- Speaker #0
Sacem Université présente « La petite musique du cerveau » .
- Speaker #1
Je te fais changer de poids d'un côté à l'autre, et c'est de changer avec moi. Même côté, même côté. Tu es moi.
- Speaker #0
Dans l'épisode précédent, nous avons parlé de l'importance du rythme dans l'apprentissage de la langue maternelle chez les bébés, et comment la musique peut y jouer un rôle. Aujourd'hui, il sera question du rythme, de nouveau, mais nous irons à l'autre extrême de la vie humaine. La petite musique du cerveau vous raconte comment la musique, ou plus précisément la musique dansée, soigne les personnes atteintes de la maladie de Parkinson. En général, la première chose que l'on remarque chez la personne malade, ce sont les tremblements involontaires. Or, la maladie de Parkinson est beaucoup plus que cela. Qu'est-ce qu'on en sait ? Tout d'abord, c'est une maladie neurodégénérative. Elle est chronique et progressive et fait disparaître, petit à petit, certains types de neurones dans le cerveau. Les neurones à dopamine impliqués dans le contrôle du mouvement. Petit à petit, la personne touchée perd ses fonctions moteurs. Elle a du mal à initier le mouvement, à marcher, à tenir en équilibre. Son corps se rédit. Il peut y avoir des difficultés d'élocution et une posture corporelle qui se modifie complètement. Tout cela affecte sa vie quotidienne, sociale, professionnelle, intime. En gros, sa qualité de vie est très très impactée. Et de plus en plus, bien sûr. au fur et à mesure de la progression de la maladie. Quelques chiffres maintenant. La maladie de Parkinson est en expansion. Au-delà de 65 ans, elle touche 160 personnes sur 100 000, un chiffre qui va doubler d'ici 2030 à cause du vieillissement de la population. Il y a plus d'un million deux cent mille personnes malades en Europe, environ 200 000 en France, avec en moyenne 25 000 nouveaux cas diagnostiqués par an. Autant dire que c'est un vrai défi de santé publique parce que pour l'instant, Aucun traitement ne permet d'en guérir. Les médicaments existent, mais ne peuvent que retarder la dégénérescence neurologique avec des effets secondaires très lourds. Donc, la médecine cherche et se tourne de plus en plus vers les traitements alternatifs. Ils n'ont pas d'effet secondaire, ils sont plaisants et agréables et coûtent le plus souvent moins cher. Et c'est ainsi que depuis une petite dizaine d'années, on découvre en France la danse-thérapie. Difficile d'imaginer qu'une personne qui a du mal à marcher puissent de nouveau danser. Pourtant, c'est ce qui se passe, et c'est même sur ordonnance du neurologue. Ce neurologue, c'est Emmanuel Flamanrose, professeur à la faculté de médecine Pierre et Marie Curie, et chef de service de la neurologie à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Depuis deux ans, avec une équipe de collaborateurs, il milite pour la pérennisation des ateliers de danse-thérapie pour les malades de Parkinson. On l'écoute.
- Speaker #2
Effectivement, l'utilisation de la danse-thérapie est relativement récente, c'est quelque chose qui est fait depuis plus longtemps, par exemple au Canada ou aux États-Unis. Mais en Europe, ça fait, on va dire, 5 à 10 ans, on commence à s'intéresser aux bénéfices que peut apporter la danse dans la prise en charge quotidienne, régulière, des patients atteints de maladies dégénératives.
- Speaker #0
Peut-être que ce serait intéressant si vous pouviez, en quelques mots, nous présenter les symptômes et les conséquences de la maladie de Parkinson. De façon simple, c'est quoi en fait la maladie de Parkinson ?
- Speaker #2
Dans la maladie de Parkinson, les symptômes les plus fréquents sont l'arrêt du corps, la lenteur des mouvements et les tremblements. Alors on peut avoir un seul de ces symptômes ou en combiner plusieurs. Puis en plus de ça, il y a une dimension qui dépasse le cadre de la motricité puisqu'on a tendance à être un petit peu déprimé, un petit peu apathique quand on a une maladie de Parkinson. et donc ça vient compléter le tableau moteur.
- Speaker #0
On peut être frappé à n'importe quel âge, ce qui est surprenant en fait. On peut être malade de Parkinson même étant assez jeune.
- Speaker #2
Il existe effectivement des formes de maladies de Parkinson qui peuvent débuter très jeunes, y compris dans l'adolescence. Et ça peut, c'est bien sûr pas le plus fréquent, mais ça peut survenir à n'importe quel âge de la vie, à partir de l'adolescence et jusqu'à une vieillesse assez avancée.
- Speaker #0
Est-ce qu'on en meurt ou on peut vivre assez longtemps avec cette maladie tout en améliorant sa qualité de vie ?
- Speaker #2
La maladie de Parkinson n'est pas une maladie dont on meurt parce qu'elle ne touche pas les organes vitaux. Donc il y a une tendance naturelle à l'aggravation très lentement progressive. Mais en tout cas pendant un temps assez long, on peut lutter contre l'aggravation des symptômes et puis l'impact sur la qualité de vie, à la fois avec... des médicaments, mais aussi avec des techniques de rééducation non médicamenteuses, dont la danse.
- Speaker #0
Alors vous-même, vous êtes certainement convaincu, puisque vous menez un certain nombre d'initiatives dans ce sens. Pourquoi vous y croyez-vous ? Qu'est-ce qui vous motive personnellement ?
- Speaker #2
Je pense que la danse réunit beaucoup de choses qui peuvent avoir un intérêt pour nos patients atteints de maladies de Parkinson. La démedicalisation de la prise en charge, puisque à partir du moment où le cours de danse commence, on a en face de nous des danseurs, ils ne sont plus des patients. Ce sont des danseurs qu'on aide à faire des mouvements, à les rendre le plus intéressant, le plus créatif possible. Ensuite, il y a des similitudes entre le danseur et le parkinsonien. Le danseur, son objectif, c'est de savoir comment se mouvoir d'un point A à un point B de la façon la plus gracieuse. Pour le patient qui a une maladie de Parkinson, c'est un peu différent. Lui, ce qu'il essaie de faire, c'est de se mouvoir de la façon la plus efficace dans son quotidien. Mais finalement, les deux sont intéressés par la même chose. Comment je vais faire pour bouger de la meilleure façon possible ? L'un pour être efficace, l'autre pour être gracieux. Donc déjà c'est un énorme point commun. Et puis ensuite si on s'intéresse à la position du prof de danse ou du chorégraphe, lui ce qu'il essaye de faire c'est d'imaginer quelle est la façon la plus harmonieuse, la plus artistique pour aller du point A au point B, mais il peut aussi être finalement le meilleur expert pour aider le patient avec sa maladie à bouger efficacement, à faire ses mouvements efficacement. Et puis ensuite, qu'est-ce qu'on fait quand on danse ? On améliore sa souplesse, on améliore son équilibre. Ça, ce n'est pas lié à la maladie, c'est intrinsèque. On fait aussi travailler ses capacités intellectuelles, parce qu'il faut mémoriser la séquence de pas. Donc on travaille sa planification, puis c'est quelque chose de joyeux. Quand on danse, il y a de la musique, et le fait même d'entourer le cerveau de musique, ça libère les neurotransmetteurs. C'est quelque chose de très efficace pour le bien-être. Et l'impression qu'on a, c'est que lorsque les gens dansent régulièrement, ils sont moins déprimés et que c'est efficace aussi sur cette dimension psychologique. Et puis après, c'est une activité aussi qui permet énormément d'interaction pendant la danse et puis aussi un petit peu avant et après. Et ça, c'est aussi quelque chose de très positif parce que la maladie neurodégénérative a tendance à... entraîner les patients vers une sorte d'enfermement, un retrait social. Voilà pourquoi la danse.
- Speaker #0
Et oui, même si danser sur une musique a l'air simple, c'est en fait un processus très compliqué, comme vient de nous expliquer le professeur Flaman Rose. Mais si toutes les danses sont conseillées en fonction des goûts et des affinités des patients, il y en a une qui, moi, m'a semblé inaccessible en thérapie. Trop codifiée, trop technique, on la danse suspendue sur la pointe des pieds, Et chaque geste est contrôlé du début à la fin. C'est le tango argentin. Et donc, quand j'ai entendu parler des cours de tango argentin destinés aux personnes à handicap physique, je suis allée. Depuis six ans, ces cours ont lieu au centre André Malraux, dans le sixième arrondissement de Paris. C'est un ancien immeuble pierre de taille qui s'ouvre sur une cour. Je pousse la porte d'une salle au rez-de-chaussée d'où j'entends résonner un classique de Carlos Gardel. Ce qui m'attend à l'intérieur, c'est l'ambiance d'une milanga classique. les chaises disposées le long des murs et une petite dizaine de personnes qui marchent en couple sur le rythme de la musique. Ici, il n'y a ni médecin ni thérapeute et c'est Charlotte Miour, danseuse et professeure de tango, qui mène le bal.
- Speaker #3
Et on essaie de sentir qu'on a le poids du corps sur une jambe et que la jambe est forte, forte, forte, forte. Là, je peux me grandir en poussant le sol, je me grandis, je sens les muscles de ma cuisse, de mes mollets. Oui, continue. Et sur l'autre, j'ai un bon pouce et on se grandit. On se sent fort. Ouais, puissant. Je suis Charlotte Millour, professeure et danseuse de tango argentin. Je donne des cours particuliers et des cours qui sont dédiés à un public qui a un handicap physique. Et je n'identifie pas mes élèves comme des personnes différentes. J'enseigne pour tous ceux qui veulent apprendre. Nous sommes faussement égaux. Donc, j'adapte tous mes cours en fonction de la personne que j'ai en face. Vous avez vu ou vous vous rendez compte que nous avions des personnes qui souffraient de Parkinson, une autre personne qui a la sclérose en plaques, encore une autre qui a Usher, le syndrome de Usher. Donc, on adapte juste pour qu'ils puissent apprendre le tango et prendre un maximum de temps. Un maximum de plaisir pour pouvoir le danser, comme tout le monde.
- Speaker #0
Voilà, mon mari a la maladie de Parkinson depuis 15 ans. Et grâce à des amis, on a découvert ce cours. C'est la troisième fois qu'on vient. Ça a l'air très, très bien. C'est très fatigant, mais je pense que ça fait du bien pour lui. Vous voulez vous exprimer, monsieur, nous dire ce que ce cours vous apporte ?
- Speaker #2
J'en attends, en tout cas.
- Speaker #0
une amélioration au niveau de l'équilibre et des postures.
- Speaker #2
On souffre du dos.
- Speaker #0
Est-ce que ça vous demande un grand effort de vous concentrer pour vous redresser, pour maintenir une posture ?
- Speaker #2
C'est une lutte en continu. Et dès qu'on se relâche un peu, le corps se laisse à l'aise, ses pesanteurs.
- Speaker #3
Et je fais mon prochain pas, sans tomber avec mon corps.
- Speaker #0
Et la base de la danse-thérapie, c'est évidemment le rythme. Le tango, c'est en fait l'idéal. Sa pulsation à quatre temps est modérée et régulière et active automatiquement les circuits associés à la motricité dans notre cerveau. Quand on entend une musique, on a tout de suite envie de bouger. Notre cerveau se synchronise sur la musique, les pas s'allongent, la marche devient plus régulière, plus naturelle. Le corps se redresse et une bouffée de satisfaction vient récompenser les efforts. On est inondé dans d'orphines. un antidépresseur naturel. Du coup, on a envie de recommencer.
- Speaker #3
Regarde où tu vas, Dominique, t'es grande. T'es grande, t'es forte.
- Speaker #0
Je m'appelle Dominique, j'ai la maladie de Parkinson. 59 ans, ça fait 10 ans que je l'ai. Voilà, c'est une maladie qui est très invalidante. Un geste, pour nous, c'est difficile à faire. Même les bras, tout ça, c'est difficile. Jusqu'à maintenant, j'ai eu de la chance de ne pas tomber. d'avancer, de reculer, d'aller sur le côté, ça aide beaucoup. Et puis à se redresser parce qu'on a tendance à vouloir se faire petit. Essayer de se montrer un petit peu. On se sent bien ensemble. On n'a pas le regard des autres. Je dis bien. Pour le moral aussi.
- Speaker #3
L'intention vers l'autre, c'est mes mains. Mes mains me permettent de sentir son énergie. Vous avez tendance à être un petit peu raide et crispée en haut. Et en bas, c'est comme nous. Déconnectez de cette pression que vous avez là-haut. qui vous permet de sentir l'énergie. Alors maintenant, je sens cette énergie, je détends mes épaules et je vais aller traduire cette tension au niveau de l'abdomen pour avoir les pas qu'il me demande. L'amplitude, c'est lui qui me la donne. D'accord ? J'essaie de sentir cette relation dans mon corps comme une continuité.
- Speaker #1
Essayez de sentir qu'on pose ensemble. Je ne peux pas danser le tango. en faisant attention qu'à moi-même. C'est toujours l'intention vers l'autre, d'essayer de bouger ensemble. Je m'appelle Maximiliano Colussi. Je suis prof de tango argentin et de folklore argentin. Et ça fait deux ans et demi que je travaille avec Charlotte Millot, ma partenaire. Il y a des personnes qui nous accompagnent depuis deux ans, trois ans, même avant avec Charlotte. Et on commence à voir... plus de confiance aussi et aussi à comprendre un peu mieux leurs besoins. Donc, on a tout un travail de conscience corporelle. Et la deuxième partie du travail du cours, c'est de se connecter avec l'autre personne. On essaie de bouger ensemble avec l'autre personne et en musique. Ne me quitte pas des yeux.
- Speaker #0
C'est ça tes yeux ?
- Speaker #3
Ouais, tes yeux à toi, ne me quitte pas. Et maintenant, tu bouges comme je bouge.
- Speaker #0
Les chercheurs ont démontré que les effets de la danse-thérapie sur les malades parkinsoniens sont durables, notamment sur la marche, mais ces bénéfices vont même au-delà de la motricité. Mais qu'est-ce qui se passe en fait dans le cerveau pour que cette amélioration soit possible ? Comme nous l'expliquent les chercheurs, la synchronisation à l'écoute de la musique qui nous fait bouger active la région cérébrale impliquée dans la motricité. Et chez les personnes atteintes de la maladie de Parkinson, Cela permet d'activer un réseau neuronal secondaire. qui compensent le réseau moteur endommagé par la maladie.
- Speaker #3
J'entends beaucoup le discours de « je ne peux pas parce que mon corps ne veut pas » et quand je leur demande d'oublier leur corps et de se concentrer sur le plaisir de la danse, il y a des choses qui se libèrent chez eux. Je leur demande d'aller à leur maximum pour qu'ils puissent éprouver leur corps de nouveau avec leur puissance qu'ils ont encore et qu'ils ont peut-être mis de côté parce que la maladie, ça peut avoir un abattement psychologique fort et de remettre le corps en mouvement fait du bien. On ressent ses muscles, on ressent. ses appuis et on reprend une place physique dans l'espace et avec l'autre.
- Speaker #1
C'est clair, non ?
- Speaker #0
Je m'appelle Lydia et je viens accompagner mon mari Robin, il a un Parkinson, donc il a quelques difficultés d'élocution, quelques fois.
Ça fait longtemps que vous êtes malade, monsieur ?
Ça fait à peu près dix ans. Vous venez à ces cours depuis la deuxième année ?
Oui.
Vous sentez un réel bien-être ?
Le problème de l'équilibre, le problème du rythme, c'est sûr que ça m'apporte beaucoup de choses.
Donc, madame, vous venez danser avec lui.
Parce que ça me fait plaisir. Et puis, les cours sont super sympas. Il n'a pas manqué un seul cours. Sa posture, surtout le rythme, parce qu'il a perdu le sens du rythme. Et là, avec le tango... C'est tellement corporel, il arrive à récupérer un peu.
- Speaker #3
Yes, man !
- Speaker #0
Et pourquoi le tango, finalement ? Qu'est-ce que cette danse peut apporter, en l'occurrence, aux personnes malades ou en situation de handicap ?
- Speaker #3
En fait, on danse, mais on danse en général pas sur le silence, on danse sur la musique. Et on a décidé de danser le tango argentin. Et cette musique, elle doit nous aider. Elle nous porte. Et là, on essaye aussi, comme le tango argentin n'est pas culturel chez nous, donc donner des billes pour qu'ils comprennent la rythmique. pour qu'il puisse la mettre dans le corps et se déplacer et utiliser le rythme pour travailler cette suspension qui est exigeante dans la marche. Je mets mon pied d'appui au sol, comme ça l'autre jambe est en l'air et elle va aller jusqu'à un certain point. Quelle est ma distance, mon amplitude de pas maximale pour être dans ce temps-là ? Donc ça me donne une vitesse, ça me donne une rythmique intérieure très forte et ce rythme pourrait s'apparenter à un battement de cœur. Donc c'est quelque chose qui va me porter réellement.
- Speaker #1
Le numéro 1 est le numéro 2. Déjà, ça met en question un peu leur relation avec leur propre corps. Je ne parle pas comme thérapeute, je parle comme danseur et aussi de la très peu expérience que j'ai comme prof de tango avec des personnes avec un handicap physique. Je me rends compte qu'effectivement le tango leur aide beaucoup à travailler cette relation avec eux-mêmes d'abord. Parfois, ils sont plus patients avec la personne qui est face à eux et ils n'ont pas beaucoup de patience avec eux-mêmes. Donc déjà, ça, c'est un apprentissage énorme.
- Speaker #0
C'était La petite musique du cerveau, un podcast de SACEM Université. Merci à Emmanuel Flamand-Roze, Charlotte Millour, Maximiliano Colussi, Nydia, Dominique, Ruben et tous les autres danseurs. Merci à Studio Time pour la prise de son et la réalisation. Dans le prochain épisode, on sera avec un groupe de musique hors normes. À bientôt !