- Speaker #0
Bienvenue sur l'échange, le podcast qui donne la parole aux actrices et aux acteurs de la filière laitière et fromagère. Je suis Romain Le Gal et je vous propose aujourd'hui de partir en Franche-Comté à la découverte de la première AOP française. Je vous parle bien sûr du Comté. Pour ce faire, je me trouve à Lons-le-Saunier, pour être plus exact, à Montmoreau, chez le célèbre raffineur Rivoire et Jacquemin. Et nous avons la chance de passer un moment... avec Véronique Rivoire. Bonjour Véronique. Bonjour. Véronique, pour démarrer ce nouvel épisode, ce que je te propose dans un premier temps, c'est de te présenter et présenter Rivoire et Jacquemin.
- Speaker #1
Alors je suis Véronique Rivoire, je dirige l'entreprise Rivoire Jacquemin qui est une entreprise familiale depuis fin 1991, donc déjà plus de 30 ans. Et cette entreprise, j'en suis la cinquième génération, j'ai succédé à mon papa Jean-Louis Rivoire. Et puis, c'est une entreprise familiale qui est installée à Montmorot depuis 164 ans maintenant. Et voilà, c'est une vieille dame qui traverse les années, les épreuves, les moments fastes, avec pas mal de constance et de solidité. J'en suis très fière et très fière d'être un des maillons de son histoire.
- Speaker #0
Dans ton parcours, tu as un profil un petit peu particulier. Est-ce que tu n'as pas fait des études de fromager, fromagère ?
- Speaker #1
Oui, non. Mon papa m'avait dit que quand on aime ses enfants, on ne leur souhaite pas de faire ce métier. Pour vous dire que pourtant, c'était un passionné qui l'a fait pendant plus de 30 ans aussi. Et j'étais donc... Voilà, il m'avait dit, comme il avait dit à ma sœur, puisque nous étions deux sœurs... Ça n'est pas un métier féminin, c'est un métier difficile, c'est beaucoup de soucis et donc je vous offre les études que vous voulez et faites les études que vous voulez mais surtout pas promagères en fait.
- Speaker #0
Et donc ?
- Speaker #1
J'ai fait des études de droit, j'étais juriste, j'étais conseille juridique en entreprise, spécialisée en droit des affaires, j'ai exercé ça pendant 7 ans jusqu'à ce que ma foi, la vie me mette un petit peu devant un choix cornélien. J'ai choisi le fromage. J'ai passé outre l'interdiction paternelle. Pourtant, j'adorais mon papa. Et c'est peut-être parce que j'adorais mon papa que j'ai passé outre son interdiction.
- Speaker #0
Et du coup, quand tu étais jeune et enfant, tu étais quand même toujours bercée ?
- Speaker #1
Quand j'étais jeune et enfant, j'étais dans le métier, dans le bain, d'autant que mes parents ont divorcé. Et que donc, j'ai accompagné mon papa quand c'était son tour de garde. Dans son métier, j'ai rencontré beaucoup de personnes avec lesquelles il travaillait, ce qui m'a facilité la chose pour plus tard, sans que lui le sache et moi non plus d'ailleurs. Mais entre entendre parler d'un métier et le pratiquer soi-même, c'est vraiment deux choses bien différentes, je l'ai appris plus tard.
- Speaker #0
Et du coup, là, à Montmorot, tout à l'heure en préparant un peu l'interview, il y a des choses un peu particulières. Pourquoi Rivoire et Jacquemin s'est positionné ici ?
- Speaker #1
Alors pourquoi on est situé ici ? D'abord parce que c'est un nœud assez stratégique pour tout ce qui est transport, logistique, etc. Mon arrière-arrière-grand-père, donc un des fondateurs, était un colporteur et donc habitué à voyager et à emprunter les routes commerçantes.
- Speaker #0
Qu'est-ce que tu entends par colporteur ?
- Speaker #1
Un colporteur c'était ce qu'on appelle ici un grand valier, c'était à l'origine des gens originaires du... du Grand Vaud, d'une région où il y avait beaucoup de ces spécialistes qui partaient, qui travaillaient l'hiver dans leur ferme et qui partaient avec des charrettes pour vendre ce qu'ils avaient fabriqué pendant l'hiver, à la belle saison en fait. Donc mon arrière-arrière-grand-père n'était pas tout à fait du Grand Vaud, mais il a fait exactement ce métier de colporteur, il avait une charrette, on appelait ça des Grands Vallières. Il les chargeait avec des fûts, des mâts d'épicéa qui servaient de mâts pour les bateaux à voile. Il vendait aussi des objets fabriqués en corne, qui était un artisanat classique dans la région, des objets en bois aussi. Et donc, le long de sa route, il vendait tout ça, plus évidemment les fromages qu'on trouvait ici. Et puis, sur sa route, il a rencontré un commerçant qui s'appelait Rivoire, qui était dans la région de Mâcon.
- Speaker #0
Du coup, c'était la famille Jacquemin ?
- Speaker #1
Oui, Jacquemin du Jura et Rivoire de la région de Mâcon. Ils sont associés et comme ça se faisait classiquement au XIXe siècle, ils ont marié leurs enfants. Et donc, voilà l'histoire de l'association des deux noms, Rivoire et Jacquemin. Au début, c'était Jacquemin et Rivoire. Celui qui était à l'origine de l'histoire, c'était Alix Jacquemin, qui a rencontré François Rivoire. Ils ont marié leurs enfants et la fille était donc mon arrière-grand-mère, Eugénie Jacquemin. Et on a mis le nom du monsieur devant celui de la dame, parce que c'était comme ça que ça se pratiquait aussi à l'époque. L'origine, il n'y a plus de Jacquemin aujourd'hui, c'est un nom qui a disparu. qui a disparu dans notre branche, mais le nom est resté sur la façade de l'entreprise et sur sa dénomination sociale.
- Speaker #0
Et donc sur ce lieu-là aussi, on en parlera tout à l'heure, quelque chose de très important pour l'affinage, il y avait une particularité ?
- Speaker #1
Alors on avait les salines de Momoro, salines royales de Montmorot, qui étaient de l'autre côté de la route, et donc on se servait évidemment du sel qui était extrait de la terre à l'époque. Et puis de l'autre côté de l'entreprise, il y a la gare qui permettait après d'expédier les fromages lorsqu'ils étaient affinés et vendus. Donc on avait cette particularité d'avoir au niveau approvisionnement et après logistique d'expédition un très bon emplacement. Plus compliqué aujourd'hui, mais qui était l'origine de l'emplacement de cette entreprise.
- Speaker #0
Pour donner aux personnes qui nous écoutent et qui ne se rendent pas forcément compte... de ce que c'est Rivoire et Jacquemin. Est-ce que tu pourrais nous donner quelques chiffres ? Il y a combien de personnes qui travaillent dans l'entreprise ? C'est combien de meules en affinage qu'on se rende compte ?
- Speaker #1
Alors Rivoire Jacquemin c'est aujourd'hui la plus ancienne des entreprises d'affinage de Comté.
- Speaker #0
Il y en a combien sur la filière ?
- Speaker #1
Il y en a 13 à peu près. Donc on est oui effectivement la plus ancienne. C'est une entreprise qui n'est pas la plus importante. Pour autant, on affine à peu près 5 000 à 5 500 tonnes selon les années de Comté. On affine aussi du morbier et puis on commercialise des produits francs-comtois comme de la tomme, comme de la raclette, comme du bleu de Gex évidemment ou du Mont d'or en saison. Mais notre activité, elle a plus de 90% Comté, évidemment, ça c'est notre origine historique. On a à peu près 40 personnes selon les saisons aussi, parce qu'on peut en avoir un peu plus quand on a des travaux un peu spéciaux à faire, quand on démonte les caves, qu'on lave les caves ou qu'on refait une cave, par exemple, ou un petit peu moins quand c'est les périodes de vacances ou les périodes plus creuses. Mais en moyenne, 40 personnes en constant ici.
- Speaker #0
Aujourd'hui... Le Comté, c'est un fromage qui a évolué dans le temps, qui est assez vieux. C'est quoi les origines du Comté ? C'est quoi son histoire ?
- Speaker #1
Alors, on trouve les origines du Comté jusque dans la Rome antique. On n'appelait pas ça comme ça, effectivement, c'était des fromages de grande taille, parce que justement, cette grande taille permettait de le transporter facilement, plus facilement que d'autres petits produits, bien sûr. Et ça permettait pour les trajets en bateau notamment, d'avoir un produit laitier pour pouvoir diversifier l'alimentation des marins qui étaient sur ces bateaux et qui faisaient parfois des traversées qui étaient très longues. Donc ce fromage qui se conservait bien déjà à l'époque était très recherché pour cet usage-là. Ensuite, c'est un fromage qui a toujours bien voyagé. Déjà, sa technique de fabrication lui donne une assurance au niveau conservation et des qualités sanitaires très importantes. On en profite encore aujourd'hui, parce que c'est un fromage qui s'exporte très bien et qui peut aller très loin. C'est... je me rappelle la question. C'était quoi la question ?
- Speaker #0
La question, c'est quoi l'histoire du Comté ?
- Speaker #1
L'histoire du Comté,
- Speaker #0
voilà.
- Speaker #1
qui permettait aux familles de pouvoir consommer encore des produits laitiers pendant la période où il n'y avait plus de lait de produit.
- Speaker #0
Aujourd'hui, quand les producteurs de Comté, on appelle ça fruitière, fruitière, c'est mettre le fruit en commun, c'est quelque chose qui est important dans la filière ?
- Speaker #1
Alors oui, il reste à peu près 140 fruitières aujourd'hui, même si elles sont beaucoup plus grandes que ce qu'on a connu il y a encore quelques années. Il reste 140 Fruitières, c'est effectivement l'endroit où on mettait le fruit, le fructus, le fruit du travail en commun. Et donc ces chalets, on les appelle aussi des chalets chez nous, ont conservé ce nom classique. Bien sûr, elles existent toujours, bien sûr, elles fonctionnent toujours sous la forme coopérative, comme c'était le cas au départ. Il y en avait au départ parfois plusieurs dans les villages. Il y avait les rouges, il y avait les blancs, puisque c'était aussi très politique. Et maintenant, évidemment, on est content d'en trouver une dans un village, mais souvent, ce sont des producteurs de plusieurs villages qui se regroupent dans un même chalet. Donc il y en a moins qu'il y en a eu, mais ça reste une fabrication très artisanale, parce que même si les coopératives sont plus importantes qu'elles n'ont été, ça reste encore des petites structures de fabrication, par rapport à ce qu'on peut voir dans d'autres fromages.
- Speaker #0
Et en plus de ça, il y a dans le cahier des charges que le Comté est AOP, depuis quelle année ?
- Speaker #1
Depuis 1958, AOP est relativement... Récent, oui, c'était une AOP en 80... de mémoire, c'est 92, reconnue par l'Europe.
- Speaker #0
Du coup, par rapport aux fruitières, il y a aussi dans le cahier des charges AOP des règles de distance ?
- Speaker #1
Oui, alors ça c'est une règle qui est déjà ancienne, c'est-à-dire qu'une fruitière ne peut travailler le lait que des producteurs dont les deux plus éloignés sont distants de 25 km. Elle n'est pas forcément au milieu, mais entre les deux producteurs les plus éloignés membres de cette fruitière, il doit y avoir un maximum de 25 km à vol d'oiseau. Ça permet de garder le terroir, la nature des sols étant relativement proche entre tous ces producteurs. On a une spécificité qui ressort un peu comme on a dans les terroirs vinicoles. C'est le même raisonnement en fait. C'est particulièrement important et une richesse particulièrement importante pour un affineur de travailler avec un nombre de fruitières très différent pour qu'on puisse avoir des terroirs différents à proposer à nos clients, des fromages totalement distincts et bien reconnaissables les uns des autres. C'est ce qu'on fait découvrir aux personnes qui viennent faire des réservations chez nous pour pouvoir choisir ce qui leur plaît le mieux dans le Comté. Il y a plein de Comté différents. C'est tout ce que les grandes surfaces ne supportaient pas il y a 30 ans, en nous demandant on veut le même fromage du 1er janvier au 31 décembre Et ça, on était incapable de l'assurer et de le fournir. Et tant mieux, parce que ce serait très ennuyeux de faire un fromage standard. Et en fait, notre métier, c'est de révéler les différences qu'il y a dans chaque Comté et de pouvoir donner ce choix à nos clients d'avoir un fromage qui porte le même nom tout le temps, toute l'année. mais qui est différent du 1er janvier au 31 décembre, selon l'endroit où se trouve la coopérative où il a été fabriqué, selon la météo qu'il y a eu, selon...
- Speaker #0
L'affineur aussi.
- Speaker #1
L'affineur.
- Speaker #0
La valeur du métier de la fineur.
- Speaker #1
Je veux dire, c'est comme une construction de maison. Vous avez d'abord le lait qui fait les fondations. Si vous n'avez pas un lait de bonne qualité, équilibré et bien foutu, vous n'allez pas construire quelque chose dessus.
- Speaker #0
Si on commence par ce premier bout, ce lait, qu'est-ce qu'il y a dans le cahier des charges pour qu'il soit bien foutu ?
- Speaker #1
Alors c'est énorme tout ce qu'il y a dans le cahier des charges, c'est évidemment une race de vaches,
- Speaker #0
c'est évidemment... Deux races de vaches ?
- Speaker #1
Oui, deux races de vaches, mais 95% de la Montbéliarde, et puis la Simmentale de l'Est, 5% à peu près. Mais c'est vrai que si on m'entend, les fans de Simmentale vont m'en vouloir, parce que ce sont des passionnés, mais vraiment des passionnés. Voilà, il y a quelques troupeaux de Simmentale, on les reconnaît bien, c'est des vaches roses. J'ai avec ma fille adoré ça quand elle était petite. mais c'était les vaches Barbie. Et puis, voilà, deux races de vaches. Effectivement, vous faites bien de me corriger. Et puis, il y a évidemment une zone limitée qui est assez diverse, puisqu'il y a une partie plus élevée en altitude et une autre plus basse.
- Speaker #0
C'est-à-dire que c'est quatre départements ?
- Speaker #1
Oui, mais pas département entier. C'est des parties de départements. Jura, Doubs, un petit peu Saône-et-Loire. Vraiment un tout petit bout de sonnellois.
- Speaker #0
Et puis au niveau de l'alimentation ?
- Speaker #1
L'alimentation, évidemment de l'herbe du foin, quelques céréales, des compléments comme des céréales, etc. C'est extrêmement, sans OGM bien sûr, c'est extrêmement...
- Speaker #0
Pas d'aliments fermentés ?
- Speaker #1
Pas d'aliments fermentés, c'est interdit. Il y a énormément de choses comme ça. Et dans le prochain cahier des charges, c'est encore plus réglementé, puisqu'il y a des parties qui concernent le bien-être animal. Vous avez aussi un hectare 3 obligatoire de pâturage par vache. Alors on n'a pas un nombre de jours d'herbe, parce que la météo ici ne permet pas de dire on va leur faire passer 6 mois dehors, on aimerait, mais ce n'est pas forcément le cas. Mais par contre, au niveau respect des traditions et de la façon d'alimenter un troupeau, c'est particulièrement drastique. Voilà, donc, je vais dire, là je m'arrête ici, il y a aussi le nombre de vaches détenues par producteur. Puisqu'il est limité. Il y a aussi la surface autour du point de traite qui est réglementée, puisqu'il faut que les vaches soient proches de leur point de traite et qu'on n'ait pas d'affouragement envers, sauf dans une certaine limite vraiment très déterminée.
- Speaker #0
Donc beaucoup de règles pour avoir du bon lait.
- Speaker #1
des pendages, des fumures aussi au printemps. Il y a énormément de choses qui font qu'on est tous très attachés à notre... Un jurassien, enfin, si vous rencontrez un jurassien, si vous ne le savez pas, dans les dix minutes de votre conversation, ce n'est pas un vrai. Donc on est tellement attachés à notre territoire qu'on a pour but de le respecter et de pouvoir le transmettre à ceux qui viendront après nous de façon... À en être très fière en fait, on n'a rien pas à rougir, ni de ce qui s'est fait avant nous, ni de ce qui se fera après.
- Speaker #0
Donc une fois que le lait est produit, après il va être transformé par des fruitières. Voilà. En gros, Véronique, c'est quoi les grandes étapes de la fabrication du Comté, sans forcément rentrer vraiment dans le détail ?
- Speaker #1
Alors c'est deux traites bien sûr, une le matin et une le soir. C'est une fabrication toutes les 24 heures maxi, enfin 24 heures après la traite la plus ancienne. Donc... C'est forcément un lait très frais qui est transformé. C'est un emprésurage, c'est une pâte pressée et cuite. On travaille un lait cru, mais dont le cahier est chauffé après, jusqu'à 56 degrés. On a à la fois la richesse du lait cru et en même temps la sécurité du chauffage en cuve, dans des cuves en cuivre bien sûr, et puis après un pressage avec une acidification sous presse. Et puis ensuite, les premiers soins qui vont être donnés dès le démoulage, avec premier salage, salage au sel sec.
- Speaker #0
C'est obligatoirement au sel sec, le salage ?
- Speaker #1
Oui. Alors, il y a aussi du saumurage, bien sûr, qui se fait aussi très, très rapidement.
- Speaker #0
Majoritairement, on voit du sel sec.
- Speaker #1
Je ne sais pas exactement quelle est la proportion. Aujourd'hui, je pense que c'est encore majoritaire. Là,
- Speaker #0
on va parler de... ton métier, l'affinage, les meules arrivent chez Rivoire et Jacquemin quand ?
- Speaker #1
Alors ça dépend de la taille de la fruitière avec laquelle on travaille. Si c'est une petite fruitière, elle n'a pas forcément des grandes caves, donc on va aller le chercher quatre jours après la fabrication par exemple. Pour les salles où on va le plus souvent, autrement les plus grandes c'est un mois après la fabrication. Donc le préaffinage commence en fruitière et se termine chez nous. Ensuite, on a un process d'affinage qui nous est spécifique depuis le départ. On continue à le pratiquer de cette façon-là depuis l'ouverture de cette entreprise.
- Speaker #0
La particularité, c'est qu'il y a quand même un moment avant l'affinage où les meules appartiennent toujours à la fruitière ?
- Speaker #1
Ça dépend des contrats d'achat. Une façon de travailler qui est un peu propre à chaque entreprise. Il y a un contrat interprofessionnel qui fait que le transfert de propriété entre la fineur et la coopérative se fait à 30 jours. Et puis le règlement est un peu étalé dans le temps. Il y a des contrats spécifiques où le transfert de propriété se fait en une seule fois, mais un peu plus tard. Enfin bon, je ne vais pas rentrer dans les détails puisque c'est un peu compliqué. Et puis, mais... Oui, ça se fait en plusieurs étapes. Simplement, ce qu'il faut savoir, c'est qu'on commence tous par une cave qui s'appelle la cave de préaffinage, qui est à entre 12 et 13 degrés en température, et qui permet de préparer le fromage à son évolution et à le transformer en Comté. Quand les fromages arrivent ici, on les appelle des fromages en blanc, on les appelle aussi des caillebottes. Ce ne sont pas encore des Comté, ils n'ont pas l'appellation d'origine. Ils ont été fabriqués, bien sûr, selon les règles de l'appellation d'origine, mais ils ne l'ont pas encore. Et c'est au cours de l'affinage, après quatre mois, mais vraiment minimum, que ce fromage va devenir un Comté ou un peu plus tard.
- Speaker #0
On ne voit plus beaucoup, en tout cas, à la coupe de fromage de quatre mois.
- Speaker #1
Alors, il y a toujours des amateurs. Ça dépend un petit peu, mais on en vend très peu aujourd'hui. Oui, c'est vrai, c'est arrivé. C'est... ce goût pour des fromages avec une typicité plus prononcée et donc un affinage nécessairement plus long.
- Speaker #0
Tout à l'heure, en préparant l'interview, on parlait justement des évolutions dans le temps de l'affinage. Et notamment lors de la préparation du concours des meilleurs ouvriers de France, j'avais vu dans des ouvrages qu'il y avait plusieurs types d'affinage, avec des affinages avec des ouvertures qu'on ne trouve plus aujourd'hui. Est-ce que tu peux nous expliquer un peu l'histoire de pourquoi on trouvait parfois, ou s'était même recherché, des Comté avec des ouvertures il y a même encore une trentaine d'années ?
- Speaker #1
Oui. C'était classique, un Comté devait avoir ce qu'on appelait des yeux, ou donc de l'ouverture. Il fallait que cette ouverture soit relativement fine et discrète. On parlait maximum de la taille d'une cerise, mais tout dépend de la race de la cerise. En fait, on nous disait un ou deux yeux à la sonde, c'était la sonde parfaite. Et il fallait donc quelques trous dans une tranche. Et moi je me souviens d'un acheteur, alors c'était vraiment un acheteur, pas un crémier évidemment, qui avait fait une photocopie d'une tranche de Comté, et qui l'avait envoyée à mon père en disant maintenant je veux que chaque fois que j'ouvre une meule, je puisse couper une tranche comme celle-ci. Et donc il avait fallu lui expliquer qu'un produit vivant, c'était pas quelque chose de reproductible, et donc c'était pas forcément une demande qui était pertinente, et c'était compliqué, puisque évidemment c'est une monsieur qui savait quoi. Et donc... Voilà, mais oui, c'était un art assez compliqué. C'était la maîtrise de la fermentation propionique. À l'époque, on avait des caves qui montaient jusqu'à 18 degrés pour permettre cette...
- Speaker #0
Finalement, des caves alimentales.
- Speaker #1
Voilà, presque. Et donc, par contre, c'est vrai qu'un Comté était un Comté à trois mois. C'est 90 jours minimum, bien sûr. Et on en vendait très, très peu au-delà de 18 mois. Parce qu'effectivement, après, ça devenait...
- Speaker #0
Et ça venait d'où ce fait d'avoir des yeux...
- Speaker #1
Parce qu'on n'avait pas la maîtrise de la température des caves aussi fine qu'aujourd'hui, parce que la façon dont les fromages étaient conservés avant de reposer sur des planches, par exemple dans une cave, ils étaient mis dans des tonneaux. Les fromages, quand on les transportait sur ces charrettes, les fameuses charrettes dont on parlait, c'était dans des tonneaux. Il y avait une tonnerie ici. On a encore quelques spécimens de ces tonneaux qui étaient faits à l'époque, mais honnêtement, ce n'était pas la meilleure ambiance pour pouvoir faire des fromages de qualité, ce qui fait qu'on a très vite mis, quand les Suisses ont fait ça, il y avait énormément d'échanges avec la Suisse à côté, et quand les Suisses ont mis des tablards, comme on dit, on a mis des tablards, et puis les caves qui sont juste devant moi, là, sont les plus anciennes. Dans ces caves avait été adapté un chauffage qui était une copie du chauffage des serres de la ville de Lyon avec une machine qui permettait de fabriquer de la vapeur que l'on mettait dans les caves quand elles étaient froides et qu'on enlevait des caves quand elles étaient à bonne ambiance. C'était vraiment une façon artisanale de faire une ambiance dans une cave d'affinage de Comté. Aujourd'hui c'est totalement différent bien sûr. Mais c'est toujours, quel que soit le type de construction dans lequel on met un Comté, quelque chose de très surveillé, de très contrôlé, de minutieusement mis au point.
- Speaker #0
Et donc cette filière Comté, aujourd'hui, elle est entre guillemets encadrée par un syndicat ?
- Speaker #1
Alors, ce n'est pas un syndicat, c'est une interprofession.
- Speaker #0
C'est une interprofession.
- Speaker #1
C'est spécifique, oui. Et donc cette interprofession, comme son nom l'indique, elle regroupe tous les corps de métier qui font... qui sont acteurs du Comté. Et donc, on a plusieurs collèges dans cette interprofession, des producteurs, bien sûr, des représentants des coopératives, des représentants des industries, qui sont des grands groupes pour beaucoup, et puis des industries pré-emballeurs et les affineurs. Et donc, quand on se réunit, très très souvent, c'est quelque chose de très chronophage, On ne peut décider de quelque chose qu'à l'unanimité, c'est-à-dire qu'on vient tous avec des intérêts totalement différents, des idées totalement différentes et vraiment des projets bien arrêtés. Et on doit discuter jusqu'à ce qu'on trouve quelque chose qui soit, on enlève notre casquette, qui soit vraiment à l'intérêt du Comté à long terme en fait. Donc c'est très long, très compliqué, très... comment dire, ce sont des grandes leçons de vie en fait. que de choisir, vraiment de prendre une décision pour ce fromage parce qu'il faut penser à son intérêt, enfin à l'intérêt du fromage, à l'intérêt du Comté, mais pas forcément au nôtre propre. Ça c'est une discipline à acquérir qui n'est pas toujours simple.
- Speaker #0
Et du coup, il y a aussi un organisme qui vous accompagne sur la partie technique ?
- Speaker #1
Alors on a ce qu'on appelle le CTFC, le Comité Technique des Fromages Comtois, qui effectivement embauche et emploie des techniciens fromagers qui vont assister les coopératives et les fromagers pendant la fabrication. les producteurs de lait aussi, et puis alors sur le plan technique bien sûr, c'est-à-dire purement fromager, sur le plan sanitaire aussi puisque c'est quelque chose qui est de plus en plus sensible, et puis les affineurs ensuite. C'est-à-dire que quand on achète un lot de fromage à une coopérative, on va le mesurer, le regarder quand il a à peu près 120 jours, c'est-à-dire quatre mois, et les producteurs viennent, le fromager vient. Le technicien qui suit la coopérative vient, on regarde ce lot complet, on l'évalue, on regarde s'il y a des défauts, s'il y a des problèmes, au contraire si tout va bien. Le fromager note de toute façon ses caractéristiques de fabrication tous les jours. Et si on voit un problème, on essaie d'en trouver la cause le plus rapidement possible parce qu'effectivement il faut pouvoir la corriger très vite. Donc on a énormément de contacts avec nos fromagers et avec les producteurs. pour détecter un problème éventuel ou au contraire quelque chose qui va bien en lui disant écoute change rien, tout va bien pour l'instant.
- Speaker #0
C'est un cycle vertueux en fait.
- Speaker #1
C'est un cycle, on est tous dans un même bateau, on doit tous ramer dans le même sens pour faire la qualité la meilleure possible. Ce qu'il faut savoir c'est que quand on vend un fromage de qualité, forcément il atteint une valorisation plus importante qu'un autre. Et cette valorisation, on se la partage. C'est-à-dire que le producteur, la coopérative, va récupérer 80% du prix de vente du fromage. Et donc, plus le prix est élevé et construit, plus la coopérative peut continuer à travailler et à investir sur la qualité. Donc, il faut que ce soit un cercle vertueux comme ça. Et donc, nous, on garde le reste, ce qui couvre nos frais, plus une petite marge. Ce n'est pas le rêve non plus d'être affineur de coûts. Comté. Mais ceci dit, c'est un cycle qui permet à tout le monde d'avoir évolué positivement ces dernières années. Personne n'a fait fortune, on n'a pas de grands groupes qui ont émergé par le Comté en tout cas. Mais tout le monde a progressé et vit correctement et ça on en est assez fiers, il vit bien de son travail.
- Speaker #0
Et aujourd'hui quand on voit une meule de Comté, il y a une bande autour. qui peut être de deux couleurs. Est-ce que tu peux nous expliquer un peu la signification de ces bandes ?
- Speaker #1
Alors, quand on estime qu'un fromage est prêt pour partir, c'est-à-dire qu'il est à son optimum, on sait qu'il y a des fromages qui seront à leur optimum assez vite, 8 mois, 10 mois, 12 mois, puis d'autres qui peuvent progresser encore un peu plus longtemps. C'est un fromage, c'est un produit vivant, c'est comme les gens, il y en a qui vont vieillir plus vite. que d'autres ou moins vite que d'autres, bonifié plus vite que d'autres ou pas. Et donc quand on estime qu'il n'a pas grand chose à attendre de vieillir plus, on va dire celui-là, maintenant on va le vendre. Et donc on l'évalue, nos chefs de cave vont faire un jugement sur lui. Donc on le note sur 20 points. De 20 à 14, il est revêtu d'une bande verte. Et de 14 à 12, il est revêtu d'une bande brune. En dessous, il n'a pas de bande, il est sorti de l'appellation d'origine. Donc, c'est fait sous notre responsabilité, mais on est contrôlé par des organismes internes et externes, c'est-à-dire internes à la filière, le CIGC, l'INAO, et puis externes, c'est Bureau Veritas qui vient voir si on fait une bonne cotation des meules que l'on vend ou pas. Avec des sanctions, si jamais on abusait, et des sanctions qui peuvent aller jusqu'à la suspension de l'appellation d'origine.
- Speaker #0
D'accord, oui, des sanctions qui vont quand même très loin. Puis, pour rassurer les gens qui nous écoutent ou pas, entre 12 et 14, il y a quand même une notation minimum sur la partie organoleptique ?
- Speaker #1
Alors là, c'est la notation, là c'est la plus grosse part de la note. Et après, oui, il y a la présentation, il y a le croutage, il y a beaucoup de... point, il y a toute une grille d'évaluation qui est très importante, mais évidemment, le goût c'est la partie essentielle. Il faut qu'on ait un vrai bon goût de Comté. Alors, il faut bien se dire que cette évaluation n'a rien à voir avec la durée d'affinage. C'est pas l'âge du fromage qui va faire un bon fromage. On peut avoir de très bons fromages jeunes et de très mauvais vieux. Donc,
- Speaker #0
quand on évalue ces fromages... Dans mon métier d'avant, il disait toujours Romain, il ne faut pas confondre Vieux fromage et fromage vieux, ça revient un petit peu à ça ?
- Speaker #1
Ça, oui, oui. Oui, oui, ben oui, on ne bonifie pas tous en vieillissant. Il arrive un moment où, non, on dégrade, forcément. Et il faut savoir ça, enfin on se dit que pour faire un excellent fromage, il faut déjà un très bon lot. Et dans ce très bon lot, on va avoir 4 à 5% des fromages qui vont devenir exceptionnels.
- Speaker #0
Chez un de tes confrères, on voit même dans une pièce où il y a les chefs de cave, une phrase où il y a marqué il faut cueillir le fruit quand il est mûr mais c'est exactement ça.
- Speaker #1
Oui, je ne sais pas ce qu'a fait mon confrère.
- Speaker #0
Cette citation.
- Speaker #1
C'est ça. Et je pense qu'il ne faut pas trop insister, même si c'est quelque chose que tout le monde aime bien entendre, il ne faut pas trop insister sur l'âge. Moi, j'aime bien faire goûter aux gens des Comté, je vais leur demander lequel ils préfèrent, sans leur donner tous ces éléments-là, même si on se rend compte un peu à la vue.
- Speaker #0
En fait, les francs, on a l'impression que là, j'ai devenu plus un argument marketing que réel.
- Speaker #1
Moi, je suis un peu désolée quand je vois des gens qui vont acheter très cher un fromage de 24 mois à Noël parce que je me dis, il faut leur expliquer comment est fait le Comté, que c'est un produit naturel. Alors, ce n'est pas un mauvais fromage, évidemment. On fait très bon fromage l'hiver, mais l'alimentation des troupeaux à Noël n'est pas la même que celle qu'ils auront, par exemple, au mois de septembre ou octobre. Là, on est en ce moment dans les meilleurs mois pour la nourriture des vaches, parce que c'est le moment où les herbes aromatiques sont les plus puissantes dans les prairies. C'est là qu'on va avoir des goûts exceptionnels. Mais il faut savoir compter à rebours. Et ce n'est pas à Noël, même si on a un chiffre rond, qu'on va avoir les meilleurs fromages, les meilleurs Comté en tout cas, à mon goût. Mais je reconnais qu'on a fait énormément de progrès dans la qualité des fromages d'hiver, qui sont beaucoup plus fins et beaucoup plus subtils quand ils vieillissent aujourd'hui qu'ils ne l'étaient il y a 10 ans ou il y a 15 ans.
- Speaker #0
Et des pâtes blanches qui sont très très bonnes.
- Speaker #1
Exact. Donc il ne faut pas non plus sortir les pâtes blanches en disant que ça fera du fromage pré-emballé. Pour certains, oui. Pour d'autres, non. Il y a d'excellentes pâtes blanches, mais... C'est pas forcément général, quoi. Il faut vraiment goûter, il faut... Voilà, puis après, chacun ses goûts, c'est toujours la même chose.
- Speaker #0
Et ça, le Comté l'a bien fait, justement, sur un outil qu'ils ont développé un peu spécifique, avec la roue des arômes.
- Speaker #1
Ah oui, elle a déjà quelques années, mais ça a ouvert un petit peu à la fois le vocabulaire, parce que quand on décrivait avant, il était fruité, il était salé, il était... Enfin bref, c'était vraiment... limité dans la qualification des goûts qu'on pouvait trouver. Aujourd'hui, oui, on sait qu'on aura un goût plus végétal sur un jeune fromage et puis un goût plus cuir animal sur un fromage plus affiné. Et ça, c'est une ouverture un peu d'esprit. C'est chercher dans ses souvenirs à quoi vous fait penser ce Comté ? Est-ce qu'il vous ramène à quelque chose de votre enfance ? Ou à un aliment que vous aimez beaucoup, avec lequel vous aimeriez l'associer ? Merci. vraiment s'ouvrir à... c'est pas se nourrir, c'est vraiment se faire plaisir et déguster en fait.
- Speaker #0
Et du coup aujourd'hui pour toi c'est quoi un bon Comté ?
- Speaker #1
Alors ça je le dis jamais parce que je ne vais pas gâcher la vie des autres.
- Speaker #0
Parce que ça dépend des gens.
- Speaker #1
Voilà exactement. Moi j'ai été élevée avec des fromages carrément, je me rappelle par exemple le premier fromage massif que mon père a amené à la maison, massif sans trou. D'accord. Je me dis mais tu l'as loupé ton fromage, il est qu'est-ce qu'il a, il a un problème ? Et il m'a dit non, c'est comme ça que les parisiens le veulent maintenant. Bon, donc il était...
- Speaker #0
Un peu remonté.
- Speaker #1
Voilà, on avait un peu perdu tout le discours qu'on pouvait avoir sur la présentation d'une tranche de Comté. Mais après on a enrichi ce discours sur la description de ce qu'on y trouvait, sur la texture de la pâte, sur... sur ce goût, justement, son niveau de développement, sur qu'est-ce qu'il avait développé en bougeant et en vivant dans sa fermentation. Est-ce que c'était des goûts de fruits secs, de noix, de noisettes, qui sont vraiment extraordinaires, ou autre chose ? Ça peut être du bouillon de viande, ça peut être des oignons, ça peut être vraiment quelque chose de bien différent. Et on a regardé les Comté de façon... avec un autre œil, en fait. Voilà, c'était... Aussi intéressant, différent mais aussi intéressant et ça c'est super parce qu'avec ce fromage on découvre tout le temps des nouvelles choses.
- Speaker #0
Et qu'est-ce que tu penses de cette mode de certains consommateurs ou même professionnels de demander justement des affinages de plus en plus longs ? Est-ce qu'il y a un intérêt ? Alors moi j'ai mon avis sur la question.
- Speaker #1
Ça me fait un peu rire parce que même quand j'invite des amis à la maison, j'amène le fromage sur le plateau, le Comté, et puis il est beau ton Comté, quel âge il a ? J'écoute, moi quand je t'ai connue, je ne t'ai pas demandé quel âge tu avais, je m'en fous en fait, ce qui m'intéresse c'est...
- Speaker #0
Des fois on aurait pu demander.
- Speaker #1
Non mais bon, c'est pas... ce n'est pas la chose qui m'intéresse le plus quand je rencontre quelqu'un et quand je vais manger un morceau de Comté. C'est goûte-le, tu me dis s'il te plaît, si tu l'aimes comme ça ou si tu l'aimerais différemment et puis après on en parle. Je ne veux pas dire qu'il ne faut pas juger les gens du moment qu'ils se font plaisir. Moi, tout me va bien, il n'y a pas de problème. Ce qui m'intéresse, c'est d'avoir un consommateur heureux. un gourmet qui soit vraiment fait plaisir en achetant un morceau de Comté.
- Speaker #0
Tout en respectant le fromage.
- Speaker #1
Tout en respectant le fromage. Mais il y a des moments où on peut aimer une catégorie, mais aussi en changer. Moi, je sais que quand il fait très chaud, je trouve qu'un jeune Comté, qu'on va manger avec un peu de charcuterie ou un peu de crudité, c'est extraordinaire.
- Speaker #0
Le côté un peu lacté, rasspéchissant, le côté subtil, végétal, la petite acidité. C'est misif.
- Speaker #1
C'est très fin, c'est très souple, on a une pâte très souple. Puis quand il fait un froid de canard l'hiver, vous rentrez du ski, ou d'ailleurs vous avez une journée de réunion un peu casse-pieds, vous en avez ras le bol, vous rentrez chez vous, et bien un vieux Comté avec un verre de vin jaune, et puis un feu de bois et un bon bouquin, là vous êtes la personne la plus heureuse. Oui, vous êtes la plus heureuse du monde, il n'y a pas mieux. Et on peut aimer les deux de la même façon, et de façon aussi importante je trouve. Il faut juste... Moi, je trouve qu'avec un Comté, on peut s'adapter à tous les éléments, toutes les situations. C'est d'ailleurs ce qui fait son succès partout en France et dans le monde. On peut le consommer de façon différente sur un plateau, dans un ingrédient, sur un plat ou mélangé avec d'autres choses et qu'on va picorer. C'est vraiment... On a une chance folle d'avoir ce fromage comme il est.
- Speaker #0
Aujourd'hui, c'est quoi les orientations ? que le Comté prend en termes d'évolution de cahier des charges ? Il y a quoi dans les modifications importantes ou les projets ?
- Speaker #1
Alors, dans les modifications importantes concernant l'affinage, moi je suis très très très contente de voir qu'enfin, la définition du métier d'affineur qui s'ébauche. Alors c'est qu'une ébauche pour l'instant, parce que c'était très compliqué de la mettre au point. On a vu des gens affiner du Comté un peu partout. Maintenant, oui, le métier d'affineur va être bien fixé dans sa zone d'appellation d'origine, ce qui paraît une évidence, mais ce qui n'en était pas une. On a les trois phases d'affinage qui sont ébauchées dans le cahier des charges, c'est-à-dire le pré-affinage, l'affinage avec sa fermentation, et la maturation ensuite au moment où on apaise. L'évolution du fromage, on va faire jouer le temps et ce que le temps peut amener à un Comté. Ça, ça n'était pas du tout déterminé. Donc on a l'ambiance des caves, ça s'était fait depuis déjà longtemps. Vraiment, on a, comment dire, défini le métier d'affineur de Comté. Je ne parle pas des autres fromages, bien sûr, mais ça, c'est vraiment une grande satisfaction. C'est un travail qui a été commencé du temps de mon père. Et donc, ça fait un certain temps.
- Speaker #0
C'est toujours un peu long.
- Speaker #1
Oui, c'est un affinage long. On a eu beaucoup, beaucoup de gens qui se sont opposés à ça. Forcément, ils avaient aussi des intérêts à défendre. Mais cette fois, je pense qu'on tient le bon goût et on a fait un grand pas là-dessus. Et puis, on a évidemment précisé énormément de choses dans les conditions de production du lait pour limiter la taille des fruitières. pour limiter le nombre de vaches par exploitant, pour garder à notre produit son caractère artisanal. C'est vrai que la fabrication du Comté, c'est un gros tonnage chaque année.
- Speaker #0
C'est environ 65 000 tonnes ?
- Speaker #1
C'est plus que ça, c'est maintenant plus de 70 000 tonnes, mais on a limité cette production. C'est-à-dire que chaque... chaque ferme a une limite de productivité qui est pratiquement atteinte. Il n'y aura pas plus de Comté fabriqués dans l'avenir.
- Speaker #0
Du coup, la gestion, on n'en a pas forcément parlé tout à l'heure avec les plaques de caséine. Oui,
- Speaker #1
donc le CIGC et l'interprofession commercialisent, enfin commercialisent, fournit les plaques de caséine aux fabricants, les fruitières et puis les autres.
- Speaker #0
Sur cette plaque de caséine, qu'est-ce qu'on peut y retrouver ?
- Speaker #1
Alors on retrouve le mot France, le mot Comté bien sûr. On retrouve le mois de fabrication, on retrouve... Sur une autre à côté, le jour. Sur une autre à côté, la cuve dans laquelle le fromage a été fait. On retrouve le nouveau numéro de code de la fruitière et un numéro d'ordre.
- Speaker #0
C'est la carte de visite,
- Speaker #1
sa carte d'identité même. Puisque c'est le début de la traçabilité d'une meule de Comté, on peut, quand on va gratter la meule... Une fois affinée, c'est vrai que c'est difficile de lire, mais on peut en lavant la croûte, arriver à retrouver tout ce qui est noté sur la plaque verte. On sait où elle a été faite, quel jour, et quel quantième de meule a été faite dans cette coopérative cette année-là. Donc on remonte de façon très très précise à son origine et le jour où elle est née en fait. Et donc après, en retournant dans la fritière et en voyant le fromager, on peut savoir qu'est-ce qui...
- Speaker #0
Aujourd'hui, avec les 70 000 tonnes, c'est à peu près le max que sera produit du Comté.
- Speaker #1
Donc la productivité est limitée. Alors, on a un droit à un maximum de lait fabriqué dans leur ferme, qui n'est pas tout transformé en Comté forcément, mais il y a une limite.
- Speaker #0
Il y a des producteurs qui sont aussi sur plusieurs appellations.
- Speaker #1
Oui. Mais on voulait surtout limiter l'impact sur l'environnement. On sait que si on laissait développer énormément, beaucoup plus en tout cas, on pourrait avoir un impact négatif sur l'environnement. Là, on est dans ce que la zone peut accepter comme population de vaches, comme nombre d'hectares de fauches, etc. On a juste aujourd'hui sur la zone de production des terrains qui ne sont pas encore utilisés en Comté. On a encore des producteurs de lait standard en franche Comté. Ils peuvent rentrer dans la filière. Donc on pourra encore progresser un petit peu par ce phénomène-là, en sachant qu'il n'y aura pas plus de lait produit, mais que ce sera du lait à Comté qui sera produit à la place du lait standard, par exemple. Mais autrement, on n'aura pas... plus d'explosions, de tonnages. C'est un fromage qui a trouvé son équilibre et qui va le garder un certain temps.
- Speaker #0
Aujourd'hui, tu nous as dit tout à l'heure que ton papa t'avait déconseillé de venir dans ce métier-là. Est-ce que tu fais pareil avec tes enfants ? Parce qu'on a une entreprise comme ça, familiale, est-ce que c'est quelque chose, demain, que tu souhaiterais transmettre à des enfants s'ils sont intéressés ? Parce que ça... Ça reste quand même des grosses sociétés, des gros...
- Speaker #1
C'est une question piège, c'est une société familiale avec tout ce qui implique de travailler en famille, de bon et de mauvais.
- Speaker #0
Ça on le voit notamment sur des exploitations agricoles, souvent.
- Speaker #1
Moi ce que j'ai surtout pas voulu, j'ai qu'une fille, donc je ne voulais pas qu'elle ait sur les épaules le poids du devoir de reprendre. Et là-dessus, depuis toute petite, tout le monde... Alors autant à moi, on m'a foutu la pep, c'était... tellement pas envisageable qu'une femme fasse ce métier.
- Speaker #0
Je crois qu'il y avait déjà un privage homme-femme.
- Speaker #1
Tu te rends compte, tu vas être obligé d'aller boire la goutte à 7h du matin avec les fromagers. A priori, ça devait se faire de son temps.
- Speaker #0
Et donc ça ne t'est jamais arrivé ?
- Speaker #1
Ça m'est arrivé. On m'a proposé une fois de l'agent sien à 7h du matin. Je pense que c'était mon examen de passage. À l'époque, j'étais jeune quand j'ai démarré. Ça s'est bien passé. Il faisait un froid de chien. Du coup, ça ne m'a pas fait l'effet. Moi qui ne bois pas d'alcool et qui ne le supporte pas, ça ne m'a pas fait l'effet que qu'est-ce qu'on tait le fromager j'imagine. Donc j'ai eu cette chance, du coup j'ai été adoptée assez facilement. Mais je n'ai pas recommencé parce que c'était quand même un risque. Mais honnêtement, j'ai jamais vu que c'était pratiqué. Enfin on vous offre le café comme partout et puis tout se passe bien. Donc voilà, non honnêtement, il y a beaucoup de choses qui ont changé. De la même façon qu'à l'époque quand ils allaient vendre aux halles. terminé autour du champagne, il fallait quand même être solide. Donc, aujourd'hui, on travaille un petit peu différemment. Et heureusement pour moi, ça se passe mieux. Mais voilà, ça n'a pas du tout été un obstacle. Honnêtement, il y a des moments très difficiles. C'est une grosse responsabilité financière, notamment les stocks ici. On n'a personne qui porte nos stocks. Il y a beaucoup d'entreprises qui ont leurs stocks, qui sont financés soit par des unions de coopératives de producteurs. soit par des groupes auxquels ils sont adossés. Chez nous, on est totalement indépendant, donc effectivement, il faut avoir de bons rapports avec son banquier, parce qu'on achète nos fromages les autres quatre mois, et on les vend jusqu'à trois ans. En attendant, c'est de la trésorerie qui est immobilisée. C'est moins romantique que de parler de l'affinage, mais c'est quand même très, très réel. Donc c'est un vrai souci, ça. On a traversé là une période plutôt... plus sereine avec des taux d'intérêt qui étaient plus bas. Aujourd'hui les taux d'intérêt sont remontés et ils ont pris en un an ce qu'ils avaient mis dix ans à perdre. Donc ça a été violent. La SCU c'est vraiment important. Donc oui c'est quand même... Il faut avoir la tête froide et ce n'est pas la partie la plus sereine de notre métier honnêtement. Donc il y a des grands moments et il y en a qui sont plus durs. Ma fille, je n'ai jamais voulu lui mettre la pression. Elle a pris un autre chemin aujourd'hui, mais elle a toujours envie évidemment. Je préfère qu'elle fasse d'autres expériences avant de venir ici. Il faut vraiment qu'elle... se frottent à d'autres choses, qu'elles voyagent, qu'elles découvrent d'autres choses.
- Speaker #0
Avant de terminer, j'ai une dernière question Véronique. C'est quoi ta pizza préférée ?
- Speaker #1
Je ne suis pas fan de pizza honnêtement.
- Speaker #0
C'est vrai ? Oui.
- Speaker #1
Si, j'en mange de temps en temps, mais ce n'est pas un régal pour moi.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Je préfère nettement une fondue. Et la fondue chez nous, c'est fondue Comté. Ce n'est pas moitié-moitié, machin, on y met je ne sais pas trop quoi, et puis du kirsch et des cochonneries. Non, non, c'est du Comté, du vin jaune. un petit peu de poivre, deux gousses d'ail. C'est pas plus simple, c'est pas meilleur.
- Speaker #0
Donc avec Véronique, c'est pas une pizza, c'est une fondue.
- Speaker #1
Ah bah alors là, vraiment, sans une onze d'hésitation du tout. Non ? Pourquoi ? Il y avait un piège ?
- Speaker #0
Ah non, il n'y a pas de piège. Merci beaucoup Véronique. Merci de ton accueil. Merci à vous de nous avoir écoutés. J'espère que cet épisode vous a plu. Et n'hésitez pas à le partager, à nous remonter vos commentaires. je vous dis à bientôt pour un nouvel épisode de l'échange à bientôt au revoir véronique au revoir