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L'envers du récit

Iulian Ghergut, otage oublié au Sahel : une enquête au dénouement inespéré

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24min |24/01/2024
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Description

L’envers du récit, saison 6, épisode 17.


Depuis le Burkina Faso et la Roumanie, les journalistes Ludivine Laniepce et Marine Leduc ont enquêté sur Iulian Ghergut, un ressortissant roumain enlevé le 4 avril 2015 au Sahel. Elles souhaitaient comprendre pourquoi le sort de cet otage laissait les autorités indifférentes, que ce soit en Roumanie, son pays natal, ou au Burkina Faso, où il travaillait.


Dans cet épisode, les deux journalistes nous racontent comment elles ont tenté de faire sortir de l’ombre Iulian Ghergut et reviennent sur sa libération le 9 août 2023, cinq mois après la publication de leur enquête dans "La Croix l’Hebdo".


► Retrouvez le reportage de Ludivine Laniepce et Marine Leduc : https://www.la-croix.com/Monde/Iulian-Ghergut-otage-oublie-portrait-dun-homme-dont-personne-parle-2023-03-16-1201259380


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Janvier 2024     


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • #0

    Le 9 août, je vais au marché à Bucarest et je reçois un appel d'un collègue journaliste roumain qui travaille pour l'AFP en Roumanie. Il me dit Marine, tu as vu, j'ai une super nouvelle, Julian a été libéré

  • #1

    En 2023, Ludivine Lanieps et Marine Leduc réalisent pour la Croix-Lépgeau une enquête sur Julian Gergout, un ressortissant roumain enlevé au Burkina Faso en 2015.

  • #0

    Leur but ?

  • #1

    Faire sortir de l'ombre cet otage dont le sort laisse les autorités indifférentes. Les deux journalistes ne se doutent pas des retombées que vont avoir leurs investigations. Dans ce podcast, un journaliste de la Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête, d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • #2

    Merci.

  • #3

    Je m'appelle Ludivine Lagneps, je suis journaliste et j'ai été correspondante pour la Croix au Burkina Faso de 2015 à 2023.

  • #0

    Je m'appelle Marine Leduc, je suis journaliste et je suis correspondante en Roumanie pour la Croix depuis 2021. Aujourd'hui, on va vous raconter une histoire croisée entre la Roumanie et le Burkina, celle de Julian Gergout, un Roumain qui, pour des raisons économiques, est parti vivre à l'étranger, au Royaume-Uni. Il a trouvé une opportunité au Burkina Faso, où à 39 ans, il a été enlevé le 4 avril 2015 par un groupe terroriste, et qui est resté en captivité pendant 8 ans au Sahel. On va raconter notre travail avec la Croix pour le faire sortir de l'ombre jusqu'à sa libération en 2023.

  • #3

    On est début 2022, je suis à Ouagadougou. Je suis installée au Burkina Faso depuis début 2015 et c'est aussi par hasard le moment où Yoliane a été enlevée le 4 avril. Et c'est peut-être pour cette raison que j'ai toujours eu Yoliane en tête. Les années passent, un an, deux ans, trois ans, et en 2022 je réalise qu'on va, entre guillemets, fêter le septième anniversaire de... de sa captivité et qui n'a aucun article récent sur lui, que ce soit au Burkina, en Roumanie ou en France. Alors qu'entre-temps, il y a eu d'autres otages occidentaux qui ont été pris en otage, qui sont extrêmement médiatisés et qui, pour la plupart, ont été libérés entre-temps. Et ce qui est assez terrible avec Julian, c'est que c'est l'otage occidental connu qui détient le plus long record de captivité dans le Sahel. Et cet homme est totalement négligé. Donc pour moi, il y a quelque chose qui est de l'ordre de l'injustice. Et bien entendu, en tant que journaliste, j'ai envie de savoir qui il est, pourquoi il n'est toujours pas libéré, et pourquoi il y a davantage de silence autour de lui. Donc j'en parle avec la rédaction de La Croix, qui adhère tout de suite à l'idée, et je contacte Marine dans la foulée, qui est aussi correspondante en Roumanie pour le journal. Et c'est comme ça qu'on commence à y travailler chacune dans notre pays respectif.

  • #0

    À partir de là, j'essaie de trouver les premiers contacts en Roumanie et donc de sa famille. Et parmi les seuls médias qui parlent de Yuliane, il y a ce journal qui s'appelle Libertata, qui est le plus lu en Roumanie. Et j'ai pu obtenir le contact d'un journaliste qui m'a ensuite donné le contact de la sœur de Yuliane. Et c'est à partir de là que j'ai pu commencer à parler avec la sœur qui vit à Rome depuis plus de 20 ans et qui est celle un peu qui porte la lutte. pour libérer son frère. Et donc, je l'ai appelée au téléphone. Elle était complètement heureuse de parler à un journaliste, notamment de la presse étrangère, de voir que son frère n'est pas oublié. Et on passe presque une heure et demie, deux heures au téléphone. Et c'est le premier contact qu'on a avec sa famille et qui va ensuite déboucher sur l'enquête qui va suivre. Et c'est par la sorte qu'on arrive à obtenir des contacts des proches de Julian. Ses amis, sa famille, dont ses parents qui habitent dans la campagne à 6h de Bucarest, mais aussi sa femme qui n'avait pas parlé à la presse ces 8 dernières années et qui, à ce moment-là, était d'accord pour parler avec des journalistes. Car pour eux, en fait, à ce moment-là, il y avait un peu cette envie de reprendre un peu la parole après 8 ans de silence parce que les autorités roumaines leur avaient dit de ne pas parler aux médias. Et à ce moment-là, il y avait cette idée de non, en fait, on n'a plus envie de se taire On veut parler de Julian et on veut faire en sorte d'avoir des nouvelles. Déjà, c'était le plus important parce qu'ils n'avaient reçu aucune nouvelle pendant huit ans. Et ensuite, d'essayer d'œuvrer à sa libération.

  • #3

    De mon côté, au Burkina, j'ai un peu la même démarche, c'est-à-dire que je relis un petit peu toute la littérature autour de Julian, que ce soit des rapports sécuritaires ou ce qui a pu être écrit dans les médias en 2015. Julian, c'est un Roumain qui travaille à cette époque-là depuis quelques années à Tombao, un petit village du Sahel dans l'extrême nord du Burkina. Il est agent de sécurité dans une mine qui appartient à un milliardaire roumano-australien. C'est une mine de manganèse qui est très importante dans le pays et qui est d'ailleurs certainement l'un des gisements les plus importants au monde. Son travail consiste à effectuer des patrouilles autour de la mine tous les jours, des patrouilles en brousse, aux mêmes horaires, sur le même itinéraire, donc on comprend quand même assez vite qu'il y a d'énormes failles de sécurité autour de cette mine, puisque si au Burkina, en 2015, tout va bien, à quelques kilomètres de là, au Mali, il y a des groupes terroristes, il y a déjà des attaques, Tombaos, c'est en plein Sahel, c'est dans le désert, il y a un petit peu de relief avec quelques collines. Il y a des troupeaux, des bergers, des villages qui sont disséminés un petit peu partout. Quelques pistes et une route principale, mais la frontière est extrêmement poreuse et tout le monde se voit, tout le monde s'observe, tout le monde sait qui passe et à quelle heure, de part et d'autre de la frontière. Et donc on a cette mine, on peut dire ouverte aux quatre vents, et donc autour de laquelle circulent ces patrouilles. et Julian en particulier. Et donc c'est à l'occasion d'une de ces patrouilles que Julian est enlevé par des hommes qui regagnent le Mali en quelques minutes à peine avec lui. Donc au fil des mois, j'arrive à identifier ces personnes, ces anciens collègues, ces amis, et j'arrive à entrer en contact avec eux pour qu'ils puissent me raconter eux aussi, pour la première fois, ce qui s'est passé ce jour-là, puisqu'ils ont tous été témoins directs de son enlèvement. Et je me rends compte qu'eux non plus, même s'ils ne sont pas très nombreux, ils n'ont jamais oublié Yoliane, et que cette date du 4 avril, c'est aussi un anniversaire dramatique pour eux, parce que non seulement ils ont perdu un ami ce jour-là, mais sont aussi des victimes collatérales de cet enlèvement. Et leur vie, à eux aussi, s'est effondrée. Parmi ceux qui étaient dans la voiture de Yoliane lors de son enlèvement, il y a par exemple un gendarme burkinabé qui a été criblé de balles, qui s'en est sorti miraculeusement, mais qui est lourdement handicapé aujourd'hui. Il y a également Abdoulaye, qui est son chauffeur, et qui lui aussi reçoit des balles, qui passe très près de la mort. Et ensuite, Abdoulaye perdra son travail au sein de la mine, Donc voilà, c'est plus que des témoins d'un enlèvement, c'est des gens dont la vie a été détruite par la suite. Le Burkina Faso, c'est un des pays parmi les plus pauvres, on l'appelle le pays des hommes intègres. Il se situe au cœur de l'Afrique de l'Ouest, entre deux géants, le Mali et le Niger. Ces trois pays sont des pays sahéliens. Et l'enlèvement de Yoliane en 2015 marque le premier fait terroriste qui est documenté, qui a été commis sur le territoire burkinabé. Pour résumer, on peut dire qu'il s'agit d'abord d'une contagion ou d'un débordement de la guerre au Mali. Et au fil des années, on assiste à l'émergence du terrorisme 100% burkinabé. Donc de 2015 à 2023, ce qui est compliqué pour moi, c'est que le pays sombre totalement. C'est une suite de crises sécuritaires, de crises politiques. J'ai connu pas moins de trois coups d'État pendant le temps que j'ai travaillé au Burkina. C'est de plus en plus difficile de travailler sur place, de se déplacer, d'avoir accès à certaines sources. Tout le monde vit un peu dans la peur. Et en tant que journaliste français, on est non seulement une cible de ces groupes terroristes, mais on est également dans le viseur des autorités. Dans le cadre de cette enquête, je n'ai pas pu effectuer tous les déplacements que j'aurais souhaité faire. A Tombaos, c'était totalement exclu, bien trop dangereux courant 2022. Je fais face aussi à des pressions indirectes de la part d'anciens cadres de cette mine, qui n'entendent pas du tout qu'on parle du cas de Yulian. Il y a également la pression des nouvelles autorités, surtout depuis le dernier coup d'État de septembre 2022, où les putschistes arrivés au pouvoir sont clairement hostiles aux Français, qu'ils soient militaires, diplomates ou journalistes. Et on sent déjà, en tant que journaliste français au Burkina, courant 2022, que notre temps sur place est peut-être compté et que c'est le moment ou jamais d'enquêter sur Julian et de mener ce travail sur place.

  • #0

    Ce qui était un peu difficile dans l'enquête, c'est qu'on faisait face à un mur des autorités roumaines qui ne voulaient pas parler aux journalistes, qui avaient juste un message officiel comme quoi il était vivant, mais qui ne pouvaient pas en dire plus. C'était un peu ce qui ressortait des paroles de la famille. C'était on se sent délaissé personne ne vient nous aider les anciens patrons de Julian ne nous ont pas soutenus jusqu'au bout les autorités ne nous donnent pas de nouvelles Et c'était ça aussi qu'on voulait aussi montrer dans le récit. C'était... À la fois que Julian était oublié, mais aussi que les proches se sentaient aussi oubliés. Et donc, travailler à deux, cela veut dire s'organiser sur différents points, se contacter régulièrement. Aujourd'hui, avec Internet, on a la chance de pouvoir utiliser des outils qui nous permettent de collaborer directement en ligne. Et donc, on a rassemblé toutes nos interviews, documents dans les mêmes dossiers. Ça nous a permis d'avancer, de faire des points et ensuite de commencer l'écriture à quatre mains, qui au final s'est révélée plus simple qu'on imaginait. On avait déjà établi un plan, on avait chacune notre partie, donc on a réussi à écrire le reportage chacune de notre côté, avec un style assez similaire, et ça ne nous a pas trop posé de problème.

  • #3

    Travailler à deux, dans deux pays différents, éloignés de plusieurs milliers de kilomètres, ça demande d'être en contact constant, d'échanger les informations, les dire des uns et des autres, de nos différents interlocuteurs, de croiser les informations.

  • #0

    En fait, ce qui était un peu difficile, je pense pour nous, c'était de parler de quelqu'un qu'on n'avait jamais rencontré, alors que dans notre travail habituel, on rencontre la personne, on fait un portrait de la personne qu'on a en face de nous, on la décrit. On décrit un peu sa personnalité. Là, on avait juste les paroles de ses proches, de ses amis, des gens qu'il avait rencontrés. Et donc, on a essayé de faire le portrait d'une personne qu'on n'avait jamais rencontrée à travers les paroles des autres. Finalement, la description que les gens avaient de lui au Burkina et aussi en Roumanie était très similaire. Quelqu'un de doux, attentionné, de très généreux. Donc, on a réussi à... à faire ce portrait sans difficulté et tout concorder, que ce soit au Burkina ou en Roumanie. On travaille plusieurs mois sur ce sujet. Ça a commencé en avril 2022 et la publication a lieu le 18 mars 2023. Donc c'est quasiment un an d'enquête. Et donc le 18 mars 2023, je suis à Rome pour des vacances et je rencontre en fait la sœur de Yuliane pour la première fois. Je l'avais seulement eue au téléphone parce qu'elle vit à Rome, elle y travaille. Et donc je lui annonce que l'article va être publié et on parle pendant plusieurs heures de Yuliane. Elle me dit que la publication, ça la motive de continuer à se battre pour sa libération. Et donc l'article est publié le 18 mars pour le numéro de la Croix-Lébdo. Et deux jours après, il y a une nouvelle assez surprenante. La libération du journaliste français Olivier Dubois et de l'américain Jeffrey Woodcut. Olivier Dubois avait été enlevé deux ans auparavant au Sahel et Jeffrey Woodcut sept ans auparavant. Donc cette libération, elle intervient deux jours après la publication et c'est une coïncidence assez incroyable. Ça a une résonance particulière avec le cas de Julian. Déjà, ça fait que l'histoire qu'on a publiée deux jours auparavant a plus d'impact. Ça remet en lumière sa situation et aussi le fait que ces otages pourraient l'avoir rencontrée. À ce moment-là, la famille Julianne tout de suite parle d'un miracle et s'active pour pouvoir contacter les autorités roumaines. Et ensuite, l'Américain Jeffrey Woodke, dans une conférence de presse, va mentionner Julianne. Il va dire qu'il va passer le reste de sa vie. à se battre pour libérer les otages qui restent dans le Sahel. Jeffrey Woodcut a aussi contacté la famille en leur disant qu'il allait aussi travailler avec des autorités roumaines, avec des autorités sur place, leurs contacts dans le Sahel, pour œuvrer à la libération des otages qui restent, dont Julian. Tout ça, après la publication, a fait que beaucoup de choses se passaient et donnaient un peu d'espoir quant à sa libération. Aussi, grâce à la publication de l'article, le cas de Julian a été mentionné dans les médias en Roumanie qui n'avaient pas parlé de Julian Gergout depuis des années, notamment dans un des médias les plus lus en Roumanie. Et c'est ce qui a motivé la famille à insister auprès des autorités pour avoir des nouvelles de Julian. Et les autorités les avaient enfin reçues après plusieurs années de demandes. Et les autorités ont montré à la famille une vidéo de Julian encore en vie qui datait de 2021. Ils avaient des nouvelles de Julian par les autorités roumaines, qu'il était en bonne santé, qu'il était vivant, par les otages qui avaient été libérés. Tout de suite, pour la famille, il y avait vraiment une porte qui s'ouvrait et qui leur redonnait de l'espoir pour Julian Gerguts.

  • #3

    On sait que notre enquête a été lue dans plusieurs pays, dans des cercles diplomatiques. On a eu beaucoup de messages en retour de lecteurs qui ont été touchés par cette histoire et qui nous ont remercié de ne pas oublier cet homme. Et après la publication courant 2023, d'un côté j'ai de l'espoir que Julian soit le prochain à être libéré, et de l'autre j'ai des doutes parce que la situation sécuritaire et politique du Mali, du Burkina, et surtout du Niger avec le renversement de Mohamed Bazoum, qui était médiateur bien connu dans la libération des otages occidentaux, je crains que ces crises et le départ de Bazoum... ne relègue encore Yulian au dernier plan.

  • #0

    Je me souviens à ce moment-là, on s'est écrits et on se disait justement, c'est foutu pour Yulian, il n'y a plus de chance de libération s'il n'y a plus de possibilité de négocier à travers le Niger. On avait perdu un peu espoir à ce moment-là, fin juillet. Et donc le 9 août, je me souviens, je vais au marché à Bucarest et je reçois un appel d'un collègue journaliste roumain qui travaille pour l'AFP en Roumanie. Il me dit Non mais Marine, tu as vu, j'ai une super nouvelle, Julian, il a été libéré. Et là, sur le coup, je n'arrive pas trop à réaliser, mais comment ça, il est libéré, qu'est-ce qu'il y a ? Il fait Ouais, il est libéré, il est en Roumanie, même en ce moment. Et là, je me dis, mais comment c'est possible ? Ils m'envoient le communiqué de presse du ministère des Affaires étrangères. Et en effet, le ministère des Affaires étrangères félicite les autorités roumaines et aussi les autorités marocaines. Ce qui veut dire que le Maroc a eu un rôle important dans la libération de Julian. Et que Julian Gergoud, ce citoyen roumain, se trouvait actuellement sur le territoire roumain. Donc là, tout de suite, j'appelle Ludivine, je lui annonce la nouvelle et on n'arrive pas à y croire. C'est incroyable pour nous, on ne s'attendait plus à ce que ça arrive aussi rapidement. C'était vraiment très émouvant. Et après Ludivine, j'appelle donc la sœur en me disant qu'elle est au courant forcément. C'est son frère, la famille a dû être prévenue. Donc je lui dis tout de suite, oh mais c'est formidable, quelle bonne nouvelle. Et elle me dit, mais quoi, qu'est-ce qui se passe ? Et là je lui dis, mais vous ne savez pas que Julian a été libéré et qu'il est en Roumanie ? Elle me dit, mais non, mais non, je ne sais pas. Et elle se met à pleurer de joie en fait. Et en même temps un peu en colère en me disant, mais ce n'est pas possible, ils n'ont pas prévenu la famille. Ça montre encore à quel point les autorités roumaines n'ont pas forcément eu de tact jusqu'au bout avec la famille de Julian. Mais au moins, c'était une bonne nouvelle, elle était émue et on n'arrivait pas trop à y croire à ce moment-là. Donc Julian a été libéré. Et par la suite, j'ai le contact de son frère qui m'appelle, qui me dit qu'il est à Bucarest pour voir Julian. Malheureusement, la famille n'est pas encore autorisée à le voir pendant les deux, trois premiers jours. Ils sont un peu harcelés par les journalistes aussi. C'est pour éviter qu'il y ait trop de journalistes autour. Je ne sais pas trop en fait quelle est la situation à ce moment-là. Mais ce qu'on sait, c'est qu'il est donc à l'hôpital militaire de Bucarest. Donc je rencontre son frère. Je suis dans un café à Bucarest et son frère attend un appel de Julian. Et quand je suis là, il reçoit l'appel. Il est très ému. Et j'entends donc la voix de Julian, de cette personne sur laquelle on a travaillé pendant un an. Voilà, j'entends qu'il parle roumain, une langue qu'il n'a pas parlé depuis huit ans, sa langue maternelle. Son frère lui demande s'il va bien. Il dit qu'il va très bien, qu'il est en bonne santé. Il dit à son frère aussi de plutôt que de rester à Bucarest, de retourner chez leurs parents à six heures de Bucarest. Et son frère ensuite raccroche et il me dit, il était très ému, il me dit ça va j'étais bien et il était là mais c'est étrange de lui parler 8 ans après, c'est mon frère et il a l'air d'aller bien.

  • #3

    Quelques jours après le retour de Yoliane en Roumanie, on a une fenêtre pour aller le voir. On est invité par sa famille. Je saute littéralement dans un avion. Et après quelques heures de voyage et une nuit blanche, je rejoins Marine à Bucarest. Et on part en train pour aller les rejoindre. Et je crois que je n'oublierai jamais ce moment où il fait nuit, il est assez tard. On est dans la... Dans la campagne roumaine, et on arrive sur ce quai de gare absolument désert, on retrouve le frère de Julian qui vient nous accueillir. On est en train de discuter, et le plus naturellement du monde, il nous dit mais Julian est juste là derrière, il est au téléphone Et on tourne la tête, et on le voit en chair et en os à quelques mètres de nous. Et quelques secondes après, il nous rejoint, il nous salue. Je ne saurais pas vous décrire ce qui se passe à ce moment-là, mais voilà, vous l'avez en face de vous. C'est un homme, comme il nous a dit en rigolant plus tard, vous, vous me connaissez, mais moi, je ne vous connais pas. On a là devant nous un homme qu'on a l'impression de connaître par cœur, sur qui on a travaillé pendant un an. On a été en contact permanent avec les gens qui sont les plus proches de lui. Et il est là, sous sa casquette, en train de nous saluer, dans un grand sourire. Et il va bien, il est vif, c'est énormément d'émotions à ce moment-là et on a la chance de pouvoir passer quelques jours avec lui et faire connaissance véritablement.

  • #0

    Comme ses proches le décrivaient quand on réalisait les interviews, c'est quelqu'un de très calme, très doux et très généreux.

  • #3

    Yulian est une personne d'une grande profondeur, d'une extrême culture. et qui a beaucoup d'humour. Le portrait qu'on nous avait fait de lui a été tout à fait fidèle. Julian, finalement, a passé autant de temps que moi en Afrique de l'Ouest. Et quand on se retrouve en Roumanie, il parle français, entre guillemets, comme un burkinabé. Et je parle aussi français, quelque part, comme une burkinabé. On a de très longs échanges en français tous les deux. Et je sens qu'il a envie de parler de l'Afrique, déjà, et qu'il en a encore besoin. Qu'il n'est pas tout à fait sorti de cette bulle, de ce qu'il a vécu. Quelque part, je dirais qu'il y a un lien particulier qui se noue entre nous deux par l'Afrique, par notre expérience, par ce qu'on y a vu, ce qu'on y a vécu. Et oui, je sens qu'il a encore besoin d'en parler.

  • #0

    Donc on a été accueillis par sa famille pendant ces deux, trois jours sur place. Et ce qu'on peut dire, c'est qu'il est bien entouré. Il a cinq frères et soeurs, il a des parents qui sont très attendrissants. Et une de ses sœurs, quand on est partis, nous a dit Votre article a aidé à sa libération. Et pour nous, c'était un peu fort de se dire que notre travail aurait aidé à sa libération. Donc j'ai dit, bon, peut-être que c'est un peu exagéré. Elle dit non, non, en tout cas, pour nous, la famille, c'est ce qui nous a motivés à nous battre. Surtout Elvira, donc la sœur qui vit en Italie. C'est surtout pour elle que ça a été très important. Et pour nous aussi. Et donc, ce que vous avez fait, ça a été vraiment très important pour la famille et pour Yoliane.

  • #3

    Je suis persuadée que la publication de notre travail sur Yulian a contribué même infiniment. Et infiniment, c'est déjà énorme quand on parle de la vie d'un homme, à faire bouger les lignes. Je suis très fière de notre travail parce qu'on a remis les victimes, et pas seulement que Yulian, on a remis toutes les victimes au centre de cette histoire. On leur a rendu leur dignité, je crois, dans des systèmes sécuritaires, politiques et économiques qui broient les gens. C'est une histoire qui me marquera aussi à titre personnel parce qu'elle a commencé l'année de mon arrivée au Burkina et elle se termine l'année où j'ai décidé de quitter le pays. Julian est enlevé en 2015, il est libéré en 2023, j'arrive au Burkina en 2015, j'en repars en 2023, donc quelque part la boucle est bouclée en ce qui me concerne. Et j'aimerais aussi que cet exemple... modestement bien sûr, mais puis s'inspirer des journalistes, des jeunes journalistes en particulier, que ça puisse leur montrer qu'on ne sait jamais jusqu'où une histoire peut nous entraîner, on ne soupçonne jamais assez de l'influence qu'on peut avoir, et bien sûr il faut en user, et qu'il n'y a rien de plus gratifiant que la satisfaction de voir que ce qu'on fait a du sens.

  • #0

    En tant que journaliste, il y a des gens qui nous marquent, il y a des gens qui font partie de notre vie pendant des années, et là on peut dire que Yuliane et sa famille font maintenant... partie de notre vie et qu'on va rester en contact avec eux. Là, j'ai encore eu récemment des nouvelles. Il a vu sa sœur en Italie pour la première fois parce qu'elle n'a pas pu se rendre en Roumanie. Il a rencontré un ancien otage, le père Macali, et je pense qu'il y aura une suite.

  • #1

    on ne vous en dit pas plus mais il y aura une suite à cette histoire vous venez d'écouter un épisode de l'envers du récit n'hésitez pas à le partager et à vous abonner à notre podcast L'enquête de Ludivine Lanieps et Marine Leduc est à lire sur le site et l'appli La Croix. Vous trouverez le lien dans le texte de description qui accompagne ce podcast. L'Envers du récit est un podcast original du quotidien La Croix.

Description

L’envers du récit, saison 6, épisode 17.


Depuis le Burkina Faso et la Roumanie, les journalistes Ludivine Laniepce et Marine Leduc ont enquêté sur Iulian Ghergut, un ressortissant roumain enlevé le 4 avril 2015 au Sahel. Elles souhaitaient comprendre pourquoi le sort de cet otage laissait les autorités indifférentes, que ce soit en Roumanie, son pays natal, ou au Burkina Faso, où il travaillait.


Dans cet épisode, les deux journalistes nous racontent comment elles ont tenté de faire sortir de l’ombre Iulian Ghergut et reviennent sur sa libération le 9 août 2023, cinq mois après la publication de leur enquête dans "La Croix l’Hebdo".


► Retrouvez le reportage de Ludivine Laniepce et Marine Leduc : https://www.la-croix.com/Monde/Iulian-Ghergut-otage-oublie-portrait-dun-homme-dont-personne-parle-2023-03-16-1201259380


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Janvier 2024     


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • #0

    Le 9 août, je vais au marché à Bucarest et je reçois un appel d'un collègue journaliste roumain qui travaille pour l'AFP en Roumanie. Il me dit Marine, tu as vu, j'ai une super nouvelle, Julian a été libéré

  • #1

    En 2023, Ludivine Lanieps et Marine Leduc réalisent pour la Croix-Lépgeau une enquête sur Julian Gergout, un ressortissant roumain enlevé au Burkina Faso en 2015.

  • #0

    Leur but ?

  • #1

    Faire sortir de l'ombre cet otage dont le sort laisse les autorités indifférentes. Les deux journalistes ne se doutent pas des retombées que vont avoir leurs investigations. Dans ce podcast, un journaliste de la Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête, d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • #2

    Merci.

  • #3

    Je m'appelle Ludivine Lagneps, je suis journaliste et j'ai été correspondante pour la Croix au Burkina Faso de 2015 à 2023.

  • #0

    Je m'appelle Marine Leduc, je suis journaliste et je suis correspondante en Roumanie pour la Croix depuis 2021. Aujourd'hui, on va vous raconter une histoire croisée entre la Roumanie et le Burkina, celle de Julian Gergout, un Roumain qui, pour des raisons économiques, est parti vivre à l'étranger, au Royaume-Uni. Il a trouvé une opportunité au Burkina Faso, où à 39 ans, il a été enlevé le 4 avril 2015 par un groupe terroriste, et qui est resté en captivité pendant 8 ans au Sahel. On va raconter notre travail avec la Croix pour le faire sortir de l'ombre jusqu'à sa libération en 2023.

  • #3

    On est début 2022, je suis à Ouagadougou. Je suis installée au Burkina Faso depuis début 2015 et c'est aussi par hasard le moment où Yoliane a été enlevée le 4 avril. Et c'est peut-être pour cette raison que j'ai toujours eu Yoliane en tête. Les années passent, un an, deux ans, trois ans, et en 2022 je réalise qu'on va, entre guillemets, fêter le septième anniversaire de... de sa captivité et qui n'a aucun article récent sur lui, que ce soit au Burkina, en Roumanie ou en France. Alors qu'entre-temps, il y a eu d'autres otages occidentaux qui ont été pris en otage, qui sont extrêmement médiatisés et qui, pour la plupart, ont été libérés entre-temps. Et ce qui est assez terrible avec Julian, c'est que c'est l'otage occidental connu qui détient le plus long record de captivité dans le Sahel. Et cet homme est totalement négligé. Donc pour moi, il y a quelque chose qui est de l'ordre de l'injustice. Et bien entendu, en tant que journaliste, j'ai envie de savoir qui il est, pourquoi il n'est toujours pas libéré, et pourquoi il y a davantage de silence autour de lui. Donc j'en parle avec la rédaction de La Croix, qui adhère tout de suite à l'idée, et je contacte Marine dans la foulée, qui est aussi correspondante en Roumanie pour le journal. Et c'est comme ça qu'on commence à y travailler chacune dans notre pays respectif.

  • #0

    À partir de là, j'essaie de trouver les premiers contacts en Roumanie et donc de sa famille. Et parmi les seuls médias qui parlent de Yuliane, il y a ce journal qui s'appelle Libertata, qui est le plus lu en Roumanie. Et j'ai pu obtenir le contact d'un journaliste qui m'a ensuite donné le contact de la sœur de Yuliane. Et c'est à partir de là que j'ai pu commencer à parler avec la sœur qui vit à Rome depuis plus de 20 ans et qui est celle un peu qui porte la lutte. pour libérer son frère. Et donc, je l'ai appelée au téléphone. Elle était complètement heureuse de parler à un journaliste, notamment de la presse étrangère, de voir que son frère n'est pas oublié. Et on passe presque une heure et demie, deux heures au téléphone. Et c'est le premier contact qu'on a avec sa famille et qui va ensuite déboucher sur l'enquête qui va suivre. Et c'est par la sorte qu'on arrive à obtenir des contacts des proches de Julian. Ses amis, sa famille, dont ses parents qui habitent dans la campagne à 6h de Bucarest, mais aussi sa femme qui n'avait pas parlé à la presse ces 8 dernières années et qui, à ce moment-là, était d'accord pour parler avec des journalistes. Car pour eux, en fait, à ce moment-là, il y avait un peu cette envie de reprendre un peu la parole après 8 ans de silence parce que les autorités roumaines leur avaient dit de ne pas parler aux médias. Et à ce moment-là, il y avait cette idée de non, en fait, on n'a plus envie de se taire On veut parler de Julian et on veut faire en sorte d'avoir des nouvelles. Déjà, c'était le plus important parce qu'ils n'avaient reçu aucune nouvelle pendant huit ans. Et ensuite, d'essayer d'œuvrer à sa libération.

  • #3

    De mon côté, au Burkina, j'ai un peu la même démarche, c'est-à-dire que je relis un petit peu toute la littérature autour de Julian, que ce soit des rapports sécuritaires ou ce qui a pu être écrit dans les médias en 2015. Julian, c'est un Roumain qui travaille à cette époque-là depuis quelques années à Tombao, un petit village du Sahel dans l'extrême nord du Burkina. Il est agent de sécurité dans une mine qui appartient à un milliardaire roumano-australien. C'est une mine de manganèse qui est très importante dans le pays et qui est d'ailleurs certainement l'un des gisements les plus importants au monde. Son travail consiste à effectuer des patrouilles autour de la mine tous les jours, des patrouilles en brousse, aux mêmes horaires, sur le même itinéraire, donc on comprend quand même assez vite qu'il y a d'énormes failles de sécurité autour de cette mine, puisque si au Burkina, en 2015, tout va bien, à quelques kilomètres de là, au Mali, il y a des groupes terroristes, il y a déjà des attaques, Tombaos, c'est en plein Sahel, c'est dans le désert, il y a un petit peu de relief avec quelques collines. Il y a des troupeaux, des bergers, des villages qui sont disséminés un petit peu partout. Quelques pistes et une route principale, mais la frontière est extrêmement poreuse et tout le monde se voit, tout le monde s'observe, tout le monde sait qui passe et à quelle heure, de part et d'autre de la frontière. Et donc on a cette mine, on peut dire ouverte aux quatre vents, et donc autour de laquelle circulent ces patrouilles. et Julian en particulier. Et donc c'est à l'occasion d'une de ces patrouilles que Julian est enlevé par des hommes qui regagnent le Mali en quelques minutes à peine avec lui. Donc au fil des mois, j'arrive à identifier ces personnes, ces anciens collègues, ces amis, et j'arrive à entrer en contact avec eux pour qu'ils puissent me raconter eux aussi, pour la première fois, ce qui s'est passé ce jour-là, puisqu'ils ont tous été témoins directs de son enlèvement. Et je me rends compte qu'eux non plus, même s'ils ne sont pas très nombreux, ils n'ont jamais oublié Yoliane, et que cette date du 4 avril, c'est aussi un anniversaire dramatique pour eux, parce que non seulement ils ont perdu un ami ce jour-là, mais sont aussi des victimes collatérales de cet enlèvement. Et leur vie, à eux aussi, s'est effondrée. Parmi ceux qui étaient dans la voiture de Yoliane lors de son enlèvement, il y a par exemple un gendarme burkinabé qui a été criblé de balles, qui s'en est sorti miraculeusement, mais qui est lourdement handicapé aujourd'hui. Il y a également Abdoulaye, qui est son chauffeur, et qui lui aussi reçoit des balles, qui passe très près de la mort. Et ensuite, Abdoulaye perdra son travail au sein de la mine, Donc voilà, c'est plus que des témoins d'un enlèvement, c'est des gens dont la vie a été détruite par la suite. Le Burkina Faso, c'est un des pays parmi les plus pauvres, on l'appelle le pays des hommes intègres. Il se situe au cœur de l'Afrique de l'Ouest, entre deux géants, le Mali et le Niger. Ces trois pays sont des pays sahéliens. Et l'enlèvement de Yoliane en 2015 marque le premier fait terroriste qui est documenté, qui a été commis sur le territoire burkinabé. Pour résumer, on peut dire qu'il s'agit d'abord d'une contagion ou d'un débordement de la guerre au Mali. Et au fil des années, on assiste à l'émergence du terrorisme 100% burkinabé. Donc de 2015 à 2023, ce qui est compliqué pour moi, c'est que le pays sombre totalement. C'est une suite de crises sécuritaires, de crises politiques. J'ai connu pas moins de trois coups d'État pendant le temps que j'ai travaillé au Burkina. C'est de plus en plus difficile de travailler sur place, de se déplacer, d'avoir accès à certaines sources. Tout le monde vit un peu dans la peur. Et en tant que journaliste français, on est non seulement une cible de ces groupes terroristes, mais on est également dans le viseur des autorités. Dans le cadre de cette enquête, je n'ai pas pu effectuer tous les déplacements que j'aurais souhaité faire. A Tombaos, c'était totalement exclu, bien trop dangereux courant 2022. Je fais face aussi à des pressions indirectes de la part d'anciens cadres de cette mine, qui n'entendent pas du tout qu'on parle du cas de Yulian. Il y a également la pression des nouvelles autorités, surtout depuis le dernier coup d'État de septembre 2022, où les putschistes arrivés au pouvoir sont clairement hostiles aux Français, qu'ils soient militaires, diplomates ou journalistes. Et on sent déjà, en tant que journaliste français au Burkina, courant 2022, que notre temps sur place est peut-être compté et que c'est le moment ou jamais d'enquêter sur Julian et de mener ce travail sur place.

  • #0

    Ce qui était un peu difficile dans l'enquête, c'est qu'on faisait face à un mur des autorités roumaines qui ne voulaient pas parler aux journalistes, qui avaient juste un message officiel comme quoi il était vivant, mais qui ne pouvaient pas en dire plus. C'était un peu ce qui ressortait des paroles de la famille. C'était on se sent délaissé personne ne vient nous aider les anciens patrons de Julian ne nous ont pas soutenus jusqu'au bout les autorités ne nous donnent pas de nouvelles Et c'était ça aussi qu'on voulait aussi montrer dans le récit. C'était... À la fois que Julian était oublié, mais aussi que les proches se sentaient aussi oubliés. Et donc, travailler à deux, cela veut dire s'organiser sur différents points, se contacter régulièrement. Aujourd'hui, avec Internet, on a la chance de pouvoir utiliser des outils qui nous permettent de collaborer directement en ligne. Et donc, on a rassemblé toutes nos interviews, documents dans les mêmes dossiers. Ça nous a permis d'avancer, de faire des points et ensuite de commencer l'écriture à quatre mains, qui au final s'est révélée plus simple qu'on imaginait. On avait déjà établi un plan, on avait chacune notre partie, donc on a réussi à écrire le reportage chacune de notre côté, avec un style assez similaire, et ça ne nous a pas trop posé de problème.

  • #3

    Travailler à deux, dans deux pays différents, éloignés de plusieurs milliers de kilomètres, ça demande d'être en contact constant, d'échanger les informations, les dire des uns et des autres, de nos différents interlocuteurs, de croiser les informations.

  • #0

    En fait, ce qui était un peu difficile, je pense pour nous, c'était de parler de quelqu'un qu'on n'avait jamais rencontré, alors que dans notre travail habituel, on rencontre la personne, on fait un portrait de la personne qu'on a en face de nous, on la décrit. On décrit un peu sa personnalité. Là, on avait juste les paroles de ses proches, de ses amis, des gens qu'il avait rencontrés. Et donc, on a essayé de faire le portrait d'une personne qu'on n'avait jamais rencontrée à travers les paroles des autres. Finalement, la description que les gens avaient de lui au Burkina et aussi en Roumanie était très similaire. Quelqu'un de doux, attentionné, de très généreux. Donc, on a réussi à... à faire ce portrait sans difficulté et tout concorder, que ce soit au Burkina ou en Roumanie. On travaille plusieurs mois sur ce sujet. Ça a commencé en avril 2022 et la publication a lieu le 18 mars 2023. Donc c'est quasiment un an d'enquête. Et donc le 18 mars 2023, je suis à Rome pour des vacances et je rencontre en fait la sœur de Yuliane pour la première fois. Je l'avais seulement eue au téléphone parce qu'elle vit à Rome, elle y travaille. Et donc je lui annonce que l'article va être publié et on parle pendant plusieurs heures de Yuliane. Elle me dit que la publication, ça la motive de continuer à se battre pour sa libération. Et donc l'article est publié le 18 mars pour le numéro de la Croix-Lébdo. Et deux jours après, il y a une nouvelle assez surprenante. La libération du journaliste français Olivier Dubois et de l'américain Jeffrey Woodcut. Olivier Dubois avait été enlevé deux ans auparavant au Sahel et Jeffrey Woodcut sept ans auparavant. Donc cette libération, elle intervient deux jours après la publication et c'est une coïncidence assez incroyable. Ça a une résonance particulière avec le cas de Julian. Déjà, ça fait que l'histoire qu'on a publiée deux jours auparavant a plus d'impact. Ça remet en lumière sa situation et aussi le fait que ces otages pourraient l'avoir rencontrée. À ce moment-là, la famille Julianne tout de suite parle d'un miracle et s'active pour pouvoir contacter les autorités roumaines. Et ensuite, l'Américain Jeffrey Woodke, dans une conférence de presse, va mentionner Julianne. Il va dire qu'il va passer le reste de sa vie. à se battre pour libérer les otages qui restent dans le Sahel. Jeffrey Woodcut a aussi contacté la famille en leur disant qu'il allait aussi travailler avec des autorités roumaines, avec des autorités sur place, leurs contacts dans le Sahel, pour œuvrer à la libération des otages qui restent, dont Julian. Tout ça, après la publication, a fait que beaucoup de choses se passaient et donnaient un peu d'espoir quant à sa libération. Aussi, grâce à la publication de l'article, le cas de Julian a été mentionné dans les médias en Roumanie qui n'avaient pas parlé de Julian Gergout depuis des années, notamment dans un des médias les plus lus en Roumanie. Et c'est ce qui a motivé la famille à insister auprès des autorités pour avoir des nouvelles de Julian. Et les autorités les avaient enfin reçues après plusieurs années de demandes. Et les autorités ont montré à la famille une vidéo de Julian encore en vie qui datait de 2021. Ils avaient des nouvelles de Julian par les autorités roumaines, qu'il était en bonne santé, qu'il était vivant, par les otages qui avaient été libérés. Tout de suite, pour la famille, il y avait vraiment une porte qui s'ouvrait et qui leur redonnait de l'espoir pour Julian Gerguts.

  • #3

    On sait que notre enquête a été lue dans plusieurs pays, dans des cercles diplomatiques. On a eu beaucoup de messages en retour de lecteurs qui ont été touchés par cette histoire et qui nous ont remercié de ne pas oublier cet homme. Et après la publication courant 2023, d'un côté j'ai de l'espoir que Julian soit le prochain à être libéré, et de l'autre j'ai des doutes parce que la situation sécuritaire et politique du Mali, du Burkina, et surtout du Niger avec le renversement de Mohamed Bazoum, qui était médiateur bien connu dans la libération des otages occidentaux, je crains que ces crises et le départ de Bazoum... ne relègue encore Yulian au dernier plan.

  • #0

    Je me souviens à ce moment-là, on s'est écrits et on se disait justement, c'est foutu pour Yulian, il n'y a plus de chance de libération s'il n'y a plus de possibilité de négocier à travers le Niger. On avait perdu un peu espoir à ce moment-là, fin juillet. Et donc le 9 août, je me souviens, je vais au marché à Bucarest et je reçois un appel d'un collègue journaliste roumain qui travaille pour l'AFP en Roumanie. Il me dit Non mais Marine, tu as vu, j'ai une super nouvelle, Julian, il a été libéré. Et là, sur le coup, je n'arrive pas trop à réaliser, mais comment ça, il est libéré, qu'est-ce qu'il y a ? Il fait Ouais, il est libéré, il est en Roumanie, même en ce moment. Et là, je me dis, mais comment c'est possible ? Ils m'envoient le communiqué de presse du ministère des Affaires étrangères. Et en effet, le ministère des Affaires étrangères félicite les autorités roumaines et aussi les autorités marocaines. Ce qui veut dire que le Maroc a eu un rôle important dans la libération de Julian. Et que Julian Gergoud, ce citoyen roumain, se trouvait actuellement sur le territoire roumain. Donc là, tout de suite, j'appelle Ludivine, je lui annonce la nouvelle et on n'arrive pas à y croire. C'est incroyable pour nous, on ne s'attendait plus à ce que ça arrive aussi rapidement. C'était vraiment très émouvant. Et après Ludivine, j'appelle donc la sœur en me disant qu'elle est au courant forcément. C'est son frère, la famille a dû être prévenue. Donc je lui dis tout de suite, oh mais c'est formidable, quelle bonne nouvelle. Et elle me dit, mais quoi, qu'est-ce qui se passe ? Et là je lui dis, mais vous ne savez pas que Julian a été libéré et qu'il est en Roumanie ? Elle me dit, mais non, mais non, je ne sais pas. Et elle se met à pleurer de joie en fait. Et en même temps un peu en colère en me disant, mais ce n'est pas possible, ils n'ont pas prévenu la famille. Ça montre encore à quel point les autorités roumaines n'ont pas forcément eu de tact jusqu'au bout avec la famille de Julian. Mais au moins, c'était une bonne nouvelle, elle était émue et on n'arrivait pas trop à y croire à ce moment-là. Donc Julian a été libéré. Et par la suite, j'ai le contact de son frère qui m'appelle, qui me dit qu'il est à Bucarest pour voir Julian. Malheureusement, la famille n'est pas encore autorisée à le voir pendant les deux, trois premiers jours. Ils sont un peu harcelés par les journalistes aussi. C'est pour éviter qu'il y ait trop de journalistes autour. Je ne sais pas trop en fait quelle est la situation à ce moment-là. Mais ce qu'on sait, c'est qu'il est donc à l'hôpital militaire de Bucarest. Donc je rencontre son frère. Je suis dans un café à Bucarest et son frère attend un appel de Julian. Et quand je suis là, il reçoit l'appel. Il est très ému. Et j'entends donc la voix de Julian, de cette personne sur laquelle on a travaillé pendant un an. Voilà, j'entends qu'il parle roumain, une langue qu'il n'a pas parlé depuis huit ans, sa langue maternelle. Son frère lui demande s'il va bien. Il dit qu'il va très bien, qu'il est en bonne santé. Il dit à son frère aussi de plutôt que de rester à Bucarest, de retourner chez leurs parents à six heures de Bucarest. Et son frère ensuite raccroche et il me dit, il était très ému, il me dit ça va j'étais bien et il était là mais c'est étrange de lui parler 8 ans après, c'est mon frère et il a l'air d'aller bien.

  • #3

    Quelques jours après le retour de Yoliane en Roumanie, on a une fenêtre pour aller le voir. On est invité par sa famille. Je saute littéralement dans un avion. Et après quelques heures de voyage et une nuit blanche, je rejoins Marine à Bucarest. Et on part en train pour aller les rejoindre. Et je crois que je n'oublierai jamais ce moment où il fait nuit, il est assez tard. On est dans la... Dans la campagne roumaine, et on arrive sur ce quai de gare absolument désert, on retrouve le frère de Julian qui vient nous accueillir. On est en train de discuter, et le plus naturellement du monde, il nous dit mais Julian est juste là derrière, il est au téléphone Et on tourne la tête, et on le voit en chair et en os à quelques mètres de nous. Et quelques secondes après, il nous rejoint, il nous salue. Je ne saurais pas vous décrire ce qui se passe à ce moment-là, mais voilà, vous l'avez en face de vous. C'est un homme, comme il nous a dit en rigolant plus tard, vous, vous me connaissez, mais moi, je ne vous connais pas. On a là devant nous un homme qu'on a l'impression de connaître par cœur, sur qui on a travaillé pendant un an. On a été en contact permanent avec les gens qui sont les plus proches de lui. Et il est là, sous sa casquette, en train de nous saluer, dans un grand sourire. Et il va bien, il est vif, c'est énormément d'émotions à ce moment-là et on a la chance de pouvoir passer quelques jours avec lui et faire connaissance véritablement.

  • #0

    Comme ses proches le décrivaient quand on réalisait les interviews, c'est quelqu'un de très calme, très doux et très généreux.

  • #3

    Yulian est une personne d'une grande profondeur, d'une extrême culture. et qui a beaucoup d'humour. Le portrait qu'on nous avait fait de lui a été tout à fait fidèle. Julian, finalement, a passé autant de temps que moi en Afrique de l'Ouest. Et quand on se retrouve en Roumanie, il parle français, entre guillemets, comme un burkinabé. Et je parle aussi français, quelque part, comme une burkinabé. On a de très longs échanges en français tous les deux. Et je sens qu'il a envie de parler de l'Afrique, déjà, et qu'il en a encore besoin. Qu'il n'est pas tout à fait sorti de cette bulle, de ce qu'il a vécu. Quelque part, je dirais qu'il y a un lien particulier qui se noue entre nous deux par l'Afrique, par notre expérience, par ce qu'on y a vu, ce qu'on y a vécu. Et oui, je sens qu'il a encore besoin d'en parler.

  • #0

    Donc on a été accueillis par sa famille pendant ces deux, trois jours sur place. Et ce qu'on peut dire, c'est qu'il est bien entouré. Il a cinq frères et soeurs, il a des parents qui sont très attendrissants. Et une de ses sœurs, quand on est partis, nous a dit Votre article a aidé à sa libération. Et pour nous, c'était un peu fort de se dire que notre travail aurait aidé à sa libération. Donc j'ai dit, bon, peut-être que c'est un peu exagéré. Elle dit non, non, en tout cas, pour nous, la famille, c'est ce qui nous a motivés à nous battre. Surtout Elvira, donc la sœur qui vit en Italie. C'est surtout pour elle que ça a été très important. Et pour nous aussi. Et donc, ce que vous avez fait, ça a été vraiment très important pour la famille et pour Yoliane.

  • #3

    Je suis persuadée que la publication de notre travail sur Yulian a contribué même infiniment. Et infiniment, c'est déjà énorme quand on parle de la vie d'un homme, à faire bouger les lignes. Je suis très fière de notre travail parce qu'on a remis les victimes, et pas seulement que Yulian, on a remis toutes les victimes au centre de cette histoire. On leur a rendu leur dignité, je crois, dans des systèmes sécuritaires, politiques et économiques qui broient les gens. C'est une histoire qui me marquera aussi à titre personnel parce qu'elle a commencé l'année de mon arrivée au Burkina et elle se termine l'année où j'ai décidé de quitter le pays. Julian est enlevé en 2015, il est libéré en 2023, j'arrive au Burkina en 2015, j'en repars en 2023, donc quelque part la boucle est bouclée en ce qui me concerne. Et j'aimerais aussi que cet exemple... modestement bien sûr, mais puis s'inspirer des journalistes, des jeunes journalistes en particulier, que ça puisse leur montrer qu'on ne sait jamais jusqu'où une histoire peut nous entraîner, on ne soupçonne jamais assez de l'influence qu'on peut avoir, et bien sûr il faut en user, et qu'il n'y a rien de plus gratifiant que la satisfaction de voir que ce qu'on fait a du sens.

  • #0

    En tant que journaliste, il y a des gens qui nous marquent, il y a des gens qui font partie de notre vie pendant des années, et là on peut dire que Yuliane et sa famille font maintenant... partie de notre vie et qu'on va rester en contact avec eux. Là, j'ai encore eu récemment des nouvelles. Il a vu sa sœur en Italie pour la première fois parce qu'elle n'a pas pu se rendre en Roumanie. Il a rencontré un ancien otage, le père Macali, et je pense qu'il y aura une suite.

  • #1

    on ne vous en dit pas plus mais il y aura une suite à cette histoire vous venez d'écouter un épisode de l'envers du récit n'hésitez pas à le partager et à vous abonner à notre podcast L'enquête de Ludivine Lanieps et Marine Leduc est à lire sur le site et l'appli La Croix. Vous trouverez le lien dans le texte de description qui accompagne ce podcast. L'Envers du récit est un podcast original du quotidien La Croix.

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Description

L’envers du récit, saison 6, épisode 17.


Depuis le Burkina Faso et la Roumanie, les journalistes Ludivine Laniepce et Marine Leduc ont enquêté sur Iulian Ghergut, un ressortissant roumain enlevé le 4 avril 2015 au Sahel. Elles souhaitaient comprendre pourquoi le sort de cet otage laissait les autorités indifférentes, que ce soit en Roumanie, son pays natal, ou au Burkina Faso, où il travaillait.


Dans cet épisode, les deux journalistes nous racontent comment elles ont tenté de faire sortir de l’ombre Iulian Ghergut et reviennent sur sa libération le 9 août 2023, cinq mois après la publication de leur enquête dans "La Croix l’Hebdo".


► Retrouvez le reportage de Ludivine Laniepce et Marine Leduc : https://www.la-croix.com/Monde/Iulian-Ghergut-otage-oublie-portrait-dun-homme-dont-personne-parle-2023-03-16-1201259380


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Janvier 2024     


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • #0

    Le 9 août, je vais au marché à Bucarest et je reçois un appel d'un collègue journaliste roumain qui travaille pour l'AFP en Roumanie. Il me dit Marine, tu as vu, j'ai une super nouvelle, Julian a été libéré

  • #1

    En 2023, Ludivine Lanieps et Marine Leduc réalisent pour la Croix-Lépgeau une enquête sur Julian Gergout, un ressortissant roumain enlevé au Burkina Faso en 2015.

  • #0

    Leur but ?

  • #1

    Faire sortir de l'ombre cet otage dont le sort laisse les autorités indifférentes. Les deux journalistes ne se doutent pas des retombées que vont avoir leurs investigations. Dans ce podcast, un journaliste de la Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête, d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • #2

    Merci.

  • #3

    Je m'appelle Ludivine Lagneps, je suis journaliste et j'ai été correspondante pour la Croix au Burkina Faso de 2015 à 2023.

  • #0

    Je m'appelle Marine Leduc, je suis journaliste et je suis correspondante en Roumanie pour la Croix depuis 2021. Aujourd'hui, on va vous raconter une histoire croisée entre la Roumanie et le Burkina, celle de Julian Gergout, un Roumain qui, pour des raisons économiques, est parti vivre à l'étranger, au Royaume-Uni. Il a trouvé une opportunité au Burkina Faso, où à 39 ans, il a été enlevé le 4 avril 2015 par un groupe terroriste, et qui est resté en captivité pendant 8 ans au Sahel. On va raconter notre travail avec la Croix pour le faire sortir de l'ombre jusqu'à sa libération en 2023.

  • #3

    On est début 2022, je suis à Ouagadougou. Je suis installée au Burkina Faso depuis début 2015 et c'est aussi par hasard le moment où Yoliane a été enlevée le 4 avril. Et c'est peut-être pour cette raison que j'ai toujours eu Yoliane en tête. Les années passent, un an, deux ans, trois ans, et en 2022 je réalise qu'on va, entre guillemets, fêter le septième anniversaire de... de sa captivité et qui n'a aucun article récent sur lui, que ce soit au Burkina, en Roumanie ou en France. Alors qu'entre-temps, il y a eu d'autres otages occidentaux qui ont été pris en otage, qui sont extrêmement médiatisés et qui, pour la plupart, ont été libérés entre-temps. Et ce qui est assez terrible avec Julian, c'est que c'est l'otage occidental connu qui détient le plus long record de captivité dans le Sahel. Et cet homme est totalement négligé. Donc pour moi, il y a quelque chose qui est de l'ordre de l'injustice. Et bien entendu, en tant que journaliste, j'ai envie de savoir qui il est, pourquoi il n'est toujours pas libéré, et pourquoi il y a davantage de silence autour de lui. Donc j'en parle avec la rédaction de La Croix, qui adhère tout de suite à l'idée, et je contacte Marine dans la foulée, qui est aussi correspondante en Roumanie pour le journal. Et c'est comme ça qu'on commence à y travailler chacune dans notre pays respectif.

  • #0

    À partir de là, j'essaie de trouver les premiers contacts en Roumanie et donc de sa famille. Et parmi les seuls médias qui parlent de Yuliane, il y a ce journal qui s'appelle Libertata, qui est le plus lu en Roumanie. Et j'ai pu obtenir le contact d'un journaliste qui m'a ensuite donné le contact de la sœur de Yuliane. Et c'est à partir de là que j'ai pu commencer à parler avec la sœur qui vit à Rome depuis plus de 20 ans et qui est celle un peu qui porte la lutte. pour libérer son frère. Et donc, je l'ai appelée au téléphone. Elle était complètement heureuse de parler à un journaliste, notamment de la presse étrangère, de voir que son frère n'est pas oublié. Et on passe presque une heure et demie, deux heures au téléphone. Et c'est le premier contact qu'on a avec sa famille et qui va ensuite déboucher sur l'enquête qui va suivre. Et c'est par la sorte qu'on arrive à obtenir des contacts des proches de Julian. Ses amis, sa famille, dont ses parents qui habitent dans la campagne à 6h de Bucarest, mais aussi sa femme qui n'avait pas parlé à la presse ces 8 dernières années et qui, à ce moment-là, était d'accord pour parler avec des journalistes. Car pour eux, en fait, à ce moment-là, il y avait un peu cette envie de reprendre un peu la parole après 8 ans de silence parce que les autorités roumaines leur avaient dit de ne pas parler aux médias. Et à ce moment-là, il y avait cette idée de non, en fait, on n'a plus envie de se taire On veut parler de Julian et on veut faire en sorte d'avoir des nouvelles. Déjà, c'était le plus important parce qu'ils n'avaient reçu aucune nouvelle pendant huit ans. Et ensuite, d'essayer d'œuvrer à sa libération.

  • #3

    De mon côté, au Burkina, j'ai un peu la même démarche, c'est-à-dire que je relis un petit peu toute la littérature autour de Julian, que ce soit des rapports sécuritaires ou ce qui a pu être écrit dans les médias en 2015. Julian, c'est un Roumain qui travaille à cette époque-là depuis quelques années à Tombao, un petit village du Sahel dans l'extrême nord du Burkina. Il est agent de sécurité dans une mine qui appartient à un milliardaire roumano-australien. C'est une mine de manganèse qui est très importante dans le pays et qui est d'ailleurs certainement l'un des gisements les plus importants au monde. Son travail consiste à effectuer des patrouilles autour de la mine tous les jours, des patrouilles en brousse, aux mêmes horaires, sur le même itinéraire, donc on comprend quand même assez vite qu'il y a d'énormes failles de sécurité autour de cette mine, puisque si au Burkina, en 2015, tout va bien, à quelques kilomètres de là, au Mali, il y a des groupes terroristes, il y a déjà des attaques, Tombaos, c'est en plein Sahel, c'est dans le désert, il y a un petit peu de relief avec quelques collines. Il y a des troupeaux, des bergers, des villages qui sont disséminés un petit peu partout. Quelques pistes et une route principale, mais la frontière est extrêmement poreuse et tout le monde se voit, tout le monde s'observe, tout le monde sait qui passe et à quelle heure, de part et d'autre de la frontière. Et donc on a cette mine, on peut dire ouverte aux quatre vents, et donc autour de laquelle circulent ces patrouilles. et Julian en particulier. Et donc c'est à l'occasion d'une de ces patrouilles que Julian est enlevé par des hommes qui regagnent le Mali en quelques minutes à peine avec lui. Donc au fil des mois, j'arrive à identifier ces personnes, ces anciens collègues, ces amis, et j'arrive à entrer en contact avec eux pour qu'ils puissent me raconter eux aussi, pour la première fois, ce qui s'est passé ce jour-là, puisqu'ils ont tous été témoins directs de son enlèvement. Et je me rends compte qu'eux non plus, même s'ils ne sont pas très nombreux, ils n'ont jamais oublié Yoliane, et que cette date du 4 avril, c'est aussi un anniversaire dramatique pour eux, parce que non seulement ils ont perdu un ami ce jour-là, mais sont aussi des victimes collatérales de cet enlèvement. Et leur vie, à eux aussi, s'est effondrée. Parmi ceux qui étaient dans la voiture de Yoliane lors de son enlèvement, il y a par exemple un gendarme burkinabé qui a été criblé de balles, qui s'en est sorti miraculeusement, mais qui est lourdement handicapé aujourd'hui. Il y a également Abdoulaye, qui est son chauffeur, et qui lui aussi reçoit des balles, qui passe très près de la mort. Et ensuite, Abdoulaye perdra son travail au sein de la mine, Donc voilà, c'est plus que des témoins d'un enlèvement, c'est des gens dont la vie a été détruite par la suite. Le Burkina Faso, c'est un des pays parmi les plus pauvres, on l'appelle le pays des hommes intègres. Il se situe au cœur de l'Afrique de l'Ouest, entre deux géants, le Mali et le Niger. Ces trois pays sont des pays sahéliens. Et l'enlèvement de Yoliane en 2015 marque le premier fait terroriste qui est documenté, qui a été commis sur le territoire burkinabé. Pour résumer, on peut dire qu'il s'agit d'abord d'une contagion ou d'un débordement de la guerre au Mali. Et au fil des années, on assiste à l'émergence du terrorisme 100% burkinabé. Donc de 2015 à 2023, ce qui est compliqué pour moi, c'est que le pays sombre totalement. C'est une suite de crises sécuritaires, de crises politiques. J'ai connu pas moins de trois coups d'État pendant le temps que j'ai travaillé au Burkina. C'est de plus en plus difficile de travailler sur place, de se déplacer, d'avoir accès à certaines sources. Tout le monde vit un peu dans la peur. Et en tant que journaliste français, on est non seulement une cible de ces groupes terroristes, mais on est également dans le viseur des autorités. Dans le cadre de cette enquête, je n'ai pas pu effectuer tous les déplacements que j'aurais souhaité faire. A Tombaos, c'était totalement exclu, bien trop dangereux courant 2022. Je fais face aussi à des pressions indirectes de la part d'anciens cadres de cette mine, qui n'entendent pas du tout qu'on parle du cas de Yulian. Il y a également la pression des nouvelles autorités, surtout depuis le dernier coup d'État de septembre 2022, où les putschistes arrivés au pouvoir sont clairement hostiles aux Français, qu'ils soient militaires, diplomates ou journalistes. Et on sent déjà, en tant que journaliste français au Burkina, courant 2022, que notre temps sur place est peut-être compté et que c'est le moment ou jamais d'enquêter sur Julian et de mener ce travail sur place.

  • #0

    Ce qui était un peu difficile dans l'enquête, c'est qu'on faisait face à un mur des autorités roumaines qui ne voulaient pas parler aux journalistes, qui avaient juste un message officiel comme quoi il était vivant, mais qui ne pouvaient pas en dire plus. C'était un peu ce qui ressortait des paroles de la famille. C'était on se sent délaissé personne ne vient nous aider les anciens patrons de Julian ne nous ont pas soutenus jusqu'au bout les autorités ne nous donnent pas de nouvelles Et c'était ça aussi qu'on voulait aussi montrer dans le récit. C'était... À la fois que Julian était oublié, mais aussi que les proches se sentaient aussi oubliés. Et donc, travailler à deux, cela veut dire s'organiser sur différents points, se contacter régulièrement. Aujourd'hui, avec Internet, on a la chance de pouvoir utiliser des outils qui nous permettent de collaborer directement en ligne. Et donc, on a rassemblé toutes nos interviews, documents dans les mêmes dossiers. Ça nous a permis d'avancer, de faire des points et ensuite de commencer l'écriture à quatre mains, qui au final s'est révélée plus simple qu'on imaginait. On avait déjà établi un plan, on avait chacune notre partie, donc on a réussi à écrire le reportage chacune de notre côté, avec un style assez similaire, et ça ne nous a pas trop posé de problème.

  • #3

    Travailler à deux, dans deux pays différents, éloignés de plusieurs milliers de kilomètres, ça demande d'être en contact constant, d'échanger les informations, les dire des uns et des autres, de nos différents interlocuteurs, de croiser les informations.

  • #0

    En fait, ce qui était un peu difficile, je pense pour nous, c'était de parler de quelqu'un qu'on n'avait jamais rencontré, alors que dans notre travail habituel, on rencontre la personne, on fait un portrait de la personne qu'on a en face de nous, on la décrit. On décrit un peu sa personnalité. Là, on avait juste les paroles de ses proches, de ses amis, des gens qu'il avait rencontrés. Et donc, on a essayé de faire le portrait d'une personne qu'on n'avait jamais rencontrée à travers les paroles des autres. Finalement, la description que les gens avaient de lui au Burkina et aussi en Roumanie était très similaire. Quelqu'un de doux, attentionné, de très généreux. Donc, on a réussi à... à faire ce portrait sans difficulté et tout concorder, que ce soit au Burkina ou en Roumanie. On travaille plusieurs mois sur ce sujet. Ça a commencé en avril 2022 et la publication a lieu le 18 mars 2023. Donc c'est quasiment un an d'enquête. Et donc le 18 mars 2023, je suis à Rome pour des vacances et je rencontre en fait la sœur de Yuliane pour la première fois. Je l'avais seulement eue au téléphone parce qu'elle vit à Rome, elle y travaille. Et donc je lui annonce que l'article va être publié et on parle pendant plusieurs heures de Yuliane. Elle me dit que la publication, ça la motive de continuer à se battre pour sa libération. Et donc l'article est publié le 18 mars pour le numéro de la Croix-Lébdo. Et deux jours après, il y a une nouvelle assez surprenante. La libération du journaliste français Olivier Dubois et de l'américain Jeffrey Woodcut. Olivier Dubois avait été enlevé deux ans auparavant au Sahel et Jeffrey Woodcut sept ans auparavant. Donc cette libération, elle intervient deux jours après la publication et c'est une coïncidence assez incroyable. Ça a une résonance particulière avec le cas de Julian. Déjà, ça fait que l'histoire qu'on a publiée deux jours auparavant a plus d'impact. Ça remet en lumière sa situation et aussi le fait que ces otages pourraient l'avoir rencontrée. À ce moment-là, la famille Julianne tout de suite parle d'un miracle et s'active pour pouvoir contacter les autorités roumaines. Et ensuite, l'Américain Jeffrey Woodke, dans une conférence de presse, va mentionner Julianne. Il va dire qu'il va passer le reste de sa vie. à se battre pour libérer les otages qui restent dans le Sahel. Jeffrey Woodcut a aussi contacté la famille en leur disant qu'il allait aussi travailler avec des autorités roumaines, avec des autorités sur place, leurs contacts dans le Sahel, pour œuvrer à la libération des otages qui restent, dont Julian. Tout ça, après la publication, a fait que beaucoup de choses se passaient et donnaient un peu d'espoir quant à sa libération. Aussi, grâce à la publication de l'article, le cas de Julian a été mentionné dans les médias en Roumanie qui n'avaient pas parlé de Julian Gergout depuis des années, notamment dans un des médias les plus lus en Roumanie. Et c'est ce qui a motivé la famille à insister auprès des autorités pour avoir des nouvelles de Julian. Et les autorités les avaient enfin reçues après plusieurs années de demandes. Et les autorités ont montré à la famille une vidéo de Julian encore en vie qui datait de 2021. Ils avaient des nouvelles de Julian par les autorités roumaines, qu'il était en bonne santé, qu'il était vivant, par les otages qui avaient été libérés. Tout de suite, pour la famille, il y avait vraiment une porte qui s'ouvrait et qui leur redonnait de l'espoir pour Julian Gerguts.

  • #3

    On sait que notre enquête a été lue dans plusieurs pays, dans des cercles diplomatiques. On a eu beaucoup de messages en retour de lecteurs qui ont été touchés par cette histoire et qui nous ont remercié de ne pas oublier cet homme. Et après la publication courant 2023, d'un côté j'ai de l'espoir que Julian soit le prochain à être libéré, et de l'autre j'ai des doutes parce que la situation sécuritaire et politique du Mali, du Burkina, et surtout du Niger avec le renversement de Mohamed Bazoum, qui était médiateur bien connu dans la libération des otages occidentaux, je crains que ces crises et le départ de Bazoum... ne relègue encore Yulian au dernier plan.

  • #0

    Je me souviens à ce moment-là, on s'est écrits et on se disait justement, c'est foutu pour Yulian, il n'y a plus de chance de libération s'il n'y a plus de possibilité de négocier à travers le Niger. On avait perdu un peu espoir à ce moment-là, fin juillet. Et donc le 9 août, je me souviens, je vais au marché à Bucarest et je reçois un appel d'un collègue journaliste roumain qui travaille pour l'AFP en Roumanie. Il me dit Non mais Marine, tu as vu, j'ai une super nouvelle, Julian, il a été libéré. Et là, sur le coup, je n'arrive pas trop à réaliser, mais comment ça, il est libéré, qu'est-ce qu'il y a ? Il fait Ouais, il est libéré, il est en Roumanie, même en ce moment. Et là, je me dis, mais comment c'est possible ? Ils m'envoient le communiqué de presse du ministère des Affaires étrangères. Et en effet, le ministère des Affaires étrangères félicite les autorités roumaines et aussi les autorités marocaines. Ce qui veut dire que le Maroc a eu un rôle important dans la libération de Julian. Et que Julian Gergoud, ce citoyen roumain, se trouvait actuellement sur le territoire roumain. Donc là, tout de suite, j'appelle Ludivine, je lui annonce la nouvelle et on n'arrive pas à y croire. C'est incroyable pour nous, on ne s'attendait plus à ce que ça arrive aussi rapidement. C'était vraiment très émouvant. Et après Ludivine, j'appelle donc la sœur en me disant qu'elle est au courant forcément. C'est son frère, la famille a dû être prévenue. Donc je lui dis tout de suite, oh mais c'est formidable, quelle bonne nouvelle. Et elle me dit, mais quoi, qu'est-ce qui se passe ? Et là je lui dis, mais vous ne savez pas que Julian a été libéré et qu'il est en Roumanie ? Elle me dit, mais non, mais non, je ne sais pas. Et elle se met à pleurer de joie en fait. Et en même temps un peu en colère en me disant, mais ce n'est pas possible, ils n'ont pas prévenu la famille. Ça montre encore à quel point les autorités roumaines n'ont pas forcément eu de tact jusqu'au bout avec la famille de Julian. Mais au moins, c'était une bonne nouvelle, elle était émue et on n'arrivait pas trop à y croire à ce moment-là. Donc Julian a été libéré. Et par la suite, j'ai le contact de son frère qui m'appelle, qui me dit qu'il est à Bucarest pour voir Julian. Malheureusement, la famille n'est pas encore autorisée à le voir pendant les deux, trois premiers jours. Ils sont un peu harcelés par les journalistes aussi. C'est pour éviter qu'il y ait trop de journalistes autour. Je ne sais pas trop en fait quelle est la situation à ce moment-là. Mais ce qu'on sait, c'est qu'il est donc à l'hôpital militaire de Bucarest. Donc je rencontre son frère. Je suis dans un café à Bucarest et son frère attend un appel de Julian. Et quand je suis là, il reçoit l'appel. Il est très ému. Et j'entends donc la voix de Julian, de cette personne sur laquelle on a travaillé pendant un an. Voilà, j'entends qu'il parle roumain, une langue qu'il n'a pas parlé depuis huit ans, sa langue maternelle. Son frère lui demande s'il va bien. Il dit qu'il va très bien, qu'il est en bonne santé. Il dit à son frère aussi de plutôt que de rester à Bucarest, de retourner chez leurs parents à six heures de Bucarest. Et son frère ensuite raccroche et il me dit, il était très ému, il me dit ça va j'étais bien et il était là mais c'est étrange de lui parler 8 ans après, c'est mon frère et il a l'air d'aller bien.

  • #3

    Quelques jours après le retour de Yoliane en Roumanie, on a une fenêtre pour aller le voir. On est invité par sa famille. Je saute littéralement dans un avion. Et après quelques heures de voyage et une nuit blanche, je rejoins Marine à Bucarest. Et on part en train pour aller les rejoindre. Et je crois que je n'oublierai jamais ce moment où il fait nuit, il est assez tard. On est dans la... Dans la campagne roumaine, et on arrive sur ce quai de gare absolument désert, on retrouve le frère de Julian qui vient nous accueillir. On est en train de discuter, et le plus naturellement du monde, il nous dit mais Julian est juste là derrière, il est au téléphone Et on tourne la tête, et on le voit en chair et en os à quelques mètres de nous. Et quelques secondes après, il nous rejoint, il nous salue. Je ne saurais pas vous décrire ce qui se passe à ce moment-là, mais voilà, vous l'avez en face de vous. C'est un homme, comme il nous a dit en rigolant plus tard, vous, vous me connaissez, mais moi, je ne vous connais pas. On a là devant nous un homme qu'on a l'impression de connaître par cœur, sur qui on a travaillé pendant un an. On a été en contact permanent avec les gens qui sont les plus proches de lui. Et il est là, sous sa casquette, en train de nous saluer, dans un grand sourire. Et il va bien, il est vif, c'est énormément d'émotions à ce moment-là et on a la chance de pouvoir passer quelques jours avec lui et faire connaissance véritablement.

  • #0

    Comme ses proches le décrivaient quand on réalisait les interviews, c'est quelqu'un de très calme, très doux et très généreux.

  • #3

    Yulian est une personne d'une grande profondeur, d'une extrême culture. et qui a beaucoup d'humour. Le portrait qu'on nous avait fait de lui a été tout à fait fidèle. Julian, finalement, a passé autant de temps que moi en Afrique de l'Ouest. Et quand on se retrouve en Roumanie, il parle français, entre guillemets, comme un burkinabé. Et je parle aussi français, quelque part, comme une burkinabé. On a de très longs échanges en français tous les deux. Et je sens qu'il a envie de parler de l'Afrique, déjà, et qu'il en a encore besoin. Qu'il n'est pas tout à fait sorti de cette bulle, de ce qu'il a vécu. Quelque part, je dirais qu'il y a un lien particulier qui se noue entre nous deux par l'Afrique, par notre expérience, par ce qu'on y a vu, ce qu'on y a vécu. Et oui, je sens qu'il a encore besoin d'en parler.

  • #0

    Donc on a été accueillis par sa famille pendant ces deux, trois jours sur place. Et ce qu'on peut dire, c'est qu'il est bien entouré. Il a cinq frères et soeurs, il a des parents qui sont très attendrissants. Et une de ses sœurs, quand on est partis, nous a dit Votre article a aidé à sa libération. Et pour nous, c'était un peu fort de se dire que notre travail aurait aidé à sa libération. Donc j'ai dit, bon, peut-être que c'est un peu exagéré. Elle dit non, non, en tout cas, pour nous, la famille, c'est ce qui nous a motivés à nous battre. Surtout Elvira, donc la sœur qui vit en Italie. C'est surtout pour elle que ça a été très important. Et pour nous aussi. Et donc, ce que vous avez fait, ça a été vraiment très important pour la famille et pour Yoliane.

  • #3

    Je suis persuadée que la publication de notre travail sur Yulian a contribué même infiniment. Et infiniment, c'est déjà énorme quand on parle de la vie d'un homme, à faire bouger les lignes. Je suis très fière de notre travail parce qu'on a remis les victimes, et pas seulement que Yulian, on a remis toutes les victimes au centre de cette histoire. On leur a rendu leur dignité, je crois, dans des systèmes sécuritaires, politiques et économiques qui broient les gens. C'est une histoire qui me marquera aussi à titre personnel parce qu'elle a commencé l'année de mon arrivée au Burkina et elle se termine l'année où j'ai décidé de quitter le pays. Julian est enlevé en 2015, il est libéré en 2023, j'arrive au Burkina en 2015, j'en repars en 2023, donc quelque part la boucle est bouclée en ce qui me concerne. Et j'aimerais aussi que cet exemple... modestement bien sûr, mais puis s'inspirer des journalistes, des jeunes journalistes en particulier, que ça puisse leur montrer qu'on ne sait jamais jusqu'où une histoire peut nous entraîner, on ne soupçonne jamais assez de l'influence qu'on peut avoir, et bien sûr il faut en user, et qu'il n'y a rien de plus gratifiant que la satisfaction de voir que ce qu'on fait a du sens.

  • #0

    En tant que journaliste, il y a des gens qui nous marquent, il y a des gens qui font partie de notre vie pendant des années, et là on peut dire que Yuliane et sa famille font maintenant... partie de notre vie et qu'on va rester en contact avec eux. Là, j'ai encore eu récemment des nouvelles. Il a vu sa sœur en Italie pour la première fois parce qu'elle n'a pas pu se rendre en Roumanie. Il a rencontré un ancien otage, le père Macali, et je pense qu'il y aura une suite.

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    on ne vous en dit pas plus mais il y aura une suite à cette histoire vous venez d'écouter un épisode de l'envers du récit n'hésitez pas à le partager et à vous abonner à notre podcast L'enquête de Ludivine Lanieps et Marine Leduc est à lire sur le site et l'appli La Croix. Vous trouverez le lien dans le texte de description qui accompagne ce podcast. L'Envers du récit est un podcast original du quotidien La Croix.

Description

L’envers du récit, saison 6, épisode 17.


Depuis le Burkina Faso et la Roumanie, les journalistes Ludivine Laniepce et Marine Leduc ont enquêté sur Iulian Ghergut, un ressortissant roumain enlevé le 4 avril 2015 au Sahel. Elles souhaitaient comprendre pourquoi le sort de cet otage laissait les autorités indifférentes, que ce soit en Roumanie, son pays natal, ou au Burkina Faso, où il travaillait.


Dans cet épisode, les deux journalistes nous racontent comment elles ont tenté de faire sortir de l’ombre Iulian Ghergut et reviennent sur sa libération le 9 août 2023, cinq mois après la publication de leur enquête dans "La Croix l’Hebdo".


► Retrouvez le reportage de Ludivine Laniepce et Marine Leduc : https://www.la-croix.com/Monde/Iulian-Ghergut-otage-oublie-portrait-dun-homme-dont-personne-parle-2023-03-16-1201259380


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Janvier 2024     


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

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    Le 9 août, je vais au marché à Bucarest et je reçois un appel d'un collègue journaliste roumain qui travaille pour l'AFP en Roumanie. Il me dit Marine, tu as vu, j'ai une super nouvelle, Julian a été libéré

  • #1

    En 2023, Ludivine Lanieps et Marine Leduc réalisent pour la Croix-Lépgeau une enquête sur Julian Gergout, un ressortissant roumain enlevé au Burkina Faso en 2015.

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    Leur but ?

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    Faire sortir de l'ombre cet otage dont le sort laisse les autorités indifférentes. Les deux journalistes ne se doutent pas des retombées que vont avoir leurs investigations. Dans ce podcast, un journaliste de la Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête, d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • #2

    Merci.

  • #3

    Je m'appelle Ludivine Lagneps, je suis journaliste et j'ai été correspondante pour la Croix au Burkina Faso de 2015 à 2023.

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    Je m'appelle Marine Leduc, je suis journaliste et je suis correspondante en Roumanie pour la Croix depuis 2021. Aujourd'hui, on va vous raconter une histoire croisée entre la Roumanie et le Burkina, celle de Julian Gergout, un Roumain qui, pour des raisons économiques, est parti vivre à l'étranger, au Royaume-Uni. Il a trouvé une opportunité au Burkina Faso, où à 39 ans, il a été enlevé le 4 avril 2015 par un groupe terroriste, et qui est resté en captivité pendant 8 ans au Sahel. On va raconter notre travail avec la Croix pour le faire sortir de l'ombre jusqu'à sa libération en 2023.

  • #3

    On est début 2022, je suis à Ouagadougou. Je suis installée au Burkina Faso depuis début 2015 et c'est aussi par hasard le moment où Yoliane a été enlevée le 4 avril. Et c'est peut-être pour cette raison que j'ai toujours eu Yoliane en tête. Les années passent, un an, deux ans, trois ans, et en 2022 je réalise qu'on va, entre guillemets, fêter le septième anniversaire de... de sa captivité et qui n'a aucun article récent sur lui, que ce soit au Burkina, en Roumanie ou en France. Alors qu'entre-temps, il y a eu d'autres otages occidentaux qui ont été pris en otage, qui sont extrêmement médiatisés et qui, pour la plupart, ont été libérés entre-temps. Et ce qui est assez terrible avec Julian, c'est que c'est l'otage occidental connu qui détient le plus long record de captivité dans le Sahel. Et cet homme est totalement négligé. Donc pour moi, il y a quelque chose qui est de l'ordre de l'injustice. Et bien entendu, en tant que journaliste, j'ai envie de savoir qui il est, pourquoi il n'est toujours pas libéré, et pourquoi il y a davantage de silence autour de lui. Donc j'en parle avec la rédaction de La Croix, qui adhère tout de suite à l'idée, et je contacte Marine dans la foulée, qui est aussi correspondante en Roumanie pour le journal. Et c'est comme ça qu'on commence à y travailler chacune dans notre pays respectif.

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    À partir de là, j'essaie de trouver les premiers contacts en Roumanie et donc de sa famille. Et parmi les seuls médias qui parlent de Yuliane, il y a ce journal qui s'appelle Libertata, qui est le plus lu en Roumanie. Et j'ai pu obtenir le contact d'un journaliste qui m'a ensuite donné le contact de la sœur de Yuliane. Et c'est à partir de là que j'ai pu commencer à parler avec la sœur qui vit à Rome depuis plus de 20 ans et qui est celle un peu qui porte la lutte. pour libérer son frère. Et donc, je l'ai appelée au téléphone. Elle était complètement heureuse de parler à un journaliste, notamment de la presse étrangère, de voir que son frère n'est pas oublié. Et on passe presque une heure et demie, deux heures au téléphone. Et c'est le premier contact qu'on a avec sa famille et qui va ensuite déboucher sur l'enquête qui va suivre. Et c'est par la sorte qu'on arrive à obtenir des contacts des proches de Julian. Ses amis, sa famille, dont ses parents qui habitent dans la campagne à 6h de Bucarest, mais aussi sa femme qui n'avait pas parlé à la presse ces 8 dernières années et qui, à ce moment-là, était d'accord pour parler avec des journalistes. Car pour eux, en fait, à ce moment-là, il y avait un peu cette envie de reprendre un peu la parole après 8 ans de silence parce que les autorités roumaines leur avaient dit de ne pas parler aux médias. Et à ce moment-là, il y avait cette idée de non, en fait, on n'a plus envie de se taire On veut parler de Julian et on veut faire en sorte d'avoir des nouvelles. Déjà, c'était le plus important parce qu'ils n'avaient reçu aucune nouvelle pendant huit ans. Et ensuite, d'essayer d'œuvrer à sa libération.

  • #3

    De mon côté, au Burkina, j'ai un peu la même démarche, c'est-à-dire que je relis un petit peu toute la littérature autour de Julian, que ce soit des rapports sécuritaires ou ce qui a pu être écrit dans les médias en 2015. Julian, c'est un Roumain qui travaille à cette époque-là depuis quelques années à Tombao, un petit village du Sahel dans l'extrême nord du Burkina. Il est agent de sécurité dans une mine qui appartient à un milliardaire roumano-australien. C'est une mine de manganèse qui est très importante dans le pays et qui est d'ailleurs certainement l'un des gisements les plus importants au monde. Son travail consiste à effectuer des patrouilles autour de la mine tous les jours, des patrouilles en brousse, aux mêmes horaires, sur le même itinéraire, donc on comprend quand même assez vite qu'il y a d'énormes failles de sécurité autour de cette mine, puisque si au Burkina, en 2015, tout va bien, à quelques kilomètres de là, au Mali, il y a des groupes terroristes, il y a déjà des attaques, Tombaos, c'est en plein Sahel, c'est dans le désert, il y a un petit peu de relief avec quelques collines. Il y a des troupeaux, des bergers, des villages qui sont disséminés un petit peu partout. Quelques pistes et une route principale, mais la frontière est extrêmement poreuse et tout le monde se voit, tout le monde s'observe, tout le monde sait qui passe et à quelle heure, de part et d'autre de la frontière. Et donc on a cette mine, on peut dire ouverte aux quatre vents, et donc autour de laquelle circulent ces patrouilles. et Julian en particulier. Et donc c'est à l'occasion d'une de ces patrouilles que Julian est enlevé par des hommes qui regagnent le Mali en quelques minutes à peine avec lui. Donc au fil des mois, j'arrive à identifier ces personnes, ces anciens collègues, ces amis, et j'arrive à entrer en contact avec eux pour qu'ils puissent me raconter eux aussi, pour la première fois, ce qui s'est passé ce jour-là, puisqu'ils ont tous été témoins directs de son enlèvement. Et je me rends compte qu'eux non plus, même s'ils ne sont pas très nombreux, ils n'ont jamais oublié Yoliane, et que cette date du 4 avril, c'est aussi un anniversaire dramatique pour eux, parce que non seulement ils ont perdu un ami ce jour-là, mais sont aussi des victimes collatérales de cet enlèvement. Et leur vie, à eux aussi, s'est effondrée. Parmi ceux qui étaient dans la voiture de Yoliane lors de son enlèvement, il y a par exemple un gendarme burkinabé qui a été criblé de balles, qui s'en est sorti miraculeusement, mais qui est lourdement handicapé aujourd'hui. Il y a également Abdoulaye, qui est son chauffeur, et qui lui aussi reçoit des balles, qui passe très près de la mort. Et ensuite, Abdoulaye perdra son travail au sein de la mine, Donc voilà, c'est plus que des témoins d'un enlèvement, c'est des gens dont la vie a été détruite par la suite. Le Burkina Faso, c'est un des pays parmi les plus pauvres, on l'appelle le pays des hommes intègres. Il se situe au cœur de l'Afrique de l'Ouest, entre deux géants, le Mali et le Niger. Ces trois pays sont des pays sahéliens. Et l'enlèvement de Yoliane en 2015 marque le premier fait terroriste qui est documenté, qui a été commis sur le territoire burkinabé. Pour résumer, on peut dire qu'il s'agit d'abord d'une contagion ou d'un débordement de la guerre au Mali. Et au fil des années, on assiste à l'émergence du terrorisme 100% burkinabé. Donc de 2015 à 2023, ce qui est compliqué pour moi, c'est que le pays sombre totalement. C'est une suite de crises sécuritaires, de crises politiques. J'ai connu pas moins de trois coups d'État pendant le temps que j'ai travaillé au Burkina. C'est de plus en plus difficile de travailler sur place, de se déplacer, d'avoir accès à certaines sources. Tout le monde vit un peu dans la peur. Et en tant que journaliste français, on est non seulement une cible de ces groupes terroristes, mais on est également dans le viseur des autorités. Dans le cadre de cette enquête, je n'ai pas pu effectuer tous les déplacements que j'aurais souhaité faire. A Tombaos, c'était totalement exclu, bien trop dangereux courant 2022. Je fais face aussi à des pressions indirectes de la part d'anciens cadres de cette mine, qui n'entendent pas du tout qu'on parle du cas de Yulian. Il y a également la pression des nouvelles autorités, surtout depuis le dernier coup d'État de septembre 2022, où les putschistes arrivés au pouvoir sont clairement hostiles aux Français, qu'ils soient militaires, diplomates ou journalistes. Et on sent déjà, en tant que journaliste français au Burkina, courant 2022, que notre temps sur place est peut-être compté et que c'est le moment ou jamais d'enquêter sur Julian et de mener ce travail sur place.

  • #0

    Ce qui était un peu difficile dans l'enquête, c'est qu'on faisait face à un mur des autorités roumaines qui ne voulaient pas parler aux journalistes, qui avaient juste un message officiel comme quoi il était vivant, mais qui ne pouvaient pas en dire plus. C'était un peu ce qui ressortait des paroles de la famille. C'était on se sent délaissé personne ne vient nous aider les anciens patrons de Julian ne nous ont pas soutenus jusqu'au bout les autorités ne nous donnent pas de nouvelles Et c'était ça aussi qu'on voulait aussi montrer dans le récit. C'était... À la fois que Julian était oublié, mais aussi que les proches se sentaient aussi oubliés. Et donc, travailler à deux, cela veut dire s'organiser sur différents points, se contacter régulièrement. Aujourd'hui, avec Internet, on a la chance de pouvoir utiliser des outils qui nous permettent de collaborer directement en ligne. Et donc, on a rassemblé toutes nos interviews, documents dans les mêmes dossiers. Ça nous a permis d'avancer, de faire des points et ensuite de commencer l'écriture à quatre mains, qui au final s'est révélée plus simple qu'on imaginait. On avait déjà établi un plan, on avait chacune notre partie, donc on a réussi à écrire le reportage chacune de notre côté, avec un style assez similaire, et ça ne nous a pas trop posé de problème.

  • #3

    Travailler à deux, dans deux pays différents, éloignés de plusieurs milliers de kilomètres, ça demande d'être en contact constant, d'échanger les informations, les dire des uns et des autres, de nos différents interlocuteurs, de croiser les informations.

  • #0

    En fait, ce qui était un peu difficile, je pense pour nous, c'était de parler de quelqu'un qu'on n'avait jamais rencontré, alors que dans notre travail habituel, on rencontre la personne, on fait un portrait de la personne qu'on a en face de nous, on la décrit. On décrit un peu sa personnalité. Là, on avait juste les paroles de ses proches, de ses amis, des gens qu'il avait rencontrés. Et donc, on a essayé de faire le portrait d'une personne qu'on n'avait jamais rencontrée à travers les paroles des autres. Finalement, la description que les gens avaient de lui au Burkina et aussi en Roumanie était très similaire. Quelqu'un de doux, attentionné, de très généreux. Donc, on a réussi à... à faire ce portrait sans difficulté et tout concorder, que ce soit au Burkina ou en Roumanie. On travaille plusieurs mois sur ce sujet. Ça a commencé en avril 2022 et la publication a lieu le 18 mars 2023. Donc c'est quasiment un an d'enquête. Et donc le 18 mars 2023, je suis à Rome pour des vacances et je rencontre en fait la sœur de Yuliane pour la première fois. Je l'avais seulement eue au téléphone parce qu'elle vit à Rome, elle y travaille. Et donc je lui annonce que l'article va être publié et on parle pendant plusieurs heures de Yuliane. Elle me dit que la publication, ça la motive de continuer à se battre pour sa libération. Et donc l'article est publié le 18 mars pour le numéro de la Croix-Lébdo. Et deux jours après, il y a une nouvelle assez surprenante. La libération du journaliste français Olivier Dubois et de l'américain Jeffrey Woodcut. Olivier Dubois avait été enlevé deux ans auparavant au Sahel et Jeffrey Woodcut sept ans auparavant. Donc cette libération, elle intervient deux jours après la publication et c'est une coïncidence assez incroyable. Ça a une résonance particulière avec le cas de Julian. Déjà, ça fait que l'histoire qu'on a publiée deux jours auparavant a plus d'impact. Ça remet en lumière sa situation et aussi le fait que ces otages pourraient l'avoir rencontrée. À ce moment-là, la famille Julianne tout de suite parle d'un miracle et s'active pour pouvoir contacter les autorités roumaines. Et ensuite, l'Américain Jeffrey Woodke, dans une conférence de presse, va mentionner Julianne. Il va dire qu'il va passer le reste de sa vie. à se battre pour libérer les otages qui restent dans le Sahel. Jeffrey Woodcut a aussi contacté la famille en leur disant qu'il allait aussi travailler avec des autorités roumaines, avec des autorités sur place, leurs contacts dans le Sahel, pour œuvrer à la libération des otages qui restent, dont Julian. Tout ça, après la publication, a fait que beaucoup de choses se passaient et donnaient un peu d'espoir quant à sa libération. Aussi, grâce à la publication de l'article, le cas de Julian a été mentionné dans les médias en Roumanie qui n'avaient pas parlé de Julian Gergout depuis des années, notamment dans un des médias les plus lus en Roumanie. Et c'est ce qui a motivé la famille à insister auprès des autorités pour avoir des nouvelles de Julian. Et les autorités les avaient enfin reçues après plusieurs années de demandes. Et les autorités ont montré à la famille une vidéo de Julian encore en vie qui datait de 2021. Ils avaient des nouvelles de Julian par les autorités roumaines, qu'il était en bonne santé, qu'il était vivant, par les otages qui avaient été libérés. Tout de suite, pour la famille, il y avait vraiment une porte qui s'ouvrait et qui leur redonnait de l'espoir pour Julian Gerguts.

  • #3

    On sait que notre enquête a été lue dans plusieurs pays, dans des cercles diplomatiques. On a eu beaucoup de messages en retour de lecteurs qui ont été touchés par cette histoire et qui nous ont remercié de ne pas oublier cet homme. Et après la publication courant 2023, d'un côté j'ai de l'espoir que Julian soit le prochain à être libéré, et de l'autre j'ai des doutes parce que la situation sécuritaire et politique du Mali, du Burkina, et surtout du Niger avec le renversement de Mohamed Bazoum, qui était médiateur bien connu dans la libération des otages occidentaux, je crains que ces crises et le départ de Bazoum... ne relègue encore Yulian au dernier plan.

  • #0

    Je me souviens à ce moment-là, on s'est écrits et on se disait justement, c'est foutu pour Yulian, il n'y a plus de chance de libération s'il n'y a plus de possibilité de négocier à travers le Niger. On avait perdu un peu espoir à ce moment-là, fin juillet. Et donc le 9 août, je me souviens, je vais au marché à Bucarest et je reçois un appel d'un collègue journaliste roumain qui travaille pour l'AFP en Roumanie. Il me dit Non mais Marine, tu as vu, j'ai une super nouvelle, Julian, il a été libéré. Et là, sur le coup, je n'arrive pas trop à réaliser, mais comment ça, il est libéré, qu'est-ce qu'il y a ? Il fait Ouais, il est libéré, il est en Roumanie, même en ce moment. Et là, je me dis, mais comment c'est possible ? Ils m'envoient le communiqué de presse du ministère des Affaires étrangères. Et en effet, le ministère des Affaires étrangères félicite les autorités roumaines et aussi les autorités marocaines. Ce qui veut dire que le Maroc a eu un rôle important dans la libération de Julian. Et que Julian Gergoud, ce citoyen roumain, se trouvait actuellement sur le territoire roumain. Donc là, tout de suite, j'appelle Ludivine, je lui annonce la nouvelle et on n'arrive pas à y croire. C'est incroyable pour nous, on ne s'attendait plus à ce que ça arrive aussi rapidement. C'était vraiment très émouvant. Et après Ludivine, j'appelle donc la sœur en me disant qu'elle est au courant forcément. C'est son frère, la famille a dû être prévenue. Donc je lui dis tout de suite, oh mais c'est formidable, quelle bonne nouvelle. Et elle me dit, mais quoi, qu'est-ce qui se passe ? Et là je lui dis, mais vous ne savez pas que Julian a été libéré et qu'il est en Roumanie ? Elle me dit, mais non, mais non, je ne sais pas. Et elle se met à pleurer de joie en fait. Et en même temps un peu en colère en me disant, mais ce n'est pas possible, ils n'ont pas prévenu la famille. Ça montre encore à quel point les autorités roumaines n'ont pas forcément eu de tact jusqu'au bout avec la famille de Julian. Mais au moins, c'était une bonne nouvelle, elle était émue et on n'arrivait pas trop à y croire à ce moment-là. Donc Julian a été libéré. Et par la suite, j'ai le contact de son frère qui m'appelle, qui me dit qu'il est à Bucarest pour voir Julian. Malheureusement, la famille n'est pas encore autorisée à le voir pendant les deux, trois premiers jours. Ils sont un peu harcelés par les journalistes aussi. C'est pour éviter qu'il y ait trop de journalistes autour. Je ne sais pas trop en fait quelle est la situation à ce moment-là. Mais ce qu'on sait, c'est qu'il est donc à l'hôpital militaire de Bucarest. Donc je rencontre son frère. Je suis dans un café à Bucarest et son frère attend un appel de Julian. Et quand je suis là, il reçoit l'appel. Il est très ému. Et j'entends donc la voix de Julian, de cette personne sur laquelle on a travaillé pendant un an. Voilà, j'entends qu'il parle roumain, une langue qu'il n'a pas parlé depuis huit ans, sa langue maternelle. Son frère lui demande s'il va bien. Il dit qu'il va très bien, qu'il est en bonne santé. Il dit à son frère aussi de plutôt que de rester à Bucarest, de retourner chez leurs parents à six heures de Bucarest. Et son frère ensuite raccroche et il me dit, il était très ému, il me dit ça va j'étais bien et il était là mais c'est étrange de lui parler 8 ans après, c'est mon frère et il a l'air d'aller bien.

  • #3

    Quelques jours après le retour de Yoliane en Roumanie, on a une fenêtre pour aller le voir. On est invité par sa famille. Je saute littéralement dans un avion. Et après quelques heures de voyage et une nuit blanche, je rejoins Marine à Bucarest. Et on part en train pour aller les rejoindre. Et je crois que je n'oublierai jamais ce moment où il fait nuit, il est assez tard. On est dans la... Dans la campagne roumaine, et on arrive sur ce quai de gare absolument désert, on retrouve le frère de Julian qui vient nous accueillir. On est en train de discuter, et le plus naturellement du monde, il nous dit mais Julian est juste là derrière, il est au téléphone Et on tourne la tête, et on le voit en chair et en os à quelques mètres de nous. Et quelques secondes après, il nous rejoint, il nous salue. Je ne saurais pas vous décrire ce qui se passe à ce moment-là, mais voilà, vous l'avez en face de vous. C'est un homme, comme il nous a dit en rigolant plus tard, vous, vous me connaissez, mais moi, je ne vous connais pas. On a là devant nous un homme qu'on a l'impression de connaître par cœur, sur qui on a travaillé pendant un an. On a été en contact permanent avec les gens qui sont les plus proches de lui. Et il est là, sous sa casquette, en train de nous saluer, dans un grand sourire. Et il va bien, il est vif, c'est énormément d'émotions à ce moment-là et on a la chance de pouvoir passer quelques jours avec lui et faire connaissance véritablement.

  • #0

    Comme ses proches le décrivaient quand on réalisait les interviews, c'est quelqu'un de très calme, très doux et très généreux.

  • #3

    Yulian est une personne d'une grande profondeur, d'une extrême culture. et qui a beaucoup d'humour. Le portrait qu'on nous avait fait de lui a été tout à fait fidèle. Julian, finalement, a passé autant de temps que moi en Afrique de l'Ouest. Et quand on se retrouve en Roumanie, il parle français, entre guillemets, comme un burkinabé. Et je parle aussi français, quelque part, comme une burkinabé. On a de très longs échanges en français tous les deux. Et je sens qu'il a envie de parler de l'Afrique, déjà, et qu'il en a encore besoin. Qu'il n'est pas tout à fait sorti de cette bulle, de ce qu'il a vécu. Quelque part, je dirais qu'il y a un lien particulier qui se noue entre nous deux par l'Afrique, par notre expérience, par ce qu'on y a vu, ce qu'on y a vécu. Et oui, je sens qu'il a encore besoin d'en parler.

  • #0

    Donc on a été accueillis par sa famille pendant ces deux, trois jours sur place. Et ce qu'on peut dire, c'est qu'il est bien entouré. Il a cinq frères et soeurs, il a des parents qui sont très attendrissants. Et une de ses sœurs, quand on est partis, nous a dit Votre article a aidé à sa libération. Et pour nous, c'était un peu fort de se dire que notre travail aurait aidé à sa libération. Donc j'ai dit, bon, peut-être que c'est un peu exagéré. Elle dit non, non, en tout cas, pour nous, la famille, c'est ce qui nous a motivés à nous battre. Surtout Elvira, donc la sœur qui vit en Italie. C'est surtout pour elle que ça a été très important. Et pour nous aussi. Et donc, ce que vous avez fait, ça a été vraiment très important pour la famille et pour Yoliane.

  • #3

    Je suis persuadée que la publication de notre travail sur Yulian a contribué même infiniment. Et infiniment, c'est déjà énorme quand on parle de la vie d'un homme, à faire bouger les lignes. Je suis très fière de notre travail parce qu'on a remis les victimes, et pas seulement que Yulian, on a remis toutes les victimes au centre de cette histoire. On leur a rendu leur dignité, je crois, dans des systèmes sécuritaires, politiques et économiques qui broient les gens. C'est une histoire qui me marquera aussi à titre personnel parce qu'elle a commencé l'année de mon arrivée au Burkina et elle se termine l'année où j'ai décidé de quitter le pays. Julian est enlevé en 2015, il est libéré en 2023, j'arrive au Burkina en 2015, j'en repars en 2023, donc quelque part la boucle est bouclée en ce qui me concerne. Et j'aimerais aussi que cet exemple... modestement bien sûr, mais puis s'inspirer des journalistes, des jeunes journalistes en particulier, que ça puisse leur montrer qu'on ne sait jamais jusqu'où une histoire peut nous entraîner, on ne soupçonne jamais assez de l'influence qu'on peut avoir, et bien sûr il faut en user, et qu'il n'y a rien de plus gratifiant que la satisfaction de voir que ce qu'on fait a du sens.

  • #0

    En tant que journaliste, il y a des gens qui nous marquent, il y a des gens qui font partie de notre vie pendant des années, et là on peut dire que Yuliane et sa famille font maintenant... partie de notre vie et qu'on va rester en contact avec eux. Là, j'ai encore eu récemment des nouvelles. Il a vu sa sœur en Italie pour la première fois parce qu'elle n'a pas pu se rendre en Roumanie. Il a rencontré un ancien otage, le père Macali, et je pense qu'il y aura une suite.

  • #1

    on ne vous en dit pas plus mais il y aura une suite à cette histoire vous venez d'écouter un épisode de l'envers du récit n'hésitez pas à le partager et à vous abonner à notre podcast L'enquête de Ludivine Lanieps et Marine Leduc est à lire sur le site et l'appli La Croix. Vous trouverez le lien dans le texte de description qui accompagne ce podcast. L'Envers du récit est un podcast original du quotidien La Croix.

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