- Speaker #0
Donc voilà le journal de Maria qui était chez ma parent il y a une très longue dédicace d'une personne qui lui a offert et puis après c'est l'écriture de Maria ça c'est le dessin des enfants Soko qui voyaient s'apprenir à la maison de toi et de tes frères Si ça tombe, il y en a encore après, des journaux.
- Speaker #1
Moi, j'en ai trouvé un deuxième. Mais donc, il y a avant celui-là qui est la naissance d'Henri. Je suis toujours à Vienne avec ma famille. Ces journaux, c'est la seule trace que nous avons de mon arrière-grand-mère, Maria, la femme d'Emile. Et qu'est-ce qu'elle raconte dans ce journal ?
- Speaker #0
Elle parle beaucoup d'Henri, de ses enfants. Avec les enfants,
- Speaker #2
tu vois.
- Speaker #1
C'est la petite histoire. Mais toi, Anne, qu'il a lu, qu'est-ce qu'il a lu ? Pour le reste, je sais juste qu'elle est morte à Vienne, dans des circonstances très étranges. La Malette verte, une série de Perrine Sokal.
- Speaker #0
Il a dansé Meet Einar Kleinan, baronesse Henri a dansé avec une petite baronne.
- Speaker #3
28 décembre 1929. Maintenant que les fêtes de Noël sont terminées, je ne peux m'empêcher de ressentir une certaine nostalgie pour cette fête joyeuse tant attendue des enfants. Tout le monde était enchanté de cette soirée de Noël. Et le petit Gérard était particulièrement ravi des lumières sur le sapin. Son jouet préféré était sans aucun doute le train miniature. Tandis que les deux plus grands jouaient une valse à quatre mains. Je pense les inscrire à des cours de piano avec M. Thiel-Greuger. Les soirées de présentation de ces élèves m'impressionnent beaucoup. Mars 1931. Maintenant, nous entrons dans une toute nouvelle phase et le déménagement est imminent. Nous quittons la Karlsgasse, où nous avons habité depuis le jour de notre mariage. C'est ici que nos enfants sont nés. Papa a acheté une grande et belle villa dans la Friedrichstrasse. Il l'a acheté sans que je le sache. Il faut l'aménager et les enfants se réjouissent déjà du jardin avec les beaux noyers et de la grande maison avec la belle véranda et le balcon. Moi-même, je suis déjà terriblement excitée en tant que nouvelle femme au foyer, avec les obligations qui m'incombent.
- Speaker #1
Ce sont les dernières lignes que nous avons de Maria. En tout cas, nous n'avons pas retrouvé d'autres carnets. Ensuite, la vie de la famille a pris une toute autre tournure. Je retrouve la trace de Maria, huit ans après le déménagement, dans le dossier d'émigration d'Emile, en 1939. Peu après son arrivée en Belgique, en février 1939, Emile essaie de faire venir ses enfants et sa femme, mais les demandes de visa sont refusées. Maria meurt le 5 juillet. Et ça, ça change tout, puisque les enfants sont seuls, sans protection à Vienne. Alors dès le lendemain de la mort de leur mère, ils reçoivent un laissé-passer pour rejoindre leur père Émile à Bruxelles. J'imagine mon grand-père, emballé de maigres bagages à la hâte. Il voit le journal de sa mère parmi ses affaires, laissé derrière elle. Il le jette dans la mallette verte. Il prend aussi quelques photos de famille et son appareil photo, son seul bien de valeur. Alors dans la nuit... Gérard et ses frères se dépêchent de rejoindre le transport organisé par l'avocat de son père. Et ils espèrent qu'il aura trouvé une situation plus sûre à Bruxelles. Mais qu'est-il arrivé à Maria ? Raoul, le père d'Anne, lui avait dit qu'elle était morte d'un cancer. Henri, l'aîné, avait dit à sa famille qu'elle était morte d'un problème au cœur. Et les archives du dossier d'immigration parlent de tout autre chose encore. Une lettre explique que suite à la fuite d'Emile, la colère des dirigeants se retourna contre sa femme. Elle fut expulsée de son appartement, enfermée dans un asile d'aliénés et mourut peu après. Nous avons retrouvé la trace de cet asile d'aliénés. Il s'agit de l'hôpital Amsteinhof, aujourd'hui rebaptisé la clinique Otto Wagner. Donc là on a traversé en vélo, c'était les pavillons, c'est l'hôpital en fait. Donc on ne peut pas entrer, mais ça ressemble à ça, donc il y a plusieurs pavillons comme ça. Et Maria devait avoir été hospitalisée ou enfermée, je ne sais pas comment.
- Speaker #0
Il y en a d'autres qui ont l'air plus anciens en briques. Ceux-ci n'ont pas l'air tout neufs.
- Speaker #1
C'est construit par Otto Wagner,
- Speaker #0
c'est ça ? Oui. Otto Wagner aussi ? Oui,
- Speaker #1
c'est aussi Otto Wagner, comme l'église.
- Speaker #0
Regarde, il y a des espèces de vérandas comme ça,
- Speaker #1
un peu stylées. Nous n'avons pas pu entrer dans le site de l'hôpital, ni visiter le musée dédié à son histoire. Le site était entièrement grillagé à cause des mesures Covid. On y va ? Alors j'ai appelé quelqu'un qui a bien étudié l'hôpital, son architecture et son histoire. Sabine Weber, elle est professeure d'histoire de l'art et de l'architecture à l'Université de Glasgow.
- Speaker #4
En matière d'architecture et d'urbanisme, c'était très progressiste, très moderne. Ils ont fait appel à Otto Wagner pour leur plan. C'était le père du modernisme en Europe centrale.
- Speaker #1
L'hôpital a été pensé comme une cité-jardin, avec plusieurs pavillons, répartis dans un parc. L'idée était que les patients puissent prendre l'air et même participer à des ateliers de jardinage. Mais tout ça,
- Speaker #5
ce n'était qu'une utopie. Mais finalement,
- Speaker #4
en termes de soins psychiatriques et de traitement des patients, ce n'était pas aussi progressif que ce que les fondateurs avaient envisagé parce que c'était constamment surpeuplé. L'institution avait été conçue pour 2000 patients à l'origine, et très rapidement, ces chiffres ont été largement dépassés.
- Speaker #1
Et cette surpopulation n'était que le début de l'histoire d'horreur qui allait se dérouler dans les murs de l'hôpital.
- Speaker #4
Dans les années 30, toutes les institutions médicales en Autriche, et en particulier à Vienne, ont été ce que j'appellerais nazifiés. À partir du 30 septembre 1938, les docteurs juifs ne pouvaient plus exercer.
- Speaker #1
Avec l'arrivée au pouvoir d'Hitler, la médecine devenait un outil pour établir l'idéologie nazie. Dans ce contexte, les personnes souffrant de problèmes psychologiques ou d'un handicap mental ou physique étaient considérées comme un fardeau pour la société. Des bouches à nourrir inutiles, ne méritant pas de vivre. Il fallait les éliminer pour préserver l'hygiène raciale arienne. Et s'ajoutait à cette raison un raisonnement très froidement pragmatique. Dans un contexte de guerre, il fallait préserver la nourriture, les ressources du personnel hospitalier, et puis libérer les hôpitaux pour les victimes de guerre. Le régime met donc en place une opération secrète, appelée Axion Tevir dès le mois de septembre 1939.
- Speaker #4
Les patients furent transportés de Amsteinhof vers le château de Artey,
- Speaker #5
près de Linz,
- Speaker #4
qui est devenu, et c'est atroce de l'appeler comme ça, un centre d'extermination spécialisé.
- Speaker #1
Des milliers de patients, venus d'institutions psychiatriques à travers l'Autriche et l'Allemagne, furent transportés dans ces centres d'extermination. Au début, on les enfermait dans un bus et on redirigeait les gaz d'échappement dans la bidacle. Ce fut le laboratoire de ce qui deviendra par la suite des chambres à gaz. On estime que le programme Action T4 a fait entre 70 000 et 100 000 victimes. Et le programme n'a pas non plus épargné les enfants. Parce que le programme était secret, on maquillait les meurtres en mort naturelle. Les cendres de victimes, en réalité prélevées d'un tas commun, étaient envoyées aux familles avec un certificat de décès et un motif de mort fictif. Souvent, la pneumonie. Et c'est ici que j'en reviens à Maria. Nous avons retrouvé son dossier médical et la cause de sa mort était, je vous le donne en mille, la pneumonie. Papa, est-ce que je peux t'enregistrer ? Oui. Donc regarde, il y a le dossier médical de Maria, il y a un passage où on a le rapport du docteur. Et donc j'aimerais bien que tu le lises comme si tu le dictais à une secrétaire.
- Speaker #6
Note d'admission concernant Maria Engel. À l'admission, la dame est apathique, elle est en larmes, je note des bleus sur les deux bras, sur les avant-bras et sur la cuisse droite. entretien de poing, elle est allongée dans son lit, elle se plaint constamment à voix basse et devient plus vive lorsqu'on lui parle, mais elle ne se laisse pas fixer. Elle semble se faire beaucoup de soucis pour son mari qui doit émigrer en tant que juif, il serait peut-être en Belgique. Elle semble avoir été obligée de quitter son appartement. Elle se serait installée chez sa sœur avec ses trois enfants. Cependant, sa sœur serait pauvre et démunie et l'aurait donc mise à la porte. Aspect physique, pâle, réagi à la lumière, dentition en bon état. auscultation et rythme cardiaque normal, auscultation pulmonaire normal, réflexes normaux, la dame est renfermée, elle se plaint de chaque contact sans spécifiquement distinguer un point douloureux. En résumé, c'est une femme de 47 ans qui présente surtout un tableau clinique anxieux, sans éléments probants anormaux à l'examen clinique. Point final.
- Speaker #1
D'après son dossier médical, elle était dans une détresse psychologique importante. Mais on peut très bien l'imaginer. Son mari avait fui en Belgique. Elle essayait tant bien que mal de le rejoindre avec les enfants. Mais les demandes de visa étaient refusées. La situation à Vienne à l'époque se détériorait énormément pour les Juifs. D'ailleurs, ils avaient été expulsés de leur maison. Émile était sans doute... de partie avec une partie de leur fortune. Et donc, ce n'était absolument pas étonnant que dans ces conditions, Maria devienne si anxieuse. Sabine Wibber, professeure à l'Université de Glasgow, m'aide à déchiffrer la suite du dossier médical de mon arrière-grand-mère pour mieux comprendre comment se sont passés ces derniers jours.
- Speaker #4
Nous avons une description de ses comportements,
- Speaker #5
et elle est décrite comme étant indisciplinée.
- Speaker #4
Elle criait, elle vacillait entre différents états. Elle se retirait du monde extérieur ou se mettait à marmonner et à être incohérente. Et puis, il y a des moments où elle était indisciplinée. C'est le mot qu'ils utilisent,
- Speaker #5
donc difficile à gérer.
- Speaker #4
Donc elle exprimait sa psychose et c'est à cause de ça qu'on l'a mise dans un des pavillons pour les patients bruyants. Et ce n'était pas des endroits agréables.
- Speaker #1
Les pavillons étaient attribués aux patients selon leur comportement et non pas selon leurs symptômes. Donc une patiente comme Maria, qui était décrite comme bruyante, se retrouvait dans le pavillon pour patients bruyants, peu importe qu'elle souffre de son état psychique ou qu'elle montre d'autres symptômes. Dans ce pavillon, plus qu'ailleurs encore, les infirmières devaient être débordées. Elles tentaient tant bien que mal de garder les patientes sous contrôle plutôt que de les soigner réellement.
- Speaker #5
Dans son dossier médical,
- Speaker #4
les notes mentionnent qu'on l'a mise dans un lit-cage. Je ne sais pas si vous avez déjà vu à quoi il ressemble. Mais vous devriez regarder sur Google.
- Speaker #1
Je vous épargne la recherche sur Google. Ne pensez pas à un liquage pour bébé. Non, c'est beaucoup moins mignon que ça. Le liquage pour les patients psychiatriques était entièrement fermé. Maria était emprisonnée dans son lit. En quelques semaines, l'état de Maria se dégrade très rapidement. Et elle finit par mourir le 5 juillet 1939. A peine deux semaines après son internement, elle meurt d'une pneumonie. Du moins, c'est ce qui est écrit dans son dossier.
- Speaker #4
Mais la pneumonie, dans beaucoup de cas, c'était une cause de mort courante pour beaucoup de patients dans l'institution. Et même si Maria a pu avoir quelques symptômes quand elle est entrée dans l'institution, c'est certainement quelque chose qui a dû s'empirer une fois arrivée et qui a directement conduit à sa mort.
- Speaker #1
D'après Sabine Weber, Maria serait vraiment morte d'une pneumonie. Son dossier médical était suffisamment détaillé pour le confirmer. Et tout ça se passe en juin et juillet 1939, quelques mois avant la mise en place de l'opération Action T4. Mais les conditions de vie à l'hôpital et la manière dont on déconsidérait les malades étaient certainement la cause d'une dégradation rapide de sa condition.
- Speaker #4
L'action T4, c'est une opération de meurtre bureaucratique et systématique. Mais quand on voit le type de négligence dont Maria a clairement souffert, c'est-à-dire être uniquement hébergée là-bas sans être correctement prise en charge, eh bien on peut dire que l'action T4 est une extension de cette négligence, vous voyez ? Alors oui, elle n'est pas formellement morte à cause de l'action T4, car cela n'a commencé qu'en septembre 1939 et elle est décédée en juillet 1939. Mais l'action T4 n'aurait jamais pu se produire sans que les personnes présentes dans ces institutions n'aient déjà adopté une mentalité favorable à ce genre de démarche. Donc oui, sur le papier, Maria ne faisait pas partie de l'action P4, mais elle était internée pendant une période étroitement liée. Je veux dire, de juillet à septembre,
- Speaker #5
ce n'est pas très long.
- Speaker #1
Je crois que c'est ici de C.
- Speaker #6
J'ai vu un R363.
- Speaker #1
D'après le plan, je crois qu'on est ici dans cette allée, la troisième du bloc R. Et donc là, il y en a qui sont en carré d'herbe. Donc à mon avis, ça doit être ça.
- Speaker #6
Parce que là-bas, il y a...
- Speaker #0
Je ne veux pas soulever les pieds, s'il te plaît. Je ne comprends pas ce qui est écrit.
- Speaker #6
Attends, parce que ça, c'est 318.
- Speaker #0
J'avais 363 là,
- Speaker #6
donc à mon avis, c'est peut-être encore un peu plus bas.
- Speaker #0
1,
- Speaker #6
2,
- Speaker #0
3,
- Speaker #6
4. 200,
- Speaker #0
201,
- Speaker #6
25, 27, 28, 29, 10, 11, c'est celle-ci. On a trouvé. Annie !
- Speaker #0
207.
- Speaker #6
On a trouvé.
- Speaker #0
208, 209, 210,
- Speaker #6
219.
- Speaker #0
C'est celle-là quand même. C'est un petit tel photogénique quand même. Elle a tout. Je n'écoute pas. Il y a une plaque là-dessus. Ah, regarde ce calme. Oh là, ça y est.
- Speaker #1
Wow,
- Speaker #0
yes ! Magnifique ! Maintenant, on est trois. Regarde.
- Speaker #1
Chouette. Ah.
- Speaker #0
Ça peut en être deux. Bravo. Magnifique. C'est bon, c'est... Ah oui. Oui, l'elmine, engueu... Oui, l'elme. Engueu. Oui, l'elmine.
- Speaker #1
D'accord. Regardez, il y a une croix rouge, ça veut dire qu'ils peuvent l'enlever s'ils veulent,
- Speaker #0
c'est ça ? Ça veut dire s'expirer. On va vite enlever la croix. Il passera les noms quand même. C'est qui ? Marie Sokal. Il y a 1909. Oui, c'est les soeurs. Sa soeur et son Ausha.
- Speaker #1
En retrouvant la tombe de Maria, nous nous reconnections quasi physiquement avec notre ancêtre en tant que famille. Une famille d'ailleurs réunie par cette recherche de nos racines. On réparait une brèche dans notre mémoire familiale. J'avais pris des photos de la découverte.
- Speaker #0
Mais non, je... Mais vas-y. Oui, mais il en a besoin.
- Speaker #1
Le dossier d'immigration d'Emile nous avait fait croire que Maria avait été internée par représailles des Allemands. Mais c'était sans doute une exagération de la part d'Emile pour souligner le danger que sa famille courait. Il voulait insister sur la nécessité de les rapatrier au plus vite en Belgique. Vu le dossier étayé de Maria, maintenir cette hypothèse se serait rapproché d'une théorie du complot. Le dossier d'Emile nous avait mis sur une fausse piste, mais la mort de Maria n'en restait pas moins tragique. Il faut dire qu'un autre élément nous avait d'abord orienté vers cette théorie des représailles envers Maria, pour les actions de son mari. Dans le dossier médical de Maria se trouvait aussi un article de presse. Et il n'avait rien à voir avec sa condition médicale. Cet article était au sujet d'Emile. Il était accusé d'avoir falsifié la signature de grand peintre. La Malette verte est un podcast réalisé par Perrine Soquel. Une production du Xara ASBL, avec le soutien du Fond d'aide à la création radiophonique de la Fédération Wallonie-Bruxelles et de la Fondation pour la mémoire de la Shoah. Merci à Robin Gabriel Roda, l'élève pianiste qui a interprété le Baudanute bleu de Johan Strauss. Pour en savoir plus sur les recherches et sur le contexte historique, rendez-vous sur le compte Instagram La Malette Verte.