- Speaker #0
Les archives du royaume m'ont révélé des informations précieuses sur mon arrière-grand-père, Émile Soquel. C'est en vendant un calice qu'il s'est retrouvé poursuivi par la Gestapo et qu'il a dû fuir d'Autriche. Mais tout ça reste assez flou. Alors pour y voir plus clair, je pars pour Vienne, retrouver le calice. Ça fait plus d'un an que j'enquête et que je parle de mes recherches à la famille. Et au fur et à mesure, j'ai rassemblé une petite délégation qui voulait m'accompagner à Vienne dans ce tourisme mémoriel. Il y a mon père, Étienne, ma tante Geneviève, Je parle allemand, je vous ramène un calice ? leur cousine Anne,
- Speaker #1
Il y a tout des goûtoirs ici !
- Speaker #0
et puis ma mère, Annie, qui s'est laissée intriguée par l'histoire de sa belle famille.
- Speaker #2
Ce dossier du calice, il est arrivé parce que... Emile l'a utilisé dans le dossier qu'il a constitué pour justifier le fait que ses enfants devaient venir avec lui en Belgique. On ne sait pas très bien pourquoi il a voulu justifier le fait que toutes ces transactions de Calice étaient légitimes et que quelque part il était victime du régime à l'époque. Je ne sais pas très bien.
- Speaker #1
Ou parce que sa femme était... Il était juif aussi quand même. Oui, mais dans son dossier, il ne parle pas du fait qu'il est poursuivi parce qu'il était juif. Il dit qu'il est poursuivi pour haute trahison pour son rôle dans la vente du calice.
- Speaker #0
Et à partir de là, les imaginaires de chacun se sont emparés de l'histoire.
- Speaker #1
C'est qu'il avait aidé l'évêque de Fienne à... Cacher des biens des Juifs qui, sinon, auraient été saisis par les nazis pour alimenter leur trésor de guerre.
- Speaker #3
Attendez,
- Speaker #1
je vais enlever ça.
- Speaker #0
Maman ? Toutes ces théories sont très influencées par les histoires de spoliation des Juifs par les Allemands, qui souhaitaient alimenter le projet de musée d'Hitler, le Führermuseum. Et c'est évidemment très tentant d'imaginer notre ancêtre comme un héros sauvant l'art des mains des nazis. Mais avant de vérifier cette théorie, j'ai d'abord enquêt�� sur les origines d'Émile et les raisons de sa présence à Vienne. Son parcours est en fait très semblable à celui de nombreux juifs venus comme lui de Galicie. Il est né en 1891 à Lviv, principale ville de Galicie. La ville s'appelle aujourd'hui Lemberg et appartient à l'Ukraine. Elle se situe à quelques centaines de kilomètres à peine de la ville qui avait sans doute baptisé notre famille, la ville de Sokal. Mais revenons à Lemberg. Lorsqu'Émile y est né, la ville appartenait à l'Empire oserongrois. Pendant la Première Guerre mondiale, Émile avait donc combattu dans les rangs oserongrois. Il avait même reçu une décoration pour acte de bravoure qui se trouve aujourd'hui dans la Malette verte. Après la guerre, lorsque l'Empire s'effondre, la Galicie revient à la Pologne. Les Juifs sont alors immédiatement victimes de discriminations et de pogroms. Cela provoque une vague d'émigration massive. En tout, ce sont plus de 200 000 Juifs sur les 800 000 que comptait la Galicie qui ont fui leur région pour des contrées plus accueillantes. Et l'un d'eux était Émile. Il arrive à Vienne et alors qu'il est ingénieur chimiste, il décide de se reconvertir et de devenir marchand d'art. Et cette reconversion n'est pas un hasard, car le destin des Juifs à Vienne était intimement lié à l'essor artistique de la ville. C'est ce que raconte très bien Stefan Zweig dans Le Monde d'hier.
- Speaker #4
Ce n'est que vis-à-vis de l'art que tout le monde à Vienne se sentait un droit égal. Parce que l'amour de l'art passait pour un devoir de toute la communauté, et par la façon dont elle a aidé et favorisé la culture viennoise, c'est une part immense que la bourgeoisie juive a prise à son développement. Les juifs constituaient le véritable public. Ils remplissaient les théâtres, les salles de concert, ils achetaient les livres, les tableaux. Ils étaient partout. Avec leur compréhension plus mobile et moins liée par la tradition, promoteurs et champions de toutes les nouveautés. Les 9 dixièmes de ce que le monde célébrait comme la culture viennoise du XIXe siècle avaient été favorisés, soutenus, voire parfois créés par la société juive de Vienne. Par leur amour passionné de cette ville, par leur volonté d'assimilation, ils y étaient parfaitement adaptés et ils étaient heureux de servir la gloire de l'Autriche.
- Speaker #0
Devenir marchand d'art, c'était donc pour Émile une activité qui lui permettait de gagner sa place dans la société viennoise et de s'élever socialement. Il ouvre un commerce d'antiquité en 1922 à Baden-Bavine, une banlieue chic du sud de Vienne. Il se spécialise petit à petit dans la vente d'arts religieux catholiques, peut-être une manière ultime de tenter de s'acculturer et d'effacer ses origines juives. D'après les archives qui décrivent les ventes de l'époque, il apparaît aussi plusieurs fois comme représentant des galeries Sankt Lukas à Vienne. Ce sont des galeries prestigieuses, ce qui me fait penser qu'Émile devait avoir une certaine réputation en tant que marchand d'art. Ces galeries se situent en plein cœur du centre historique de Vienne, juste en face du palais impérial, pas très loin de la Bibliothèque nationale. À la Bibliothèque nationale, j'ai trouvé pas mal d'archives qui m'ont envoyé tout à distance. J'ai notamment trouvé qu'Émile avait passé une nuit à l'hôtel Métropole de Vienne avec sa femme, Élise. Pour rappel, la femme d'Émile s'appelait Maria. Sa femme est
- Speaker #5
Élise. Et qu'Élise.
- Speaker #0
C'était supposé être sa femme.
- Speaker #2
Dieu sait combien de petits...
- Speaker #0
Cousin, cousine. Tu ne trouves pas qu'il me ressemble un peu, lui, là-bas ? Mais l'objectif de notre voyage, c'est surtout de retrouver le calice. Et ce calice, il est toujours exposé au Musée d'art et d'histoire de Vienne.
- Speaker #1
C'est par ici ? je trouve qu'en tant que descendant
- Speaker #2
de donateurs au musée ou de ne pas mieux
- Speaker #0
Le musée d'art et d'histoire de Vienne est l'un des premiers musées d'art anciens du monde, construit sur la Ringstrasse pour abriter les collections de la Maison des Habsbourg. À l'étage, le musée abrite les œuvres du Titien, de Rubens ou encore de Vermeer et de Rembrandt. Mais l'endroit qui nous intéresse est au rez-de-chaussée, dans une section qui s'appelle la Kunstkammer, l'une des chambres d'art les plus importantes au monde, couvrant plus de 1000 ans d'histoire. Elle abrite les collections des Habsbourg et d'autres objets réunis depuis le Moyen-Âge, dont le fameux calice.
- Speaker #1
Oui, c'est celui-là.
- Speaker #0
Le calice de Wilton, ou Wiltonerkelk en allemand.
- Speaker #5
C'est une pièce quand même assez imposante, toute dorée à l'intérieur et à l'extérieur. C'est aussi doré, mais gravé avec différentes scènes dans des médaillons. Ce sont des scènes... de l'ancien et du nouveau testament.
- Speaker #0
Oui, on voit Adam et Ève là.
- Speaker #5
On voit Adam et Ève sous le pommier là-bas, mais on voit aussi, par exemple, sur le côté, l'arche de Noé.
- Speaker #0
Et donc, ils ont l'air de dire que c'est un chef-d'œuvre d'orfèvrerie, de travail d'orfèvre.
- Speaker #5
Ça date du XIIe siècle, donc ils ont été réalisés aux environs des années 1160-1170. Et donc, ça vient de l'abbaye.
- Speaker #0
Ce calice a quelque chose de magique. En le voyant de cette vitrine, présentée comme une pièce majeure de la collection, je réalise toute sa valeur historique et artistique. Il a traversé les époques, du Moyen-Âge jusqu'à aujourd'hui.
- Speaker #1
Regarde comme c'est richement décoré.
- Speaker #0
Et il y a près de 100 ans, C'est mon arrière-grand-père, Émile, qui l'a tenu entre ses mains. C'est comme si ce calice réparait une faille temporelle, comme s'il me connectait avec mon arrière-grand-père. que je n'ai pourtant jamais connue.
- Speaker #1
Il n'y a rien qui dit que ça vient des mille Ausha ? Non, plus. Mais peut-être dans le guide audio.
- Speaker #5
Tu parles.
- Speaker #1
Dans le bookshop, tu ne crois pas qu'ils disent quelque chose de plus ? Il n'y a pas un truc à dire. Non, il n'y a pas de bain de brouillette.
- Speaker #0
Pendant que ma famille s'impatiente et visite le reste du musée, Je vais rencontrer le conservateur de la section médiévale, Franz Kirkwäger. Je veux lui demander quel a été le rôle d'Émile dans la vente et en quoi il a été d'une aide précieuse. Et puis, pourquoi est-ce que tout cela a fâché les nazis ? J'avais de grands espoirs d'y voir plus clair, mais ce fut un peu la douche froide. Hans m'a confirmé que le calice était l'une des pièces majeures de la collection du musée. Il a été fabriqué au XIIe siècle pour l'abbaye des Prémontrées d'Innsbruck, un ordre religieux aussi appelé Ordre des Norbertins. Le calice y est resté pendant près de 800 ans. Mais dans les années 1930, c'est la crise économique et l'abbaye fait face à de grandes difficultés financières. Ils sont obligés de le vendre. Franz a été chercher le dossier de la vente du calice dans les archives du musée pour vérifier comment cette vente s'était passée.
- Speaker #4
D'après les archives que nous avons ici au musée, Émile Sokal n'a pas vraiment joué de rôle.
- Speaker #0
Ça commence fort. Franz me montre une seule lettre mentionnant Émile. Il y est décrit comme agent du monastère en novembre 1937, mais par la suite...
- Speaker #6
Plus rien.
- Speaker #4
Ce que nous savons, c'est que les négociations ont eu lieu directement entre le monastère et le musée.
- Speaker #0
Et ça, ça contredit largement la version d'Emile, qui disait avoir joué un rôle instrumental dans la vente. Mais ce n'est pas tout. Emile prétendait aussi que les nazis avaient tenté d'interférer avec la vente, et qu'il avait finalement pu sauver la somme de la vente pour s'assurer qu'elle revienne bien au prémontré. Mais ça aussi, selon Franz, ne correspond pas tout à fait à la réalité.
- Speaker #6
À notre connaissance,
- Speaker #4
les nazis n'ont en aucun cas tenté de bloquer la vente.
- Speaker #6
D'après les archives,
- Speaker #4
il ne s'est rien passé de spécial par rapport à cette vente lorsque les nazis sont arrivés au pouvoir ici en Autriche, à la mi-mars
- Speaker #6
1938. Les détails de la vente avaient déjà été négociés.
- Speaker #0
Comme la vente a été bouclée juste avant l'Anschluss, Avant l'arrivée au pouvoir des nazis, il n'y a donc rien eu à sauver. La vente s'est déroulée normalement, avec des négociations, un accord et un paiement entre le musée et l'abbaye, tout simplement. Mais alors pourquoi la version d'Emile est-elle tellement différente ?
- Speaker #4
Peut-être qu'il a inventé son rôle dans toute cette histoire, sans doute pour convaincre les autorités belges de lui accorder un visa et de lui permettre de rester en Belgique.
- Speaker #0
Donc, non seulement Émile n'a pas joué de rôle majeur dans la vente, mais en plus, il a clairement dramatisé les circonstances de la vente, puisque les nazis ne s'en sont jamais mêlés. D'après le conservateur du musée, Émile aurait donc monté cette histoire de toute pièce pour obtenir son viseur. À ce stade de mon enquête, j'avais pourtant l'impression de commencer à connaître Émile. Et limite, ça va vous paraître étrange d'avoir fini par nouer une certaine relation avec lui. Et là, je me sens un peu flouée. Alors que dans la famille, on s'imaginait Émile en sauveteur de l'art, je réalise maintenant qu'il était peut-être juste un très bon affabulateur. Mais cette découverte, elle ne fait que renforcer ma curiosité. J'ai l'impression qu'Émile me lance un défi pour que je continue ma quête sur ces traces. Parce que je ne vais pas m'arrêter là. Il y a une autre piste à explorer. Dans le dossier des archives générales du royaume, Émile a joint à ses documents une attestation de l'abbaye des Prémontrés qui dit qu'il leur a bien rendu des services exceptionnels. J'avais eu la version des acheteurs, mais il fallait maintenant connaître la version des vendeurs. À l'abbaye des Prémontrés, à Innsbruck. La Malette verte est un podcast réalisé par Perrine Soccal, une production du Xara ASBL, avec le soutien du Fonds d'aide à la création radiophonique de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Pour en savoir plus sur les recherches et sur le contexte historique, rendez-vous sur le compte Instagram La Malette Verte. Merci au winner ensemble de la Mozart House pour son interprétation du Beaudanup Bleu de Johann Strauss.