- Speaker #0
Bienvenue sur l'Actu' en tête.
- Speaker #1
Bonjour à toutes, bonjour à tous, bienvenue dans l'Actu' en tête, chaque semaine dans ce podcast. Nous tentons de prendre un peu de recul sur l'actualité et j'ai le plaisir de retrouver Fabrice Pastor, que vous connaissez bien, neuropsychologue, formateur, conférencier, auteur. Bonjour Fabrice.
- Speaker #0
Et bonjour Didier, bonjour également à toutes et à tous. Didier, je rappelle que tu es journaliste, président du Psychodon Éco... commissaire général du Forum National de la Santé Mentale. Je suis une nouvelle fois ravi de te retrouver pour cet épisode qui va revenir sur un événement, sur un anniversaire un peu particulier.
- Speaker #1
Alors oui, très particulier, singulier. C'est toute une période dans nos mémoires collectives. 13 novembre 2015, 13 novembre 2025. Puis ce sera la même mémoire collective chaque période de novembre dans les années à venir. Il y a un peu plus de dix ans, en effet, plusieurs... attaques coordonnées frappent Paris et Saint-Denis, les explosions autour du Stade de France, les fusillades en terrasse, le Bataclan, où 90 personnes perdent la vie. Au total, 130 morts, plus de 400 blessés. C'est un choc sidérant que nous avons tous partagé, complètement brutal. Dix ans ont passé, une décennie. Il y a eu des enquêtes, l'identification des commandos. Le procès 2021-2022, un procès hors normes, qui a duré des mois et qui a ouvert un espace important, un lieu où la justice, un lieu où la parole des victimes, l'examen minutieux des faits, ont permis de fixer une mémoire, une mémoire individuelle, collective et judiciaire.
- Speaker #0
Oui, c'est un procès qui a eu une portée symbolique très forte, mais en plus de ça, il a vraiment touché toute notre société. D'ailleurs, on parle parfois de traumatisme collectif. Alors, c'est un terme qui peut un peu donner l'impression d'une sorte de réaction un peu homogène de toute la population. Mais bon, ce n'est pas ce que nous montrent les sciences sociales. Et on voit en fait qu'il existe des mémoires différentes de ce jour du 13 novembre, des expériences qui ont été évidemment aussi différentes, des émotions qui varient aussi selon l'exposition, selon le parcours, selon également l'histoire de la personne.
- Speaker #1
Et c'est en effet ce qui rend cette période, cette date du 13 novembre si singulière. Certains ont été directement frappés, d'autres ont vécu cette nuit, cette date, par des images, par des messages, une sidération collective qui a figé la France de quelques heures, quelques jours et dix ans après. Une question se pose, que reste-t-il ? Qu'est-ce qui s'atténue ? Qu'est-ce qui persiste ? Qu'est-ce qui s'est transformé ?
- Speaker #0
10 ans, c'est suffisant pour certains, pour que certains souvenirs s'adoucissent. Mais aussi, 10 ans, ça peut être un temps pour que d'autres souvenirs s'enquistent. Alors, c'est suffisant pour que de nouvelles générations arrivent, sans qu'ils en aient une expérience directe de ces attentats. Et surtout, c'est suffisant aussi pour que la psychologie, pour que les sciences sociales, les sciences humaines et les données de santé publique nous donne aujourd'hui un regard un peu plus clair sur ce que cet événement a proposé.
- Speaker #1
On va tenter de mieux comprendre. C'est tout d'abord un traumatisme individuel. Chaque personne touchée, qu'est-ce qui se passe dans le cerveau, Fabrice, à l'échelle individuelle quand une personne vit directement un événement aussi traumatique, aussi violent ? Qu'est-ce qu'on sait aujourd'hui du fonctionnement du traumatisme ?
- Speaker #0
Alors, on parle notamment de troubles de stress post-traumatique ou PTSD que le DSM-5. Je rappelle que le DSM-5, c'est une nomenclature internationale sur les troubles en santé mentale. Donc, le DSM-5 définit de manière assez précise. Ce PTSD apparaît quand une personne est exposée à un événement où sa vie ou celle d'un proche est menacée. À partir de là, il y a quatre grands groupes de symptômes qui doivent être présents. On va les voir un peu plus en détail. D'abord, il y a ce qu'on appelle les intrusions. Les intrusions, ce sont des images, ce sont des sensations qui reviennent sans que la personne ne les décide. Ça peut être des éclats sonores, des bruits, des flashs visuels, ça peut être aussi un parfum, ça peut être un mouvement. Ensuite, il y a les évitements. En gros, la personne va écarter certains endroits, va écarter certaines conversations, certains bruits, parce qu'ils vont réveiller de la détresse. Le troisième groupe, ça va être les altérations émotionnelles. On voit apparaître de la peur. de la tristesse, de la colère, parfois aussi un sentiment de détachement. Et enfin, le quatrième point, c'est l'hyperactivation. On peut avoir des sursauts, un sommeil qui va être fragile, une vigilance aussi qui peut être excessive et des difficultés à se calmer. Et évidemment, ces symptômes vont durer dans le temps.
- Speaker #1
Si je comprends bien, Fabrice, comme neuropsychologue, pour résumer, ce n'est pas la mémoire qui se répète, c'est tout un système de réaction qui se met à tourner en boucle et sans pause.
- Speaker #0
Exactement. Et si on regarde ce qui se passe dans notre cerveau, on comprend mieux pourquoi. Quand la menace surgit, une zone notamment qu'on appelle l'amidale s'active très fortement. C'est elle qui va déclencher des réactions de peur. Donc dans un événement extrême, cette activation peut tout à fait devenir massive. En parallèle, l'hippocampe qui organise la mémoire va, elle, plus ou moins se dérégler. Donc l'hippocampe ne parvient plus à lier les informations pour fabriquer un souvenir continu. Et donc la mémoire peut se fragmenter en petites vignettes, petites vignettes sensorielles. Par exemple, je l'ai dit, un bruit, une lumière, une odeur. Et comme le cortex préfrontal qui régule le cortex, qui analyse, baisse son activité sous ce stress intense, il n'arrive plus à remettre de l'ordre, il n'arrive plus à expliquer ou encore à donner de la cohérence.
- Speaker #1
Et c'est pour ça que de nombreuses personnes parlent d'images figurantes, de sensations qui surgissent sans prévenir. Autrement dit, Fabrice, il n'y a rien qui n'est imaginaire. Ce n'est pas le mental qui s'emballe, c'est un fonctionnement neurologique lié à l'intensité, à la violence de ce qui a été vécu.
- Speaker #0
Oui, et d'ailleurs, les études menées après différents attentats dans le monde montrent des chiffres qui sont finalement assez cohérents. Si on prend les personnes directement exposées, le taux de PTSD, de troubles du stress post-traumatique, se situe globalement entre 15 et 25 % selon les cohortes et les définitions retenues. C'est d'ailleurs pour ça que la valeur de 20 % est souvent retenue, est souvent citée, mais il faut évidemment toujours préciser cette fourchette de 15 à 25 % pour rester rigoureux. Donc, chez les forces de secours, les chiffres sont évidemment plus variables. Certains sous-groupes, très proches des scènes ou mobilisés dans ces conditions extrêmes, présentent, eux, des taux qui vont être plus élevés et d'autres beaucoup moins. Ça dépend, en fait, du type d'intervention, ça dépend du soutien du temps passé, au contact des corps ou des blessés. Donc, on n'a pas de profil unique, mais on a des éléments solides pour comprendre la mécanique. En gros, plus l'exposition directe est prolongée et plus le risque va augmenter.
- Speaker #1
Le traumatisme est la conséquence directe de ce que le cerveau subit dans des situations extrêmes, dans ces situations violentes. Et ça, c'est fondamental à se rappeler. Dix ans après, c'est comme quand on est blessé, qu'on se casse une jambe, il y a une fracture. Il y aura toujours une mémoire de la fracture. Et bien, lorsque l'on est blessé, il y a entre guillemets aussi un impact sur le cerveau. Là aussi, il y aura toujours, dix ans après, des traces. et cette difficulté à la cicatrice. Les mécanismes psychologiques face aux attentats, on a envie de les comprendre un peu mieux. On l'a vu, Fabrice, le traumatisme individuel repose sur un fonctionnement neurologique que tu nous as décrit. Il existe aussi des réactions psychologiques qui dépassent le cadre du trouble, des réactions presque immédiates que beaucoup de personnes décrivent après un attentat. J'aimerais qu'on parle de ce qu'on a entendu partout après le 13 novembre.
- Speaker #0
Le terme sidération évoque un peu une sorte de paralysie généralisée, comme si notre corps se coupait du monde. En clinique, on parle parfois plutôt de ce que l'on appelle l'immobilité tonique. En gros, c'est un réflexe qui peut apparaître quand la menace paraît totalement impossible à fuir. Donc le corps va se figer, on est bloqué, la voix ne sort plus, les muscles vont s'arrêter, se bloquer. Et c'est un réflexe qui existe. donc chez les mammifères et qui est inconsciente. Alors attention, ce n'est pas automatique. Évidemment, tout le monde ne vit pas cette immobilité tonique, mais elle a été décrite par un nombre important de personnes présentes sur des lieux d'attentats ou sur des agressions violentes également.
- Speaker #1
C'est ce qui explique que certaines victimes de traumatismes violents, qu'ils soient psychiques ou physiques ou les deux, ne crient pas, ne bougent pas, ne courent pas. Ils sont comme bloqués et ça change le regard que l'on peut porter sur ces réactions.
- Speaker #0
Oui, et cette immobilité va ensuite alimenter une autre dynamique, c'est justement la fragmentation de la mémoire. Les personnes ne reconstruisent pas la scène dans son ensemble, elles vont retenir des fragments sensoriels qui vont revenir par flash, sans prévenir évidemment, avec parfois une intensité qui peut être très forte.
- Speaker #1
et donc déployer beaucoup de souffrance. C'est ce que décrivent des survivants du 13 novembre, des attentats. Ils racontent des souvenirs qui arrivent en éclats, sans lien.
- Speaker #0
C'est ça, et le cerveau, après coup, va chercher à comprendre et à remettre de l'ordre. Mais il y arrive difficilement, parce que ces fragments se réactivent sous forme d'intrusion.
- Speaker #1
Alors, si on se place cette fois-ci du côté de ceux qui n'étaient pas directement sur les lieux des violences, les lieux des attentats, mais qui ont vécu cet événement dans l'espace public ou dans leur salon, face à la télévision, est-ce que ce sont les mêmes mécanismes que l'on retrouve, Fabrice ?
- Speaker #0
pas les mêmes, mais il y a certains points qui se rapprochent. L'exposition à un attentat par les images peut aussi provoquer un stress qui peut être très fort. Les travaux qui ont été menés, notamment après les attentats de Boston ou ceux du 13 novembre, on l'a dit, l'ont montré de manière assez finie. Il y a certaines personnes qui sont très exposées aux images et qui ont développé des symptômes tout à fait proches du stress post-traumatique. On parle d'ailleurs à ce sujet-là de trauma indirect. Ça, c'est un terme qui est souvent utilisé dans la littérature internationale.
- Speaker #1
Alors justement, à chaque attentat, on observe des réactions sociales, des discours, des crispations. Certains parlent de replis, d'autres de peurs identitaires. Comment est-ce que la psychologie explique-t-elle ces mouvements ?
- Speaker #0
Alors, les attentats activent deux types de menaces psychologiques. D'abord, la menace réaliste, c'est-à-dire la peur concrète d'être blessé ou d'être tué. Donc ça, ça va renforcer la vigilance. Et ensuite, la menace symbolique, c'est-à-dire la peur pour son groupe, son identité culturelle. Alors, dans ce contexte, beaucoup de personnes vont chercher un cadre rassurant. Et on observe justement en réaction, on va dire, un renforcement des liens d'appartenance, mais bon, pas chez tout le monde et pas de manière systématique, mais suffisamment pour être relativement visible dans différentes études. C'est un peu de la polarisation. chaque groupe va se serrer un peu plus autour de ce qui lui paraît essentiel. Alors voilà, encore une fois, il faut être très clair, il ne faut pas généraliser. Ce n'est pas un mécanisme qui va être mécanique et qui s'applique à toute la population. Mais bon, c'est une tendance statistique.
- Speaker #1
Donc, si je comprends bien, après un événement traumatique, après un événement violent, la peur peut amener une partie de la population à chercher davantage de sécurité, davantage de repères. parfois dans un groupe d'appartenance plus marqué, mais il ne faut pas en déduire une réaction uniforme ou une fatalité sociale. Mais je ne peux pas m'empêcher de penser aux tendances politiques qui se dessinent actuellement dans notre pays, où tous les sondages nous montrent que les Français, nos concitoyens, espèrent plus de sécurité et un chef d'État plus ferme. Et alors, ça peut rejoindre toutes ces considérations. Fabrice, on l'a évoqué rapidement tout à l'heure, mais sans être présent dans les lieux, il y a aussi le rôle que jouent les médias, les images qui diffusent et qui provoquent des mécanismes et la sidération collective. Parce que beaucoup d'entre nous, nous avons vécu cette nuit, nous vivons les attentats comme un choc, un choc violent, une expérience qui est passée par la télévision, les notifications. Les vidéos sur les réseaux sociaux, les chaînes d'info en boucle qui basculent aussi pour les grandes chaînes vers des éditions spéciales qui sont aussi très traumatiques parfois. Est-ce qu'on peut parler de sidération collective ?
- Speaker #0
Alors, il n'existe pas une sidération collective au sens clinique strict. Mais on peut parfois observer le fait que quand des images d'un événement violent saturent l'espace public, on en parle tout le temps, il y a une sorte d'activation d'un état d'alerte. partagé. En gros, quand les images et les news se répètent en continu, ça donne un peu l'impression que l'événement est encore en cours. Et donc, ça va créer un climat de tension, un peu de confusion et de désorientation d'ailleurs. C'est ce que beaucoup de Français ont d'ailleurs décrit le soir du 13 novembre.
- Speaker #1
Oui, on s'en souvient tous. Les chaînes d'information repressées en boucle, les mêmes plans avec des bandeaux rouges, des alertes, des on ne sait pas encore, les réseaux sociaux. mélanger l'info, les rumeurs, les tournages, les vidéos d'amateurs. On sentait bien que la frontière entre l'information, l'amplification, le sensationnel, le réel, devenait des frontières très minces.
- Speaker #0
Oui, parce que notre cerveau n'a pas été conçu pour gérer une avalanche d'informations. Et donc, c'est pour ça que certaines personnes peuvent aussi parfois développer des troubles du sommeil ou une sorte de sensation de danger un peu diffus.
- Speaker #1
Parce que les images ne sont pas neutres et que dans les situations d'attentats, l'information circule beaucoup plus vite que la... Vérification. On reçoit dix notifications avant d'avoir compris ce qui se passe. Et cette surcharge d'informations, ce flux incessant d'informations accroît la confusion. Et c'est cette confusion qui nourrit l'angoisse pour les enfants, les adolescents. Beaucoup ont vu ces images et pour eux, elle est sûrement encore plus forte. Et ce n'est peut-être pas le hasard si encore aujourd'hui, on parle de 25-30% des jeunes qui déclarent des troubles anxieux.
- Speaker #0
Oui, parce que les enfants n'ont évidemment pas la même capacité que les adultes à comprendre qu'une image ne correspond pas forcément à un danger présent ici et maintenant. L'exposition médiatique des plus jeunes nécessite un accompagnement, ça nécessite un cadre. Il faut leur expliquer ce qu'ils voient, il faut leur dire où se situe le danger réel et répondre à leurs questions. Et parfois, tout simplement, ne pas les exposer justement à ces situations assez traumatisantes.
- Speaker #1
Et pour les adultes aussi, la parole est essentielle, le partage social de l'émotion. jouent un rôle central quand un événement traumatique nous bouleverse. On a peut-être parfois tendance à se replier et à ne pas suffisamment en parler, mais de poser des mots, comme on dit, des mots sur des mots, ça remet de l'ordre, ça donne du sens, ça réduit l'incertitude. Et on sait très bien que la parole, pour les êtres sociaux, c'est un vecteur de lien et que le lien, c'est du soin. Alors, dix ans après, ces noms et ces cours à la fois, tu le disais tout à l'heure l'eau pour ceux qui ont essayé de se reconstruire avec leurs blessures physiques, psychiques, des deuils courts pour un pays qui a traversé cette période et cette nuit historique. Et quand on parle d'un anniversaire, on se rend compte que chacun ne retient pas la même chose, les mêmes événements, les mêmes douleurs, les mêmes souffrances. Certains se rappellent précisément où ils étaient, d'autres ont des souvenirs plus flous. Et Fabrice, notre mémoire, elle est différente d'une personne à l'autre. Comment on peut expliquer cela ?
- Speaker #0
Oui, Lydie, en fait, 10 ans suffisent pour que plusieurs mémoires soient présentes. Il y a d'abord la mémoire des personnes directement touchées, bon, elle est ancrée. Et ensuite, la mémoire des témoins indirects qui peut être créée par les récits, par les images ou encore les discussions. Et puis, il y a aussi la mémoire des plus jeunes qui repose sur des transmissions familiales, sur des histoires ou sur des transmissions aussi scolaires ou d'ailleurs médiatiques. Je voulais aussi citer le programme de recherche transdisciplinaire qui s'appelle 13 novembre. et qui a suivi plusieurs milliers de personnes pendant dix ans justement, et qui montre que ces mémoires ne vont pas suivre la même trajectoire, le même rythme. Il y en a qui s'apaisent, il y en a qui vont se figer. On l'a dit tout à l'heure, ça dépend de l'exposition, ça dépend aussi du sens que chacun a construit autour d'un événement.
- Speaker #1
Lors d'une commémoration de tels événements, de tels traumatismes pour ces attentats, du 13 novembre 2015. On voit bien cette diversité. pour la commémoration que nous portons tous, les cérémonies officielles, suivent pourtant un protocole avec des noms, des lieux, des hommages. Mais dans la population, les formes de souvenirs sont très différentes. Il s'agit d'une chanson, d'une photo, d'un trajet de métro qui va être en effet évité pendant des années. Et cela dit quelque chose du lien intime que chacun entretient avec l'attentat et avec cette date.
- Speaker #0
Les commémorations officielles donnent une sorte de cadre commun. après on l'a dit le travail intérieurs se fait à des niveaux qui vont être très variés. Donc, pour certains, cette date est très importante, très vive et pour d'autres, on va glisser peu à peu vers un fait historique. Alors, c'est un phénomène tout à fait normal. Le temps va créer la distance. Et les chercheurs du programme 13 novembre ont d'ailleurs observé que certains souvenirs évoluent moins vite que prévu, restent précis et très détaillés, alors que d'autres vont s'émousser.
- Speaker #1
Ce que tu nous dis, on l'a vu aussi dans les témoignages lors du procès, certains survivants parler avec une... précision incroyable. D'autres avaient des souvenirs, des zones floues, mais tous semblaient porter un rapport très personnel à cette date, à cette nuit des attentats. Dix ans après, est-ce qu'on peut dire que la société française a intégré cette date du 13 novembre dans un récit commun, ou est-ce qu'il y a des récits qui restent très éclatés ?
- Speaker #0
Il faut rajouter une dimension importante, c'est que la société de 2025 n'est plus celle de 2015. Entre-temps, il y a eu d'autres événements qui ont créé, qui ont façonné l'atmosphère collective. On en a un peu parlé lors de nos précédents épisodes, mais on l'a vu depuis dix ans, les crises, les tensions, cette actualité internationale qui est très anxiogène. Et donc, c'est cette accumulation qui modifie la façon dont on se représente aujourd'hui, le 13 novembre 2015.
- Speaker #1
Et il s'agit bien sûr, pour tout un chacun, de se reconstruire individuellement. et pour une société de se reconstruire plus. collectivement, on en arrive à une question que tout le monde s'est posée, après cette nuit d'attentat, après cette période d'attentat, comment est-ce qu'on se reconstruit ? Pas individuelle, mais comment est-ce qu'un pays reprend son souffle ? Comment les gens réapprennent à vivre après ce qu'ils ont traversé ? On parle bien sûr des personnes endeuillées, des blessés, des proches, des témoins, des habitants, des équipes de secours. Est-ce que la recherche permet aujourd'hui de comprendre ce qui les aide vraiment à avancer toutes ces personnes ? après un attentat ?
- Speaker #0
Alors oui, on dispose de données assez solides d'ailleurs. Le premier facteur, c'est le soutien social, c'est-à-dire le fait d'avoir quelqu'un qui écoute, quelqu'un qui croit ce que la personne raconte et qui ne va pas nécessairement minimiser. Le deuxième, c'est la compréhension de ce qui s'est passé. Les personnes qui trouvent du sens, cherchent du sens dans leur expérience, progressent plus facilement. Et le troisième, c'est l'accès rapide à un... un cadre de soins, c'est-à-dire un espace où l'on peut se sentir écouté et sécurisé.
- Speaker #1
Ce que tu nous dis fait écho à beaucoup de témoignages. L'important, c'est évidemment de parler du traumatisme vécu à quelqu'un qui ne nous juge pas parce que le lien, c'est du soin. On n'arrête pas de le redire dans ce podcast. Le lien, c'est du soin. Et le lien social nous répare parler aux autres. Au contraire, la difficulté... est encouragé lorsque la personne évite le sujet parce qu'il ne sait pas quoi dire ? Et pour tous ceux qui ont été blessés physiquement, mais qui ont tout vu ou qui ont tout entendu, qu'est-ce qui peut les aider à tenir, à aller mieux dans la durée ?
- Speaker #0
Je pense que c'est un mélange de plein de choses, d'informations qui sont fiables, de soutien, on l'a dit, au quotidien, et aussi de stabilité psychologique. les personnes qui sentent encore des... manifestations intérieures plusieurs années après, en général, elles décrivent souvent trois choses. D'abord, c'est l'isolement qui est important, tu l'as dit, le lien, le lien de soins. Et l'isolement va exacerber justement ces particularités, ces symptômes. Le deuxième, c'est l'absence de reconnaissance de ce qu'elles ont vécu. Ça, c'est absolument dramatique. Et le troisième point, c'est la persistance des images, des événements, des traumatismes qu'elles n'ont pas pu intégrer.
- Speaker #1
Alors, n'hésitez pas si vous êtes concerné à rejoindre des associations et elles sont nombreuses pour parler ensemble et partager ensemble de ce que vous avez vécu. Et puis, n'hésitez pas non plus à consulter un professionnel de santé mentale. Certaines formes de psychothérapie, Fabrice, peuvent beaucoup aider les personnes. Quant à l'échelle collective, lorsqu'un attentat ne touche pas seulement des personnes, il imprime aussi un climat, une façon de regarder le monde, une façon de se parler en société. Qu'est-ce qui permet alors à une société de retrouver un équilibre, une dynamique positive ? On voit bien que dans le climat actuel, ce n'est pas toujours le cas.
- Speaker #0
Oui, c'est juste le cadre institutionnel déjà, les commémorations, on l'a dit, les cérémonies, les noms aussi des personnes victimes qui sont lues à voix haute. Ça donne une place à l'événement et à la mémoire nationale. Ça évite l'oubli. Ensuite, tu l'as dit juste avant, tu as raison, le rôle des associations, des collectifs, des victimes. qui permettent d'ouvrir un espace de dialogue, de prévention et aussi de compréhension. Ça, c'est absolument essentiel pour justement éviter que la peur ne s'installe et que les personnes s'enferment dans le silence.
- Speaker #1
Et puis, il y a aussi notre pays lui-même. La France de 2025 n'a plus la même sensibilité qu'en 2015. Comme tu le disais, elle a vécu d'autres crises, d'autres chocs, d'autres tensions. Et ça nous change notre regard à tous sur cet attentat, cette période d'attentat qui est inscrite dans nos mémoires collectives.
- Speaker #0
Oui, voilà, c'est ça. Dans un pays qui traverse plusieurs épreuves successives, chaque nouvelle crise va modifier la façon dont la précédente crise s'inscrit. L'attentat du 13 novembre 2015, il n'a pas disparu évidemment de la mémoire collective et nationale, mais bon, voilà, il ne domine plus le paysage émotionnel comme en 2016 ou comme en 2017. On voit apparaître finalement une sorte de maturité. L'événement, il est important, mais voilà, il s'inscrit dans une histoire qui est finalement plus large.
- Speaker #1
Alors Fabrice, pour conclure... Je vous compose de nous quitter avec une note positive qui va tous nous inspirer. Au-delà des apparences, c'est le titre d'un livre des raisons d'être optimiste en France. C'est Brice Canturier et ses équipes, qui sont les directeurs généraux des instituts de sondage Ipsos, qui nous disent que 73% des Français se déclarent... Et ce n'est pas si mal de l'entendre avec tout ce que nous avons traversé, tout ce que nous avons vécu comme traumatismes individuels et collectifs, ce sur quoi tu nous as éclairé. Et ça nous interpelle que malgré tout cela, il y a peut-être un mot qui est celui de la résilience, cher à Boris Sionik. Je crois que c'est une belle note pour terminer, Fabrice.
- Speaker #0
C'est une note d'optimisme, effectivement. On n'aurait pas nécessairement cru ce pourcentage-là. pas nécessairement imaginer dans le contexte ambiant un peu morose. Mais bon, effectivement, tant mieux.
- Speaker #1
Je vous souhaite à toutes et à tous de belles journées. Et puis nous, nous nous retrouvons très prochainement pour un autre numéro de l'Actu en tête. Au revoir.
- Speaker #0
Merci encore et à très bientôt.