches se retrouvent à occuper des travails les plus non qualifiés. Je me rappelle d'un homme qui était traducteur. pour l'armée américaine, enfin, états-unienne en Afghanistan, et qui là, en France, il travaille dans une usine de balais depuis quatre ans maintenant. Et c'est extrêmement frustrant en fait pour lui. Il y a même eu un blocage de l'apprentissage français, que nous on analysait comme une forme de colère en fait, aussi de colère non forcément conscientisée envers la France pour les conditions qu'il avait reçues. et avec du coup une mise à distance de la langue, et qui en plus le freinait dans tous ces possibles apprentissages, et plein de frustrations comme ça, à la fois institutionnellement, de ne pas pouvoir être reconnu, que ce soit dans ses diplômes, que ce soit dans des trucs très pragmatiques, d'un permis de conduire, etc., et aussi dans les relations, de passer pour le crétin du fait de ne pas avoir la langue. Comment on exprime une complexité de son récit, de son analyse, dans une langue qu'on ne maîtrise pas, et comment c'est aussi réel. des formes de réinfantilisation, de considérer que si celui qui est face à moi peut juste dire « I'm good » ou « I'm not good » , c'est que littéralement, il ne pense pas plus, en fait. Il ne peut pas... Enfin, il ne ressent pas plus. Il y a un imaginaire tellement raciste de ce que l'autre peut et ce qu'il ne peut pas, d'incapacité à se représenter la complexité de l'autre et sa diversité. En fait, il y a un enfermement dans l'urgence et dans une dynamique charitable et... Un pôle très humanitaire qui parfois empêche de voir l'autre dans sa singularité, dans ses désirs, dans ce qu'il sait ou voudrait apprendre à faire aussi.

  • Speaker #4

    Depuis les années 80, le mode d'entrée le plus généralisable en France pour les exilés, c'est l'asile.

  • Speaker #0

    Frédéric Ballière, sociologue et chargé d'études à l'Apradis.

  • Speaker #4

    Donc en fait, les personnes qui viennent en France, pour la plupart d'entre eux, sont des personnes qui sont en demande d'asile et qui deviennent, au terme d'une procédure, éligibles ou pas à une demande de protection. Et donc la manière dont l'action publique, dont les institutions, dont les travailleurs sociaux vont s'adresser à ces personnes, c'est à partir de leur expérience de l'exil, mais saisie sous l'angle du fait d'avoir été persécuté ou non. Dans ce contexte-là, en tout cas dans un premier temps, on s'intéresse peu à qui sont ces personnes, quelles sont leurs compétences. quel est leur niveau de qualification, même si à un moment donné ça peut rentrer en ligne de compte, si elles vont au terme de plusieurs années de séjour en France, par exemple en situation illégale, si à un moment donné elles sont déboutées, on pourra commencer à s'intéresser, de savoir si elles peuvent mettre en avant des capacités d'intégration. Et donc ça peut produire chez les exilés qui sont accueillis et qui arrivent, un sentiment de frustration, l'impression parfois qu'on ne s'intéresse pas à qui ils sont réellement. le sentiment de mettre en sommeil des compétences, un parcours, une trajectoire, des expériences, alors même qu'elles pourraient leur servir en réalité dans leur parcours d'intégration. Depuis quelques années, les demandeurs d'asile sont autorisés à travailler à partir de six mois de présence en France, mais pendant de nombreuses années, ça n'a pas été le cas. Et donc, ils arrivaient, ils étaient maintenus dans une situation de dépendance aux institutions où on avait l'impression qu'en réalité, ils étaient un peu sommés de ne rien faire. d'attendre. Ils ont beau mettre en avant le fait qu'ils ont des diplômes, une expérience, des compétences auprès de leurs interlocuteurs, en réalité, ça n'intéresse pas grand monde parce que de toute façon, pour le moment, ils n'ont pas de légitimité à demeurer en France et à y prendre place.

  • Speaker #1

    La charrette à boulanger, on dit on vous aide, mais en même temps on ne prend pas en considère qu'il y a un autre humain. Elle prend des gens, c'est comme des gamins en fait. Ce ne sont pas des gamins, ce sont des adultes qui ont éduqué, qui ont leur culture, qui ont respecté beaucoup de choses. Et toi tu viens, tu veux effacer tout ça, tu dis non, toi tu ne sais rien, vas-y je vais commencer à zéro. Attends, soignez la vie, qu'est-ce qui s'est fait ? Qu'est-ce que tu sais de ma vie ? Moi j'ai vécu 30 ans peut-être. Dans ma vie, tu voulais juste effacer tout ça en disant, bah oui, là, en France, il faut que tu t'adaptes. C'est violent, ça.

  • Speaker #4

    On n'est pas un pays d'émigration de la même manière que les États-Unis ou le Canada, où du coup, il y a une tolérance probablement beaucoup plus importante au fait que les personnes conservent leurs habitudes liées à leur culture d'origine. On n'a pas cette habitude-là en France. Il y a l'idée qu'on est dans un État républicain intégrateur qui nous arrache à nos déterminismes. sociaux, ethniques et que du coup on ne veut pas savoir quels sont les traits culturels des uns et des autres on s'adresse à des citoyens, c'est ça la république qui s'adresse à des citoyens censés être libres, égaux, en droit et sans différence donc il y a aussi cette logique là qui imprègne nos politiques migratoires et les politiques d'intégration et qui laisse peu de place à l'expression de l'individualité dans la relation entre l'Etat et les exilés

  • Speaker #0

    Léo Manac a mené une enquête dans un dispositif d'hébergement de demandeurs d'asile, à savoir un Formule 1 installé sur un centre routier en périphérie d'une petite ville. Scandalisé par des conditions d'accueil extrêmement précaires et le dénuement total des personnes hébergées, la population locale s'est vite mobilisée.

  • Speaker #3

    C'était des... personnes, enfin les aidants, qui étaient animés par toutes les bonnes volontés du monde. Mais en fait, il y avait assez peu de réflexivité sur quels étaient les motifs de leur engagement. Les résidents du centre, qui avaient tous entre 18 et 40-50 ans, étaient appelés les gamins par les bénévoles, qui, eux, étaient plutôt des personnes entre... 40 et 80 ans, mais plus à la retraite, autour de 60-70 ans. Et donc des personnes qui avaient du temps, dont parfois les enfants étaient partis de la maison depuis longtemps et qui ne savaient pas comment se poser dans le lien et qui du coup, par une forme de lien filial ou un lien qui vient rappeler une forme d'intimité, ça leur permettait de construire ce lien qui finalement sinon était très difficile à... avec des gens qui leur semblaient si différents. Et du coup, c'était un truc un peu affectueux, mais qui à la fois posait des dynamiques quand même assez dominantes et assez peu réfléchies. Il y avait notamment un homme qui se faisait appeler patron par un des résidents. J'y voyais en fait aussi tous les fondements très... Un imaginaire colonial de se faire appeler huit patrons, presque huit messieurs, par un homme noir d'une trentaine d'années, qui était originaire d'Afrique de l'Ouest et qui avait une vie adulte avant d'arriver. Il y avait un lien très fort qui s'était construit entre eux. Il y avait une forme de projection sur l'autre, sur la place qu'il vient occuper, notamment dans des quotidiens de personnes à la retraite. qui aussi se cherchent des activités et qui trouvent ça bien de faire le bien, que ça valorise énormément. Mais du coup, dans cette idée de se valoriser soi-même, parfois il y avait des formes d'oubli, des besoins et des attentes de ceux qui étaient face à elles et eux.

  • Speaker #1

    Tous les asso aussi catholiques qui aident ici derrière la charrette et qui nous disent « oui, on est en train d'aider, regardez-moi comment j'ai fait, qu'est-ce que j'ai fait » . Pour moi, c'est la charrette. Tu n'as pas besoin de le montrer, de le dire si tu as faim trop. Des gens qui viennent pour aider les migrants, avant tout, ils ne réfléchissent pas en fait « moi, qu'est-ce que je suis en train de faire ? » « Qu'est-ce que la aide, ils peuvent me porter ? » Je ne suis pas juste là pour aider ces migrants. Tu es là parce que même toi aussi, d'abord, tu vas bénéficier derrière parce que tu vas... comprendre des choses, tu vas comprendre la culture, tu vas peut-être apprendre la langue, peut-être tu vas apprendre d'autres visions de la vie, de comment tu vois la vie, peut-être t'es là parce que t'es contre l'État, t'es là pour dire ton voix, non, je suis pas d'accord avec ça, donc il y a plein de questions d'arrêt, c'est pas que je suis là pour t'aider, parce que t'es pauvre, parce que t'es vulnérable

  • Speaker #4

    L'État social, en France, s'est construit dans le sillage des catholiques sociaux. C'est présent aussi dans des associations qui peuvent se revendiquer comme étant laïques, mais en fait, beaucoup de militants de ces associations laïques sont des retraités et ont été socialisés au mouvement de jeunesse chrétienne. Alors, qu'est-ce que ça produit ? Ça produit une manière spécifique de considérer l'accueil de l'autre, son expérience, une attention à la souffrance, une attention, une indignation, en fait, face à des traitements qui peuvent être jugés... inhumain, mais ça se fait peut-être aussi au détriment d'une lecture plus politique. de l'expérience de ces personnes. C'est-à-dire quels sont les ressorts inégalitaires qui produisent ces situations. Donc c'est des inégalités nord-sud, c'est l'histoire de la colonisation, c'est l'histoire du racisme. Ce sont des choses qui sont peu présentes dans le rapport à l'engagement d'un certain nombre de militants, alors même que ce sont des situations d'injustice très fortes et qui sont difficilement vécues par les exilés. Et il y a parfois du coup... Des réactions de la part de certains sans-papiers qui renvoyaient, mais ça va, des preuves d'intégration, on en a fait. Tu nous dis de faire attention à la manière de nous adresser à la préfecture, mais est-ce que tu te rends compte de ce que l'État nous fait ? Et il y avait vraiment un sentiment d'incompréhension, l'idée que quand on aide, on doit être redevable, qu'il y a une forme de reconnaissance qui doit venir en échange de l'assistance, même si elle est implicite, même si elle est rarement énoncée. énoncées en tant que telles. Moi, j'ai pu entendre ça de la part de certains militants en disant avec tout ce qu'on fait pour lui, quoi, il réagit comme ça.

  • Speaker #3

    Je me rappelle d'une femme qui trouvait que voilà, il ne s'occupait pas et qu'ils auraient peut-être pu tailler les haies dans son jardin parce qu'il s'ennuyait et que ce serait bien de les occuper et puis qu'elle, elle donnait son temps, donc pourquoi pas, il ne pourrait pas l'aider. Et en fait, ça ne venait pas du tout d'une demande de la part des personnes. Et il y avait vraiment une sorte de contre-dent implicite qui devait être attendue vu qu'il y avait des conditions d'accueil octroyé par ailleurs minimal et précaire. Du coup, c'était un truc d'enfermer encore, là c'était des corps non blancs, dans le fait d'être disponible, d'être un corps qui travaille, qui fournit sa force physique et qui ne pourrait pas fournir grand-chose d'autre qu'une force physique par ailleurs.

  • Speaker #1

    C'est des questions qui sont liées avec le pouvoir et privilèges, les expressions systémiques qui font des gens, ils font leurs choix, ils sont en fonction. Parce que les blancs, je vais peut-être essayer de communiquer avec eux plus facilement. Par exemple, si quelqu'un vient vers l'Asie ou l'Amérique du Sud, avec quelqu'un qui vient d'Afrique, elle te dit bienvenue, c'est pas la même chose. Ça se voit clairement. Et là, tu vis l'Eurasie. Tout le temps, dans les soirées, dans les festoches, dans les vêtements. Et je vois ça souvent, qu'ils te renvoient directement dans un casque. Tu es un or, tu n'es pas capable de faire ça. Tu es migrant, tu ne peux rien servir, même il y a des gens qui disent que tu n'es pas capable de décider des choses.

  • Speaker #3

    Quand on est toujours dans la position de se représenter l'autre comme une victime, on lui enlève, on lui arrache sa souveraineté et sa capacité à décider.

  • Speaker #0

    Léo Manac rapporte les débats qu'il a pu entendre au sein de l'association enquêtée, notamment sur l'accompagnement juridique et administratif, et la prise de décision qui s'ensuit.

  • Speaker #3

    C'était toujours des tensions entre des réflexions qui pouvaient être amenées par une minorité de l'association autour du fait de respecter leur intégrité de sujet politique et à la fois de toujours glisser vers autre chose. On leur conseillerait en fait, on dit ce que c'est la loi, on dit ce que sont les risques et ensuite ils prennent leur décision. Et nous, une fois que cette décision elle est prise, on peut l'accompagner d'une manière ou d'une autre. Et de la part des personnes résidentes, il y avait des blagues qui circulaient autour du fait d'être infantilisé, de parfois voir un peu les papis gâteux, enfin gâteaux, gâteux, de pouvoir un peu s'en distancier. Je me rappelle vraiment de bénévoles qui étaient heurtés que les résidents puissent refuser soit de certains types de nourriture, soit certains vêtements qu'ils jugeaient trop vieillots, ce qu'on peut parfaitement comprendre de la part de personnes qui étaient majoritairement autour de 20-25 ans. Il y avait des réflexions chez les bénévoles de certains qui étaient outrés, en mode « mais on me refuse, on refuse l'aide que j'apporte » , et d'autres qui disaient « mais ils ont parfaitement le droit de ne pas vouloir ce type de choses, en fait » . et c'est une manière aussi de respecter leur choix, de leur proposer et de... et de respecter le refus, en fait.

  • Speaker #4

    Il y a un vrai double discours sur la question de l'autonomie des exilés. C'est-à-dire, à la fois, il y a une injonction à être autonome. L'autonomie est une norme parce que les institutions du travail social ont peu de moyens et donc les personnes doivent faire par elles-mêmes. Elles doivent démontrer leur capacité à faire et leur volonté à faire. Mais la réalité, c'est qu'elles sont maintenues dans une situation de dépendance et pas nécessairement autorisées à faire les choses. Et donc, il y a une forme d'injonction paradoxale. où on attendrait d'elles qu'elles se mobilisent et qu'elles fassent les démarches, qu'elles démontrent qu'elles sont en mesure de faire, mais elles ne sont pas autorisées à travailler. Lorsqu'elles sont dans des cadavres, elles doivent respecter un règlement intérieur avec des autorisations de sortie.

  • Speaker #3

    Il y avait quand même un contrôle de qui dort là, des travers sociaux qui tapaient aux chambres, qui regardaient qui était là, qui contrôlaient les allées et venues, etc. Il y avait aussi malgré tout des marges de manœuvre pour se ménager des espaces de liberté, des stratégies d'aller dormir ailleurs, de commencer à relationner amoureusement ou amicalement avec des personnes tout autour, de se trouver du travail non déclaré, plein d'eux. de stratégie de résistance pour se retrouver des marges d'autonomie au milieu d'un dispositif qui était quand même très coercitif.

  • Speaker #1

    C'est dommage en fait, parce que moi je suis un autre humain, je sais ma capacité, je sais ce que je peux apporter. Moi en tant que personne, je sais qui je suis. Donc tu peux aussi apporter beaucoup de choses, mais c'est juste dommage. Les personnes ne voient pas ça, ne veulent pas prendre ça en compte. Moi aussi, je ne suis pas obligé de mettre ma dignité à côté juste pour vouloir convaincre l'autre. Moi aussi, je suis là. Ça boulogne beaucoup d'émigrants qui trouvent cette difficulté et qui n'arrivent pas à prendre la parole parce qu'ils sont très opprimés. La silence aussi, elle fait très très mal. Pour des gens aussi qui parlent trop, je crois que c'est cool qu'ils se taisent un petit peu ou qu'ils laissent la place. à celle qui n'a pas de parole pendant des siècles.

  • Speaker #4

    Donner la parole à un exilé sur les conditions de son existence, c'est compliqué parce que ça veut dire, c'est accepter l'idée d'entendre que l'association est le relais d'une politique migratoire qui maintient les personnes dans une situation de dépendance, qui ne leur permet pas l'installation en France, ne répond pas à la promesse du travail social qui serait l'idéal d'une forme... de progrès, d'émancipation, d'intégration. Et donc, je pense que ce serait compliqué pour les institutions d'autoriser une parole totalement libre, en fait. Et puis, encore une fois, les dispositifs d'accompagnement ne sont pas construits comme ça. Ils se déploient à partir des politiques publiques dans quelque chose d'assez vertical. On n'est pas dans des logiques, par exemple, comme peuvent être les logiques anglo-saxonnes de travail social communautaire, où, du coup, il y a des relations plus horizontales entre les aidants et les aidés. où on co-construit l'action sociale. Chez nous, on a une action sociale plus descendante, avec quelqu'un qui accompagne, qui sait où les personnes doivent aller, qui mobilise et active des droits sociaux pour elles. Et du coup, on a forcément des relations qui sont plus asymétriques et qui tiennent à la manière dont l'action sociale est construite.

  • Speaker #1

    J'écoutais le français, c'est sûr, mais je suis impacté tout le temps. Avec des camarades qui disent « je suis là, je comprends ta situation » et tout ça. Et ça produit le même rapport, par exemple, de domination.

  • Speaker #0

    Au moment de notre rencontre avec Habib, il venait tout juste de suivre une formation sur les oppressions systémiques.

  • Speaker #1

    J.T.A. Vogel est... ils m'ont filé de nouvelles lunettes et voir tout ce qu'il y a autour de moi. Ils m'ont dit « Ah ouais, là ça veut dire beaucoup de travail » . De voir ça, ça m'a beaucoup choqué. Même des gens que tu côtoies tout le temps, ils produisent des comportements qui peuvent t'impacter tout le temps. Tout le temps, tout le temps. Et là, je ne sais pas quoi faire. Oui, ce n'est pas mon pays, mais aussi en tant qu'autre humain, j'ai le droit de souhaiter, d'imaginer, de penser, de tout ça. Donc la terre, elle appartient à tout le monde. Ça veut dire qu'on peut aussi vivre sur cette terre, quelle que soit notre couleur de peau ou notre origine. Tu peux vivre, tu peux avoir des droits, des droits civils, des droits dans la société. On n'est pas là juste pour se faire exploiter ou vivre comme un esclave. Si on veut fonder une société qui est bien équitable, je crois qu'il faut partir de l'égal.

  • Speaker #4

    Pour pouvoir à un moment donné être intégré en France, il faut pouvoir faire la démonstration qu'on a les dispositions, ou qu'on les a acquises, ou qu'on va les acquérir, à s'intégrer en France. Et ça, ça s'adosse à la figure d'un étranger méritant qui ne fait pas de vagues, est poli, même quand il est maltraité, qui fait du bénévolat dans des associations, mais pas du bénévolat comme vous et moi en ferions, du bénévolat où on travaille 25 heures par semaine dans un centre d'hébergement pour nettoyer les sanitaires, par exemple. Ce sont des choses que j'ai entendues au cours de mon enquête de la part des exilés et qui disaient que c'était des conditions de travail. D'ailleurs, ils ne qualifiaient pas ça de bénévolat, ils parlaient de travail en disant que c'était un travail dégradant.

  • Speaker #3

    Il faut toujours de plus en plus sourcer et fonder la légitimité, mais en fait, ça devient une course folle, en fait. La course à l'attestation, l'attestation qui permet de dire « je suis intégrée, je donne mon temps gratuitement » , et c'est devenu un attendu implicite, qui réorganise aussi énormément d'inégalités selon les ressources des personnes pour s'organiser, pour lier vers les autres, plus après dans des structures où elles peuvent se retrouver aussi assez corvéables du fait parfois d'avoir une possibilité d'être... de trouver un travail dans cette structure, et que du coup ça organise un rapport aussi au bénévolat un peu complexe, où du coup on n'ose pas trop dire ce qu'on pense, notamment quand on n'est pas d'accord sur certains sujets, enfin on va se taire. Il y a des associations qui du coup refusent de donner ces certificats parce que la personne ne serait pas assez engagée, du coup qui deviennent aussi des sortes de supplétifs de la préfecture.

  • Speaker #4

    C'est très compliqué malgré tout, pour des personnes qui auraient des compétences, des diplômes. d'accéder à ces possibilités de régularisation au titre du mérite. Donc il y a aussi là un double discours. C'est à la fois on promeut ça, parce que ça permet de s'assurer que les personnes vont tendre vers cette figure, avoir une trajectoire sociale respectable, où ils essayent, où ils font la démonstration, où ils se tiennent correctement, où il n'y a pas d'écart. Et en même temps, les possibilités d'accès réels aux perspectives de régularisation au titre du mérite restent et demeurent réduites.

  • Speaker #1

    Moi-même, le terme qui ne tape pas le papier, je ne l'utilise pas souvent parce que j'ai mes papiers de mon pays d'origine. Mais c'est juste que je n'ai pas de papiers français ou de papiers privilégiés. Moi, je vois que je n'avance pas dans ma vie et tu n'arrives rien à faire. Pour moi, ce n'est pas normal. Tu n'as pas le droit de travailler, pas le droit de bouger, même libre de circulation. Tu n'as pas le droit parce que si tu bouges, peut-être que tu te fais contrôler. Et si tu te contrôles, tu es dans la merde. Tu n'as pas le droit de voyager. T'as droit à rien en fait, quand t'existais, t'existais pas en fait. Moi j'ai vécu ça pendant 10 ans, c'est hyper violent. C'est très dur de vivre 10 ans comme ça, sans voir à point de l'avenir. T'as envie de faire beaucoup de choses, mais il y a juste un bout de papier qui t'empêche de faire tout. Un petit papier qui dit « t'as le droit de faire ça » ou « t'as pas le droit de faire ça » , ça occupe beaucoup de cerveau, ça pince, ça pince. Ça peut t'isoler socialement, ça peut te... Il y a beaucoup de gens, je sais, qui sont tombés malades, qui ont développé des pathologies psychiques et tout ça.

  • Speaker #4

    Une autre figure qu'on voit arriver comme ça dans les procédures de régularisation, c'est celle de la vulnérabilité du migrant malade souffrant, à laquelle les personnes doivent se... s'identifier, se référer, si elles veulent un jour obtenir une régularisation. Ce sont des processus qui sont extrêmement puissants et violents, et on voit dans les trajectoires des exilés que l'action publique produit de la vulnérabilité. Elle la produit de manière objective, quand à un moment donné, en sortant de cadavre, les personnes se retrouvent sans solution, à la rue, perdues. Elles vont voir émerger des problèmes de santé mentale, physique. Mais ce qui est paradoxal, c'est que c'est à l'aune. de cette dégradation de leurs conditions de vie, qu'elles seront réintégrées dans l'action publique, dans des dispositifs spécifiques dédiés à des personnes vulnérables. Donc on a là un processus extrêmement pernicieux qui fabrique la vulnérabilité des migrants et à partir de là réintègre ces migrants vulnérables dans l'action publique. Tout en ayant effacé, dans le même temps, ce qu'est leur expérience de l'exil, c'est-à-dire une expérience politique.

  • Speaker #2

    La première raison de cet exil fut pour moi politique, pour échapper aux gens arrogants. qui prenaient le contrôle de toute chose. Ils se favorisent eux-mêmes, ne prenant en compte que leurs propres bénéfices, y compris ceux obsédés par les sièges du gouvernement, ne permettant à personne de s'en approcher, comme s'ils avaient été créés pour eux seuls. C'est ce qui fait souffrir l'Afrique, ceux qui ont pris le pouvoir jusqu'à y passer toute leur vie. S'ils se contentaient seulement de s'asseoir sur leurs sièges et d'exclure le pouvoir, mais ils continuent à s'arroger des droits, s'emparer des biens, jusqu'à ce qu'ils fassent du peuple entier son esclave. et d'aucuns n'est autorisé à revendiquer les droits du peuple.

  • Speaker #0

    De l'aube au crépuscule, Habib Ali Mohamed Moussa. Les jeunes ici, ils n'ont pas habitué à l'écouter. Moi, personnellement, j'ai grandi dans un endroit où j'ai pu écouter. J'ai cette sensation de rester peut-être attentif à écouter l'autre. Bien d'être dans le coucheron pour prendre soin de nous. Essayer de soigner les blessures qui sont là depuis pas mal de temps. Je crois que ça passe par ça. Peut-être aussi qu'il faut qu'on prenne le temps de réfléchir. Peut-être demain, s'il y a déjà ce qu'il y a besoin de célébrer, on célèbre. Si on ne va pas faire ça, je crois qu'ils vont rester tout le temps là. Ils vont impacter notre vie. Sans ça, je crois, on ne peut pas avancer. Mais ça demande beaucoup de travail en soi-même.

  • Speaker #1

    Si la relation d'aide n'échappe pas à la violence et aux contradictions comme nous venons de l'illustrer, il existe bien heureusement des espaces pour déconstruire ces mécanismes intégrés et les dépasser.

  • Speaker #2

    Ça, ça ne dit rien de l'engagement des acteurs et de la sincérité de leur implication. C'est simplement une analyse historique, sociologique, de quels sont les ressorts de l'engagement. S'ils ont face à eux des exilés, c'est aussi qu'à un moment donné, les exilés trouvent des bénéfices ou une réponse et que ça correspond aussi à un besoin. Les acteurs du travail social, pour beaucoup, sont conscients de ça. En fait, les travailleurs sociaux sont traversés par des contradictions très fortes. Ils sont totalement lucides. Ce que j'ai enquêté sur vraiment les contradictions dans lesquelles ils sont pris, qui ne sont pas les leurs, en fait, qui sont celles de l'action publique et qu'ils essayent de tenir. Et si ça tient, c'est aussi parce qu'à un moment donné, il y a des street-level bureaucrates, on dirait, c'est-à-dire ces agents qui sont un peu au front. du public qui tiennent les tensions entre les politiques migratoires et la souffrance des gens. Et c'est ça, toute leur habileté professionnelle aussi.

  • Speaker #3

    L'aide, c'est pas de la pure positivité, en fait. Il peut être matinée de rapports de domination, de projection, de fétichisation de l'autre. Ces pratiques problématiques sont aussi pensées au sein de certaines organisations et d'associations qui ont à cœur de former les bénévoles et de les amener à réfléchir. sur ce qui est projeté dans l'aide. Une fois qu'on a fait ce constat qu'il y a de la violence dans l'aide, comment on la... On ne sait pas qu'on la dépasse, mais qu'en tout cas, on fait avec et qu'on essaye de faire mieux avec. Sortir d'un rapport un à un où des projections d'un côté comme de l'autre peuvent se faire, comment on essaye de réfléchir aux conditions de l'aide pour aider tout en laissant sa souveraineté à l'autre et tout en... et tout en faisant attention à ce qu'on promet, à ce qu'on croit savoir, enfin nommer ce qui va et nommer ce qui ne va pas, et juste aider mieux, et faire attention à toutes les projections et à toutes les violences qu'on peut charrier dans la relation d'aide, en arrêtant de l'idéaliser et de la sublimer, et en lui retrouvant aussi tout ce qui peut... puisqu'il peut la travailler de manière plus ou moins consciente de la part des bénévoles et de la part aussi des personnes qui peuvent se retrouver en situation d'être aidées.

  • Speaker #1

    Usé par des années de tentatives de régularisation, Habib a décidé de devenir lui-même acteur, de s'inscrire dans une dynamique nouvelle de solidarité, pour lui-même et pour les autres. Pour cela, il a créé avec des camarades l'association A4, qui oeuvre pour l'accueil, la formation et l'accès au travail des personnes avec ou sans papier, urbaines ou rurales, dans les domaines de l'agriculture et de l'artisanat.

  • Speaker #0

    C'est pour ça qu'on a commencé dans A4, je crois peut-être que c'est ça le sport, de commencer à s'organiser et essayer de monter des projets ensemble, essayer de se tenir ensemble, essayer de travailler avec la société où on est. Chaque individu a des choses à apporter, de savoir, des pays d'origine. L'opportunité peut-être de travailler dans l'agriculture, transmettre des choses. Peut-être que ce ne sera pas pour nous-mêmes, mais peut-être que ce sera pour les futures générations qui vont arriver. Parce que si on ne va pas faire ça, je crois que ça va être, avec le changement climatique et tout ce qui se passe dans le monde, je crois que ça va être très compliqué.

  • Speaker #4

    Mon visage, un visage de passeport On me traîne de foyer banquise De banquise en banlieue Paul-Nord Entre les charités fileuses et le vrai président à vie, Il faut bien que ma vie se creuse un coup pour passer la nuit. Je suis excellent géographe, je connais toutes les cartes de séjour. Tous les pas de flac, tous les pas à feu, j'en ai fait plusieurs fois le tour. Le tour du monde des polis, des postes frontières, mon matin gris, le tour des beugards qu'on glisse quand on a l'accent indécis.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter Je suis migrant, une série documentaire indépendante. Merci à Habib qui a bien voulu nous partager son récit de vie, son récit de migration. Et merci à vous pour votre écoute.

  • Speaker #4

    Rien n'est à moi, tout est aux autres, le boulot, la terre et le vin. Même les saisons, le ciel sont vôtres, vous êtes logique, je ne suis rien. Rien que les gens, un apatrie, tu sens bizarre au rôle de son, une note flétrie comme une vide dans le gros pontaire des nations.

Description

Habib a fui le Soudan suite à son engagement politique contre un état autoritaire. Il a connu comme tant d’autres la violence de la Libye, des campements de la Jungle de Calais ou ceux de la Chapelle à Paris.

Mais il a aussi vécu la violence qui s’insinue parfois dans la relation aidant-aidé…


Un récit commenté par Léo Manac'h, Doctorant en anthropologie et Frédéric Ballière, Sociologue et Chargé d'études à l'APRADIS, Chercheur associé au CURAPP-ESS (UMR 7319) et à l'Institut Convergence Migrations.



📖 SOURCES :



🎵 MUSIQUES :

  • Percussion Show — Igor Khainskyi

  • A.L.O.N.E – Mike Leite

  • Ballade apatride - Cheikh sidi bemol


👍 Suivez-nous sur Instagram

🎧 Ré-écoutez l'épisode 1 Je suis aussi Mounir et l'épisode 2 Mineurs non accompagnés : accueillir ces enfants isolés


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    3,6% de la population mondiale n'habite pas dans son pays de naissance. De ce chiffre est née notre envie de raconter des histoires d'immigration qui forgent cette réalité. Les parcours de celles et ceux qui souffrent ne n'est que des statistiques. Je suis migrant leur rend la parole. La vraie charité ne consiste pas à pleurer ou simplement à donner, mais à agir contre l'injustice.

  • Speaker #1

    Je m'appelle Habib Ali Mohamed Moussa, j'ai 35 ans, je viens de Soudan.

  • Speaker #0

    Je suis migrant, épisode 3, la charité blanche, je t'aide moi non plus.

  • Speaker #1

    Ça fait longtemps que je ne dis rien, j'ai décidé en fait de rien dire, de juste rester ici, observer le comportement, en tout cas de façon du jeune égyptien. Sans rien dire. Il y a un côté de moi qui manifeste, qui dit, il faut prendre la parole et dire, ou partager des choses avec des gens, même si ça fait mal, ça fait partie de la vie, il faut l'accepter. Je sais très bien, il y a beaucoup de gens qui sont silencieux, qui ont beaucoup de choses à dire. Mais c'est juste, ils n'ont pas cette opportunité d'avoir peut-être le micro. Si moi j'ai eu cette opportunité, il faut que je le saisisse. Je vais aussi envoyer des messages. Je me mets à l'écriture parce que je trouve que c'est un bon moyen d'exprimer ou parler des choses que je vois et que je sens. Aussi c'est une arme. Moi dans l'écriture, je peux être plus clair qu'en parlant. À la base, moi j'écris quand j'étais chez moi. Avant j'écris des poèmes, des petites histoires, souvent, mais je ne les garde pas. J'ai remis dans l'écriture pour écrire un roman. Avec le temps, j'ai beaucoup accumulé dans ma tête. Un jour, elle est arrivée juste comme ça, elle voulait sortir et elle est sortie.

  • Speaker #2

    Mohamed se demandait s'il a été les rêves derrière lesquels il avait couru. en prenant tous les risques, menant lui-même son âme vers la mort. Était-ce pour cela qu'il avait fui la mort et la pauvreté pour finir dans un monde d'esclavage et de racisme de son propre gré ? Il en arriva à penser que, puisqu'il avait fait ce choix, il méritait tout cela, et qu'il en était de même pour tous ceux qui en avaient fait autant. Pourquoi n'avait-il pas été capable de réaliser leurs rêves dans leur pays, et pourquoi n'était-il pas resté chez eux jusqu'à en changer la situation, au lieu de venir mendier leur pain en Europe ? N'était-il pas maintenant devenu des réfugiés, des apatrides sans valeur ? Ici, prétendument terre des droits de l'homme, une grande différence était faite entre les citoyens et les autres. Si les Européens étaient de première classe, on ne savait dans laquelle pouvaient être placés les autres.

  • Speaker #0

    Dans cet extrait de son roman « De l'aube au crépuscule » , à travers son personnage Mohamed, Habib questionne les conditions d'accueil en Europe. Lui qui affuie le Soudan suite à son engagement politique contre un État autoritaire, a connu comme tant d'autres la violence de la Libye, des campements de la jungle de Calais ou ceux de la chapelle à Paris. Mais il a aussi vécu la violence qui s'insinue parfois dans la relation aidant-aidé.

  • Speaker #1

    Tout le temps c'est difficile d'accepter quelqu'un, peut-être noir ou mégane, puisse écrire. qu'ils puissent faire des choses incroyables. Faire des choses en tant qu'ils sont beaux et belles. Tu es un migrant, tu ne peux pas faire des choses. C'est juste cette imagination qu'ils ont dans leur tête. Donc tu arrives à prendre ta place, peut-être à exprimer bien. Ça, ça le étend ou ça le gêne des fois. Ils ne t'imaginent pas, tu es capable de faire ça. Moi, en tout cas, les choses que j'ai vues, que j'ai vécues au quotidien et que j'ai vues jusqu'à maintenant, même dans les asso, dans tous les milieux militants. C'est la même chose qui reste dans le cerveau peut-être des Belges ou des Occidentaux. En tout cas, une personne qui vient vers l'Afrique ou est exilée, elle ne peut pas apporter de grandes choses avec lui. Tu as un regard différent en fait. Même là, si je me rappelle, j'étais en résidence à l'écriture de livres. J'étais avec... J'avais une copine, un travail sur le livre, donc il y a beaucoup d'artistes qui arrivent, qui disent on est des militants, on est ouverts, on sait, on sait. Mais qui viennent, qui demandent la question, est-ce que vous faites des cours de français ? Si t'es avec personne, ça veut dire que c'est un ordre devant lui, qu'il y a des caillots, ça veut dire directement que t'es immigrant, ça veut dire que tu fais des cours de français. Ils ne vont même pas imaginer d'autres choses.

  • Speaker #3

    Il y a une méconnaissance des profils de la migration, il y a des profils très divers.

  • Speaker #0

    Léo Manac, doctorant en anthropologie.

  • Speaker #3

    Mais souvent, c'est quand même des personnes qui ne sont pas les plus pauvres, les plus précaires dans des populations qui ont pu avoir les capacités financières, symboliques, relationnelles d'entamer une trajectoire de migration, même s'il y a de tout. On rencontre beaucoup de personnes qui ont fait des études supérieures, qui... qui travaillaient, qui avaient plein de compétences à pouvoir faire valoriser dans les sociétés d'arrivée, mais qui, dans un contexte de travail bridé et de répartition raciale du travail en France, les personnes immigrées non-blanches se retrouvent à occuper des travails les plus non qualifiés. Je me rappelle d'un homme qui était traducteur. pour l'armée américaine, enfin, états-unienne en Afghanistan, et qui là, en France, il travaille dans une usine de balais depuis quatre ans maintenant. Et c'est extrêmement frustrant en fait pour lui. Il y a même eu un blocage de l'apprentissage français, que nous on analysait comme une forme de colère en fait, aussi de colère non forcément conscientisée envers la France pour les conditions qu'il avait reçues. et avec du coup une mise à distance de la langue, et qui en plus le freinait dans tous ces possibles apprentissages, et plein de frustrations comme ça, à la fois institutionnellement, de ne pas pouvoir être reconnu, que ce soit dans ses diplômes, que ce soit dans des trucs très pragmatiques, d'un permis de conduire, etc., et aussi dans les relations, de passer pour le crétin du fait de ne pas avoir la langue. Comment on exprime une complexité de son récit, de son analyse, dans une langue qu'on ne maîtrise pas, et comment c'est aussi réel. des formes de réinfantilisation, de considérer que si celui qui est face à moi peut juste dire « I'm good » ou « I'm not good » , c'est que littéralement, il ne pense pas plus, en fait. Il ne peut pas... Enfin, il ne ressent pas plus. Il y a un imaginaire tellement raciste de ce que l'autre peut et ce qu'il ne peut pas, d'incapacité à se représenter la complexité de l'autre et sa diversité. En fait, il y a un enfermement dans l'urgence et dans une dynamique charitable et... Un pôle très humanitaire qui parfois empêche de voir l'autre dans sa singularité, dans ses désirs, dans ce qu'il sait ou voudrait apprendre à faire aussi.

  • Speaker #4

    Depuis les années 80, le mode d'entrée le plus généralisable en France pour les exilés, c'est l'asile.

  • Speaker #0

    Frédéric Ballière, sociologue et chargé d'études à l'Apradis.

  • Speaker #4

    Donc en fait, les personnes qui viennent en France, pour la plupart d'entre eux, sont des personnes qui sont en demande d'asile et qui deviennent, au terme d'une procédure, éligibles ou pas à une demande de protection. Et donc la manière dont l'action publique, dont les institutions, dont les travailleurs sociaux vont s'adresser à ces personnes, c'est à partir de leur expérience de l'exil, mais saisie sous l'angle du fait d'avoir été persécuté ou non. Dans ce contexte-là, en tout cas dans un premier temps, on s'intéresse peu à qui sont ces personnes, quelles sont leurs compétences. quel est leur niveau de qualification, même si à un moment donné ça peut rentrer en ligne de compte, si elles vont au terme de plusieurs années de séjour en France, par exemple en situation illégale, si à un moment donné elles sont déboutées, on pourra commencer à s'intéresser, de savoir si elles peuvent mettre en avant des capacités d'intégration. Et donc ça peut produire chez les exilés qui sont accueillis et qui arrivent, un sentiment de frustration, l'impression parfois qu'on ne s'intéresse pas à qui ils sont réellement. le sentiment de mettre en sommeil des compétences, un parcours, une trajectoire, des expériences, alors même qu'elles pourraient leur servir en réalité dans leur parcours d'intégration. Depuis quelques années, les demandeurs d'asile sont autorisés à travailler à partir de six mois de présence en France, mais pendant de nombreuses années, ça n'a pas été le cas. Et donc, ils arrivaient, ils étaient maintenus dans une situation de dépendance aux institutions où on avait l'impression qu'en réalité, ils étaient un peu sommés de ne rien faire. d'attendre. Ils ont beau mettre en avant le fait qu'ils ont des diplômes, une expérience, des compétences auprès de leurs interlocuteurs, en réalité, ça n'intéresse pas grand monde parce que de toute façon, pour le moment, ils n'ont pas de légitimité à demeurer en France et à y prendre place.

  • Speaker #1

    La charrette à boulanger, on dit on vous aide, mais en même temps on ne prend pas en considère qu'il y a un autre humain. Elle prend des gens, c'est comme des gamins en fait. Ce ne sont pas des gamins, ce sont des adultes qui ont éduqué, qui ont leur culture, qui ont respecté beaucoup de choses. Et toi tu viens, tu veux effacer tout ça, tu dis non, toi tu ne sais rien, vas-y je vais commencer à zéro. Attends, soignez la vie, qu'est-ce qui s'est fait ? Qu'est-ce que tu sais de ma vie ? Moi j'ai vécu 30 ans peut-être. Dans ma vie, tu voulais juste effacer tout ça en disant, bah oui, là, en France, il faut que tu t'adaptes. C'est violent, ça.

  • Speaker #4

    On n'est pas un pays d'émigration de la même manière que les États-Unis ou le Canada, où du coup, il y a une tolérance probablement beaucoup plus importante au fait que les personnes conservent leurs habitudes liées à leur culture d'origine. On n'a pas cette habitude-là en France. Il y a l'idée qu'on est dans un État républicain intégrateur qui nous arrache à nos déterminismes. sociaux, ethniques et que du coup on ne veut pas savoir quels sont les traits culturels des uns et des autres on s'adresse à des citoyens, c'est ça la république qui s'adresse à des citoyens censés être libres, égaux, en droit et sans différence donc il y a aussi cette logique là qui imprègne nos politiques migratoires et les politiques d'intégration et qui laisse peu de place à l'expression de l'individualité dans la relation entre l'Etat et les exilés

  • Speaker #0

    Léo Manac a mené une enquête dans un dispositif d'hébergement de demandeurs d'asile, à savoir un Formule 1 installé sur un centre routier en périphérie d'une petite ville. Scandalisé par des conditions d'accueil extrêmement précaires et le dénuement total des personnes hébergées, la population locale s'est vite mobilisée.

  • Speaker #3

    C'était des... personnes, enfin les aidants, qui étaient animés par toutes les bonnes volontés du monde. Mais en fait, il y avait assez peu de réflexivité sur quels étaient les motifs de leur engagement. Les résidents du centre, qui avaient tous entre 18 et 40-50 ans, étaient appelés les gamins par les bénévoles, qui, eux, étaient plutôt des personnes entre... 40 et 80 ans, mais plus à la retraite, autour de 60-70 ans. Et donc des personnes qui avaient du temps, dont parfois les enfants étaient partis de la maison depuis longtemps et qui ne savaient pas comment se poser dans le lien et qui du coup, par une forme de lien filial ou un lien qui vient rappeler une forme d'intimité, ça leur permettait de construire ce lien qui finalement sinon était très difficile à... avec des gens qui leur semblaient si différents. Et du coup, c'était un truc un peu affectueux, mais qui à la fois posait des dynamiques quand même assez dominantes et assez peu réfléchies. Il y avait notamment un homme qui se faisait appeler patron par un des résidents. J'y voyais en fait aussi tous les fondements très... Un imaginaire colonial de se faire appeler huit patrons, presque huit messieurs, par un homme noir d'une trentaine d'années, qui était originaire d'Afrique de l'Ouest et qui avait une vie adulte avant d'arriver. Il y avait un lien très fort qui s'était construit entre eux. Il y avait une forme de projection sur l'autre, sur la place qu'il vient occuper, notamment dans des quotidiens de personnes à la retraite. qui aussi se cherchent des activités et qui trouvent ça bien de faire le bien, que ça valorise énormément. Mais du coup, dans cette idée de se valoriser soi-même, parfois il y avait des formes d'oubli, des besoins et des attentes de ceux qui étaient face à elles et eux.

  • Speaker #1

    Tous les asso aussi catholiques qui aident ici derrière la charrette et qui nous disent « oui, on est en train d'aider, regardez-moi comment j'ai fait, qu'est-ce que j'ai fait » . Pour moi, c'est la charrette. Tu n'as pas besoin de le montrer, de le dire si tu as faim trop. Des gens qui viennent pour aider les migrants, avant tout, ils ne réfléchissent pas en fait « moi, qu'est-ce que je suis en train de faire ? » « Qu'est-ce que la aide, ils peuvent me porter ? » Je ne suis pas juste là pour aider ces migrants. Tu es là parce que même toi aussi, d'abord, tu vas bénéficier derrière parce que tu vas... comprendre des choses, tu vas comprendre la culture, tu vas peut-être apprendre la langue, peut-être tu vas apprendre d'autres visions de la vie, de comment tu vois la vie, peut-être t'es là parce que t'es contre l'État, t'es là pour dire ton voix, non, je suis pas d'accord avec ça, donc il y a plein de questions d'arrêt, c'est pas que je suis là pour t'aider, parce que t'es pauvre, parce que t'es vulnérable

  • Speaker #4

    L'État social, en France, s'est construit dans le sillage des catholiques sociaux. C'est présent aussi dans des associations qui peuvent se revendiquer comme étant laïques, mais en fait, beaucoup de militants de ces associations laïques sont des retraités et ont été socialisés au mouvement de jeunesse chrétienne. Alors, qu'est-ce que ça produit ? Ça produit une manière spécifique de considérer l'accueil de l'autre, son expérience, une attention à la souffrance, une attention, une indignation, en fait, face à des traitements qui peuvent être jugés... inhumain, mais ça se fait peut-être aussi au détriment d'une lecture plus politique. de l'expérience de ces personnes. C'est-à-dire quels sont les ressorts inégalitaires qui produisent ces situations. Donc c'est des inégalités nord-sud, c'est l'histoire de la colonisation, c'est l'histoire du racisme. Ce sont des choses qui sont peu présentes dans le rapport à l'engagement d'un certain nombre de militants, alors même que ce sont des situations d'injustice très fortes et qui sont difficilement vécues par les exilés. Et il y a parfois du coup... Des réactions de la part de certains sans-papiers qui renvoyaient, mais ça va, des preuves d'intégration, on en a fait. Tu nous dis de faire attention à la manière de nous adresser à la préfecture, mais est-ce que tu te rends compte de ce que l'État nous fait ? Et il y avait vraiment un sentiment d'incompréhension, l'idée que quand on aide, on doit être redevable, qu'il y a une forme de reconnaissance qui doit venir en échange de l'assistance, même si elle est implicite, même si elle est rarement énoncée. énoncées en tant que telles. Moi, j'ai pu entendre ça de la part de certains militants en disant avec tout ce qu'on fait pour lui, quoi, il réagit comme ça.

  • Speaker #3

    Je me rappelle d'une femme qui trouvait que voilà, il ne s'occupait pas et qu'ils auraient peut-être pu tailler les haies dans son jardin parce qu'il s'ennuyait et que ce serait bien de les occuper et puis qu'elle, elle donnait son temps, donc pourquoi pas, il ne pourrait pas l'aider. Et en fait, ça ne venait pas du tout d'une demande de la part des personnes. Et il y avait vraiment une sorte de contre-dent implicite qui devait être attendue vu qu'il y avait des conditions d'accueil octroyé par ailleurs minimal et précaire. Du coup, c'était un truc d'enfermer encore, là c'était des corps non blancs, dans le fait d'être disponible, d'être un corps qui travaille, qui fournit sa force physique et qui ne pourrait pas fournir grand-chose d'autre qu'une force physique par ailleurs.

  • Speaker #1

    C'est des questions qui sont liées avec le pouvoir et privilèges, les expressions systémiques qui font des gens, ils font leurs choix, ils sont en fonction. Parce que les blancs, je vais peut-être essayer de communiquer avec eux plus facilement. Par exemple, si quelqu'un vient vers l'Asie ou l'Amérique du Sud, avec quelqu'un qui vient d'Afrique, elle te dit bienvenue, c'est pas la même chose. Ça se voit clairement. Et là, tu vis l'Eurasie. Tout le temps, dans les soirées, dans les festoches, dans les vêtements. Et je vois ça souvent, qu'ils te renvoient directement dans un casque. Tu es un or, tu n'es pas capable de faire ça. Tu es migrant, tu ne peux rien servir, même il y a des gens qui disent que tu n'es pas capable de décider des choses.

  • Speaker #3

    Quand on est toujours dans la position de se représenter l'autre comme une victime, on lui enlève, on lui arrache sa souveraineté et sa capacité à décider.

  • Speaker #0

    Léo Manac rapporte les débats qu'il a pu entendre au sein de l'association enquêtée, notamment sur l'accompagnement juridique et administratif, et la prise de décision qui s'ensuit.

  • Speaker #3

    C'était toujours des tensions entre des réflexions qui pouvaient être amenées par une minorité de l'association autour du fait de respecter leur intégrité de sujet politique et à la fois de toujours glisser vers autre chose. On leur conseillerait en fait, on dit ce que c'est la loi, on dit ce que sont les risques et ensuite ils prennent leur décision. Et nous, une fois que cette décision elle est prise, on peut l'accompagner d'une manière ou d'une autre. Et de la part des personnes résidentes, il y avait des blagues qui circulaient autour du fait d'être infantilisé, de parfois voir un peu les papis gâteux, enfin gâteaux, gâteux, de pouvoir un peu s'en distancier. Je me rappelle vraiment de bénévoles qui étaient heurtés que les résidents puissent refuser soit de certains types de nourriture, soit certains vêtements qu'ils jugeaient trop vieillots, ce qu'on peut parfaitement comprendre de la part de personnes qui étaient majoritairement autour de 20-25 ans. Il y avait des réflexions chez les bénévoles de certains qui étaient outrés, en mode « mais on me refuse, on refuse l'aide que j'apporte » , et d'autres qui disaient « mais ils ont parfaitement le droit de ne pas vouloir ce type de choses, en fait » . et c'est une manière aussi de respecter leur choix, de leur proposer et de... et de respecter le refus, en fait.

  • Speaker #4

    Il y a un vrai double discours sur la question de l'autonomie des exilés. C'est-à-dire, à la fois, il y a une injonction à être autonome. L'autonomie est une norme parce que les institutions du travail social ont peu de moyens et donc les personnes doivent faire par elles-mêmes. Elles doivent démontrer leur capacité à faire et leur volonté à faire. Mais la réalité, c'est qu'elles sont maintenues dans une situation de dépendance et pas nécessairement autorisées à faire les choses. Et donc, il y a une forme d'injonction paradoxale. où on attendrait d'elles qu'elles se mobilisent et qu'elles fassent les démarches, qu'elles démontrent qu'elles sont en mesure de faire, mais elles ne sont pas autorisées à travailler. Lorsqu'elles sont dans des cadavres, elles doivent respecter un règlement intérieur avec des autorisations de sortie.

  • Speaker #3

    Il y avait quand même un contrôle de qui dort là, des travers sociaux qui tapaient aux chambres, qui regardaient qui était là, qui contrôlaient les allées et venues, etc. Il y avait aussi malgré tout des marges de manœuvre pour se ménager des espaces de liberté, des stratégies d'aller dormir ailleurs, de commencer à relationner amoureusement ou amicalement avec des personnes tout autour, de se trouver du travail non déclaré, plein d'eux. de stratégie de résistance pour se retrouver des marges d'autonomie au milieu d'un dispositif qui était quand même très coercitif.

  • Speaker #1

    C'est dommage en fait, parce que moi je suis un autre humain, je sais ma capacité, je sais ce que je peux apporter. Moi en tant que personne, je sais qui je suis. Donc tu peux aussi apporter beaucoup de choses, mais c'est juste dommage. Les personnes ne voient pas ça, ne veulent pas prendre ça en compte. Moi aussi, je ne suis pas obligé de mettre ma dignité à côté juste pour vouloir convaincre l'autre. Moi aussi, je suis là. Ça boulogne beaucoup d'émigrants qui trouvent cette difficulté et qui n'arrivent pas à prendre la parole parce qu'ils sont très opprimés. La silence aussi, elle fait très très mal. Pour des gens aussi qui parlent trop, je crois que c'est cool qu'ils se taisent un petit peu ou qu'ils laissent la place. à celle qui n'a pas de parole pendant des siècles.

  • Speaker #4

    Donner la parole à un exilé sur les conditions de son existence, c'est compliqué parce que ça veut dire, c'est accepter l'idée d'entendre que l'association est le relais d'une politique migratoire qui maintient les personnes dans une situation de dépendance, qui ne leur permet pas l'installation en France, ne répond pas à la promesse du travail social qui serait l'idéal d'une forme... de progrès, d'émancipation, d'intégration. Et donc, je pense que ce serait compliqué pour les institutions d'autoriser une parole totalement libre, en fait. Et puis, encore une fois, les dispositifs d'accompagnement ne sont pas construits comme ça. Ils se déploient à partir des politiques publiques dans quelque chose d'assez vertical. On n'est pas dans des logiques, par exemple, comme peuvent être les logiques anglo-saxonnes de travail social communautaire, où, du coup, il y a des relations plus horizontales entre les aidants et les aidés. où on co-construit l'action sociale. Chez nous, on a une action sociale plus descendante, avec quelqu'un qui accompagne, qui sait où les personnes doivent aller, qui mobilise et active des droits sociaux pour elles. Et du coup, on a forcément des relations qui sont plus asymétriques et qui tiennent à la manière dont l'action sociale est construite.

  • Speaker #1

    J'écoutais le français, c'est sûr, mais je suis impacté tout le temps. Avec des camarades qui disent « je suis là, je comprends ta situation » et tout ça. Et ça produit le même rapport, par exemple, de domination.

  • Speaker #0

    Au moment de notre rencontre avec Habib, il venait tout juste de suivre une formation sur les oppressions systémiques.

  • Speaker #1

    J.T.A. Vogel est... ils m'ont filé de nouvelles lunettes et voir tout ce qu'il y a autour de moi. Ils m'ont dit « Ah ouais, là ça veut dire beaucoup de travail » . De voir ça, ça m'a beaucoup choqué. Même des gens que tu côtoies tout le temps, ils produisent des comportements qui peuvent t'impacter tout le temps. Tout le temps, tout le temps. Et là, je ne sais pas quoi faire. Oui, ce n'est pas mon pays, mais aussi en tant qu'autre humain, j'ai le droit de souhaiter, d'imaginer, de penser, de tout ça. Donc la terre, elle appartient à tout le monde. Ça veut dire qu'on peut aussi vivre sur cette terre, quelle que soit notre couleur de peau ou notre origine. Tu peux vivre, tu peux avoir des droits, des droits civils, des droits dans la société. On n'est pas là juste pour se faire exploiter ou vivre comme un esclave. Si on veut fonder une société qui est bien équitable, je crois qu'il faut partir de l'égal.

  • Speaker #4

    Pour pouvoir à un moment donné être intégré en France, il faut pouvoir faire la démonstration qu'on a les dispositions, ou qu'on les a acquises, ou qu'on va les acquérir, à s'intégrer en France. Et ça, ça s'adosse à la figure d'un étranger méritant qui ne fait pas de vagues, est poli, même quand il est maltraité, qui fait du bénévolat dans des associations, mais pas du bénévolat comme vous et moi en ferions, du bénévolat où on travaille 25 heures par semaine dans un centre d'hébergement pour nettoyer les sanitaires, par exemple. Ce sont des choses que j'ai entendues au cours de mon enquête de la part des exilés et qui disaient que c'était des conditions de travail. D'ailleurs, ils ne qualifiaient pas ça de bénévolat, ils parlaient de travail en disant que c'était un travail dégradant.

  • Speaker #3

    Il faut toujours de plus en plus sourcer et fonder la légitimité, mais en fait, ça devient une course folle, en fait. La course à l'attestation, l'attestation qui permet de dire « je suis intégrée, je donne mon temps gratuitement » , et c'est devenu un attendu implicite, qui réorganise aussi énormément d'inégalités selon les ressources des personnes pour s'organiser, pour lier vers les autres, plus après dans des structures où elles peuvent se retrouver aussi assez corvéables du fait parfois d'avoir une possibilité d'être... de trouver un travail dans cette structure, et que du coup ça organise un rapport aussi au bénévolat un peu complexe, où du coup on n'ose pas trop dire ce qu'on pense, notamment quand on n'est pas d'accord sur certains sujets, enfin on va se taire. Il y a des associations qui du coup refusent de donner ces certificats parce que la personne ne serait pas assez engagée, du coup qui deviennent aussi des sortes de supplétifs de la préfecture.

  • Speaker #4

    C'est très compliqué malgré tout, pour des personnes qui auraient des compétences, des diplômes. d'accéder à ces possibilités de régularisation au titre du mérite. Donc il y a aussi là un double discours. C'est à la fois on promeut ça, parce que ça permet de s'assurer que les personnes vont tendre vers cette figure, avoir une trajectoire sociale respectable, où ils essayent, où ils font la démonstration, où ils se tiennent correctement, où il n'y a pas d'écart. Et en même temps, les possibilités d'accès réels aux perspectives de régularisation au titre du mérite restent et demeurent réduites.

  • Speaker #1

    Moi-même, le terme qui ne tape pas le papier, je ne l'utilise pas souvent parce que j'ai mes papiers de mon pays d'origine. Mais c'est juste que je n'ai pas de papiers français ou de papiers privilégiés. Moi, je vois que je n'avance pas dans ma vie et tu n'arrives rien à faire. Pour moi, ce n'est pas normal. Tu n'as pas le droit de travailler, pas le droit de bouger, même libre de circulation. Tu n'as pas le droit parce que si tu bouges, peut-être que tu te fais contrôler. Et si tu te contrôles, tu es dans la merde. Tu n'as pas le droit de voyager. T'as droit à rien en fait, quand t'existais, t'existais pas en fait. Moi j'ai vécu ça pendant 10 ans, c'est hyper violent. C'est très dur de vivre 10 ans comme ça, sans voir à point de l'avenir. T'as envie de faire beaucoup de choses, mais il y a juste un bout de papier qui t'empêche de faire tout. Un petit papier qui dit « t'as le droit de faire ça » ou « t'as pas le droit de faire ça » , ça occupe beaucoup de cerveau, ça pince, ça pince. Ça peut t'isoler socialement, ça peut te... Il y a beaucoup de gens, je sais, qui sont tombés malades, qui ont développé des pathologies psychiques et tout ça.

  • Speaker #4

    Une autre figure qu'on voit arriver comme ça dans les procédures de régularisation, c'est celle de la vulnérabilité du migrant malade souffrant, à laquelle les personnes doivent se... s'identifier, se référer, si elles veulent un jour obtenir une régularisation. Ce sont des processus qui sont extrêmement puissants et violents, et on voit dans les trajectoires des exilés que l'action publique produit de la vulnérabilité. Elle la produit de manière objective, quand à un moment donné, en sortant de cadavre, les personnes se retrouvent sans solution, à la rue, perdues. Elles vont voir émerger des problèmes de santé mentale, physique. Mais ce qui est paradoxal, c'est que c'est à l'aune. de cette dégradation de leurs conditions de vie, qu'elles seront réintégrées dans l'action publique, dans des dispositifs spécifiques dédiés à des personnes vulnérables. Donc on a là un processus extrêmement pernicieux qui fabrique la vulnérabilité des migrants et à partir de là réintègre ces migrants vulnérables dans l'action publique. Tout en ayant effacé, dans le même temps, ce qu'est leur expérience de l'exil, c'est-à-dire une expérience politique.

  • Speaker #2

    La première raison de cet exil fut pour moi politique, pour échapper aux gens arrogants. qui prenaient le contrôle de toute chose. Ils se favorisent eux-mêmes, ne prenant en compte que leurs propres bénéfices, y compris ceux obsédés par les sièges du gouvernement, ne permettant à personne de s'en approcher, comme s'ils avaient été créés pour eux seuls. C'est ce qui fait souffrir l'Afrique, ceux qui ont pris le pouvoir jusqu'à y passer toute leur vie. S'ils se contentaient seulement de s'asseoir sur leurs sièges et d'exclure le pouvoir, mais ils continuent à s'arroger des droits, s'emparer des biens, jusqu'à ce qu'ils fassent du peuple entier son esclave. et d'aucuns n'est autorisé à revendiquer les droits du peuple.

  • Speaker #0

    De l'aube au crépuscule, Habib Ali Mohamed Moussa. Les jeunes ici, ils n'ont pas habitué à l'écouter. Moi, personnellement, j'ai grandi dans un endroit où j'ai pu écouter. J'ai cette sensation de rester peut-être attentif à écouter l'autre. Bien d'être dans le coucheron pour prendre soin de nous. Essayer de soigner les blessures qui sont là depuis pas mal de temps. Je crois que ça passe par ça. Peut-être aussi qu'il faut qu'on prenne le temps de réfléchir. Peut-être demain, s'il y a déjà ce qu'il y a besoin de célébrer, on célèbre. Si on ne va pas faire ça, je crois qu'ils vont rester tout le temps là. Ils vont impacter notre vie. Sans ça, je crois, on ne peut pas avancer. Mais ça demande beaucoup de travail en soi-même.

  • Speaker #1

    Si la relation d'aide n'échappe pas à la violence et aux contradictions comme nous venons de l'illustrer, il existe bien heureusement des espaces pour déconstruire ces mécanismes intégrés et les dépasser.

  • Speaker #2

    Ça, ça ne dit rien de l'engagement des acteurs et de la sincérité de leur implication. C'est simplement une analyse historique, sociologique, de quels sont les ressorts de l'engagement. S'ils ont face à eux des exilés, c'est aussi qu'à un moment donné, les exilés trouvent des bénéfices ou une réponse et que ça correspond aussi à un besoin. Les acteurs du travail social, pour beaucoup, sont conscients de ça. En fait, les travailleurs sociaux sont traversés par des contradictions très fortes. Ils sont totalement lucides. Ce que j'ai enquêté sur vraiment les contradictions dans lesquelles ils sont pris, qui ne sont pas les leurs, en fait, qui sont celles de l'action publique et qu'ils essayent de tenir. Et si ça tient, c'est aussi parce qu'à un moment donné, il y a des street-level bureaucrates, on dirait, c'est-à-dire ces agents qui sont un peu au front. du public qui tiennent les tensions entre les politiques migratoires et la souffrance des gens. Et c'est ça, toute leur habileté professionnelle aussi.

  • Speaker #3

    L'aide, c'est pas de la pure positivité, en fait. Il peut être matinée de rapports de domination, de projection, de fétichisation de l'autre. Ces pratiques problématiques sont aussi pensées au sein de certaines organisations et d'associations qui ont à cœur de former les bénévoles et de les amener à réfléchir. sur ce qui est projeté dans l'aide. Une fois qu'on a fait ce constat qu'il y a de la violence dans l'aide, comment on la... On ne sait pas qu'on la dépasse, mais qu'en tout cas, on fait avec et qu'on essaye de faire mieux avec. Sortir d'un rapport un à un où des projections d'un côté comme de l'autre peuvent se faire, comment on essaye de réfléchir aux conditions de l'aide pour aider tout en laissant sa souveraineté à l'autre et tout en... et tout en faisant attention à ce qu'on promet, à ce qu'on croit savoir, enfin nommer ce qui va et nommer ce qui ne va pas, et juste aider mieux, et faire attention à toutes les projections et à toutes les violences qu'on peut charrier dans la relation d'aide, en arrêtant de l'idéaliser et de la sublimer, et en lui retrouvant aussi tout ce qui peut... puisqu'il peut la travailler de manière plus ou moins consciente de la part des bénévoles et de la part aussi des personnes qui peuvent se retrouver en situation d'être aidées.

  • Speaker #1

    Usé par des années de tentatives de régularisation, Habib a décidé de devenir lui-même acteur, de s'inscrire dans une dynamique nouvelle de solidarité, pour lui-même et pour les autres. Pour cela, il a créé avec des camarades l'association A4, qui oeuvre pour l'accueil, la formation et l'accès au travail des personnes avec ou sans papier, urbaines ou rurales, dans les domaines de l'agriculture et de l'artisanat.

  • Speaker #0

    C'est pour ça qu'on a commencé dans A4, je crois peut-être que c'est ça le sport, de commencer à s'organiser et essayer de monter des projets ensemble, essayer de se tenir ensemble, essayer de travailler avec la société où on est. Chaque individu a des choses à apporter, de savoir, des pays d'origine. L'opportunité peut-être de travailler dans l'agriculture, transmettre des choses. Peut-être que ce ne sera pas pour nous-mêmes, mais peut-être que ce sera pour les futures générations qui vont arriver. Parce que si on ne va pas faire ça, je crois que ça va être, avec le changement climatique et tout ce qui se passe dans le monde, je crois que ça va être très compliqué.

  • Speaker #4

    Mon visage, un visage de passeport On me traîne de foyer banquise De banquise en banlieue Paul-Nord Entre les charités fileuses et le vrai président à vie, Il faut bien que ma vie se creuse un coup pour passer la nuit. Je suis excellent géographe, je connais toutes les cartes de séjour. Tous les pas de flac, tous les pas à feu, j'en ai fait plusieurs fois le tour. Le tour du monde des polis, des postes frontières, mon matin gris, le tour des beugards qu'on glisse quand on a l'accent indécis.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter Je suis migrant, une série documentaire indépendante. Merci à Habib qui a bien voulu nous partager son récit de vie, son récit de migration. Et merci à vous pour votre écoute.

  • Speaker #4

    Rien n'est à moi, tout est aux autres, le boulot, la terre et le vin. Même les saisons, le ciel sont vôtres, vous êtes logique, je ne suis rien. Rien que les gens, un apatrie, tu sens bizarre au rôle de son, une note flétrie comme une vide dans le gros pontaire des nations.

Share

Embed

You may also like

Description

Habib a fui le Soudan suite à son engagement politique contre un état autoritaire. Il a connu comme tant d’autres la violence de la Libye, des campements de la Jungle de Calais ou ceux de la Chapelle à Paris.

Mais il a aussi vécu la violence qui s’insinue parfois dans la relation aidant-aidé…


Un récit commenté par Léo Manac'h, Doctorant en anthropologie et Frédéric Ballière, Sociologue et Chargé d'études à l'APRADIS, Chercheur associé au CURAPP-ESS (UMR 7319) et à l'Institut Convergence Migrations.



📖 SOURCES :



🎵 MUSIQUES :

  • Percussion Show — Igor Khainskyi

  • A.L.O.N.E – Mike Leite

  • Ballade apatride - Cheikh sidi bemol


👍 Suivez-nous sur Instagram

🎧 Ré-écoutez l'épisode 1 Je suis aussi Mounir et l'épisode 2 Mineurs non accompagnés : accueillir ces enfants isolés


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    3,6% de la population mondiale n'habite pas dans son pays de naissance. De ce chiffre est née notre envie de raconter des histoires d'immigration qui forgent cette réalité. Les parcours de celles et ceux qui souffrent ne n'est que des statistiques. Je suis migrant leur rend la parole. La vraie charité ne consiste pas à pleurer ou simplement à donner, mais à agir contre l'injustice.

  • Speaker #1

    Je m'appelle Habib Ali Mohamed Moussa, j'ai 35 ans, je viens de Soudan.

  • Speaker #0

    Je suis migrant, épisode 3, la charité blanche, je t'aide moi non plus.

  • Speaker #1

    Ça fait longtemps que je ne dis rien, j'ai décidé en fait de rien dire, de juste rester ici, observer le comportement, en tout cas de façon du jeune égyptien. Sans rien dire. Il y a un côté de moi qui manifeste, qui dit, il faut prendre la parole et dire, ou partager des choses avec des gens, même si ça fait mal, ça fait partie de la vie, il faut l'accepter. Je sais très bien, il y a beaucoup de gens qui sont silencieux, qui ont beaucoup de choses à dire. Mais c'est juste, ils n'ont pas cette opportunité d'avoir peut-être le micro. Si moi j'ai eu cette opportunité, il faut que je le saisisse. Je vais aussi envoyer des messages. Je me mets à l'écriture parce que je trouve que c'est un bon moyen d'exprimer ou parler des choses que je vois et que je sens. Aussi c'est une arme. Moi dans l'écriture, je peux être plus clair qu'en parlant. À la base, moi j'écris quand j'étais chez moi. Avant j'écris des poèmes, des petites histoires, souvent, mais je ne les garde pas. J'ai remis dans l'écriture pour écrire un roman. Avec le temps, j'ai beaucoup accumulé dans ma tête. Un jour, elle est arrivée juste comme ça, elle voulait sortir et elle est sortie.

  • Speaker #2

    Mohamed se demandait s'il a été les rêves derrière lesquels il avait couru. en prenant tous les risques, menant lui-même son âme vers la mort. Était-ce pour cela qu'il avait fui la mort et la pauvreté pour finir dans un monde d'esclavage et de racisme de son propre gré ? Il en arriva à penser que, puisqu'il avait fait ce choix, il méritait tout cela, et qu'il en était de même pour tous ceux qui en avaient fait autant. Pourquoi n'avait-il pas été capable de réaliser leurs rêves dans leur pays, et pourquoi n'était-il pas resté chez eux jusqu'à en changer la situation, au lieu de venir mendier leur pain en Europe ? N'était-il pas maintenant devenu des réfugiés, des apatrides sans valeur ? Ici, prétendument terre des droits de l'homme, une grande différence était faite entre les citoyens et les autres. Si les Européens étaient de première classe, on ne savait dans laquelle pouvaient être placés les autres.

  • Speaker #0

    Dans cet extrait de son roman « De l'aube au crépuscule » , à travers son personnage Mohamed, Habib questionne les conditions d'accueil en Europe. Lui qui affuie le Soudan suite à son engagement politique contre un État autoritaire, a connu comme tant d'autres la violence de la Libye, des campements de la jungle de Calais ou ceux de la chapelle à Paris. Mais il a aussi vécu la violence qui s'insinue parfois dans la relation aidant-aidé.

  • Speaker #1

    Tout le temps c'est difficile d'accepter quelqu'un, peut-être noir ou mégane, puisse écrire. qu'ils puissent faire des choses incroyables. Faire des choses en tant qu'ils sont beaux et belles. Tu es un migrant, tu ne peux pas faire des choses. C'est juste cette imagination qu'ils ont dans leur tête. Donc tu arrives à prendre ta place, peut-être à exprimer bien. Ça, ça le étend ou ça le gêne des fois. Ils ne t'imaginent pas, tu es capable de faire ça. Moi, en tout cas, les choses que j'ai vues, que j'ai vécues au quotidien et que j'ai vues jusqu'à maintenant, même dans les asso, dans tous les milieux militants. C'est la même chose qui reste dans le cerveau peut-être des Belges ou des Occidentaux. En tout cas, une personne qui vient vers l'Afrique ou est exilée, elle ne peut pas apporter de grandes choses avec lui. Tu as un regard différent en fait. Même là, si je me rappelle, j'étais en résidence à l'écriture de livres. J'étais avec... J'avais une copine, un travail sur le livre, donc il y a beaucoup d'artistes qui arrivent, qui disent on est des militants, on est ouverts, on sait, on sait. Mais qui viennent, qui demandent la question, est-ce que vous faites des cours de français ? Si t'es avec personne, ça veut dire que c'est un ordre devant lui, qu'il y a des caillots, ça veut dire directement que t'es immigrant, ça veut dire que tu fais des cours de français. Ils ne vont même pas imaginer d'autres choses.

  • Speaker #3

    Il y a une méconnaissance des profils de la migration, il y a des profils très divers.

  • Speaker #0

    Léo Manac, doctorant en anthropologie.

  • Speaker #3

    Mais souvent, c'est quand même des personnes qui ne sont pas les plus pauvres, les plus précaires dans des populations qui ont pu avoir les capacités financières, symboliques, relationnelles d'entamer une trajectoire de migration, même s'il y a de tout. On rencontre beaucoup de personnes qui ont fait des études supérieures, qui... qui travaillaient, qui avaient plein de compétences à pouvoir faire valoriser dans les sociétés d'arrivée, mais qui, dans un contexte de travail bridé et de répartition raciale du travail en France, les personnes immigrées non-blanches se retrouvent à occuper des travails les plus non qualifiés. Je me rappelle d'un homme qui était traducteur. pour l'armée américaine, enfin, états-unienne en Afghanistan, et qui là, en France, il travaille dans une usine de balais depuis quatre ans maintenant. Et c'est extrêmement frustrant en fait pour lui. Il y a même eu un blocage de l'apprentissage français, que nous on analysait comme une forme de colère en fait, aussi de colère non forcément conscientisée envers la France pour les conditions qu'il avait reçues. et avec du coup une mise à distance de la langue, et qui en plus le freinait dans tous ces possibles apprentissages, et plein de frustrations comme ça, à la fois institutionnellement, de ne pas pouvoir être reconnu, que ce soit dans ses diplômes, que ce soit dans des trucs très pragmatiques, d'un permis de conduire, etc., et aussi dans les relations, de passer pour le crétin du fait de ne pas avoir la langue. Comment on exprime une complexité de son récit, de son analyse, dans une langue qu'on ne maîtrise pas, et comment c'est aussi réel. des formes de réinfantilisation, de considérer que si celui qui est face à moi peut juste dire « I'm good » ou « I'm not good » , c'est que littéralement, il ne pense pas plus, en fait. Il ne peut pas... Enfin, il ne ressent pas plus. Il y a un imaginaire tellement raciste de ce que l'autre peut et ce qu'il ne peut pas, d'incapacité à se représenter la complexité de l'autre et sa diversité. En fait, il y a un enfermement dans l'urgence et dans une dynamique charitable et... Un pôle très humanitaire qui parfois empêche de voir l'autre dans sa singularité, dans ses désirs, dans ce qu'il sait ou voudrait apprendre à faire aussi.

  • Speaker #4

    Depuis les années 80, le mode d'entrée le plus généralisable en France pour les exilés, c'est l'asile.

  • Speaker #0

    Frédéric Ballière, sociologue et chargé d'études à l'Apradis.

  • Speaker #4

    Donc en fait, les personnes qui viennent en France, pour la plupart d'entre eux, sont des personnes qui sont en demande d'asile et qui deviennent, au terme d'une procédure, éligibles ou pas à une demande de protection. Et donc la manière dont l'action publique, dont les institutions, dont les travailleurs sociaux vont s'adresser à ces personnes, c'est à partir de leur expérience de l'exil, mais saisie sous l'angle du fait d'avoir été persécuté ou non. Dans ce contexte-là, en tout cas dans un premier temps, on s'intéresse peu à qui sont ces personnes, quelles sont leurs compétences. quel est leur niveau de qualification, même si à un moment donné ça peut rentrer en ligne de compte, si elles vont au terme de plusieurs années de séjour en France, par exemple en situation illégale, si à un moment donné elles sont déboutées, on pourra commencer à s'intéresser, de savoir si elles peuvent mettre en avant des capacités d'intégration. Et donc ça peut produire chez les exilés qui sont accueillis et qui arrivent, un sentiment de frustration, l'impression parfois qu'on ne s'intéresse pas à qui ils sont réellement. le sentiment de mettre en sommeil des compétences, un parcours, une trajectoire, des expériences, alors même qu'elles pourraient leur servir en réalité dans leur parcours d'intégration. Depuis quelques années, les demandeurs d'asile sont autorisés à travailler à partir de six mois de présence en France, mais pendant de nombreuses années, ça n'a pas été le cas. Et donc, ils arrivaient, ils étaient maintenus dans une situation de dépendance aux institutions où on avait l'impression qu'en réalité, ils étaient un peu sommés de ne rien faire. d'attendre. Ils ont beau mettre en avant le fait qu'ils ont des diplômes, une expérience, des compétences auprès de leurs interlocuteurs, en réalité, ça n'intéresse pas grand monde parce que de toute façon, pour le moment, ils n'ont pas de légitimité à demeurer en France et à y prendre place.

  • Speaker #1

    La charrette à boulanger, on dit on vous aide, mais en même temps on ne prend pas en considère qu'il y a un autre humain. Elle prend des gens, c'est comme des gamins en fait. Ce ne sont pas des gamins, ce sont des adultes qui ont éduqué, qui ont leur culture, qui ont respecté beaucoup de choses. Et toi tu viens, tu veux effacer tout ça, tu dis non, toi tu ne sais rien, vas-y je vais commencer à zéro. Attends, soignez la vie, qu'est-ce qui s'est fait ? Qu'est-ce que tu sais de ma vie ? Moi j'ai vécu 30 ans peut-être. Dans ma vie, tu voulais juste effacer tout ça en disant, bah oui, là, en France, il faut que tu t'adaptes. C'est violent, ça.

  • Speaker #4

    On n'est pas un pays d'émigration de la même manière que les États-Unis ou le Canada, où du coup, il y a une tolérance probablement beaucoup plus importante au fait que les personnes conservent leurs habitudes liées à leur culture d'origine. On n'a pas cette habitude-là en France. Il y a l'idée qu'on est dans un État républicain intégrateur qui nous arrache à nos déterminismes. sociaux, ethniques et que du coup on ne veut pas savoir quels sont les traits culturels des uns et des autres on s'adresse à des citoyens, c'est ça la république qui s'adresse à des citoyens censés être libres, égaux, en droit et sans différence donc il y a aussi cette logique là qui imprègne nos politiques migratoires et les politiques d'intégration et qui laisse peu de place à l'expression de l'individualité dans la relation entre l'Etat et les exilés

  • Speaker #0

    Léo Manac a mené une enquête dans un dispositif d'hébergement de demandeurs d'asile, à savoir un Formule 1 installé sur un centre routier en périphérie d'une petite ville. Scandalisé par des conditions d'accueil extrêmement précaires et le dénuement total des personnes hébergées, la population locale s'est vite mobilisée.

  • Speaker #3

    C'était des... personnes, enfin les aidants, qui étaient animés par toutes les bonnes volontés du monde. Mais en fait, il y avait assez peu de réflexivité sur quels étaient les motifs de leur engagement. Les résidents du centre, qui avaient tous entre 18 et 40-50 ans, étaient appelés les gamins par les bénévoles, qui, eux, étaient plutôt des personnes entre... 40 et 80 ans, mais plus à la retraite, autour de 60-70 ans. Et donc des personnes qui avaient du temps, dont parfois les enfants étaient partis de la maison depuis longtemps et qui ne savaient pas comment se poser dans le lien et qui du coup, par une forme de lien filial ou un lien qui vient rappeler une forme d'intimité, ça leur permettait de construire ce lien qui finalement sinon était très difficile à... avec des gens qui leur semblaient si différents. Et du coup, c'était un truc un peu affectueux, mais qui à la fois posait des dynamiques quand même assez dominantes et assez peu réfléchies. Il y avait notamment un homme qui se faisait appeler patron par un des résidents. J'y voyais en fait aussi tous les fondements très... Un imaginaire colonial de se faire appeler huit patrons, presque huit messieurs, par un homme noir d'une trentaine d'années, qui était originaire d'Afrique de l'Ouest et qui avait une vie adulte avant d'arriver. Il y avait un lien très fort qui s'était construit entre eux. Il y avait une forme de projection sur l'autre, sur la place qu'il vient occuper, notamment dans des quotidiens de personnes à la retraite. qui aussi se cherchent des activités et qui trouvent ça bien de faire le bien, que ça valorise énormément. Mais du coup, dans cette idée de se valoriser soi-même, parfois il y avait des formes d'oubli, des besoins et des attentes de ceux qui étaient face à elles et eux.

  • Speaker #1

    Tous les asso aussi catholiques qui aident ici derrière la charrette et qui nous disent « oui, on est en train d'aider, regardez-moi comment j'ai fait, qu'est-ce que j'ai fait » . Pour moi, c'est la charrette. Tu n'as pas besoin de le montrer, de le dire si tu as faim trop. Des gens qui viennent pour aider les migrants, avant tout, ils ne réfléchissent pas en fait « moi, qu'est-ce que je suis en train de faire ? » « Qu'est-ce que la aide, ils peuvent me porter ? » Je ne suis pas juste là pour aider ces migrants. Tu es là parce que même toi aussi, d'abord, tu vas bénéficier derrière parce que tu vas... comprendre des choses, tu vas comprendre la culture, tu vas peut-être apprendre la langue, peut-être tu vas apprendre d'autres visions de la vie, de comment tu vois la vie, peut-être t'es là parce que t'es contre l'État, t'es là pour dire ton voix, non, je suis pas d'accord avec ça, donc il y a plein de questions d'arrêt, c'est pas que je suis là pour t'aider, parce que t'es pauvre, parce que t'es vulnérable

  • Speaker #4

    L'État social, en France, s'est construit dans le sillage des catholiques sociaux. C'est présent aussi dans des associations qui peuvent se revendiquer comme étant laïques, mais en fait, beaucoup de militants de ces associations laïques sont des retraités et ont été socialisés au mouvement de jeunesse chrétienne. Alors, qu'est-ce que ça produit ? Ça produit une manière spécifique de considérer l'accueil de l'autre, son expérience, une attention à la souffrance, une attention, une indignation, en fait, face à des traitements qui peuvent être jugés... inhumain, mais ça se fait peut-être aussi au détriment d'une lecture plus politique. de l'expérience de ces personnes. C'est-à-dire quels sont les ressorts inégalitaires qui produisent ces situations. Donc c'est des inégalités nord-sud, c'est l'histoire de la colonisation, c'est l'histoire du racisme. Ce sont des choses qui sont peu présentes dans le rapport à l'engagement d'un certain nombre de militants, alors même que ce sont des situations d'injustice très fortes et qui sont difficilement vécues par les exilés. Et il y a parfois du coup... Des réactions de la part de certains sans-papiers qui renvoyaient, mais ça va, des preuves d'intégration, on en a fait. Tu nous dis de faire attention à la manière de nous adresser à la préfecture, mais est-ce que tu te rends compte de ce que l'État nous fait ? Et il y avait vraiment un sentiment d'incompréhension, l'idée que quand on aide, on doit être redevable, qu'il y a une forme de reconnaissance qui doit venir en échange de l'assistance, même si elle est implicite, même si elle est rarement énoncée. énoncées en tant que telles. Moi, j'ai pu entendre ça de la part de certains militants en disant avec tout ce qu'on fait pour lui, quoi, il réagit comme ça.

  • Speaker #3

    Je me rappelle d'une femme qui trouvait que voilà, il ne s'occupait pas et qu'ils auraient peut-être pu tailler les haies dans son jardin parce qu'il s'ennuyait et que ce serait bien de les occuper et puis qu'elle, elle donnait son temps, donc pourquoi pas, il ne pourrait pas l'aider. Et en fait, ça ne venait pas du tout d'une demande de la part des personnes. Et il y avait vraiment une sorte de contre-dent implicite qui devait être attendue vu qu'il y avait des conditions d'accueil octroyé par ailleurs minimal et précaire. Du coup, c'était un truc d'enfermer encore, là c'était des corps non blancs, dans le fait d'être disponible, d'être un corps qui travaille, qui fournit sa force physique et qui ne pourrait pas fournir grand-chose d'autre qu'une force physique par ailleurs.

  • Speaker #1

    C'est des questions qui sont liées avec le pouvoir et privilèges, les expressions systémiques qui font des gens, ils font leurs choix, ils sont en fonction. Parce que les blancs, je vais peut-être essayer de communiquer avec eux plus facilement. Par exemple, si quelqu'un vient vers l'Asie ou l'Amérique du Sud, avec quelqu'un qui vient d'Afrique, elle te dit bienvenue, c'est pas la même chose. Ça se voit clairement. Et là, tu vis l'Eurasie. Tout le temps, dans les soirées, dans les festoches, dans les vêtements. Et je vois ça souvent, qu'ils te renvoient directement dans un casque. Tu es un or, tu n'es pas capable de faire ça. Tu es migrant, tu ne peux rien servir, même il y a des gens qui disent que tu n'es pas capable de décider des choses.

  • Speaker #3

    Quand on est toujours dans la position de se représenter l'autre comme une victime, on lui enlève, on lui arrache sa souveraineté et sa capacité à décider.

  • Speaker #0

    Léo Manac rapporte les débats qu'il a pu entendre au sein de l'association enquêtée, notamment sur l'accompagnement juridique et administratif, et la prise de décision qui s'ensuit.

  • Speaker #3

    C'était toujours des tensions entre des réflexions qui pouvaient être amenées par une minorité de l'association autour du fait de respecter leur intégrité de sujet politique et à la fois de toujours glisser vers autre chose. On leur conseillerait en fait, on dit ce que c'est la loi, on dit ce que sont les risques et ensuite ils prennent leur décision. Et nous, une fois que cette décision elle est prise, on peut l'accompagner d'une manière ou d'une autre. Et de la part des personnes résidentes, il y avait des blagues qui circulaient autour du fait d'être infantilisé, de parfois voir un peu les papis gâteux, enfin gâteaux, gâteux, de pouvoir un peu s'en distancier. Je me rappelle vraiment de bénévoles qui étaient heurtés que les résidents puissent refuser soit de certains types de nourriture, soit certains vêtements qu'ils jugeaient trop vieillots, ce qu'on peut parfaitement comprendre de la part de personnes qui étaient majoritairement autour de 20-25 ans. Il y avait des réflexions chez les bénévoles de certains qui étaient outrés, en mode « mais on me refuse, on refuse l'aide que j'apporte » , et d'autres qui disaient « mais ils ont parfaitement le droit de ne pas vouloir ce type de choses, en fait » . et c'est une manière aussi de respecter leur choix, de leur proposer et de... et de respecter le refus, en fait.

  • Speaker #4

    Il y a un vrai double discours sur la question de l'autonomie des exilés. C'est-à-dire, à la fois, il y a une injonction à être autonome. L'autonomie est une norme parce que les institutions du travail social ont peu de moyens et donc les personnes doivent faire par elles-mêmes. Elles doivent démontrer leur capacité à faire et leur volonté à faire. Mais la réalité, c'est qu'elles sont maintenues dans une situation de dépendance et pas nécessairement autorisées à faire les choses. Et donc, il y a une forme d'injonction paradoxale. où on attendrait d'elles qu'elles se mobilisent et qu'elles fassent les démarches, qu'elles démontrent qu'elles sont en mesure de faire, mais elles ne sont pas autorisées à travailler. Lorsqu'elles sont dans des cadavres, elles doivent respecter un règlement intérieur avec des autorisations de sortie.

  • Speaker #3

    Il y avait quand même un contrôle de qui dort là, des travers sociaux qui tapaient aux chambres, qui regardaient qui était là, qui contrôlaient les allées et venues, etc. Il y avait aussi malgré tout des marges de manœuvre pour se ménager des espaces de liberté, des stratégies d'aller dormir ailleurs, de commencer à relationner amoureusement ou amicalement avec des personnes tout autour, de se trouver du travail non déclaré, plein d'eux. de stratégie de résistance pour se retrouver des marges d'autonomie au milieu d'un dispositif qui était quand même très coercitif.

  • Speaker #1

    C'est dommage en fait, parce que moi je suis un autre humain, je sais ma capacité, je sais ce que je peux apporter. Moi en tant que personne, je sais qui je suis. Donc tu peux aussi apporter beaucoup de choses, mais c'est juste dommage. Les personnes ne voient pas ça, ne veulent pas prendre ça en compte. Moi aussi, je ne suis pas obligé de mettre ma dignité à côté juste pour vouloir convaincre l'autre. Moi aussi, je suis là. Ça boulogne beaucoup d'émigrants qui trouvent cette difficulté et qui n'arrivent pas à prendre la parole parce qu'ils sont très opprimés. La silence aussi, elle fait très très mal. Pour des gens aussi qui parlent trop, je crois que c'est cool qu'ils se taisent un petit peu ou qu'ils laissent la place. à celle qui n'a pas de parole pendant des siècles.

  • Speaker #4

    Donner la parole à un exilé sur les conditions de son existence, c'est compliqué parce que ça veut dire, c'est accepter l'idée d'entendre que l'association est le relais d'une politique migratoire qui maintient les personnes dans une situation de dépendance, qui ne leur permet pas l'installation en France, ne répond pas à la promesse du travail social qui serait l'idéal d'une forme... de progrès, d'émancipation, d'intégration. Et donc, je pense que ce serait compliqué pour les institutions d'autoriser une parole totalement libre, en fait. Et puis, encore une fois, les dispositifs d'accompagnement ne sont pas construits comme ça. Ils se déploient à partir des politiques publiques dans quelque chose d'assez vertical. On n'est pas dans des logiques, par exemple, comme peuvent être les logiques anglo-saxonnes de travail social communautaire, où, du coup, il y a des relations plus horizontales entre les aidants et les aidés. où on co-construit l'action sociale. Chez nous, on a une action sociale plus descendante, avec quelqu'un qui accompagne, qui sait où les personnes doivent aller, qui mobilise et active des droits sociaux pour elles. Et du coup, on a forcément des relations qui sont plus asymétriques et qui tiennent à la manière dont l'action sociale est construite.

  • Speaker #1

    J'écoutais le français, c'est sûr, mais je suis impacté tout le temps. Avec des camarades qui disent « je suis là, je comprends ta situation » et tout ça. Et ça produit le même rapport, par exemple, de domination.

  • Speaker #0

    Au moment de notre rencontre avec Habib, il venait tout juste de suivre une formation sur les oppressions systémiques.

  • Speaker #1

    J.T.A. Vogel est... ils m'ont filé de nouvelles lunettes et voir tout ce qu'il y a autour de moi. Ils m'ont dit « Ah ouais, là ça veut dire beaucoup de travail » . De voir ça, ça m'a beaucoup choqué. Même des gens que tu côtoies tout le temps, ils produisent des comportements qui peuvent t'impacter tout le temps. Tout le temps, tout le temps. Et là, je ne sais pas quoi faire. Oui, ce n'est pas mon pays, mais aussi en tant qu'autre humain, j'ai le droit de souhaiter, d'imaginer, de penser, de tout ça. Donc la terre, elle appartient à tout le monde. Ça veut dire qu'on peut aussi vivre sur cette terre, quelle que soit notre couleur de peau ou notre origine. Tu peux vivre, tu peux avoir des droits, des droits civils, des droits dans la société. On n'est pas là juste pour se faire exploiter ou vivre comme un esclave. Si on veut fonder une société qui est bien équitable, je crois qu'il faut partir de l'égal.

  • Speaker #4

    Pour pouvoir à un moment donné être intégré en France, il faut pouvoir faire la démonstration qu'on a les dispositions, ou qu'on les a acquises, ou qu'on va les acquérir, à s'intégrer en France. Et ça, ça s'adosse à la figure d'un étranger méritant qui ne fait pas de vagues, est poli, même quand il est maltraité, qui fait du bénévolat dans des associations, mais pas du bénévolat comme vous et moi en ferions, du bénévolat où on travaille 25 heures par semaine dans un centre d'hébergement pour nettoyer les sanitaires, par exemple. Ce sont des choses que j'ai entendues au cours de mon enquête de la part des exilés et qui disaient que c'était des conditions de travail. D'ailleurs, ils ne qualifiaient pas ça de bénévolat, ils parlaient de travail en disant que c'était un travail dégradant.

  • Speaker #3

    Il faut toujours de plus en plus sourcer et fonder la légitimité, mais en fait, ça devient une course folle, en fait. La course à l'attestation, l'attestation qui permet de dire « je suis intégrée, je donne mon temps gratuitement » , et c'est devenu un attendu implicite, qui réorganise aussi énormément d'inégalités selon les ressources des personnes pour s'organiser, pour lier vers les autres, plus après dans des structures où elles peuvent se retrouver aussi assez corvéables du fait parfois d'avoir une possibilité d'être... de trouver un travail dans cette structure, et que du coup ça organise un rapport aussi au bénévolat un peu complexe, où du coup on n'ose pas trop dire ce qu'on pense, notamment quand on n'est pas d'accord sur certains sujets, enfin on va se taire. Il y a des associations qui du coup refusent de donner ces certificats parce que la personne ne serait pas assez engagée, du coup qui deviennent aussi des sortes de supplétifs de la préfecture.

  • Speaker #4

    C'est très compliqué malgré tout, pour des personnes qui auraient des compétences, des diplômes. d'accéder à ces possibilités de régularisation au titre du mérite. Donc il y a aussi là un double discours. C'est à la fois on promeut ça, parce que ça permet de s'assurer que les personnes vont tendre vers cette figure, avoir une trajectoire sociale respectable, où ils essayent, où ils font la démonstration, où ils se tiennent correctement, où il n'y a pas d'écart. Et en même temps, les possibilités d'accès réels aux perspectives de régularisation au titre du mérite restent et demeurent réduites.

  • Speaker #1

    Moi-même, le terme qui ne tape pas le papier, je ne l'utilise pas souvent parce que j'ai mes papiers de mon pays d'origine. Mais c'est juste que je n'ai pas de papiers français ou de papiers privilégiés. Moi, je vois que je n'avance pas dans ma vie et tu n'arrives rien à faire. Pour moi, ce n'est pas normal. Tu n'as pas le droit de travailler, pas le droit de bouger, même libre de circulation. Tu n'as pas le droit parce que si tu bouges, peut-être que tu te fais contrôler. Et si tu te contrôles, tu es dans la merde. Tu n'as pas le droit de voyager. T'as droit à rien en fait, quand t'existais, t'existais pas en fait. Moi j'ai vécu ça pendant 10 ans, c'est hyper violent. C'est très dur de vivre 10 ans comme ça, sans voir à point de l'avenir. T'as envie de faire beaucoup de choses, mais il y a juste un bout de papier qui t'empêche de faire tout. Un petit papier qui dit « t'as le droit de faire ça » ou « t'as pas le droit de faire ça » , ça occupe beaucoup de cerveau, ça pince, ça pince. Ça peut t'isoler socialement, ça peut te... Il y a beaucoup de gens, je sais, qui sont tombés malades, qui ont développé des pathologies psychiques et tout ça.

  • Speaker #4

    Une autre figure qu'on voit arriver comme ça dans les procédures de régularisation, c'est celle de la vulnérabilité du migrant malade souffrant, à laquelle les personnes doivent se... s'identifier, se référer, si elles veulent un jour obtenir une régularisation. Ce sont des processus qui sont extrêmement puissants et violents, et on voit dans les trajectoires des exilés que l'action publique produit de la vulnérabilité. Elle la produit de manière objective, quand à un moment donné, en sortant de cadavre, les personnes se retrouvent sans solution, à la rue, perdues. Elles vont voir émerger des problèmes de santé mentale, physique. Mais ce qui est paradoxal, c'est que c'est à l'aune. de cette dégradation de leurs conditions de vie, qu'elles seront réintégrées dans l'action publique, dans des dispositifs spécifiques dédiés à des personnes vulnérables. Donc on a là un processus extrêmement pernicieux qui fabrique la vulnérabilité des migrants et à partir de là réintègre ces migrants vulnérables dans l'action publique. Tout en ayant effacé, dans le même temps, ce qu'est leur expérience de l'exil, c'est-à-dire une expérience politique.

  • Speaker #2

    La première raison de cet exil fut pour moi politique, pour échapper aux gens arrogants. qui prenaient le contrôle de toute chose. Ils se favorisent eux-mêmes, ne prenant en compte que leurs propres bénéfices, y compris ceux obsédés par les sièges du gouvernement, ne permettant à personne de s'en approcher, comme s'ils avaient été créés pour eux seuls. C'est ce qui fait souffrir l'Afrique, ceux qui ont pris le pouvoir jusqu'à y passer toute leur vie. S'ils se contentaient seulement de s'asseoir sur leurs sièges et d'exclure le pouvoir, mais ils continuent à s'arroger des droits, s'emparer des biens, jusqu'à ce qu'ils fassent du peuple entier son esclave. et d'aucuns n'est autorisé à revendiquer les droits du peuple.

  • Speaker #0

    De l'aube au crépuscule, Habib Ali Mohamed Moussa. Les jeunes ici, ils n'ont pas habitué à l'écouter. Moi, personnellement, j'ai grandi dans un endroit où j'ai pu écouter. J'ai cette sensation de rester peut-être attentif à écouter l'autre. Bien d'être dans le coucheron pour prendre soin de nous. Essayer de soigner les blessures qui sont là depuis pas mal de temps. Je crois que ça passe par ça. Peut-être aussi qu'il faut qu'on prenne le temps de réfléchir. Peut-être demain, s'il y a déjà ce qu'il y a besoin de célébrer, on célèbre. Si on ne va pas faire ça, je crois qu'ils vont rester tout le temps là. Ils vont impacter notre vie. Sans ça, je crois, on ne peut pas avancer. Mais ça demande beaucoup de travail en soi-même.

  • Speaker #1

    Si la relation d'aide n'échappe pas à la violence et aux contradictions comme nous venons de l'illustrer, il existe bien heureusement des espaces pour déconstruire ces mécanismes intégrés et les dépasser.

  • Speaker #2

    Ça, ça ne dit rien de l'engagement des acteurs et de la sincérité de leur implication. C'est simplement une analyse historique, sociologique, de quels sont les ressorts de l'engagement. S'ils ont face à eux des exilés, c'est aussi qu'à un moment donné, les exilés trouvent des bénéfices ou une réponse et que ça correspond aussi à un besoin. Les acteurs du travail social, pour beaucoup, sont conscients de ça. En fait, les travailleurs sociaux sont traversés par des contradictions très fortes. Ils sont totalement lucides. Ce que j'ai enquêté sur vraiment les contradictions dans lesquelles ils sont pris, qui ne sont pas les leurs, en fait, qui sont celles de l'action publique et qu'ils essayent de tenir. Et si ça tient, c'est aussi parce qu'à un moment donné, il y a des street-level bureaucrates, on dirait, c'est-à-dire ces agents qui sont un peu au front. du public qui tiennent les tensions entre les politiques migratoires et la souffrance des gens. Et c'est ça, toute leur habileté professionnelle aussi.

  • Speaker #3

    L'aide, c'est pas de la pure positivité, en fait. Il peut être matinée de rapports de domination, de projection, de fétichisation de l'autre. Ces pratiques problématiques sont aussi pensées au sein de certaines organisations et d'associations qui ont à cœur de former les bénévoles et de les amener à réfléchir. sur ce qui est projeté dans l'aide. Une fois qu'on a fait ce constat qu'il y a de la violence dans l'aide, comment on la... On ne sait pas qu'on la dépasse, mais qu'en tout cas, on fait avec et qu'on essaye de faire mieux avec. Sortir d'un rapport un à un où des projections d'un côté comme de l'autre peuvent se faire, comment on essaye de réfléchir aux conditions de l'aide pour aider tout en laissant sa souveraineté à l'autre et tout en... et tout en faisant attention à ce qu'on promet, à ce qu'on croit savoir, enfin nommer ce qui va et nommer ce qui ne va pas, et juste aider mieux, et faire attention à toutes les projections et à toutes les violences qu'on peut charrier dans la relation d'aide, en arrêtant de l'idéaliser et de la sublimer, et en lui retrouvant aussi tout ce qui peut... puisqu'il peut la travailler de manière plus ou moins consciente de la part des bénévoles et de la part aussi des personnes qui peuvent se retrouver en situation d'être aidées.

  • Speaker #1

    Usé par des années de tentatives de régularisation, Habib a décidé de devenir lui-même acteur, de s'inscrire dans une dynamique nouvelle de solidarité, pour lui-même et pour les autres. Pour cela, il a créé avec des camarades l'association A4, qui oeuvre pour l'accueil, la formation et l'accès au travail des personnes avec ou sans papier, urbaines ou rurales, dans les domaines de l'agriculture et de l'artisanat.

  • Speaker #0

    C'est pour ça qu'on a commencé dans A4, je crois peut-être que c'est ça le sport, de commencer à s'organiser et essayer de monter des projets ensemble, essayer de se tenir ensemble, essayer de travailler avec la société où on est. Chaque individu a des choses à apporter, de savoir, des pays d'origine. L'opportunité peut-être de travailler dans l'agriculture, transmettre des choses. Peut-être que ce ne sera pas pour nous-mêmes, mais peut-être que ce sera pour les futures générations qui vont arriver. Parce que si on ne va pas faire ça, je crois que ça va être, avec le changement climatique et tout ce qui se passe dans le monde, je crois que ça va être très compliqué.

  • Speaker #4

    Mon visage, un visage de passeport On me traîne de foyer banquise De banquise en banlieue Paul-Nord Entre les charités fileuses et le vrai président à vie, Il faut bien que ma vie se creuse un coup pour passer la nuit. Je suis excellent géographe, je connais toutes les cartes de séjour. Tous les pas de flac, tous les pas à feu, j'en ai fait plusieurs fois le tour. Le tour du monde des polis, des postes frontières, mon matin gris, le tour des beugards qu'on glisse quand on a l'accent indécis.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter Je suis migrant, une série documentaire indépendante. Merci à Habib qui a bien voulu nous partager son récit de vie, son récit de migration. Et merci à vous pour votre écoute.

  • Speaker #4

    Rien n'est à moi, tout est aux autres, le boulot, la terre et le vin. Même les saisons, le ciel sont vôtres, vous êtes logique, je ne suis rien. Rien que les gens, un apatrie, tu sens bizarre au rôle de son, une note flétrie comme une vide dans le gros pontaire des nations.

Description

Habib a fui le Soudan suite à son engagement politique contre un état autoritaire. Il a connu comme tant d’autres la violence de la Libye, des campements de la Jungle de Calais ou ceux de la Chapelle à Paris.

Mais il a aussi vécu la violence qui s’insinue parfois dans la relation aidant-aidé…


Un récit commenté par Léo Manac'h, Doctorant en anthropologie et Frédéric Ballière, Sociologue et Chargé d'études à l'APRADIS, Chercheur associé au CURAPP-ESS (UMR 7319) et à l'Institut Convergence Migrations.



📖 SOURCES :



🎵 MUSIQUES :

  • Percussion Show — Igor Khainskyi

  • A.L.O.N.E – Mike Leite

  • Ballade apatride - Cheikh sidi bemol


👍 Suivez-nous sur Instagram

🎧 Ré-écoutez l'épisode 1 Je suis aussi Mounir et l'épisode 2 Mineurs non accompagnés : accueillir ces enfants isolés


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    3,6% de la population mondiale n'habite pas dans son pays de naissance. De ce chiffre est née notre envie de raconter des histoires d'immigration qui forgent cette réalité. Les parcours de celles et ceux qui souffrent ne n'est que des statistiques. Je suis migrant leur rend la parole. La vraie charité ne consiste pas à pleurer ou simplement à donner, mais à agir contre l'injustice.

  • Speaker #1

    Je m'appelle Habib Ali Mohamed Moussa, j'ai 35 ans, je viens de Soudan.

  • Speaker #0

    Je suis migrant, épisode 3, la charité blanche, je t'aide moi non plus.

  • Speaker #1

    Ça fait longtemps que je ne dis rien, j'ai décidé en fait de rien dire, de juste rester ici, observer le comportement, en tout cas de façon du jeune égyptien. Sans rien dire. Il y a un côté de moi qui manifeste, qui dit, il faut prendre la parole et dire, ou partager des choses avec des gens, même si ça fait mal, ça fait partie de la vie, il faut l'accepter. Je sais très bien, il y a beaucoup de gens qui sont silencieux, qui ont beaucoup de choses à dire. Mais c'est juste, ils n'ont pas cette opportunité d'avoir peut-être le micro. Si moi j'ai eu cette opportunité, il faut que je le saisisse. Je vais aussi envoyer des messages. Je me mets à l'écriture parce que je trouve que c'est un bon moyen d'exprimer ou parler des choses que je vois et que je sens. Aussi c'est une arme. Moi dans l'écriture, je peux être plus clair qu'en parlant. À la base, moi j'écris quand j'étais chez moi. Avant j'écris des poèmes, des petites histoires, souvent, mais je ne les garde pas. J'ai remis dans l'écriture pour écrire un roman. Avec le temps, j'ai beaucoup accumulé dans ma tête. Un jour, elle est arrivée juste comme ça, elle voulait sortir et elle est sortie.

  • Speaker #2

    Mohamed se demandait s'il a été les rêves derrière lesquels il avait couru. en prenant tous les risques, menant lui-même son âme vers la mort. Était-ce pour cela qu'il avait fui la mort et la pauvreté pour finir dans un monde d'esclavage et de racisme de son propre gré ? Il en arriva à penser que, puisqu'il avait fait ce choix, il méritait tout cela, et qu'il en était de même pour tous ceux qui en avaient fait autant. Pourquoi n'avait-il pas été capable de réaliser leurs rêves dans leur pays, et pourquoi n'était-il pas resté chez eux jusqu'à en changer la situation, au lieu de venir mendier leur pain en Europe ? N'était-il pas maintenant devenu des réfugiés, des apatrides sans valeur ? Ici, prétendument terre des droits de l'homme, une grande différence était faite entre les citoyens et les autres. Si les Européens étaient de première classe, on ne savait dans laquelle pouvaient être placés les autres.

  • Speaker #0

    Dans cet extrait de son roman « De l'aube au crépuscule » , à travers son personnage Mohamed, Habib questionne les conditions d'accueil en Europe. Lui qui affuie le Soudan suite à son engagement politique contre un État autoritaire, a connu comme tant d'autres la violence de la Libye, des campements de la jungle de Calais ou ceux de la chapelle à Paris. Mais il a aussi vécu la violence qui s'insinue parfois dans la relation aidant-aidé.

  • Speaker #1

    Tout le temps c'est difficile d'accepter quelqu'un, peut-être noir ou mégane, puisse écrire. qu'ils puissent faire des choses incroyables. Faire des choses en tant qu'ils sont beaux et belles. Tu es un migrant, tu ne peux pas faire des choses. C'est juste cette imagination qu'ils ont dans leur tête. Donc tu arrives à prendre ta place, peut-être à exprimer bien. Ça, ça le étend ou ça le gêne des fois. Ils ne t'imaginent pas, tu es capable de faire ça. Moi, en tout cas, les choses que j'ai vues, que j'ai vécues au quotidien et que j'ai vues jusqu'à maintenant, même dans les asso, dans tous les milieux militants. C'est la même chose qui reste dans le cerveau peut-être des Belges ou des Occidentaux. En tout cas, une personne qui vient vers l'Afrique ou est exilée, elle ne peut pas apporter de grandes choses avec lui. Tu as un regard différent en fait. Même là, si je me rappelle, j'étais en résidence à l'écriture de livres. J'étais avec... J'avais une copine, un travail sur le livre, donc il y a beaucoup d'artistes qui arrivent, qui disent on est des militants, on est ouverts, on sait, on sait. Mais qui viennent, qui demandent la question, est-ce que vous faites des cours de français ? Si t'es avec personne, ça veut dire que c'est un ordre devant lui, qu'il y a des caillots, ça veut dire directement que t'es immigrant, ça veut dire que tu fais des cours de français. Ils ne vont même pas imaginer d'autres choses.

  • Speaker #3

    Il y a une méconnaissance des profils de la migration, il y a des profils très divers.

  • Speaker #0

    Léo Manac, doctorant en anthropologie.

  • Speaker #3

    Mais souvent, c'est quand même des personnes qui ne sont pas les plus pauvres, les plus précaires dans des populations qui ont pu avoir les capacités financières, symboliques, relationnelles d'entamer une trajectoire de migration, même s'il y a de tout. On rencontre beaucoup de personnes qui ont fait des études supérieures, qui... qui travaillaient, qui avaient plein de compétences à pouvoir faire valoriser dans les sociétés d'arrivée, mais qui, dans un contexte de travail bridé et de répartition raciale du travail en France, les personnes immigrées non-blanches se retrouvent à occuper des travails les plus non qualifiés. Je me rappelle d'un homme qui était traducteur. pour l'armée américaine, enfin, états-unienne en Afghanistan, et qui là, en France, il travaille dans une usine de balais depuis quatre ans maintenant. Et c'est extrêmement frustrant en fait pour lui. Il y a même eu un blocage de l'apprentissage français, que nous on analysait comme une forme de colère en fait, aussi de colère non forcément conscientisée envers la France pour les conditions qu'il avait reçues. et avec du coup une mise à distance de la langue, et qui en plus le freinait dans tous ces possibles apprentissages, et plein de frustrations comme ça, à la fois institutionnellement, de ne pas pouvoir être reconnu, que ce soit dans ses diplômes, que ce soit dans des trucs très pragmatiques, d'un permis de conduire, etc., et aussi dans les relations, de passer pour le crétin du fait de ne pas avoir la langue. Comment on exprime une complexité de son récit, de son analyse, dans une langue qu'on ne maîtrise pas, et comment c'est aussi réel. des formes de réinfantilisation, de considérer que si celui qui est face à moi peut juste dire « I'm good » ou « I'm not good » , c'est que littéralement, il ne pense pas plus, en fait. Il ne peut pas... Enfin, il ne ressent pas plus. Il y a un imaginaire tellement raciste de ce que l'autre peut et ce qu'il ne peut pas, d'incapacité à se représenter la complexité de l'autre et sa diversité. En fait, il y a un enfermement dans l'urgence et dans une dynamique charitable et... Un pôle très humanitaire qui parfois empêche de voir l'autre dans sa singularité, dans ses désirs, dans ce qu'il sait ou voudrait apprendre à faire aussi.

  • Speaker #4

    Depuis les années 80, le mode d'entrée le plus généralisable en France pour les exilés, c'est l'asile.

  • Speaker #0

    Frédéric Ballière, sociologue et chargé d'études à l'Apradis.

  • Speaker #4

    Donc en fait, les personnes qui viennent en France, pour la plupart d'entre eux, sont des personnes qui sont en demande d'asile et qui deviennent, au terme d'une procédure, éligibles ou pas à une demande de protection. Et donc la manière dont l'action publique, dont les institutions, dont les travailleurs sociaux vont s'adresser à ces personnes, c'est à partir de leur expérience de l'exil, mais saisie sous l'angle du fait d'avoir été persécuté ou non. Dans ce contexte-là, en tout cas dans un premier temps, on s'intéresse peu à qui sont ces personnes, quelles sont leurs compétences. quel est leur niveau de qualification, même si à un moment donné ça peut rentrer en ligne de compte, si elles vont au terme de plusieurs années de séjour en France, par exemple en situation illégale, si à un moment donné elles sont déboutées, on pourra commencer à s'intéresser, de savoir si elles peuvent mettre en avant des capacités d'intégration. Et donc ça peut produire chez les exilés qui sont accueillis et qui arrivent, un sentiment de frustration, l'impression parfois qu'on ne s'intéresse pas à qui ils sont réellement. le sentiment de mettre en sommeil des compétences, un parcours, une trajectoire, des expériences, alors même qu'elles pourraient leur servir en réalité dans leur parcours d'intégration. Depuis quelques années, les demandeurs d'asile sont autorisés à travailler à partir de six mois de présence en France, mais pendant de nombreuses années, ça n'a pas été le cas. Et donc, ils arrivaient, ils étaient maintenus dans une situation de dépendance aux institutions où on avait l'impression qu'en réalité, ils étaient un peu sommés de ne rien faire. d'attendre. Ils ont beau mettre en avant le fait qu'ils ont des diplômes, une expérience, des compétences auprès de leurs interlocuteurs, en réalité, ça n'intéresse pas grand monde parce que de toute façon, pour le moment, ils n'ont pas de légitimité à demeurer en France et à y prendre place.

  • Speaker #1

    La charrette à boulanger, on dit on vous aide, mais en même temps on ne prend pas en considère qu'il y a un autre humain. Elle prend des gens, c'est comme des gamins en fait. Ce ne sont pas des gamins, ce sont des adultes qui ont éduqué, qui ont leur culture, qui ont respecté beaucoup de choses. Et toi tu viens, tu veux effacer tout ça, tu dis non, toi tu ne sais rien, vas-y je vais commencer à zéro. Attends, soignez la vie, qu'est-ce qui s'est fait ? Qu'est-ce que tu sais de ma vie ? Moi j'ai vécu 30 ans peut-être. Dans ma vie, tu voulais juste effacer tout ça en disant, bah oui, là, en France, il faut que tu t'adaptes. C'est violent, ça.

  • Speaker #4

    On n'est pas un pays d'émigration de la même manière que les États-Unis ou le Canada, où du coup, il y a une tolérance probablement beaucoup plus importante au fait que les personnes conservent leurs habitudes liées à leur culture d'origine. On n'a pas cette habitude-là en France. Il y a l'idée qu'on est dans un État républicain intégrateur qui nous arrache à nos déterminismes. sociaux, ethniques et que du coup on ne veut pas savoir quels sont les traits culturels des uns et des autres on s'adresse à des citoyens, c'est ça la république qui s'adresse à des citoyens censés être libres, égaux, en droit et sans différence donc il y a aussi cette logique là qui imprègne nos politiques migratoires et les politiques d'intégration et qui laisse peu de place à l'expression de l'individualité dans la relation entre l'Etat et les exilés

  • Speaker #0

    Léo Manac a mené une enquête dans un dispositif d'hébergement de demandeurs d'asile, à savoir un Formule 1 installé sur un centre routier en périphérie d'une petite ville. Scandalisé par des conditions d'accueil extrêmement précaires et le dénuement total des personnes hébergées, la population locale s'est vite mobilisée.

  • Speaker #3

    C'était des... personnes, enfin les aidants, qui étaient animés par toutes les bonnes volontés du monde. Mais en fait, il y avait assez peu de réflexivité sur quels étaient les motifs de leur engagement. Les résidents du centre, qui avaient tous entre 18 et 40-50 ans, étaient appelés les gamins par les bénévoles, qui, eux, étaient plutôt des personnes entre... 40 et 80 ans, mais plus à la retraite, autour de 60-70 ans. Et donc des personnes qui avaient du temps, dont parfois les enfants étaient partis de la maison depuis longtemps et qui ne savaient pas comment se poser dans le lien et qui du coup, par une forme de lien filial ou un lien qui vient rappeler une forme d'intimité, ça leur permettait de construire ce lien qui finalement sinon était très difficile à... avec des gens qui leur semblaient si différents. Et du coup, c'était un truc un peu affectueux, mais qui à la fois posait des dynamiques quand même assez dominantes et assez peu réfléchies. Il y avait notamment un homme qui se faisait appeler patron par un des résidents. J'y voyais en fait aussi tous les fondements très... Un imaginaire colonial de se faire appeler huit patrons, presque huit messieurs, par un homme noir d'une trentaine d'années, qui était originaire d'Afrique de l'Ouest et qui avait une vie adulte avant d'arriver. Il y avait un lien très fort qui s'était construit entre eux. Il y avait une forme de projection sur l'autre, sur la place qu'il vient occuper, notamment dans des quotidiens de personnes à la retraite. qui aussi se cherchent des activités et qui trouvent ça bien de faire le bien, que ça valorise énormément. Mais du coup, dans cette idée de se valoriser soi-même, parfois il y avait des formes d'oubli, des besoins et des attentes de ceux qui étaient face à elles et eux.

  • Speaker #1

    Tous les asso aussi catholiques qui aident ici derrière la charrette et qui nous disent « oui, on est en train d'aider, regardez-moi comment j'ai fait, qu'est-ce que j'ai fait » . Pour moi, c'est la charrette. Tu n'as pas besoin de le montrer, de le dire si tu as faim trop. Des gens qui viennent pour aider les migrants, avant tout, ils ne réfléchissent pas en fait « moi, qu'est-ce que je suis en train de faire ? » « Qu'est-ce que la aide, ils peuvent me porter ? » Je ne suis pas juste là pour aider ces migrants. Tu es là parce que même toi aussi, d'abord, tu vas bénéficier derrière parce que tu vas... comprendre des choses, tu vas comprendre la culture, tu vas peut-être apprendre la langue, peut-être tu vas apprendre d'autres visions de la vie, de comment tu vois la vie, peut-être t'es là parce que t'es contre l'État, t'es là pour dire ton voix, non, je suis pas d'accord avec ça, donc il y a plein de questions d'arrêt, c'est pas que je suis là pour t'aider, parce que t'es pauvre, parce que t'es vulnérable

  • Speaker #4

    L'État social, en France, s'est construit dans le sillage des catholiques sociaux. C'est présent aussi dans des associations qui peuvent se revendiquer comme étant laïques, mais en fait, beaucoup de militants de ces associations laïques sont des retraités et ont été socialisés au mouvement de jeunesse chrétienne. Alors, qu'est-ce que ça produit ? Ça produit une manière spécifique de considérer l'accueil de l'autre, son expérience, une attention à la souffrance, une attention, une indignation, en fait, face à des traitements qui peuvent être jugés... inhumain, mais ça se fait peut-être aussi au détriment d'une lecture plus politique. de l'expérience de ces personnes. C'est-à-dire quels sont les ressorts inégalitaires qui produisent ces situations. Donc c'est des inégalités nord-sud, c'est l'histoire de la colonisation, c'est l'histoire du racisme. Ce sont des choses qui sont peu présentes dans le rapport à l'engagement d'un certain nombre de militants, alors même que ce sont des situations d'injustice très fortes et qui sont difficilement vécues par les exilés. Et il y a parfois du coup... Des réactions de la part de certains sans-papiers qui renvoyaient, mais ça va, des preuves d'intégration, on en a fait. Tu nous dis de faire attention à la manière de nous adresser à la préfecture, mais est-ce que tu te rends compte de ce que l'État nous fait ? Et il y avait vraiment un sentiment d'incompréhension, l'idée que quand on aide, on doit être redevable, qu'il y a une forme de reconnaissance qui doit venir en échange de l'assistance, même si elle est implicite, même si elle est rarement énoncée. énoncées en tant que telles. Moi, j'ai pu entendre ça de la part de certains militants en disant avec tout ce qu'on fait pour lui, quoi, il réagit comme ça.

  • Speaker #3

    Je me rappelle d'une femme qui trouvait que voilà, il ne s'occupait pas et qu'ils auraient peut-être pu tailler les haies dans son jardin parce qu'il s'ennuyait et que ce serait bien de les occuper et puis qu'elle, elle donnait son temps, donc pourquoi pas, il ne pourrait pas l'aider. Et en fait, ça ne venait pas du tout d'une demande de la part des personnes. Et il y avait vraiment une sorte de contre-dent implicite qui devait être attendue vu qu'il y avait des conditions d'accueil octroyé par ailleurs minimal et précaire. Du coup, c'était un truc d'enfermer encore, là c'était des corps non blancs, dans le fait d'être disponible, d'être un corps qui travaille, qui fournit sa force physique et qui ne pourrait pas fournir grand-chose d'autre qu'une force physique par ailleurs.

  • Speaker #1

    C'est des questions qui sont liées avec le pouvoir et privilèges, les expressions systémiques qui font des gens, ils font leurs choix, ils sont en fonction. Parce que les blancs, je vais peut-être essayer de communiquer avec eux plus facilement. Par exemple, si quelqu'un vient vers l'Asie ou l'Amérique du Sud, avec quelqu'un qui vient d'Afrique, elle te dit bienvenue, c'est pas la même chose. Ça se voit clairement. Et là, tu vis l'Eurasie. Tout le temps, dans les soirées, dans les festoches, dans les vêtements. Et je vois ça souvent, qu'ils te renvoient directement dans un casque. Tu es un or, tu n'es pas capable de faire ça. Tu es migrant, tu ne peux rien servir, même il y a des gens qui disent que tu n'es pas capable de décider des choses.

  • Speaker #3

    Quand on est toujours dans la position de se représenter l'autre comme une victime, on lui enlève, on lui arrache sa souveraineté et sa capacité à décider.

  • Speaker #0

    Léo Manac rapporte les débats qu'il a pu entendre au sein de l'association enquêtée, notamment sur l'accompagnement juridique et administratif, et la prise de décision qui s'ensuit.

  • Speaker #3

    C'était toujours des tensions entre des réflexions qui pouvaient être amenées par une minorité de l'association autour du fait de respecter leur intégrité de sujet politique et à la fois de toujours glisser vers autre chose. On leur conseillerait en fait, on dit ce que c'est la loi, on dit ce que sont les risques et ensuite ils prennent leur décision. Et nous, une fois que cette décision elle est prise, on peut l'accompagner d'une manière ou d'une autre. Et de la part des personnes résidentes, il y avait des blagues qui circulaient autour du fait d'être infantilisé, de parfois voir un peu les papis gâteux, enfin gâteaux, gâteux, de pouvoir un peu s'en distancier. Je me rappelle vraiment de bénévoles qui étaient heurtés que les résidents puissent refuser soit de certains types de nourriture, soit certains vêtements qu'ils jugeaient trop vieillots, ce qu'on peut parfaitement comprendre de la part de personnes qui étaient majoritairement autour de 20-25 ans. Il y avait des réflexions chez les bénévoles de certains qui étaient outrés, en mode « mais on me refuse, on refuse l'aide que j'apporte » , et d'autres qui disaient « mais ils ont parfaitement le droit de ne pas vouloir ce type de choses, en fait » . et c'est une manière aussi de respecter leur choix, de leur proposer et de... et de respecter le refus, en fait.

  • Speaker #4

    Il y a un vrai double discours sur la question de l'autonomie des exilés. C'est-à-dire, à la fois, il y a une injonction à être autonome. L'autonomie est une norme parce que les institutions du travail social ont peu de moyens et donc les personnes doivent faire par elles-mêmes. Elles doivent démontrer leur capacité à faire et leur volonté à faire. Mais la réalité, c'est qu'elles sont maintenues dans une situation de dépendance et pas nécessairement autorisées à faire les choses. Et donc, il y a une forme d'injonction paradoxale. où on attendrait d'elles qu'elles se mobilisent et qu'elles fassent les démarches, qu'elles démontrent qu'elles sont en mesure de faire, mais elles ne sont pas autorisées à travailler. Lorsqu'elles sont dans des cadavres, elles doivent respecter un règlement intérieur avec des autorisations de sortie.

  • Speaker #3

    Il y avait quand même un contrôle de qui dort là, des travers sociaux qui tapaient aux chambres, qui regardaient qui était là, qui contrôlaient les allées et venues, etc. Il y avait aussi malgré tout des marges de manœuvre pour se ménager des espaces de liberté, des stratégies d'aller dormir ailleurs, de commencer à relationner amoureusement ou amicalement avec des personnes tout autour, de se trouver du travail non déclaré, plein d'eux. de stratégie de résistance pour se retrouver des marges d'autonomie au milieu d'un dispositif qui était quand même très coercitif.

  • Speaker #1

    C'est dommage en fait, parce que moi je suis un autre humain, je sais ma capacité, je sais ce que je peux apporter. Moi en tant que personne, je sais qui je suis. Donc tu peux aussi apporter beaucoup de choses, mais c'est juste dommage. Les personnes ne voient pas ça, ne veulent pas prendre ça en compte. Moi aussi, je ne suis pas obligé de mettre ma dignité à côté juste pour vouloir convaincre l'autre. Moi aussi, je suis là. Ça boulogne beaucoup d'émigrants qui trouvent cette difficulté et qui n'arrivent pas à prendre la parole parce qu'ils sont très opprimés. La silence aussi, elle fait très très mal. Pour des gens aussi qui parlent trop, je crois que c'est cool qu'ils se taisent un petit peu ou qu'ils laissent la place. à celle qui n'a pas de parole pendant des siècles.

  • Speaker #4

    Donner la parole à un exilé sur les conditions de son existence, c'est compliqué parce que ça veut dire, c'est accepter l'idée d'entendre que l'association est le relais d'une politique migratoire qui maintient les personnes dans une situation de dépendance, qui ne leur permet pas l'installation en France, ne répond pas à la promesse du travail social qui serait l'idéal d'une forme... de progrès, d'émancipation, d'intégration. Et donc, je pense que ce serait compliqué pour les institutions d'autoriser une parole totalement libre, en fait. Et puis, encore une fois, les dispositifs d'accompagnement ne sont pas construits comme ça. Ils se déploient à partir des politiques publiques dans quelque chose d'assez vertical. On n'est pas dans des logiques, par exemple, comme peuvent être les logiques anglo-saxonnes de travail social communautaire, où, du coup, il y a des relations plus horizontales entre les aidants et les aidés. où on co-construit l'action sociale. Chez nous, on a une action sociale plus descendante, avec quelqu'un qui accompagne, qui sait où les personnes doivent aller, qui mobilise et active des droits sociaux pour elles. Et du coup, on a forcément des relations qui sont plus asymétriques et qui tiennent à la manière dont l'action sociale est construite.

  • Speaker #1

    J'écoutais le français, c'est sûr, mais je suis impacté tout le temps. Avec des camarades qui disent « je suis là, je comprends ta situation » et tout ça. Et ça produit le même rapport, par exemple, de domination.

  • Speaker #0

    Au moment de notre rencontre avec Habib, il venait tout juste de suivre une formation sur les oppressions systémiques.

  • Speaker #1

    J.T.A. Vogel est... ils m'ont filé de nouvelles lunettes et voir tout ce qu'il y a autour de moi. Ils m'ont dit « Ah ouais, là ça veut dire beaucoup de travail » . De voir ça, ça m'a beaucoup choqué. Même des gens que tu côtoies tout le temps, ils produisent des comportements qui peuvent t'impacter tout le temps. Tout le temps, tout le temps. Et là, je ne sais pas quoi faire. Oui, ce n'est pas mon pays, mais aussi en tant qu'autre humain, j'ai le droit de souhaiter, d'imaginer, de penser, de tout ça. Donc la terre, elle appartient à tout le monde. Ça veut dire qu'on peut aussi vivre sur cette terre, quelle que soit notre couleur de peau ou notre origine. Tu peux vivre, tu peux avoir des droits, des droits civils, des droits dans la société. On n'est pas là juste pour se faire exploiter ou vivre comme un esclave. Si on veut fonder une société qui est bien équitable, je crois qu'il faut partir de l'égal.

  • Speaker #4

    Pour pouvoir à un moment donné être intégré en France, il faut pouvoir faire la démonstration qu'on a les dispositions, ou qu'on les a acquises, ou qu'on va les acquérir, à s'intégrer en France. Et ça, ça s'adosse à la figure d'un étranger méritant qui ne fait pas de vagues, est poli, même quand il est maltraité, qui fait du bénévolat dans des associations, mais pas du bénévolat comme vous et moi en ferions, du bénévolat où on travaille 25 heures par semaine dans un centre d'hébergement pour nettoyer les sanitaires, par exemple. Ce sont des choses que j'ai entendues au cours de mon enquête de la part des exilés et qui disaient que c'était des conditions de travail. D'ailleurs, ils ne qualifiaient pas ça de bénévolat, ils parlaient de travail en disant que c'était un travail dégradant.

  • Speaker #3

    Il faut toujours de plus en plus sourcer et fonder la légitimité, mais en fait, ça devient une course folle, en fait. La course à l'attestation, l'attestation qui permet de dire « je suis intégrée, je donne mon temps gratuitement » , et c'est devenu un attendu implicite, qui réorganise aussi énormément d'inégalités selon les ressources des personnes pour s'organiser, pour lier vers les autres, plus après dans des structures où elles peuvent se retrouver aussi assez corvéables du fait parfois d'avoir une possibilité d'être... de trouver un travail dans cette structure, et que du coup ça organise un rapport aussi au bénévolat un peu complexe, où du coup on n'ose pas trop dire ce qu'on pense, notamment quand on n'est pas d'accord sur certains sujets, enfin on va se taire. Il y a des associations qui du coup refusent de donner ces certificats parce que la personne ne serait pas assez engagée, du coup qui deviennent aussi des sortes de supplétifs de la préfecture.

  • Speaker #4

    C'est très compliqué malgré tout, pour des personnes qui auraient des compétences, des diplômes. d'accéder à ces possibilités de régularisation au titre du mérite. Donc il y a aussi là un double discours. C'est à la fois on promeut ça, parce que ça permet de s'assurer que les personnes vont tendre vers cette figure, avoir une trajectoire sociale respectable, où ils essayent, où ils font la démonstration, où ils se tiennent correctement, où il n'y a pas d'écart. Et en même temps, les possibilités d'accès réels aux perspectives de régularisation au titre du mérite restent et demeurent réduites.

  • Speaker #1

    Moi-même, le terme qui ne tape pas le papier, je ne l'utilise pas souvent parce que j'ai mes papiers de mon pays d'origine. Mais c'est juste que je n'ai pas de papiers français ou de papiers privilégiés. Moi, je vois que je n'avance pas dans ma vie et tu n'arrives rien à faire. Pour moi, ce n'est pas normal. Tu n'as pas le droit de travailler, pas le droit de bouger, même libre de circulation. Tu n'as pas le droit parce que si tu bouges, peut-être que tu te fais contrôler. Et si tu te contrôles, tu es dans la merde. Tu n'as pas le droit de voyager. T'as droit à rien en fait, quand t'existais, t'existais pas en fait. Moi j'ai vécu ça pendant 10 ans, c'est hyper violent. C'est très dur de vivre 10 ans comme ça, sans voir à point de l'avenir. T'as envie de faire beaucoup de choses, mais il y a juste un bout de papier qui t'empêche de faire tout. Un petit papier qui dit « t'as le droit de faire ça » ou « t'as pas le droit de faire ça » , ça occupe beaucoup de cerveau, ça pince, ça pince. Ça peut t'isoler socialement, ça peut te... Il y a beaucoup de gens, je sais, qui sont tombés malades, qui ont développé des pathologies psychiques et tout ça.

  • Speaker #4

    Une autre figure qu'on voit arriver comme ça dans les procédures de régularisation, c'est celle de la vulnérabilité du migrant malade souffrant, à laquelle les personnes doivent se... s'identifier, se référer, si elles veulent un jour obtenir une régularisation. Ce sont des processus qui sont extrêmement puissants et violents, et on voit dans les trajectoires des exilés que l'action publique produit de la vulnérabilité. Elle la produit de manière objective, quand à un moment donné, en sortant de cadavre, les personnes se retrouvent sans solution, à la rue, perdues. Elles vont voir émerger des problèmes de santé mentale, physique. Mais ce qui est paradoxal, c'est que c'est à l'aune. de cette dégradation de leurs conditions de vie, qu'elles seront réintégrées dans l'action publique, dans des dispositifs spécifiques dédiés à des personnes vulnérables. Donc on a là un processus extrêmement pernicieux qui fabrique la vulnérabilité des migrants et à partir de là réintègre ces migrants vulnérables dans l'action publique. Tout en ayant effacé, dans le même temps, ce qu'est leur expérience de l'exil, c'est-à-dire une expérience politique.

  • Speaker #2

    La première raison de cet exil fut pour moi politique, pour échapper aux gens arrogants. qui prenaient le contrôle de toute chose. Ils se favorisent eux-mêmes, ne prenant en compte que leurs propres bénéfices, y compris ceux obsédés par les sièges du gouvernement, ne permettant à personne de s'en approcher, comme s'ils avaient été créés pour eux seuls. C'est ce qui fait souffrir l'Afrique, ceux qui ont pris le pouvoir jusqu'à y passer toute leur vie. S'ils se contentaient seulement de s'asseoir sur leurs sièges et d'exclure le pouvoir, mais ils continuent à s'arroger des droits, s'emparer des biens, jusqu'à ce qu'ils fassent du peuple entier son esclave. et d'aucuns n'est autorisé à revendiquer les droits du peuple.

  • Speaker #0

    De l'aube au crépuscule, Habib Ali Mohamed Moussa. Les jeunes ici, ils n'ont pas habitué à l'écouter. Moi, personnellement, j'ai grandi dans un endroit où j'ai pu écouter. J'ai cette sensation de rester peut-être attentif à écouter l'autre. Bien d'être dans le coucheron pour prendre soin de nous. Essayer de soigner les blessures qui sont là depuis pas mal de temps. Je crois que ça passe par ça. Peut-être aussi qu'il faut qu'on prenne le temps de réfléchir. Peut-être demain, s'il y a déjà ce qu'il y a besoin de célébrer, on célèbre. Si on ne va pas faire ça, je crois qu'ils vont rester tout le temps là. Ils vont impacter notre vie. Sans ça, je crois, on ne peut pas avancer. Mais ça demande beaucoup de travail en soi-même.

  • Speaker #1

    Si la relation d'aide n'échappe pas à la violence et aux contradictions comme nous venons de l'illustrer, il existe bien heureusement des espaces pour déconstruire ces mécanismes intégrés et les dépasser.

  • Speaker #2

    Ça, ça ne dit rien de l'engagement des acteurs et de la sincérité de leur implication. C'est simplement une analyse historique, sociologique, de quels sont les ressorts de l'engagement. S'ils ont face à eux des exilés, c'est aussi qu'à un moment donné, les exilés trouvent des bénéfices ou une réponse et que ça correspond aussi à un besoin. Les acteurs du travail social, pour beaucoup, sont conscients de ça. En fait, les travailleurs sociaux sont traversés par des contradictions très fortes. Ils sont totalement lucides. Ce que j'ai enquêté sur vraiment les contradictions dans lesquelles ils sont pris, qui ne sont pas les leurs, en fait, qui sont celles de l'action publique et qu'ils essayent de tenir. Et si ça tient, c'est aussi parce qu'à un moment donné, il y a des street-level bureaucrates, on dirait, c'est-à-dire ces agents qui sont un peu au front. du public qui tiennent les tensions entre les politiques migratoires et la souffrance des gens. Et c'est ça, toute leur habileté professionnelle aussi.

  • Speaker #3

    L'aide, c'est pas de la pure positivité, en fait. Il peut être matinée de rapports de domination, de projection, de fétichisation de l'autre. Ces pratiques problématiques sont aussi pensées au sein de certaines organisations et d'associations qui ont à cœur de former les bénévoles et de les amener à réfléchir. sur ce qui est projeté dans l'aide. Une fois qu'on a fait ce constat qu'il y a de la violence dans l'aide, comment on la... On ne sait pas qu'on la dépasse, mais qu'en tout cas, on fait avec et qu'on essaye de faire mieux avec. Sortir d'un rapport un à un où des projections d'un côté comme de l'autre peuvent se faire, comment on essaye de réfléchir aux conditions de l'aide pour aider tout en laissant sa souveraineté à l'autre et tout en... et tout en faisant attention à ce qu'on promet, à ce qu'on croit savoir, enfin nommer ce qui va et nommer ce qui ne va pas, et juste aider mieux, et faire attention à toutes les projections et à toutes les violences qu'on peut charrier dans la relation d'aide, en arrêtant de l'idéaliser et de la sublimer, et en lui retrouvant aussi tout ce qui peut... puisqu'il peut la travailler de manière plus ou moins consciente de la part des bénévoles et de la part aussi des personnes qui peuvent se retrouver en situation d'être aidées.

  • Speaker #1

    Usé par des années de tentatives de régularisation, Habib a décidé de devenir lui-même acteur, de s'inscrire dans une dynamique nouvelle de solidarité, pour lui-même et pour les autres. Pour cela, il a créé avec des camarades l'association A4, qui oeuvre pour l'accueil, la formation et l'accès au travail des personnes avec ou sans papier, urbaines ou rurales, dans les domaines de l'agriculture et de l'artisanat.

  • Speaker #0

    C'est pour ça qu'on a commencé dans A4, je crois peut-être que c'est ça le sport, de commencer à s'organiser et essayer de monter des projets ensemble, essayer de se tenir ensemble, essayer de travailler avec la société où on est. Chaque individu a des choses à apporter, de savoir, des pays d'origine. L'opportunité peut-être de travailler dans l'agriculture, transmettre des choses. Peut-être que ce ne sera pas pour nous-mêmes, mais peut-être que ce sera pour les futures générations qui vont arriver. Parce que si on ne va pas faire ça, je crois que ça va être, avec le changement climatique et tout ce qui se passe dans le monde, je crois que ça va être très compliqué.

  • Speaker #4

    Mon visage, un visage de passeport On me traîne de foyer banquise De banquise en banlieue Paul-Nord Entre les charités fileuses et le vrai président à vie, Il faut bien que ma vie se creuse un coup pour passer la nuit. Je suis excellent géographe, je connais toutes les cartes de séjour. Tous les pas de flac, tous les pas à feu, j'en ai fait plusieurs fois le tour. Le tour du monde des polis, des postes frontières, mon matin gris, le tour des beugards qu'on glisse quand on a l'accent indécis.

  • Speaker #1

    Vous venez d'écouter Je suis migrant, une série documentaire indépendante. Merci à Habib qui a bien voulu nous partager son récit de vie, son récit de migration. Et merci à vous pour votre écoute.

  • Speaker #4

    Rien n'est à moi, tout est aux autres, le boulot, la terre et le vin. Même les saisons, le ciel sont vôtres, vous êtes logique, je ne suis rien. Rien que les gens, un apatrie, tu sens bizarre au rôle de son, une note flétrie comme une vide dans le gros pontaire des nations.

Share

Embed

You may also like