- Speaker #0
Bonjour à toutes et à tous, je m'appelle Bérénice, je travaille chez Holomea et je suis passionnée par la bio-inspiration et la manière dont fonctionnent les humains entre eux. Bienvenue sur La Fluence, le podcast qui explore la coopération. La Fluence est une occasion de se poser des questions, d'explorer, de découvrir, d'apprendre et surtout de partager. Entre chaos et opportunités, explorons ensemble de nouvelles manières de construire les collectifs. Dans cet épisode, nous rencontrons Pierre Courbin, enseignant-chercheur à l'ESIEA, école du numérique utile, dans différents domaines techniques ainsi que sur les low-tech. Pierre se questionne beaucoup sur les enjeux des technologies sur la société, sur les différentes formes d'organisation et aussi sur la coopération. Je le retrouve dans les locaux de l'ESIEA, dans le 5e arrondissement de Paris. Nous sommes entourés par une fresque qui retrace l'histoire de cette école et d'objets témoignant de l'évolution du numérique de ces dernières années. Bonjour Pierre, bienvenue dans la Fluence, le podcast qui explore la coopération. Je suis très contente de te retrouver pour enregistrer cet épisode ensemble dans les locaux de l'ESIEA. Avant de commencer, est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots ?
- Speaker #1
Bonjour Bérénice, et merci pour la proposition d'enregistrer ce podcast ensemble. Donc oui, alors moi je suis Pierre-Courbin, alors je vais me présenter notamment parce qu'on est dans les locaux de l'ESUA par mon travail, même si ce n'est pas la chose qui je pense définit mieux les personnes, mais je suis enseignant-chercheur en informatique et en système embarqué en objets connectés, donc à l'ESIEA qui est une école d'ingénieurs privée Et donc j'enseigne et je recherche des choses autour de l'informatique. Et par ailleurs je m'intéresse aussi à l'impact que peut avoir le numérique sur le monde en général et sur la société, et sur l'organisation de la société. et pour cela je m'occupe d'une option d'une formation dernière année à l'école d'ingénieurs autour des low-tech et de l'innovation frugale.
- Speaker #0
Ok, j'espère que tu nous en diras plus sur cette option qui a l'air assez intéressante, de pouvoir relier le numérique avec les enjeux de société et de transition écologique. Juste avant, est-ce que tu pourrais compléter ta présentation en nous donnant un petit peu ton point de vue sur la coopération ? Comment est-ce que tu le définirais ? Pour toi, qu'est-ce que ça t'évoque ?
- Speaker #1
Alors la coopération, en fait, de mon point de vue, quand on parle de coopération, surtout avec un enseignant, la première chose à laquelle je pense, c'est les moments où on fait travailler les étudiants en projet. Parce que quand ils travaillent en projet, on leur dit que la coopération peut être une façon d'aborder les problématiques pour ne rien rater, ne pas oublier des angles particuliers, écouter les avis des autres, permet effectivement d'avancer plus facilement en équipe. Donc ça c'est... quelque chose qui paraît assez évident potentiellement quand on enseigne, mais c'est voir la coopération comme un outil, et ce n'est pas forcément la seule vision, en tout cas la vision principale que j'ai de ce sujet-là. Pour moi, alors je préfère le dire tout de suite, pour moi, dans mon cadre particulier, que je considérais être comme particulièrement privilégié, qui est que tous mes besoins essentiels sont comblés, la coopération est plutôt une sorte d'autre besoin, qui me permet, ou qui me semble permettre, de mieux me comprendre et de mieux comprendre le monde. En allant discuter avec les autres personnes, en coopérant avec eux, ça veut dire que je suis obligé d'écouter leur avis, d'écouter leur façon de voir le monde, et du coup de mieux comprendre comment on peut voir différemment les choses, et en fait, au final, de mieux comprendre moi, pourquoi je vois certaines choses de certaines façons. Voilà, de mon point de vue, la coopération est même plutôt... un objectif, mais en tout cas un moyen assez intéressant qui arrive vers ce besoin qui est de mieux se comprendre et de mieux comprendre le monde.
- Speaker #0
J'ai encore jamais eu une réponse telle que celle-ci dans ce podcast, donc je trouve que c'est une vision hyper intéressante du travail collectif. Je pense que je ne l'avais même moi-même jamais vue comme ça. Et en fait, ça me parle beaucoup. et en plus du coup je fais un peu des liens mais en fait ça me fait penser à certains des ingrédients de la coopération qui sont le fait d'améliorer sa conscience de soi et la conscience du groupe et c'est vrai que du coup ok c'est un des ingrédients qui est nécessaire pour qu'on coopère mais c'est aussi ce que la coopération vient alimenter. Pour moi c'est que la coopération c'est
- Speaker #1
un outil et on l'enseigne comme ça mais c'est aussi en fait un moyen de mieux se connaître et au travers de mieux se connaître, de mieux connaître les autres. Et c'est pour ça que je réinsiste sur ce côté privilégié, qui est que je peux me poser ces questions-là parce que je n'ai pas d'autres questions à me poser, et donc grâce à la coopération, je vois que j'évolue, que je me comprends mieux et que je m'améliore.
- Speaker #0
Du coup, tu me disais tout à l'heure que tu étais enseignant, chercheur, et que tu gérais aussi une des options qui est celle du low-tech, c'est ça ? C'est une option dans laquelle tu relis le numérique et justement avec ses enjeux de transition écologique et sociale. Est-ce que tu veux bien nous en dire un petit peu plus sur ce que c'est pour toi le low-tech ? Et en quoi est-ce que tu relis du coup numérique et transition écologique ?
- Speaker #1
Oui, alors d'abord, qu'est-ce que c'est pour moi le low-tech ? Alors je vais donner ma façon de l'aborder, parce qu'à ma connaissance, il n'y a pas de définition acceptée, et ce n'est pas forcément mal d'ailleurs. La façon dont moi je le vois avec mon prisme d'informaticien et numéricien qui adore le numérique et qui s'amuse à faire des choses qui ne sont pas nécessaires, le low-tech, et c'est ce que je dis à mes étudiants, je ne mets pas d'opposition entre le high-tech et le low-tech. Pour moi, le high-tech, c'est l'utilité que peuvent avoir des gens techniques à créer des nouvelles solutions. qui pourraient être utiles plus tard. C'est pour moi le boulot de la recherche, c'est pour ça que je suis aussi chercheur. Le chercheur, pour moi, creuse, approfondit des thématiques, trouve des nouvelles solutions qui deviennent disponibles sur l'étagère et qu'on pourra utiliser plus tard. J'aime bien définir ça comme ça parce que ça me permet de dire que la low-tech, finalement, c'est le boulot de l'ingénieur, si je reste sur la partie numérique. Ce n'est pas quelque chose de particulier qu'il faut optimiser ou n'importe, c'est juste, à un moment, revenir à un besoin. Quel est le besoin réel auquel on veut répondre ? Et du coup, quelle est la meilleure façon d'y répondre de la façon la plus efficace et la plus sobre ? Si je n'ai pas besoin de beaucoup de numérique, je ne mets pas de numérique. Si je n'ai pas besoin du tout de numérique, je n'en mets pas. Revenir aux besoins et trouver la solution la plus adaptée, c'est ça pour moi le low-tech.
- Speaker #0
Et du coup, est-ce que tu fais des liens entre le fait d'avoir une démarche low-tech, d'avoir ce rôle d'ingénieur qui doit concevoir à quel moment tu utilises la high-tech, et la coopération de travail collectif ?
- Speaker #1
Oui, je peux faire le lien justement avec ce qui est pour moi des fondamentaux du boulot d'ingénieur, et de beaucoup de gens, et la définition que je viens de donner de low-tech, qui est revenir aux besoins. On peut avoir tendance, quand on est dans la technique et notamment l'informatique, Le principe du marteau et du clou, j'ai été formé d'une certaine façon, donc je considère que toutes les solutions ont forcément du numérique. et je vais considérer ça de toute façon. La seule façon de ne pas considérer ça, c'est d'aller voir les gens qui ont vraiment le besoin de comprendre quelle est la façon dont ils vivent, de coopérer avec eux pour comprendre ce dont ils ont besoin et quelle est la solution qui pourrait leur correspondre. Si je reste avec mon prisme, avec ma formation, avec mon milieu, etc., je ne pourrai pas apporter de bonne solution. Donc la seule façon d'apporter une solution efficace, et donc que j'appellerais low-tech, c'est de coopérer et d'aller comprendre quel est vraiment le besoin des gens.
- Speaker #0
d'aller se mettre en immersion aussi dans leur contexte, d'aller voir quelles sont leurs contraintes, quelles sont leurs facilités, quelles sont au contraire leurs difficultés, et du coup, comment on peut aller s'interfacer de la meilleure manière en proposant une solution qui est pertinente.
- Speaker #1
Et il faut... Pour ça, dans nos formations, on a fait beaucoup évoluer nos formations, je m'occupais précédemment d'une autre formation dans une autre école, où j'avais mis dans un des quatre piliers de la formation que j'avais créée, c'était ce qu'on avait appelé transition, et dans cette transition, il y avait un cours spécifique sur l'accompagnement au changement. Parce que dans le numérique, et c'était une formation sur le numérique et l'énergie, on peut projeter des solutions sans savoir quels sont vraiment les besoins. Dans le cadre de mes activités, j'ai eu l'occasion de travailler avec une entreprise qui avait imaginé une solution pour aider les personnes à optimiser leur consommation. Sur le principe, très bien. Ils avaient besoin d'un terrain d'expérimentation. Ils ont trouvé un terrain d'expérimentation, c'était la HLM, parce que c'est assez facile d'accès, parce qu'ils peuvent discuter directement avec les bailleurs et installer les choses. Très bien. Ils ont installé la solution. Ils ont prêté ou donné, je ne sais plus, des tablettes à tous les habitants, des tablettes numériques pour pouvoir suivre leur consommation. Ils sont revenus plusieurs mois après et ça n'avait pas du tout fonctionné. Personne n'avait utilisé le matériel. ils ne comprenaient pas pourquoi, ils ont été discuter avec les gens, et les gens leur ont dit, vous êtes bien gentils, mais nous déjà on n'est pas forcément parmi les personnes les plus aisées, on a du mal à gérer certaines choses, comme tout le monde, mais notamment en tout cas la partie finance, et vous êtes en train de nous dire qu'en plus on ne sait pas consommer notre énergie. Donc on ne va pas utiliser votre outil, parce que vous êtes en train de nous stigmatiser encore plus par rapport à la façon dont on vit. Et donc c'est là où on a besoin que les ingénieurs, certes, se disent je sais techniquement comment afficher les choses et ça va changer la vie des gens mais si les gens, on ne les accompagne pas ou si on ne leur dit pas, et si on ne se rend pas compte que peut-être ça ne va pas du tout leur changer de vie parce que ce n'est pas ça dont ils avaient besoin, on a utilisé des ressources, on a créé des solutions, on a passé du temps pour au final même plutôt frustrer des gens plutôt que de les aider.
- Speaker #0
Oui, c'est un bon exemple, je trouve, qui illustre vraiment le... le besoin de se connecter avec les personnes qui vont finalement utiliser la solution qu'on est en train de créer. Et en plus de ça, je rajouterais que parfois, entre le moment où on a conçu la solution qui répondait à un problème et le moment où on sort la solution, si ça se trouve, les besoins ont évolué. Donc en plus de ça, on a besoin aussi de régulièrement prendre du recul sur ce qu'on est en train de faire pour se demander si c'est toujours adapté au contexte dans lequel on est. Et du coup, comment est-ce que ça t'arrive à le transmettre aux étudiants justement, à la fois cette capacité à remettre en question le besoin, mais aussi à travailler collectivement ? Est-ce que c'est quelque chose que toi tu vas me faire passer dans les cours que tu donnes ? Et si oui, comment ?
- Speaker #1
Alors oui, très bonne question. Déjà, un endroit où c'est plus facile pour moi de le faire passer, c'est justement dans la formation Le Tech et Innovation Frugal de dernière année. Parce que là, je les ai trois semaines, ils ne se connaissent pas forcément tous au début, ils n'ont rien d'autre à côté, et donc on a le temps de les amener sur différentes questions. Et justement dans ce contexte-là, comment je fais pour les faire coopérer ? Déjà, on cherche leur point commun, donc il y a un des trois modules de la formation qui est sur le futur désirable. Donc individuellement, ils doivent réfléchir à comment ils s'imaginent dans les dizaines d'années, c'est-à-dire sous quelle forme, est-ce que c'est plutôt à la campagne, proche de la nature, dans la ville, etc. Comment ils imaginent ça ? Après, on les rassemble en fonction des attraits qu'ils ont sur les différentes thématiques, et à partir de ça, ils doivent déjà produire quelque chose d'artistique, au sens où l'idée c'est qu'ils apprennent à faire passer l'émotion à leurs camarades, pour embarquer leurs autres camarades vers le futur qu'ils ont imaginé. Ça commence déjà à les rassembler parce que ça les met en inconfort parce que dans une école d'ingénieur, alors chez nous on travaille beaucoup ce qu'on appelle les soft skills, mais c'est rarement le socle de ce qu'ils voient comme important dans la formation, alors qu'en fait c'est plutôt assez essentiel. Donc là quand je leur dis faites une pièce de théâtre pour présenter à vos camarades, déjà ça les rassemble parce qu'ils ne sont pas du tout à l'aise. Et ensuite...
- Speaker #0
En fait, ça les rassemble parce que ça les met en difficulté en même temps, c'est ça ?
- Speaker #1
C'est potentiellement ça. Alors, j'ai la chance, et pourquoi ça fonctionne, je pense, j'ai toujours un petit groupe. C'est toujours plus difficile de faire ça en groupe. En tout cas, je ne me sens pas en capacité. Je pense que d'autres personnes y arriveraient très bien, mais sur ça, en plus grand groupe. Moi, effectivement, je suis plus à l'aise avec un petit groupe parce que justement, ça me permet de rapidement réagir si je vois que des personnes sont vraiment en difficulté et de les accompagner. Parce que ce n'est pas l'idée de les mettre en difficulté, mais c'est de les sortir de leur zone de confort pour qu'ils puissent justement s'entraider. Donc on fait ça sur la partie future, déjà ça c'est les rassembles, et au fur et à mesure justement, à travers de différents exercices, on les fait travailler aussi sur construire quelque chose pour essayer de changer le présent pour aller vers le futur qu'ils ont imaginé, et le défendre face à leurs camarades. Ça par exemple, ça arrive à la fin des trois semaines, et on se rend compte qu'à la fin des trois semaines, ils sont capables de défendre des points de vue qu'ils n'auraient jamais imaginés au début, simplement parce qu'ils ont pris confiance dans le groupe, et qu'ils savent qu'ils ont le droit de l'exprimer, et qu'ils ne vont pas se faire juger, mais qu'il y aura un échange. On a beaucoup d'exercices de présentation pendant les trois semaines où régulièrement on prend le temps d'échanger, de réagir et on voit que les autres sont constructifs au final. Donc voilà, il y a ce temps petit groupe, un peu long quand même, où ils sont un peu sortis du reste et ça permet de créer cette interaction. Ça c'est une première chose sur la partie coopération. Deuxième chose, je suis enseignant aussi technique, j'ai des cours d'informatique, de programmation embarquée, des choses beaucoup plus techniques et classiques, on va dire, dans une école d'ingénieur comme la nôtre. Et là se pose une question pour l'enseignant, auxquelles je n'ai pas forcément de réponse, mais auxquelles on réfléchit, il y a plein de gens qui réfléchissent à l'extérieur, et nous on essaye aussi d'y réfléchir, c'est que le diplôme, on le donne à une personne. Dans beaucoup de formations, la nôtre encore un peu, même si on essaie de faire évoluer les choses, on prépare quand même un métier, c'est-à-dire à préparer des personnes qui sont prêtes à aller en entreprise. Les entreprises ont tendance, même si elles évoluent beaucoup, à attendre particulièrement des compétences techniques. Et du coup on est un peu entre les deux en se disant qu'il faut qu'ils apprennent à coopérer, qu'ils apprennent à gérer des projets, etc. Et en même temps, à la fin, ils sont évalués individuellement. Ils ont une note pour savoir si eux ils passent. C'est difficile du coup de gérer un peu ce compromis. Une des façons dont on l'a géré, c'est notamment au travers des projets qu'on leur demande de réaliser ensemble. Ils ont une auto-évaluation à se faire ensemble en tant qu'équipe, et une grille claire avec ce que vous avez réussi à vous organiser entre vous, vous répartir les tâches, c'est des choses assez cohérentes, et comment vous avez fait pour gérer les conflits. Et moi quand je leur demande de remplir ça, je leur demande de le faire d'abord individuellement, pour qu'ils se rendent compte qu'ils n'apportent pas tous les mêmes choses au groupe, et ensuite de faire une évaluation du groupe, pour qu'ils se rendent compte que finalement ensemble, ils arrivent à résoudre potentiellement l'ensemble des critères, et à être bons sur l'ensemble des critères, mais que ce n'est pas forcément à tout le monde d'être bon partout. Et la dernière étape que je leur demande, parce qu'en fait on leur demande de faire ça toutes les semaines pendant l'année, la dernière étape que je leur demande c'est discuter entre vous pour savoir si vous, il y a un critère sur lequel vous n'êtes pas forcément le meilleur, mais sur lequel vous avez envie de progresser. C'est une façon aussi pour eux de demander au groupe, écoutez ça je ne sais pas bien le faire, mais laissez-moi le faire. Ok vous, vous êtes efficace là-dessus, vous allez par défaut le faire, mais laissez-moi le faire parce que moi j'ai besoin de progresser dessus. Et ça c'est impossible à faire s'ils sont tout seuls, et c'est impossible à faire si la seule chose qu'on attend d'eux c'est une note de groupe. parce que la meilleure façon d'avoir une bonne note de groupe, c'est de laisser faire celui qui sait faire. Donc c'est, voilà, comment nous on essaye parfois de trouver des façons de les obliger à voir que c'est par la coopération qu'ils arriveront à progresser eux-mêmes et à faire progresser aussi le groupe.
- Speaker #0
Je trouve ça vachement bien ce que tu as expliqué là sur la fin, enfin ce qui était avant aussi, je trouve que c'est très intéressant et c'est hyper originel de mettre ça en place aussi dans une école d'ingénieurs encore plus du numérique, en tout cas de l'idée que je m'en fais. Mais ce côté, avoir des temps chaque semaine de prise de recul et de prise de hauteur sur comment moi je fonctionne, comment on fonctionne en groupe et comment on pourrait modifier cette dynamique collective. pour qu'elle fonctionne encore mieux. Parce que finalement, quand on laisse faire celui qui sait faire, la dynamique individuelle, on va dire, elle est confortable pour tout le monde. Par contre, la dynamique de groupe, il n'y en a pas forcément, parce qu'on ne comprend rien à ce que l'autre fait. Et donc, en fait, on n'est pas capable de faire des retours et d'évaluer si son groupe est performant ou pas, parce qu'on n'a pas connaissance de ce qui se passe avec nos propres membres de notre équipe. Et de le faire de manière individuelle, ça permet aussi de se poser les questions avant d'en parler avec le groupe et d'éviter des débats sans fond aussi au sein de l'équipe qui peuvent provoquer des conflits pour rien.
- Speaker #1
Et puis potentiellement des non-dits dans l'équipe de oui en fait on arrive à tout bien faire, mais ils se disent pas entre eux, mais ils ont l'impression que c'est quelques-uns qui font tout et que les autres ils leur en veulent, etc. Et d'ailleurs, on leur demande, à chaque semaine de projet, il y a une colonne ensuite, où ils doivent dire pour chacun des critères ce qu'ils veulent mettre en place pour améliorer, même si c'est déjà bien, ce critère-là. Et pour fermer la boucle, un de ces critères-là, c'est leur capacité à s'auto-évaluer. Donc comme ça, c'est un peu une deception, mais ils tournent un peu sur le sujet, vraiment pour aller au bout de la thématique. Trop bien.
- Speaker #0
C'est malin. Malin de ta part. Comme ça, s'ils n'étaient pas engagés dès le début, ils savent qu'ils peuvent progresser là-dessus.
- Speaker #1
Alors, c'est pas du tout moi qui ai imaginé cette grille, c'est l'équipe projet. Moi, je la suis en tant qu'accompagnant d'équipes, mais c'est pas moi qui ai imaginé ça.
- Speaker #0
Donc, tu nous as dit tout à l'heure que toi, tu intégrais, surtout par ta majeure low-tech, les enjeux de transition dans tes enseignements. Est-ce que tu penses que ces enjeux-là, ils devraient être intégrés à d'autres enseignements, dans d'autres thématiques ? Si oui, comment est-ce que tu penses que ça pourrait être fait ? Quelles sont tes réflexions sur le sujet ?
- Speaker #1
Est-ce que je pense qu'il faut qu'ils soient intégrés dans d'autres cours ? Oui, complètement, mais pour une raison particulière, parce que j'ai vu ça dans différentes écoles. Ce qui ne fonctionne pas, c'est d'avoir un cours qui traite le sujet. C'est-à-dire de se dire, c'est bon, j'ai coché la case, les étudiants ont eu la formation, je peux passer à autre chose. Pourquoi ? Parce que c'est une problématique systémique et qu'à partir du moment où on considère que c'est juste un sujet à traiter à côté, et c'est tout à fait normal, les étudiants ne vont pas forcément faire le lien entre ce qu'on leur a donné dans un cours et le métier qu'ils ont l'impression qu'ils vont devoir faire en produisant des choses, par exemple dans l'informatique. Donc si on n'intègre pas ça dans les cours, ça devient la petite cerise sur le gâteau auquel il faut faire attention à la fin, alors que, et on en a parlé déjà un petit peu avant, alors que si jamais l'ingénieur ne se pose pas la question du besoin, il ne va pas se poser la question de la meilleure façon d'y répondre, et donc il ne va pas s'intéresser à l'efficacité de ce qu'il a produit. Donc oui, il faut l'intégrer dans les différents cours. Comment l'intégrer ? Alors pareil, il y a plein de gens qui seraient beaucoup mieux en parler que moi. J'essaie de m'inspirer d'ailleurs, on revient sur la notion de collaboration, de ce qui est proposé par d'autres, notamment un collectif, les enseignants de la transition, je recommande à tous les enseignants de les rejoindre, qui propose justement des réflexions, des séminaires, des conférences parfois le soir, et des verres pour discuter ensemble et partager des idées de chacun et pouvoir s'entraider. Et une des choses qui, avec le recul, me semble effectivement important, et justement les anciens de la tradition apportent ça, c'est qu'en fait il faut d'abord former les profs, pour ensuite qu'eux se disent, je peux peut-être, au travers de cet exercice-là, prendre tel exemple. Un prof de physique qui a une thématique à traiter, il faut qu'il traite la thématique, la mécanique du point. Mais peut-être qu'au travers de l'exemple qu'il va prendre, il pourrait prendre un exemple qui va sans arrêt faire le lien entre, regardez, ça, cette notion scientifique, on peut l'appliquer ici, pour sans arrêt faire des ponts pour les étudiants entre ce qu'ils sont en train d'apprendre et l'utilité que ça a pour potentiellement contribuer à une transition. à l'avenir.
- Speaker #0
Donc en fait, si je reformule, c'est d'hybrider les savoirs qu'on est en train d'essayer de transmettre avec le contexte actuel dans lequel on vit, de transition écologique, sociale, etc.
- Speaker #1
Oui, et enfin, après, je vais faire exprès de réagir là-dessus, mais je ne sais pas si je parlerais de contexte, parce que je trouverais dommage que l'on considère qu'il faut hybrider, parce que ponctuellement, il y a cette question-là qui se pose. alors qu'au contraire, je pense qu'il faudrait que ça reste j'espère que déjà ça va fonctionner, mais ensuite éventuellement si ça fonctionne que ça reste dans le sens où rappeler à chaque fois et les étudiants en ont besoin, en tout cas ça marche bien, j'ai l'impression quand on le fait en cours leur rappeler que ce qu'on est en train de leur apprendre dans un cours c'est pas juste pour faire joli, mais que ça a une utilité et du coup oui, continuer à hybrider parce que sinon les étudiants s'ils ne voient pas l'importance de ce qu'ils sont en train d'apprendre Ils ne vont faire aucun lien et surtout ils ne vont même pas retenir ce qu'on est en train de leur expliquer. Donc c'est même utile pour expliquer la métier du point parfois, de faire un lien avec le réel. et les étudiants, les profs le font déjà parce que ça rapproche de quelque chose de réel donc effectivement hybridé, mais hybridé de façon générale pas juste parce que le contexte potentiellement l'impose oui oui c'est ça, en fait c'est hybridé pour donner du sens oui tout à fait dans la mineure en fait on s'intéresse aussi à les faire réfléchir aux formes d'organisation Des projets qu'ils proposent dans le sens où on leur demande de faire une expérience entrepreneuriale à la fin de la mineure, qu'ils doivent présenter à leurs camarades. Ils doivent le présenter en suivant un concept qui n'est pas de moi, qui est d'un collectif qui s'appelle Sinon Virgule, qui s'appelle un tribunal d'existence. En fait, ils doivent présenter l'expérience entrepreneuriale qu'ils ont envie de lancer et réussir à convaincre leurs camarades de les laisser la lancer et leurs camarades doivent voter en tant que même, en tant que citoyen actuel, est-ce que c'est bien de le lancer aujourd'hui. Ils doivent aussi voter en tant que génération future. Si je suis une génération future, est-ce que c'est bien de laisser cette activité entrepreneuriale se lancer ? Et ils doivent aussi voter en tant que non-humain. Si on n'est pas humain, est-ce que c'est pertinent quand même de lancer cette activité aussi ? Pourquoi je dis ça ? Parce que ça veut dire que ça les oblige à réfléchir à la forme que va prendre cette expérience. Donc il y a l'objectif, la façon dont ça va fonctionner. Mais c'est quand même une expérience entrepreneuriale, donc on leur demande aussi que ça soit viable. Et c'est pour ça que dans la formation, on les fait aussi réfléchir, on leur montre différentes formes d'organisation aussi. d'entreprise si on parle d'entreprise, mais d'organisation collective. Et ça c'est une chose qui, je pense, dans les formations en général, et notamment les formations d'ingénieurs, devrait ou pourrait être plus développée. On a l'habitude, mais c'est l'organisation... nationales, internationales, qu'il faut qu'il y ait comme ça aussi, de plutôt orienter vers, vous allez travailler en entreprise ou éventuellement être entrepreneur et lancer une entreprise, alors qu'il y a plein d'autres formes d'organisation collective. Donc nous, on leur montre comment ça fonctionne, coopérative, ça existe les coopératives dans la tech, comment on peut organiser aussi du management dans une entreprise différemment, il n'y a pas forcément que des choses pyramidales, qu'est-ce que ça veut dire, quels sont les risques. Et ça, ça me semble important parce que j'ai des expériences, notamment d'une ancienne élève passionnée par ce domaine-là, qui faisait aussi une école d'informatique, qui est partie dans le milieu associatif et cherchait plutôt de travailler dans l'ESS. Et je me souviens des premiers échanges que j'ai eus avec elle quand elle était arrivée dans sa structure. Elle était intéressée par ça, mais elle était perdue. Donc, quand elle est arrivée, pas avec un grand... je crois qu'elle était en... En service civique au début, les gens de l'association, enfin de l'organisation où elle était, lui ont demandé son avis pour recruter quelqu'un en CDI, alors qu'elle venait d'arriver. Et ça, elle était complètement mal à l'aise parce qu'elle n'avait pas eu ces repères-là. Elle lui a dit mais pourquoi on me demande mon avis à moi ? Et elle n'avait pas eu l'habitude qu'elle ait un avis, elle a le droit de l'exprimer, et son avis peut compter, alors il va compter en fonction de ce qu'elle va dire et de comment elle argumente, mais elle a le droit d'exprimer son avis. Il y avait ça, il y avait plein d'autres questions sur l'organisation, sur les congés, etc., qui étaient différents. Elle était un peu perdue. Et puis la petite chose qui m'a fait sourire le plus, je trouve, c'est que dans l'endroit où ils étaient, il y avait plusieurs institutions et il y avait un espace collectif où il y avait différentes activités, des formations, du yoga, des choses comme ça. Elle m'a dit j'ai du mal à y aller parce que c'est à prix libre. Et je ne sais pas ce qu'il faut donner. Et alors, vous avez... Je l'ai revu très récemment, et ça se passe très très bien, elle est très très contente, etc. Mais vous voyez qu'il y a des personnes qui peuvent être attirées par d'autres formes d'organisation, mais qui, du fait de ne pas avoir eu d'exemple dans leur formation ou dans leur vie classique, vont avoir des freins à aller aborder quand même ces autres façons d'être collectivement. C'est pour ça que je pense que c'est très important aussi dans nos formations qu'on montre les autres façons de vivre et de s'organiser, si on veut qu'éventuellement il y ait des transitions aussi possibles.
- Speaker #0
Ouais, je suis tout à fait d'accord et ça rejoint aussi ce que tu disais tout à l'heure sur les injonctions. Et effectivement, fonctionner collectivement, ce n'est pas du tout facile et c'est encore moins facile si on n'a eu personne qui nous a modélisé des manières de fonctionner avant ça. Et je suis d'accord que dans les formations d'ingénieurs aujourd'hui, on nous pousse à nous intégrer à des entreprises, dans la manière dont elles sont construites aujourd'hui. Tu vois, moi je trouve que même sur le côté entrepreneuriat, il y a des endroits où on est plus ou moins poussé que d'autres. Donc je trouve qu'il y a encore peut-être des progrès à faire justement, à la fois pour intégrer des enjeux de transition dans des cours dont ce n'est pas le sujet, mais aussi pour montrer des nouvelles manières de fonctionner ensemble qui sont inscrites dans la société dans laquelle on est actuellement en fait. Ce n'est pas forcément que des ovnis qui fonctionnent.
- Speaker #1
Tout à fait, il y a plein plein d'exemples existants, c'est pour ça que c'est dommage de ne pas les transmettre. J'aime beaucoup le mot que tu as utilisé d'injonction parce qu'on entend beaucoup qu'il y a des vagues de jeunes qui vont arriver dans les entreprises, transformer les entreprises. J'imagine pas, mais à quel point ça doit être lourd pour les personnes qui arrivent là. On leur dit, alors on n'a pas tout bien fait, on ne vous a pas montré qu'on pouvait faire différemment. On vous explique comment nous on fait aujourd'hui, et c'est à vous de tout changer.
- Speaker #0
Bon courage. Ça, je te rejoins là-dessus, parce que ça me touche personnellement, vu que j'étais à leur place il y a quelques années, mais moi c'est cette phrase que j'en peux plus n'entendre dans les conférences, Oui, quelle planète laissons-nous à nos enfants ? Non mais je suis désolée, mais il n'y a pas que vos enfants, on est tous sur la même planète, et c'est maintenant que collectivement on doit transformer. Et je trouve ça dommage de mettre la responsabilité sur justement les générations futures, même si c'est important de s'en préoccuper. Mais pour moi, ça doit se faire ensemble, qu'on ait 60 ans, 30 ans ou 15 ans. Merci de soulever ce point. Et du coup, merci en tout cas déjà pour tous ces partages. Je trouve que c'est vraiment... Extrêmement intéressant, je trouve, à la fois la manière dont tu vois la coopération, aussi les manières que tu as d'enseigner, je pense que c'est assez original. et je trouve que c'est très pertinent. J'ai une question autour de la bio-inspiration. Nous, chez Holoméa, on travaille pas mal sur ce sujet, bio-inspiration, biomimétisme, et on se pose des questions sur en quoi est-ce que le vivant peut nous inspirer sur le fonctionnement collectif. Je voulais savoir si toi, en particulier, il y a des choses dans le vivant, ou dans le fonctionnement du vivant, une espèce ou un... ou d'autres concepts du vivant qui t'inspirent sur tes manières de fonctionner ?
- Speaker #1
Alors oui, effectivement, je m'attendais à cette question parce que j'ai essayé d'écouter les autres épisodes très intéressants du podcast et je sais que c'est une question que tu poses régulièrement. Du coup, j'ai essayé d'y réfléchir un petit peu et ça m'a rappelé une conférence que j'invite tout le monde à aller écouter parce qu'elle est disponible sur YouTube. qui était au Festival Lothèque à Nantes, où j'ai eu la chance d'aller l'année dernière maintenant, une conférence de Nicolas Martin sur Contre le concept de nature Et en fait, je vais reprendre un bout de ce qu'il disait pour répondre à ta question. Tu me demandes Est-ce qu'il y a des choses dans le vivant qui m'inspirent ? Et je vais dire que ce qui m'a inspiré dans sa conférence, et qui est donc dans le vivant et qui m'inspire, c'est le peuple des Achouards. Je fais exprès de prendre un peuple parce que ce qui me dérange parfois quand on parle de biomimétisme, de lien à la nature, c'est qu'en fait on s'en extrait. Ce que j'ai trouvé très intéressant dans la conférence et dans ce qu'il disait, c'est qu'en fait il évoquait, parce qu'il parlait d'un livre de Philippe Descola, qu'il a créé en 70, dans les années 70, où cette... cette personne, ceux qui le connaissent, il a été voir ce peuple-là pour essayer de comprendre quel était leur rapport à la nature et comment ils intégraient ça dans leur façon de vivre. Et ce qui l'a étonné, je vais lire la phrase du bouquin que lui-même a mis dans sa conférence. Dans le livre, il est marqué Le naturalisme est une façon de faire au monde dont l'évidence m'est apparue par contraste lorsque je suis allé chez les Achuar dans les années 70. Mon ambition était alors d'étudier la manière dont ce peuple socialisait la nature, sur les plans matériels et idéels. Or, je découvrais chez les hachoirs qu'il n'y en était rien. D'abord parce que pour eux, la nature n'existait pas, comme une réalité séparée de la vie sociale. Ce que j'aime beaucoup dans cet exemple-là, c'est que moi, une des choses qui m'inspire dans ce qu'on pourrait considérer le biomimétisme, en fait, de la façon dont on vit un autre peuple, c'est de se rendre compte que la façon dont nous on vit aujourd'hui, ça n'est pas du tout la seule façon d'aborder les choses, et que c'est même apparemment, d'après Philippe Descola, assez récent de considérer ce rapport-là à la nature. et je trouverais intéressant qu'on s'intéresse plus justement, ou qu'on laisse vivre, et on laisse faire d'autres expériences, pour pouvoir imaginer une autre façon d'avoir un rapport à la nature. Donc quand tu me parles de biomimétisme, qu'est-ce qui m'inspire ? Moi ce qui m'inspire c'est les autres façons qu'ont d'autres humains aussi, de vivre ce rapport-là à la nature. Ça me permet justement de sortir de cette séparation entre, il y a la nature et il y a les êtres humains. Donc ça c'est une première chose, c'est la première chose que ça m'évoque, c'est-à-dire cette crainte aussi, et cette façon de... d'insister un peu trop sur il y a nous et il y a la nature Chercher du biomimétisme, ça me paraît assez évident. Il y a plein de choses qui fonctionnent bien. C'est quand même une machine qui a un petit peu d'expérience, la nature entre guillemets. Et donc ce serait quand même un peu bête de ne pas aller voir ce qui peut fonctionner. Ça, c'est la première chose.
- Speaker #0
La deuxième chose, c'est qu'à l'inverse, je pense qu'il faut faire attention aussi à cette approche-là, parce qu'on risque de tomber dans un appel à la nature, c'est-à-dire de dire, puisque c'est naturel, c'est que c'est bien. C'est aussi évoqué dans la conférence, je n'invente rien. Je m'inspire beaucoup de cette conférence. Puisque c'est dans la nature, c'est bien. Et de s'empêcher, nous en tant qu'être humain, d'imaginer d'autres façons d'aborder les sujets. Je ne sais pas si je réponds très bien à ta question, mais pour moi... Le biomimétisme c'est dans le sens, oui, allons regarder ce qui se passe autour de nous, mais allons regarder ce qui se passe autour de nous aussi chez les autres peuples. Laissons chez nous aussi potentiellement d'autres personnes essayer de vivre différemment pour voir si ça peut pas nous inspirer aussi pour le futur. Et rappelons-nous aussi qu'on a le droit d'inventer des choses qui n'existent pas, qui ne semblent pas exister aujourd'hui, et qu'on a le droit de les proposer et de les envisager et de les tester.
- Speaker #1
Ça répond à la question. C'est très bien résumé. Bonne synthèse. C'est hyper intéressant ce que tu dis. Moi, ce que j'ai envie de... de retenir en particulier cette notion de connexion au vivant au sens large, à la fois le vivant à l'intérieur de nous, à la fois le vivant les humains, à la fois le vivant la nature, entre guillemets, et de ne pas justement considérer cette frontière entre nous, humains, la technologie, et la nature de l'autre côté dans laquelle on va se balader pendant les vacances.
- Speaker #0
Tout à fait, et c'est là où... C'est pour ça que je pense que c'est intéressant de voir aussi comment d'autres peuples vivent, parce qu'en fait on peut avoir l'impression, surtout j'imagine pour des générations qui arrivent maintenant, qui potentiellement dans notre monde occidental n'ont vu, et moi le premier d'ailleurs, que cette façon de vivre, de se dire qu'en fait on n'est pas obligé de le faire comme ça, qu'il y a d'autres façons de faire. Déjà ça peut être libérateur, ça peut permettre d'envisager d'autres choses. mais aussi de casser cette image de le monde est individualiste, de toute façon les gens, on ne peut pas leur faire confiance. Quand tu parles de transition par exemple, et pour revenir sur la notion de collaboration, pour moi il y a deux axes qui sont en train de se dessiner, il y a le côté, je vais plutôt prendre cet exemple là, le côté survivaliste de la Silicon Valley, Je fais exprès de prendre cet exemple-là, c'est-à-dire que ce n'est pas sur des personnes où on se dit qu'ils se préparent, qu'ils ont peur que ça s'effondre, etc. Ce sont des personnes qui potentiellement ont accumulé des moyens, du fait de notre organisation actuelle de la société, potentiellement se rendre compte qu'il y a des risques, et parce qu'ils ont accumulé des moyens dans un système où, justement, c'était plutôt basé sur une forme d'individualisme, ils ne peuvent envisager que ça, et donc ils s'organisent leur propre vie future suite à un potentiel effondrement, complètement coupé des autres. Et je reviens sur ce que je disais au début, ça c'est une vision potentiellement de privilégié. L'autre voie qui va se dessiner, c'est les personnes qui n'auront pas pu préparer ça, et qui vont être obligées de coopérer. Soit on considère que le monde actuel c'est comme ça, on n'a pas le choix, c'est individualiste, c'est une organisation économique de cette façon-là, et donc il va falloir que chacun se débrouille, s'arme et se protège. Soit on se rend compte qu'il y a d'autres façons de vivre, que c'est pas un monde de bisounours, mais qu'il y a des gens qui vivent depuis bien avant d'ailleurs notre façon de vivre, qui vivaient comme ça, et que peut-être il faut laisser des expérimentations justement se développer pour se préparer à mieux coopérer ensemble. Si jamais on ne défend pas aussi ces autres façons de voir le monde, on laisse le champ libre aux imaginaires, à seulement cette vision que je vais appeler occidentale, c'est pas forcément vrai, mais c'est une vision très développée chez nous en tout cas, d'une seule forme de réussite. Et ces gens qui réussissent s'organisent d'une certaine façon, alors que si on considère qu'effectivement la réussite c'est de s'organiser entre nous, de coopérer, ça peut apporter des imaginaires très différents. J'évoque une dernière chose, parce que ça me fait penser à ça, par exemple sur le rapport à l'auriture, qui est un sujet important en ce moment. Ça va faire très beau beau de dire ça peut-être, mais je suis dans une AMAP, une association pour le maintien de l'agriculture paysanne depuis plusieurs années. J'ai la chance, c'est le seul que je connais, mais d'être avec un agriculteur qui a fait une reconversion. et qui est exceptionnel, qui est d'ailleurs accepté de faire trois heures d'entretien avec mes étudiants de la mineur low-tech pour leur expliquer comment lui vivait les choses.
- Speaker #1
Génial !
- Speaker #0
Ils ont adoré. Mais c'est vraiment quelqu'un d'exceptionnel. Pourquoi je dis ça ? Parce que, d'ailleurs, pour information, c'est généralement moins cher que d'autres accès à des légumes. Donc là, c'est pour des légumes. Quand on fait ça, on a eu la question qui s'est posée dans l'association, on avait des pertes de personnes qui adhéraient à l'association pour avoir des paniers de légumes dans l'AMAP. On a eu des réunions avec l'agriculteur, et la première chose qui est ressortie, c'est attention, quand on vous parle de ce sujet-là aux gens, il faut bien leur expliquer que ce n'est pas un service. Parce que la concurrence actuellement des AMAP, qui n'en est pas une, c'est de pouvoir prendre son panier bio de temps en temps à un endroit, mais pas le prendre si on n'en a pas envie. Ce n'est pas du tout le projet des AMAP. Nous, quand on va dans un AMAP, ils nous amènent nos légumes pleins de terre, et on les distribue nous-mêmes, on les pèse nous-mêmes, on se les répartit entre nous. Si quelqu'un ne peut pas venir, nous avons un message, on prend son panier et on lui donne quelques jours après. Ça va créer une communauté autour de chez nous, on sait qu'on va pouvoir s'entraider, on sait qu'on va pouvoir discuter. Et ça permet aussi, tous les ans, on fait une réunion entre nous, et notre agriculteur Marc nous fait un résumé de comment ça s'est passé, de comment lui il le vit, les difficultés qu'il rencontre, et ça nous permet de mieux comprendre comment lui il aborde son métier, quelles sont les difficultés, comment en tant qu'humain il vit ça aussi, comment nous potentiellement on peut l'aider. Donc pourquoi je prends cet exemple là ? Parce qu'il y a bien d'autres façons qui existent aujourd'hui. Les AMAP sont en train de réduire et moi ça me fait peur. Parce que c'est pas juste une façon d'avoir des légumes, c'est une autre façon de vivre ensemble, c'est une autre façon de s'organiser, c'est une autre façon de comprendre ce que l'autre vit, en particulier en lien en plus là avec la nourriture qui est quand même assez essentielle. Et moi aujourd'hui je suis arrivé dans ce quartier il y a 4 ans, je ne connaîtrais pas toutes ces personnes là autour de moi, je ne pourrais pas assez facilement demander à un voisin qui habite en fait à 10 minutes à pied de chez moi de faire quelque chose pour moi si je n'avais pas eu cet espace là où on pouvait échanger, collaborer autour d'un besoin commun. Donc c'est important je pense d'expliquer aux gens qu'il faut soutenir ou en tout cas comprendre que quand on va... n'a accès à quelque chose, que ce soit la nourriture ou n'importe, il y a d'autres façons d'y avoir accès.
- Speaker #1
Il y a d'autres façons d'y avoir accès, et puis il y a aussi le fait d'aller comprendre les contraintes des personnes qui nous fournissent ce dont on a besoin. Et effectivement, sur la nourriture, je trouve que c'est un exemple qui est extrêmement parlant, parce que tout le monde a besoin de s'alimenter tous les jours, même on le fait plusieurs fois par jour, et en fait, quand on va par exemple dans les grandes surfaces, jamais on ne se pose la question de qui est-ce qui a produit ce qu'on est en train d'acheter, comment... Qu'est-ce qu'il a vécu ? Quelles ont été ses difficultés ? Et en fait, c'est la même chose pour tout, pas seulement l'alimentation, et même ça est aussi avec, je pense, le numérique, et ça rejoint avec le besoin, ce qu'on disait tout à l'heure. Mais en tout cas, la manière dont on consomme est forcément liée avec la manière dont on est en réseau avec les personnes autour de nous.
- Speaker #0
Après, ça peut paraître exigeant, et encore une fois, j'ai eu le privilège de potentiellement pouvoir prendre ce temps-là pour... pour aller à la distribution, aller potentiellement sur son exploitation pour aider de temps en temps. J'ai quand même cette chance, et c'est dans ce cas-là où peut-être on peut dire que c'est une approche bobo. Mais il n'y a pas trop longtemps, justement, quelqu'un me disait, Mais oui, mais est-ce que vous arrivez à tout manger, etc. ? Eh bien non. Non, parfois on galère parce qu'il faut préparer, etc. Et du coup, la réaction de la personne, ça a été, Oui, mais du coup, vous gaspillez. Oui, mais c'est moi qui gaspille. J'ai repris sur moi le fait de me rendre compte de ce qui a été produit et que moi je ne consomme pas. Alors oui c'est facile de se dire j'achète juste ce qu'il me faut en magasin et en fait il y a plein de gaspillage derrière mais c'est pas moi. Parce qu'ils avaient qu'à pas produire et comme ça j'ai pas acheté. Ben non, là nous dans la map on s'engage à avoir un panier sur l'année. L'agriculteur sait combien il va avoir sur l'année. Il s'engage à nous fournir quelque chose et nous on accepte les aléas potentiellement aussi. de la chaleur, etc., des intempéries. Et en plus, et pour moi c'est essentiel, ça nous reconnecte aussi au fait qu'il a produit ça, il nous l'a donné, on le reçoit, et si nous on n'arrive pas à le consommer, c'est nous qui le jetons. C'est nous qui nous rendons compte des déchets qu'on est en train de produire. Et ça effectivement, dans le numérique, on a aussi pas mal de questions autour de ça. Je m'intéresse beaucoup aux notions de tiers-lieux autour des Fab Labs, etc., qui permettent aux gens de reproduire des choses par eux-mêmes. À la fois, ça redonne de la compétence et ça redonne du pouvoir sur la technologie de savoir que les gens peuvent produire par eux-mêmes. Et en même temps, ça permet aussi de se rendre compte de ce que ça veut dire de produire quelque chose, le temps que ça demande, la concentration que ça demande, la précision, la quantité de matière potentiellement perdue. Se reconnecter à reproduire soi-même ou en tout cas à être proche des gens qui produisent et à reprendre notre part aussi dans les galères qu'ils peuvent avoir et dans les aléas qui ne dépendent pas d'eux. Pour moi, c'est aussi un des cœurs de la coopération dont on va avoir besoin pour la transition.
- Speaker #1
C'est extrêmement intéressant. et merci en tout cas d'avoir soulevé ces points là parce que je pense que le fait de prendre l'alimentation comme exemple c'est d'office extrêmement parlant mais ça existe dans toutes les filières et dans toutes les manières de fonctionner aujourd'hui donc merci beaucoup pour cette discussion très enrichissante merci à toi merci beaucoup Pour Pierre, la coopération peut être vue sous deux angles. D'une part, celui d'un outil qui aide à travailler et à produire en collectif. D'autre part, un mode de fonctionnement entre plusieurs individus qui permet à chacun de mieux se connaître et de mieux se comprendre. En interagissant avec des personnes qui sont différentes de nous, ça nous aide à mieux comprendre aussi comment nous on fonctionne et comment nous on interagit avec les autres. La coopération, elle nécessite une bonne compréhension de soi, de ses réactions, de celles des autres. C'est un des ingrédients essentiels pour que ça fonctionne. Mais c'est aussi ce qu'elle alimente. Plus on va coopérer, plus on va améliorer sa connaissance de soi et des autres. Pierre, en tant qu'enseignant-chercheur à l'ESUEA, il essaye de transmettre justement ses principes de coopération en lien avec les enjeux de transition écologique et sociale, notamment au travers de la majeure low-tech. En quelques semaines de travail collectif, les étudiants arrivent à créer un climat de confiance dans lequel ils arrivent à s'exprimer, à partager leurs convictions sur le futur désirable et sur les manières de s'organiser pour y parvenir. Enseigner la coopération, ce n'est pas du tout évident. Ça pose vraiment des questions sur les compétences individuelles, les compétences collectives, sur les modalités d'évaluation, sur les formats pédagogiques. L'enjeu, en fait, c'est de préparer les futurs professionnels à s'insérer soit dans des organisations existantes, qu'elles soient des entreprises avec des modèles relativement classiques ou fondées sur des modèles plus innovants. ou alors à en imaginer de nouvelles formes d'organisation, de nouveaux modes de travail. L'enjeu, c'est vraiment d'armer ces personnes-là pour rentrer dans le monde du travail et pas forcément se caler sur les rôles et les moules préexistants, mais peut-être aussi avoir la capacité de les remettre en question, de les challenger et pourquoi pas d'en imaginer de nouvelles formes. Sur la question de la bio-inspiration et du vivant, selon Pierre, le vivant... et évidemment inspirant, il peut nous aider à innover, mais ne doit pas pour autant nous limiter dans notre créativité et dans nos potentiels pour imaginer de solutions innovantes. Il nous dit qu'on peut s'autoriser aussi à inventer des choses qui n'existent pas encore. Et il nous invite aussi à considérer et à observer, à comprendre d'autres modes de fonctionnement humain, comme celui du peuple Ashwar par exemple. Il nous dit que s'inspirer du vivant et de la nature autour de nous, c'est extrêmement intéressant. mais que dans nos manières aussi de fonctionner en société, il y a d'autres modèles qui existent dans peut-être d'autres continents, mais même sur notre continent, il y a aussi d'autres modes de fonctionnement ensemble. Et il nous invite aussi justement à les observer, à les comprendre, et du moins à les laisser exister pour pouvoir, presque comme des zones d'expérimentation, observer les avantages, les inconvénients, et pourquoi pas les reproduire sur d'autres contextes. Retrouvez les épisodes de la Fluence une fois par mois. Ils forment un recueil de témoignages, de vécus liés aux transformations des pratiques qui vous permettra d'avoir des clés pour faire évoluer à votre échelle votre environnement professionnel. Chaque trimestre, dans un format plus court, nous explorons un thème ou un concept qui apportera un nouvel éclairage sur les expériences partagées par nos invités. Pour ne rater aucun épisode et pour faire grandir ce podcast, vous pouvez en parler autour de vous, vous abonner sur votre plateforme d'écoute préférée et nous laisser des étoiles si vous nous écoutez depuis Spotify ou Apple Podcast. Merci pour votre écoute et à bientôt pour un nouvel épisode de la Fluence.