Du violon à la résilience : l'histoire de Solrey et le pouvoir de la musique sur le cerveau cover
Du violon à la résilience : l'histoire de Solrey et le pouvoir de la musique sur le cerveau cover
La petite musique du cerveau

Du violon à la résilience : l'histoire de Solrey et le pouvoir de la musique sur le cerveau

Du violon à la résilience : l'histoire de Solrey et le pouvoir de la musique sur le cerveau

22min |02/10/2020
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22min |02/10/2020
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Description

Suite à une opération au cerveau, la violoniste Dominique Lemonnier dite Solrey perd l’usage de sa main gauche. 

Dans cet épisode, elle raconte l’histoire de sa rééducation par la musique qui lui a permis de reprendre le cours de son destin et de renouer avec son violon.

Avec Dominique Lemonnier dite Solrey, violoniste, Béatrice Sauvageot, orthophoniste et Hervé Platel, neuropsychologue et professeur à l’Université de Caen. Les extraits musicaux sont tirés de l’album Divine Féminin avec l’aimable autorisation de l’artiste.


Un podcast de Sacem Université et France Musique - 2021


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    L'AFSASM Université présente la petite musique du cerveau. Je m'appelle Dominique Lemoynier, dite Sol Ray. Mon histoire est celle-là, comment aujourd'hui je vis et je traverse ma vie d'artiste, de musicienne, en ayant perdu l'usage d'une main gauche de violoniste.

  • Speaker #1

    Une vie entière dédiée à la musique qui bascule en quelques heures. Sol Ray est violoniste. Elle l'a toujours été. En janvier 2010, suite à un anévrisme, elle subit une opération au cerveau. L'opération tourne au drame. Sol Ray se réveille hémiplégique du bras gauche, hébété, à moitié morte comme elle le raconte, avec une mémoire en lambeaux. Un naufrage, mais pas une fatalité, parce que comme Sol Ray le découvrira au fur et à mesure de sa rééducation, sa planche de salut, elle l'avait déjà à sa portée. C'est grâce à la musique que Sol Ray est revenu au monde. a retrouvé sa vie et même son violon. Nous nous sommes rencontrés chez elle et elle a accepté de me raconter son histoire.

  • Speaker #2

    Vous êtes violoniste depuis toujours, en fait. Vous avez commencé la musique très très tôt.

  • Speaker #0

    Oui, c'est d'ailleurs ce qui m'a sauvée. Le fait d'avoir commencé la musique à trois ans, j'étais plus à l'aise dans la langue musicale que dans la langue maternelle. Donc en fait, ma langue maternelle, on peut dire que c'est la musique. J'avais une mère pianiste. Et donc elle m'a mis au piano, à l'apprentissage de la lecture de la musique. Et puis je n'avais pas une passion forte pour cet instrument. Et le jour où je devais passer mon examen à 6 ans pour rentrer au conservatoire au piano, j'ai vraiment entendu le violon d'une manière très très proche, comme ça dans les couloirs. Je suis même rentrée dans la salle, je me souviens, de la professeure de violon qui donnait ses cours. Et j'ai dit à ma mère, écoute, moi je ne veux pas passer l'examen de piano, je veux faire du violon. Et quelques jours après, j'ai arrêté le piano pour le violon.

  • Speaker #2

    Soleray, vous avez donc commencé très tôt. Vous racontez que toute la vie de violoniste se passe un petit peu en accéléré. Donc vous avez très tôt commencé à jouer en semi-professionnel.

  • Speaker #0

    Oui, très tôt. Je me souviens d'avoir tout de suite commencé mes concerts à peu près à 11 ans. Et ensuite, dans ma ville d'origine à Caen, Et dès l'âge de 13 ans et 14 ans, je jouais en soliste, des concertos de Bach, des concertos de Vivaldi, tout ça après l'école. C'est-à-dire que je ne faisais pas de cours par correspondance. Et d'ailleurs, j'en remercie beaucoup ma mère de m'avoir laissée dans un cursus normal jusqu'au baccalauréat. Ça aussi, je pense, m'a servi après mon accident. C'est-à-dire que déjà, j'avais un apprentissage multiple.

  • Speaker #2

    Donc vous continuez à jouer, vous professionnalisez.

  • Speaker #0

    J'ai fait mes études de violoniste, je suis partie aux Etats-Unis, j'ai joué dans beaucoup d'orchestres, des formations de chambres symphoniques. Et ensuite, j'ai créé un ensemble qui s'appelle le Trafic Quintet. Mais c'est vrai qu'en tant que violoniste, j'avais déjà développé beaucoup de styles de musique. J'ai appris le tango, j'ai appris le zygane, j'ai fait beaucoup d'expériences avec le théâtre. et quand j'ai créé le Trafic Quintet C'était vraiment pour répondre finalement à toutes ces envies que j'avais de réunir toutes ces musiques et que la musique était en correspondance avec les autres arts et particulièrement visuel.

  • Speaker #2

    Je voulais justement qu'on vienne jusqu'à cette étape-là qui est votre ensemble et votre activité de concertiste, de musicienne active sur scène, parce qu'effectivement cet ensemble a joué un rôle primordial. Après votre accident, est-ce qu'on peut revenir un instant maintenant sur ce qui est arrivé avec cette opération que vous avez subie en 2010 ?

  • Speaker #0

    En 2010, j'ai donc fait une récidive d'un névrisme. Je suis retournée voir mon chirurgien qui m'avait, dix ans plus tôt, sauvé la vie. Donc je suis partie d'une manière très confiante sur cette opération, même si je craignais, puisque c'est une opération toujours extrêmement délicate. Eh bien écoutez, cette opération a été un fiasco, comme on peut dire, qui a duré très très longtemps, 9 heures. Et je suis sortie, je n'avais plus de bras gauche, plus de mémoire, et j'étais très très très abîmée. Finalement, je ne suis pas morte, et je suis rentrée chez moi. complètement perdue avec cette main et ce bras que je portais avec la main droite. Donc la première chose que j'ai faite... C'était d'appeler mon kinésie qui s'occupait de moi en tant que violoniste. Vous savez, quand on est violoniste, on a toujours mal partout, aux coudes, aux poignets. Donc elle est venue et elle m'a fait une prothèse pour que ma main ne se rétracte pas trop.

  • Speaker #2

    En fait, vous êtes sortie hémiplégique de la gauche. Oui,

  • Speaker #0

    voilà. Et puis j'ai convoqué mes musiciens du Trafic Quintet. Et là, je leur ai annoncé que c'était fini. Je ne savais pas si je reprendrais un jour le violon. Voilà, c'était une fatalité tragique. C'est là que mon ami Anne Villette, qui tenait le second violon dans l'ensemble, m'a dit « mais tu dois aller voir Béatrice Chauvageau » . Et puis finalement aussi, mon chirurgien a pris conscience que ça ne reviendrait pas tout seul, parce qu'un mois plus tard, c'était toujours dans le même état, même pire. Donc il m'a fait entrer aux Invalides. J'ai commencé des séances de rééducation chaque jour. Et en fait, c'est devenu comme mes gammes au violon. Je voyais la... La limitation de cette rééducation. Et puis moi, je voyais surtout que mon violon, il était toujours là, dans sa boîte, et que personne ne pouvait l'ouvrir. Et au bout de trois semaines, je suis allée voir Béatrice, en plus des Invalides. Et là, Béatrice a eu son premier coup de génie, c'est qu'elle m'a dit, mais où est votre violon ? Je dis, mais mon violon, il y a longtemps qu'il est... au placard. Elle me dit, mais vous êtes viloniste, non ? Je dis, oui. Alors, vous allez le chercher, puis vous revenez.

  • Speaker #2

    Béatrice, vous voulez bien vous présenter ? Je voudrais une réaction par rapport à ça, parce qu'effectivement, on dit déjà que le cerveau du musicien est un cerveau qui est particulier.

  • Speaker #3

    Tout à fait. Donc, Béatrice Sauvageau, je suis orthophoniste, je fais aussi de la neuropsychologie et ma grande spécialité, c'est la relation et surtout les musiciens qui ont eu des troubles, des lésions ou des traumatismes ou des AVC et on confond le cerveau du musicien avec le fait d'être musicien. C'est le cerveau cognitif par excellence. On ne peut pas apprendre si les zones qui touchent le cerveau du musicien dans toute la tête sont atteintes. On ne peut rien apprendre, même pas ouvrir une fenêtre. C'est-à-dire que moi, j'ai complètement créé. les outils pour Sol Ray.

  • Speaker #2

    Justement, donc on est parti, vous êtes parti de cette idée de reconnecter Sol Ray avec son instrument, évidemment, alors qu'elle était complètement sortie de cette logique-là par peur de ne pas le pouvoir...

  • Speaker #3

    Il faut sortir le violon même si la main ne peut pas l'attraper.

  • Speaker #0

    Voilà. Et en fait, c'est ça, au départ de la méthode de Béatrice, ça a été de dire, mais tu es violoniste, tu dois absolument revenir avec ton violon, je ne veux même pas te voir sans ton violon. Donc la première chose qu'elle a faite, c'est effectivement de l'ouvrir et de constater les dégâts. Je ne pouvais même pas tenir le manche de mon violon, puisque je ne pouvais pas ouvrir mes doigts pour attraper les cordes. Donc c'était pour moi, bien sûr, des pleurs. Mais en même temps, je crois qu'il y a une chose aussi qui sauve, quand on part comme ça sur une exploration, une expédition, qui va durer cinq ans, que les lésions neurologiques ne vous font pas souffrir physiquement. Ce qui fait souffrir, c'est l'imprégnation. Il faut comprendre que c'est une rééducation de concentration et d'improvisation.

  • Speaker #2

    Béatrice, comment s'est déroulé finalement ce fil ? Comment vous avez procédé pour reconnecter Soleray avec son violon ?

  • Speaker #3

    On a vu qu'il y avait ce qui était visible de la paralysie. Ce qui était invisible de la paralysie intérieure, et aussi ce qu'on appelle la nosognosie, c'est-à-dire une méconnaissance de soleraie de certains troubles. C'est très compliqué parce qu'il ne fallait pas du tout la décourager.

  • Speaker #0

    Par exemple, une chose qui m'a beaucoup marquée, c'est que la première fois que j'ai réouvert mon violon, au bout d'un mois, un mois et demi en fait, je n'avais donc pas de main gauche, mais j'avais une main droite. et donc Béatrice, elle, elle a sauté sur le fait que j'y me restais une main droite et que j'avais un son et que ce son y sortait. Et que donc j'étais toujours violoniste et que ce son, il allait m'alimenter puisque j'avais encore un archet. Et en plus, l'archet a toujours été ma qualité. Et donc... On s'est appuyé, j'avais l'impression d'avoir une béquille sur laquelle tu me disais « Mais appuie-toi sur l'archer, appuie-toi sur l'archer ! » Et en fait, je jouais en libérant cette main gauche, en m'appuyant sur l'archer. J'avais un son de plus en plus énorme, tellement cet archer était pris en otage pour libérer le côté gauche. Donc déjà, il y a eu cette conscience-là.

  • Speaker #3

    Et après, il y a eu un travail neurologique. on va dire, de travailler en manuel, me concernant, c'est-à-dire plonger dans le cerveau, voir ce qui était atteint, créer des neurones, donc on a vraiment créé de la neurogénèse, ouvrir des synapses qui passaient juste à côté et ouvrir des chemins neurologiques à l'infini en ne sachant pas ce qu'on allait en faire. C'est-à-dire qu'à chaque séance, il fallait qu'il y ait du progrès. Moi, je n'arrêtais pas de faire des exercices extrêmement compliqués. extrêmement...

  • Speaker #2

    Il y avait même des exercices de prosody que vous racontez dans votre texte. Donc, vous avez fait le lien avec le langage, effectivement.

  • Speaker #3

    Absolument. Surtout, il fallait stimuler toutes les parties du cerveau. Trouver comment se servir des neurones miroirs, les rendre beaucoup plus actifs pour qu'il y ait une espèce d'imitation,

  • Speaker #1

    réflexe.

  • Speaker #2

    Ah oui, on va s'accrocher sur les neurones miroirs. Vous avez profité finalement des enregistrements que vous avez...

  • Speaker #0

    Moi, j'avais des films d'avant. J'avais des enregistrements d'avant, donc j'ai beaucoup travaillé sur moi-même. Je n'étais pas très confiante avec cette opération. Et donc j'avais enregistré cet album, la Divine Féminin, juste avant l'opération. Quasiment la majeure partie. Donc effectivement, je me réentendais, je me revoyais, je réintégrais cette image. violoniste que j'avais été et aussi d'une manière concomitante avec Béatrice, elle n'avait de cesse de me repositionner en permanence dans mon rôle. Et après, elle m'intégrait aussi aux exercices de dyspraxie. Puis j'avais aussi pas mal de dysarthrie. Donc, il était bien d'avoir aussi travaillé à la prosodie.

  • Speaker #3

    C'est des troubles articulatoires liés à la paralysie, en fait.

  • Speaker #2

    Qui sont très souvent, effectivement, une des conséquences des lésions cérébrales.

  • Speaker #3

    Absolument, qui sont là souvent, comme les trous de mémoire.

  • Speaker #0

    Il faut quand même comprendre que quand on est hymiplégique, on n'est certainement pas qu'hymiplégique. On a la mémoire immédiate qui est totalement effacée, on a des sauts d'humeur.

  • Speaker #3

    On a la dysarthrie.

  • Speaker #0

    On n'arrive pas à dormir.

  • Speaker #3

    On a une anxiété au-delà du réel, puisqu'on sort de la mort. et on n'est pas on n'est pas loin d'y retourner.

  • Speaker #1

    Ce drame personnel que décrit Soleray, c'est le drame que partagent de nombreuses personnes victimes des lésions cérébrales. Pour vous donner une idée, 5000 personnes, majoritairement les femmes, sont victimes d'un anévrisme, 150 000 d'un AVC tous les ans en France. Les conséquences peuvent être à degrés variés. Des problèmes auteurs, de langage, des problèmes sensoriels, intellectuels, émotionnels, mais ils ont fatalement un impact considérable sur la qualité de vie et plonge de nombreuses personnes et leurs familles dans une souffrance profonde. La bonne nouvelle, c'est que la musique jouée ou seulement écoutée intéresse en tant qu'approche thérapeutique de plus en plus de chercheurs. Et l'idée n'est pas nouvelle. Les méthodes de rééducation des personnes cérébralisées par la musique existent depuis les années 1970 et notamment dans la rééducation des personnes aphasiques à retrouver la parole. Autre bonne nouvelle, c'est que ça marche aussi bien avec les musiciens qu'avec les non-musiciens. Mais comment la musique peut-elle façonner un cerveau endommagé ? J'ai posé la question au neuropsychologue Hervé Platel, professeur à l'université de Caen.

  • Speaker #4

    Alors en fait, il y a essentiellement de la reconfiguration grâce à la neuroplasticité parce que, évidemment, là où il n'y a plus de neurones, on ne va pas recréer de la matière cérébrale là où il n'y en a plus. Donc, ce qui se passe, c'est essentiellement, sur ces phénomènes de récupération, des phénomènes de reconfiguration au pourtour des lésions. C'est là où, en général, chez les patients, il y a le plus d'efficacité. Chez des patients qu'on va qualifier d'experts, notamment des musiciens de haut niveau, donc là on a des phénomènes de neuroplasticité un peu particuliers parce que c'était déjà ce cerveau de musicien qui est atteint. Eh bien, on va avoir une atteinte dans un cerveau déjà configuré de manière particulière. Cet effet d'entraînement, il est très important dans le phénomène de neuroplasticité de réhabilitation. Et donc, sans doute qu'il y a des leviers. en termes de réhabilitation qui sont différents de ce qu'on peut utiliser avec des patients qui n'ont pas cette expertise, mais même avec des patients qui n'ont pas une expertise musicale. La musique a cette faculté de stimuler de larges réseaux du cerveau, et notamment des réseaux en lien avec la motricité, etc. Il y a beaucoup de travaux qui ont été faits et qui montrent que la simple écoute de la musique, leur récupération, sur un certain nombre d'index de performances, notamment d'attention, de concentration, mais aussi sur l'humeur, la baisse de la dépression, de l'anxiété, et plus rapide que chez des patients à qui on propose d'autres types d'interventions, notamment qui est simplement la lecture ou l'écoute de livres. Donc la musique a un pouvoir mobilisateur d'entraînement au niveau des circuits cérébraux assez large. et Pour le coup, on s'aperçoit à quel point, dans la prise en charge clinique, la musique va être vraiment un levier par lequel on va pouvoir stimuler de nombreux circuits. La perception, la motricité, la mémoire, c'est presque miraculeux.

  • Speaker #1

    Tout est dit, mais la musique dans l'histoire de Sol Ray n'a pas encore dit son dernier mot. Nous fermons à présent la parenthèse scientifique pour retrouver Sol Ray et Béatrice Sauvageau sur leur chemin de la rééducation par le violon.

  • Speaker #0

    Au début, moi j'avais les doigts attachés sur un bar pour pouvoir déceler quels doigts allaient bouger. Et donc petit à petit, j'ai commencé à pouvoir toucher l'accord de mi, et puis l'accord de la, puis l'accord de ré, puis l'accord de sol. Au fur et à mesure, tous les doigts se reconnaissaient un petit peu, c'était très flou, c'était très lent, mais c'est vrai que l'univers sonore devenait de plus en plus riche à chaque fois. Oui !

  • Speaker #2

    Mais ce qu'on n'a pas dit, vous aviez dit moi, parce qu'il y avait une échéance et il y avait un concert.

  • Speaker #3

    Ah oui, alors nous, on est comme ça. C'est-à-dire qu'on a triché. Moi, j'ai dit au cerveau, écoute, tu vas oublier que tu as l'âge que tu as et que tu as eu une opération, parce que depuis que tu es petit, tu sais jouer du violon. Donc, pour la scène, tu vas jouer du violon en trichant. Et là, Soleray, elle a dit oui. J'ai utilisé toutes les zones du cerveau qui fonctionnaient et qui pouvaient jouer du violon à un concert devant le public et ne plus jouer le lendemain parce que la main était paralysée. Allons prendre ce qui fonctionne et ramenons-le au premier plan, ayons le plaisir de la scène et de retrouver, oui je suis violoniste, c'est mon quintet et j'ai du public et je suis à ma place. Et après on retourne au charbon, on retourne à la mine après. Il me fallait des dates, parce que s'il n'y avait pas de date, on ne pouvait pas aller à un résultat.

  • Speaker #0

    Effectivement, il s'est passé dix mois avant que je retourne sur scène au Bouffes du Nord. On avait un engagement avant l'opération. On avait ce disque avant l'opération. Et en fait, pendant les dix mois, Béatrice d'abord m'a forcé à n'en parler à personne. Donc je n'ai pas pu dire aux producteurs de disques que j'étais paralysée et que je ne pourrais pas faire de concert de promotion. Et donc on a sorti le disque, j'étais la violoniste Dominique Lemoynier, puis voilà, personne n'était au courant. Et au Bouffe du Nord non plus. Et ce soir-là, il y avait beaucoup beaucoup de moments où je ne savais même pas s'il le doit aller y aller, s'il allait réagir, s'il n'allait pas se fatiguer. Aussi de cette pression qu'on lui mettait pendant une heure et quart. Mais c'est à ce moment-là que réellement la musique prend son sens dans cette relation cerveau et musique. C'est que ce soir-là, mes musiciens savaient que j'étais dans une situation extrêmement dangereuse. Et ils m'ont accompagnée d'une manière fabuleuse en me prenant comme si j'étais dans un... Comme si j'étais dans un berceau, c'est-à-dire dès qu'ils sentaient que mon son faiblissait, ils reprenaient, ils étaient dans une écoute extrême de ce qui pouvait se passer. Et moi, j'étais tellement portée par ce qui se passait, par l'écoute. Finalement, tout s'est bien passé et tout paraissait comme avant.

  • Speaker #3

    Parce que quand on est dans la musique et qu'on est en train de l'entendre et de la jouer, ce qu'a dit Sol Ray est primordial. on a envie d'y retourner.

  • Speaker #0

    Ce voyage qu'on a fait ensemble pendant cinq ans a permis, au bout de cinq ans... Alors que je refaisais des concerts, on a fait des nouveaux spectacles, on a réenregistré un nouveau disque, on est allé quand même très loin, dans une fatigue extrême. J'étais devenue vraiment une violoniste laborieuse, ce que je n'étais pas du tout avant. Donc travailler 6 heures, 8 heures pour préparer un concert, me peinait vraiment et ne me satisfaisait pas, ne pouvait pas correspondre à une vie future. Donc j'ai fait ça pendant des années, poussée par Béatrice, parce qu'elle devait estimer qu'il n'était pas temps de refermer cette boîte de violon pour aller explorer d'autres univers artistiques. Donc j'ai persisté, concerts, disques, nouveaux spectacles, jusqu'en 2015. Et en 2015, j'ai arrêté cet état de forcenat, et qu'elle m'a autorisée à... à lâcher du lest, à me reposer. Tout ça était prêt pour que finalement j'accepte cette perte, parce que c'est une perte, et que j'explore d'autres champs artistiques. Évidemment, en gardant la musique comme étant l'axe central absolu de toutes mes inspirations. Et effectivement, le fait d'avoir fait tout ce parcours en ponctuant Chaque quelques mois, des concerts. Mais c'était suffisant pour que ça tienne cette identité. Et que ça me conforte en me disant que j'étais capable de tenir ce jeu de violoniste et que si je fermais cette boîte, c'était moi qui allais le décider. Pas ce chirurgien qui m'avait détruit. Et donc, on reprend le cours de son destin. Même si, effectivement, il change. Tout d'un coup, on a un peu cette sensation de... de façonner son existence.

  • Speaker #1

    C'était La Petite Musique du Cerveau, un podcast de SACEM Université. Merci à Sol Ray, à Béatrice Sauvageau, au professeur Hervé Platel. Merci aussi à Studio Time pour la prise de son et la réalisation. Dans le prochain épisode, on ira dans une crèche qui fonde son projet d'éveil sur la musique. Je vous dis à bientôt !

Chapters

  • Introduction à l'histoire de Solrey

    00:07

  • L'accident et ses conséquences

    00:14

  • La rééducation musicale de Solrey

    00:37

  • La méthode de Béatrice Sauvageau

    03:00

  • Neuroplasticité et réhabilitation par la musique

    07:03

  • Retour sur scène et le pouvoir de la musique

    16:33

Description

Suite à une opération au cerveau, la violoniste Dominique Lemonnier dite Solrey perd l’usage de sa main gauche. 

Dans cet épisode, elle raconte l’histoire de sa rééducation par la musique qui lui a permis de reprendre le cours de son destin et de renouer avec son violon.

Avec Dominique Lemonnier dite Solrey, violoniste, Béatrice Sauvageot, orthophoniste et Hervé Platel, neuropsychologue et professeur à l’Université de Caen. Les extraits musicaux sont tirés de l’album Divine Féminin avec l’aimable autorisation de l’artiste.


Un podcast de Sacem Université et France Musique - 2021


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    L'AFSASM Université présente la petite musique du cerveau. Je m'appelle Dominique Lemoynier, dite Sol Ray. Mon histoire est celle-là, comment aujourd'hui je vis et je traverse ma vie d'artiste, de musicienne, en ayant perdu l'usage d'une main gauche de violoniste.

  • Speaker #1

    Une vie entière dédiée à la musique qui bascule en quelques heures. Sol Ray est violoniste. Elle l'a toujours été. En janvier 2010, suite à un anévrisme, elle subit une opération au cerveau. L'opération tourne au drame. Sol Ray se réveille hémiplégique du bras gauche, hébété, à moitié morte comme elle le raconte, avec une mémoire en lambeaux. Un naufrage, mais pas une fatalité, parce que comme Sol Ray le découvrira au fur et à mesure de sa rééducation, sa planche de salut, elle l'avait déjà à sa portée. C'est grâce à la musique que Sol Ray est revenu au monde. a retrouvé sa vie et même son violon. Nous nous sommes rencontrés chez elle et elle a accepté de me raconter son histoire.

  • Speaker #2

    Vous êtes violoniste depuis toujours, en fait. Vous avez commencé la musique très très tôt.

  • Speaker #0

    Oui, c'est d'ailleurs ce qui m'a sauvée. Le fait d'avoir commencé la musique à trois ans, j'étais plus à l'aise dans la langue musicale que dans la langue maternelle. Donc en fait, ma langue maternelle, on peut dire que c'est la musique. J'avais une mère pianiste. Et donc elle m'a mis au piano, à l'apprentissage de la lecture de la musique. Et puis je n'avais pas une passion forte pour cet instrument. Et le jour où je devais passer mon examen à 6 ans pour rentrer au conservatoire au piano, j'ai vraiment entendu le violon d'une manière très très proche, comme ça dans les couloirs. Je suis même rentrée dans la salle, je me souviens, de la professeure de violon qui donnait ses cours. Et j'ai dit à ma mère, écoute, moi je ne veux pas passer l'examen de piano, je veux faire du violon. Et quelques jours après, j'ai arrêté le piano pour le violon.

  • Speaker #2

    Soleray, vous avez donc commencé très tôt. Vous racontez que toute la vie de violoniste se passe un petit peu en accéléré. Donc vous avez très tôt commencé à jouer en semi-professionnel.

  • Speaker #0

    Oui, très tôt. Je me souviens d'avoir tout de suite commencé mes concerts à peu près à 11 ans. Et ensuite, dans ma ville d'origine à Caen, Et dès l'âge de 13 ans et 14 ans, je jouais en soliste, des concertos de Bach, des concertos de Vivaldi, tout ça après l'école. C'est-à-dire que je ne faisais pas de cours par correspondance. Et d'ailleurs, j'en remercie beaucoup ma mère de m'avoir laissée dans un cursus normal jusqu'au baccalauréat. Ça aussi, je pense, m'a servi après mon accident. C'est-à-dire que déjà, j'avais un apprentissage multiple.

  • Speaker #2

    Donc vous continuez à jouer, vous professionnalisez.

  • Speaker #0

    J'ai fait mes études de violoniste, je suis partie aux Etats-Unis, j'ai joué dans beaucoup d'orchestres, des formations de chambres symphoniques. Et ensuite, j'ai créé un ensemble qui s'appelle le Trafic Quintet. Mais c'est vrai qu'en tant que violoniste, j'avais déjà développé beaucoup de styles de musique. J'ai appris le tango, j'ai appris le zygane, j'ai fait beaucoup d'expériences avec le théâtre. et quand j'ai créé le Trafic Quintet C'était vraiment pour répondre finalement à toutes ces envies que j'avais de réunir toutes ces musiques et que la musique était en correspondance avec les autres arts et particulièrement visuel.

  • Speaker #2

    Je voulais justement qu'on vienne jusqu'à cette étape-là qui est votre ensemble et votre activité de concertiste, de musicienne active sur scène, parce qu'effectivement cet ensemble a joué un rôle primordial. Après votre accident, est-ce qu'on peut revenir un instant maintenant sur ce qui est arrivé avec cette opération que vous avez subie en 2010 ?

  • Speaker #0

    En 2010, j'ai donc fait une récidive d'un névrisme. Je suis retournée voir mon chirurgien qui m'avait, dix ans plus tôt, sauvé la vie. Donc je suis partie d'une manière très confiante sur cette opération, même si je craignais, puisque c'est une opération toujours extrêmement délicate. Eh bien écoutez, cette opération a été un fiasco, comme on peut dire, qui a duré très très longtemps, 9 heures. Et je suis sortie, je n'avais plus de bras gauche, plus de mémoire, et j'étais très très très abîmée. Finalement, je ne suis pas morte, et je suis rentrée chez moi. complètement perdue avec cette main et ce bras que je portais avec la main droite. Donc la première chose que j'ai faite... C'était d'appeler mon kinésie qui s'occupait de moi en tant que violoniste. Vous savez, quand on est violoniste, on a toujours mal partout, aux coudes, aux poignets. Donc elle est venue et elle m'a fait une prothèse pour que ma main ne se rétracte pas trop.

  • Speaker #2

    En fait, vous êtes sortie hémiplégique de la gauche. Oui,

  • Speaker #0

    voilà. Et puis j'ai convoqué mes musiciens du Trafic Quintet. Et là, je leur ai annoncé que c'était fini. Je ne savais pas si je reprendrais un jour le violon. Voilà, c'était une fatalité tragique. C'est là que mon ami Anne Villette, qui tenait le second violon dans l'ensemble, m'a dit « mais tu dois aller voir Béatrice Chauvageau » . Et puis finalement aussi, mon chirurgien a pris conscience que ça ne reviendrait pas tout seul, parce qu'un mois plus tard, c'était toujours dans le même état, même pire. Donc il m'a fait entrer aux Invalides. J'ai commencé des séances de rééducation chaque jour. Et en fait, c'est devenu comme mes gammes au violon. Je voyais la... La limitation de cette rééducation. Et puis moi, je voyais surtout que mon violon, il était toujours là, dans sa boîte, et que personne ne pouvait l'ouvrir. Et au bout de trois semaines, je suis allée voir Béatrice, en plus des Invalides. Et là, Béatrice a eu son premier coup de génie, c'est qu'elle m'a dit, mais où est votre violon ? Je dis, mais mon violon, il y a longtemps qu'il est... au placard. Elle me dit, mais vous êtes viloniste, non ? Je dis, oui. Alors, vous allez le chercher, puis vous revenez.

  • Speaker #2

    Béatrice, vous voulez bien vous présenter ? Je voudrais une réaction par rapport à ça, parce qu'effectivement, on dit déjà que le cerveau du musicien est un cerveau qui est particulier.

  • Speaker #3

    Tout à fait. Donc, Béatrice Sauvageau, je suis orthophoniste, je fais aussi de la neuropsychologie et ma grande spécialité, c'est la relation et surtout les musiciens qui ont eu des troubles, des lésions ou des traumatismes ou des AVC et on confond le cerveau du musicien avec le fait d'être musicien. C'est le cerveau cognitif par excellence. On ne peut pas apprendre si les zones qui touchent le cerveau du musicien dans toute la tête sont atteintes. On ne peut rien apprendre, même pas ouvrir une fenêtre. C'est-à-dire que moi, j'ai complètement créé. les outils pour Sol Ray.

  • Speaker #2

    Justement, donc on est parti, vous êtes parti de cette idée de reconnecter Sol Ray avec son instrument, évidemment, alors qu'elle était complètement sortie de cette logique-là par peur de ne pas le pouvoir...

  • Speaker #3

    Il faut sortir le violon même si la main ne peut pas l'attraper.

  • Speaker #0

    Voilà. Et en fait, c'est ça, au départ de la méthode de Béatrice, ça a été de dire, mais tu es violoniste, tu dois absolument revenir avec ton violon, je ne veux même pas te voir sans ton violon. Donc la première chose qu'elle a faite, c'est effectivement de l'ouvrir et de constater les dégâts. Je ne pouvais même pas tenir le manche de mon violon, puisque je ne pouvais pas ouvrir mes doigts pour attraper les cordes. Donc c'était pour moi, bien sûr, des pleurs. Mais en même temps, je crois qu'il y a une chose aussi qui sauve, quand on part comme ça sur une exploration, une expédition, qui va durer cinq ans, que les lésions neurologiques ne vous font pas souffrir physiquement. Ce qui fait souffrir, c'est l'imprégnation. Il faut comprendre que c'est une rééducation de concentration et d'improvisation.

  • Speaker #2

    Béatrice, comment s'est déroulé finalement ce fil ? Comment vous avez procédé pour reconnecter Soleray avec son violon ?

  • Speaker #3

    On a vu qu'il y avait ce qui était visible de la paralysie. Ce qui était invisible de la paralysie intérieure, et aussi ce qu'on appelle la nosognosie, c'est-à-dire une méconnaissance de soleraie de certains troubles. C'est très compliqué parce qu'il ne fallait pas du tout la décourager.

  • Speaker #0

    Par exemple, une chose qui m'a beaucoup marquée, c'est que la première fois que j'ai réouvert mon violon, au bout d'un mois, un mois et demi en fait, je n'avais donc pas de main gauche, mais j'avais une main droite. et donc Béatrice, elle, elle a sauté sur le fait que j'y me restais une main droite et que j'avais un son et que ce son y sortait. Et que donc j'étais toujours violoniste et que ce son, il allait m'alimenter puisque j'avais encore un archet. Et en plus, l'archet a toujours été ma qualité. Et donc... On s'est appuyé, j'avais l'impression d'avoir une béquille sur laquelle tu me disais « Mais appuie-toi sur l'archer, appuie-toi sur l'archer ! » Et en fait, je jouais en libérant cette main gauche, en m'appuyant sur l'archer. J'avais un son de plus en plus énorme, tellement cet archer était pris en otage pour libérer le côté gauche. Donc déjà, il y a eu cette conscience-là.

  • Speaker #3

    Et après, il y a eu un travail neurologique. on va dire, de travailler en manuel, me concernant, c'est-à-dire plonger dans le cerveau, voir ce qui était atteint, créer des neurones, donc on a vraiment créé de la neurogénèse, ouvrir des synapses qui passaient juste à côté et ouvrir des chemins neurologiques à l'infini en ne sachant pas ce qu'on allait en faire. C'est-à-dire qu'à chaque séance, il fallait qu'il y ait du progrès. Moi, je n'arrêtais pas de faire des exercices extrêmement compliqués. extrêmement...

  • Speaker #2

    Il y avait même des exercices de prosody que vous racontez dans votre texte. Donc, vous avez fait le lien avec le langage, effectivement.

  • Speaker #3

    Absolument. Surtout, il fallait stimuler toutes les parties du cerveau. Trouver comment se servir des neurones miroirs, les rendre beaucoup plus actifs pour qu'il y ait une espèce d'imitation,

  • Speaker #1

    réflexe.

  • Speaker #2

    Ah oui, on va s'accrocher sur les neurones miroirs. Vous avez profité finalement des enregistrements que vous avez...

  • Speaker #0

    Moi, j'avais des films d'avant. J'avais des enregistrements d'avant, donc j'ai beaucoup travaillé sur moi-même. Je n'étais pas très confiante avec cette opération. Et donc j'avais enregistré cet album, la Divine Féminin, juste avant l'opération. Quasiment la majeure partie. Donc effectivement, je me réentendais, je me revoyais, je réintégrais cette image. violoniste que j'avais été et aussi d'une manière concomitante avec Béatrice, elle n'avait de cesse de me repositionner en permanence dans mon rôle. Et après, elle m'intégrait aussi aux exercices de dyspraxie. Puis j'avais aussi pas mal de dysarthrie. Donc, il était bien d'avoir aussi travaillé à la prosodie.

  • Speaker #3

    C'est des troubles articulatoires liés à la paralysie, en fait.

  • Speaker #2

    Qui sont très souvent, effectivement, une des conséquences des lésions cérébrales.

  • Speaker #3

    Absolument, qui sont là souvent, comme les trous de mémoire.

  • Speaker #0

    Il faut quand même comprendre que quand on est hymiplégique, on n'est certainement pas qu'hymiplégique. On a la mémoire immédiate qui est totalement effacée, on a des sauts d'humeur.

  • Speaker #3

    On a la dysarthrie.

  • Speaker #0

    On n'arrive pas à dormir.

  • Speaker #3

    On a une anxiété au-delà du réel, puisqu'on sort de la mort. et on n'est pas on n'est pas loin d'y retourner.

  • Speaker #1

    Ce drame personnel que décrit Soleray, c'est le drame que partagent de nombreuses personnes victimes des lésions cérébrales. Pour vous donner une idée, 5000 personnes, majoritairement les femmes, sont victimes d'un anévrisme, 150 000 d'un AVC tous les ans en France. Les conséquences peuvent être à degrés variés. Des problèmes auteurs, de langage, des problèmes sensoriels, intellectuels, émotionnels, mais ils ont fatalement un impact considérable sur la qualité de vie et plonge de nombreuses personnes et leurs familles dans une souffrance profonde. La bonne nouvelle, c'est que la musique jouée ou seulement écoutée intéresse en tant qu'approche thérapeutique de plus en plus de chercheurs. Et l'idée n'est pas nouvelle. Les méthodes de rééducation des personnes cérébralisées par la musique existent depuis les années 1970 et notamment dans la rééducation des personnes aphasiques à retrouver la parole. Autre bonne nouvelle, c'est que ça marche aussi bien avec les musiciens qu'avec les non-musiciens. Mais comment la musique peut-elle façonner un cerveau endommagé ? J'ai posé la question au neuropsychologue Hervé Platel, professeur à l'université de Caen.

  • Speaker #4

    Alors en fait, il y a essentiellement de la reconfiguration grâce à la neuroplasticité parce que, évidemment, là où il n'y a plus de neurones, on ne va pas recréer de la matière cérébrale là où il n'y en a plus. Donc, ce qui se passe, c'est essentiellement, sur ces phénomènes de récupération, des phénomènes de reconfiguration au pourtour des lésions. C'est là où, en général, chez les patients, il y a le plus d'efficacité. Chez des patients qu'on va qualifier d'experts, notamment des musiciens de haut niveau, donc là on a des phénomènes de neuroplasticité un peu particuliers parce que c'était déjà ce cerveau de musicien qui est atteint. Eh bien, on va avoir une atteinte dans un cerveau déjà configuré de manière particulière. Cet effet d'entraînement, il est très important dans le phénomène de neuroplasticité de réhabilitation. Et donc, sans doute qu'il y a des leviers. en termes de réhabilitation qui sont différents de ce qu'on peut utiliser avec des patients qui n'ont pas cette expertise, mais même avec des patients qui n'ont pas une expertise musicale. La musique a cette faculté de stimuler de larges réseaux du cerveau, et notamment des réseaux en lien avec la motricité, etc. Il y a beaucoup de travaux qui ont été faits et qui montrent que la simple écoute de la musique, leur récupération, sur un certain nombre d'index de performances, notamment d'attention, de concentration, mais aussi sur l'humeur, la baisse de la dépression, de l'anxiété, et plus rapide que chez des patients à qui on propose d'autres types d'interventions, notamment qui est simplement la lecture ou l'écoute de livres. Donc la musique a un pouvoir mobilisateur d'entraînement au niveau des circuits cérébraux assez large. et Pour le coup, on s'aperçoit à quel point, dans la prise en charge clinique, la musique va être vraiment un levier par lequel on va pouvoir stimuler de nombreux circuits. La perception, la motricité, la mémoire, c'est presque miraculeux.

  • Speaker #1

    Tout est dit, mais la musique dans l'histoire de Sol Ray n'a pas encore dit son dernier mot. Nous fermons à présent la parenthèse scientifique pour retrouver Sol Ray et Béatrice Sauvageau sur leur chemin de la rééducation par le violon.

  • Speaker #0

    Au début, moi j'avais les doigts attachés sur un bar pour pouvoir déceler quels doigts allaient bouger. Et donc petit à petit, j'ai commencé à pouvoir toucher l'accord de mi, et puis l'accord de la, puis l'accord de ré, puis l'accord de sol. Au fur et à mesure, tous les doigts se reconnaissaient un petit peu, c'était très flou, c'était très lent, mais c'est vrai que l'univers sonore devenait de plus en plus riche à chaque fois. Oui !

  • Speaker #2

    Mais ce qu'on n'a pas dit, vous aviez dit moi, parce qu'il y avait une échéance et il y avait un concert.

  • Speaker #3

    Ah oui, alors nous, on est comme ça. C'est-à-dire qu'on a triché. Moi, j'ai dit au cerveau, écoute, tu vas oublier que tu as l'âge que tu as et que tu as eu une opération, parce que depuis que tu es petit, tu sais jouer du violon. Donc, pour la scène, tu vas jouer du violon en trichant. Et là, Soleray, elle a dit oui. J'ai utilisé toutes les zones du cerveau qui fonctionnaient et qui pouvaient jouer du violon à un concert devant le public et ne plus jouer le lendemain parce que la main était paralysée. Allons prendre ce qui fonctionne et ramenons-le au premier plan, ayons le plaisir de la scène et de retrouver, oui je suis violoniste, c'est mon quintet et j'ai du public et je suis à ma place. Et après on retourne au charbon, on retourne à la mine après. Il me fallait des dates, parce que s'il n'y avait pas de date, on ne pouvait pas aller à un résultat.

  • Speaker #0

    Effectivement, il s'est passé dix mois avant que je retourne sur scène au Bouffes du Nord. On avait un engagement avant l'opération. On avait ce disque avant l'opération. Et en fait, pendant les dix mois, Béatrice d'abord m'a forcé à n'en parler à personne. Donc je n'ai pas pu dire aux producteurs de disques que j'étais paralysée et que je ne pourrais pas faire de concert de promotion. Et donc on a sorti le disque, j'étais la violoniste Dominique Lemoynier, puis voilà, personne n'était au courant. Et au Bouffe du Nord non plus. Et ce soir-là, il y avait beaucoup beaucoup de moments où je ne savais même pas s'il le doit aller y aller, s'il allait réagir, s'il n'allait pas se fatiguer. Aussi de cette pression qu'on lui mettait pendant une heure et quart. Mais c'est à ce moment-là que réellement la musique prend son sens dans cette relation cerveau et musique. C'est que ce soir-là, mes musiciens savaient que j'étais dans une situation extrêmement dangereuse. Et ils m'ont accompagnée d'une manière fabuleuse en me prenant comme si j'étais dans un... Comme si j'étais dans un berceau, c'est-à-dire dès qu'ils sentaient que mon son faiblissait, ils reprenaient, ils étaient dans une écoute extrême de ce qui pouvait se passer. Et moi, j'étais tellement portée par ce qui se passait, par l'écoute. Finalement, tout s'est bien passé et tout paraissait comme avant.

  • Speaker #3

    Parce que quand on est dans la musique et qu'on est en train de l'entendre et de la jouer, ce qu'a dit Sol Ray est primordial. on a envie d'y retourner.

  • Speaker #0

    Ce voyage qu'on a fait ensemble pendant cinq ans a permis, au bout de cinq ans... Alors que je refaisais des concerts, on a fait des nouveaux spectacles, on a réenregistré un nouveau disque, on est allé quand même très loin, dans une fatigue extrême. J'étais devenue vraiment une violoniste laborieuse, ce que je n'étais pas du tout avant. Donc travailler 6 heures, 8 heures pour préparer un concert, me peinait vraiment et ne me satisfaisait pas, ne pouvait pas correspondre à une vie future. Donc j'ai fait ça pendant des années, poussée par Béatrice, parce qu'elle devait estimer qu'il n'était pas temps de refermer cette boîte de violon pour aller explorer d'autres univers artistiques. Donc j'ai persisté, concerts, disques, nouveaux spectacles, jusqu'en 2015. Et en 2015, j'ai arrêté cet état de forcenat, et qu'elle m'a autorisée à... à lâcher du lest, à me reposer. Tout ça était prêt pour que finalement j'accepte cette perte, parce que c'est une perte, et que j'explore d'autres champs artistiques. Évidemment, en gardant la musique comme étant l'axe central absolu de toutes mes inspirations. Et effectivement, le fait d'avoir fait tout ce parcours en ponctuant Chaque quelques mois, des concerts. Mais c'était suffisant pour que ça tienne cette identité. Et que ça me conforte en me disant que j'étais capable de tenir ce jeu de violoniste et que si je fermais cette boîte, c'était moi qui allais le décider. Pas ce chirurgien qui m'avait détruit. Et donc, on reprend le cours de son destin. Même si, effectivement, il change. Tout d'un coup, on a un peu cette sensation de... de façonner son existence.

  • Speaker #1

    C'était La Petite Musique du Cerveau, un podcast de SACEM Université. Merci à Sol Ray, à Béatrice Sauvageau, au professeur Hervé Platel. Merci aussi à Studio Time pour la prise de son et la réalisation. Dans le prochain épisode, on ira dans une crèche qui fonde son projet d'éveil sur la musique. Je vous dis à bientôt !

Chapters

  • Introduction à l'histoire de Solrey

    00:07

  • L'accident et ses conséquences

    00:14

  • La rééducation musicale de Solrey

    00:37

  • La méthode de Béatrice Sauvageau

    03:00

  • Neuroplasticité et réhabilitation par la musique

    07:03

  • Retour sur scène et le pouvoir de la musique

    16:33

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Description

Suite à une opération au cerveau, la violoniste Dominique Lemonnier dite Solrey perd l’usage de sa main gauche. 

Dans cet épisode, elle raconte l’histoire de sa rééducation par la musique qui lui a permis de reprendre le cours de son destin et de renouer avec son violon.

Avec Dominique Lemonnier dite Solrey, violoniste, Béatrice Sauvageot, orthophoniste et Hervé Platel, neuropsychologue et professeur à l’Université de Caen. Les extraits musicaux sont tirés de l’album Divine Féminin avec l’aimable autorisation de l’artiste.


Un podcast de Sacem Université et France Musique - 2021


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    L'AFSASM Université présente la petite musique du cerveau. Je m'appelle Dominique Lemoynier, dite Sol Ray. Mon histoire est celle-là, comment aujourd'hui je vis et je traverse ma vie d'artiste, de musicienne, en ayant perdu l'usage d'une main gauche de violoniste.

  • Speaker #1

    Une vie entière dédiée à la musique qui bascule en quelques heures. Sol Ray est violoniste. Elle l'a toujours été. En janvier 2010, suite à un anévrisme, elle subit une opération au cerveau. L'opération tourne au drame. Sol Ray se réveille hémiplégique du bras gauche, hébété, à moitié morte comme elle le raconte, avec une mémoire en lambeaux. Un naufrage, mais pas une fatalité, parce que comme Sol Ray le découvrira au fur et à mesure de sa rééducation, sa planche de salut, elle l'avait déjà à sa portée. C'est grâce à la musique que Sol Ray est revenu au monde. a retrouvé sa vie et même son violon. Nous nous sommes rencontrés chez elle et elle a accepté de me raconter son histoire.

  • Speaker #2

    Vous êtes violoniste depuis toujours, en fait. Vous avez commencé la musique très très tôt.

  • Speaker #0

    Oui, c'est d'ailleurs ce qui m'a sauvée. Le fait d'avoir commencé la musique à trois ans, j'étais plus à l'aise dans la langue musicale que dans la langue maternelle. Donc en fait, ma langue maternelle, on peut dire que c'est la musique. J'avais une mère pianiste. Et donc elle m'a mis au piano, à l'apprentissage de la lecture de la musique. Et puis je n'avais pas une passion forte pour cet instrument. Et le jour où je devais passer mon examen à 6 ans pour rentrer au conservatoire au piano, j'ai vraiment entendu le violon d'une manière très très proche, comme ça dans les couloirs. Je suis même rentrée dans la salle, je me souviens, de la professeure de violon qui donnait ses cours. Et j'ai dit à ma mère, écoute, moi je ne veux pas passer l'examen de piano, je veux faire du violon. Et quelques jours après, j'ai arrêté le piano pour le violon.

  • Speaker #2

    Soleray, vous avez donc commencé très tôt. Vous racontez que toute la vie de violoniste se passe un petit peu en accéléré. Donc vous avez très tôt commencé à jouer en semi-professionnel.

  • Speaker #0

    Oui, très tôt. Je me souviens d'avoir tout de suite commencé mes concerts à peu près à 11 ans. Et ensuite, dans ma ville d'origine à Caen, Et dès l'âge de 13 ans et 14 ans, je jouais en soliste, des concertos de Bach, des concertos de Vivaldi, tout ça après l'école. C'est-à-dire que je ne faisais pas de cours par correspondance. Et d'ailleurs, j'en remercie beaucoup ma mère de m'avoir laissée dans un cursus normal jusqu'au baccalauréat. Ça aussi, je pense, m'a servi après mon accident. C'est-à-dire que déjà, j'avais un apprentissage multiple.

  • Speaker #2

    Donc vous continuez à jouer, vous professionnalisez.

  • Speaker #0

    J'ai fait mes études de violoniste, je suis partie aux Etats-Unis, j'ai joué dans beaucoup d'orchestres, des formations de chambres symphoniques. Et ensuite, j'ai créé un ensemble qui s'appelle le Trafic Quintet. Mais c'est vrai qu'en tant que violoniste, j'avais déjà développé beaucoup de styles de musique. J'ai appris le tango, j'ai appris le zygane, j'ai fait beaucoup d'expériences avec le théâtre. et quand j'ai créé le Trafic Quintet C'était vraiment pour répondre finalement à toutes ces envies que j'avais de réunir toutes ces musiques et que la musique était en correspondance avec les autres arts et particulièrement visuel.

  • Speaker #2

    Je voulais justement qu'on vienne jusqu'à cette étape-là qui est votre ensemble et votre activité de concertiste, de musicienne active sur scène, parce qu'effectivement cet ensemble a joué un rôle primordial. Après votre accident, est-ce qu'on peut revenir un instant maintenant sur ce qui est arrivé avec cette opération que vous avez subie en 2010 ?

  • Speaker #0

    En 2010, j'ai donc fait une récidive d'un névrisme. Je suis retournée voir mon chirurgien qui m'avait, dix ans plus tôt, sauvé la vie. Donc je suis partie d'une manière très confiante sur cette opération, même si je craignais, puisque c'est une opération toujours extrêmement délicate. Eh bien écoutez, cette opération a été un fiasco, comme on peut dire, qui a duré très très longtemps, 9 heures. Et je suis sortie, je n'avais plus de bras gauche, plus de mémoire, et j'étais très très très abîmée. Finalement, je ne suis pas morte, et je suis rentrée chez moi. complètement perdue avec cette main et ce bras que je portais avec la main droite. Donc la première chose que j'ai faite... C'était d'appeler mon kinésie qui s'occupait de moi en tant que violoniste. Vous savez, quand on est violoniste, on a toujours mal partout, aux coudes, aux poignets. Donc elle est venue et elle m'a fait une prothèse pour que ma main ne se rétracte pas trop.

  • Speaker #2

    En fait, vous êtes sortie hémiplégique de la gauche. Oui,

  • Speaker #0

    voilà. Et puis j'ai convoqué mes musiciens du Trafic Quintet. Et là, je leur ai annoncé que c'était fini. Je ne savais pas si je reprendrais un jour le violon. Voilà, c'était une fatalité tragique. C'est là que mon ami Anne Villette, qui tenait le second violon dans l'ensemble, m'a dit « mais tu dois aller voir Béatrice Chauvageau » . Et puis finalement aussi, mon chirurgien a pris conscience que ça ne reviendrait pas tout seul, parce qu'un mois plus tard, c'était toujours dans le même état, même pire. Donc il m'a fait entrer aux Invalides. J'ai commencé des séances de rééducation chaque jour. Et en fait, c'est devenu comme mes gammes au violon. Je voyais la... La limitation de cette rééducation. Et puis moi, je voyais surtout que mon violon, il était toujours là, dans sa boîte, et que personne ne pouvait l'ouvrir. Et au bout de trois semaines, je suis allée voir Béatrice, en plus des Invalides. Et là, Béatrice a eu son premier coup de génie, c'est qu'elle m'a dit, mais où est votre violon ? Je dis, mais mon violon, il y a longtemps qu'il est... au placard. Elle me dit, mais vous êtes viloniste, non ? Je dis, oui. Alors, vous allez le chercher, puis vous revenez.

  • Speaker #2

    Béatrice, vous voulez bien vous présenter ? Je voudrais une réaction par rapport à ça, parce qu'effectivement, on dit déjà que le cerveau du musicien est un cerveau qui est particulier.

  • Speaker #3

    Tout à fait. Donc, Béatrice Sauvageau, je suis orthophoniste, je fais aussi de la neuropsychologie et ma grande spécialité, c'est la relation et surtout les musiciens qui ont eu des troubles, des lésions ou des traumatismes ou des AVC et on confond le cerveau du musicien avec le fait d'être musicien. C'est le cerveau cognitif par excellence. On ne peut pas apprendre si les zones qui touchent le cerveau du musicien dans toute la tête sont atteintes. On ne peut rien apprendre, même pas ouvrir une fenêtre. C'est-à-dire que moi, j'ai complètement créé. les outils pour Sol Ray.

  • Speaker #2

    Justement, donc on est parti, vous êtes parti de cette idée de reconnecter Sol Ray avec son instrument, évidemment, alors qu'elle était complètement sortie de cette logique-là par peur de ne pas le pouvoir...

  • Speaker #3

    Il faut sortir le violon même si la main ne peut pas l'attraper.

  • Speaker #0

    Voilà. Et en fait, c'est ça, au départ de la méthode de Béatrice, ça a été de dire, mais tu es violoniste, tu dois absolument revenir avec ton violon, je ne veux même pas te voir sans ton violon. Donc la première chose qu'elle a faite, c'est effectivement de l'ouvrir et de constater les dégâts. Je ne pouvais même pas tenir le manche de mon violon, puisque je ne pouvais pas ouvrir mes doigts pour attraper les cordes. Donc c'était pour moi, bien sûr, des pleurs. Mais en même temps, je crois qu'il y a une chose aussi qui sauve, quand on part comme ça sur une exploration, une expédition, qui va durer cinq ans, que les lésions neurologiques ne vous font pas souffrir physiquement. Ce qui fait souffrir, c'est l'imprégnation. Il faut comprendre que c'est une rééducation de concentration et d'improvisation.

  • Speaker #2

    Béatrice, comment s'est déroulé finalement ce fil ? Comment vous avez procédé pour reconnecter Soleray avec son violon ?

  • Speaker #3

    On a vu qu'il y avait ce qui était visible de la paralysie. Ce qui était invisible de la paralysie intérieure, et aussi ce qu'on appelle la nosognosie, c'est-à-dire une méconnaissance de soleraie de certains troubles. C'est très compliqué parce qu'il ne fallait pas du tout la décourager.

  • Speaker #0

    Par exemple, une chose qui m'a beaucoup marquée, c'est que la première fois que j'ai réouvert mon violon, au bout d'un mois, un mois et demi en fait, je n'avais donc pas de main gauche, mais j'avais une main droite. et donc Béatrice, elle, elle a sauté sur le fait que j'y me restais une main droite et que j'avais un son et que ce son y sortait. Et que donc j'étais toujours violoniste et que ce son, il allait m'alimenter puisque j'avais encore un archet. Et en plus, l'archet a toujours été ma qualité. Et donc... On s'est appuyé, j'avais l'impression d'avoir une béquille sur laquelle tu me disais « Mais appuie-toi sur l'archer, appuie-toi sur l'archer ! » Et en fait, je jouais en libérant cette main gauche, en m'appuyant sur l'archer. J'avais un son de plus en plus énorme, tellement cet archer était pris en otage pour libérer le côté gauche. Donc déjà, il y a eu cette conscience-là.

  • Speaker #3

    Et après, il y a eu un travail neurologique. on va dire, de travailler en manuel, me concernant, c'est-à-dire plonger dans le cerveau, voir ce qui était atteint, créer des neurones, donc on a vraiment créé de la neurogénèse, ouvrir des synapses qui passaient juste à côté et ouvrir des chemins neurologiques à l'infini en ne sachant pas ce qu'on allait en faire. C'est-à-dire qu'à chaque séance, il fallait qu'il y ait du progrès. Moi, je n'arrêtais pas de faire des exercices extrêmement compliqués. extrêmement...

  • Speaker #2

    Il y avait même des exercices de prosody que vous racontez dans votre texte. Donc, vous avez fait le lien avec le langage, effectivement.

  • Speaker #3

    Absolument. Surtout, il fallait stimuler toutes les parties du cerveau. Trouver comment se servir des neurones miroirs, les rendre beaucoup plus actifs pour qu'il y ait une espèce d'imitation,

  • Speaker #1

    réflexe.

  • Speaker #2

    Ah oui, on va s'accrocher sur les neurones miroirs. Vous avez profité finalement des enregistrements que vous avez...

  • Speaker #0

    Moi, j'avais des films d'avant. J'avais des enregistrements d'avant, donc j'ai beaucoup travaillé sur moi-même. Je n'étais pas très confiante avec cette opération. Et donc j'avais enregistré cet album, la Divine Féminin, juste avant l'opération. Quasiment la majeure partie. Donc effectivement, je me réentendais, je me revoyais, je réintégrais cette image. violoniste que j'avais été et aussi d'une manière concomitante avec Béatrice, elle n'avait de cesse de me repositionner en permanence dans mon rôle. Et après, elle m'intégrait aussi aux exercices de dyspraxie. Puis j'avais aussi pas mal de dysarthrie. Donc, il était bien d'avoir aussi travaillé à la prosodie.

  • Speaker #3

    C'est des troubles articulatoires liés à la paralysie, en fait.

  • Speaker #2

    Qui sont très souvent, effectivement, une des conséquences des lésions cérébrales.

  • Speaker #3

    Absolument, qui sont là souvent, comme les trous de mémoire.

  • Speaker #0

    Il faut quand même comprendre que quand on est hymiplégique, on n'est certainement pas qu'hymiplégique. On a la mémoire immédiate qui est totalement effacée, on a des sauts d'humeur.

  • Speaker #3

    On a la dysarthrie.

  • Speaker #0

    On n'arrive pas à dormir.

  • Speaker #3

    On a une anxiété au-delà du réel, puisqu'on sort de la mort. et on n'est pas on n'est pas loin d'y retourner.

  • Speaker #1

    Ce drame personnel que décrit Soleray, c'est le drame que partagent de nombreuses personnes victimes des lésions cérébrales. Pour vous donner une idée, 5000 personnes, majoritairement les femmes, sont victimes d'un anévrisme, 150 000 d'un AVC tous les ans en France. Les conséquences peuvent être à degrés variés. Des problèmes auteurs, de langage, des problèmes sensoriels, intellectuels, émotionnels, mais ils ont fatalement un impact considérable sur la qualité de vie et plonge de nombreuses personnes et leurs familles dans une souffrance profonde. La bonne nouvelle, c'est que la musique jouée ou seulement écoutée intéresse en tant qu'approche thérapeutique de plus en plus de chercheurs. Et l'idée n'est pas nouvelle. Les méthodes de rééducation des personnes cérébralisées par la musique existent depuis les années 1970 et notamment dans la rééducation des personnes aphasiques à retrouver la parole. Autre bonne nouvelle, c'est que ça marche aussi bien avec les musiciens qu'avec les non-musiciens. Mais comment la musique peut-elle façonner un cerveau endommagé ? J'ai posé la question au neuropsychologue Hervé Platel, professeur à l'université de Caen.

  • Speaker #4

    Alors en fait, il y a essentiellement de la reconfiguration grâce à la neuroplasticité parce que, évidemment, là où il n'y a plus de neurones, on ne va pas recréer de la matière cérébrale là où il n'y en a plus. Donc, ce qui se passe, c'est essentiellement, sur ces phénomènes de récupération, des phénomènes de reconfiguration au pourtour des lésions. C'est là où, en général, chez les patients, il y a le plus d'efficacité. Chez des patients qu'on va qualifier d'experts, notamment des musiciens de haut niveau, donc là on a des phénomènes de neuroplasticité un peu particuliers parce que c'était déjà ce cerveau de musicien qui est atteint. Eh bien, on va avoir une atteinte dans un cerveau déjà configuré de manière particulière. Cet effet d'entraînement, il est très important dans le phénomène de neuroplasticité de réhabilitation. Et donc, sans doute qu'il y a des leviers. en termes de réhabilitation qui sont différents de ce qu'on peut utiliser avec des patients qui n'ont pas cette expertise, mais même avec des patients qui n'ont pas une expertise musicale. La musique a cette faculté de stimuler de larges réseaux du cerveau, et notamment des réseaux en lien avec la motricité, etc. Il y a beaucoup de travaux qui ont été faits et qui montrent que la simple écoute de la musique, leur récupération, sur un certain nombre d'index de performances, notamment d'attention, de concentration, mais aussi sur l'humeur, la baisse de la dépression, de l'anxiété, et plus rapide que chez des patients à qui on propose d'autres types d'interventions, notamment qui est simplement la lecture ou l'écoute de livres. Donc la musique a un pouvoir mobilisateur d'entraînement au niveau des circuits cérébraux assez large. et Pour le coup, on s'aperçoit à quel point, dans la prise en charge clinique, la musique va être vraiment un levier par lequel on va pouvoir stimuler de nombreux circuits. La perception, la motricité, la mémoire, c'est presque miraculeux.

  • Speaker #1

    Tout est dit, mais la musique dans l'histoire de Sol Ray n'a pas encore dit son dernier mot. Nous fermons à présent la parenthèse scientifique pour retrouver Sol Ray et Béatrice Sauvageau sur leur chemin de la rééducation par le violon.

  • Speaker #0

    Au début, moi j'avais les doigts attachés sur un bar pour pouvoir déceler quels doigts allaient bouger. Et donc petit à petit, j'ai commencé à pouvoir toucher l'accord de mi, et puis l'accord de la, puis l'accord de ré, puis l'accord de sol. Au fur et à mesure, tous les doigts se reconnaissaient un petit peu, c'était très flou, c'était très lent, mais c'est vrai que l'univers sonore devenait de plus en plus riche à chaque fois. Oui !

  • Speaker #2

    Mais ce qu'on n'a pas dit, vous aviez dit moi, parce qu'il y avait une échéance et il y avait un concert.

  • Speaker #3

    Ah oui, alors nous, on est comme ça. C'est-à-dire qu'on a triché. Moi, j'ai dit au cerveau, écoute, tu vas oublier que tu as l'âge que tu as et que tu as eu une opération, parce que depuis que tu es petit, tu sais jouer du violon. Donc, pour la scène, tu vas jouer du violon en trichant. Et là, Soleray, elle a dit oui. J'ai utilisé toutes les zones du cerveau qui fonctionnaient et qui pouvaient jouer du violon à un concert devant le public et ne plus jouer le lendemain parce que la main était paralysée. Allons prendre ce qui fonctionne et ramenons-le au premier plan, ayons le plaisir de la scène et de retrouver, oui je suis violoniste, c'est mon quintet et j'ai du public et je suis à ma place. Et après on retourne au charbon, on retourne à la mine après. Il me fallait des dates, parce que s'il n'y avait pas de date, on ne pouvait pas aller à un résultat.

  • Speaker #0

    Effectivement, il s'est passé dix mois avant que je retourne sur scène au Bouffes du Nord. On avait un engagement avant l'opération. On avait ce disque avant l'opération. Et en fait, pendant les dix mois, Béatrice d'abord m'a forcé à n'en parler à personne. Donc je n'ai pas pu dire aux producteurs de disques que j'étais paralysée et que je ne pourrais pas faire de concert de promotion. Et donc on a sorti le disque, j'étais la violoniste Dominique Lemoynier, puis voilà, personne n'était au courant. Et au Bouffe du Nord non plus. Et ce soir-là, il y avait beaucoup beaucoup de moments où je ne savais même pas s'il le doit aller y aller, s'il allait réagir, s'il n'allait pas se fatiguer. Aussi de cette pression qu'on lui mettait pendant une heure et quart. Mais c'est à ce moment-là que réellement la musique prend son sens dans cette relation cerveau et musique. C'est que ce soir-là, mes musiciens savaient que j'étais dans une situation extrêmement dangereuse. Et ils m'ont accompagnée d'une manière fabuleuse en me prenant comme si j'étais dans un... Comme si j'étais dans un berceau, c'est-à-dire dès qu'ils sentaient que mon son faiblissait, ils reprenaient, ils étaient dans une écoute extrême de ce qui pouvait se passer. Et moi, j'étais tellement portée par ce qui se passait, par l'écoute. Finalement, tout s'est bien passé et tout paraissait comme avant.

  • Speaker #3

    Parce que quand on est dans la musique et qu'on est en train de l'entendre et de la jouer, ce qu'a dit Sol Ray est primordial. on a envie d'y retourner.

  • Speaker #0

    Ce voyage qu'on a fait ensemble pendant cinq ans a permis, au bout de cinq ans... Alors que je refaisais des concerts, on a fait des nouveaux spectacles, on a réenregistré un nouveau disque, on est allé quand même très loin, dans une fatigue extrême. J'étais devenue vraiment une violoniste laborieuse, ce que je n'étais pas du tout avant. Donc travailler 6 heures, 8 heures pour préparer un concert, me peinait vraiment et ne me satisfaisait pas, ne pouvait pas correspondre à une vie future. Donc j'ai fait ça pendant des années, poussée par Béatrice, parce qu'elle devait estimer qu'il n'était pas temps de refermer cette boîte de violon pour aller explorer d'autres univers artistiques. Donc j'ai persisté, concerts, disques, nouveaux spectacles, jusqu'en 2015. Et en 2015, j'ai arrêté cet état de forcenat, et qu'elle m'a autorisée à... à lâcher du lest, à me reposer. Tout ça était prêt pour que finalement j'accepte cette perte, parce que c'est une perte, et que j'explore d'autres champs artistiques. Évidemment, en gardant la musique comme étant l'axe central absolu de toutes mes inspirations. Et effectivement, le fait d'avoir fait tout ce parcours en ponctuant Chaque quelques mois, des concerts. Mais c'était suffisant pour que ça tienne cette identité. Et que ça me conforte en me disant que j'étais capable de tenir ce jeu de violoniste et que si je fermais cette boîte, c'était moi qui allais le décider. Pas ce chirurgien qui m'avait détruit. Et donc, on reprend le cours de son destin. Même si, effectivement, il change. Tout d'un coup, on a un peu cette sensation de... de façonner son existence.

  • Speaker #1

    C'était La Petite Musique du Cerveau, un podcast de SACEM Université. Merci à Sol Ray, à Béatrice Sauvageau, au professeur Hervé Platel. Merci aussi à Studio Time pour la prise de son et la réalisation. Dans le prochain épisode, on ira dans une crèche qui fonde son projet d'éveil sur la musique. Je vous dis à bientôt !

Chapters

  • Introduction à l'histoire de Solrey

    00:07

  • L'accident et ses conséquences

    00:14

  • La rééducation musicale de Solrey

    00:37

  • La méthode de Béatrice Sauvageau

    03:00

  • Neuroplasticité et réhabilitation par la musique

    07:03

  • Retour sur scène et le pouvoir de la musique

    16:33

Description

Suite à une opération au cerveau, la violoniste Dominique Lemonnier dite Solrey perd l’usage de sa main gauche. 

Dans cet épisode, elle raconte l’histoire de sa rééducation par la musique qui lui a permis de reprendre le cours de son destin et de renouer avec son violon.

Avec Dominique Lemonnier dite Solrey, violoniste, Béatrice Sauvageot, orthophoniste et Hervé Platel, neuropsychologue et professeur à l’Université de Caen. Les extraits musicaux sont tirés de l’album Divine Féminin avec l’aimable autorisation de l’artiste.


Un podcast de Sacem Université et France Musique - 2021


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    L'AFSASM Université présente la petite musique du cerveau. Je m'appelle Dominique Lemoynier, dite Sol Ray. Mon histoire est celle-là, comment aujourd'hui je vis et je traverse ma vie d'artiste, de musicienne, en ayant perdu l'usage d'une main gauche de violoniste.

  • Speaker #1

    Une vie entière dédiée à la musique qui bascule en quelques heures. Sol Ray est violoniste. Elle l'a toujours été. En janvier 2010, suite à un anévrisme, elle subit une opération au cerveau. L'opération tourne au drame. Sol Ray se réveille hémiplégique du bras gauche, hébété, à moitié morte comme elle le raconte, avec une mémoire en lambeaux. Un naufrage, mais pas une fatalité, parce que comme Sol Ray le découvrira au fur et à mesure de sa rééducation, sa planche de salut, elle l'avait déjà à sa portée. C'est grâce à la musique que Sol Ray est revenu au monde. a retrouvé sa vie et même son violon. Nous nous sommes rencontrés chez elle et elle a accepté de me raconter son histoire.

  • Speaker #2

    Vous êtes violoniste depuis toujours, en fait. Vous avez commencé la musique très très tôt.

  • Speaker #0

    Oui, c'est d'ailleurs ce qui m'a sauvée. Le fait d'avoir commencé la musique à trois ans, j'étais plus à l'aise dans la langue musicale que dans la langue maternelle. Donc en fait, ma langue maternelle, on peut dire que c'est la musique. J'avais une mère pianiste. Et donc elle m'a mis au piano, à l'apprentissage de la lecture de la musique. Et puis je n'avais pas une passion forte pour cet instrument. Et le jour où je devais passer mon examen à 6 ans pour rentrer au conservatoire au piano, j'ai vraiment entendu le violon d'une manière très très proche, comme ça dans les couloirs. Je suis même rentrée dans la salle, je me souviens, de la professeure de violon qui donnait ses cours. Et j'ai dit à ma mère, écoute, moi je ne veux pas passer l'examen de piano, je veux faire du violon. Et quelques jours après, j'ai arrêté le piano pour le violon.

  • Speaker #2

    Soleray, vous avez donc commencé très tôt. Vous racontez que toute la vie de violoniste se passe un petit peu en accéléré. Donc vous avez très tôt commencé à jouer en semi-professionnel.

  • Speaker #0

    Oui, très tôt. Je me souviens d'avoir tout de suite commencé mes concerts à peu près à 11 ans. Et ensuite, dans ma ville d'origine à Caen, Et dès l'âge de 13 ans et 14 ans, je jouais en soliste, des concertos de Bach, des concertos de Vivaldi, tout ça après l'école. C'est-à-dire que je ne faisais pas de cours par correspondance. Et d'ailleurs, j'en remercie beaucoup ma mère de m'avoir laissée dans un cursus normal jusqu'au baccalauréat. Ça aussi, je pense, m'a servi après mon accident. C'est-à-dire que déjà, j'avais un apprentissage multiple.

  • Speaker #2

    Donc vous continuez à jouer, vous professionnalisez.

  • Speaker #0

    J'ai fait mes études de violoniste, je suis partie aux Etats-Unis, j'ai joué dans beaucoup d'orchestres, des formations de chambres symphoniques. Et ensuite, j'ai créé un ensemble qui s'appelle le Trafic Quintet. Mais c'est vrai qu'en tant que violoniste, j'avais déjà développé beaucoup de styles de musique. J'ai appris le tango, j'ai appris le zygane, j'ai fait beaucoup d'expériences avec le théâtre. et quand j'ai créé le Trafic Quintet C'était vraiment pour répondre finalement à toutes ces envies que j'avais de réunir toutes ces musiques et que la musique était en correspondance avec les autres arts et particulièrement visuel.

  • Speaker #2

    Je voulais justement qu'on vienne jusqu'à cette étape-là qui est votre ensemble et votre activité de concertiste, de musicienne active sur scène, parce qu'effectivement cet ensemble a joué un rôle primordial. Après votre accident, est-ce qu'on peut revenir un instant maintenant sur ce qui est arrivé avec cette opération que vous avez subie en 2010 ?

  • Speaker #0

    En 2010, j'ai donc fait une récidive d'un névrisme. Je suis retournée voir mon chirurgien qui m'avait, dix ans plus tôt, sauvé la vie. Donc je suis partie d'une manière très confiante sur cette opération, même si je craignais, puisque c'est une opération toujours extrêmement délicate. Eh bien écoutez, cette opération a été un fiasco, comme on peut dire, qui a duré très très longtemps, 9 heures. Et je suis sortie, je n'avais plus de bras gauche, plus de mémoire, et j'étais très très très abîmée. Finalement, je ne suis pas morte, et je suis rentrée chez moi. complètement perdue avec cette main et ce bras que je portais avec la main droite. Donc la première chose que j'ai faite... C'était d'appeler mon kinésie qui s'occupait de moi en tant que violoniste. Vous savez, quand on est violoniste, on a toujours mal partout, aux coudes, aux poignets. Donc elle est venue et elle m'a fait une prothèse pour que ma main ne se rétracte pas trop.

  • Speaker #2

    En fait, vous êtes sortie hémiplégique de la gauche. Oui,

  • Speaker #0

    voilà. Et puis j'ai convoqué mes musiciens du Trafic Quintet. Et là, je leur ai annoncé que c'était fini. Je ne savais pas si je reprendrais un jour le violon. Voilà, c'était une fatalité tragique. C'est là que mon ami Anne Villette, qui tenait le second violon dans l'ensemble, m'a dit « mais tu dois aller voir Béatrice Chauvageau » . Et puis finalement aussi, mon chirurgien a pris conscience que ça ne reviendrait pas tout seul, parce qu'un mois plus tard, c'était toujours dans le même état, même pire. Donc il m'a fait entrer aux Invalides. J'ai commencé des séances de rééducation chaque jour. Et en fait, c'est devenu comme mes gammes au violon. Je voyais la... La limitation de cette rééducation. Et puis moi, je voyais surtout que mon violon, il était toujours là, dans sa boîte, et que personne ne pouvait l'ouvrir. Et au bout de trois semaines, je suis allée voir Béatrice, en plus des Invalides. Et là, Béatrice a eu son premier coup de génie, c'est qu'elle m'a dit, mais où est votre violon ? Je dis, mais mon violon, il y a longtemps qu'il est... au placard. Elle me dit, mais vous êtes viloniste, non ? Je dis, oui. Alors, vous allez le chercher, puis vous revenez.

  • Speaker #2

    Béatrice, vous voulez bien vous présenter ? Je voudrais une réaction par rapport à ça, parce qu'effectivement, on dit déjà que le cerveau du musicien est un cerveau qui est particulier.

  • Speaker #3

    Tout à fait. Donc, Béatrice Sauvageau, je suis orthophoniste, je fais aussi de la neuropsychologie et ma grande spécialité, c'est la relation et surtout les musiciens qui ont eu des troubles, des lésions ou des traumatismes ou des AVC et on confond le cerveau du musicien avec le fait d'être musicien. C'est le cerveau cognitif par excellence. On ne peut pas apprendre si les zones qui touchent le cerveau du musicien dans toute la tête sont atteintes. On ne peut rien apprendre, même pas ouvrir une fenêtre. C'est-à-dire que moi, j'ai complètement créé. les outils pour Sol Ray.

  • Speaker #2

    Justement, donc on est parti, vous êtes parti de cette idée de reconnecter Sol Ray avec son instrument, évidemment, alors qu'elle était complètement sortie de cette logique-là par peur de ne pas le pouvoir...

  • Speaker #3

    Il faut sortir le violon même si la main ne peut pas l'attraper.

  • Speaker #0

    Voilà. Et en fait, c'est ça, au départ de la méthode de Béatrice, ça a été de dire, mais tu es violoniste, tu dois absolument revenir avec ton violon, je ne veux même pas te voir sans ton violon. Donc la première chose qu'elle a faite, c'est effectivement de l'ouvrir et de constater les dégâts. Je ne pouvais même pas tenir le manche de mon violon, puisque je ne pouvais pas ouvrir mes doigts pour attraper les cordes. Donc c'était pour moi, bien sûr, des pleurs. Mais en même temps, je crois qu'il y a une chose aussi qui sauve, quand on part comme ça sur une exploration, une expédition, qui va durer cinq ans, que les lésions neurologiques ne vous font pas souffrir physiquement. Ce qui fait souffrir, c'est l'imprégnation. Il faut comprendre que c'est une rééducation de concentration et d'improvisation.

  • Speaker #2

    Béatrice, comment s'est déroulé finalement ce fil ? Comment vous avez procédé pour reconnecter Soleray avec son violon ?

  • Speaker #3

    On a vu qu'il y avait ce qui était visible de la paralysie. Ce qui était invisible de la paralysie intérieure, et aussi ce qu'on appelle la nosognosie, c'est-à-dire une méconnaissance de soleraie de certains troubles. C'est très compliqué parce qu'il ne fallait pas du tout la décourager.

  • Speaker #0

    Par exemple, une chose qui m'a beaucoup marquée, c'est que la première fois que j'ai réouvert mon violon, au bout d'un mois, un mois et demi en fait, je n'avais donc pas de main gauche, mais j'avais une main droite. et donc Béatrice, elle, elle a sauté sur le fait que j'y me restais une main droite et que j'avais un son et que ce son y sortait. Et que donc j'étais toujours violoniste et que ce son, il allait m'alimenter puisque j'avais encore un archet. Et en plus, l'archet a toujours été ma qualité. Et donc... On s'est appuyé, j'avais l'impression d'avoir une béquille sur laquelle tu me disais « Mais appuie-toi sur l'archer, appuie-toi sur l'archer ! » Et en fait, je jouais en libérant cette main gauche, en m'appuyant sur l'archer. J'avais un son de plus en plus énorme, tellement cet archer était pris en otage pour libérer le côté gauche. Donc déjà, il y a eu cette conscience-là.

  • Speaker #3

    Et après, il y a eu un travail neurologique. on va dire, de travailler en manuel, me concernant, c'est-à-dire plonger dans le cerveau, voir ce qui était atteint, créer des neurones, donc on a vraiment créé de la neurogénèse, ouvrir des synapses qui passaient juste à côté et ouvrir des chemins neurologiques à l'infini en ne sachant pas ce qu'on allait en faire. C'est-à-dire qu'à chaque séance, il fallait qu'il y ait du progrès. Moi, je n'arrêtais pas de faire des exercices extrêmement compliqués. extrêmement...

  • Speaker #2

    Il y avait même des exercices de prosody que vous racontez dans votre texte. Donc, vous avez fait le lien avec le langage, effectivement.

  • Speaker #3

    Absolument. Surtout, il fallait stimuler toutes les parties du cerveau. Trouver comment se servir des neurones miroirs, les rendre beaucoup plus actifs pour qu'il y ait une espèce d'imitation,

  • Speaker #1

    réflexe.

  • Speaker #2

    Ah oui, on va s'accrocher sur les neurones miroirs. Vous avez profité finalement des enregistrements que vous avez...

  • Speaker #0

    Moi, j'avais des films d'avant. J'avais des enregistrements d'avant, donc j'ai beaucoup travaillé sur moi-même. Je n'étais pas très confiante avec cette opération. Et donc j'avais enregistré cet album, la Divine Féminin, juste avant l'opération. Quasiment la majeure partie. Donc effectivement, je me réentendais, je me revoyais, je réintégrais cette image. violoniste que j'avais été et aussi d'une manière concomitante avec Béatrice, elle n'avait de cesse de me repositionner en permanence dans mon rôle. Et après, elle m'intégrait aussi aux exercices de dyspraxie. Puis j'avais aussi pas mal de dysarthrie. Donc, il était bien d'avoir aussi travaillé à la prosodie.

  • Speaker #3

    C'est des troubles articulatoires liés à la paralysie, en fait.

  • Speaker #2

    Qui sont très souvent, effectivement, une des conséquences des lésions cérébrales.

  • Speaker #3

    Absolument, qui sont là souvent, comme les trous de mémoire.

  • Speaker #0

    Il faut quand même comprendre que quand on est hymiplégique, on n'est certainement pas qu'hymiplégique. On a la mémoire immédiate qui est totalement effacée, on a des sauts d'humeur.

  • Speaker #3

    On a la dysarthrie.

  • Speaker #0

    On n'arrive pas à dormir.

  • Speaker #3

    On a une anxiété au-delà du réel, puisqu'on sort de la mort. et on n'est pas on n'est pas loin d'y retourner.

  • Speaker #1

    Ce drame personnel que décrit Soleray, c'est le drame que partagent de nombreuses personnes victimes des lésions cérébrales. Pour vous donner une idée, 5000 personnes, majoritairement les femmes, sont victimes d'un anévrisme, 150 000 d'un AVC tous les ans en France. Les conséquences peuvent être à degrés variés. Des problèmes auteurs, de langage, des problèmes sensoriels, intellectuels, émotionnels, mais ils ont fatalement un impact considérable sur la qualité de vie et plonge de nombreuses personnes et leurs familles dans une souffrance profonde. La bonne nouvelle, c'est que la musique jouée ou seulement écoutée intéresse en tant qu'approche thérapeutique de plus en plus de chercheurs. Et l'idée n'est pas nouvelle. Les méthodes de rééducation des personnes cérébralisées par la musique existent depuis les années 1970 et notamment dans la rééducation des personnes aphasiques à retrouver la parole. Autre bonne nouvelle, c'est que ça marche aussi bien avec les musiciens qu'avec les non-musiciens. Mais comment la musique peut-elle façonner un cerveau endommagé ? J'ai posé la question au neuropsychologue Hervé Platel, professeur à l'université de Caen.

  • Speaker #4

    Alors en fait, il y a essentiellement de la reconfiguration grâce à la neuroplasticité parce que, évidemment, là où il n'y a plus de neurones, on ne va pas recréer de la matière cérébrale là où il n'y en a plus. Donc, ce qui se passe, c'est essentiellement, sur ces phénomènes de récupération, des phénomènes de reconfiguration au pourtour des lésions. C'est là où, en général, chez les patients, il y a le plus d'efficacité. Chez des patients qu'on va qualifier d'experts, notamment des musiciens de haut niveau, donc là on a des phénomènes de neuroplasticité un peu particuliers parce que c'était déjà ce cerveau de musicien qui est atteint. Eh bien, on va avoir une atteinte dans un cerveau déjà configuré de manière particulière. Cet effet d'entraînement, il est très important dans le phénomène de neuroplasticité de réhabilitation. Et donc, sans doute qu'il y a des leviers. en termes de réhabilitation qui sont différents de ce qu'on peut utiliser avec des patients qui n'ont pas cette expertise, mais même avec des patients qui n'ont pas une expertise musicale. La musique a cette faculté de stimuler de larges réseaux du cerveau, et notamment des réseaux en lien avec la motricité, etc. Il y a beaucoup de travaux qui ont été faits et qui montrent que la simple écoute de la musique, leur récupération, sur un certain nombre d'index de performances, notamment d'attention, de concentration, mais aussi sur l'humeur, la baisse de la dépression, de l'anxiété, et plus rapide que chez des patients à qui on propose d'autres types d'interventions, notamment qui est simplement la lecture ou l'écoute de livres. Donc la musique a un pouvoir mobilisateur d'entraînement au niveau des circuits cérébraux assez large. et Pour le coup, on s'aperçoit à quel point, dans la prise en charge clinique, la musique va être vraiment un levier par lequel on va pouvoir stimuler de nombreux circuits. La perception, la motricité, la mémoire, c'est presque miraculeux.

  • Speaker #1

    Tout est dit, mais la musique dans l'histoire de Sol Ray n'a pas encore dit son dernier mot. Nous fermons à présent la parenthèse scientifique pour retrouver Sol Ray et Béatrice Sauvageau sur leur chemin de la rééducation par le violon.

  • Speaker #0

    Au début, moi j'avais les doigts attachés sur un bar pour pouvoir déceler quels doigts allaient bouger. Et donc petit à petit, j'ai commencé à pouvoir toucher l'accord de mi, et puis l'accord de la, puis l'accord de ré, puis l'accord de sol. Au fur et à mesure, tous les doigts se reconnaissaient un petit peu, c'était très flou, c'était très lent, mais c'est vrai que l'univers sonore devenait de plus en plus riche à chaque fois. Oui !

  • Speaker #2

    Mais ce qu'on n'a pas dit, vous aviez dit moi, parce qu'il y avait une échéance et il y avait un concert.

  • Speaker #3

    Ah oui, alors nous, on est comme ça. C'est-à-dire qu'on a triché. Moi, j'ai dit au cerveau, écoute, tu vas oublier que tu as l'âge que tu as et que tu as eu une opération, parce que depuis que tu es petit, tu sais jouer du violon. Donc, pour la scène, tu vas jouer du violon en trichant. Et là, Soleray, elle a dit oui. J'ai utilisé toutes les zones du cerveau qui fonctionnaient et qui pouvaient jouer du violon à un concert devant le public et ne plus jouer le lendemain parce que la main était paralysée. Allons prendre ce qui fonctionne et ramenons-le au premier plan, ayons le plaisir de la scène et de retrouver, oui je suis violoniste, c'est mon quintet et j'ai du public et je suis à ma place. Et après on retourne au charbon, on retourne à la mine après. Il me fallait des dates, parce que s'il n'y avait pas de date, on ne pouvait pas aller à un résultat.

  • Speaker #0

    Effectivement, il s'est passé dix mois avant que je retourne sur scène au Bouffes du Nord. On avait un engagement avant l'opération. On avait ce disque avant l'opération. Et en fait, pendant les dix mois, Béatrice d'abord m'a forcé à n'en parler à personne. Donc je n'ai pas pu dire aux producteurs de disques que j'étais paralysée et que je ne pourrais pas faire de concert de promotion. Et donc on a sorti le disque, j'étais la violoniste Dominique Lemoynier, puis voilà, personne n'était au courant. Et au Bouffe du Nord non plus. Et ce soir-là, il y avait beaucoup beaucoup de moments où je ne savais même pas s'il le doit aller y aller, s'il allait réagir, s'il n'allait pas se fatiguer. Aussi de cette pression qu'on lui mettait pendant une heure et quart. Mais c'est à ce moment-là que réellement la musique prend son sens dans cette relation cerveau et musique. C'est que ce soir-là, mes musiciens savaient que j'étais dans une situation extrêmement dangereuse. Et ils m'ont accompagnée d'une manière fabuleuse en me prenant comme si j'étais dans un... Comme si j'étais dans un berceau, c'est-à-dire dès qu'ils sentaient que mon son faiblissait, ils reprenaient, ils étaient dans une écoute extrême de ce qui pouvait se passer. Et moi, j'étais tellement portée par ce qui se passait, par l'écoute. Finalement, tout s'est bien passé et tout paraissait comme avant.

  • Speaker #3

    Parce que quand on est dans la musique et qu'on est en train de l'entendre et de la jouer, ce qu'a dit Sol Ray est primordial. on a envie d'y retourner.

  • Speaker #0

    Ce voyage qu'on a fait ensemble pendant cinq ans a permis, au bout de cinq ans... Alors que je refaisais des concerts, on a fait des nouveaux spectacles, on a réenregistré un nouveau disque, on est allé quand même très loin, dans une fatigue extrême. J'étais devenue vraiment une violoniste laborieuse, ce que je n'étais pas du tout avant. Donc travailler 6 heures, 8 heures pour préparer un concert, me peinait vraiment et ne me satisfaisait pas, ne pouvait pas correspondre à une vie future. Donc j'ai fait ça pendant des années, poussée par Béatrice, parce qu'elle devait estimer qu'il n'était pas temps de refermer cette boîte de violon pour aller explorer d'autres univers artistiques. Donc j'ai persisté, concerts, disques, nouveaux spectacles, jusqu'en 2015. Et en 2015, j'ai arrêté cet état de forcenat, et qu'elle m'a autorisée à... à lâcher du lest, à me reposer. Tout ça était prêt pour que finalement j'accepte cette perte, parce que c'est une perte, et que j'explore d'autres champs artistiques. Évidemment, en gardant la musique comme étant l'axe central absolu de toutes mes inspirations. Et effectivement, le fait d'avoir fait tout ce parcours en ponctuant Chaque quelques mois, des concerts. Mais c'était suffisant pour que ça tienne cette identité. Et que ça me conforte en me disant que j'étais capable de tenir ce jeu de violoniste et que si je fermais cette boîte, c'était moi qui allais le décider. Pas ce chirurgien qui m'avait détruit. Et donc, on reprend le cours de son destin. Même si, effectivement, il change. Tout d'un coup, on a un peu cette sensation de... de façonner son existence.

  • Speaker #1

    C'était La Petite Musique du Cerveau, un podcast de SACEM Université. Merci à Sol Ray, à Béatrice Sauvageau, au professeur Hervé Platel. Merci aussi à Studio Time pour la prise de son et la réalisation. Dans le prochain épisode, on ira dans une crèche qui fonde son projet d'éveil sur la musique. Je vous dis à bientôt !

Chapters

  • Introduction à l'histoire de Solrey

    00:07

  • L'accident et ses conséquences

    00:14

  • La rééducation musicale de Solrey

    00:37

  • La méthode de Béatrice Sauvageau

    03:00

  • Neuroplasticité et réhabilitation par la musique

    07:03

  • Retour sur scène et le pouvoir de la musique

    16:33

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