- Speaker #0
Bonsoir, c'est Axel, et avec la nuit des gens, je vous emmène à travers des témoignages, découvrir des destins uniques et particuliers nés dans l'étrangeté de la nuit. Ce soir, je suis avec Alain, bonsoir.
- Speaker #1
Bonsoir.
- Speaker #0
Donc tu as été pompier volontaire dans le Puy-de-Dôme pendant 30 ans, tu as fini ta carrière au grade de commandant honoraire, et la nuit que tu vas nous raconter s'est passée il y a quelques années. Pourtant, c'est un sujet qui revient de plus en plus dans l'actualité. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus ?
- Speaker #1
Si vous voulez, je peux vous raconter une nuit particulière où, alors que je montais une garde de chef de groupe dans le secteur de Coudes, le long de la rivière Allier, en Auvergne, j'ai été appelé par la préfecture du Puy-de-Dôme ainsi que par le CODIS 63.
- Speaker #0
Qu'est-ce que c'est le CODIS ?
- Speaker #1
Le CODIS, c'est le... C'est le centre opérationnel départemental d'incendie et de secours. Ce centre envoie au service de pompiers les alertes, les demandes des gens, les alertes de la préfecture ou quelques alertes que ce soit.
- Speaker #0
Pourquoi tu as été engagé cette nuit-là ?
- Speaker #1
Ce soir-là, je suis engagé pour une inondation. Au départ, un débordement suspect de la rivière Allier. Ce débordement s'est vite avéré être une inondation. Suite à des orages violents, les rivières Couse, Pavins, Couse-Chambon et Alagnon, qui alimentent l'Allier, se sont mis à donner énormément d'eau d'un coup. Cette nuit a été particulière parce que nous n'étions pas vraiment en alerte inondation et donc les secours se sont organisés très très rapidement.
- Speaker #0
Vous vous êtes fait surprendre en fait.
- Speaker #1
En fait, on a été un petit peu surpris par la vitesse de cette inondation éclair, je dirais. Et donc, cette nuit-là, j'étais chef de groupe sur ce secteur. Et j'ai donc été faire une première reconnaissance, afin d'avertir le CODIS de la situation exacte.
- Speaker #0
Pour précision, le chef de groupe, c'est la personne qui commande et coordonne les équipes de secours lorsque plusieurs véhicules sont engagés.
- Speaker #1
Oui, c'est exact.
- Speaker #0
Et que faisais-tu au moment de l'appel ?
- Speaker #1
À ce moment-là, je venais d'arriver chez moi. J'avais organisé mon matériel, uniforme, radio, téléphone portable.
- Speaker #0
Parce qu'à préciser que les pompiers volontaires sont chez eux, et dès qu'ils reçoivent l'appel, c'est là où ils partent à la caserne, et qu'ils partent après en intervention. Ils ne sont pas tout le temps à la caserne.
- Speaker #1
C'était mon cas. Ce soir-là, j'étais d'astreinte, mais à la maison.
- Speaker #0
Donc là, l'appel arrive.
- Speaker #1
L'appel arrive, je m'habille, je préviens le codice de mon départ.
- Speaker #0
Est-ce que tu as une tenue particulière pour ce genre d'intervention ?
- Speaker #1
Je n'ai pas de tenue particulière, c'est ma tenue d'intervention générale avec bottes, cuir, casque, radio, etc. Je pars à 22h30 avec mon véhicule léger d'intervention et j'arrive sur les lieux environ 8 minutes plus tard. La caserne auquel j'appartiens... et basé à quelques minutes de la rivière Allier. Je me rends à l'endroit le plus proche qui m'avait été signalé comme dangereux. Je m'aperçois de la rapide montée des eaux, de surtout le déferlement d'arbres effondrés. Je comprends vite le danger pour tout le monde. Là, je décide de faire mes premières évacuations, ma première demande de renfort, mon premier réflexion. pour organiser les secours et ainsi que mes demandes de renfort au Codis.
- Speaker #0
Donc là, ça se fait tout, tu fais tout sur place ?
- Speaker #1
Tout est fait pratiquement en même temps. Alors c'est long à dire, mais en fait, ça se passe simultanément. C'est ce qu'on appelle nous les gestes immédiats, qu'on apprend pour assez intéressant, l'école de pompiers, notamment l'ENSOPS.
- Speaker #0
D'accord, c'est une école...
- Speaker #1
C'est une école de pompiers, c'est l'école nationale des sapeurs-pompiers, d'officiers de sapeurs-pompiers.
- Speaker #0
Et justement... Tout se passe en même temps. Donc toi, dans ta tête, comment tu priorises les informations ? Comment justement tu ne t'en mêles pas les pinceaux pour ne pas oublier quelque chose ?
- Speaker #1
Tout est noté. Je note tout. J'ai des fiches très particulières sur lesquelles je note mes réactions immédiates. Je note mes demandes pour être sûr de ne pas en avoir oublié. Je note tout ce que je vais faire un peu plus tard pour ne pas oublier non plus. Et ça me permet après, une fois que le calme revient un petit peu... que les réactions immédiates sont faites, ça me permet de me remettre une base de travail. Cette base me permet ensuite d'avoir autant de renforts que je veux, pas trop parce qu'il ne faut pas dégarner les casernes, mais suffisamment pour assurer une bonne couverture. Ensuite, je m'aperçois que les besoins commencent à devenir vastes. On passe des évacuations, des mises en sécurité, à la nécessité de préparation pour le lendemain. Voilà, et petit à petit, tout se met en place. On fait très attention en regardant sur les berges de ne pas tomber dans un trou. C'est tout bête, mais la nuit, on ne voit pas toujours ce qui se passe. Malgré nos lampes, notre éclairage, il arrive parfois qu'on se retrouve dans l'eau jusqu'à la ceinture. Alors que d'habitude, à cet endroit-là, on a de l'eau jusqu'aux chevilles. C'est ce qui rend les opérations un peu délicates, un peu dangereuses.
- Speaker #0
Tu dis que tu fais ta reconnaissance et une première évacuation. À quoi ça ressemble ?
- Speaker #1
Je commence ma reconnaissance par découvrir qu'une ferme est en danger et que l'eau monte en direction des animaux, moutons, quelques vaches, beaucoup de poules, de lapins, et je me vois dans l'obligation de faire intervenir un véhicule pour m'aider à dégager les animaux. Surtout à aider l'agriculteur à dégager ses animaux, bien sûr.
- Speaker #0
Oui, parce que les pompiers interviennent pour les personnes, mais aussi pour les animaux.
- Speaker #1
Alors, les pompiers, c'est les personnes, les biens et l'environnement. Il est évident que des animaux domestiques sont secourus aussi bien qu'un meuble, qu'une voiture, etc.
- Speaker #0
Ok, donc là pour l'instant tu es encore tout seul, tu n'as pas une équipe avec toi qui te suit ?
- Speaker #1
Je commence à avoir du monde qui arrive, ça vient très vite, je ne suis pas loin des centres de secours, de côtes, d'histoire, de vie que le compte, et du coup j'ai du renfort très rapidement. Donc la ferme est en danger, les animaux ont les pieds dans l'eau. Je vais donner un exemple d'animaux difficiles à sauver, ce sont les poules. Alors ça peut paraître idiot, mais une poule ça folle pour un rien. Vous les attrapez, elles se laissent faire, vous les mettez en sécurité. La poule suivante, sans savoir pourquoi, se met à courir comme une folle dans n'importe quel sens et finit au fond de l'eau se noyant lamentablement alors qu'on était là pour les sauver. Voilà, ces animaux sont très difficiles à mettre en sécurité.
- Speaker #0
Et est-ce que, alors deux questions c'est... Dans ce cas-là, est-ce qu'à un moment tu te dis, bon bah tant pis parce que je ne peux pas passer trois heures à courir après les poules, donc celle-là je la laisse de côté ?
- Speaker #1
Je fais de mon mieux, mais bon malheureusement, oui comme vous le dites, je ne peux pas passer ma nuit à courir après les poules. C'est ou elles se laissent faire, elles sont sauvées, ou elles ne se laissent pas faire, et puis ma foi, tant pis pour elles. Et donc, accompagné de l'agriculteur et d'une équipe de renforts, Trois hommes avec moi, nous avons commencé à mettre en sécurité des poules, des lapins, quelques moutons. Les vaches avaient déjà été évacuées par l'agriculteur lui-même.
- Speaker #0
Et vous les avez mis où ?
- Speaker #1
Ces animaux ont été mis sur une hauteur au-dessus de la ferme, à environ 30 mètres, 40 mètres au-dessus du niveau de la rivière.
- Speaker #0
Et donc une fois la ferme sécurisée ?
- Speaker #1
Une fois la ferme sécurisée, j'ai continué ma reconnaissance. afin d'approfondir les besoins réels de secours sur tout le secteur. Il est évident qu'à ce moment-là, d'autres chefs de groupe étaient engagés le long de la rivière pour m'aider à peaufiner ma reconnaissance.
- Speaker #0
Est-ce que tu peux nous dire justement, du coup, après, tu es arrivé sur les lieux, tu as fait ton premier repérage, donc là, ça veut dire que tu reprends ta voiture, tu vas ailleurs ?
- Speaker #1
Voilà, dès que le premier endroit est mis en sécurité, que je suis sûr que tout va bien. Je m'en vais à un autre endroit, je recommence la reconnaissance, je recommence les premiers gestes immédiats, et ainsi de suite, à chaque ferme, chaque maison, chaque petit hameau.
- Speaker #0
Mais alors du coup, ça peut quand même prendre du temps, parce qu'il y a quand même pas mal de maisons qui bordent le...
- Speaker #1
Oui, une reconnaissance efficace sur mon secteur, vraiment efficace, il faut bien compter 1h30, 1h45.
- Speaker #0
Et du coup, est-ce que c'est pas dans ta tête, est-ce que quand justement tu es là à faire ta reconnaissance ? Et que ça prend 1h30, tu ne te dis pas, punaise, il faut que je me dépêche parce que ceux d'après, potentiellement, ils ont déjà les pieds dans l'eau.
- Speaker #1
C'est un peu le risque, c'est de vouloir se précipiter. Vouloir faire trop vite, ce n'est pas forcément faire bien. À ce moment-là, si on voit que c'est grave, il vaut mieux demander un renfort, demander à un autre chef de groupe pour nous aider à faire la reconnaissance que de courir, se précipiter et oublier la moitié des choses.
- Speaker #0
Maintenant que tu es arrivé dans ce nouvel endroit, qu'est-ce que tu fais ?
- Speaker #1
Alors ensuite, après avoir approfondi ma reconnaissance, je décide les points les plus urgents à traiter. Personnes âgées à évacuer en priorité. Coupure électrique obligatoire, coupure des coffres. Je préviens EDF des coupures probables provoquées par l'inondation. Puis ensuite, je me base plus sur un regroupement avec les autres chefs de groupe afin de se partager tout le secteur d'une manière très pointue.
- Speaker #0
Et qu'est-ce qui se passe dans ta tête ?
- Speaker #1
Je m'inquiète un petit peu pour deux raisons. La première, c'est la nuit, donc la visibilité est très médiocre. Le fait d'être de nuit change déjà le paysage, forcément. Mais de nuit et en plus avec une inondation, il est très difficile de se repérer. Des endroits que l'on croit connaître deviennent pratiquement méconnaissables. J'ai un petit peu de crainte pour mes hommes. J'ai toujours peur qu'en voulant trop bien faire, certains se retrouvent dans des situations très périlleuses. Et ma deuxième crainte, ce sont beaucoup les personnes coincées dans les habitations qui n'auraient pu évacuer à temps. Et donc là, je fais maison par maison afin de m'assurer que personne n'est en danger.
- Speaker #0
Donc là, tu vas taper à toutes les portes pour prévenir les gens ?
- Speaker #1
Exactement, c'est-à-dire que si j'arrive avec les gens, par exemple dans le cas de la ferme qu'on a évacuée, les propriétaires de la ferme étaient déjà au travail. Donc là, on n'a pas besoin de prévenir, ils savent ce qui se passe, on les aide, on leur demande leurs besoins, on les aide, puis ensuite on passe à une autre maison. Mais il arrive parfois qu'à 22h30, des personnes âgées soient couchées. Et là, tant qu'on n'est pas sûr qu'ils nous aient bien entendu, tant qu'on n'est pas sûr qu'ils sont réveillés, tant qu'ils ne nous ont pas parlé ou parlé à quelqu'un de leur voisinage, on ne s'en va pas. On insiste, on insiste, on insiste.
- Speaker #0
Donc c'est quoi ? C'est taper à la porte ?
- Speaker #1
Taper à la porte, voire forcer la porte, c'est arrivé à plusieurs reprises, de casser une vitre à l'étage, monter au premier étage ou faire monter un gars au premier étage pour aller voir s'il n'y a pas une personne âgée, une personne handicapée qui ne peut pas s'écarter de la maison. Donc il nécessite une évacuation à plusieurs. Et pareil pour les animaux. Tous les sous-sols sont vérifiés, qu'il n'y ait pas de chiens, de Ausha coincés. Ça serait trop dommage de laisser un chien dans une cave alors qu'il y a des inondations. Donc c'est un cumul, c'est un ensemble de petits gestes. Et tous ces petits gestes mis bout à bout, ça fait l'intervention à la fin.
- Speaker #0
Et justement, qu'est-ce qui se passe dans ta tête ? Comment tu te sens ? Quand tu frappes à toutes les portes, ça répond, ça répond pas, je suppose que t'as l'adrénaline, t'as le cœur qui doit battre.
- Speaker #1
Bien sûr, c'est toujours stressant, mais c'est un peu une sorte de bonheur de faire le travail comme il faut. Se dire, ça y est, j'en suis à 7 maisons, 8 maisons, 9 maisons, combien il m'en reste ? Encore quelques-unes, je vais y arriver. C'est tout un ensemble de choses qui fait l'intervention, c'est pas toujours évident, mais... Ça se fait, on n'arrive pas trop mal. On n'a pas trop laissé de monde ailleurs.
- Speaker #0
Alors, quand tu arrives sur place, les gens te voient arriver, ils sont rassurés, ils te disent que les secours sont là. Mais quand tu repars, est-ce que... parce que tu n'as pas le temps de rester plus longtemps, est-ce qu'ils ne te courent pas après ?
- Speaker #1
Non, parce que souvent, les riverains d'une rivière savent les dangers. Il y a quand même une bonne formation générale du danger de la rivière. Très peu de gens se font surprendre par mes connaissances. C'est plus une habitude. Les rivières débordent régulièrement, malheureusement de plus en plus souvent. On le voit dans l'actualité. Et les gens sont habitués. Mais le fait que les pompiers soient passés, ils savent que les secours s'organisent. Ils savent qu'on a repéré la catastrophe. Donc ils ne se sentent pas vraiment seuls. Ils savent que très vite, ils vont être grâce aussi, pas qu'aux pompiers d'ailleurs, quand nous travaillons en commun avec les mairies, le maire des villages, les adjoints aux maires, les employés municipaux. On a beaucoup d'aide et les secours s'organisent quand même très vite. À part grosses catastrophes, rares sont les gens qui sont abandonnés plusieurs heures.
- Speaker #0
En quoi le maire aide, peut aider sur le terrain ?
- Speaker #1
Le contact avec les élus, c'est quelque chose qui peut paraître insignifiant, mais qui pourtant a une importance incroyable, car les élus connaissent très bien leur commune. Un élu peut très bien savoir qu'à tel endroit il y a un danger que nous les pompiers on ne soupçonnait pas. Ils peuvent nous aiguiller sur où couper l'électricité. Ils peuvent nous dire tel secteur de la commune il y a tant de personnes âgées. Tel autre secteur c'est des gens plus jeunes. Tel secteur est dans un trou. Telle autre rue est plus haute et ne risque pas d'être inondée. Ils peuvent nous prêter du matériel aussi. Tracteur, botte de pain.
- Speaker #0
Donc ça veut dire que toute la nuit vous êtes en contact avec...
- Speaker #1
Toute la nuit on est en contact avec les élus. Même si c'est des grandes villes, ils envoient des délégués, ils envoient leurs adjoints, ils s'engagent eux-mêmes. Les maires sont toujours engagés lorsqu'il y a une catastrophe. Et je peux vous assurer que ça a une importance capitale. Le bon relais avec les élus dans les petites communes a un rôle primordial.
- Speaker #0
Donc ce que tu appelles les élus, ça va être le même ?
- Speaker #1
Elles, ses adjoints, les conseillers municipaux, le garde-champêtre, ainsi que par exemple les employés aussi.
- Speaker #0
Et d'ailleurs, en parlant de garde-champêtre, est-ce que vous êtes aussi aidé par une police ? Bien sûr,
- Speaker #1
bien sûr. Les services de secours, ce n'est pas que les pompiers. C'est aussi la police, la gendarmerie en zone de campagne. Parfois l'armée même, ça lui est arrivé que je travaille avec des militaires, et tout ce monde réuni, coordonné par la préfecture, ça peut avoir une importance capitale de bien s'entendre, de travailler en commun.
- Speaker #0
Et comment ça se passe ? Je suppose que la police, la gendarmerie sont déjà là. Comment vous travaillez ensemble ?
- Speaker #1
En règle générale, gendarmes et pompiers travaillent en commun. Il y a très rarement de problèmes, très rarement. La police n'a pas d'intérêt, ni les pompiers, à ne pas travailler en commun. On se parle, chacun se partage les rôles. La police va sécuriser pour les risques de vol et de pillage, nous aide lorsqu'il y a des évacuations, bloque les routes. Ça nous gagne un temps fou de ne pas avoir des routes encombrées de véhicules. Et tout ça réuni, mis bout à bout, on arrive à faire une intervention correcte.
- Speaker #0
Et est-ce que ça arrive que, justement... Donc là, les personnes, vous les amenez dans des gymnases, mais est-ce que ça arrive qu'il y ait des personnes qui doivent directement aller à l'hôpital ? Oui,
- Speaker #1
il est évident que certains vont directement à l'hôpital. Les personnes sous dialyse, les personnes sous oxygénothérapie sont amenées sur les hôpitaux. C'est la meilleure des solutions. Mais tout est bon à prendre quand il y a une inondation. Les voisins qui sont en sécurité, ont une maison bien chauffée, c'est bon à prendre. Un gymnase, c'est bon à prendre. Tout est récupéré dans ce cas-là.
- Speaker #0
Est-ce que vous voyez aussi, les pompiers, dans ces moments-là, une entraide des personnes entre elles ?
- Speaker #1
Oui, il y a toujours entraide. C'est la force de notre pays. Dès qu'il y a des soucis, on n'hésite pas à céder. On oublie toutes les querelles et tout le monde s'entraide. On n'a pas le choix.
- Speaker #0
Une fois que vous avez vérifié que toutes les personnes sur le secteur étaient hors de danger, est-ce que vous faites quelque chose par rapport à l'eau ? Est-ce que vous essayez de sécuriser le lit de la rivière, par exemple ?
- Speaker #1
Ce n'est pas possible dans les médias. Ce genre d'acte de sécuriser, c'est plus en deuxième voire en troisième niveau. Le premier niveau reste la mise en sécurité, le sauvetage, sauver des biens autant que possible. Le reste, c'est très particulier. Ça ne peut pas être effectué de nuit, de toute façon. Et puis, il faut déjà voir la situation. Est-ce que l'eau continue à monter ? Ça ne sert à rien d'aller vider une cave si l'eau continue à monter. Vous sortez 10 mètres cubes d'eau, s'il en rentre 20, vous allez pomper toute la nuit et ça ne donnera strictement rien. Donc ça c'est plus les corrections d'eau, la vidange des maisons, les protections de berges, c'est plus quelques heures voire quelques jours après les premières intérimations.
- Speaker #0
Parce que je suppose aussi, une inondation, il y a des dangers que nous on n'imagine pas. C'est pas juste l'eau qui rentre dans les caves ou...
- Speaker #1
Exactement, les inondations provoquent des effondrements. Les inondations provoquent des écroulements d'arbres. Ces arbres sont charriés par le courant et fauchent tout ce qui est sur leur passage. C'est très dangereux. Certains arbres peuvent peser une à deux tonnes et rien ne leur résiste.
- Speaker #0
Puis la puissance de l'eau doit être énorme. C'est des mètres cubes d'eau qui sont déplacés à toute vitesse.
- Speaker #1
Donc c'est vrai qu'une rivière peut passer de 60 mètres cubes secondes à 300 mètres cubes secondes dans l'espace de 20 minutes à une heure. Il suffit d'orage éclair, de ce qu'on appelle des crus éclairs, et ça provoque là des inondations graves, car les gens ont beaucoup de mal à se mettre à l'abri. Et là, l'insertion des pompiers est vraiment nécessaire.
- Speaker #0
Et puis on ne se rend pas compte, 300 m3, mais là, tout ce qui se trouve sur le passage est emporté.
- Speaker #1
Tout est emporté. La force du courant emmène des arbres, dévaste tout. C'est impossible d'arrêter l'eau. Là, on ne peut que faire des mises en sécurité, du sauvetage. Mais il n'est pas question d'arrêter l'eau, c'est absolument impossible.
- Speaker #0
Même là, en tant que pompier, il faut être vraiment sécurisé ?
- Speaker #1
Il est évident que les mises en sécurité, c'est aussi les secours. Rien ne sert de sauver quelqu'un si on perd trois hommes à la sortie. Bon, on ne va pas gagner quoi que ce soit. On ne prendra pas jamais un risque sans qu'il y ait une raison très valable. On prend des risques pour les êtres humains, on prend des risques pour les animaux. Il est évident que je n'enverrai jamais mes hommes au milieu d'une rivière pour sortir une voiture. Si la voiture, il n'y a personne dedans, tant pis, elle est perdue.
- Speaker #0
Vous devez aussi sans doute faire face au stress des personnes qui voient l'eau rentrer dans leur maison ou appartement, ou leur voiture se faire emporter ?
- Speaker #1
Le stress des personnes est évident, mais il ne peut pas être traité immédiatement. Il est traité un peu plus tard par les familles, par le maire de la commune, par des amis. Mais on ne peut pas traiter le stress comme ça en quelques minutes, ce n'est pas possible.
- Speaker #0
Vous avez évacué beaucoup de personnes cette nuit-là ?
- Speaker #1
On a évacué beaucoup de personnes âgées cette nuit-là. Pas forcément parce qu'elles risquaient de se noyer, mais parce que privées de chauffage, privées d'électricité, certaines avaient besoin de matériel d'oxygénothérapie, certaines étaient dans des fauteuils roulants, qui nécessitaient absolument d'être évacuées, amenées dans des gymnases et des hôpitaux, pour être réchauffées, soignées et protégées. Et toutes les personnes vulnérables en fait, quel que soit l'orage, quel que soit leur sexe, leur couleur, c'est tout le monde et on obéit aux pompiers et on part.
- Speaker #0
Oui parce qu'il y a ça, il y a non seulement la mise en sécurité mais c'est qu'il y a aussi effectivement cette notion de coupure d'électricité.
- Speaker #1
C'est pas juste les inondations, vous avez les coupures d'électricité, les coupures de gaz bien sûr, ça va avec, le chauffage, tout ce qui est la vie. tous les jours, quoi. Notamment que cette nuit-là, c'était quand même une période de pré-hivernale et il ne faisait pas très chaud.
- Speaker #0
Là, ça fait déjà une bonne partie de la nuit que tu es sur le terrain. La fatigue doit se faire ressentir à un moment,
- Speaker #1
non ? Oui, donc la fatigue, bien sûr, fait partie des éléments à prendre en compte, que ce soit pour moi-même ou pour mes hommes. La fatigue provoque des accidents. La fatigue empêche d'avoir une attention et peut parfois même provoquer de la panique chez tout le monde, aussi bien les intervenants que les gens secourus. Nous en tenons beaucoup compte et nous n'hésitons pas à faire prendre du repos aux hommes et à les faire remplacer. En général, une intervention un peu compliquée de nuit, c'est 4 heures. Au bout de 4 heures, les gens sont remplacés. Donc là, toute la nuit, il y a eu un roulement de fait. pour que les hommes épuisés puissent être alimentés en eau, en nourriture, reprendre des habits secs et recommencer ensuite leur travail.
- Speaker #0
Ça veut dire qu'il faut aussi avoir toute une équipe disponible pour reprendre 4 heures après ?
- Speaker #1
Exactement, tout ça c'est prévu bien à l'avance par contre, qu'il y ait des inondations ou pas, toutes les nuits nous avons une équipe de départ et une équipe de réserve en astreinte. prête à partir pour compléter l'effectif engagé. Là, bien sûr, c'est là que l'expérience entre en compte. Il est évident qu'on n'a pas les mêmes réactions quand on a 50 pompiers ou quand on en a 25. Plus on a d'expérience, moins on va vite, et plus on s'applique et plus on réfléchit à ce qu'on va faire, plus on prend le temps de mesurer l'impact des dégâts et de l'inondation, et moins il arrive de choses graves après. La fatigue, l'adrénaline, tout est un peu mélangé. Mais je pense que la plus grande compétence d'un pompier, c'est le calme et la réflexion.
- Speaker #0
Tu as engagé des hommes tout au long de la nuit. Comment ça se passe ? Comment tu fais la demande ? Est-ce que c'est toi qui les appelles directement, qui appelles les casernes ? Comment ça se fait ?
- Speaker #1
Les hommes que je demande, c'est en accord avec le CODIS. En fait, j'explique la situation sur le terrain au CODIS. Et souvent, le CODIS me confirme mes demandes. Je vous donne un exemple. Lors de la première ferme évacuée, j'avais besoin de trois hommes pour évacuer les animaux. Le CODIS m'a confirmé ma demande, l'a accepté et m'a envoyé les trois hommes nécessaires. C'est ainsi de suite pour toutes les opérations, tout le temps de l'inondation. On fait une demande, le CODIS l'enregistre, nous la valide et ensuite nous envoie le personnel nécessaire.
- Speaker #0
Et donc une fois que les personnes arrivent sur place, c'est toi qui vas leur dire, voilà ce qu'il y a à faire.
- Speaker #1
Oui exactement, donc lorsque les hommes arrivent sur les lieux, je prends le chef d'agré du fourgon.
- Speaker #0
Qu'est-ce que c'est le chef d'agré ?
- Speaker #1
Le chef d'agré c'est le pontier le plus gradé qui donc commande aux autres les opérations à effectuer. Je lui donne la mission et c'est ce chef d'agré qui décide comment on va faire avec ces hommes.
- Speaker #0
Et lors de cette nuit-là, est-ce que tu sais combien à peu près d'hommes ont été engagés ?
- Speaker #1
Cette nuit-là, environ 40 hommes ont été engagés.
- Speaker #0
Avec toi ?
- Speaker #1
Avec moi, sur un laps de temps allant du moment où j'arrive sur les lieux, H plus 20 minutes.
- Speaker #0
Et là, vous avez passé la nuit, du coup, je suppose.
- Speaker #1
Ah bien sûr que là, c'est des opérations qui peuvent durer 3 à 4 jours. Il y a l'immédiateté qui va durer 5-6 heures. Puis après, il y a la deuxième phase qui consiste à vérifier, contrôler nos actes, les améliorer si besoin est. Et ensuite, la troisième phase qui consiste à vérifier ce que l'inondation a touché, se renseigner au niveau de la météo, voir si les pluies vont continuer ou pas, et tous les petits détails très importants qui se mettent en place petit à petit, toute la nuit.
- Speaker #0
Alors justement, tu disais que les hommes sur le terrain étaient remplacés toutes les 4 heures, mais toi, comment ça se passe ?
- Speaker #1
Moi c'est un peu différent car je fais un travail beaucoup plus basé sur la réflexion en fait que sur le physique. Donc je peux être aussi remplacé si j'en ai besoin, si je le demande, mais je ne suis pas dans le même contexte que les hommes de terrain. Je suis plus dans la méthodologie, la cartographie, la radio. Je suis moins dans les gestes de type boucher un trou, ouvrir une porte, monter un étage par une échelle. Ça, c'est le rôle des équipiers d'intervention.
- Speaker #0
Est-ce qu'il y a quelqu'un qui vérifie quand ça fait six heures que tu es sur le terrain, que tu as bien laissé ta place et que tu es allé te reposer ?
- Speaker #1
Oui, c'était contrôlé. Et d'ailleurs, avant la fin de mon service, il y avait déjà une équipe de remplacement prévue. Les équipes, le remplacement se fait en amont. On n'attend pas la dernière minute pour dire, ah, il faut remplacer quatre gars. Les quatre qui vont remplacer sont déjà prévenus une bonne heure avant. Pour qu'ils aient le temps de se préparer, de se mettre en condition psychologique et physique, pour pouvoir aller remplacer ceux qui sont déjà sur les lieux.
- Speaker #0
Qu'est-ce que tu appelles mettre en condition psychologique ?
- Speaker #1
Les prévenir pour pas qu'ils soient surpris, les prévenir de ce qu'ils vont faire, des gens qu'ils auront à remplacer, pourquoi, pendant combien de temps, les équipes de remplacement sont plus préparées que les équipes d'intervention immédiate.
- Speaker #0
Est-ce qu'il y a quelque chose qui t'a marqué cette nuit-là ?
- Speaker #1
Cette nuit-là, j'ai eu quand même quelques petites montées d'adrénaline. J'ai évacué moi-même plusieurs personnes grâce à mon véhicule. Personne âgée, j'ai porté une petite dame ce jour-là, qui devait avoir pas loin de 90 ans, en chemise de nuit, en pantoufles, qui s'accrochait à mon cou et qui me disait « enfin, bel homme ! » C'est vrai, ça ne fait rien, mais c'est la vérité. Elle était contente, absolument pas affolée. Elle s'écramponnait à mon cou et je l'ai portée chez un voisin qui habitait plus haut. et qui était, lui, sans risque d'inondation.
- Speaker #0
Tu parlais de véhicules. Tu as une voiture ou un véhicule particulier pour intervenir ?
- Speaker #1
Là, oui, on a des camions. Alors, on utilise beaucoup les camions appelés 4x4. C'est des camions 4 motrices qui ont une cabine qui est très haute et qui peuvent rouler d'un 60 à 60 cm d'eau. Ces camions sont très sécurisés. Ils permettent l'évacuation des gens. On peut les monter sur le toit du camion. Il y a une petite... bordure qui permet de mettre en sécurité les personnes et de les sortir de la zone d'inondation. Ces camions sont du matériel extrêmement cher, mais qui sont absolument indispensables pour toutes les casernes de pompiers qui bordent des forêts, des rivières, des lacs. Il n'y a pas le choix.
- Speaker #0
Et quand est-ce que ça s'arrête pour toi cette nuit ?
- Speaker #1
L'intervention s'arrête lorsque ma part de travail étant effectuée, je suis sûr que tout mon secteur est à l'abri. Je suis sûr que tous mes hommes sont en protection, peuvent travailler en sécurité. Je m'assure de mon remplacement, je donne les consignes au chef de groupe qui va me remplacer. Je reste un moment avec lui, je ne le laisse pas tomber comme ça en cinq minutes. Et une fois que tout ça c'est fait, je rentre enfin me reposer.
- Speaker #0
Et là tu rentres directement chez toi ?
- Speaker #1
Je vais d'abord à la caserne pour réarmer mon véhicule. Réarmer le véhicule, ça veut dire remettre de l'essence, remettre des piles dans la radio. Remettre ce que j'ai usé en ruban lisse, en gilet de sauvetage, en tout ce qui est nécessaire pour une intervention rapide. Je remets des cahiers vides, je vérifie tout, les stylos,
- Speaker #0
tout. Et ça veut dire que le véhicule, il n'y avait que toi qui l'utilisait, ce véhicule-là ?
- Speaker #1
Ce véhicule-là est réservé au chef de groupe. Chaque chef de groupe a son véhicule. Et c'est à son travail de le réarmer lorsqu'il a fini son intervention. On ne laisse jamais un véhicule... pas réarmé. On ne sait jamais ce qui peut arriver. Il se peut arriver qu'on ait deux heures de repos comme on peut être rappelé en urgence pour un autre problème une demi-heure après. Donc, notre véhicule, on rentre à la caserne, on réarme le véhicule, c'est-à-dire environ trois quarts d'heure, une heure de travail. C'est qu'après qu'on rentre à la maison.
- Speaker #0
Alors, il est quelle heure quand tu arrives chez toi ?
- Speaker #1
Donc là, il était environ 4 heures du matin.
- Speaker #0
Et ce n'est pas trop dur après une nuit comme ça de rentrer chez soi au calme ?
- Speaker #1
Ce n'est pas... Ce n'est pas toujours facile. On rentre, mais on a dans la tête, est-ce que j'ai fait comme il faut ? Est-ce que je n'aurais pas dû faire comme ça, peut-être autrement ? Je me pose des tas de questions. Je vérifie. Je rappelle mes collègues, voir si ce que j'ai fait, c'est ce qu'il fallait faire. Parfois, je me dis, les gars, on aurait peut-être pu faire autrement, peut-être ajouter ça. Du coup, mon remplaçant reprend l'opération et prend, lui, les décisions que moi, je n'ai pas su prendre ou que je n'ai pas pu prendre.
- Speaker #0
Alors ta femme est aussi pompier et elle était sur le terrain ou elle était à la maison quand t'es rentrée ? Non, c'est-à-dire que là, quand je suis rentré, elle, elle était en intervention. Elle faisait partie des équipes d'intervention. Donc pendant un moment, oui, je m'inquiète parce qu'on ne se voit pas, on ne sait pas trop où on est. Et parfois, j'ai eu un petit peu quand même de crainte, de peur.
- Speaker #1
Malgré tout ?
- Speaker #0
Malgré tout, malgré que je sais que tout est fait pour qu'ils s'en sortent, j'ai quand même toujours un petit peu peur.
- Speaker #1
En même temps, je suppose que tu dois être très fatigué, mais est-ce que le sommeil arrive facilement finalement ?
- Speaker #0
Les premiers jours, pas trop. Le sommeil arrive difficilement. Mais au bout de 48 heures, je peux vous assurer, quoi qu'il arrive, on pose la tête sur l'oreiller et c'est fini pour quelques heures.
- Speaker #1
Et une dernière question, est-ce qu'il y a des bonnes pratiques pour ceux qui écoutent cet épisode, si on se retrouve confronté à une inondation pendant les vacances ou en tant qu'habitant ?
- Speaker #0
Je pense que la meilleure des pratiques, lorsqu'on va en vacances au bord de l'eau, c'est de se renseigner. Avant de planter sa tente ou sa caravane, se renseigner auprès de la mairie, auprès des habitants, leur demander quel danger il peut y avoir sur le secteur. C'est la meilleure des défenses. Il vaut mieux être prévenu en amont que d'attendre le dernier moment pour appeler au secours.
- Speaker #1
Et si c'est trop tard et qu'on se retrouve confronté à l'inondation ?
- Speaker #0
Appelez le plus vite possible les secours et surtout pensez à évacuer. Ne cherchez pas à sauver votre tente, sauvez-vous vous. Le matériel, vous le remplacerez. Une vie ne se remplace pas.
- Speaker #1
Merci Alain pour ce témoignage et merci pour ces 30 ans de service à aider les autres. Merci pour l'écoute, j'espère que vous avez apprécié cet épisode. Pour être au courant de nos prochains témoignages ou si vous aussi vous souhaitez partager avec nous une de vos nuits, n'hésitez pas à nous suivre et à nous contacter sur les réseaux sociaux Instagram, Twitter et TikTok à la nuit des gens. Merci encore et à la prochaine !