- Speaker #0
Bonjour, je suis Elodie Lhermitte et vous écoutez le podcast Jeudi Lean. Depuis 4 ans déjà, je vous emmène à la rencontre de femmes et d'hommes qui ont en commun la volonté de s'améliorer au quotidien, l'esprit curieux et la résolution de problèmes comme ADN. Que vous ayez entendu tout et son contraire sur la démarche Lean, ici Pas de recette miracle ou de carte à suivre, non. Il s'agit plutôt d'entretenir les discussions, d'explorer de nouvelles pistes de pensée, de s'inspirer, de mettre des mots simples sur des sujets a priori complexes. Bref, apprendre, comprendre, pour expérimenter, voilà ce que vous trouverez ici. C'est pourquoi, durant ces quelques minutes en votre compagnie, je n'ai d'autre ambition que de vous donner l'opportunité d'attraper des clés et des astuces, de faire un pas de côté pour nourrir votre propre voyage. Et parce que la vraie richesse réside dans le capital humain, Jeudi Lean est soutenu par Appster, l'écosystème qui vous aide à apprendre, transmettre et préserver les connaissances de votre entreprise. À présent, place à une autre richesse, celle de la parole de mon invité. Aujourd'hui, nous allons explorer le management responsable, ou comment le Lean permet de cheminer vers la perspective du management responsable Avec l'aide de Natacha Jusco, chercheuse en pratique managériale innovante à l'ICHEC de Bruxelles. Quelle est la signification de responsable Quels en sont les piliers et la connexion avec le système Lean ? Ce sont les éléments dont nous avons discuté. Bonne écoute ! Bonjour Natacha !
- Speaker #1
Salut Elodie !
- Speaker #0
Alors Natacha, on se retrouve ce matin. Alors je dis on se retrouve parce qu'en fait on a déjà enregistré un épisode de podcast où on a évoqué le côté interculturel du Lean. Et puis donc du coup, toi, tu as continué tes recherches, tu as continué ton cheminement et tes apprentissages. Et là, ce matin, on va évoquer le Lean et le management responsable. Donc du coup, comment tu as continué à cheminer finalement depuis qu'on a évoqué, depuis qu'on a enregistré l'épisode de podcast ensemble ?
- Speaker #1
Oui, effectivement, on avait pu échanger sur la perspective interculturelle du Lean, puisqu'en fait, c'était l'interculturel au départ qui m'avait menée au Lean. puisqu'on m'avait demandé d'aider les équipes en charge du déploiement du Lean à tenir compte des différentes cultures, des sites où est-ce qu'on le déployait. Et puis ensuite, j'ai continué mon cheminement, et c'est le Lean qui m'a amenée à m'intéresser aux questions de management responsable.
- Speaker #0
Et alors, du coup, management responsable, là on va évoquer quoi comme différents sujets ? Parce que c'est hyper vaste, management responsable, en fait.
- Speaker #1
Ah oui, tout à fait. En fait, déjà, le terme de management est très vaste. Là, maintenant, j'ai rejoint une chaire, donc un centre de recherche qui s'appelle la chaire en pratique managériale innovante, qui a pour objectif de soutenir la transition vers plus de durabilité. Alors, évidemment, c'est un thème très, très vaste. En fait, on voit que les modes de consommation évoluent, on voit que les modes de production se transforment. Et en fait, on a la conviction que ça ne peut pas se faire sans aussi revoir nos modèles managériaux, qui ont, eux, très peu évolué. Et c'est vrai que quand on parle management, déjà, qu'on pose la question à nos étudiants, puisque la chaire, c'est une chaire qui est au sein d'une école de commerce qui s'appelle l'ICHEC, à Bruxelles. Et bien souvent, ils parlent de modèles, ils parlent de personnes. Et c'est vrai que c'est un terme qui est très vaste. Bon, déjà, c'est un levier qui est actionnable. On est dans la recherche vraiment concrète. mais ça intègre justement à la fois les modèles, à la fois les personnes, à la fois des techniques, des outils. Parce que quand on parle management, bien souvent, les personnes en font l'affaire des managers. Et nous, ce qu'on voudrait faire, c'est remettre le manager à sa place, qui est un élément essentiel du management, mais qui n'est qu'un des éléments du management. Managers qui sont eux-mêmes le prix, qui subissent leurs modèles managériaux, et donc qui se sont pris dans un système qui est beaucoup plus vaste qu'eux-mêmes. Donc ça, c'est la partie management. Maintenant, le management responsable qui a pour ambition d'accompagner cette transition, l'urgence de la transition dans laquelle on est aujourd'hui, eh bien, si je le résumais en un mot, je te dirais que c'est le management des tensions.
- Speaker #0
Oui, parce que du coup, le management des tensions, est-ce que ça veut dire le management des conflits, par exemple ?
- Speaker #1
Alors, c'est… On veut sortir justement de ce qu'on appelle conflit, si on le prend au sens conflit entre les individus. Nous, en fait, c'est les tensions organisationnelles qui nous intéressent. Et en fait, quand on parle de management responsable, il y a autant de définitions que de chercheurs. Et comme on n'a pas du tout une approche qui soit prescriptive ou normative, on a décidé de travailler sur les dimensions qui faisaient consensus dans la recherche sur l'émergence des tensions. qui sont liées à ces objectifs de durabilité. Il y en a trois. Le premier, c'est ce qu'on appelle la performance globale, peut-être qu'on connaît plus sous le nom des 3P, Profit Planet People, parce qu'évidemment, quand tu abordes des objectifs de durabilité, tu vas souvent te confronter à des enjeux financiers qui vont eux-mêmes être en conflit avec des réalités sociales, et donc, ça va faire émerger toute une série de tensions. La deuxième dimension qui va faire émerger des tensions, ça va être la dimension des multiparties prenantes. Alors, on sait qu'il y a énormément de parties prenantes dans les organisations, que ce soit en interne, en externe. Et puis, quand tu parles de durabilité, tu parles aussi de la planète. Et donc, l'idée, c'est de se dire, en fait, il faut qu'on ait un système qui soit soutenable à la fois pour les personnes et pour la planète. Et donc, il y a tout un champ d'études. autour de cette question de la justice organisationnelle et puis de la soutenabilité. Pour en dire quelques mots, une entreprise, ce n'est pas une démocratie représentative. Et donc, il n'y a pas de séparation des pouvoirs. Et donc, il y a tout un pan de recherche autour de ces questions-là. Et puis, la troisième dimension, c'est la dimension de la multitemporalité. Parce que tu as des objectifs environnementaux de durabilité qui sont souvent sur le très long terme. Et on en parle aussi souvent, c'est qu'on a du mal à engager et à mettre les gens en action. sur le court terme, sur des objectifs qui, en plus, vont souvent avoir un impact plutôt négatif sur ton rendement financier à court terme, sachant que la plupart de tes objectifs et que tu seras évalué sur des objectifs très court-termistes, alors que tu as des enjeux à long terme à intégrer. Donc voilà, ce sont trois qui font consensus en termes d'émergence de tensions organisationnelles.
- Speaker #0
Oui, donc en fait, tension, il ne faut pas le voir comme le mot conflit. En fait, c'est vraiment un équilibre au niveau tripartite. pour faire en sorte que la balle, entre guillemets, soit au centre et que les trois piliers, on va dire, soient à la fin, soient équilibrés et qu'il n'y en ait pas un qui tente plus qu'un autre, en fait.
- Speaker #1
C'est ça. C'est qu'en fait, une des premières logiques dans le management responsable, c'est de s'inscrire dans du et et pas dans du ou Tu dois faire et de la performance financière et de la performance environnementale. Tu dois tenir compte des différentes parties prenantes et de leurs intérêts divergents. et des multitemporalités. Et donc, c'est de sortir un petit peu de cette perspective-là, sachant qu'en fait, les tensions, elles sont inhérentes aux organisations. Elles doivent faire de l'innovation et de la stabilité opérationnelle, du court terme, du long terme. Moi, je travaille sur les questions aussi de gestion de la diversité et de l'inclusion. Tu as les identités individuelles, mais qui s'inscrivent dans des individualités collectives. C'est inhérent à toutes les organisations. Et la question du management responsable, c'est cette gestion des tensions, mais avec une difficulté, c'est que... Ces tensions, elles sont paradoxales. Et ça, c'est tout un pan de la recherche autour de ça. Si tu veux, on utilise souvent une métaphore pour parler des paradoxes, c'est la pièce de monnaie. Un paradoxe, c'est un peu comme une pièce de monnaie où tu aurais deux faces qui sont opposées, mais qui sont liées l'une à l'autre et qui n'existent pas l'une sans l'autre. Tu vois, quand je te disais, il n'y a pas d'identité individuelle sans identité collective. Et la difficulté, c'est que ce sont des tensions que tu dois traiter en même temps. Et ça, c'est très compliqué à faire. Et encore plus, j'ai envie de te dire, dans notre monde occidental.
- Speaker #0
Et pourquoi, du coup, c'est plus compliqué dans le monde occidental ?
- Speaker #1
Alors moi, j'ai identifié trois causes. J'ai mis ma casquette d'interculturaliste, évidemment. Alors la première raison, pour moi, c'est qu'on est dans des cultures qui cherchent toujours à résoudre les choses. En fait, on a une assez grande intolérance au flou, à l'ambiguïté. Et donc, la conséquence de ça, c'est qu'on va simplifier les choses. On ne va pas rester dans des... pensées, des systèmes de pensées complexes, mais on va les simplifier pour les résoudre. J'entendais il n'y a pas si longtemps que ça, un cinéaste chinois qui disait que vous les occidentaux, vous n'aimez pas les films sans épilogue. Et ça m'a fait réfléchir et je me suis dit effectivement moi quand la fin reste ouverte, ça me met un peu... J'aime pas rester dans le flou, tu vois, bien avoir des réponses et donc ça, ça va nous pousser à simplifier, mais si on simplifie, on va résoudre, alors qu'un paradoxe par définition, ça ne se résout pas. Donc ça, c'est le premier élément. Le deuxième élément, c'est l'approche binaire. Alors, on le voit de plus en plus aussi dans l'émergence des clivages avec les réseaux sociaux. Tout est blanc ou tout est noir. On doit faire ou de la performance financière ou de la performance environnementale, etc. Et en fait, on est dans des cultures où on considère que si A a raison, c'est que B a tort. Et donc, si tu veux, cette approche absolue de la vérité fait qu'on a beaucoup plus de mal à appréhender des réalités où non, ce n'est pas aussi clair que ça et qu'il peut y avoir... plusieurs dimensions et plusieurs réalités qui coexistent. Tu vois, c'est un peu l'image de l'ombre et de la lumière. Il n'y a pas d'ombre, c'est la lumière. Et la troisième raison, c'est qu'on a une vision assez statique du monde qui nous entoure. Moi, il y a un truc qui m'a toujours interpellée dans mon expérience professionnelle, c'est qu'on découpait le temps de manière... Comme si le temps était figé. Donc, on avait des plans où on travaillait sur la planification. Ensuite, on travaillait sur la mise en œuvre. Ensuite, on exécutait. Et puis ensuite, on avait éventuellement une phase d'évaluation. Mais... pendant ce temps-là, ton contexte, il évoluait. Et donc, on ne s'adaptait pas vraiment en temps réel. On était toujours un peu en décalage. Et si on considérait, en fait, que c'est le changement qui est la constante, en fait, ça nous pousserait davantage à nous concentrer sur les processus plutôt que sur des objectifs figés qui, de toute façon, n'en sont pas puisque ton contexte, il évolue.
- Speaker #0
Et donc du coup, la question que je me pose là, c'est comment nous, occidentaux, finalement, on va réussir avec ces trois piliers-là à être capables finalement d'être dans cette notion de durabilité ?
- Speaker #1
Justement, merci de me poser la question, parce qu'en fait, c'est justement ce que fait le management responsable. En fait, on étudie les tensions de ces questions-là, et du coup, on regarde, on observe en fait comment un dispositif managérial est en mesure ou pas, d'intégrer ces tensions.
- Speaker #0
Si je prends par exemple, il y a les trois piliers. Il y a la performance globale, les parties prenantes et la multitemporalité. La tension entre la performance globale et la multitemporalité, ce serait quoi ?
- Speaker #1
Par exemple, un cas classique, c'est quand tu veux faire de la performance sociale ou plutôt environnementale, mais que tu as des... des objectifs chiffrés court-termistes financiers, par exemple trimestriels, éventuellement si tu es coté en bourse. Et donc, c'est source de tension. Donc, tu as des tensions au sein de ces dimensions. Et effectivement, comme tu le soulignes, tu as des tensions entre les différentes dimensions. Et du coup, ça pousse beaucoup d'organisations qui ne sont pas outillées, en fait, à faire des arbitrages et finalement à instrumentaliser différentes initiatives. J'ai essayé de penser à une métaphore. Alors, tu me diras si elle est bonne ou pas. Ce serait un petit peu comme si une entreprise est un bateau qui navigue sur la mer tumultueuse des affaires. et tu pourrais avoir d'un côté un bateau à moteur qui mettrait le cap sur le rendement financier. Alors, ce bateau, il va être soumis à des vents contradictoires et ici, les vents contradictoires, tu vois, ils représenteraient justement ces tensions avec les différentes parties prenantes qui essaieraient de pousser, en fait, le bateau dans des directions opposées. Un bateau à moteur, il irait bon gré, mal gré sur son cap sans trop se poser la question. Ça ne l'empêchera pas éventuellement de passer un diesel qui est moins polluant et en passant par là d'avoir une certification plus verte. Ils pourront aussi repenser les aménagements, améliorer les conditions de travail, ce qui pourrait éventuellement leur permettre d'avoir un label top employeur de l'année. En attendant, il n'y a pas d'intégration de ces tensions. Et donc là, on est dans une instrumentalisation de la durabilité, ce qu'on appelle aussi le greenwashing. Tu peux avoir un voilier. Et donc là, tu vas avoir ton voilier. qui va élargir son horizon et qui va faire cap sur la performance globale. Et encore une fois, la performance financière, ça fait partie d'une performance globale. Il en faut, mais il faut élargir son horizon. Mais maintenant, ton voilier, pour avancer, il va falloir qu'il intègre ses vents contradictoires. Alors évidemment, il va sans doute avancer un peu moins vite. Il va falloir qu'il y ait un engagement élargi de toutes les parties prenantes. Ça va demander plus de ressources. Mais voilà, et donc nous, finalement, si tu veux, d'une manière imagée, En fait, on étudie comment le dispositif managérial fait face à ces tensions et danse avec ces paradoxes, finalement.
- Speaker #0
Oui, je trouve que l'image est pas mal, en fait, parce qu'effectivement, on voit bien qu'il y en a un, en fait, qui trace sa route, entre guillemets, qui essaye d'intégrer un peu les trucs, mais finalement, sa roadmap, elle est faite, et il atteindra son port d'attache, entre guillemets. Et l'autre, en fait, finalement, effectivement, il va intégrer ces différents conflits, tensions, les vents contraires, entre guillemets, et que finalement, il est sur une vision de se dire, on va dans cette direction, mais finalement, sans avoir un point d'attache fixe de se dire à atteindre, en fait.
- Speaker #1
C'est ça. C'est-à-dire qu'en tout cas, l'horizon est élargi. Et ça, c'est aussi une question qui est liée à la durabilité dans les dispositifs managériaux qui managent par les tensions, j'ai envie de dire. C'est quelque chose qui demande beaucoup plus d'investissement. Il y a aussi une question de soutenabilité, parce que tu dois... toujours te remettre en question. Et tu ne dois pas trouver un équilibre, mais tu dois trouver des équilibres. Et ce sont des équilibres dynamiques. Et donc, c'est un management qui, évidemment, n'est pas aussi simple et donc qui intègre beaucoup de discussions, beaucoup de consultations, etc. Mais ça fait partie des choses qu'il faut faire pour aller plus loin. Après, tu sais, c'est des questions qui ont été étudiées depuis un certain nombre d'années. Je me rappelle ici d'une phrase du philosophe français Jean-Pierre Dupuis qui disait déjà en 1982 qu'il ne s'agit pas ou plus de simplifier pour solutionner, mais bien de savoir tirer parti du désordre pour créer une valeur soutenable et juste. Donc tu vois, comme tu disais en Occident comment on fait, il y a toute une réflexion déjà autour de ces questions-là, mais avec un mindset qui n'est pas forcément totalement... qui ne facilite pas, en tout cas notre vision du monde ne nous facilite pas forcément d'appréhender les choses de cette manière
- Speaker #0
Oui parce que finalement dans la solution 1 le bateau il a beau intégrer les différents éléments mais le port d'attache il sait où il va et du coup c'est rassurant entre guillemets que dans l'autre cas tu vas avoir quelque chose d'un peu latéral. On sait qu'on va, par exemple, on a mis le cap à l'est, on va aller arriver vers l'est, mais du coup, sans forcément savoir où c'est. Donc du coup, dans ma tête, j'étais en train de me dire, c'est vrai que tout à l'heure, tu as dit, oui, on n'aime pas quand c'est flou, on n'aime pas quand on n'a pas quelque chose de concret et de se dire qu'on a un piend à la fin, on sait comment se termine l'histoire. Oui, effectivement, ça veut dire qu'il va falloir accepter d'aller dans cette direction, que ça fasse sens. mais sans forcément savoir la destination vraiment finale, en fait.
- Speaker #1
C'est ça. Mais je pense que le monde tel qu'on le connaît aujourd'hui, on est quand même dans un monde en permacrise, fait que de toute façon, on doit bien se rendre compte à l'évidence. Autant on pouvait croire qu'on maîtrisait notre environnement, je pense que la crise du Covid est passée par là et que les gens ont quand même compris qu'on ne savait pas tout dominer des circonstances et des contextes dans lesquels on était. Et donc, ça demande de repenser et d'accepter cette ambiguïté, ce flou.
- Speaker #0
Et alors, du coup, concrètement, comment vous, vous l'observez au sein des entreprises, la mise en place de ce management responsable en termes de pratiques, en termes de compétences, d'apprentissage ?
- Speaker #1
En fait, on fait des études de cas. Donc, on travaille par immersion et on regarde tous les dispositifs managériaux. Donc, ça peut être des dispositifs de gouvernance ouverte, d'entreprises libérées. Et donc, en fait, on identifie justement les sources de tension et on regarde leur dynamique. et la manière dont elles sont intégrées. Alors, en fonction du dispositif managérial, c'est très variable. On peut aussi regarder, par exemple, on a fait une étude sur la rétention et l'attractivité des talents et de se demander, finalement, dans ce domaine-là, comment est-ce qu'une entreprise intègre certaines tensions qui sont liées à la rétention des talents. Tu peux avoir des tensions aussi qui sont dans la diversité et l'inclusion, comme je disais. Et là, justement, on vient de commencer un cas qui pourra sans doute te parler. C'est dans une entreprise pharma où, en fait, ils ont déployé l'amélioration continue dans un contexte d'innovation radicale. Et là, pour eux, ils avaient toute une série de tensions qui étaient liées à cette démarche incrémentale de l'amélioration continue face à un département de recherche et développement qui, lui, est dans un autre tempo avec d'autres... avec d'autres considérations. Et derrière, tu as tout le pan industriel qui doit essayer d'avoir un certain niveau de stabilité pour pouvoir suivre derrière.
- Speaker #0
Et donc, du coup, comment ils arrivent à jongler entre les deux, alors ?
- Speaker #1
On est en train de l'étudier. On vient de commencer l'étude. Je serais ravie de te partager les résultats. C'est prévu pour juin.
- Speaker #0
D'accord. Et donc, du coup, toi, c'est quoi les axes que vous avez observés sur ce triptyque ? C'est quoi les changements que vous... percevez et que vous vous dites, demain, ce ne seront plus des changements et ça sera intégré au sein des entreprises ?
- Speaker #1
En fait, on n'a pas de réponse à l'heure actuelle. Ce qu'on fait, c'est que on caractérise la manière dont c'est fait au sein de différents dispositifs managériaux et l'idée, c'est de se dire qu'est-ce qui fait que ça fonctionne ou pas ? En fait, l'idée, c'est de se dire parce que souvent, les gens, ils ont des problématiques et puis ils disent, on n'arrive pas à faire ça et donc, on regarde pourquoi est-ce que ça a marché avant ? qu'est-ce qui a caractérisé le fait qu'ils étaient dans une démarche plus, entre guillemets, responsable, s'ils l'ont été, et de se dire c'est quoi les facteurs, c'est quoi les dynamiques. Et en fait, c'est tout à fait, c'est l'objet en fait de l'étude sur laquelle on travaille. Et certainement, il y a une chose qui revient, c'est la question des rôles dans un système plus global, cette approche qui est plus systémique. Si tu veux, moi, pour moi, mon parcours dans le Lean... qui m'a amenée en fait à embrasser, j'ai envie de dire, le management responsable, c'est le fait qu'il y avait des dimensions justement que j'y retrouve. Et peut-être ce sont des éléments qui pourraient raccrocher les gens qui font du Lean, puisque là, en l'occurrence, on parle du Lean Management. Le premier élément, ce serait la dimension systémique. Tu vois, dans le Lean, je dis Lean, mais je dirais plutôt Toyota Production System parce que…
- Speaker #0
Oui, la maison du Lean.
- Speaker #1
Voilà, après le Lean, il peut être aussi mis à toutes les sauces et instrumentalisé. Mais si on reprenait le TPS, pour moi, le mot système, il a beau être à la fin, je pense que c'est le mot clé, en fait. Et d'ailleurs, en français, on commence par le système. Dans un système, on ne fait pas référence, quand on parle de responsabilité, à l'individu, mais bien au système. Donc, l'individu fait partie du système. Et l'individu va être perçu par rapport à un rôle dans un système. Tu vois, dans les organisations traditionnelles, on va se référer à un organigramme. Et donc, les gens vont être identifiés par rapport à un titre. Dans le Lean, on va plutôt mettre son focus sur un diagramme de flux. Et le diagramme de flux, c'est finalement le rôle de chacun dans la création de valeur, dans la chaîne de création de valeur, et dans son rôle les uns par rapport aux autres. Donc, il y a ce premier critère. Alors, je vais refaire une petite aparté sur l'interculturel. Je ne peux pas m'en empêcher. Donc, le Lean, il a été pensé par des architectes japonais pour faire une culture collectiviste où on a une pensée systémique. Et là, maintenant, en te parlant, je me rappelle que cet été, donc, on est partis en vacances au Liban, dans le village d'origine de mon mari. Et mon fils m'a dit, en rentrant après avoir joué avec des enfants dans le village, il m'a dit… les gens me demandent je suis le fils de qui ? Ils ne me demandent pas mon nom. Et c'est vrai qu'en fait, dans ces cultures-là, tu es d'abord identifié par ton statut. C'est-à-dire que tu es le fils de tes parents, tu es, dans le cas d'Anmarie, le frère aîné de ta fratrie. Du coup, ça te confère un rôle et un statut dans la communauté qui fait que tu vas avoir des devoirs et des privilèges, mais indépendamment de ce que tu as envie, de tes compétences, peu importe. Et du coup, les petits camarades, pour eux, c'était plus important de savoir c'était le fils de qui. À partir du moment où ils savaient c'était le fils de qui, donc finalement, c'était quoi son rôle, son statut dans la collectivité. Et donc, je pense que c'est aussi une traduction du fait que dans certaines cultures, on s'identifie plus facilement au rôle que… C'est ça, parce que moi, quand je vais me présenter, je ne vais jamais parler d'autres personnes. Je vais parler de moi, de mes caractéristiques. Je ne vais pas te parler de… de ma mère, de mon cousin. Ça, c'était un des éléments. Un autre élément que je retrouve beaucoup dans Lean, c'est cette dimension dynamique. On est toujours en adaptation. L'amélioration continue, c'est clairement une pratique qui traduit ça. C'est qu'on est sans cesse en train de s'adapter, d'apprendre. L'apprentissage, c'est aussi un élément clé. Voilà. Donc, on s'adapte constamment. Et donc, tu as cette deuxième caractéristique qui est l'aspect dynamique. Et puis, tu as l'intégration aussi des paradoxes que je retrouve dans l'Uline. Là, je parlais d'amélioration continue. Pour moi, innovation et standardisation, ce sont les deux pièces opposées, si tu veux, de l'amélioration continue. Parce que quand on va te parler d'innovation, en face de ça, standardisation, tu auras un aspect un peu d'entrave à la liberté. création d'initiatives individuelles. Mais en même temps, le paradoxe, c'est que dans le Lean, on demande à tout le monde de penser. amélioration continue du bas jusqu'au haut de la pyramide et donc ces deux aspects-là sont hyper importants et finalement le standard qui est la meilleure manière de faire connue à ce jour en fait c'est un standard qui est à la fois dynamique qui émerge des différentes parties prenantes et donc tu vas le mettre en place pas parce que toi t'as décidé mais parce qu'on a décidé collectivement que et donc du coup on pourra le changer mais une fois qu'on l'aura décidé ensemble donc tu as ce côté très multipartie prenante, d'intégrer ces multiparties prenantes, cette démarche incrémentale, d'être dans la dynamique. Et pour moi, en fait, c'est aussi une manière de se dire que quand tu es dans un processus collectif de création, eh bien, tu as besoin d'avoir un langage commun. Et ce langage commun, finalement, c'est le standard, c'est la standardisation. Et donc, l'un ne va pas sans l'autre. Innovation ne peut pas aller sans standardisation dans le cadre de l'amélioration continue, quand c'est collectif.
- Speaker #0
Et c'est comme ça que du coup, on voit finalement que le Lean tend à être du management, enfin nous tend vers du management responsable, puisque dans les trois points que tu as donnés, on retrouve bien les trois piliers du management responsable. Et donc finalement, c'est comment à travers le Lean, encore une fois, si j'essaie de synthétiser, tu m'arrêtes si je dis des bêtises, mais c'est comment finalement, à travers le Lean, on arrive... à avoir ce point d'équilibre dont on parlait au tout début finalement. C'est de se dire comment on arrive à avoir un équilibre entre les trois et que notre voilier, à un moment, va peut-être partir plus vers la droite, mais du coup, on va peut-être plus progresser sur le devant, mais tout en étant quand même, on a conscience qu'on part peut-être un peu plus vers la droite, mais qu'à un moment, on va quand même aller vers la vision, vers ce qu'on tend, vers y aller. Est-ce que c'est ça le lien ?
- Speaker #1
Oui, en fait, tu as mis le doigt sur une chose, c'est qu'en fait, il y a une dimension réflexive au management responsable, c'est-à-dire qu'en fait, tu penses à la manière dont tu penses, tu penses à comment tu penses les choses. Et c'est une réflexion supplémentaire à avoir, pas que sur le comment, mais en fait, pourquoi est-ce qu'on pense comme ça ? Et finalement, à partir du moment où tu le fais de manière consciente, et il n'y a pas de règles, et encore une fois, c'est pour ça qu'on n'est pas du tout dans une démarche prescriptive ou normative. L'idée, c'est que chaque organisation parte de son propre contexte et trouve des solutions. par rapport à ses ambitions à elle. Mais on ne dit pas, tu vois, quand tu as les différents axes du management responsable, on ne dit pas, quand tu atteins ça, tu fais du management responsable. Ce n'est pas la question, en fait.
- Speaker #0
Ce qui fait que là, en fait, c'est de se dire, c'est vraiment une pensée, oui, comme tu dis, une réflexion, et qui fait qu'après, derrière, c'est comment on arrive à s'assurer que finalement, tous ceux qui sont dans le bateau, ils aient quand même cette même façon de penser, en fait. Et du coup, j'en reviens à une discussion que moi aussi j'ai eue cette semaine, où on a parlé pensée scientifique. Et souvent, quand on parle de la pensée scientifique, ça fait toujours hyper peur, mais en fait, c'est aussi au cœur du système Lean. Est-ce que du coup, ce serait vraiment ça ? C'est de s'assurer que chacun a vraiment bien les clés de la pensée scientifique pour être capable justement d'intégrer ces différents facteurs-là ?
- Speaker #1
La pensée scientifique, c'est quelque chose qui est assez spécifique au Lean. Donc, c'est sans doute une manière dont ça se traduit dans le Lean. Ce n'est pas forcément quelque chose qu'on va aborder dans des dispositifs comme l'entreprise libérée, par exemple, ce qui n'empêchera pas évidemment de faire du management responsable. Mais en tout cas, par rapport à ce que tu disais, c'est effectivement d'intégrer toutes les parties prenantes, c'est-à-dire que toutes les personnes à bord de ce bateau, en fait, on voit au chapitre. Après, parfois, il y a des arbitrages à faire, ce n'est pas la question. Mais du coup, c'est que tout le monde est intégré et qu'on tient compte des différentes parties prenantes, même si parfois, il y a des choix à faire. Mais l'idée, c'est de pouvoir intégrer le tout et d'avancer avec toutes ces différentes perspectives et en tout cas, de créer des espaces pour pouvoir faire émerger ces intérêts divers. Parce qu'en fait, il n'y a pas très longtemps, j'ai une connaissance qui me disait s'il n'y a pas de tension dans une entreprise, c'est qu'il n'y a pas de communication et c'est que ça fonctionne en silo. En fait, il y a des marqueurs qu'on aura tendance à éviter parce qu'on n'aime pas les tensions. Les tensions, en général, dans les entreprises, on les met sous le tapis. C'est plus facile de fonctionner sans tension. Sauf que pour pouvoir avancer sur des questions aussi, j'ai envie de dire, essentielles, que d'aller vers plus de durabilité, tu ne peux pas le faire sans. Donc, je reviens, en fait, sur ce que je te disais. C'est pour ça qu'on dit que le management responsable, finalement, c'est le management des tensions. Et donc, de se dire, est-ce que les tensions, on les fait émerger ? Tout le monde n'a pas forcément la main, évidemment, sur le cap de l'entreprise, mais on peut le faire à son niveau en se demandant, finalement, moi, là où je suis, en fait, qui sont toutes mes parties prenantes et quelles sont les interrelations entre toutes ces parties prenantes ? Et en fait, quelles tensions ça fait émerger ? Parce que là où des contraintes coexistent, ben... les tensions émergent, et finalement, est-ce qu'on les fait émerger, et est-ce qu'on les traite ? Oui,
- Speaker #0
et après, si on a le, entre guillemets, alors je ne sais pas si c'est le bon mot, mais le courage de se dire là, c'est une tension, et que collectivement, on se dit, bon là, on a identifié cette notion de tension, est-ce qu'on a le courage de se dire, ben on y va, et en fait, en prenant le côté positif, si je reviens sur la pièce de Monet, on prend le côté positif de se dire, on va apprendre quelque chose en fait.
- Speaker #1
C'est ça.
- Speaker #0
on fait des hypothèses de peut-être là où on va arriver sans forcément le savoir en fait mais c'est à dire que collectivement on prend le risque on a le courage de se dire on va vers ça en fait parce qu'on a mis le truc au milieu de la table en disant ça c'est une tension et on en est tous conscients c'est ça t'intègres
- Speaker #1
toutes les parties prenantes en gros tu dis dans le lean on pourrait dire show me the problem mais en fait le fait dans le lean de fonctionner par quoi welcome problem avec ce mindset, forcément, c'est que tu as un état d'esprit qui est ouvert à faire émerger les problèmes et donc les tensions et les parties prenantes parce que tu intègres toutes les parties prenantes dans les solutions. Et donc, c'est pour ça que je trouve qu'il y a plusieurs dimensions du Lean qui m'ont aidée énormément à appréhender ces notions du management responsable et que je retrouvais par rapport au Lean que je connaissais. du TP, c'est encore une fois, je ne dis pas que l'IN est égale au management responsable, c'est l'IN peut être égale au management responsable sous certaines conditions.
- Speaker #0
Et donc, du coup, là, pour vous, la prochaine étape, c'est ce cas-là que vous avez en entreprise et dont vous publierez en fait, ouais, c'est ça, je ne sais pas, vous publiez ou pas les résultats de vos études ?
- Speaker #1
Oui, oui, donc en fait, dans cette étude de cas, c'est dans un projet plus global, on a fait déjà, je pense, quatre études de cas. Et donc, la cinquième, maintenant, c'est sur du Lean. Et l'idée, après, ça va justement d'être identifié les marqueurs, les dynamiques, pour aller plus loin. Et au mois de septembre, on a une journée du management responsable, où là, en fait, on va intégrer aussi les travaux de collègues, d'autres chaires, d'autres chercheurs, notamment la post-croissance. Puisqu'en fait, il y a aussi des questions micro, il y a des questions mézo, et puis il y a des questions macro. Et donc, l'idée, c'était de pouvoir faire aussi le lien entre toutes ces couches.
- Speaker #0
Oui, parce que forcément, encore une fois, tout est lié. On n'est pas sur un système qui est fermé, qui est clos. Forcément, tout est perméable. À moins que tu aies d'autres points à aborder. Est-ce qu'on a fait le tour ?
- Speaker #1
Bah écoute, oui. Bon, moi, si pour moi, tu me dis que tout est clair, j'ai un grand objectif parce que c'est un travail aussi de...
- Speaker #0
De clarification, ouais, c'est ce que tu disais. Parce que finalement, en fait, il y a ce côté de recherche. Et après, il faut le rendre digérable. Je ne sais pas si c'est le bon terme.
- Speaker #1
C'est ça, c'est ça. Parce que d'un côté, donc nous, on forme nos étudiants. Donc au sein de la chaire, on a trois piliers. On a un pilier qui est évidemment la recherche. L'idée, c'est que ça nourrisse notre enseignement. puisque l'idée, c'est de faire de nos étudiants des management responsables demain. Et tu vois concrètement une des dimensions, parce qu'on parlait d'intégrer le macro, le mezzo, le micro, c'est d'arriver à les faire penser de manière plus systémique. Et donc, on a organisé des séminaires pluridisciplinaires parce qu'on s'est rendu compte qu'en fait, on forme… nos jeunes, en fait, dans des silos aussi. Et donc, ils arrivent en entreprise et ils n'ont pas forcément cette capacité de traiter des problématiques de manière transversale. Donc, par exemple, on va les faire travailler sur des sujets où on va leur demander de tenir compte de la stratégie digitale, de la stratégie tout court, de la partie organisation humaine, etc. Et puis, il y a le troisième pilier, qui est le pilier partenariat, où là, justement... on organise des échanges, on fait de la vulgarisation pour que… pas seulement nos étudiants de demain soient des managers responsables, mais qu'on forme aussi le grand public puisqu'on a une mission aussi d'enseignement et de transmission de nos recherches au grand public. Et donc, voilà, c'est un exercice à faire et c'était l'occasion de le faire avec toi. Donc, je te remercie beaucoup.
- Speaker #0
Eh bien, de rien, Natacha. En tout cas, c'est toujours hyper intéressant d'échanger et de... Enfin, voilà, aussi d'ouvrir un peu ces chakras et ces lignes d'horizon aussi. C'est ça qui est intéressant, en fait, parce que... Il ne faut pas rester vraiment juste figé dans ses interprétations. C'est ça que je trouve, moi, très intéressant. Et c'est ce que j'essaie aussi de transpirer à travers ce podcast, en tout cas. Merci à toi.
- Speaker #1
Je te remercie.
- Speaker #0
Merci pour votre écoute, vos retours et questions qui nous permettent collectivement de comprendre et d'apprendre. Si vous pensez que cet épisode peut intéresser vos amis ou vos collègues, il vous suffit de cliquer sur Partager Ça permettra à ceux qui hésitent de passer le cap en commençant par écouter le podcast. Enfin, si vous souhaitez me contacter, vous pouvez le faire via la page dédiée LinkedIn Jeudi Lean Échanger avec vous est toujours une source d'apprentissage. On se retrouve très vite. En attendant, n'oubliez pas d'ici là d'oser dire Jeudi Lean