undefined cover
undefined cover
Madame de Graffigny, Lettres d'une péruvienne, (1747), Lettres 23 à 27 cover
Madame de Graffigny, Lettres d'une péruvienne, (1747), Lettres 23 à 27 cover
L'Oreille qui lit !

Madame de Graffigny, Lettres d'une péruvienne, (1747), Lettres 23 à 27

Madame de Graffigny, Lettres d'une péruvienne, (1747), Lettres 23 à 27

31min |08/09/2025|

10

Play
undefined cover
undefined cover
Madame de Graffigny, Lettres d'une péruvienne, (1747), Lettres 23 à 27 cover
Madame de Graffigny, Lettres d'une péruvienne, (1747), Lettres 23 à 27 cover
L'Oreille qui lit !

Madame de Graffigny, Lettres d'une péruvienne, (1747), Lettres 23 à 27

Madame de Graffigny, Lettres d'une péruvienne, (1747), Lettres 23 à 27

31min |08/09/2025|

10

Play

Description

Qu'est-ce qui se cache derrière les luttes d'un individu pour s'intégrer dans une nouvelle culture ? Dans cet épisode captivant de L'Oreille qui lit ! </strong>, l'auteur SOS Bac Français Philosophie nous plonge dans l'univers complexe de Zilea, un personnage dont les lettres révèlent des réflexions profondes sur la nature humaine, la culture et les émotions. À travers son parcours, Zilia partage avec nous ses défis pour comprendre une langue étrangère et naviguer dans un environnement culturel qui lui est étranger, tout en se remémorant son attachement à Asa, un être cher.


Les lettres de Zilea sont bien plus qu'une simple correspondance ; elles sont le reflet d'une quête de sens dans un monde souvent en contradiction avec ses valeurs personnelles. Elle questionne la moralité de la société dans laquelle elle évolue, interroge les attentes que la famille et la société placent sur elle, et explore la profondeur de ses propres sentiments. Ses observations sur les spectacles qui illustrent la société dévoilent les nuances des mouvements littéraires et des luttes identitaires.


Les auditeurs de L'Oreille qui lit ! </strong> découvriront également comment Zilea, par ses réflexions, nous pousse à nous interroger sur notre propre rapport à la culture et à l'identité. Cet épisode nous invite à plonger dans la complexité des relations humaines et des dilemmes sociaux.

Abonnez-vous dès maintenant et plongez dans cette aventure littéraire unique !


Suivez-nous sur YouTube : SOS bac français et philo

sur le web : francais-philo. fr


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Quelle fut ma surprise d'y trouver son frère avec elle ? Je ne dissimulais point le plaisir que j'eus de le voir. Je lui dois de l'estime et de l'amitié. Ses sentiments sont presque des vertus. Je les exprimais avec autant de vérité que je les sentais. Je voyais mon libérateur, le seul appui de mes espérances. J'allais parler sans contrainte de toi, de ma tendresse, de mes dessins. Ma joie allait jusqu'au transport. Je ne parlais pas encore français lorsque D'Etherville partit. Combien d'autres choses n'avais-je pas à lui apprendre ? Combien d'éclaircissements à lui demander, combien de reconnaissances à lui témoigner ? Je voulais tout dire à la fois, je disais mal, et cependant je parlais beaucoup. Je m'aperçus que pendant ce temps-là, d'étervile changeait de visage. Une tristesse, que j'y avais remarqué en entrant, se dissipait. La joie prenait sa place, je m'en applaudissais, elle m'animait à l'exciter encore. Hélas ! Devais-je craindre d'en donner trop à un ami à qui je dois tout ? Et de qui j'attends tout ? Cependant, ma sincérité le jeta dans une erreur qui me coûte à présent bien des larmes. Céline était sortie en même temps que j'étais entrée. Peut-être sa présence aurait-elle épargné une explication si cruelle. D'Etherville, attentif à mes paroles, paraissait se plaire à les entendre, sans songer à m'interrompre. Je ne sais quel trouble me saisit lorsque je voulus lui demander des instructions sur mon voyage et lui en expliquer le motif. Mais les expressions me manquèrent, je les cherchais. Il profita d'un moment de silence et mettant un genou à terre devant la grille à laquelle les deux mains étaient attachées, il me dit d'une voix émue. « À quel sentiment, divine Zilia, dois-je attribuer le plaisir que je vois aussi naïvement exprimé dans vos beaux yeux que dans vos discours ? Suis-je le plus heureux des hommes au moment même où ma sœur vient de me faire entendre que j'étais le plus à plaindre ? Je ne sais, lui répondis-je, quel chagrin Céline a pu vous donner, mais je suis bien assurée que vous n'en recevrez jamais de ma part. » « Cependant, répliqua-t-il, elle m'a dit que je ne devais pas espérer d'être aimé de vous. » « Moi ? » m'écriai-je en l'interrompant. « Moi, je ne vous aime point. » « Ah ! Déterville, comment votre sœur peut-elle me noircir d'un tel crime ? » « L'ingratitude me fait horreur. » « Je me haïrais moi-même si je croyais pouvoir cesser de vous aimer. » Pendant que je prononçais ce peu de mots, il semblait à l'avidité de ses regards qu'il voulait lire dans mon âme. « Vous m'aimez, Zilia, » dit-il. « Vous m'aimez et vous me le dites. » Je donnerai ma vie pour entendre ce charmant aveu. Hélas, je ne puis le croire, lors même que je l'entends. Zilia, ma chère Zilia, est-il bien vrai que vous m'aimez ? Ne vous trompez-vous pas vous-même ? Votre ton, vos yeux, mon cœur, tout me séduit. Peut-être n'est-ce que pour me replonger plus cruellement dans le désespoir dont je sors. Vous m'étonnez, repris-je. D'où naît votre défiance ? Depuis que je vous connais, si je n'ai pu me faire entendre par des paroles toutes mes actions ? N'ont-elles pas dû vous prouver que je vous aime ? Non, répliqua-t-il, je ne puis encore me flatter. Vous ne parlez pas assez bien le français pour détruire mes justes craintes. Vous ne cherchez point à me tromper, je le sais. Mais expliquez-moi quel sens vous attachez à ces mots adorables. Je vous aime. Que mon sort soit décidé, que je meurs à vos pieds de douleur ou de plaisir. « Ces mots, lui dis-je, un peu intimidés par la vivacité avec laquelle il prononça ces dernières paroles, ces mots doivent, je crois, vous faire entendre que vous m'êtes cher, que votre sort m'intéresse, que l'amitié et la reconnaissance m'attachent à vous. Ces sentiments plaisent à mon cœur et doivent satisfaire le vôtre. Ah, Zilia, que vos termes s'affaiblissent, que votre ton se refroidit. Céline m'aurait-elle dit la vérité ? N'est-ce point pour hasard que vous sentez tout ce que vous dites ? » Non, lui dis-je, le sentiment que j'ai pour Aza est tout différent de ce que j'ai pour vous. C'est ce que vous appelez l'amour. Quelle peine cela peut-il vous faire, ajoutai-je en le voyant palir. Abandonnez la grille et jetez au ciel des regards remplis de douleur. J'ai de l'amour pour Aza parce qu'il en a pour moi et que nous devions être unis. Il n'y a là-dedans nul rapport avec vous. Les mêmes, les mêmes que vous trouvez entre vous et lui, puisque j'ai mille fois plus d'amour qu'il n'en ressentit jamais. « Comment cela se pourrait-il, repris-je ? Vous n'êtes moins de ma nation. Loin que vous m'ayez choisi pour votre épouse, le hasard seul nous a joints, et ce n'est même que d'aujourd'hui que nous pouvons librement nous communiquer nos idées. Par quelle raison auriez-vous, pour moi, les sentiments dont vous parlez ? » « En faut-il d'autre que vos charmes et mon caractère ? » me répliqua-t-il, « pour m'attacher à vous jusqu'à la mort ? » N'étendre, paresseux, ennemi de l'artifice, les peines qu'il aurait fallu me donner pour pénétrer le cœur des femmes et la crainte de ne n'y pas trouver la franchise que j'y désirais, ne m'ont laissé pour elle qu'un goût vague ou passager. J'ai vécu sans passion, jusqu'au jour où je vous ai vus. Votre beauté me frappa, mais son impression aurait peut-être été aussi légère que celle de beaucoup d'autres, si la douceur... et la naïveté de votre caractère ne m'avaient présenté l'objet que mon imagination m'avait si souvent composé. Vous savez, il y a, si je l'ai respecté, cet objet de mon adoration. Que ne m'en a-t-il pas coûté pour résister aux occasions séduisantes que m'offrait la familiarité d'une longue navigation ? Combien de fois votre innocence vous aura-t-elle livré à mes transports si je les eusse écoutés ? Mais loin de vous offenser, j'ai poussé la discrétion jusqu'au silence. J'ai même exigé de ma sœur qu'elle ne vous parlerait pas de mon amour. Je n'ai rien voulu de voir qu'à vous-même, Azilia. Si vous n'êtes point touché d'un respect si tendre, je vous fuirai. Mais je le sens, ma mort fera le prix du sacrifice. Votre mort ? m'écriai-je, pénétré par la douleur sincère dont je le voyais accablé. Hélas, quel sacrifice ! Je ne sais si celui de ma vie ne me serait pas moins affreux. Eh bien, Azilia, me dit-il, si ma vie vous est chère, ordonnez donc que je vive. « Que faut-il faire ? lui dis-je. « M'aimer, répondit-il, comme vous aimiez à Zah. « Je l'aime toujours de même, lui répliquai-je, « et je l'aimerai jusqu'à la mort. « Je ne sais, ajoutait-je, « si vos lois vous permettent d'aimer deux objets de la même manière, « mais nos usages et mon cœur nous le défendent. « Contentez-vous des sentiments que je vous promets, « je ne puis en avoir d'autres. « La vérité m'est chère, je vous la dis sans détour. de quel sang-froid vous m'assassinez s'écria-t-il « Ah, Azilia, que je vous aime, puisque j'adore jusqu'à votre cruelle franchise. » « Eh bien, continua-t-il après avoir gardé quelques moments de silence, mon amour surpassera votre cruauté. » « Votre bonheur m'est plus cher que le mien. Parlez-moi avec cette sincérité qui me déchire sans ménagement. » « Quelle est votre espérance sur l'amour que vous conservez pour Azat ? » « Hélas, lui dis-je, je n'en ai qu'en vous seul. » Je lui expliquai ensuite comment j'avais appris que la communication aux Indes n'était pas impossible. Je lui dis que je m'étais flatté. qu'il me procurerait les moyens d'y retourner. Ou tout du moins qu'il aurait assez de bonté pour faire passer jusqu'à toi des nœuds qui t'instruiraient de mon sort, et, pour m'en faire avoir les réponses, afin qu'instruire de ta destinée, elles servent de règle à la mienne. Je vais prendre, me dit-il, avec un sang-froid affecté, les mesures nécessaires pour découvrir le sort de votre amant. Vous serez satisfaite à cet égard. Cependant, vous vous flatteriez en vain de revoir l'heureux hasard. Des obstacles invincibles vous séparent. Ces mots, mon cher Azat, furent un coup mortel pour mon cœur. Mes larmes coulèrent en abondance, elles m'empêchèrent longtemps de répondre à des tervilles qui, de son côté, gardaient un morne silence. Eh bien, lui dis-je enfin, je ne le verrai plus, mais je n'en vivrai pas moins pour lui. Si votre amitié est assez généreuse pour nous procurer quelques correspondances, cette satisfaction suffira pour me rendre à la vie moins insupportable. Et je mourrai contente, pourvu que vous me promettiez de lui faire savoir que je suis mort en léman. « Ah ! c'en est trop ! » s'écria-t-il en se levant brusquement. « Oui, s'il est possible, je serai le seul malheureux. Vous connaîtrez ce cœur que vous dédaignez. Vous verrez de quels efforts est capable un amour tel que le mien, et je vous forcerai au moins à me plaindre. » En disant ces mots, il sortit et me laissa dans un état que je ne comprends pas encore. J'étais demeuré debout, les yeux attachés sur la porte par où Déterville venait de sortir, abîmé, dans une confusion de pensée que je ne cherchais pas même à démêler. J'y serais resté longtemps ? Cicéline ne fut entrée dans le parloir. Elle me demanda vivement pourquoi Déterville était sortie si tôt. Je ne lui cachais pas ce qui s'était passé entre nous. D'abord, elle s'affligea de ce qu'elle appelait le malheur de son frère. Ensuite, tournant sa douleur en colère, elle m'accabla des plus durs reproches, sans que j'osasse y opposer un seul mot. Qu'aurais-je pu lui dire ? Mon trouble me laissait à peine la liberté de penser. Je sortis, elle ne me suivit point. Retiré dans ma chambre, j'y suis resté un jour sans oser paraître, sans avoir eu de nouvelles de personne et dans un désordre d'esprit qui ne me permettait pas même d'écrire. La colère de Céline, le désespoir de son frère, les dernières paroles auxquelles je voudrais et je n'ose donner un sens favorable livrèrent mon âme tour à tour aux plus cruelles inquiétudes. J'ai cru enfin que le seul moyen de les aldoucir était de te les peindre, de t'en faire part, de chercher dans ta tendresse les conseils dont j'ai besoin. Cette erreur m'a soutenu pendant que j'écrivais, mais qu'elle a peu duré. Ma lettre est écrite et les caractères ne sont tracés que pour moi. Tu ignores ce que je souffre. Tu ne sais pas même si j'existe, si je t'aime. Asa, mon cher Asa, ne le sauras-tu jamais ? Lettre 24. Je pourrais encore appeler une absence le temps qui s'est écoulé, mon cher Azat, depuis la dernière fois que je t'ai écrit. Quelques jours après l'entretien que j'use avec D'Eterville, je tombais dans une maladie que l'on nomme la fièvre. Si, comme je le crois, elle a été causée par les passions douloureuses qui m'agitèrent alors, je ne doute pas qu'elle n'ait été prolongée par les tristes réflexions dont je suis occupé et par le regret d'avoir perdu l'amitié de Céline. Quoiqu'elle ait paru s'intéresser à ma maladie, qu'elle m'ait rendu tous les soins qui dépendaient d'elle, c'était d'un air si froid. Elle a eu si peu de ménagement pour mon âme que je ne puis douter de l'altération de ses sentiments. L'extrême amitié qu'elle a pour son frère l'indispose contre moi. Elle me reproche sans cesse de le rendre malheureux. La honte de paraître ingrate m'intimide. Les bontés affectées de Céline me gênent. Mon embarras la contraint. La douceur et l'agrément sont bannis de notre commerce. Malgré tant de contrariétés et de peines de la part du frère et de la sœur, je ne suis pas insensible aux événements qui changent leur destinée. Madame d'Eterville est morte. Cette mère dénaturée n'a point démenti son caractère. Elle a donné tout son bien à son fils aîné. On espère que les gens de loi empêcheront l'effet de cette injustice. D'Eterville, désintéressé par lui-même, se donne des peines infinies pour tirer ses lignes de l'oppression. Il semble que son malheur redouble son amitié pour elle. Outre qu'il vient la voir tous les jours, il lui écrit soir et matin. Ses lettres sont remplies de si tendres plaintes contre moi, de si vives inquiétudes sur ma santé que, quoi que Céline affecte, en me les lisant, de ne vouloir que m'instruire du progrès de leurs affaires, je démêle aisément le motif du prétexte. Je ne doute pas que D'Eterville ne les écrive afin qu'elles me soient lues. Néanmoins, je suis persuadé qu'il s'en abstiendrait s'il était instruit des reproches sanglants dont cette lecture est suivie. Ils font leur impression sur mon cœur. La tristesse me consomme. Jusqu'ici, au milieu des orages, je jouissais de la faible satisfaction de vivre en paix avec moi-même. Aucune tâche ne souillait la pureté de mon âme, aucun remord ne la troublait. À présent, je ne puis penser, sans une sorte de mépris pour moi-même, que je rends malheureuse deux personnes auxquelles je dois la vie, que je trouble le repos dont elles jouiraient sans moi, que je leur fais tout le mal qui est en mon pouvoir, et cependant, je ne puis ni ne veux cesser d'être criminel. Ma tendresse pour toi triomphe de mes remords. Asa, que je t'aime. Lettre 25 Que la prudence est quelquefois nuisible, mon cher Asa. J'ai résisté longtemps aux puissantes instances que Déterville m'a fait faire de lui accorder à un moment d'entretien. Hélas, je fuyais mon bonheur. Enfin, moins par complaisance que par lassitude de disputer avec Céline, je me suis laissé conduire au parloir. À la vue du changement affreux qui rendait Terville presque méconnaissable, je suis restée interdite. Je me repentais déjà de ma démarche. J'attendais, en tremblant, les reproches qu'il me paraissait en droit de me faire. Pouvais-je deviner qu'il allait combler mon âme de plaisir ? « Pardonnez-moi, Zilia, m'a-t-il dit, la violence que je vous fais. Je ne vous aurais pas obligé à me voir si je ne vous apportais autant de joie que vous me causez de douleur. » Est-ce trop exiger qu'à un moment de votre vue pour récompense du cruel sacrifice que je vous fais ? » Et sans me donner le temps de répondre, voici, continua-t-il, « Une lettre de ce parent dont on vous a parlé. En vous apprenant le sort d'Aza, elle vous prouvera mieux que tous mes serments qu'elle est l'excès de mon amour. » Et tout de suite, il m'en fit la lecture. « Ah, mon cher Aza, ai-je pu l'entendre sans mourir de joie ? Elle m'apprend que tes jours sont conservés, que tu es libre. » Que tu vis sans péril à la cour d'Espagne. Quel bonheur inespéré. Cette admirable lettre est écrite par un homme qui te connaît, qui te voit, qui te parle. Peut-être tes regards ont-ils été attachés un moment sur ce précieux papier. Je ne pouvais en arracher les miens. Je n'ai retenu qu'à peine des cris de joie prêts à m'échapper. Les larmes de l'amour inondaient mon visage. Si j'avais suivi les mouvements de mon cœur, cent fois j'aurais interrompu d'Eterville pour lui dire tout ce que la reconnaissance m'aspirait. Mais je n'oubliais point que mon bonheur doit augmenter ses peines. Je lui cachais mes transports, il ne vit que mes larmes. « Eh bien, Zilia, me dit-il après avoir cessé de lire, j'ai tenu ma parole. Vous êtes instruite du sort d'Aza. Si ce n'est point assez, que faut-il faire de plus ? Ordonnez sans contrainte, il n'est rien que vous ne soyez en droit d'exiger de mon amour pourvu qu'il contribue à votre bonheur. » Quoique je dût m'attendre à cet excès de bonté, elle me surprit et me toucha. Je fus quelques moments embarrassé de ma réponse. Je craignais d'irriter la douleur d'un homme si généreux. Je cherchais des termes qui exprimassent la vérité de mon cœur sans offenser la sensibilité du sien. Je ne les trouvais pas. Il fallait parler. « Mon bonheur, lui dis-je, ne sera jamais sans mélange, puisque je ne puis concilier les devoirs de l'amour avec ceux de l'amitié. Je voudrais regagner la vôtre et celle de Céline. Je voudrais ne vous point quitter, admirer sans cesse vos vertus, payer tous les jours de ma vie le tribut de reconnaissance que je dois à vos bontés. Je sens qu'en m'éloignant de deux personnes si chères, j'emporterai des regrets éternels. Mais quoi, Zilia ? s'écria-t-il. Vous voulez nous quitter ? » Ah, je n'étais point préparé à cette funeste résolution. Je manque de courage pour la soutenir. J'en avais assez pour vous voir ici dans les bras de mon rival. L'effort de ma raison, la délicatesse de mon amour m'avait affermi contre ce coup mortel. Je l'aurais préparé moi-même, mais je ne puis me séparer de vous. Je ne puis renoncer à vous voir. Non, vous ne partirez point, continua-t-il avec emportement. N'y comptez pas. Vous abusez de ma tendresse. Vous déchirez sans pitié un cœur perdu d'amour, Zilia. Cruel Zilia, voyez mon désespoir, c'est votre ouvrage. Hélas, de quel prix payez-vous l'amour le plus pur ? C'est vous, lui dis-je, effrayé de sa résolution, c'est vous que je devrais accuser. Vous flétrissez mon âme en la forçant d'être ingrate. Vous désolez mon cœur par une sensibilité infructueuse ? Au nom de l'amitié, ne ternissez pas une générosité sans exemple par un désespoir qui ferait l'amertume de ma vie sans vous rendre heureux. Ne condamnez point en moi-même le même sentiment que vous ne pouvez surmonter. « Ne me forcez pas à me plaindre de vous. Laissez-moi chérir votre nom, le porter au bout du monde et le faire révérer à des peuples adorateurs de la vertu. » Je ne sais comment je prononçais ces paroles, mais d'Eterville, fixant ses yeux sur moi, semblait ne me point regarder. Renfermé en lui-même, il demeura longtemps dans une profonde méditation. De mon côté, je n'osais l'interrompre. Nous observions un égal silence quand il reprit la parole et me dit avec une espèce de tranquillité. « Oui, Zilia, je connais. Je sens toute mon injustice. Mais renonce-t-on de sang-froid à la vue de tant de charme ? Vous le voulez, vous serez obéi. » « Quel sacrifice ! Oh, ciel ! Mes tristes jours s'écouleront, finiront sans vous voir. Au moins, si la mort... » « N'en parlons plus, » ajouta-t-il en s'interrompant. « Ma faiblesse me trahirait. Donnez-moi deux jours pour m'assurer de moi-même. Je reviendrai vous voir. » Il est nécessaire que nous prenions ensemble des mesures pour votre voyage. Adieu, Cilia. Puisse l'heureux hasard sentir tout son bonheur. En même temps, il sortit. Je te l'avoue, mon cher hasard, quoique d'Etherville me soit cher, quoique je fusse pénétré de sa douleur, j'avais trop d'impatience de jouir en paix de ma félicité pour n'être pas bien aise qu'il se retirât. Qu'il est doux, après tant de peine, de s'abandonner à la joie. Je passais le reste de la journée dans les plus tendres ravissements. Je ne t'écrivis point. Une lettre était trop peu pour mon cœur. Elle m'aurait rappelé ton absence. Je te voyais, je te parlais, chère Asa. Que manquerait-il à mon bonheur si tu avais joint à cette précieuse lettre quelques gages de ta tendresse ? Pourquoi ne l'as-tu pas fait ? On t'a parlé de moi, tu es instruit de mon sort, et rien ne me parle de ton amour. Mais puis-je douter de ton cœur ? Le mien m'en répond. Tu m'aimes ? Ta joie est égale à la mienne, tu brûles des mêmes feux, la même impatience te dévore. Que la crainte s'éloigne de mon âme, que la joie y domine sans mélange. Cependant, tu as embrassé la religion de ce peuple féroce. Quelle est-elle ? Exige-t-elle les mêmes sacrifices que celles de France ? Non, tu n'y aurais pas consenti. Quoi qu'il en soit, mon cœur est sous tes lois. Soumise à tes lumières, j'adopterai aveuglement tout ce qui pourra nous rendre inséparables. que puis-je craindre bientôt réuni à mon bien à mon être à mon tout je ne penserai plus que par toi je ne vivrai que pour t'aimer c'est ici mon cher hasard que je te reverrai mon bonheur s'accroît chaque jour par ses propres circonstances je sors de l'entrevue que d'éterville m'avait assignée Quel que plaisir que je me sois fait de surmonter les difficultés du voyage, de te prévenir de courir au devant de tes pas, je le sacrifice en regret, au bonheur de te voir plus tôt. Déterville m'a prouvé avec tant d'évidence que tu peux être ici en moins de temps qu'il ne m'en faudrait pour aller en Espagne que, quoi qu'il m'ait généreusement laissé le choix, je n'ai pas balancé à t'attendre. Le temps est trop cher pour le prodiguer sans nécessité. Peut-être avant de me déterminer. Aurais-je examiné cet avantage avec plus de soin si je n'eusse tiré des éclaircissements sur mon voyage qui m'ont décidé en secret sur le parti que je prends, et ce secret je ne puis le confier qu'à toi. Je me suis souvenu que pendant la longue route qui m'a conduite à Paris, des terviles donnaient des pièces d'argent et quelquefois d'or dans tous les endroits où nous nous arrêtions. J'ai voulu savoir si c'était par obligation ou par simple libéralité. J'ai appris qu'en France... Non seulement on fait payer la nourriture aux voyageurs, mais même le repos, hélas. Je n'ai pas la moindre partie de ce qui serait nécessaire pour contenter l'intérêt de ce peuple avide. Il faudrait le recevoir des mains de Déterville. Quelle honte ! Tu sais tout ce que je lui dois. Je l'acceptais avec une répugnance qui ne peut être vaincue que par la nécessité. Mais pourrais-je me résoudre à contracter volontairement un genre d'obligation dont la honte va presque jusqu'à l'ignominie ? Je n'ai pu m'y résoudre, mon cher Azat. Cette raison seule m'aurait déterminé à demeurer ici. Le plaisir de te voir plus promptement n'a fait que confirmer ma résolution. Déterville l'a écrit devant moi au ministre d'Espagne. Il le presse de te faire partir. Il lui indique les moyens de te faire conduire ici avec une générosité qui me pénètre de reconnaissance et d'admiration. Quel doux moment j'ai passé pendant que Déterville écrivait. Quel plaisir d'être occupé des arrangements de ton voyage. de voir les apprêts de mon bonheur, de n'en plus douter. Si d'abord il m'en a coûté pour renoncer aux dessins que j'avais de te prévenir, je l'avoue, mon cher hasard, j'y trouve à présent mille sources de plaisir que je n'y avais pas aperçues. Plusieurs circonstances, qui ne me paraissent d'aucune valeur pour avancer ou retarder mon départ, me deviennent intéressantes et agréables. Je suivais aveuglement le penchant de mon cœur. J'oubliais que j'allais te chercher au milieu de ces barbares espagnols dont la seule idée me saisit d'horreur. Je trouve une satisfaction infinie dans la certitude de ne les revoir jamais. La voie de l'amour est éniée celle de l'amitié. Je goûte sans remords la douceur de les réunir. D'un autre côté, D'Eterville m'a assuré qu'il nous était à jamais impossible de revoir la ville du soleil. Après le séjour de notre patrie, en est-il un plus agréable que celui de la France ? Il te plaira, mon cher Azat, quoique la sincérité en soit bannie. On y trouve tant d'agréments qu'ils font oublier les dangers de la société. Après ce que je t'ai dit de l'or, il n'est pas nécessaire de t'avertir d'en apporter. Tu n'as que faire d'autres mérites. La moindre partie de tes trésors suffit pour te faire admirer et confondre l'orgueil des magnifiques indigents de ce royaume. Tes vertus et tes sentiments ne seront chéris que de moi. Déterville m'a promis de te faire rendre mes nœuds et mes lettres. Il m'a assuré que tu trouverais des interprètes pour t'expliquer les dernières. On vient me demander le paquet, il faut que je te quitte. Adieu. Cher espoir de ma vie, je continuerai à t'écrire. Si je ne puis te faire passer mes lettres, je te les garderai. Comment supporterais-je la longueur de ton voyage si je me privais du seul moyen que j'ai de m'entretenir de ma joie ? Comment supporterais-je la longueur de ton voyage si je me privais du seul moyen que j'ai de m'entretenir de ma joie, de mes transports, de mon bonheur ? Lettre 27 Depuis que je sais mes lettres en chemin, mon cher hasard, Je jouis d'une tranquillité que je ne connaissais plus. Je pense sans cesse au plaisir que tu auras à les recevoir. Je vois tes transports, je les partage. Mon âme ne reçoit de toute part que des idées agréables. Et pour comble de joie, la paix est rétablie dans notre petite société. Les juges ont rendu à Céline les biens dont sa mère l'avait privé. Elle voit son amant tous les jours. Son mariage n'est retardé que par les après qui y sont nécessaires. Au comble de ses voeux, Elle ne pense plus à me quereller et je lui en ai autant d'obligations que si je devais à son amitié les bontés qu'elle recommence à me témoigner. Quel qu'en soit le motif, nous sommes toujours redevables à ceux qui nous font éprouver un sentiment doux. Ce matin, elle m'en a fait sentir tout le prix par une complaisance qui m'a fait passer d'un trouble fâcheux à une tranquillité agréable. On lui a apporté une quantité prodigieuse d'étoffes, d'habits, de bijoux de toutes espèces. Elle est accourue dans ma chambre. m'a emmenée dans la sienne et après m'avoir consultée sur les différentes beautés de temps d'ajustement l'a fait elle-même un tas de ce qui avait le plus attiré mon attention et d'un air empressé elle commandait déjà à zanushina de le porter chez moi quand je m'y suis opposée de toutes mes forces mes instances n'ont d'abord servi qu'à la divertir mais voyant que son obstination augmentait avec mes refus je n'ai pu dissimuler davantage mon ressentiment pourquoi lui ai-je dit les yeux baignés de larmes Pourquoi voulez-vous m'humilier, plus que je ne le suis ? Je vous dois la vie et tout ce que j'ai, c'est plus qu'il n'en faut pour ne point oublier mes malheurs. Je sais que, selon vos lois, quand les bienfaits ne sont d'aucune utilité à ceux qui les reçoivent, la honte en est effacée. Attendez donc que je n'en ai plus aucun besoin pour exercer votre générosité. Ce n'est pas sans répugnance, ajoutai-je d'un ton plus modéré, que je me conforme à des sentiments si peu naturels. Nos usages sont plus humains. Celui qui reçoit son or autant que celui qui donne. Vous m'avez appris à penser autrement. N'était-ce donc que pour me faire des outrages ? Cet aimable ami, plus touché de mes larmes qu'irrité de mes reproches, m'a répondu d'un ton d'amitié. « Nous sommes bien éloignés, mon frère et moi, ma chère Zilia, de vouloir blesser votre délicatesse. Il nous cirait mal de faire les magnifiques avec vous, vous le connaîtrez d'en peu. Je voulais seulement que vous partagassiez avec moi les présents d'un frère généreux. C'était le plus sûr moyen de lui en marquer ma reconnaissance. L'usage, dans le cas où je suis, m'autorisait à vous les offrir. Mais puisque vous en êtes offensé, je ne vous en parlerai plus. Vous me le promettez donc, lui ai-je dit ? Oui, m'a-t-elle répondu en souriant. Mais permettez-moi d'écrire un mot à Déterville. Je l'ai laissé faire et la gaieté s'est rétablie entre nous. Nous avons recommencé à examiner ses parures plus en détail jusqu'au temps où on l'a demandé au parloir. Elle voulait m'y mener mais, mon cher Azat, est-il pour moi quelque amusement comparable à celui de t'écrire ? Loin d'en chercher d'autres, j'appréhende d'avance ce que l'on me prépare. Céline va se marier, elle prétend m'en mener avec elle, elle veut que je quitte la maison religieuse pour demeurer dans la sienne. Mais, si j'en suis cru, hasard, mon cher hasard, par quelle agréable surprise ma lettre fut-elle hier interrompue ? Hélas, je croyais avoir perdu pour jamais ce précieux monument de notre ancienne splendeur. Je n'y comptais plus, je n'y pensais même pas. J'en suis environné, je les vois, je les touche, et j'en croise à peine mes yeux et mes mains. Au moment où je t'écrivais, je vis entrer Céline, suivie de quatre hommes, accablés sous le poids de gros coffres qu'ils portaient. Ils les posèrent à terre et se retirèrent. Je pensais que ce pouvait être de nouveaux dons de Déterville. Je murmurais déjà en secret lorsque Céline me dit, en me présentant des clés, « Ouvrez, Zilia, ouvrez sans vous effaroucher, c'est de la part d'Aza. La vérité que j'attache inséparablement à ton inné ne me laissa point le monde au doute. » J'ouvris avec précipitation et ma surprise confirma mon erreur en reconnaissant tout ce qui s'offrit à ma vue pour des ornements du Temple du Soleil. Un sentiment confus, mêlée de tristesse et de joie, de plaisir et de regret, remplit tout mon cœur. Je me prosternais devant ces restes sacrés de notre culte et de nos hôtels. Je les couvris de respectueux baisers, je les arrosais de mes larmes, je ne pouvais m'en arracher, j'avais oublié jusqu'à la présence de Céline. Elle me tira de mon ivresse en me donnant une lettre qu'elle me pria de lire. Toujours remplie de mon erreur, je la crus de toi. Mes transports redoublèrent, mais, quoique je la déchiffrasse avec peine, Je connus bientôt qu'elle était de Déterville. Il me sera plus aisé, mon cher Azat, de te la copier que de t'en expliquer le sens. Billet de Déterville. Ces trésors sont à vous, belle Zilia, puisque je les ai trouvés sur le vaisseau qui vous portait. Quelques discussions arrivées entre les gens de l'équipage m'ont empêché jusqu'ici d'en disposer librement. Je voulais vous les présenter moi-même, mais les inquiétudes que vous avez témoignées ce matin à ma sœur ne me laissent plus le choix du moment. Je ne saurais trop dissiper vos craintes, je préférerais toute ma vie votre satisfaction à la mienne. Je l'avoue, en rougissant mon cher hasard, je sentis moins alors la générosité de Teterville que le plaisir de lui donner des preuves de la mienne. Je mis promptement à part un vase que le hasard, plus que la cupidité, a fait tomber dans les mains des Espagnols. C'est le même, mon cœur l'a reconnu, que tes lèvres touchèrent le jour où tu nous voulais bien goûter du haka préparé de ma main. Plus riche de ce trésor que de tous ceux qu'on me rendait. J'appelai les gens qui les avaient apportés. Je voulais les leur faire reprendre pour les renvoyer à Déterville, mais Céline s'opposa à mon dessein. « Que vous êtes injustes, Zilia, me dit-elle. Quoi ? Vous voulez faire accepter des richesses immenses à mon frère ? Vous, que l'offre d'une bagatelle offense ? Rappelez votre équité, si vous voulez en inspirer aux autres. » Ses paroles me frappèrent. Je reconnus dans mon action plus d'orgueil et de vengeance que de générosité. Que les vices sont près des vertus. J'avouais ma faute. J'en demandais pardon à Céline, mais je souffrais trop de la contrainte qu'elle voulait m'imposer pour n'y pas chercher de l'adoucissement. « Ne me punissez pas autant que je le mérite, lui dis-je d'un air timide. Ne dédaignez pas quelques modèles du travail de nos malheureuses contrées. Vous n'en avez aucun besoin. Ma prière ne doit point vous offenser. » Tandis que je parlais, je remarquais que Céline regardait attentivement deux arbustes d'or chargés d'oiseaux et d'insectes d'un travail excellent. Je me hâtais de les lui présenter avec une petite corbeille d'argent que je remplis de coquillages, de poissons et de fleurs les mieux imités. Elle les accepta avec une bonté qui me ravit. Je choisis ensuite plusieurs idoles des nations vaincues par tes ancêtres et une petite statue qui représentait une vierge du soleil. J'y joignis un tigre, un lion et d'autres animaux courageux et je la priais de les envoyer à Deterville. Écrivez-lui donc, me dit-elle en souriant. Sans une lettre de votre part, les présents seraient mal reçus. J'étais trop satisfaite pour rien refuser. J'écrivis tout ce que me dicta ma reconnaissance et lorsque Céline fut sortie, je distribuais des petits présents à Sachina et à la mienne. J'en mis à part pour mon maître à écrire. Je goûtais enfin le délicieux plaisir de donner. Ça n'a pas été sans choix, mon Gerasa. Tout ce qui vient de toi, tout ce qui a des rapports intimes avec ton souvenir, n'est point sorti de mes mains. La chaise d'or que l'on conservait dans le temple pour le jour des visites du Kappa Inca Ton auguste père, placé d'un côté de ma chambre en forme de trône, me représente ta grandeur et la majesté de ton rang. La grande figure du soleil que je vis moi-même arrachée du temple par les perfides espagnols, suspendue au-dessus, excite ma vénération. Je me prosterne devant elle, mon esprit l'adore, et mon cœur est tout à toi. Les deux palmiers que tu donnas au soleil pour offrande et pour gage de la foi que tu m'avais juré, placés aux deux côtés du trône, me rappellent sans cesse tes tendres sermons. des fleurs des oiseaux répandus avec symétrie dans tous les coins de ma chambre forment en raccourci l'image de ces magnifiques jardins où je me suis si souvent entretenu de ton idée mes yeux satisfaits ne s'arrêtent nulle part sans me rappeler ton amour ma joie mon bonheur enfin tout ce qui fera jamais la vie de ma vie

Description

Qu'est-ce qui se cache derrière les luttes d'un individu pour s'intégrer dans une nouvelle culture ? Dans cet épisode captivant de L'Oreille qui lit ! </strong>, l'auteur SOS Bac Français Philosophie nous plonge dans l'univers complexe de Zilea, un personnage dont les lettres révèlent des réflexions profondes sur la nature humaine, la culture et les émotions. À travers son parcours, Zilia partage avec nous ses défis pour comprendre une langue étrangère et naviguer dans un environnement culturel qui lui est étranger, tout en se remémorant son attachement à Asa, un être cher.


Les lettres de Zilea sont bien plus qu'une simple correspondance ; elles sont le reflet d'une quête de sens dans un monde souvent en contradiction avec ses valeurs personnelles. Elle questionne la moralité de la société dans laquelle elle évolue, interroge les attentes que la famille et la société placent sur elle, et explore la profondeur de ses propres sentiments. Ses observations sur les spectacles qui illustrent la société dévoilent les nuances des mouvements littéraires et des luttes identitaires.


Les auditeurs de L'Oreille qui lit ! </strong> découvriront également comment Zilea, par ses réflexions, nous pousse à nous interroger sur notre propre rapport à la culture et à l'identité. Cet épisode nous invite à plonger dans la complexité des relations humaines et des dilemmes sociaux.

Abonnez-vous dès maintenant et plongez dans cette aventure littéraire unique !


Suivez-nous sur YouTube : SOS bac français et philo

sur le web : francais-philo. fr


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Quelle fut ma surprise d'y trouver son frère avec elle ? Je ne dissimulais point le plaisir que j'eus de le voir. Je lui dois de l'estime et de l'amitié. Ses sentiments sont presque des vertus. Je les exprimais avec autant de vérité que je les sentais. Je voyais mon libérateur, le seul appui de mes espérances. J'allais parler sans contrainte de toi, de ma tendresse, de mes dessins. Ma joie allait jusqu'au transport. Je ne parlais pas encore français lorsque D'Etherville partit. Combien d'autres choses n'avais-je pas à lui apprendre ? Combien d'éclaircissements à lui demander, combien de reconnaissances à lui témoigner ? Je voulais tout dire à la fois, je disais mal, et cependant je parlais beaucoup. Je m'aperçus que pendant ce temps-là, d'étervile changeait de visage. Une tristesse, que j'y avais remarqué en entrant, se dissipait. La joie prenait sa place, je m'en applaudissais, elle m'animait à l'exciter encore. Hélas ! Devais-je craindre d'en donner trop à un ami à qui je dois tout ? Et de qui j'attends tout ? Cependant, ma sincérité le jeta dans une erreur qui me coûte à présent bien des larmes. Céline était sortie en même temps que j'étais entrée. Peut-être sa présence aurait-elle épargné une explication si cruelle. D'Etherville, attentif à mes paroles, paraissait se plaire à les entendre, sans songer à m'interrompre. Je ne sais quel trouble me saisit lorsque je voulus lui demander des instructions sur mon voyage et lui en expliquer le motif. Mais les expressions me manquèrent, je les cherchais. Il profita d'un moment de silence et mettant un genou à terre devant la grille à laquelle les deux mains étaient attachées, il me dit d'une voix émue. « À quel sentiment, divine Zilia, dois-je attribuer le plaisir que je vois aussi naïvement exprimé dans vos beaux yeux que dans vos discours ? Suis-je le plus heureux des hommes au moment même où ma sœur vient de me faire entendre que j'étais le plus à plaindre ? Je ne sais, lui répondis-je, quel chagrin Céline a pu vous donner, mais je suis bien assurée que vous n'en recevrez jamais de ma part. » « Cependant, répliqua-t-il, elle m'a dit que je ne devais pas espérer d'être aimé de vous. » « Moi ? » m'écriai-je en l'interrompant. « Moi, je ne vous aime point. » « Ah ! Déterville, comment votre sœur peut-elle me noircir d'un tel crime ? » « L'ingratitude me fait horreur. » « Je me haïrais moi-même si je croyais pouvoir cesser de vous aimer. » Pendant que je prononçais ce peu de mots, il semblait à l'avidité de ses regards qu'il voulait lire dans mon âme. « Vous m'aimez, Zilia, » dit-il. « Vous m'aimez et vous me le dites. » Je donnerai ma vie pour entendre ce charmant aveu. Hélas, je ne puis le croire, lors même que je l'entends. Zilia, ma chère Zilia, est-il bien vrai que vous m'aimez ? Ne vous trompez-vous pas vous-même ? Votre ton, vos yeux, mon cœur, tout me séduit. Peut-être n'est-ce que pour me replonger plus cruellement dans le désespoir dont je sors. Vous m'étonnez, repris-je. D'où naît votre défiance ? Depuis que je vous connais, si je n'ai pu me faire entendre par des paroles toutes mes actions ? N'ont-elles pas dû vous prouver que je vous aime ? Non, répliqua-t-il, je ne puis encore me flatter. Vous ne parlez pas assez bien le français pour détruire mes justes craintes. Vous ne cherchez point à me tromper, je le sais. Mais expliquez-moi quel sens vous attachez à ces mots adorables. Je vous aime. Que mon sort soit décidé, que je meurs à vos pieds de douleur ou de plaisir. « Ces mots, lui dis-je, un peu intimidés par la vivacité avec laquelle il prononça ces dernières paroles, ces mots doivent, je crois, vous faire entendre que vous m'êtes cher, que votre sort m'intéresse, que l'amitié et la reconnaissance m'attachent à vous. Ces sentiments plaisent à mon cœur et doivent satisfaire le vôtre. Ah, Zilia, que vos termes s'affaiblissent, que votre ton se refroidit. Céline m'aurait-elle dit la vérité ? N'est-ce point pour hasard que vous sentez tout ce que vous dites ? » Non, lui dis-je, le sentiment que j'ai pour Aza est tout différent de ce que j'ai pour vous. C'est ce que vous appelez l'amour. Quelle peine cela peut-il vous faire, ajoutai-je en le voyant palir. Abandonnez la grille et jetez au ciel des regards remplis de douleur. J'ai de l'amour pour Aza parce qu'il en a pour moi et que nous devions être unis. Il n'y a là-dedans nul rapport avec vous. Les mêmes, les mêmes que vous trouvez entre vous et lui, puisque j'ai mille fois plus d'amour qu'il n'en ressentit jamais. « Comment cela se pourrait-il, repris-je ? Vous n'êtes moins de ma nation. Loin que vous m'ayez choisi pour votre épouse, le hasard seul nous a joints, et ce n'est même que d'aujourd'hui que nous pouvons librement nous communiquer nos idées. Par quelle raison auriez-vous, pour moi, les sentiments dont vous parlez ? » « En faut-il d'autre que vos charmes et mon caractère ? » me répliqua-t-il, « pour m'attacher à vous jusqu'à la mort ? » N'étendre, paresseux, ennemi de l'artifice, les peines qu'il aurait fallu me donner pour pénétrer le cœur des femmes et la crainte de ne n'y pas trouver la franchise que j'y désirais, ne m'ont laissé pour elle qu'un goût vague ou passager. J'ai vécu sans passion, jusqu'au jour où je vous ai vus. Votre beauté me frappa, mais son impression aurait peut-être été aussi légère que celle de beaucoup d'autres, si la douceur... et la naïveté de votre caractère ne m'avaient présenté l'objet que mon imagination m'avait si souvent composé. Vous savez, il y a, si je l'ai respecté, cet objet de mon adoration. Que ne m'en a-t-il pas coûté pour résister aux occasions séduisantes que m'offrait la familiarité d'une longue navigation ? Combien de fois votre innocence vous aura-t-elle livré à mes transports si je les eusse écoutés ? Mais loin de vous offenser, j'ai poussé la discrétion jusqu'au silence. J'ai même exigé de ma sœur qu'elle ne vous parlerait pas de mon amour. Je n'ai rien voulu de voir qu'à vous-même, Azilia. Si vous n'êtes point touché d'un respect si tendre, je vous fuirai. Mais je le sens, ma mort fera le prix du sacrifice. Votre mort ? m'écriai-je, pénétré par la douleur sincère dont je le voyais accablé. Hélas, quel sacrifice ! Je ne sais si celui de ma vie ne me serait pas moins affreux. Eh bien, Azilia, me dit-il, si ma vie vous est chère, ordonnez donc que je vive. « Que faut-il faire ? lui dis-je. « M'aimer, répondit-il, comme vous aimiez à Zah. « Je l'aime toujours de même, lui répliquai-je, « et je l'aimerai jusqu'à la mort. « Je ne sais, ajoutait-je, « si vos lois vous permettent d'aimer deux objets de la même manière, « mais nos usages et mon cœur nous le défendent. « Contentez-vous des sentiments que je vous promets, « je ne puis en avoir d'autres. « La vérité m'est chère, je vous la dis sans détour. de quel sang-froid vous m'assassinez s'écria-t-il « Ah, Azilia, que je vous aime, puisque j'adore jusqu'à votre cruelle franchise. » « Eh bien, continua-t-il après avoir gardé quelques moments de silence, mon amour surpassera votre cruauté. » « Votre bonheur m'est plus cher que le mien. Parlez-moi avec cette sincérité qui me déchire sans ménagement. » « Quelle est votre espérance sur l'amour que vous conservez pour Azat ? » « Hélas, lui dis-je, je n'en ai qu'en vous seul. » Je lui expliquai ensuite comment j'avais appris que la communication aux Indes n'était pas impossible. Je lui dis que je m'étais flatté. qu'il me procurerait les moyens d'y retourner. Ou tout du moins qu'il aurait assez de bonté pour faire passer jusqu'à toi des nœuds qui t'instruiraient de mon sort, et, pour m'en faire avoir les réponses, afin qu'instruire de ta destinée, elles servent de règle à la mienne. Je vais prendre, me dit-il, avec un sang-froid affecté, les mesures nécessaires pour découvrir le sort de votre amant. Vous serez satisfaite à cet égard. Cependant, vous vous flatteriez en vain de revoir l'heureux hasard. Des obstacles invincibles vous séparent. Ces mots, mon cher Azat, furent un coup mortel pour mon cœur. Mes larmes coulèrent en abondance, elles m'empêchèrent longtemps de répondre à des tervilles qui, de son côté, gardaient un morne silence. Eh bien, lui dis-je enfin, je ne le verrai plus, mais je n'en vivrai pas moins pour lui. Si votre amitié est assez généreuse pour nous procurer quelques correspondances, cette satisfaction suffira pour me rendre à la vie moins insupportable. Et je mourrai contente, pourvu que vous me promettiez de lui faire savoir que je suis mort en léman. « Ah ! c'en est trop ! » s'écria-t-il en se levant brusquement. « Oui, s'il est possible, je serai le seul malheureux. Vous connaîtrez ce cœur que vous dédaignez. Vous verrez de quels efforts est capable un amour tel que le mien, et je vous forcerai au moins à me plaindre. » En disant ces mots, il sortit et me laissa dans un état que je ne comprends pas encore. J'étais demeuré debout, les yeux attachés sur la porte par où Déterville venait de sortir, abîmé, dans une confusion de pensée que je ne cherchais pas même à démêler. J'y serais resté longtemps ? Cicéline ne fut entrée dans le parloir. Elle me demanda vivement pourquoi Déterville était sortie si tôt. Je ne lui cachais pas ce qui s'était passé entre nous. D'abord, elle s'affligea de ce qu'elle appelait le malheur de son frère. Ensuite, tournant sa douleur en colère, elle m'accabla des plus durs reproches, sans que j'osasse y opposer un seul mot. Qu'aurais-je pu lui dire ? Mon trouble me laissait à peine la liberté de penser. Je sortis, elle ne me suivit point. Retiré dans ma chambre, j'y suis resté un jour sans oser paraître, sans avoir eu de nouvelles de personne et dans un désordre d'esprit qui ne me permettait pas même d'écrire. La colère de Céline, le désespoir de son frère, les dernières paroles auxquelles je voudrais et je n'ose donner un sens favorable livrèrent mon âme tour à tour aux plus cruelles inquiétudes. J'ai cru enfin que le seul moyen de les aldoucir était de te les peindre, de t'en faire part, de chercher dans ta tendresse les conseils dont j'ai besoin. Cette erreur m'a soutenu pendant que j'écrivais, mais qu'elle a peu duré. Ma lettre est écrite et les caractères ne sont tracés que pour moi. Tu ignores ce que je souffre. Tu ne sais pas même si j'existe, si je t'aime. Asa, mon cher Asa, ne le sauras-tu jamais ? Lettre 24. Je pourrais encore appeler une absence le temps qui s'est écoulé, mon cher Azat, depuis la dernière fois que je t'ai écrit. Quelques jours après l'entretien que j'use avec D'Eterville, je tombais dans une maladie que l'on nomme la fièvre. Si, comme je le crois, elle a été causée par les passions douloureuses qui m'agitèrent alors, je ne doute pas qu'elle n'ait été prolongée par les tristes réflexions dont je suis occupé et par le regret d'avoir perdu l'amitié de Céline. Quoiqu'elle ait paru s'intéresser à ma maladie, qu'elle m'ait rendu tous les soins qui dépendaient d'elle, c'était d'un air si froid. Elle a eu si peu de ménagement pour mon âme que je ne puis douter de l'altération de ses sentiments. L'extrême amitié qu'elle a pour son frère l'indispose contre moi. Elle me reproche sans cesse de le rendre malheureux. La honte de paraître ingrate m'intimide. Les bontés affectées de Céline me gênent. Mon embarras la contraint. La douceur et l'agrément sont bannis de notre commerce. Malgré tant de contrariétés et de peines de la part du frère et de la sœur, je ne suis pas insensible aux événements qui changent leur destinée. Madame d'Eterville est morte. Cette mère dénaturée n'a point démenti son caractère. Elle a donné tout son bien à son fils aîné. On espère que les gens de loi empêcheront l'effet de cette injustice. D'Eterville, désintéressé par lui-même, se donne des peines infinies pour tirer ses lignes de l'oppression. Il semble que son malheur redouble son amitié pour elle. Outre qu'il vient la voir tous les jours, il lui écrit soir et matin. Ses lettres sont remplies de si tendres plaintes contre moi, de si vives inquiétudes sur ma santé que, quoi que Céline affecte, en me les lisant, de ne vouloir que m'instruire du progrès de leurs affaires, je démêle aisément le motif du prétexte. Je ne doute pas que D'Eterville ne les écrive afin qu'elles me soient lues. Néanmoins, je suis persuadé qu'il s'en abstiendrait s'il était instruit des reproches sanglants dont cette lecture est suivie. Ils font leur impression sur mon cœur. La tristesse me consomme. Jusqu'ici, au milieu des orages, je jouissais de la faible satisfaction de vivre en paix avec moi-même. Aucune tâche ne souillait la pureté de mon âme, aucun remord ne la troublait. À présent, je ne puis penser, sans une sorte de mépris pour moi-même, que je rends malheureuse deux personnes auxquelles je dois la vie, que je trouble le repos dont elles jouiraient sans moi, que je leur fais tout le mal qui est en mon pouvoir, et cependant, je ne puis ni ne veux cesser d'être criminel. Ma tendresse pour toi triomphe de mes remords. Asa, que je t'aime. Lettre 25 Que la prudence est quelquefois nuisible, mon cher Asa. J'ai résisté longtemps aux puissantes instances que Déterville m'a fait faire de lui accorder à un moment d'entretien. Hélas, je fuyais mon bonheur. Enfin, moins par complaisance que par lassitude de disputer avec Céline, je me suis laissé conduire au parloir. À la vue du changement affreux qui rendait Terville presque méconnaissable, je suis restée interdite. Je me repentais déjà de ma démarche. J'attendais, en tremblant, les reproches qu'il me paraissait en droit de me faire. Pouvais-je deviner qu'il allait combler mon âme de plaisir ? « Pardonnez-moi, Zilia, m'a-t-il dit, la violence que je vous fais. Je ne vous aurais pas obligé à me voir si je ne vous apportais autant de joie que vous me causez de douleur. » Est-ce trop exiger qu'à un moment de votre vue pour récompense du cruel sacrifice que je vous fais ? » Et sans me donner le temps de répondre, voici, continua-t-il, « Une lettre de ce parent dont on vous a parlé. En vous apprenant le sort d'Aza, elle vous prouvera mieux que tous mes serments qu'elle est l'excès de mon amour. » Et tout de suite, il m'en fit la lecture. « Ah, mon cher Aza, ai-je pu l'entendre sans mourir de joie ? Elle m'apprend que tes jours sont conservés, que tu es libre. » Que tu vis sans péril à la cour d'Espagne. Quel bonheur inespéré. Cette admirable lettre est écrite par un homme qui te connaît, qui te voit, qui te parle. Peut-être tes regards ont-ils été attachés un moment sur ce précieux papier. Je ne pouvais en arracher les miens. Je n'ai retenu qu'à peine des cris de joie prêts à m'échapper. Les larmes de l'amour inondaient mon visage. Si j'avais suivi les mouvements de mon cœur, cent fois j'aurais interrompu d'Eterville pour lui dire tout ce que la reconnaissance m'aspirait. Mais je n'oubliais point que mon bonheur doit augmenter ses peines. Je lui cachais mes transports, il ne vit que mes larmes. « Eh bien, Zilia, me dit-il après avoir cessé de lire, j'ai tenu ma parole. Vous êtes instruite du sort d'Aza. Si ce n'est point assez, que faut-il faire de plus ? Ordonnez sans contrainte, il n'est rien que vous ne soyez en droit d'exiger de mon amour pourvu qu'il contribue à votre bonheur. » Quoique je dût m'attendre à cet excès de bonté, elle me surprit et me toucha. Je fus quelques moments embarrassé de ma réponse. Je craignais d'irriter la douleur d'un homme si généreux. Je cherchais des termes qui exprimassent la vérité de mon cœur sans offenser la sensibilité du sien. Je ne les trouvais pas. Il fallait parler. « Mon bonheur, lui dis-je, ne sera jamais sans mélange, puisque je ne puis concilier les devoirs de l'amour avec ceux de l'amitié. Je voudrais regagner la vôtre et celle de Céline. Je voudrais ne vous point quitter, admirer sans cesse vos vertus, payer tous les jours de ma vie le tribut de reconnaissance que je dois à vos bontés. Je sens qu'en m'éloignant de deux personnes si chères, j'emporterai des regrets éternels. Mais quoi, Zilia ? s'écria-t-il. Vous voulez nous quitter ? » Ah, je n'étais point préparé à cette funeste résolution. Je manque de courage pour la soutenir. J'en avais assez pour vous voir ici dans les bras de mon rival. L'effort de ma raison, la délicatesse de mon amour m'avait affermi contre ce coup mortel. Je l'aurais préparé moi-même, mais je ne puis me séparer de vous. Je ne puis renoncer à vous voir. Non, vous ne partirez point, continua-t-il avec emportement. N'y comptez pas. Vous abusez de ma tendresse. Vous déchirez sans pitié un cœur perdu d'amour, Zilia. Cruel Zilia, voyez mon désespoir, c'est votre ouvrage. Hélas, de quel prix payez-vous l'amour le plus pur ? C'est vous, lui dis-je, effrayé de sa résolution, c'est vous que je devrais accuser. Vous flétrissez mon âme en la forçant d'être ingrate. Vous désolez mon cœur par une sensibilité infructueuse ? Au nom de l'amitié, ne ternissez pas une générosité sans exemple par un désespoir qui ferait l'amertume de ma vie sans vous rendre heureux. Ne condamnez point en moi-même le même sentiment que vous ne pouvez surmonter. « Ne me forcez pas à me plaindre de vous. Laissez-moi chérir votre nom, le porter au bout du monde et le faire révérer à des peuples adorateurs de la vertu. » Je ne sais comment je prononçais ces paroles, mais d'Eterville, fixant ses yeux sur moi, semblait ne me point regarder. Renfermé en lui-même, il demeura longtemps dans une profonde méditation. De mon côté, je n'osais l'interrompre. Nous observions un égal silence quand il reprit la parole et me dit avec une espèce de tranquillité. « Oui, Zilia, je connais. Je sens toute mon injustice. Mais renonce-t-on de sang-froid à la vue de tant de charme ? Vous le voulez, vous serez obéi. » « Quel sacrifice ! Oh, ciel ! Mes tristes jours s'écouleront, finiront sans vous voir. Au moins, si la mort... » « N'en parlons plus, » ajouta-t-il en s'interrompant. « Ma faiblesse me trahirait. Donnez-moi deux jours pour m'assurer de moi-même. Je reviendrai vous voir. » Il est nécessaire que nous prenions ensemble des mesures pour votre voyage. Adieu, Cilia. Puisse l'heureux hasard sentir tout son bonheur. En même temps, il sortit. Je te l'avoue, mon cher hasard, quoique d'Etherville me soit cher, quoique je fusse pénétré de sa douleur, j'avais trop d'impatience de jouir en paix de ma félicité pour n'être pas bien aise qu'il se retirât. Qu'il est doux, après tant de peine, de s'abandonner à la joie. Je passais le reste de la journée dans les plus tendres ravissements. Je ne t'écrivis point. Une lettre était trop peu pour mon cœur. Elle m'aurait rappelé ton absence. Je te voyais, je te parlais, chère Asa. Que manquerait-il à mon bonheur si tu avais joint à cette précieuse lettre quelques gages de ta tendresse ? Pourquoi ne l'as-tu pas fait ? On t'a parlé de moi, tu es instruit de mon sort, et rien ne me parle de ton amour. Mais puis-je douter de ton cœur ? Le mien m'en répond. Tu m'aimes ? Ta joie est égale à la mienne, tu brûles des mêmes feux, la même impatience te dévore. Que la crainte s'éloigne de mon âme, que la joie y domine sans mélange. Cependant, tu as embrassé la religion de ce peuple féroce. Quelle est-elle ? Exige-t-elle les mêmes sacrifices que celles de France ? Non, tu n'y aurais pas consenti. Quoi qu'il en soit, mon cœur est sous tes lois. Soumise à tes lumières, j'adopterai aveuglement tout ce qui pourra nous rendre inséparables. que puis-je craindre bientôt réuni à mon bien à mon être à mon tout je ne penserai plus que par toi je ne vivrai que pour t'aimer c'est ici mon cher hasard que je te reverrai mon bonheur s'accroît chaque jour par ses propres circonstances je sors de l'entrevue que d'éterville m'avait assignée Quel que plaisir que je me sois fait de surmonter les difficultés du voyage, de te prévenir de courir au devant de tes pas, je le sacrifice en regret, au bonheur de te voir plus tôt. Déterville m'a prouvé avec tant d'évidence que tu peux être ici en moins de temps qu'il ne m'en faudrait pour aller en Espagne que, quoi qu'il m'ait généreusement laissé le choix, je n'ai pas balancé à t'attendre. Le temps est trop cher pour le prodiguer sans nécessité. Peut-être avant de me déterminer. Aurais-je examiné cet avantage avec plus de soin si je n'eusse tiré des éclaircissements sur mon voyage qui m'ont décidé en secret sur le parti que je prends, et ce secret je ne puis le confier qu'à toi. Je me suis souvenu que pendant la longue route qui m'a conduite à Paris, des terviles donnaient des pièces d'argent et quelquefois d'or dans tous les endroits où nous nous arrêtions. J'ai voulu savoir si c'était par obligation ou par simple libéralité. J'ai appris qu'en France... Non seulement on fait payer la nourriture aux voyageurs, mais même le repos, hélas. Je n'ai pas la moindre partie de ce qui serait nécessaire pour contenter l'intérêt de ce peuple avide. Il faudrait le recevoir des mains de Déterville. Quelle honte ! Tu sais tout ce que je lui dois. Je l'acceptais avec une répugnance qui ne peut être vaincue que par la nécessité. Mais pourrais-je me résoudre à contracter volontairement un genre d'obligation dont la honte va presque jusqu'à l'ignominie ? Je n'ai pu m'y résoudre, mon cher Azat. Cette raison seule m'aurait déterminé à demeurer ici. Le plaisir de te voir plus promptement n'a fait que confirmer ma résolution. Déterville l'a écrit devant moi au ministre d'Espagne. Il le presse de te faire partir. Il lui indique les moyens de te faire conduire ici avec une générosité qui me pénètre de reconnaissance et d'admiration. Quel doux moment j'ai passé pendant que Déterville écrivait. Quel plaisir d'être occupé des arrangements de ton voyage. de voir les apprêts de mon bonheur, de n'en plus douter. Si d'abord il m'en a coûté pour renoncer aux dessins que j'avais de te prévenir, je l'avoue, mon cher hasard, j'y trouve à présent mille sources de plaisir que je n'y avais pas aperçues. Plusieurs circonstances, qui ne me paraissent d'aucune valeur pour avancer ou retarder mon départ, me deviennent intéressantes et agréables. Je suivais aveuglement le penchant de mon cœur. J'oubliais que j'allais te chercher au milieu de ces barbares espagnols dont la seule idée me saisit d'horreur. Je trouve une satisfaction infinie dans la certitude de ne les revoir jamais. La voie de l'amour est éniée celle de l'amitié. Je goûte sans remords la douceur de les réunir. D'un autre côté, D'Eterville m'a assuré qu'il nous était à jamais impossible de revoir la ville du soleil. Après le séjour de notre patrie, en est-il un plus agréable que celui de la France ? Il te plaira, mon cher Azat, quoique la sincérité en soit bannie. On y trouve tant d'agréments qu'ils font oublier les dangers de la société. Après ce que je t'ai dit de l'or, il n'est pas nécessaire de t'avertir d'en apporter. Tu n'as que faire d'autres mérites. La moindre partie de tes trésors suffit pour te faire admirer et confondre l'orgueil des magnifiques indigents de ce royaume. Tes vertus et tes sentiments ne seront chéris que de moi. Déterville m'a promis de te faire rendre mes nœuds et mes lettres. Il m'a assuré que tu trouverais des interprètes pour t'expliquer les dernières. On vient me demander le paquet, il faut que je te quitte. Adieu. Cher espoir de ma vie, je continuerai à t'écrire. Si je ne puis te faire passer mes lettres, je te les garderai. Comment supporterais-je la longueur de ton voyage si je me privais du seul moyen que j'ai de m'entretenir de ma joie ? Comment supporterais-je la longueur de ton voyage si je me privais du seul moyen que j'ai de m'entretenir de ma joie, de mes transports, de mon bonheur ? Lettre 27 Depuis que je sais mes lettres en chemin, mon cher hasard, Je jouis d'une tranquillité que je ne connaissais plus. Je pense sans cesse au plaisir que tu auras à les recevoir. Je vois tes transports, je les partage. Mon âme ne reçoit de toute part que des idées agréables. Et pour comble de joie, la paix est rétablie dans notre petite société. Les juges ont rendu à Céline les biens dont sa mère l'avait privé. Elle voit son amant tous les jours. Son mariage n'est retardé que par les après qui y sont nécessaires. Au comble de ses voeux, Elle ne pense plus à me quereller et je lui en ai autant d'obligations que si je devais à son amitié les bontés qu'elle recommence à me témoigner. Quel qu'en soit le motif, nous sommes toujours redevables à ceux qui nous font éprouver un sentiment doux. Ce matin, elle m'en a fait sentir tout le prix par une complaisance qui m'a fait passer d'un trouble fâcheux à une tranquillité agréable. On lui a apporté une quantité prodigieuse d'étoffes, d'habits, de bijoux de toutes espèces. Elle est accourue dans ma chambre. m'a emmenée dans la sienne et après m'avoir consultée sur les différentes beautés de temps d'ajustement l'a fait elle-même un tas de ce qui avait le plus attiré mon attention et d'un air empressé elle commandait déjà à zanushina de le porter chez moi quand je m'y suis opposée de toutes mes forces mes instances n'ont d'abord servi qu'à la divertir mais voyant que son obstination augmentait avec mes refus je n'ai pu dissimuler davantage mon ressentiment pourquoi lui ai-je dit les yeux baignés de larmes Pourquoi voulez-vous m'humilier, plus que je ne le suis ? Je vous dois la vie et tout ce que j'ai, c'est plus qu'il n'en faut pour ne point oublier mes malheurs. Je sais que, selon vos lois, quand les bienfaits ne sont d'aucune utilité à ceux qui les reçoivent, la honte en est effacée. Attendez donc que je n'en ai plus aucun besoin pour exercer votre générosité. Ce n'est pas sans répugnance, ajoutai-je d'un ton plus modéré, que je me conforme à des sentiments si peu naturels. Nos usages sont plus humains. Celui qui reçoit son or autant que celui qui donne. Vous m'avez appris à penser autrement. N'était-ce donc que pour me faire des outrages ? Cet aimable ami, plus touché de mes larmes qu'irrité de mes reproches, m'a répondu d'un ton d'amitié. « Nous sommes bien éloignés, mon frère et moi, ma chère Zilia, de vouloir blesser votre délicatesse. Il nous cirait mal de faire les magnifiques avec vous, vous le connaîtrez d'en peu. Je voulais seulement que vous partagassiez avec moi les présents d'un frère généreux. C'était le plus sûr moyen de lui en marquer ma reconnaissance. L'usage, dans le cas où je suis, m'autorisait à vous les offrir. Mais puisque vous en êtes offensé, je ne vous en parlerai plus. Vous me le promettez donc, lui ai-je dit ? Oui, m'a-t-elle répondu en souriant. Mais permettez-moi d'écrire un mot à Déterville. Je l'ai laissé faire et la gaieté s'est rétablie entre nous. Nous avons recommencé à examiner ses parures plus en détail jusqu'au temps où on l'a demandé au parloir. Elle voulait m'y mener mais, mon cher Azat, est-il pour moi quelque amusement comparable à celui de t'écrire ? Loin d'en chercher d'autres, j'appréhende d'avance ce que l'on me prépare. Céline va se marier, elle prétend m'en mener avec elle, elle veut que je quitte la maison religieuse pour demeurer dans la sienne. Mais, si j'en suis cru, hasard, mon cher hasard, par quelle agréable surprise ma lettre fut-elle hier interrompue ? Hélas, je croyais avoir perdu pour jamais ce précieux monument de notre ancienne splendeur. Je n'y comptais plus, je n'y pensais même pas. J'en suis environné, je les vois, je les touche, et j'en croise à peine mes yeux et mes mains. Au moment où je t'écrivais, je vis entrer Céline, suivie de quatre hommes, accablés sous le poids de gros coffres qu'ils portaient. Ils les posèrent à terre et se retirèrent. Je pensais que ce pouvait être de nouveaux dons de Déterville. Je murmurais déjà en secret lorsque Céline me dit, en me présentant des clés, « Ouvrez, Zilia, ouvrez sans vous effaroucher, c'est de la part d'Aza. La vérité que j'attache inséparablement à ton inné ne me laissa point le monde au doute. » J'ouvris avec précipitation et ma surprise confirma mon erreur en reconnaissant tout ce qui s'offrit à ma vue pour des ornements du Temple du Soleil. Un sentiment confus, mêlée de tristesse et de joie, de plaisir et de regret, remplit tout mon cœur. Je me prosternais devant ces restes sacrés de notre culte et de nos hôtels. Je les couvris de respectueux baisers, je les arrosais de mes larmes, je ne pouvais m'en arracher, j'avais oublié jusqu'à la présence de Céline. Elle me tira de mon ivresse en me donnant une lettre qu'elle me pria de lire. Toujours remplie de mon erreur, je la crus de toi. Mes transports redoublèrent, mais, quoique je la déchiffrasse avec peine, Je connus bientôt qu'elle était de Déterville. Il me sera plus aisé, mon cher Azat, de te la copier que de t'en expliquer le sens. Billet de Déterville. Ces trésors sont à vous, belle Zilia, puisque je les ai trouvés sur le vaisseau qui vous portait. Quelques discussions arrivées entre les gens de l'équipage m'ont empêché jusqu'ici d'en disposer librement. Je voulais vous les présenter moi-même, mais les inquiétudes que vous avez témoignées ce matin à ma sœur ne me laissent plus le choix du moment. Je ne saurais trop dissiper vos craintes, je préférerais toute ma vie votre satisfaction à la mienne. Je l'avoue, en rougissant mon cher hasard, je sentis moins alors la générosité de Teterville que le plaisir de lui donner des preuves de la mienne. Je mis promptement à part un vase que le hasard, plus que la cupidité, a fait tomber dans les mains des Espagnols. C'est le même, mon cœur l'a reconnu, que tes lèvres touchèrent le jour où tu nous voulais bien goûter du haka préparé de ma main. Plus riche de ce trésor que de tous ceux qu'on me rendait. J'appelai les gens qui les avaient apportés. Je voulais les leur faire reprendre pour les renvoyer à Déterville, mais Céline s'opposa à mon dessein. « Que vous êtes injustes, Zilia, me dit-elle. Quoi ? Vous voulez faire accepter des richesses immenses à mon frère ? Vous, que l'offre d'une bagatelle offense ? Rappelez votre équité, si vous voulez en inspirer aux autres. » Ses paroles me frappèrent. Je reconnus dans mon action plus d'orgueil et de vengeance que de générosité. Que les vices sont près des vertus. J'avouais ma faute. J'en demandais pardon à Céline, mais je souffrais trop de la contrainte qu'elle voulait m'imposer pour n'y pas chercher de l'adoucissement. « Ne me punissez pas autant que je le mérite, lui dis-je d'un air timide. Ne dédaignez pas quelques modèles du travail de nos malheureuses contrées. Vous n'en avez aucun besoin. Ma prière ne doit point vous offenser. » Tandis que je parlais, je remarquais que Céline regardait attentivement deux arbustes d'or chargés d'oiseaux et d'insectes d'un travail excellent. Je me hâtais de les lui présenter avec une petite corbeille d'argent que je remplis de coquillages, de poissons et de fleurs les mieux imités. Elle les accepta avec une bonté qui me ravit. Je choisis ensuite plusieurs idoles des nations vaincues par tes ancêtres et une petite statue qui représentait une vierge du soleil. J'y joignis un tigre, un lion et d'autres animaux courageux et je la priais de les envoyer à Deterville. Écrivez-lui donc, me dit-elle en souriant. Sans une lettre de votre part, les présents seraient mal reçus. J'étais trop satisfaite pour rien refuser. J'écrivis tout ce que me dicta ma reconnaissance et lorsque Céline fut sortie, je distribuais des petits présents à Sachina et à la mienne. J'en mis à part pour mon maître à écrire. Je goûtais enfin le délicieux plaisir de donner. Ça n'a pas été sans choix, mon Gerasa. Tout ce qui vient de toi, tout ce qui a des rapports intimes avec ton souvenir, n'est point sorti de mes mains. La chaise d'or que l'on conservait dans le temple pour le jour des visites du Kappa Inca Ton auguste père, placé d'un côté de ma chambre en forme de trône, me représente ta grandeur et la majesté de ton rang. La grande figure du soleil que je vis moi-même arrachée du temple par les perfides espagnols, suspendue au-dessus, excite ma vénération. Je me prosterne devant elle, mon esprit l'adore, et mon cœur est tout à toi. Les deux palmiers que tu donnas au soleil pour offrande et pour gage de la foi que tu m'avais juré, placés aux deux côtés du trône, me rappellent sans cesse tes tendres sermons. des fleurs des oiseaux répandus avec symétrie dans tous les coins de ma chambre forment en raccourci l'image de ces magnifiques jardins où je me suis si souvent entretenu de ton idée mes yeux satisfaits ne s'arrêtent nulle part sans me rappeler ton amour ma joie mon bonheur enfin tout ce qui fera jamais la vie de ma vie

Share

Embed

You may also like

Description

Qu'est-ce qui se cache derrière les luttes d'un individu pour s'intégrer dans une nouvelle culture ? Dans cet épisode captivant de L'Oreille qui lit ! </strong>, l'auteur SOS Bac Français Philosophie nous plonge dans l'univers complexe de Zilea, un personnage dont les lettres révèlent des réflexions profondes sur la nature humaine, la culture et les émotions. À travers son parcours, Zilia partage avec nous ses défis pour comprendre une langue étrangère et naviguer dans un environnement culturel qui lui est étranger, tout en se remémorant son attachement à Asa, un être cher.


Les lettres de Zilea sont bien plus qu'une simple correspondance ; elles sont le reflet d'une quête de sens dans un monde souvent en contradiction avec ses valeurs personnelles. Elle questionne la moralité de la société dans laquelle elle évolue, interroge les attentes que la famille et la société placent sur elle, et explore la profondeur de ses propres sentiments. Ses observations sur les spectacles qui illustrent la société dévoilent les nuances des mouvements littéraires et des luttes identitaires.


Les auditeurs de L'Oreille qui lit ! </strong> découvriront également comment Zilea, par ses réflexions, nous pousse à nous interroger sur notre propre rapport à la culture et à l'identité. Cet épisode nous invite à plonger dans la complexité des relations humaines et des dilemmes sociaux.

Abonnez-vous dès maintenant et plongez dans cette aventure littéraire unique !


Suivez-nous sur YouTube : SOS bac français et philo

sur le web : francais-philo. fr


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Quelle fut ma surprise d'y trouver son frère avec elle ? Je ne dissimulais point le plaisir que j'eus de le voir. Je lui dois de l'estime et de l'amitié. Ses sentiments sont presque des vertus. Je les exprimais avec autant de vérité que je les sentais. Je voyais mon libérateur, le seul appui de mes espérances. J'allais parler sans contrainte de toi, de ma tendresse, de mes dessins. Ma joie allait jusqu'au transport. Je ne parlais pas encore français lorsque D'Etherville partit. Combien d'autres choses n'avais-je pas à lui apprendre ? Combien d'éclaircissements à lui demander, combien de reconnaissances à lui témoigner ? Je voulais tout dire à la fois, je disais mal, et cependant je parlais beaucoup. Je m'aperçus que pendant ce temps-là, d'étervile changeait de visage. Une tristesse, que j'y avais remarqué en entrant, se dissipait. La joie prenait sa place, je m'en applaudissais, elle m'animait à l'exciter encore. Hélas ! Devais-je craindre d'en donner trop à un ami à qui je dois tout ? Et de qui j'attends tout ? Cependant, ma sincérité le jeta dans une erreur qui me coûte à présent bien des larmes. Céline était sortie en même temps que j'étais entrée. Peut-être sa présence aurait-elle épargné une explication si cruelle. D'Etherville, attentif à mes paroles, paraissait se plaire à les entendre, sans songer à m'interrompre. Je ne sais quel trouble me saisit lorsque je voulus lui demander des instructions sur mon voyage et lui en expliquer le motif. Mais les expressions me manquèrent, je les cherchais. Il profita d'un moment de silence et mettant un genou à terre devant la grille à laquelle les deux mains étaient attachées, il me dit d'une voix émue. « À quel sentiment, divine Zilia, dois-je attribuer le plaisir que je vois aussi naïvement exprimé dans vos beaux yeux que dans vos discours ? Suis-je le plus heureux des hommes au moment même où ma sœur vient de me faire entendre que j'étais le plus à plaindre ? Je ne sais, lui répondis-je, quel chagrin Céline a pu vous donner, mais je suis bien assurée que vous n'en recevrez jamais de ma part. » « Cependant, répliqua-t-il, elle m'a dit que je ne devais pas espérer d'être aimé de vous. » « Moi ? » m'écriai-je en l'interrompant. « Moi, je ne vous aime point. » « Ah ! Déterville, comment votre sœur peut-elle me noircir d'un tel crime ? » « L'ingratitude me fait horreur. » « Je me haïrais moi-même si je croyais pouvoir cesser de vous aimer. » Pendant que je prononçais ce peu de mots, il semblait à l'avidité de ses regards qu'il voulait lire dans mon âme. « Vous m'aimez, Zilia, » dit-il. « Vous m'aimez et vous me le dites. » Je donnerai ma vie pour entendre ce charmant aveu. Hélas, je ne puis le croire, lors même que je l'entends. Zilia, ma chère Zilia, est-il bien vrai que vous m'aimez ? Ne vous trompez-vous pas vous-même ? Votre ton, vos yeux, mon cœur, tout me séduit. Peut-être n'est-ce que pour me replonger plus cruellement dans le désespoir dont je sors. Vous m'étonnez, repris-je. D'où naît votre défiance ? Depuis que je vous connais, si je n'ai pu me faire entendre par des paroles toutes mes actions ? N'ont-elles pas dû vous prouver que je vous aime ? Non, répliqua-t-il, je ne puis encore me flatter. Vous ne parlez pas assez bien le français pour détruire mes justes craintes. Vous ne cherchez point à me tromper, je le sais. Mais expliquez-moi quel sens vous attachez à ces mots adorables. Je vous aime. Que mon sort soit décidé, que je meurs à vos pieds de douleur ou de plaisir. « Ces mots, lui dis-je, un peu intimidés par la vivacité avec laquelle il prononça ces dernières paroles, ces mots doivent, je crois, vous faire entendre que vous m'êtes cher, que votre sort m'intéresse, que l'amitié et la reconnaissance m'attachent à vous. Ces sentiments plaisent à mon cœur et doivent satisfaire le vôtre. Ah, Zilia, que vos termes s'affaiblissent, que votre ton se refroidit. Céline m'aurait-elle dit la vérité ? N'est-ce point pour hasard que vous sentez tout ce que vous dites ? » Non, lui dis-je, le sentiment que j'ai pour Aza est tout différent de ce que j'ai pour vous. C'est ce que vous appelez l'amour. Quelle peine cela peut-il vous faire, ajoutai-je en le voyant palir. Abandonnez la grille et jetez au ciel des regards remplis de douleur. J'ai de l'amour pour Aza parce qu'il en a pour moi et que nous devions être unis. Il n'y a là-dedans nul rapport avec vous. Les mêmes, les mêmes que vous trouvez entre vous et lui, puisque j'ai mille fois plus d'amour qu'il n'en ressentit jamais. « Comment cela se pourrait-il, repris-je ? Vous n'êtes moins de ma nation. Loin que vous m'ayez choisi pour votre épouse, le hasard seul nous a joints, et ce n'est même que d'aujourd'hui que nous pouvons librement nous communiquer nos idées. Par quelle raison auriez-vous, pour moi, les sentiments dont vous parlez ? » « En faut-il d'autre que vos charmes et mon caractère ? » me répliqua-t-il, « pour m'attacher à vous jusqu'à la mort ? » N'étendre, paresseux, ennemi de l'artifice, les peines qu'il aurait fallu me donner pour pénétrer le cœur des femmes et la crainte de ne n'y pas trouver la franchise que j'y désirais, ne m'ont laissé pour elle qu'un goût vague ou passager. J'ai vécu sans passion, jusqu'au jour où je vous ai vus. Votre beauté me frappa, mais son impression aurait peut-être été aussi légère que celle de beaucoup d'autres, si la douceur... et la naïveté de votre caractère ne m'avaient présenté l'objet que mon imagination m'avait si souvent composé. Vous savez, il y a, si je l'ai respecté, cet objet de mon adoration. Que ne m'en a-t-il pas coûté pour résister aux occasions séduisantes que m'offrait la familiarité d'une longue navigation ? Combien de fois votre innocence vous aura-t-elle livré à mes transports si je les eusse écoutés ? Mais loin de vous offenser, j'ai poussé la discrétion jusqu'au silence. J'ai même exigé de ma sœur qu'elle ne vous parlerait pas de mon amour. Je n'ai rien voulu de voir qu'à vous-même, Azilia. Si vous n'êtes point touché d'un respect si tendre, je vous fuirai. Mais je le sens, ma mort fera le prix du sacrifice. Votre mort ? m'écriai-je, pénétré par la douleur sincère dont je le voyais accablé. Hélas, quel sacrifice ! Je ne sais si celui de ma vie ne me serait pas moins affreux. Eh bien, Azilia, me dit-il, si ma vie vous est chère, ordonnez donc que je vive. « Que faut-il faire ? lui dis-je. « M'aimer, répondit-il, comme vous aimiez à Zah. « Je l'aime toujours de même, lui répliquai-je, « et je l'aimerai jusqu'à la mort. « Je ne sais, ajoutait-je, « si vos lois vous permettent d'aimer deux objets de la même manière, « mais nos usages et mon cœur nous le défendent. « Contentez-vous des sentiments que je vous promets, « je ne puis en avoir d'autres. « La vérité m'est chère, je vous la dis sans détour. de quel sang-froid vous m'assassinez s'écria-t-il « Ah, Azilia, que je vous aime, puisque j'adore jusqu'à votre cruelle franchise. » « Eh bien, continua-t-il après avoir gardé quelques moments de silence, mon amour surpassera votre cruauté. » « Votre bonheur m'est plus cher que le mien. Parlez-moi avec cette sincérité qui me déchire sans ménagement. » « Quelle est votre espérance sur l'amour que vous conservez pour Azat ? » « Hélas, lui dis-je, je n'en ai qu'en vous seul. » Je lui expliquai ensuite comment j'avais appris que la communication aux Indes n'était pas impossible. Je lui dis que je m'étais flatté. qu'il me procurerait les moyens d'y retourner. Ou tout du moins qu'il aurait assez de bonté pour faire passer jusqu'à toi des nœuds qui t'instruiraient de mon sort, et, pour m'en faire avoir les réponses, afin qu'instruire de ta destinée, elles servent de règle à la mienne. Je vais prendre, me dit-il, avec un sang-froid affecté, les mesures nécessaires pour découvrir le sort de votre amant. Vous serez satisfaite à cet égard. Cependant, vous vous flatteriez en vain de revoir l'heureux hasard. Des obstacles invincibles vous séparent. Ces mots, mon cher Azat, furent un coup mortel pour mon cœur. Mes larmes coulèrent en abondance, elles m'empêchèrent longtemps de répondre à des tervilles qui, de son côté, gardaient un morne silence. Eh bien, lui dis-je enfin, je ne le verrai plus, mais je n'en vivrai pas moins pour lui. Si votre amitié est assez généreuse pour nous procurer quelques correspondances, cette satisfaction suffira pour me rendre à la vie moins insupportable. Et je mourrai contente, pourvu que vous me promettiez de lui faire savoir que je suis mort en léman. « Ah ! c'en est trop ! » s'écria-t-il en se levant brusquement. « Oui, s'il est possible, je serai le seul malheureux. Vous connaîtrez ce cœur que vous dédaignez. Vous verrez de quels efforts est capable un amour tel que le mien, et je vous forcerai au moins à me plaindre. » En disant ces mots, il sortit et me laissa dans un état que je ne comprends pas encore. J'étais demeuré debout, les yeux attachés sur la porte par où Déterville venait de sortir, abîmé, dans une confusion de pensée que je ne cherchais pas même à démêler. J'y serais resté longtemps ? Cicéline ne fut entrée dans le parloir. Elle me demanda vivement pourquoi Déterville était sortie si tôt. Je ne lui cachais pas ce qui s'était passé entre nous. D'abord, elle s'affligea de ce qu'elle appelait le malheur de son frère. Ensuite, tournant sa douleur en colère, elle m'accabla des plus durs reproches, sans que j'osasse y opposer un seul mot. Qu'aurais-je pu lui dire ? Mon trouble me laissait à peine la liberté de penser. Je sortis, elle ne me suivit point. Retiré dans ma chambre, j'y suis resté un jour sans oser paraître, sans avoir eu de nouvelles de personne et dans un désordre d'esprit qui ne me permettait pas même d'écrire. La colère de Céline, le désespoir de son frère, les dernières paroles auxquelles je voudrais et je n'ose donner un sens favorable livrèrent mon âme tour à tour aux plus cruelles inquiétudes. J'ai cru enfin que le seul moyen de les aldoucir était de te les peindre, de t'en faire part, de chercher dans ta tendresse les conseils dont j'ai besoin. Cette erreur m'a soutenu pendant que j'écrivais, mais qu'elle a peu duré. Ma lettre est écrite et les caractères ne sont tracés que pour moi. Tu ignores ce que je souffre. Tu ne sais pas même si j'existe, si je t'aime. Asa, mon cher Asa, ne le sauras-tu jamais ? Lettre 24. Je pourrais encore appeler une absence le temps qui s'est écoulé, mon cher Azat, depuis la dernière fois que je t'ai écrit. Quelques jours après l'entretien que j'use avec D'Eterville, je tombais dans une maladie que l'on nomme la fièvre. Si, comme je le crois, elle a été causée par les passions douloureuses qui m'agitèrent alors, je ne doute pas qu'elle n'ait été prolongée par les tristes réflexions dont je suis occupé et par le regret d'avoir perdu l'amitié de Céline. Quoiqu'elle ait paru s'intéresser à ma maladie, qu'elle m'ait rendu tous les soins qui dépendaient d'elle, c'était d'un air si froid. Elle a eu si peu de ménagement pour mon âme que je ne puis douter de l'altération de ses sentiments. L'extrême amitié qu'elle a pour son frère l'indispose contre moi. Elle me reproche sans cesse de le rendre malheureux. La honte de paraître ingrate m'intimide. Les bontés affectées de Céline me gênent. Mon embarras la contraint. La douceur et l'agrément sont bannis de notre commerce. Malgré tant de contrariétés et de peines de la part du frère et de la sœur, je ne suis pas insensible aux événements qui changent leur destinée. Madame d'Eterville est morte. Cette mère dénaturée n'a point démenti son caractère. Elle a donné tout son bien à son fils aîné. On espère que les gens de loi empêcheront l'effet de cette injustice. D'Eterville, désintéressé par lui-même, se donne des peines infinies pour tirer ses lignes de l'oppression. Il semble que son malheur redouble son amitié pour elle. Outre qu'il vient la voir tous les jours, il lui écrit soir et matin. Ses lettres sont remplies de si tendres plaintes contre moi, de si vives inquiétudes sur ma santé que, quoi que Céline affecte, en me les lisant, de ne vouloir que m'instruire du progrès de leurs affaires, je démêle aisément le motif du prétexte. Je ne doute pas que D'Eterville ne les écrive afin qu'elles me soient lues. Néanmoins, je suis persuadé qu'il s'en abstiendrait s'il était instruit des reproches sanglants dont cette lecture est suivie. Ils font leur impression sur mon cœur. La tristesse me consomme. Jusqu'ici, au milieu des orages, je jouissais de la faible satisfaction de vivre en paix avec moi-même. Aucune tâche ne souillait la pureté de mon âme, aucun remord ne la troublait. À présent, je ne puis penser, sans une sorte de mépris pour moi-même, que je rends malheureuse deux personnes auxquelles je dois la vie, que je trouble le repos dont elles jouiraient sans moi, que je leur fais tout le mal qui est en mon pouvoir, et cependant, je ne puis ni ne veux cesser d'être criminel. Ma tendresse pour toi triomphe de mes remords. Asa, que je t'aime. Lettre 25 Que la prudence est quelquefois nuisible, mon cher Asa. J'ai résisté longtemps aux puissantes instances que Déterville m'a fait faire de lui accorder à un moment d'entretien. Hélas, je fuyais mon bonheur. Enfin, moins par complaisance que par lassitude de disputer avec Céline, je me suis laissé conduire au parloir. À la vue du changement affreux qui rendait Terville presque méconnaissable, je suis restée interdite. Je me repentais déjà de ma démarche. J'attendais, en tremblant, les reproches qu'il me paraissait en droit de me faire. Pouvais-je deviner qu'il allait combler mon âme de plaisir ? « Pardonnez-moi, Zilia, m'a-t-il dit, la violence que je vous fais. Je ne vous aurais pas obligé à me voir si je ne vous apportais autant de joie que vous me causez de douleur. » Est-ce trop exiger qu'à un moment de votre vue pour récompense du cruel sacrifice que je vous fais ? » Et sans me donner le temps de répondre, voici, continua-t-il, « Une lettre de ce parent dont on vous a parlé. En vous apprenant le sort d'Aza, elle vous prouvera mieux que tous mes serments qu'elle est l'excès de mon amour. » Et tout de suite, il m'en fit la lecture. « Ah, mon cher Aza, ai-je pu l'entendre sans mourir de joie ? Elle m'apprend que tes jours sont conservés, que tu es libre. » Que tu vis sans péril à la cour d'Espagne. Quel bonheur inespéré. Cette admirable lettre est écrite par un homme qui te connaît, qui te voit, qui te parle. Peut-être tes regards ont-ils été attachés un moment sur ce précieux papier. Je ne pouvais en arracher les miens. Je n'ai retenu qu'à peine des cris de joie prêts à m'échapper. Les larmes de l'amour inondaient mon visage. Si j'avais suivi les mouvements de mon cœur, cent fois j'aurais interrompu d'Eterville pour lui dire tout ce que la reconnaissance m'aspirait. Mais je n'oubliais point que mon bonheur doit augmenter ses peines. Je lui cachais mes transports, il ne vit que mes larmes. « Eh bien, Zilia, me dit-il après avoir cessé de lire, j'ai tenu ma parole. Vous êtes instruite du sort d'Aza. Si ce n'est point assez, que faut-il faire de plus ? Ordonnez sans contrainte, il n'est rien que vous ne soyez en droit d'exiger de mon amour pourvu qu'il contribue à votre bonheur. » Quoique je dût m'attendre à cet excès de bonté, elle me surprit et me toucha. Je fus quelques moments embarrassé de ma réponse. Je craignais d'irriter la douleur d'un homme si généreux. Je cherchais des termes qui exprimassent la vérité de mon cœur sans offenser la sensibilité du sien. Je ne les trouvais pas. Il fallait parler. « Mon bonheur, lui dis-je, ne sera jamais sans mélange, puisque je ne puis concilier les devoirs de l'amour avec ceux de l'amitié. Je voudrais regagner la vôtre et celle de Céline. Je voudrais ne vous point quitter, admirer sans cesse vos vertus, payer tous les jours de ma vie le tribut de reconnaissance que je dois à vos bontés. Je sens qu'en m'éloignant de deux personnes si chères, j'emporterai des regrets éternels. Mais quoi, Zilia ? s'écria-t-il. Vous voulez nous quitter ? » Ah, je n'étais point préparé à cette funeste résolution. Je manque de courage pour la soutenir. J'en avais assez pour vous voir ici dans les bras de mon rival. L'effort de ma raison, la délicatesse de mon amour m'avait affermi contre ce coup mortel. Je l'aurais préparé moi-même, mais je ne puis me séparer de vous. Je ne puis renoncer à vous voir. Non, vous ne partirez point, continua-t-il avec emportement. N'y comptez pas. Vous abusez de ma tendresse. Vous déchirez sans pitié un cœur perdu d'amour, Zilia. Cruel Zilia, voyez mon désespoir, c'est votre ouvrage. Hélas, de quel prix payez-vous l'amour le plus pur ? C'est vous, lui dis-je, effrayé de sa résolution, c'est vous que je devrais accuser. Vous flétrissez mon âme en la forçant d'être ingrate. Vous désolez mon cœur par une sensibilité infructueuse ? Au nom de l'amitié, ne ternissez pas une générosité sans exemple par un désespoir qui ferait l'amertume de ma vie sans vous rendre heureux. Ne condamnez point en moi-même le même sentiment que vous ne pouvez surmonter. « Ne me forcez pas à me plaindre de vous. Laissez-moi chérir votre nom, le porter au bout du monde et le faire révérer à des peuples adorateurs de la vertu. » Je ne sais comment je prononçais ces paroles, mais d'Eterville, fixant ses yeux sur moi, semblait ne me point regarder. Renfermé en lui-même, il demeura longtemps dans une profonde méditation. De mon côté, je n'osais l'interrompre. Nous observions un égal silence quand il reprit la parole et me dit avec une espèce de tranquillité. « Oui, Zilia, je connais. Je sens toute mon injustice. Mais renonce-t-on de sang-froid à la vue de tant de charme ? Vous le voulez, vous serez obéi. » « Quel sacrifice ! Oh, ciel ! Mes tristes jours s'écouleront, finiront sans vous voir. Au moins, si la mort... » « N'en parlons plus, » ajouta-t-il en s'interrompant. « Ma faiblesse me trahirait. Donnez-moi deux jours pour m'assurer de moi-même. Je reviendrai vous voir. » Il est nécessaire que nous prenions ensemble des mesures pour votre voyage. Adieu, Cilia. Puisse l'heureux hasard sentir tout son bonheur. En même temps, il sortit. Je te l'avoue, mon cher hasard, quoique d'Etherville me soit cher, quoique je fusse pénétré de sa douleur, j'avais trop d'impatience de jouir en paix de ma félicité pour n'être pas bien aise qu'il se retirât. Qu'il est doux, après tant de peine, de s'abandonner à la joie. Je passais le reste de la journée dans les plus tendres ravissements. Je ne t'écrivis point. Une lettre était trop peu pour mon cœur. Elle m'aurait rappelé ton absence. Je te voyais, je te parlais, chère Asa. Que manquerait-il à mon bonheur si tu avais joint à cette précieuse lettre quelques gages de ta tendresse ? Pourquoi ne l'as-tu pas fait ? On t'a parlé de moi, tu es instruit de mon sort, et rien ne me parle de ton amour. Mais puis-je douter de ton cœur ? Le mien m'en répond. Tu m'aimes ? Ta joie est égale à la mienne, tu brûles des mêmes feux, la même impatience te dévore. Que la crainte s'éloigne de mon âme, que la joie y domine sans mélange. Cependant, tu as embrassé la religion de ce peuple féroce. Quelle est-elle ? Exige-t-elle les mêmes sacrifices que celles de France ? Non, tu n'y aurais pas consenti. Quoi qu'il en soit, mon cœur est sous tes lois. Soumise à tes lumières, j'adopterai aveuglement tout ce qui pourra nous rendre inséparables. que puis-je craindre bientôt réuni à mon bien à mon être à mon tout je ne penserai plus que par toi je ne vivrai que pour t'aimer c'est ici mon cher hasard que je te reverrai mon bonheur s'accroît chaque jour par ses propres circonstances je sors de l'entrevue que d'éterville m'avait assignée Quel que plaisir que je me sois fait de surmonter les difficultés du voyage, de te prévenir de courir au devant de tes pas, je le sacrifice en regret, au bonheur de te voir plus tôt. Déterville m'a prouvé avec tant d'évidence que tu peux être ici en moins de temps qu'il ne m'en faudrait pour aller en Espagne que, quoi qu'il m'ait généreusement laissé le choix, je n'ai pas balancé à t'attendre. Le temps est trop cher pour le prodiguer sans nécessité. Peut-être avant de me déterminer. Aurais-je examiné cet avantage avec plus de soin si je n'eusse tiré des éclaircissements sur mon voyage qui m'ont décidé en secret sur le parti que je prends, et ce secret je ne puis le confier qu'à toi. Je me suis souvenu que pendant la longue route qui m'a conduite à Paris, des terviles donnaient des pièces d'argent et quelquefois d'or dans tous les endroits où nous nous arrêtions. J'ai voulu savoir si c'était par obligation ou par simple libéralité. J'ai appris qu'en France... Non seulement on fait payer la nourriture aux voyageurs, mais même le repos, hélas. Je n'ai pas la moindre partie de ce qui serait nécessaire pour contenter l'intérêt de ce peuple avide. Il faudrait le recevoir des mains de Déterville. Quelle honte ! Tu sais tout ce que je lui dois. Je l'acceptais avec une répugnance qui ne peut être vaincue que par la nécessité. Mais pourrais-je me résoudre à contracter volontairement un genre d'obligation dont la honte va presque jusqu'à l'ignominie ? Je n'ai pu m'y résoudre, mon cher Azat. Cette raison seule m'aurait déterminé à demeurer ici. Le plaisir de te voir plus promptement n'a fait que confirmer ma résolution. Déterville l'a écrit devant moi au ministre d'Espagne. Il le presse de te faire partir. Il lui indique les moyens de te faire conduire ici avec une générosité qui me pénètre de reconnaissance et d'admiration. Quel doux moment j'ai passé pendant que Déterville écrivait. Quel plaisir d'être occupé des arrangements de ton voyage. de voir les apprêts de mon bonheur, de n'en plus douter. Si d'abord il m'en a coûté pour renoncer aux dessins que j'avais de te prévenir, je l'avoue, mon cher hasard, j'y trouve à présent mille sources de plaisir que je n'y avais pas aperçues. Plusieurs circonstances, qui ne me paraissent d'aucune valeur pour avancer ou retarder mon départ, me deviennent intéressantes et agréables. Je suivais aveuglement le penchant de mon cœur. J'oubliais que j'allais te chercher au milieu de ces barbares espagnols dont la seule idée me saisit d'horreur. Je trouve une satisfaction infinie dans la certitude de ne les revoir jamais. La voie de l'amour est éniée celle de l'amitié. Je goûte sans remords la douceur de les réunir. D'un autre côté, D'Eterville m'a assuré qu'il nous était à jamais impossible de revoir la ville du soleil. Après le séjour de notre patrie, en est-il un plus agréable que celui de la France ? Il te plaira, mon cher Azat, quoique la sincérité en soit bannie. On y trouve tant d'agréments qu'ils font oublier les dangers de la société. Après ce que je t'ai dit de l'or, il n'est pas nécessaire de t'avertir d'en apporter. Tu n'as que faire d'autres mérites. La moindre partie de tes trésors suffit pour te faire admirer et confondre l'orgueil des magnifiques indigents de ce royaume. Tes vertus et tes sentiments ne seront chéris que de moi. Déterville m'a promis de te faire rendre mes nœuds et mes lettres. Il m'a assuré que tu trouverais des interprètes pour t'expliquer les dernières. On vient me demander le paquet, il faut que je te quitte. Adieu. Cher espoir de ma vie, je continuerai à t'écrire. Si je ne puis te faire passer mes lettres, je te les garderai. Comment supporterais-je la longueur de ton voyage si je me privais du seul moyen que j'ai de m'entretenir de ma joie ? Comment supporterais-je la longueur de ton voyage si je me privais du seul moyen que j'ai de m'entretenir de ma joie, de mes transports, de mon bonheur ? Lettre 27 Depuis que je sais mes lettres en chemin, mon cher hasard, Je jouis d'une tranquillité que je ne connaissais plus. Je pense sans cesse au plaisir que tu auras à les recevoir. Je vois tes transports, je les partage. Mon âme ne reçoit de toute part que des idées agréables. Et pour comble de joie, la paix est rétablie dans notre petite société. Les juges ont rendu à Céline les biens dont sa mère l'avait privé. Elle voit son amant tous les jours. Son mariage n'est retardé que par les après qui y sont nécessaires. Au comble de ses voeux, Elle ne pense plus à me quereller et je lui en ai autant d'obligations que si je devais à son amitié les bontés qu'elle recommence à me témoigner. Quel qu'en soit le motif, nous sommes toujours redevables à ceux qui nous font éprouver un sentiment doux. Ce matin, elle m'en a fait sentir tout le prix par une complaisance qui m'a fait passer d'un trouble fâcheux à une tranquillité agréable. On lui a apporté une quantité prodigieuse d'étoffes, d'habits, de bijoux de toutes espèces. Elle est accourue dans ma chambre. m'a emmenée dans la sienne et après m'avoir consultée sur les différentes beautés de temps d'ajustement l'a fait elle-même un tas de ce qui avait le plus attiré mon attention et d'un air empressé elle commandait déjà à zanushina de le porter chez moi quand je m'y suis opposée de toutes mes forces mes instances n'ont d'abord servi qu'à la divertir mais voyant que son obstination augmentait avec mes refus je n'ai pu dissimuler davantage mon ressentiment pourquoi lui ai-je dit les yeux baignés de larmes Pourquoi voulez-vous m'humilier, plus que je ne le suis ? Je vous dois la vie et tout ce que j'ai, c'est plus qu'il n'en faut pour ne point oublier mes malheurs. Je sais que, selon vos lois, quand les bienfaits ne sont d'aucune utilité à ceux qui les reçoivent, la honte en est effacée. Attendez donc que je n'en ai plus aucun besoin pour exercer votre générosité. Ce n'est pas sans répugnance, ajoutai-je d'un ton plus modéré, que je me conforme à des sentiments si peu naturels. Nos usages sont plus humains. Celui qui reçoit son or autant que celui qui donne. Vous m'avez appris à penser autrement. N'était-ce donc que pour me faire des outrages ? Cet aimable ami, plus touché de mes larmes qu'irrité de mes reproches, m'a répondu d'un ton d'amitié. « Nous sommes bien éloignés, mon frère et moi, ma chère Zilia, de vouloir blesser votre délicatesse. Il nous cirait mal de faire les magnifiques avec vous, vous le connaîtrez d'en peu. Je voulais seulement que vous partagassiez avec moi les présents d'un frère généreux. C'était le plus sûr moyen de lui en marquer ma reconnaissance. L'usage, dans le cas où je suis, m'autorisait à vous les offrir. Mais puisque vous en êtes offensé, je ne vous en parlerai plus. Vous me le promettez donc, lui ai-je dit ? Oui, m'a-t-elle répondu en souriant. Mais permettez-moi d'écrire un mot à Déterville. Je l'ai laissé faire et la gaieté s'est rétablie entre nous. Nous avons recommencé à examiner ses parures plus en détail jusqu'au temps où on l'a demandé au parloir. Elle voulait m'y mener mais, mon cher Azat, est-il pour moi quelque amusement comparable à celui de t'écrire ? Loin d'en chercher d'autres, j'appréhende d'avance ce que l'on me prépare. Céline va se marier, elle prétend m'en mener avec elle, elle veut que je quitte la maison religieuse pour demeurer dans la sienne. Mais, si j'en suis cru, hasard, mon cher hasard, par quelle agréable surprise ma lettre fut-elle hier interrompue ? Hélas, je croyais avoir perdu pour jamais ce précieux monument de notre ancienne splendeur. Je n'y comptais plus, je n'y pensais même pas. J'en suis environné, je les vois, je les touche, et j'en croise à peine mes yeux et mes mains. Au moment où je t'écrivais, je vis entrer Céline, suivie de quatre hommes, accablés sous le poids de gros coffres qu'ils portaient. Ils les posèrent à terre et se retirèrent. Je pensais que ce pouvait être de nouveaux dons de Déterville. Je murmurais déjà en secret lorsque Céline me dit, en me présentant des clés, « Ouvrez, Zilia, ouvrez sans vous effaroucher, c'est de la part d'Aza. La vérité que j'attache inséparablement à ton inné ne me laissa point le monde au doute. » J'ouvris avec précipitation et ma surprise confirma mon erreur en reconnaissant tout ce qui s'offrit à ma vue pour des ornements du Temple du Soleil. Un sentiment confus, mêlée de tristesse et de joie, de plaisir et de regret, remplit tout mon cœur. Je me prosternais devant ces restes sacrés de notre culte et de nos hôtels. Je les couvris de respectueux baisers, je les arrosais de mes larmes, je ne pouvais m'en arracher, j'avais oublié jusqu'à la présence de Céline. Elle me tira de mon ivresse en me donnant une lettre qu'elle me pria de lire. Toujours remplie de mon erreur, je la crus de toi. Mes transports redoublèrent, mais, quoique je la déchiffrasse avec peine, Je connus bientôt qu'elle était de Déterville. Il me sera plus aisé, mon cher Azat, de te la copier que de t'en expliquer le sens. Billet de Déterville. Ces trésors sont à vous, belle Zilia, puisque je les ai trouvés sur le vaisseau qui vous portait. Quelques discussions arrivées entre les gens de l'équipage m'ont empêché jusqu'ici d'en disposer librement. Je voulais vous les présenter moi-même, mais les inquiétudes que vous avez témoignées ce matin à ma sœur ne me laissent plus le choix du moment. Je ne saurais trop dissiper vos craintes, je préférerais toute ma vie votre satisfaction à la mienne. Je l'avoue, en rougissant mon cher hasard, je sentis moins alors la générosité de Teterville que le plaisir de lui donner des preuves de la mienne. Je mis promptement à part un vase que le hasard, plus que la cupidité, a fait tomber dans les mains des Espagnols. C'est le même, mon cœur l'a reconnu, que tes lèvres touchèrent le jour où tu nous voulais bien goûter du haka préparé de ma main. Plus riche de ce trésor que de tous ceux qu'on me rendait. J'appelai les gens qui les avaient apportés. Je voulais les leur faire reprendre pour les renvoyer à Déterville, mais Céline s'opposa à mon dessein. « Que vous êtes injustes, Zilia, me dit-elle. Quoi ? Vous voulez faire accepter des richesses immenses à mon frère ? Vous, que l'offre d'une bagatelle offense ? Rappelez votre équité, si vous voulez en inspirer aux autres. » Ses paroles me frappèrent. Je reconnus dans mon action plus d'orgueil et de vengeance que de générosité. Que les vices sont près des vertus. J'avouais ma faute. J'en demandais pardon à Céline, mais je souffrais trop de la contrainte qu'elle voulait m'imposer pour n'y pas chercher de l'adoucissement. « Ne me punissez pas autant que je le mérite, lui dis-je d'un air timide. Ne dédaignez pas quelques modèles du travail de nos malheureuses contrées. Vous n'en avez aucun besoin. Ma prière ne doit point vous offenser. » Tandis que je parlais, je remarquais que Céline regardait attentivement deux arbustes d'or chargés d'oiseaux et d'insectes d'un travail excellent. Je me hâtais de les lui présenter avec une petite corbeille d'argent que je remplis de coquillages, de poissons et de fleurs les mieux imités. Elle les accepta avec une bonté qui me ravit. Je choisis ensuite plusieurs idoles des nations vaincues par tes ancêtres et une petite statue qui représentait une vierge du soleil. J'y joignis un tigre, un lion et d'autres animaux courageux et je la priais de les envoyer à Deterville. Écrivez-lui donc, me dit-elle en souriant. Sans une lettre de votre part, les présents seraient mal reçus. J'étais trop satisfaite pour rien refuser. J'écrivis tout ce que me dicta ma reconnaissance et lorsque Céline fut sortie, je distribuais des petits présents à Sachina et à la mienne. J'en mis à part pour mon maître à écrire. Je goûtais enfin le délicieux plaisir de donner. Ça n'a pas été sans choix, mon Gerasa. Tout ce qui vient de toi, tout ce qui a des rapports intimes avec ton souvenir, n'est point sorti de mes mains. La chaise d'or que l'on conservait dans le temple pour le jour des visites du Kappa Inca Ton auguste père, placé d'un côté de ma chambre en forme de trône, me représente ta grandeur et la majesté de ton rang. La grande figure du soleil que je vis moi-même arrachée du temple par les perfides espagnols, suspendue au-dessus, excite ma vénération. Je me prosterne devant elle, mon esprit l'adore, et mon cœur est tout à toi. Les deux palmiers que tu donnas au soleil pour offrande et pour gage de la foi que tu m'avais juré, placés aux deux côtés du trône, me rappellent sans cesse tes tendres sermons. des fleurs des oiseaux répandus avec symétrie dans tous les coins de ma chambre forment en raccourci l'image de ces magnifiques jardins où je me suis si souvent entretenu de ton idée mes yeux satisfaits ne s'arrêtent nulle part sans me rappeler ton amour ma joie mon bonheur enfin tout ce qui fera jamais la vie de ma vie

Description

Qu'est-ce qui se cache derrière les luttes d'un individu pour s'intégrer dans une nouvelle culture ? Dans cet épisode captivant de L'Oreille qui lit ! </strong>, l'auteur SOS Bac Français Philosophie nous plonge dans l'univers complexe de Zilea, un personnage dont les lettres révèlent des réflexions profondes sur la nature humaine, la culture et les émotions. À travers son parcours, Zilia partage avec nous ses défis pour comprendre une langue étrangère et naviguer dans un environnement culturel qui lui est étranger, tout en se remémorant son attachement à Asa, un être cher.


Les lettres de Zilea sont bien plus qu'une simple correspondance ; elles sont le reflet d'une quête de sens dans un monde souvent en contradiction avec ses valeurs personnelles. Elle questionne la moralité de la société dans laquelle elle évolue, interroge les attentes que la famille et la société placent sur elle, et explore la profondeur de ses propres sentiments. Ses observations sur les spectacles qui illustrent la société dévoilent les nuances des mouvements littéraires et des luttes identitaires.


Les auditeurs de L'Oreille qui lit ! </strong> découvriront également comment Zilea, par ses réflexions, nous pousse à nous interroger sur notre propre rapport à la culture et à l'identité. Cet épisode nous invite à plonger dans la complexité des relations humaines et des dilemmes sociaux.

Abonnez-vous dès maintenant et plongez dans cette aventure littéraire unique !


Suivez-nous sur YouTube : SOS bac français et philo

sur le web : francais-philo. fr


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Quelle fut ma surprise d'y trouver son frère avec elle ? Je ne dissimulais point le plaisir que j'eus de le voir. Je lui dois de l'estime et de l'amitié. Ses sentiments sont presque des vertus. Je les exprimais avec autant de vérité que je les sentais. Je voyais mon libérateur, le seul appui de mes espérances. J'allais parler sans contrainte de toi, de ma tendresse, de mes dessins. Ma joie allait jusqu'au transport. Je ne parlais pas encore français lorsque D'Etherville partit. Combien d'autres choses n'avais-je pas à lui apprendre ? Combien d'éclaircissements à lui demander, combien de reconnaissances à lui témoigner ? Je voulais tout dire à la fois, je disais mal, et cependant je parlais beaucoup. Je m'aperçus que pendant ce temps-là, d'étervile changeait de visage. Une tristesse, que j'y avais remarqué en entrant, se dissipait. La joie prenait sa place, je m'en applaudissais, elle m'animait à l'exciter encore. Hélas ! Devais-je craindre d'en donner trop à un ami à qui je dois tout ? Et de qui j'attends tout ? Cependant, ma sincérité le jeta dans une erreur qui me coûte à présent bien des larmes. Céline était sortie en même temps que j'étais entrée. Peut-être sa présence aurait-elle épargné une explication si cruelle. D'Etherville, attentif à mes paroles, paraissait se plaire à les entendre, sans songer à m'interrompre. Je ne sais quel trouble me saisit lorsque je voulus lui demander des instructions sur mon voyage et lui en expliquer le motif. Mais les expressions me manquèrent, je les cherchais. Il profita d'un moment de silence et mettant un genou à terre devant la grille à laquelle les deux mains étaient attachées, il me dit d'une voix émue. « À quel sentiment, divine Zilia, dois-je attribuer le plaisir que je vois aussi naïvement exprimé dans vos beaux yeux que dans vos discours ? Suis-je le plus heureux des hommes au moment même où ma sœur vient de me faire entendre que j'étais le plus à plaindre ? Je ne sais, lui répondis-je, quel chagrin Céline a pu vous donner, mais je suis bien assurée que vous n'en recevrez jamais de ma part. » « Cependant, répliqua-t-il, elle m'a dit que je ne devais pas espérer d'être aimé de vous. » « Moi ? » m'écriai-je en l'interrompant. « Moi, je ne vous aime point. » « Ah ! Déterville, comment votre sœur peut-elle me noircir d'un tel crime ? » « L'ingratitude me fait horreur. » « Je me haïrais moi-même si je croyais pouvoir cesser de vous aimer. » Pendant que je prononçais ce peu de mots, il semblait à l'avidité de ses regards qu'il voulait lire dans mon âme. « Vous m'aimez, Zilia, » dit-il. « Vous m'aimez et vous me le dites. » Je donnerai ma vie pour entendre ce charmant aveu. Hélas, je ne puis le croire, lors même que je l'entends. Zilia, ma chère Zilia, est-il bien vrai que vous m'aimez ? Ne vous trompez-vous pas vous-même ? Votre ton, vos yeux, mon cœur, tout me séduit. Peut-être n'est-ce que pour me replonger plus cruellement dans le désespoir dont je sors. Vous m'étonnez, repris-je. D'où naît votre défiance ? Depuis que je vous connais, si je n'ai pu me faire entendre par des paroles toutes mes actions ? N'ont-elles pas dû vous prouver que je vous aime ? Non, répliqua-t-il, je ne puis encore me flatter. Vous ne parlez pas assez bien le français pour détruire mes justes craintes. Vous ne cherchez point à me tromper, je le sais. Mais expliquez-moi quel sens vous attachez à ces mots adorables. Je vous aime. Que mon sort soit décidé, que je meurs à vos pieds de douleur ou de plaisir. « Ces mots, lui dis-je, un peu intimidés par la vivacité avec laquelle il prononça ces dernières paroles, ces mots doivent, je crois, vous faire entendre que vous m'êtes cher, que votre sort m'intéresse, que l'amitié et la reconnaissance m'attachent à vous. Ces sentiments plaisent à mon cœur et doivent satisfaire le vôtre. Ah, Zilia, que vos termes s'affaiblissent, que votre ton se refroidit. Céline m'aurait-elle dit la vérité ? N'est-ce point pour hasard que vous sentez tout ce que vous dites ? » Non, lui dis-je, le sentiment que j'ai pour Aza est tout différent de ce que j'ai pour vous. C'est ce que vous appelez l'amour. Quelle peine cela peut-il vous faire, ajoutai-je en le voyant palir. Abandonnez la grille et jetez au ciel des regards remplis de douleur. J'ai de l'amour pour Aza parce qu'il en a pour moi et que nous devions être unis. Il n'y a là-dedans nul rapport avec vous. Les mêmes, les mêmes que vous trouvez entre vous et lui, puisque j'ai mille fois plus d'amour qu'il n'en ressentit jamais. « Comment cela se pourrait-il, repris-je ? Vous n'êtes moins de ma nation. Loin que vous m'ayez choisi pour votre épouse, le hasard seul nous a joints, et ce n'est même que d'aujourd'hui que nous pouvons librement nous communiquer nos idées. Par quelle raison auriez-vous, pour moi, les sentiments dont vous parlez ? » « En faut-il d'autre que vos charmes et mon caractère ? » me répliqua-t-il, « pour m'attacher à vous jusqu'à la mort ? » N'étendre, paresseux, ennemi de l'artifice, les peines qu'il aurait fallu me donner pour pénétrer le cœur des femmes et la crainte de ne n'y pas trouver la franchise que j'y désirais, ne m'ont laissé pour elle qu'un goût vague ou passager. J'ai vécu sans passion, jusqu'au jour où je vous ai vus. Votre beauté me frappa, mais son impression aurait peut-être été aussi légère que celle de beaucoup d'autres, si la douceur... et la naïveté de votre caractère ne m'avaient présenté l'objet que mon imagination m'avait si souvent composé. Vous savez, il y a, si je l'ai respecté, cet objet de mon adoration. Que ne m'en a-t-il pas coûté pour résister aux occasions séduisantes que m'offrait la familiarité d'une longue navigation ? Combien de fois votre innocence vous aura-t-elle livré à mes transports si je les eusse écoutés ? Mais loin de vous offenser, j'ai poussé la discrétion jusqu'au silence. J'ai même exigé de ma sœur qu'elle ne vous parlerait pas de mon amour. Je n'ai rien voulu de voir qu'à vous-même, Azilia. Si vous n'êtes point touché d'un respect si tendre, je vous fuirai. Mais je le sens, ma mort fera le prix du sacrifice. Votre mort ? m'écriai-je, pénétré par la douleur sincère dont je le voyais accablé. Hélas, quel sacrifice ! Je ne sais si celui de ma vie ne me serait pas moins affreux. Eh bien, Azilia, me dit-il, si ma vie vous est chère, ordonnez donc que je vive. « Que faut-il faire ? lui dis-je. « M'aimer, répondit-il, comme vous aimiez à Zah. « Je l'aime toujours de même, lui répliquai-je, « et je l'aimerai jusqu'à la mort. « Je ne sais, ajoutait-je, « si vos lois vous permettent d'aimer deux objets de la même manière, « mais nos usages et mon cœur nous le défendent. « Contentez-vous des sentiments que je vous promets, « je ne puis en avoir d'autres. « La vérité m'est chère, je vous la dis sans détour. de quel sang-froid vous m'assassinez s'écria-t-il « Ah, Azilia, que je vous aime, puisque j'adore jusqu'à votre cruelle franchise. » « Eh bien, continua-t-il après avoir gardé quelques moments de silence, mon amour surpassera votre cruauté. » « Votre bonheur m'est plus cher que le mien. Parlez-moi avec cette sincérité qui me déchire sans ménagement. » « Quelle est votre espérance sur l'amour que vous conservez pour Azat ? » « Hélas, lui dis-je, je n'en ai qu'en vous seul. » Je lui expliquai ensuite comment j'avais appris que la communication aux Indes n'était pas impossible. Je lui dis que je m'étais flatté. qu'il me procurerait les moyens d'y retourner. Ou tout du moins qu'il aurait assez de bonté pour faire passer jusqu'à toi des nœuds qui t'instruiraient de mon sort, et, pour m'en faire avoir les réponses, afin qu'instruire de ta destinée, elles servent de règle à la mienne. Je vais prendre, me dit-il, avec un sang-froid affecté, les mesures nécessaires pour découvrir le sort de votre amant. Vous serez satisfaite à cet égard. Cependant, vous vous flatteriez en vain de revoir l'heureux hasard. Des obstacles invincibles vous séparent. Ces mots, mon cher Azat, furent un coup mortel pour mon cœur. Mes larmes coulèrent en abondance, elles m'empêchèrent longtemps de répondre à des tervilles qui, de son côté, gardaient un morne silence. Eh bien, lui dis-je enfin, je ne le verrai plus, mais je n'en vivrai pas moins pour lui. Si votre amitié est assez généreuse pour nous procurer quelques correspondances, cette satisfaction suffira pour me rendre à la vie moins insupportable. Et je mourrai contente, pourvu que vous me promettiez de lui faire savoir que je suis mort en léman. « Ah ! c'en est trop ! » s'écria-t-il en se levant brusquement. « Oui, s'il est possible, je serai le seul malheureux. Vous connaîtrez ce cœur que vous dédaignez. Vous verrez de quels efforts est capable un amour tel que le mien, et je vous forcerai au moins à me plaindre. » En disant ces mots, il sortit et me laissa dans un état que je ne comprends pas encore. J'étais demeuré debout, les yeux attachés sur la porte par où Déterville venait de sortir, abîmé, dans une confusion de pensée que je ne cherchais pas même à démêler. J'y serais resté longtemps ? Cicéline ne fut entrée dans le parloir. Elle me demanda vivement pourquoi Déterville était sortie si tôt. Je ne lui cachais pas ce qui s'était passé entre nous. D'abord, elle s'affligea de ce qu'elle appelait le malheur de son frère. Ensuite, tournant sa douleur en colère, elle m'accabla des plus durs reproches, sans que j'osasse y opposer un seul mot. Qu'aurais-je pu lui dire ? Mon trouble me laissait à peine la liberté de penser. Je sortis, elle ne me suivit point. Retiré dans ma chambre, j'y suis resté un jour sans oser paraître, sans avoir eu de nouvelles de personne et dans un désordre d'esprit qui ne me permettait pas même d'écrire. La colère de Céline, le désespoir de son frère, les dernières paroles auxquelles je voudrais et je n'ose donner un sens favorable livrèrent mon âme tour à tour aux plus cruelles inquiétudes. J'ai cru enfin que le seul moyen de les aldoucir était de te les peindre, de t'en faire part, de chercher dans ta tendresse les conseils dont j'ai besoin. Cette erreur m'a soutenu pendant que j'écrivais, mais qu'elle a peu duré. Ma lettre est écrite et les caractères ne sont tracés que pour moi. Tu ignores ce que je souffre. Tu ne sais pas même si j'existe, si je t'aime. Asa, mon cher Asa, ne le sauras-tu jamais ? Lettre 24. Je pourrais encore appeler une absence le temps qui s'est écoulé, mon cher Azat, depuis la dernière fois que je t'ai écrit. Quelques jours après l'entretien que j'use avec D'Eterville, je tombais dans une maladie que l'on nomme la fièvre. Si, comme je le crois, elle a été causée par les passions douloureuses qui m'agitèrent alors, je ne doute pas qu'elle n'ait été prolongée par les tristes réflexions dont je suis occupé et par le regret d'avoir perdu l'amitié de Céline. Quoiqu'elle ait paru s'intéresser à ma maladie, qu'elle m'ait rendu tous les soins qui dépendaient d'elle, c'était d'un air si froid. Elle a eu si peu de ménagement pour mon âme que je ne puis douter de l'altération de ses sentiments. L'extrême amitié qu'elle a pour son frère l'indispose contre moi. Elle me reproche sans cesse de le rendre malheureux. La honte de paraître ingrate m'intimide. Les bontés affectées de Céline me gênent. Mon embarras la contraint. La douceur et l'agrément sont bannis de notre commerce. Malgré tant de contrariétés et de peines de la part du frère et de la sœur, je ne suis pas insensible aux événements qui changent leur destinée. Madame d'Eterville est morte. Cette mère dénaturée n'a point démenti son caractère. Elle a donné tout son bien à son fils aîné. On espère que les gens de loi empêcheront l'effet de cette injustice. D'Eterville, désintéressé par lui-même, se donne des peines infinies pour tirer ses lignes de l'oppression. Il semble que son malheur redouble son amitié pour elle. Outre qu'il vient la voir tous les jours, il lui écrit soir et matin. Ses lettres sont remplies de si tendres plaintes contre moi, de si vives inquiétudes sur ma santé que, quoi que Céline affecte, en me les lisant, de ne vouloir que m'instruire du progrès de leurs affaires, je démêle aisément le motif du prétexte. Je ne doute pas que D'Eterville ne les écrive afin qu'elles me soient lues. Néanmoins, je suis persuadé qu'il s'en abstiendrait s'il était instruit des reproches sanglants dont cette lecture est suivie. Ils font leur impression sur mon cœur. La tristesse me consomme. Jusqu'ici, au milieu des orages, je jouissais de la faible satisfaction de vivre en paix avec moi-même. Aucune tâche ne souillait la pureté de mon âme, aucun remord ne la troublait. À présent, je ne puis penser, sans une sorte de mépris pour moi-même, que je rends malheureuse deux personnes auxquelles je dois la vie, que je trouble le repos dont elles jouiraient sans moi, que je leur fais tout le mal qui est en mon pouvoir, et cependant, je ne puis ni ne veux cesser d'être criminel. Ma tendresse pour toi triomphe de mes remords. Asa, que je t'aime. Lettre 25 Que la prudence est quelquefois nuisible, mon cher Asa. J'ai résisté longtemps aux puissantes instances que Déterville m'a fait faire de lui accorder à un moment d'entretien. Hélas, je fuyais mon bonheur. Enfin, moins par complaisance que par lassitude de disputer avec Céline, je me suis laissé conduire au parloir. À la vue du changement affreux qui rendait Terville presque méconnaissable, je suis restée interdite. Je me repentais déjà de ma démarche. J'attendais, en tremblant, les reproches qu'il me paraissait en droit de me faire. Pouvais-je deviner qu'il allait combler mon âme de plaisir ? « Pardonnez-moi, Zilia, m'a-t-il dit, la violence que je vous fais. Je ne vous aurais pas obligé à me voir si je ne vous apportais autant de joie que vous me causez de douleur. » Est-ce trop exiger qu'à un moment de votre vue pour récompense du cruel sacrifice que je vous fais ? » Et sans me donner le temps de répondre, voici, continua-t-il, « Une lettre de ce parent dont on vous a parlé. En vous apprenant le sort d'Aza, elle vous prouvera mieux que tous mes serments qu'elle est l'excès de mon amour. » Et tout de suite, il m'en fit la lecture. « Ah, mon cher Aza, ai-je pu l'entendre sans mourir de joie ? Elle m'apprend que tes jours sont conservés, que tu es libre. » Que tu vis sans péril à la cour d'Espagne. Quel bonheur inespéré. Cette admirable lettre est écrite par un homme qui te connaît, qui te voit, qui te parle. Peut-être tes regards ont-ils été attachés un moment sur ce précieux papier. Je ne pouvais en arracher les miens. Je n'ai retenu qu'à peine des cris de joie prêts à m'échapper. Les larmes de l'amour inondaient mon visage. Si j'avais suivi les mouvements de mon cœur, cent fois j'aurais interrompu d'Eterville pour lui dire tout ce que la reconnaissance m'aspirait. Mais je n'oubliais point que mon bonheur doit augmenter ses peines. Je lui cachais mes transports, il ne vit que mes larmes. « Eh bien, Zilia, me dit-il après avoir cessé de lire, j'ai tenu ma parole. Vous êtes instruite du sort d'Aza. Si ce n'est point assez, que faut-il faire de plus ? Ordonnez sans contrainte, il n'est rien que vous ne soyez en droit d'exiger de mon amour pourvu qu'il contribue à votre bonheur. » Quoique je dût m'attendre à cet excès de bonté, elle me surprit et me toucha. Je fus quelques moments embarrassé de ma réponse. Je craignais d'irriter la douleur d'un homme si généreux. Je cherchais des termes qui exprimassent la vérité de mon cœur sans offenser la sensibilité du sien. Je ne les trouvais pas. Il fallait parler. « Mon bonheur, lui dis-je, ne sera jamais sans mélange, puisque je ne puis concilier les devoirs de l'amour avec ceux de l'amitié. Je voudrais regagner la vôtre et celle de Céline. Je voudrais ne vous point quitter, admirer sans cesse vos vertus, payer tous les jours de ma vie le tribut de reconnaissance que je dois à vos bontés. Je sens qu'en m'éloignant de deux personnes si chères, j'emporterai des regrets éternels. Mais quoi, Zilia ? s'écria-t-il. Vous voulez nous quitter ? » Ah, je n'étais point préparé à cette funeste résolution. Je manque de courage pour la soutenir. J'en avais assez pour vous voir ici dans les bras de mon rival. L'effort de ma raison, la délicatesse de mon amour m'avait affermi contre ce coup mortel. Je l'aurais préparé moi-même, mais je ne puis me séparer de vous. Je ne puis renoncer à vous voir. Non, vous ne partirez point, continua-t-il avec emportement. N'y comptez pas. Vous abusez de ma tendresse. Vous déchirez sans pitié un cœur perdu d'amour, Zilia. Cruel Zilia, voyez mon désespoir, c'est votre ouvrage. Hélas, de quel prix payez-vous l'amour le plus pur ? C'est vous, lui dis-je, effrayé de sa résolution, c'est vous que je devrais accuser. Vous flétrissez mon âme en la forçant d'être ingrate. Vous désolez mon cœur par une sensibilité infructueuse ? Au nom de l'amitié, ne ternissez pas une générosité sans exemple par un désespoir qui ferait l'amertume de ma vie sans vous rendre heureux. Ne condamnez point en moi-même le même sentiment que vous ne pouvez surmonter. « Ne me forcez pas à me plaindre de vous. Laissez-moi chérir votre nom, le porter au bout du monde et le faire révérer à des peuples adorateurs de la vertu. » Je ne sais comment je prononçais ces paroles, mais d'Eterville, fixant ses yeux sur moi, semblait ne me point regarder. Renfermé en lui-même, il demeura longtemps dans une profonde méditation. De mon côté, je n'osais l'interrompre. Nous observions un égal silence quand il reprit la parole et me dit avec une espèce de tranquillité. « Oui, Zilia, je connais. Je sens toute mon injustice. Mais renonce-t-on de sang-froid à la vue de tant de charme ? Vous le voulez, vous serez obéi. » « Quel sacrifice ! Oh, ciel ! Mes tristes jours s'écouleront, finiront sans vous voir. Au moins, si la mort... » « N'en parlons plus, » ajouta-t-il en s'interrompant. « Ma faiblesse me trahirait. Donnez-moi deux jours pour m'assurer de moi-même. Je reviendrai vous voir. » Il est nécessaire que nous prenions ensemble des mesures pour votre voyage. Adieu, Cilia. Puisse l'heureux hasard sentir tout son bonheur. En même temps, il sortit. Je te l'avoue, mon cher hasard, quoique d'Etherville me soit cher, quoique je fusse pénétré de sa douleur, j'avais trop d'impatience de jouir en paix de ma félicité pour n'être pas bien aise qu'il se retirât. Qu'il est doux, après tant de peine, de s'abandonner à la joie. Je passais le reste de la journée dans les plus tendres ravissements. Je ne t'écrivis point. Une lettre était trop peu pour mon cœur. Elle m'aurait rappelé ton absence. Je te voyais, je te parlais, chère Asa. Que manquerait-il à mon bonheur si tu avais joint à cette précieuse lettre quelques gages de ta tendresse ? Pourquoi ne l'as-tu pas fait ? On t'a parlé de moi, tu es instruit de mon sort, et rien ne me parle de ton amour. Mais puis-je douter de ton cœur ? Le mien m'en répond. Tu m'aimes ? Ta joie est égale à la mienne, tu brûles des mêmes feux, la même impatience te dévore. Que la crainte s'éloigne de mon âme, que la joie y domine sans mélange. Cependant, tu as embrassé la religion de ce peuple féroce. Quelle est-elle ? Exige-t-elle les mêmes sacrifices que celles de France ? Non, tu n'y aurais pas consenti. Quoi qu'il en soit, mon cœur est sous tes lois. Soumise à tes lumières, j'adopterai aveuglement tout ce qui pourra nous rendre inséparables. que puis-je craindre bientôt réuni à mon bien à mon être à mon tout je ne penserai plus que par toi je ne vivrai que pour t'aimer c'est ici mon cher hasard que je te reverrai mon bonheur s'accroît chaque jour par ses propres circonstances je sors de l'entrevue que d'éterville m'avait assignée Quel que plaisir que je me sois fait de surmonter les difficultés du voyage, de te prévenir de courir au devant de tes pas, je le sacrifice en regret, au bonheur de te voir plus tôt. Déterville m'a prouvé avec tant d'évidence que tu peux être ici en moins de temps qu'il ne m'en faudrait pour aller en Espagne que, quoi qu'il m'ait généreusement laissé le choix, je n'ai pas balancé à t'attendre. Le temps est trop cher pour le prodiguer sans nécessité. Peut-être avant de me déterminer. Aurais-je examiné cet avantage avec plus de soin si je n'eusse tiré des éclaircissements sur mon voyage qui m'ont décidé en secret sur le parti que je prends, et ce secret je ne puis le confier qu'à toi. Je me suis souvenu que pendant la longue route qui m'a conduite à Paris, des terviles donnaient des pièces d'argent et quelquefois d'or dans tous les endroits où nous nous arrêtions. J'ai voulu savoir si c'était par obligation ou par simple libéralité. J'ai appris qu'en France... Non seulement on fait payer la nourriture aux voyageurs, mais même le repos, hélas. Je n'ai pas la moindre partie de ce qui serait nécessaire pour contenter l'intérêt de ce peuple avide. Il faudrait le recevoir des mains de Déterville. Quelle honte ! Tu sais tout ce que je lui dois. Je l'acceptais avec une répugnance qui ne peut être vaincue que par la nécessité. Mais pourrais-je me résoudre à contracter volontairement un genre d'obligation dont la honte va presque jusqu'à l'ignominie ? Je n'ai pu m'y résoudre, mon cher Azat. Cette raison seule m'aurait déterminé à demeurer ici. Le plaisir de te voir plus promptement n'a fait que confirmer ma résolution. Déterville l'a écrit devant moi au ministre d'Espagne. Il le presse de te faire partir. Il lui indique les moyens de te faire conduire ici avec une générosité qui me pénètre de reconnaissance et d'admiration. Quel doux moment j'ai passé pendant que Déterville écrivait. Quel plaisir d'être occupé des arrangements de ton voyage. de voir les apprêts de mon bonheur, de n'en plus douter. Si d'abord il m'en a coûté pour renoncer aux dessins que j'avais de te prévenir, je l'avoue, mon cher hasard, j'y trouve à présent mille sources de plaisir que je n'y avais pas aperçues. Plusieurs circonstances, qui ne me paraissent d'aucune valeur pour avancer ou retarder mon départ, me deviennent intéressantes et agréables. Je suivais aveuglement le penchant de mon cœur. J'oubliais que j'allais te chercher au milieu de ces barbares espagnols dont la seule idée me saisit d'horreur. Je trouve une satisfaction infinie dans la certitude de ne les revoir jamais. La voie de l'amour est éniée celle de l'amitié. Je goûte sans remords la douceur de les réunir. D'un autre côté, D'Eterville m'a assuré qu'il nous était à jamais impossible de revoir la ville du soleil. Après le séjour de notre patrie, en est-il un plus agréable que celui de la France ? Il te plaira, mon cher Azat, quoique la sincérité en soit bannie. On y trouve tant d'agréments qu'ils font oublier les dangers de la société. Après ce que je t'ai dit de l'or, il n'est pas nécessaire de t'avertir d'en apporter. Tu n'as que faire d'autres mérites. La moindre partie de tes trésors suffit pour te faire admirer et confondre l'orgueil des magnifiques indigents de ce royaume. Tes vertus et tes sentiments ne seront chéris que de moi. Déterville m'a promis de te faire rendre mes nœuds et mes lettres. Il m'a assuré que tu trouverais des interprètes pour t'expliquer les dernières. On vient me demander le paquet, il faut que je te quitte. Adieu. Cher espoir de ma vie, je continuerai à t'écrire. Si je ne puis te faire passer mes lettres, je te les garderai. Comment supporterais-je la longueur de ton voyage si je me privais du seul moyen que j'ai de m'entretenir de ma joie ? Comment supporterais-je la longueur de ton voyage si je me privais du seul moyen que j'ai de m'entretenir de ma joie, de mes transports, de mon bonheur ? Lettre 27 Depuis que je sais mes lettres en chemin, mon cher hasard, Je jouis d'une tranquillité que je ne connaissais plus. Je pense sans cesse au plaisir que tu auras à les recevoir. Je vois tes transports, je les partage. Mon âme ne reçoit de toute part que des idées agréables. Et pour comble de joie, la paix est rétablie dans notre petite société. Les juges ont rendu à Céline les biens dont sa mère l'avait privé. Elle voit son amant tous les jours. Son mariage n'est retardé que par les après qui y sont nécessaires. Au comble de ses voeux, Elle ne pense plus à me quereller et je lui en ai autant d'obligations que si je devais à son amitié les bontés qu'elle recommence à me témoigner. Quel qu'en soit le motif, nous sommes toujours redevables à ceux qui nous font éprouver un sentiment doux. Ce matin, elle m'en a fait sentir tout le prix par une complaisance qui m'a fait passer d'un trouble fâcheux à une tranquillité agréable. On lui a apporté une quantité prodigieuse d'étoffes, d'habits, de bijoux de toutes espèces. Elle est accourue dans ma chambre. m'a emmenée dans la sienne et après m'avoir consultée sur les différentes beautés de temps d'ajustement l'a fait elle-même un tas de ce qui avait le plus attiré mon attention et d'un air empressé elle commandait déjà à zanushina de le porter chez moi quand je m'y suis opposée de toutes mes forces mes instances n'ont d'abord servi qu'à la divertir mais voyant que son obstination augmentait avec mes refus je n'ai pu dissimuler davantage mon ressentiment pourquoi lui ai-je dit les yeux baignés de larmes Pourquoi voulez-vous m'humilier, plus que je ne le suis ? Je vous dois la vie et tout ce que j'ai, c'est plus qu'il n'en faut pour ne point oublier mes malheurs. Je sais que, selon vos lois, quand les bienfaits ne sont d'aucune utilité à ceux qui les reçoivent, la honte en est effacée. Attendez donc que je n'en ai plus aucun besoin pour exercer votre générosité. Ce n'est pas sans répugnance, ajoutai-je d'un ton plus modéré, que je me conforme à des sentiments si peu naturels. Nos usages sont plus humains. Celui qui reçoit son or autant que celui qui donne. Vous m'avez appris à penser autrement. N'était-ce donc que pour me faire des outrages ? Cet aimable ami, plus touché de mes larmes qu'irrité de mes reproches, m'a répondu d'un ton d'amitié. « Nous sommes bien éloignés, mon frère et moi, ma chère Zilia, de vouloir blesser votre délicatesse. Il nous cirait mal de faire les magnifiques avec vous, vous le connaîtrez d'en peu. Je voulais seulement que vous partagassiez avec moi les présents d'un frère généreux. C'était le plus sûr moyen de lui en marquer ma reconnaissance. L'usage, dans le cas où je suis, m'autorisait à vous les offrir. Mais puisque vous en êtes offensé, je ne vous en parlerai plus. Vous me le promettez donc, lui ai-je dit ? Oui, m'a-t-elle répondu en souriant. Mais permettez-moi d'écrire un mot à Déterville. Je l'ai laissé faire et la gaieté s'est rétablie entre nous. Nous avons recommencé à examiner ses parures plus en détail jusqu'au temps où on l'a demandé au parloir. Elle voulait m'y mener mais, mon cher Azat, est-il pour moi quelque amusement comparable à celui de t'écrire ? Loin d'en chercher d'autres, j'appréhende d'avance ce que l'on me prépare. Céline va se marier, elle prétend m'en mener avec elle, elle veut que je quitte la maison religieuse pour demeurer dans la sienne. Mais, si j'en suis cru, hasard, mon cher hasard, par quelle agréable surprise ma lettre fut-elle hier interrompue ? Hélas, je croyais avoir perdu pour jamais ce précieux monument de notre ancienne splendeur. Je n'y comptais plus, je n'y pensais même pas. J'en suis environné, je les vois, je les touche, et j'en croise à peine mes yeux et mes mains. Au moment où je t'écrivais, je vis entrer Céline, suivie de quatre hommes, accablés sous le poids de gros coffres qu'ils portaient. Ils les posèrent à terre et se retirèrent. Je pensais que ce pouvait être de nouveaux dons de Déterville. Je murmurais déjà en secret lorsque Céline me dit, en me présentant des clés, « Ouvrez, Zilia, ouvrez sans vous effaroucher, c'est de la part d'Aza. La vérité que j'attache inséparablement à ton inné ne me laissa point le monde au doute. » J'ouvris avec précipitation et ma surprise confirma mon erreur en reconnaissant tout ce qui s'offrit à ma vue pour des ornements du Temple du Soleil. Un sentiment confus, mêlée de tristesse et de joie, de plaisir et de regret, remplit tout mon cœur. Je me prosternais devant ces restes sacrés de notre culte et de nos hôtels. Je les couvris de respectueux baisers, je les arrosais de mes larmes, je ne pouvais m'en arracher, j'avais oublié jusqu'à la présence de Céline. Elle me tira de mon ivresse en me donnant une lettre qu'elle me pria de lire. Toujours remplie de mon erreur, je la crus de toi. Mes transports redoublèrent, mais, quoique je la déchiffrasse avec peine, Je connus bientôt qu'elle était de Déterville. Il me sera plus aisé, mon cher Azat, de te la copier que de t'en expliquer le sens. Billet de Déterville. Ces trésors sont à vous, belle Zilia, puisque je les ai trouvés sur le vaisseau qui vous portait. Quelques discussions arrivées entre les gens de l'équipage m'ont empêché jusqu'ici d'en disposer librement. Je voulais vous les présenter moi-même, mais les inquiétudes que vous avez témoignées ce matin à ma sœur ne me laissent plus le choix du moment. Je ne saurais trop dissiper vos craintes, je préférerais toute ma vie votre satisfaction à la mienne. Je l'avoue, en rougissant mon cher hasard, je sentis moins alors la générosité de Teterville que le plaisir de lui donner des preuves de la mienne. Je mis promptement à part un vase que le hasard, plus que la cupidité, a fait tomber dans les mains des Espagnols. C'est le même, mon cœur l'a reconnu, que tes lèvres touchèrent le jour où tu nous voulais bien goûter du haka préparé de ma main. Plus riche de ce trésor que de tous ceux qu'on me rendait. J'appelai les gens qui les avaient apportés. Je voulais les leur faire reprendre pour les renvoyer à Déterville, mais Céline s'opposa à mon dessein. « Que vous êtes injustes, Zilia, me dit-elle. Quoi ? Vous voulez faire accepter des richesses immenses à mon frère ? Vous, que l'offre d'une bagatelle offense ? Rappelez votre équité, si vous voulez en inspirer aux autres. » Ses paroles me frappèrent. Je reconnus dans mon action plus d'orgueil et de vengeance que de générosité. Que les vices sont près des vertus. J'avouais ma faute. J'en demandais pardon à Céline, mais je souffrais trop de la contrainte qu'elle voulait m'imposer pour n'y pas chercher de l'adoucissement. « Ne me punissez pas autant que je le mérite, lui dis-je d'un air timide. Ne dédaignez pas quelques modèles du travail de nos malheureuses contrées. Vous n'en avez aucun besoin. Ma prière ne doit point vous offenser. » Tandis que je parlais, je remarquais que Céline regardait attentivement deux arbustes d'or chargés d'oiseaux et d'insectes d'un travail excellent. Je me hâtais de les lui présenter avec une petite corbeille d'argent que je remplis de coquillages, de poissons et de fleurs les mieux imités. Elle les accepta avec une bonté qui me ravit. Je choisis ensuite plusieurs idoles des nations vaincues par tes ancêtres et une petite statue qui représentait une vierge du soleil. J'y joignis un tigre, un lion et d'autres animaux courageux et je la priais de les envoyer à Deterville. Écrivez-lui donc, me dit-elle en souriant. Sans une lettre de votre part, les présents seraient mal reçus. J'étais trop satisfaite pour rien refuser. J'écrivis tout ce que me dicta ma reconnaissance et lorsque Céline fut sortie, je distribuais des petits présents à Sachina et à la mienne. J'en mis à part pour mon maître à écrire. Je goûtais enfin le délicieux plaisir de donner. Ça n'a pas été sans choix, mon Gerasa. Tout ce qui vient de toi, tout ce qui a des rapports intimes avec ton souvenir, n'est point sorti de mes mains. La chaise d'or que l'on conservait dans le temple pour le jour des visites du Kappa Inca Ton auguste père, placé d'un côté de ma chambre en forme de trône, me représente ta grandeur et la majesté de ton rang. La grande figure du soleil que je vis moi-même arrachée du temple par les perfides espagnols, suspendue au-dessus, excite ma vénération. Je me prosterne devant elle, mon esprit l'adore, et mon cœur est tout à toi. Les deux palmiers que tu donnas au soleil pour offrande et pour gage de la foi que tu m'avais juré, placés aux deux côtés du trône, me rappellent sans cesse tes tendres sermons. des fleurs des oiseaux répandus avec symétrie dans tous les coins de ma chambre forment en raccourci l'image de ces magnifiques jardins où je me suis si souvent entretenu de ton idée mes yeux satisfaits ne s'arrêtent nulle part sans me rappeler ton amour ma joie mon bonheur enfin tout ce qui fera jamais la vie de ma vie

Share

Embed

You may also like