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Lait'Change #4 - La Fromagerie Lincet avec Grégoire Lincet

Lait'Change #4 - La Fromagerie Lincet avec Grégoire Lincet

39min |14/10/2024
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Lait'Change #4 - La Fromagerie Lincet avec Grégoire Lincet

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Description

Découvrez l’histoire du groupe Lincet avec Grégoire, 6éme génération travaillant dans cette entreprise familiale qui remonte à 1895.

Dans les années 60-70, pour faire face au déclin laitier, Jean Lincet, le grand-père de Grégoire, s’est mis à racheter beaucoup de fromageries, comme beaucoup, à la base, pour s’assurer de récupérer le lait. La fromagerie a Saligny fût achetée en 1957, c’était une vieille fromagerie qui fabriquait toutes sortes de produits laitiers : du fromage blanc, de la faisselle, du beurre, de la crème et beaucoup de fromage frais. Notamment le Saint-Florentin qui était la plus grosse production du site de Saligny.

Le Saint-Florentin est un fromage historique de la région de l’Yonne, un fromage frais lactique fabriqué dans ce site avec un vrai savoir-faire lactique qu’il pouvait garder en complémentarité avec celui à Gué, dans la Marne, où il fabriquait plutôt des fromages à pâtes présures, comme du brie de maux, carré de l’est, camembert et brie.

Avec ce savoir-faire à Saligny, Jean Lincet décida de se lancer dans la production du Chaource, un fromage à pâte molle et croute fleurie, qui, à l’époque, n’avait pas encore d’AOP. Il s’agissait d’un fromage très confidentiel, avec seulement quelques fermes et laiteries qui le produisaient. Plus tard, en rassemblant un groupe d’éleveurs, ils ont fait en sorte de défendre et protéger ce produit, ce qui a abouti à la création de l’AOP en 1970.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Romain LE GAL

    Bienvenue sur Lait'Change, le podcast qui donne la parole aux actrices et aux acteurs de la filière laitière et fromagère. Je suis Romain Le Gal et aujourd'hui j'ai la chance d'être en Bourgogne. Je suis sorti à Nuit-Saint-Georges pour traverser les vignobles et me suis arrêté au Brochon. Je suis passé par Gevrey-Chambertin, ceux qui aiment bien le vin, je pense qu'ils connaissent un peu le coin. Et je me suis arrêté à la fromagerie Gaugry où je suis actuellement avec Grégoire Lincet. Bonjour Grégoire. Bonjour Romain. Comment vas-tu aujourd'hui ?

  • Grégoire LINCET

    Ça va pas mal.

  • Romain LE GAL

    Ça va pas mal ? Est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots Grégoire ?

  • Grégoire LINCET

    Oui bien sûr. Donc je suis Grégoire Lincet, je représente la sixième génération au sein de la fromagerie Lincé. J'ai 34 ans et j'ai rejoint l'entreprise familiale en 2018, après un passage en contrôle de gestion dans différentes entreprises. J'ai pris la décision de me former en fromagerie et à... approfondir mes connaissances laitières au travers d'un master à l'ENSAIA à Nancy et ensuite j'ai pris la direction de la fromagerie Gaugry que mes parents avaient racheté en 2012 et j'ai évolué sur différentes responsabilités jusqu'à aujourd'hui pour être désormais à la direction générale de toute l'entreprise aux côtés de mon père.

  • Romain LE GAL

    D'accord donc ton papa est encore dans l'entreprise aujourd'hui ? Voilà. Donc, ton père, c'est la cinquième génération.

  • Grégoire LINCET

    Donc, mon père, c'est la cinquième génération. Et tu dis sixième génération.

  • Romain LE GAL

    L'histoire lincet, ça a démarré quand, du coup ?

  • Grégoire LINCET

    Et donc, l'histoire lincée, elle a démarré à la fin du XIXe siècle, enfin, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, dans la Marne.

  • Romain LE GAL

    Dans la Marne. Alors, rien à voir avec la Côte d'Or.

  • Grégoire LINCET

    Rien à voir avec la Côte d'Or. Je ne le dis pas trop fort ici, mais on est champenois à la base.

  • Romain LE GAL

    D'accord. Pas trop le dire.

  • Grégoire LINCET

    Il ne faut pas le dire très fort. Et donc, on était dans la Marne, dans un village qui s'appelle Guay, près de Cézanne. Donc, on a la première trace qu'on ait, c'est à peu près 1895. Ça, c'est le plus vieux document que l'on ait de l'entreprise. Par contre, on sait que l'entreprise existait déjà avant.

  • Romain LE GAL

    D'accord.

  • Grégoire LINCET

    Mais on n'a pas de document qui l'atteste.

  • Romain LE GAL

    C'était une laiterie ?

  • Grégoire LINCET

    C'était une laiterie. En fait, on avait... Donc, à la base, ce n'était pas la famille Lincet, c'était la famille Piscard.

  • Romain LE GAL

    D'accord.

  • Grégoire LINCET

    et qui était, a priori, une famille d'agriculteurs qui avaient une ferme et qui se sont mis à produire du fromage. Ensuite, notre arrière-arrière-grand-père Piscard a eu deux filles, dont une des deux filles a épousé un monsieur qui s'appelait Jules Lincet.

  • Romain LE GAL

    Ok, donc le premier Lincet.

  • Grégoire LINCET

    Voilà, le premier Lincet. Et donc ensuite, ça a été une succession de Lincet.

  • Romain LE GAL

    Donc après, ça a été Jules. Donc après,

  • Grégoire LINCET

    il y a Jules.

  • Romain LE GAL

    Après, il y a Lucien,

  • Grégoire LINCET

    Lucien, Lincet, qui est mon arrière-grand-père. Ensuite, il y a Jean Lincet, mon grand-père. Et ensuite, Didier Lincet, mon père.

  • Romain LE GAL

    Donc toi, tu es toujours né dans une famille de fromagers. J'ai été pour le cuve,

  • Grégoire LINCET

    baigné dans le lait et j'ai grandi dans une fromagerie.

  • Romain LE GAL

    Et c'est toujours quelque chose que tu as voulu faire, un jour revenir dans le lait ? Parce qu'après tes études, tu as un peu pris un... Un cursus différent ?

  • Grégoire LINCET

    Alors, en fait, j'ai toujours été passionné par le lait. Pendant un moment, comme beaucoup de gens, on se pose un peu des questions quand même. Et moi, j'ai été attiré à un moment donné par le travail de la vigne, par le vin, la vigne. Mais rapidement, je n'ai pas hésité longtemps.

  • Romain LE GAL

    En soit, c'est de la fermentation des deux côtés. Exactement. On est resté dans le temple de la fermentation.

  • Grégoire LINCET

    Exactement. Mais j'ai toujours aimé. Je n'ai pas hésité. Il n'y a pas eu de doute dans ma vie où je me suis dit vraiment... Avec de grosses remises en question, je me suis dit, je ne sais pas ce que je vais faire.

  • Romain LE GAL

    Quand tu étais jeune, enfant, etc., tu allais à la fromagerie ? Tout le temps. Tout le temps ?

  • Grégoire LINCET

    Mon père nous emmenait, aujourd'hui l'entreprise est à Saligny dans Lyonne, le siège de l'entreprise est à Saligny dans Lyonne.

  • Romain LE GAL

    Ouais, donc du coup, après Gué, vous êtes parti à Saligny.

  • Grégoire LINCET

    Et en fait, mon grand-père, la Marne, avant il y avait des éleveurs de lait dans toute la France, partout. Un peu comme la vigne, avant le phylloxéra, il y avait de la vigne. partout dans tous les villages. Le lait, c'est la même chose, il y en avait partout. Et donc dans la Marne, il y avait énormément de producteurs de lait, il y avait beaucoup de fromagerie, et il y a eu les Trente Glorieuses, après-guerre, avec une concentration, une demande assez forte, et là, beaucoup de choses ont été rationalisées, c'est-à-dire qu'on a concentré la fabrication sur des sites de plus en plus importants, et on a concentré la production également du lait, et donc il y a eu de moins en moins d'éleveurs de lait. et de moins en moins de fromagerie. Donc, mon grand-père faisait déjà face à cette époque dans les années 60, 70, faisait face à un déclin laitier déjà, ou en tout cas à une diminution du nombre de producteurs de lait. Et donc, mon grand-père s'est mis à racheter beaucoup de fromagerie, comme beaucoup. À la base, c'était plus pour récupérer le lait que pour le marché. Donc, la fromagerie de Saligny, mon grand-père l'a rachetée en 1957. C'est une vieille fromagerie également. Et qui...

  • Romain LE GAL

    La fromagerie qui produisait quoi du coup ?

  • Grégoire LINCET

    Il faisait un peu de tout, comme beaucoup de laiterie à l'époque. où on faisait du fromage blanc, de la faisselle, du beurre, de la crème et beaucoup de fromages frais type Saint-Florentin. Le Saint-Florentin, quand mon grand-père a racheté, c'était la plus grosse production du site de Saligny.

  • Romain LE GAL

    Donc, ce n'est pas quelque chose que ton grand-père a créé en France à Saligny ? Non, c'est quelque chose qu'il a racheté. C'est le fromage historique de cette province ?

  • Grégoire LINCET

    C'est le fromage historique. Saint-Florentin, c'est une ville de l'Yonne. C'est un fromage qui est ancien et on n'est plus très nombreux à en faire. Mais c'est un fromage frais, en fait, un lactique. Voilà, c'est une base lactique fraîche. Mon grand-père voulait fermer Saligny au départ. Il avait repris dans cet esprit en disant je vais ramener la production de lait et les volumes à Gué Il y a combien de distance entre les deux ? Il y a à peu près 60 kilomètres. Et en fait, mon grand-père a vu assez rapidement qu'il y avait un savoir-faire un peu particulier sur le site de Saligny, puisque nous, à Gué, dans la Marne, on faisait essentiellement des pâtes présures. On faisait un peu de bris de mots. Et on faisait des produits type carré de l'Est, des carrés, des... Du camembert et du brie, mais générique, sans appellation. Et donc, mon grand-père a identifié un savoir-faire lactique à Saligny et il a vu que les produits étaient intéressants. Donc, mon grand-père a lancé la production du chahours à Saligny.

  • Romain LE GAL

    Donc, c'est lui qui a lancé le chahours à Saligny ? À Saligny, oui. C'était pas une production ?

  • Grégoire LINCET

    Non, et vu qu'il n'y avait pas d'AOP à l'époque, il n'y avait pas de zone, toutes ces choses-là n'étaient pas définies. Donc, mon grand-père s'est lancé... dans la production du chahours, qui était très confidentielle, cette production de chahours.

  • Romain LE GAL

    Il y avait quoi ? Il y avait quelques fermiers ?

  • Grégoire LINCET

    Il devait y avoir quelques fermiers, peut-être plus de laiterie. Il n'y avait pas grand monde quand on faisait, mais il y avait quand même quelques laiteries. Tu avais des laiteries dans l'aube, tu avais quelques laiteries qui en faisaient depuis déjà. Mais mon grand-père s'est lancé là-dedans. Et de par le savoir-faire un peu lactique qu'il y avait à Saligny, très vite, les produits ont eu un succès, en fait, ont été bons. Et donc, mon grand-père a gardé ce site. Et il a investi sur ce site et il l'a un petit peu développé.

  • Romain LE GAL

    Donc, ton grand-père... Et finalement, il a été hyper important dans l'AOP Chaours. Il a porté le projet.

  • Grégoire LINCET

    Il a vu que ce produit avait un peu de succès, qu'il y avait un potentiel. Et avec un groupe d'éleveurs, en fait, il a rassemblé un groupe d'éleveurs. Et ensemble, ils se sont dit, il faut qu'on défende ce produit et qu'on le protège. Et donc, ça a abouti à la création de l'AOP en 1970.

  • Romain LE GAL

    Avec un fromage type... de pâte molle à croûte fleurie, avec aussi la particularité, c'est que c'est une technologie lactique, et que pour la région, c'était un peu particulier, un peu particulier, c'était du lait entier. Voilà, c'est un lait entier.

  • Grégoire LINCET

    C'est pas lait standardisé.

  • Romain LE GAL

    C'est vraiment ce qui fait la particularité de ce fromage-là. Pas un gros fromage, un fromage qui est assez haut.

  • Grégoire LINCET

    C'est pour ça qu'il y a des gens, parfois, qui pensent que le Chahource, c'est un double crème, ou qu'on a remis de la crème, alors que non. C'est du lait entier, et c'est... Sauf que c'est l'inverse, c'est qu'on est habitué aujourd'hui finalement à manger beaucoup de fromages qui sont fabriqués avec des laits standardisés, et quand finalement les fromages au lait entier sont peut-être moins prédominants, moins présents qu'au... que des laits, que des fromages au lait standardisé. Alors la standardisation, ça paraît être un gros mot aujourd'hui comme ça, mais ça ne l'est pas forcément. C'est qu'à l'époque, on écrémait le lait à la louche.

  • Romain LE GAL

    On l'écrémait partiellement.

  • Grégoire LINCET

    On l'écrémait à la louche. On l'écrémait à la louche.

  • Romain LE GAL

    Ou dans certaines régions, ils appellent ça à la poche.

  • Grégoire LINCET

    Voilà.

  • Romain LE GAL

    En Tome Des Bauges, ils appellent ça à la poche. À la poche ou à pocher.

  • Grégoire LINCET

    Et ça, c'est vraiment un truc historique. Ça permettait de récupérer de la crème, de faire du beurre. Et je pense que les anciens avaient identifié aussi que...

  • Romain LE GAL

    Surtout que dans la région, on aime quand même manger... Assez riche. Assez riche.

  • Grégoire LINCET

    Mais c'est aussi parce que je pense que les anciens avaient identifié qu'on stabilisait plus. un fromage, la qualité d'un fromage, lorsqu'on avait un petit peu écrémé le fromage. En gros, plus il y a de matière grasse dans un lait, plus il est difficile de travailler ce lait. Parce que la matière grasse, c'est sensible, c'est fragile, ça s'oxyde, ça peut apporter des mauvais goûts. Et donc, c'est très difficile de faire un bon fromage quand le lait a beaucoup de matière grasse. Et nous, c'est tout l'inverse, puisqu'aujourd'hui, au lieu de prendre le pli des fromages où on standardise un peu, nous, on n'a que des fromages aujourd'hui avec du lait entier, ou même... du double ou triple crème pour le délice de Bourgogne et le brillant Saint-Vara.

  • Romain LE GAL

    D'accord. Et donc, ton grand-père, après, se sépare du site historique dans les années...

  • Grégoire LINCET

    80, début des années 80. D'accord.

  • Romain LE GAL

    Il a cédé, s'il me semble...

  • Grégoire LINCET

    Il a cédé à

  • Romain LE GAL

    Lactalis, à la famille Beignet. Il y avait encore une collecte dans ce coin-là.

  • Grégoire LINCET

    Oui, et puis c'était une époque où il y a eu l'émergence de structures, de groupes un petit peu plus importants, comme Beignet qui est devenu Lactalis, Bongrain, La Famille Bel, il y a eu des familles qui ont émergé avec leurs entreprises. On a vendu à Lactalis, qui a fait tourner le site jusqu'à la fin des années 90. Mais mon grand-père avait une relation cordiale. avec Michel Beignet. Du coup, mon grand-père a pu garder le site de Saligny tout en travaillant un petit peu pour Lactalis au début pour que la reprise se fasse correctement.

  • Romain LE GAL

    En douceur. En douceur.

  • Grégoire LINCET

    Et ça s'est fait intelligemment tout ça. Et ça s'est fait intelligemment parce que du coup, le site de Saligny s'est retrouvé orphelin puisqu'il n'avait aucune structure, pas de commerciaux, pas de services administratifs, rien. Il a fallu tout reconstruire. Et l'entreprise aurait pu disparaître à ce moment-là.

  • Romain LE GAL

    Donc il s'est concentré sur le site de Saligny.

  • Grégoire LINCET

    Exactement.

  • Romain LE GAL

    Et puis après, il a continué de grossir.

  • Grégoire LINCET

    Alors, mon grand-père, le site de Saligny était petit. Il y avait une soixantaine de personnes à peu près. Enfin, petit sans être petit pour l'époque, ce n'était pas si petit que ça. Mais il y avait une soixantaine de personnes. Et je ne sais pas combien en litrage ça représentait à l'époque, mais je pense que ça devait représenter un équivalent de peut-être 20 000, 30 000 litres de lait jour. Quelque chose comme ça, à mon avis. Alors que le site aujourd'hui... A peine, je pense qu'on était peut-être même plus sur 10-15 000 litres de lait jour. Et aujourd'hui, le site traite plus de 60 000 litres de lait jour.

  • Romain LE GAL

    Avec le produit principal reste le Chaource ?

  • Grégoire LINCET

    Non, alors ça a changé. Du coup, on s'est retrouvés... Et mon père a repris l'entreprise en 89. Mon grand-père a géré pendant 5-6 ans à peu près.

  • Romain LE GAL

    Il y a 34 ans à peu près. Voilà. Ton année de naissance à peu près.

  • Grégoire LINCET

    Exactement, après il est arrivé juste avant ma naissance. à Saligny dans Lyonne. Mon père a fait l'ENIL de Poligny et un IUT de gestion, donc c'est un pur fromager. Il a repris le site et là, papa l'a vraiment développé. Mon grand-père s'est assez rapidement mis en retrait et a laissé la place à mon père. Papa est reparti vraiment... D'une feuille blanche, presque, parce qu'en fait, le site était un peu vieillissant. Il avait besoin d'investissement. Les années 90, ça a été le virage de tous les systèmes qualité tels qu'on le connaît aujourd'hui. Donc, il a fallu prendre tous ces virages là. Il a fallu sécuriser l'approvisionnement en lait parce qu'on est sur des appellations avec des zones d'appellation. Donc, le lait doit provenir de la zone et la production doit être faite dans la zone.

  • Romain LE GAL

    Et sur ce site là, aujourd'hui, vous faites du Chaource.

  • Grégoire LINCET

    Et on fait... Historiquement, on faisait du chahours et mon grand-père a créé le délice de Bourgogne de 2 kilos, le triple crème de 2 kilos en 1975 et a lancé la production du Brillat-Savarin après sur le site. Donc on avait, pendant longtemps, on a eu le chahours et le triple crème sur le même site. Et après, en 2006, on a eu l'opportunité de reprendre un site à Lactalis, dans l'Aube, à Vaud, où Lactalis faisait de la découpe de fromage et du Chahource sur le même site. Et Lactalis a pris la décision de re-régionaliser la découpe de... fromage. Et donc, il n'y a plus de découpe sur ce site. Et la production de Chahource était petite pour Lactalis sur le site. Et donc, du coup, ils ont décidé de se séparer.

  • Romain LE GAL

    Donc, en gros, ça a permis de spécialiser un site à faire du Chahource et un site à faire les spécialités du reste de la gamme. C'est ça.

  • Grégoire LINCET

    Et en fait, petit à petit, on a basculé tous les Chahource sur le site de Vaud et nous avons pu développer notre production de Chahource et notre production de triple crème.

  • Romain LE GAL

    Donc sans Jean Lincet, il n'y aurait peut-être pas eu d'AOC puis AOP Chahours.

  • Grégoire LINCET

    C'est sûr, c'est ce que je disais à des éleveurs l'autre jour, on en parlait. C'est très difficile parce que sur les AOP et le savoir-faire, on est sur un temps long. Et quand on est dans la tradition, quand on est sur ces choses-là...

  • Romain LE GAL

    C'est un des piliers de l'AOP, la tradition, le terroir.

  • Grégoire LINCET

    C'est ça. Et on est sur le temps long. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on est dans une société ou dans un monde où les choses vont très vite. On est habitué à ce que les choses évoluent très vite et à switcher d'un jour à un jour. Comme on scrolle sur Facebook, sur nos téléphones ou sur TikTok. quoi. Et sauf que sur les AOP, c'est tout l'inverse. C'est-à-dire qu'on est gardien et garant de pratique. Ça veut pas dire qu'on peut pas les faire évoluer, mais il faut nous laisser du temps. Et ce que je trouve génial, c'est que quand mon grand-père a créé l'AOP Chaource en 1970, le cahier des charges, il était minuscule. Il y avait rien dedans. C'était juste pour protéger le nom, protéger la zone, faire en sorte que ce produit soit pas fabriqué à l'autre bout de la France ou à l'autre bout du monde et que on définisse un petit peu quelques règles. Mais quand on voit le cahier des charges du Chahours aujourd'hui à ce qu'il était dans les années 70, ce n'est pas le même monde. Clairement,

  • Romain LE GAL

    on a étoffé,

  • Grégoire LINCET

    amélioré, renforcé.

  • Romain LE GAL

    Je suis d'accord un peu avec toi sur le système de temps long, puisque de toute façon, la recette du fromage, c'est tout le temps la même depuis des millénaires. Oui,

  • Grégoire LINCET

    c'est ça.

  • Romain LE GAL

    Et quand on arrive dans le temps du fromage, il faut être patient. Il faut être patient. Il faut être patient, mais rien que déjà dans la production et dans l'affinage, il faut laisser le temps au temps.

  • Grégoire LINCET

    La fromagerie, c'est de la patience. il y a plein d'autres métiers qui sont comme ça mais la fromagerie c'est vraiment de la patience et ce que je trouve génial c'est que à l'époque de mon grand-père quand il a créé l'AOP donc les discussions ont dû commencer dans les années 60 pour aboutir à une création en 1970 mais ça m'amuse moi parce que je me dis mais qu'est-ce qu'ils pensaient à l'époque ces gars-là quand ils ont décidé de faire ça et qu'ils se sont dit en fait il n'y avait pas grand-chose et est-ce qu'ils auraient pu imaginer à l'époque qu'aujourd'hui, on ferait 2500 tonnes de chahours au niveau de l'AOP, qu'on aurait un cahier des charges quand même exigeant et avec des belles valeurs et des belles choses dedans. Je ne sais pas s'ils auraient pu imaginer tout ça. Et en fait, c'est ça que je trouve génial, c'est qu'on est vraiment dans l'image de on plante une graine en fait. On plante une graine et après, si on fait le nécessaire, cette graine, elle pousse.

  • Romain LE GAL

    Ils ont été vraiment précurseurs avec une vision pour protéger le produit qui leur était cher. Et ça, c'est quelque chose d'hyper intéressant et hyper important.

  • Grégoire LINCET

    C'est ça. Et il faut s'en inspirer. Parce qu'aujourd'hui, on a plein de défis autour de nos AOP, avec le changement climatique, avec les attentes des consommateurs, sur les engagements sociétaux qu'on peut prendre, sur toutes ces choses-là. Et en fait, parfois, en interne, dans nos filières, il y a des gens qui se braquent un peu, ou alors il y a des consommateurs, à l'inverse, qui peuvent être très exigeants. Tout de suite,

  • Romain LE GAL

    on veut l'immédiateté. On est dans une société de consommation où on veut qu'il y ait de l'immédiateté. On le voit aujourd'hui si on regarde dans d'autres univers de création et de recherche et développement sur des produits. Un produit, s'il ne fonctionne pas au bout de six mois, on ne laisse plus le temps au produit de s'installer. Finalement, ça rejoint un petit peu ce que tu racontes.

  • Grégoire LINCET

    On en parlait l'autre jour. C'est vrai qu'aujourd'hui, pour une PME comme nous, d'installer un nouveau produit avec une marque qui nous est propre. C'est hyper difficile parce que justement, il faut que ça marche tout de suite.

  • Romain LE GAL

    Il faut que ça performe.

  • Grégoire LINCET

    Il faut que ça performe.

  • Romain LE GAL

    On est dans de la performance.

  • Grégoire LINCET

    Alors qu'on sait très bien que pour installer un produit, pour installer une marque, les grandes choses se font dans la durée. On peut tourner les choses dans tous les sens. Les grandes choses se font dans la durée.

  • Romain LE GAL

    Et en plus de ça, aujourd'hui, vous souhaitez garder le savoir-faire et le fromage de tradition. du coup aujourd'hui vous produisez du Chahours, du Bria Savarin qui a eu son IGP il n'y a pas non plus très très longtemps du Soumintrain le Soumintrain il est arrivé après ça me permet de faire la bascule et de parler de la suite de l'histoire en 2012 ton papa a eu l'opportunité Oui,

  • Grégoire LINCET

    de reprendre la fromagerie Gauguerie. Au départ, donc la fromagerie Gauguerie...

  • Romain LE GAL

    Donc là, il y a deux Lyon, il y a deux l'Aube, et maintenant on atterrit en Côte d'Or. C'est ça. Voilà, un triangle infernal.

  • Grégoire LINCET

    Triangle infernal du lactique.

  • Romain LE GAL

    Du lactique.

  • Grégoire LINCET

    Et en fait, effectivement, nous, notre volonté et notre envie, qui était celle de papa à l'époque et qui est la nôtre encore aujourd'hui, c'est d'être spécialiste du lactique sur ce triangle-là Bourgogne-Champagne. Et donc, à cette époque, il nous manquait quand même l'Époisses. On avait envie de se développer sur ce produit-là. Papa a tenté plusieurs choses. Il a tenté de lancer une fabrication d'Époisses à Saint-Marc-sur-Seine, en Côte d'Or, en s'appuyant avec un producteur de lait, etc. Ils ont tenté des choses. Ça n'a pas abouti, parce que c'est un produit qui est quand même assez difficile à maîtriser. Et donc, il y a eu cette opportunité en 2012. Les gogueries ont eu un...

  • Romain LE GAL

    Pourquoi tu dis que c'est un produit assez difficile à maîtriser, l'Époisses ?

  • Grégoire LINCET

    L'Époisses, c'est vraiment le fromage, je pense, le plus difficile à maîtriser. Un des plus difficiles à maîtriser, parce qu'ils cumulent tout ce qu'il ne faut pas faire en fromagerie. C'est une hérésie, ce fromage.

  • Romain LE GAL

    Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire, du coup ?

  • Grégoire LINCET

    Alors, on est sur un lactique. Donc déjà, on est sur un lait entier. non standardisés. Donc déjà, ça veut dire que tous les jours, on va travailler un lait différent. Ensuite, on a le caractère lactique qui n'est pas simple à maîtriser parce qu'une acidification sur un lait entier et qui plus est, si on rajoute un peu de lait, si on est encore au lait cru, ça complique encore un peu la tâche parce qu'on a des acidifications qui sont tout le temps différentes. L'acidification, dans notre technologie, c'est quand même ce qui fait la texture et les arômes. Donc ça veut dire un petit peu important en fromagerie. Et derrière, on va... sécher ce produit. Jusque-là, après, sur cette étape-là, ce n'est pas le plus compliqué. Et après, on va le frotter avec de l'eau.

  • Romain LE GAL

    Il y a des régulations qui sont super longues, parce que dans le cahier des charges, c'est minimum 16 heures.

  • Grégoire LINCET

    16 heures pour l'Époisses, on est sur 12-13 heures pour le Chahource. Donc, on a des temps longs sur nos produits.

  • Romain LE GAL

    Et puis après, l'Époisses on va le laver.

  • Grégoire LINCET

    Et on va le laver, ce qui est complètement stupide.

  • Romain LE GAL

    Ce n'est pas stupide.

  • Grégoire LINCET

    Gustativement,

  • Romain LE GAL

    c'est brillant.

  • Grégoire LINCET

    Gustativement, c'est brillant. Mais techniquement,

  • Romain LE GAL

    c'est un peu compliqué. Oui, un peu compliqué. Un peu compliqué. J'avais une personne pour qui j'ai travaillé au début de ma carrière professionnelle qui utilisait une phrase que j'aime beaucoup, c'est le filet de l'artiste. C'est un peu ça. Aujourd'hui, c'est un travail d'équilibriste. C'est un travail de... Oui, complètement. Finalement... On bascule vite d'un côté ou de l'autre. C'est-à-dire qu'on bascule vite dans l'exceptionnel, comme on peut basculer dans quelque chose de très décevant.

  • Grégoire LINCET

    donc c'est assez compliqué mais c'est génial en même temps donc du coup reprise en 2012 de l'atelier à la famille Gaugry Passation Passation en 2018 c'est une société qui était un petit peu en difficulté qui avait un peu de difficulté il y a eu une perte de savoir-faire il y a eu une... puis c'est rigolo parce que là du coup on est sur le site le site Gaugry et c'est un site qui est un peu particulier parce que c'était un site où il y avait un autre type de production avant c'est un ancien site de la famille Ricard oui et... C'était un site.

  • Romain LE GAL

    On faisait du Ricard sur ce site. Ricard a fait du Ricard sur le site ici de 1960 jusqu'à 1999.

  • Grégoire LINCET

    C'est pour la petite aparté. Aujourd'hui, on est dans le site à Brochon.

  • Romain LE GAL

    Où les Gaugris sont installés. L'inauguration a été en 2004. Le passage entre leur site historique et ce site-là a été compliqué. Il y a eu un peu une perte de maîtrise du savoir-faire. Et puis après, l'entreprise Après, ils étaient gérés par deux frères, Olivier et Sylvain. Sylvain est décédé en 2011. Et Sylvain a emporté une partie du savoir-faire dans sa tombe. Donc, c'est vrai que c'est toujours des moments douloureux et compliqués pour des familles, et pour des familles, n'importe quelle famille. Et puis, lorsqu'il y a un savoir-faire qui est très empirique. et qui repose sur des personnes, ce n'est pas évident. Et donc, ça a été un moment difficile pour la famille Gaugry. Et donc, nous, on est arrivé dans ce contexte-là et il a fallu reconstruire ce savoir-faire. Et donc, ça a été long. Ça a été long et difficile.

  • Grégoire LINCET

    Donc, 2012 reprise. Ton papa relance un petit peu la machine. En fait,

  • Romain LE GAL

    on avait un peu plus de... On avait un réseau commercial un petit peu plus évolué que les Gaugry.

  • Grégoire LINCET

    La logistique, c'est une des clés de nos produits aujourd'hui.

  • Romain LE GAL

    Voilà, exactement. Le nerf de la guerre. Comment livrer jusqu'à la plus petite crèmerie ou le plus petit restaurant au fin fond de la Bretagne, nos produits. Le maillon logistique dans nos produits est finalement hyper important. Donc, le réseau logistique a un petit peu aidé. On a aidé, on a apporté notre réseau commercial, notre logistique. Et donc, ça nous a permis de développer l'activité. Puis après, on a été un peu victime de notre succès. C'est-à-dire que... Trop de production sur le site a fait dérailler un petit peu les équilibres qu'on pouvait avoir sur le site. Ça a engendré tout un tas de problèmes. Donc moi, je suis arrivé en 2018.

  • Grégoire LINCET

    Où il y avait plein de problèmes.

  • Romain LE GAL

    Où il y avait beaucoup de problèmes.

  • Grégoire LINCET

    Parce que moi, 2018, c'est la période où dans ma vie, entre guillemets, produit laitier, j'étais aux achats pour un grossiste dans le Nord de la France. Effectivement, j'ai vécu avec vous ces problèmes, entre guillemets, qualité. Et donc toi t'es arrivé dans cette période pas évidente.

  • Romain LE GAL

    Non, pas évidente.

  • Grégoire LINCET

    Toi t'arrives et finalement...

  • Romain LE GAL

    Il a fallu que je me forme, que je me reforme, que je règle ces problèmes-là. Il a fallu reconstruire des équipes. reconstruire le savoir-faire, tout ça. Et ça a été long mais ça a été passionnant, ça a été un accélérateur d'expérience. C'est-à-dire qu'on a l'impression d'avoir travaillé dix ans. Une fois on a fait ça pendant trois ans et voilà, j'ai pas sorti la tête de l'eau. Mais ça a été une expérience qui m'a permis de comprendre comment fonctionnait le fromage déjà, le produit, comment il était, de l'apprivoiser un petit peu. Et puis de comprendre comment fonctionnait une entreprise aussi, parce qu'il a fallu que j'apprenne tout ça en même temps. Mais par contre, si c'était à refaire, je pense que je le referais, même si c'était difficile sur le moment, parce que c'était passionnant aussi. Il y avait un énorme challenge à ce moment-là. Et donc aujourd'hui, sur la fromagerie de Gaugry, vous avez encore d'autres défis ?

  • Grégoire LINCET

    Oui, donc là aujourd'hui, on a stabilisé la qualité des produits. Il reste pas mal de choses à faire encore, parce que c'est un peu sans fin, il y a toujours quelque chose à faire. On en parlait tout à l'heure, il y a des choses intéressantes à faire aujourd'hui au niveau de la gestion de nos ambiances, avec la gestion de l'humidité, l'hygrométrie dans la fromagerie. Et puis avec le changement climatique, on s'aperçoit qu'il y a des... Changement majeur qui est en train de s'opérer, c'est-à-dire qu'avant on avait des hivers froids et secs, puisque l'air froid est plus sec, puisqu'il a moins de capacité à contenir, à absorber de l'eau. Et donc là, des hivers plus doux, avec des températures entre 10 et 15 degrés, on n'était pas habitués et en fait nos fromageries ne sont pas adaptées à ça aujourd'hui. Et donc ça, c'est des défis qui nous restent encore pour la qualité des produits, mais on l'a quand même énormément stabilisé cette qualité.

  • Romain LE GAL

    Il y a une phase hyper importante dans la production d'Epoisses, en tout cas sur la partie affinage, c'est le lavage. avec la particularité de laver un produit local. Oui, on frotte au mar de Bourgogne. Donc là aussi, il y a des enjeux sur le mar. Il faut trouver les bons dosages de mar. Il faut stabiliser.

  • Grégoire LINCET

    C'est combien de lavage par semaine ? Alors,

  • Romain LE GAL

    on va laver le minimum dans le cahier des charges de l'AOP, c'est six fois. C'est deux à trois fois par semaine.

  • Grégoire LINCET

    Et l'affinage, c'est ?

  • Romain LE GAL

    Et c'est 28 jours à partir de la mise en œuvre du lait. Donc du coup, ça fait à peu près trois semaines de frotte.

  • Grégoire LINCET

    Mais aujourd'hui, vous... Tu me disais tout à l'heure qu'on a été finalement dans les caves, que vous sortiez rarement à 28 jours. Tu ne peux pas laisser autant le temps aux produits de s'exprimer ?

  • Romain LE GAL

    Je pense que 35 jours, c'est la perfection. C'est là où on est le mieux.

  • Grégoire LINCET

    C'est là où, pour toi, les produits peuvent commencer à passer à la dernière phase d'emballage et de pouvoir retrouver les étals de nos crémiers fromagers. C'est ça. Ok. Et donc les défis pour toi demain, vous avez aussi cherché à continuer de faire du lait cru. Tout à fait. Ça, c'est un défi aussi.

  • Romain LE GAL

    Oui, ce que c'est dans l'ADN de la fromagerie Gaugry, c'est le lait cru. Et donc aujourd'hui, on est la dernière laiterie à faire du lait cru dans nos filières.

  • Grégoire LINCET

    En époisse, il y a aussi un... une production fermière.

  • Romain LE GAL

    Il y a une production fermière, il y a un producteur fermier qui est tout en lait cru.

  • Grégoire LINCET

    C'est une petite filière, les poissons.

  • Romain LE GAL

    Voilà, c'est une petite filière. Et malheureusement, ce producteur fermier est tout seul. Et nous, en laiterie, c'est-à-dire en collecteur de lait, avec du lait, nous, on n'a pas de vache, on collecte du lait auprès de cette producteur de lait. On est la seule laiterie. Il y a aujourd'hui des productions fermières au lait cru, mais on oublie souvent,

  • Grégoire LINCET

    les gens mélangent le fermier,

  • Romain LE GAL

    lait cru, les laiteries, tout ça. Et les productions fermières sont en général des productions plus modestes en quantité, en volume, que ce que peuvent faire des laiteries. Et c'est dommage aujourd'hui que dans nos laiteries, on ait de plus en plus de mal à faire des fromages au lait cru. Ça, c'est un peu dommage. Et nous, on a envie de continuer. Mais il n'y a plus grand monde qui veut s'embêter à faire ça, c'est sûr.

  • Grégoire LINCET

    Donc le lait cru, pourquoi un défi ? Je me rappelle d'un échange il y a quelques temps, je suis passé il y a quelques temps à la fromagerie avec un groupe et on a eu un échange qui était assez intéressant sur les analyses que tu avais retrouvées de ton grand-père sur la vie du lait. Et ça, c'est un exemple que plusieurs fois j'ai repris avec finalement la vie du lait.

  • Romain LE GAL

    Ce qui est sûr, c'est qu'en fait, on a vécu des grands changements. C'est-à-dire qu'on a globalement... Il faut savoir qu'avant, il y avait entre 14 000 et 15 000 morts par an d'intoxication alimentaire au lendemain de la guerre. Et aujourd'hui, il y en a 300. Donc, comment tout ça s'est fait ? Eh bien, ça s'est fait par essentiellement l'hygiène de nos outils de production, que ce soit sur l'amont, en production laitière, ou dans nos fromageries, dans tous nos ateliers de production dans l'industrie agroalimentaire de manière générale. Et en fromagerie, avant, un lait... avait, on a un indicateur qui est suivi depuis très longtemps dans le lait, c'est le nombre de germes qu'il y a dans un millilitre de lait.

  • Grégoire LINCET

    L'avantage, c'est qu'au bout de sixième génération, vous avez quelques archives.

  • Romain LE GAL

    On a un petit peu d'historique.

  • Grégoire LINCET

    Vous avez quelques archives.

  • Romain LE GAL

    Et en fait, on sait qu'à l'époque, dans les années 50-60, les laits avaient à peu près 300 000 germes en moyenne par millilitre de lait. Donc 300 000 micro-organismes.

  • Grégoire LINCET

    Donc la vie du lait. La vie du lait. Il y avait de la vie, il n'y avait pas de place, il y avait de la vie.

  • Romain LE GAL

    Il y avait de la vie. Donc après, il y avait des bonnes et des mauvaises bactéries. mais il y avait de la vie. On a hygiénisé et en fait, on ne savait pas à l'époque comment faire le tri entre des bonnes bactéries et des mauvaises. Donc, comme en médecine, comme dans plein de sujets, qu'est-ce qu'on a fait ? On a tout éliminé.

  • Grégoire LINCET

    On a sanité, on a hygiénisé. Donc, on a désinfecté les salles de traite, on a désinfecté le pi des vaches, on a désinfecté tout ça, et aujourd'hui, on se retrouve avec des laits qui sont entre 2 et 10 000 germes. Et donc, quand on pasteurisait un lait dans les années 60, qui avait 300 000 germes, la pasteurisation, c'est un facteur de réduction de 10. Ça veut dire qu'un lait pasteurisé préservait 30 000 germes encore.

  • Romain LE GAL

    Donc, on avait des laits pasteurisés à l'époque qui étaient plus riches que de lait cru qu'aujourd'hui.

  • Grégoire LINCET

    Plus d'aujourd'hui. Un lait cru aujourd'hui, c'est quasiment un lait stérilisé. Il n'y a quasiment plus rien dedans. Alors, il ne faut pas tout le temps voir les choses négativement.

  • Romain LE GAL

    Il y avait un besoin,

  • Grégoire LINCET

    il y avait un problème. Et il ne faut pas faire l'autruche à dire qu'il n'y avait pas de soucis, que c'était mieux avant, que non, ce n'est pas vrai, ça. Ça, c'est vraiment des trucs. Ce n'était pas mieux avant et les fromages n'étaient pas meilleurs avant. Ça, c'est complètement faux. C'est comme le vin. Le vin n'était pas meilleur avant. C'est faux de dire ça.

  • Romain LE GAL

    Toi et moi, de toute façon, dans les années 50, on n'était pas là. Non, on n'est pas là pour dire c'est meilleur.

  • Grégoire LINCET

    Non, on n'était pas là. Mais si tu veux, moi, j'ai l'historique. Mon père me... à des souvenirs de fromage, d'aléas de qualité sur les fromages à l'époque. Mais qui se sou... Moi, j'en ai le souvenir, gamin, quand même, de manger des comtés qui piquaient, qui donnaient des aftes, qui avaient... Non, mais c'est vrai, qui avaient des butyriques, qui avaient plein de...

  • Romain LE GAL

    C'est pas très agréable.

  • Grégoire LINCET

    C'est pas très agréable, mais ça, ça a presque disparu aujourd'hui.

  • Romain LE GAL

    On a maîtrisé.

  • Grégoire LINCET

    On a maîtrisé. Et les savoir-faire se sont améliorés grâce aux AOP, grâce au cahier des charges.

  • Romain LE GAL

    Grâce à la technique. Grâce à la science.

  • Grégoire LINCET

    À la science. Il y a des écoles comme les Éniles de Poligny, il y a des gens comme Bernard Mietton, qui ont écrit des choses, qui ont documenté des choses et qui ont permis de faire évoluer les techniques. Et heureusement qu'on a eu ça et ça nous permet aujourd'hui d'avoir des bien meilleurs produits. Mais c'est vrai qu'aujourd'hui, on a des produits qui sont, on a des fromages, des laits très pauvres. Et c'est un peu un problème. Alors nous, on y travaille. On réfléchit aujourd'hui à... C'est pareil, là. Encore une fois, c'est un travail qui est lent et qui est fait sur le long terme. Mais on cherche à... à renforcer l'environnement microbien des fermes. Et donc, avec certains éleveurs, on travaille là-dessus, où en fait, on va ensemencer avec des fermes enlactiques, les litières, par exemple. Et on va chercher à ensemencer les étables en fermes enlactiques. Et certains...

  • Romain LE GAL

    Faire travailler les flores endogènes. Les flores qui se présentent de manière naturelle, qui ne sont pas les mêmes si on prend deux fermes, l'une à côté de l'autre. La richesse du lait, la richesse de notre vie, n'est pas la même d'une ferme à côté.

  • Grégoire LINCET

    Donc aujourd'hui, on est... obligés, bien évidemment, pour garantir une sécurité sanitaire de nos produits, on est obligés de continuer de désinfecter, de nettoyer. Mais on se pose plus de questions qu'avant. Et ça, c'est très positif parce que ça nous amène à avoir des réflexions hyper intéressantes et qui aboutiront certainement dans les années à venir. Mais c'est dans 5 ans, 10 ans, 15 ans. On en parlait tout à l'heure. C'est comme quand mon grand-père a créé... C'est un cycle long. C'est des cycles longs. Et je suis persuadé que des choses arriveront.

  • Romain LE GAL

    Et une accélération de la réflexion. Exactement. Donc aujourd'hui, vous battez pour continuer de faire du lait cru sur ce site. Oui. Et c'est quelque chose que vous souhaitez continuer.

  • Grégoire LINCET

    On se bat au quotidien pour ça. Tous les matins, quand on se lève, on se bat pour ça.

  • Romain LE GAL

    C'est un risque. C'est un peu une épée. Il faut dire les choses. C'est un peu une épée de Damoclès. Toi, quand tu es responsable d'une fromagerie qui fait des fromages au lait cru, c'est la passion qui fait vivre. C'est un peu une épée de Damoclès.

  • Grégoire LINCET

    C'est complexe parce que tout passe, nous, sur nos métiers. Nous, les fromagers, on... Il faut avoir beaucoup d'humilité sur un fromage. Déjà, il y a la moitié, c'est le lait.

  • Romain LE GAL

    On travaille avec du vivant.

  • Grégoire LINCET

    On travaille avec du vivant et la moitié, c'est le lait. C'est-à-dire que quand vous avez un lait de bonne qualité, vous avez déjà la moitié du travail qui est fait. Et donc, il faut travailler en amont avec les éleveurs. Et là, nous, on a la chance de travailler avec des éleveurs qui sont hyper engagés, hyper motivés. Et vraiment, moi, je prends beaucoup de plaisir à travailler avec tous nos producteurs de lait. Mais leur travail est également difficile. Ils ont beaucoup d'enjeux. Et donc, on essaye, si vous voulez, de trouver le bon équilibre quand on fait du lait cru entre l'exigence qu'on va avoir. avoir envers eux. Et d'un autre côté, on leur laisse aussi la possibilité de travailler dans de bonnes conditions. C'est-à-dire qu'il faut trouver le bon équilibre entre la sécurité sanitaire qu'on veut garantir et le modèle économique, les contraintes qu'on va leur mettre. Voilà, parce que à un moment donné, si on va trop loin, il n'y aura plus personne qui va faire...

  • Romain LE GAL

    Et vous êtes dans une démarche que vous avez inscrite, qui s'appelle Les Demains. C'est ça. Tu peux nous en parler en quelques mots.

  • Grégoire LINCET

    En fait, on a décidé de formaliser un petit peu nos démarches et tout le travail qu'on fait avec nos producteurs de lait parce qu'on fait pas mal de choses. Alors, il y a pas mal de choses qui sont faites au travers des AOP, mais on a voulu aller un petit peu plus loin et avoir un peu plus de valeur ajoutée encore sur nos pratiques. Et donc, on a décidé de faire une charte de bien-être animal, en fait, une charte d'élevage qui regroupe des éléments de bien-être animal et également qui porte sur différents cliquets. On a également du coup... Du coup, au travers de cette démarche, la volonté de basculer en alimentation française, 100% de l'alimentation des animaux. On a aujourd'hui une grosse partie de l'alimentation qui provient des zones d'appellation et des fermes.

  • Romain LE GAL

    Oui, ça c'est dans le cas des Gétards.

  • Grégoire LINCET

    C'est 85% pour le chahours et les pois, c'est 85% d'autonomie de zone et le chahours également 75% d'autonomie de ferme. Donc c'est quelque chose qui est très important parce que c'est vraiment le... C'est pareil, ça fait partie des piliers de nos appellations.

  • Romain LE GAL

    C'est le pilier d'à peu près toutes les appellations. Voilà, oui. de terroir et par...

  • Grégoire LINCET

    Mais nous, l'avantage qu'on a, c'est qu'on repose sur des systèmes de polyculture élevage, de vraie polyculture élevage, et du coup, ce qui permet à nos éleveurs d'avoir quasiment les autonomies de fermes les plus importantes. Parce que beaucoup d'appellations ou de filières parlent d'autonomie de fourrage. Nous, on parle d'autonomie totale, c'est-à-dire sur les fourrages et les concentrés également, et les céréales qu'on peut donner à manger aux animaux.

  • Romain LE GAL

    Un peu faire une FAF, une fabrique d'aliments à la ferme. Parce que des producteurs, c'est quelque chose où il y a pas mal de producteurs. Quand ils ont la possibilité, finalement, de faire les rotations de culture qui vont bien pour nourrir les animaux, ça, c'est une belle démarche.

  • Grégoire LINCET

    Et du coup, on a, comme beaucoup d'éleveurs, on a une partie des concentrés qui, la base de la ration des vaches, il y a une partie de concentré. Donc ça, c'est la protéine qu'on va apporter dans la ration, qui est assez importante pour la production du lait. Et cette protéine aujourd'hui, elle vient essentiellement de l'étranger. Ça, c'est un sujet, il ne faut pas l'occulter. Et nous, on a décidé de prendre ce sujet à bras-le-corps. Et on a sondé, on a discuté avec les éleveurs. Et on est en phase de... Donc là, on termine cette année les discussions avec les éleveurs pour mettre en place une alimentation 100% française avec une ration 100% française. Et qu'on va valoriser. C'est-à-dire que nous... Tout ce qu'on fait, toute notre démarche, aujourd'hui, on la valorise. Par exemple, notre démarche de bien-être animal, on a tout un tas de critères avec des prérequis qu'ils sont obligés d'avoir pour accéder à la prime. Et une fois qu'ils ont ces prérequis, il y a un barème à points sur 100 points. Et en fait, si vous avez 100 points, vous avez 15 euros du 1000 litres sur une année complète. Vous avez 15 euros du 1000 litres qui viennent s'ajouter au prix du lait. Et si vous avez 50 points, vous avez 7,50 euros. Et c'est au pro-rata du nombre de points que vous avez. Et la démarche d'alimentation française, on va la valoriser également avec une surprime par rapport à ça. Donc ça, c'est des discussions qu'on a actuellement avec les producteurs de lait.

  • Romain LE GAL

    Vous avez combien de producteurs de lait ? Alors si on prend Gogri tout à l'heure, tu nous as dit 7. Oui,

  • Grégoire LINCET

    une cinquantaine chez l'INSEE.

  • Romain LE GAL

    Oui, donc ça fait déjà...

  • Grégoire LINCET

    Ils sont essentiellement dans l'Aube et dans la Marne et un petit peu dans Lyon aussi. Et donc cette démarche, elle est formalisée et ça nous permet en fait de l'organiser. Si vous voulez, encore une fois, c'est vraiment un esprit filiaire. C'est-à-dire qu'il y a nos AOP, mais nous, on raisonne, même l'INSEE, notre filière à nous aussi, notre bassin laitier à nous. Et en fait,

  • Romain LE GAL

    l'idée de se décrire et de faire une charge... développement durable dans nos zones.

  • Grégoire LINCET

    Dans nos zones, et ça permet d'être plus efficace, en fait. On est plus fort, on est plus efficace. Et derrière, on fait des produits qui sont quand même aujourd'hui valorisés. On fait des produits qui ont un certain coût, c'est vrai. Mais moi, je pars du principe que je pense que le consommateur est prêt à payer un certain prix pour la qualité de ce qu'il mange, à la condition qu'il l'ait compris et qu'il sache ce qu'il achète et pourquoi il paye. Alors, bien évidemment, il y a des limites. Il ne faut pas abuser ni exagérer sur la valorisation qu'on peut avoir de nos produits. Mais je pense qu'il est important de formaliser toutes nos démarches, quelles qu'elles soient, que ce soit en amont laitier, que ce soit sur nos pratiques, la fabrication, il faut de la transparence et expliquer ce qu'on fait, et pas occulter ce qui ne va pas. Parce que le consommateur, il n'est absolument pas stupide, il se renseigne, il réfléchit. Ils ne consomment pas bêtement, comme parfois certaines personnes peuvent le dire. Ce n'est pas vrai, moi, pour discuter régulièrement avec des consommateurs, des gens qui viennent nous voir dans nos fromageries, dans nos magasins.

  • Romain LE GAL

    Vous êtes sur une route assez passante. Les gens posent beaucoup de questions,

  • Grégoire LINCET

    sont très curieux. Ils veulent savoir d'où vient le lait, comment il a été produit. Et ça, il faut répondre à ces attentes-là. Et là, encore une fois, c'est un travail de long terme, bien évidemment. Mais je pense qu'il est primordial et vraiment important de formaliser, mais de formaliser aussi et de communiquer sur des choses concrètes. des choses qui sont faites, et non pas sur des choses qui seront faites demain, mais sur des choses qui sont faites maintenant, parce que je pense que les consommateurs aussi en ont un peu marre, qu'on leur dise, ah bah voilà on a pris des engagements à 2030, à 2050, c'est un peu le concours de celui qui a pris le plus d'engagement, et voilà. Mais prendre des engagements, c'est quand même le truc le plus facile du monde. Moi je peux en prendre plein, je peux en prendre 15 là si je veux des engagements. Ce qui est important c'est le résultat, c'est le concret. Qu'est-ce que concrètement tu as eu comme résultat par rapport aux actions que tu as pu mener ?

  • Romain LE GAL

    Avant de conclure cet entretien, Grégoire, j'ai une question. C'est la petite question mystère que je pose à tous mes entretiens. C'est quoi ta pizza préférée ? Parce que c'est quand même un plat que tout le monde mange, finalement. Et toi, c'est quoi ta pizza préférée ?

  • Grégoire LINCET

    Alors moi, j'ai une pizzeria à côté de chez moi qui s'appelle Casa Roma, la pizza, à Dijon, et qui fait une pizza qui s'appelle la Normano. D'accord.

  • Romain LE GAL

    Et il y a quoi sur cette pizza ?

  • Grégoire LINCET

    Et il y a du brie dessus, il y a beaucoup de fromage avec du jambon, du brie et de... Et c'est une pizzeria qui fait des pizzas assez originales, mais avec que des bons ingrédients. Et elle est excellente.

  • Romain LE GAL

    Bon, une bonne adresse quand je passerai sur Dijon à aller tester. Merci beaucoup Grégoire.

  • Grégoire LINCET

    De rien.

  • Romain LE GAL

    Merci d'avoir pris le temps de nous recevoir. Et puis on a échangé comme d'habitude sur une petite planche de fromage. J'avais voulu faire découvrir à Grégoire trois fromages dont un qu'il connaissait déjà bien. Quitte à venir sur un secteur où on fait des croûtes lavées, je lui ai ramené la croûte lavée emblématique du Nord, un maroilles de nos amis de la ferme du Pont des Loups, un petit chèvre également du Nord de la fromagerie du Val d'Otis et puis un fromage un peu plus dans les cieux. C'est l'immersus du Mont-des-Cas, qui est immergé 48 heures à la bière. Qu'est-ce que tu as pensé de ces fromages, Grégoire ?

  • Grégoire LINCET

    Je voyais que les trois étaient excellents. Et vraiment, pour l'immersus, je ne connaissais pas celui-là.

  • Romain LE GAL

    On a vraiment ce côté houblonné qui vient.

  • Grégoire LINCET

    Très intéressant et très bon. Les trois étaient excellents.

  • Romain LE GAL

    Merci beaucoup de nous avoir écoutés. Je vous retrouve bientôt sur l'échange. Si vous avez aimé ce contenu, n'hésitez pas à le partager et à nous mettre 5 étoiles sur les plateformes. Je vous dis à bientôt pour un nouvel épisode. Merci Grégoire, à bientôt, au revoir.

  • Grégoire LINCET

    Merci Romain, au revoir.

Description

Découvrez l’histoire du groupe Lincet avec Grégoire, 6éme génération travaillant dans cette entreprise familiale qui remonte à 1895.

Dans les années 60-70, pour faire face au déclin laitier, Jean Lincet, le grand-père de Grégoire, s’est mis à racheter beaucoup de fromageries, comme beaucoup, à la base, pour s’assurer de récupérer le lait. La fromagerie a Saligny fût achetée en 1957, c’était une vieille fromagerie qui fabriquait toutes sortes de produits laitiers : du fromage blanc, de la faisselle, du beurre, de la crème et beaucoup de fromage frais. Notamment le Saint-Florentin qui était la plus grosse production du site de Saligny.

Le Saint-Florentin est un fromage historique de la région de l’Yonne, un fromage frais lactique fabriqué dans ce site avec un vrai savoir-faire lactique qu’il pouvait garder en complémentarité avec celui à Gué, dans la Marne, où il fabriquait plutôt des fromages à pâtes présures, comme du brie de maux, carré de l’est, camembert et brie.

Avec ce savoir-faire à Saligny, Jean Lincet décida de se lancer dans la production du Chaource, un fromage à pâte molle et croute fleurie, qui, à l’époque, n’avait pas encore d’AOP. Il s’agissait d’un fromage très confidentiel, avec seulement quelques fermes et laiteries qui le produisaient. Plus tard, en rassemblant un groupe d’éleveurs, ils ont fait en sorte de défendre et protéger ce produit, ce qui a abouti à la création de l’AOP en 1970.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Romain LE GAL

    Bienvenue sur Lait'Change, le podcast qui donne la parole aux actrices et aux acteurs de la filière laitière et fromagère. Je suis Romain Le Gal et aujourd'hui j'ai la chance d'être en Bourgogne. Je suis sorti à Nuit-Saint-Georges pour traverser les vignobles et me suis arrêté au Brochon. Je suis passé par Gevrey-Chambertin, ceux qui aiment bien le vin, je pense qu'ils connaissent un peu le coin. Et je me suis arrêté à la fromagerie Gaugry où je suis actuellement avec Grégoire Lincet. Bonjour Grégoire. Bonjour Romain. Comment vas-tu aujourd'hui ?

  • Grégoire LINCET

    Ça va pas mal.

  • Romain LE GAL

    Ça va pas mal ? Est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots Grégoire ?

  • Grégoire LINCET

    Oui bien sûr. Donc je suis Grégoire Lincet, je représente la sixième génération au sein de la fromagerie Lincé. J'ai 34 ans et j'ai rejoint l'entreprise familiale en 2018, après un passage en contrôle de gestion dans différentes entreprises. J'ai pris la décision de me former en fromagerie et à... approfondir mes connaissances laitières au travers d'un master à l'ENSAIA à Nancy et ensuite j'ai pris la direction de la fromagerie Gaugry que mes parents avaient racheté en 2012 et j'ai évolué sur différentes responsabilités jusqu'à aujourd'hui pour être désormais à la direction générale de toute l'entreprise aux côtés de mon père.

  • Romain LE GAL

    D'accord donc ton papa est encore dans l'entreprise aujourd'hui ? Voilà. Donc, ton père, c'est la cinquième génération.

  • Grégoire LINCET

    Donc, mon père, c'est la cinquième génération. Et tu dis sixième génération.

  • Romain LE GAL

    L'histoire lincet, ça a démarré quand, du coup ?

  • Grégoire LINCET

    Et donc, l'histoire lincée, elle a démarré à la fin du XIXe siècle, enfin, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, dans la Marne.

  • Romain LE GAL

    Dans la Marne. Alors, rien à voir avec la Côte d'Or.

  • Grégoire LINCET

    Rien à voir avec la Côte d'Or. Je ne le dis pas trop fort ici, mais on est champenois à la base.

  • Romain LE GAL

    D'accord. Pas trop le dire.

  • Grégoire LINCET

    Il ne faut pas le dire très fort. Et donc, on était dans la Marne, dans un village qui s'appelle Guay, près de Cézanne. Donc, on a la première trace qu'on ait, c'est à peu près 1895. Ça, c'est le plus vieux document que l'on ait de l'entreprise. Par contre, on sait que l'entreprise existait déjà avant.

  • Romain LE GAL

    D'accord.

  • Grégoire LINCET

    Mais on n'a pas de document qui l'atteste.

  • Romain LE GAL

    C'était une laiterie ?

  • Grégoire LINCET

    C'était une laiterie. En fait, on avait... Donc, à la base, ce n'était pas la famille Lincet, c'était la famille Piscard.

  • Romain LE GAL

    D'accord.

  • Grégoire LINCET

    et qui était, a priori, une famille d'agriculteurs qui avaient une ferme et qui se sont mis à produire du fromage. Ensuite, notre arrière-arrière-grand-père Piscard a eu deux filles, dont une des deux filles a épousé un monsieur qui s'appelait Jules Lincet.

  • Romain LE GAL

    Ok, donc le premier Lincet.

  • Grégoire LINCET

    Voilà, le premier Lincet. Et donc ensuite, ça a été une succession de Lincet.

  • Romain LE GAL

    Donc après, ça a été Jules. Donc après,

  • Grégoire LINCET

    il y a Jules.

  • Romain LE GAL

    Après, il y a Lucien,

  • Grégoire LINCET

    Lucien, Lincet, qui est mon arrière-grand-père. Ensuite, il y a Jean Lincet, mon grand-père. Et ensuite, Didier Lincet, mon père.

  • Romain LE GAL

    Donc toi, tu es toujours né dans une famille de fromagers. J'ai été pour le cuve,

  • Grégoire LINCET

    baigné dans le lait et j'ai grandi dans une fromagerie.

  • Romain LE GAL

    Et c'est toujours quelque chose que tu as voulu faire, un jour revenir dans le lait ? Parce qu'après tes études, tu as un peu pris un... Un cursus différent ?

  • Grégoire LINCET

    Alors, en fait, j'ai toujours été passionné par le lait. Pendant un moment, comme beaucoup de gens, on se pose un peu des questions quand même. Et moi, j'ai été attiré à un moment donné par le travail de la vigne, par le vin, la vigne. Mais rapidement, je n'ai pas hésité longtemps.

  • Romain LE GAL

    En soit, c'est de la fermentation des deux côtés. Exactement. On est resté dans le temple de la fermentation.

  • Grégoire LINCET

    Exactement. Mais j'ai toujours aimé. Je n'ai pas hésité. Il n'y a pas eu de doute dans ma vie où je me suis dit vraiment... Avec de grosses remises en question, je me suis dit, je ne sais pas ce que je vais faire.

  • Romain LE GAL

    Quand tu étais jeune, enfant, etc., tu allais à la fromagerie ? Tout le temps. Tout le temps ?

  • Grégoire LINCET

    Mon père nous emmenait, aujourd'hui l'entreprise est à Saligny dans Lyonne, le siège de l'entreprise est à Saligny dans Lyonne.

  • Romain LE GAL

    Ouais, donc du coup, après Gué, vous êtes parti à Saligny.

  • Grégoire LINCET

    Et en fait, mon grand-père, la Marne, avant il y avait des éleveurs de lait dans toute la France, partout. Un peu comme la vigne, avant le phylloxéra, il y avait de la vigne. partout dans tous les villages. Le lait, c'est la même chose, il y en avait partout. Et donc dans la Marne, il y avait énormément de producteurs de lait, il y avait beaucoup de fromagerie, et il y a eu les Trente Glorieuses, après-guerre, avec une concentration, une demande assez forte, et là, beaucoup de choses ont été rationalisées, c'est-à-dire qu'on a concentré la fabrication sur des sites de plus en plus importants, et on a concentré la production également du lait, et donc il y a eu de moins en moins d'éleveurs de lait. et de moins en moins de fromagerie. Donc, mon grand-père faisait déjà face à cette époque dans les années 60, 70, faisait face à un déclin laitier déjà, ou en tout cas à une diminution du nombre de producteurs de lait. Et donc, mon grand-père s'est mis à racheter beaucoup de fromagerie, comme beaucoup. À la base, c'était plus pour récupérer le lait que pour le marché. Donc, la fromagerie de Saligny, mon grand-père l'a rachetée en 1957. C'est une vieille fromagerie également. Et qui...

  • Romain LE GAL

    La fromagerie qui produisait quoi du coup ?

  • Grégoire LINCET

    Il faisait un peu de tout, comme beaucoup de laiterie à l'époque. où on faisait du fromage blanc, de la faisselle, du beurre, de la crème et beaucoup de fromages frais type Saint-Florentin. Le Saint-Florentin, quand mon grand-père a racheté, c'était la plus grosse production du site de Saligny.

  • Romain LE GAL

    Donc, ce n'est pas quelque chose que ton grand-père a créé en France à Saligny ? Non, c'est quelque chose qu'il a racheté. C'est le fromage historique de cette province ?

  • Grégoire LINCET

    C'est le fromage historique. Saint-Florentin, c'est une ville de l'Yonne. C'est un fromage qui est ancien et on n'est plus très nombreux à en faire. Mais c'est un fromage frais, en fait, un lactique. Voilà, c'est une base lactique fraîche. Mon grand-père voulait fermer Saligny au départ. Il avait repris dans cet esprit en disant je vais ramener la production de lait et les volumes à Gué Il y a combien de distance entre les deux ? Il y a à peu près 60 kilomètres. Et en fait, mon grand-père a vu assez rapidement qu'il y avait un savoir-faire un peu particulier sur le site de Saligny, puisque nous, à Gué, dans la Marne, on faisait essentiellement des pâtes présures. On faisait un peu de bris de mots. Et on faisait des produits type carré de l'Est, des carrés, des... Du camembert et du brie, mais générique, sans appellation. Et donc, mon grand-père a identifié un savoir-faire lactique à Saligny et il a vu que les produits étaient intéressants. Donc, mon grand-père a lancé la production du chahours à Saligny.

  • Romain LE GAL

    Donc, c'est lui qui a lancé le chahours à Saligny ? À Saligny, oui. C'était pas une production ?

  • Grégoire LINCET

    Non, et vu qu'il n'y avait pas d'AOP à l'époque, il n'y avait pas de zone, toutes ces choses-là n'étaient pas définies. Donc, mon grand-père s'est lancé... dans la production du chahours, qui était très confidentielle, cette production de chahours.

  • Romain LE GAL

    Il y avait quoi ? Il y avait quelques fermiers ?

  • Grégoire LINCET

    Il devait y avoir quelques fermiers, peut-être plus de laiterie. Il n'y avait pas grand monde quand on faisait, mais il y avait quand même quelques laiteries. Tu avais des laiteries dans l'aube, tu avais quelques laiteries qui en faisaient depuis déjà. Mais mon grand-père s'est lancé là-dedans. Et de par le savoir-faire un peu lactique qu'il y avait à Saligny, très vite, les produits ont eu un succès, en fait, ont été bons. Et donc, mon grand-père a gardé ce site. Et il a investi sur ce site et il l'a un petit peu développé.

  • Romain LE GAL

    Donc, ton grand-père... Et finalement, il a été hyper important dans l'AOP Chaours. Il a porté le projet.

  • Grégoire LINCET

    Il a vu que ce produit avait un peu de succès, qu'il y avait un potentiel. Et avec un groupe d'éleveurs, en fait, il a rassemblé un groupe d'éleveurs. Et ensemble, ils se sont dit, il faut qu'on défende ce produit et qu'on le protège. Et donc, ça a abouti à la création de l'AOP en 1970.

  • Romain LE GAL

    Avec un fromage type... de pâte molle à croûte fleurie, avec aussi la particularité, c'est que c'est une technologie lactique, et que pour la région, c'était un peu particulier, un peu particulier, c'était du lait entier. Voilà, c'est un lait entier.

  • Grégoire LINCET

    C'est pas lait standardisé.

  • Romain LE GAL

    C'est vraiment ce qui fait la particularité de ce fromage-là. Pas un gros fromage, un fromage qui est assez haut.

  • Grégoire LINCET

    C'est pour ça qu'il y a des gens, parfois, qui pensent que le Chahource, c'est un double crème, ou qu'on a remis de la crème, alors que non. C'est du lait entier, et c'est... Sauf que c'est l'inverse, c'est qu'on est habitué aujourd'hui finalement à manger beaucoup de fromages qui sont fabriqués avec des laits standardisés, et quand finalement les fromages au lait entier sont peut-être moins prédominants, moins présents qu'au... que des laits, que des fromages au lait standardisé. Alors la standardisation, ça paraît être un gros mot aujourd'hui comme ça, mais ça ne l'est pas forcément. C'est qu'à l'époque, on écrémait le lait à la louche.

  • Romain LE GAL

    On l'écrémait partiellement.

  • Grégoire LINCET

    On l'écrémait à la louche. On l'écrémait à la louche.

  • Romain LE GAL

    Ou dans certaines régions, ils appellent ça à la poche.

  • Grégoire LINCET

    Voilà.

  • Romain LE GAL

    En Tome Des Bauges, ils appellent ça à la poche. À la poche ou à pocher.

  • Grégoire LINCET

    Et ça, c'est vraiment un truc historique. Ça permettait de récupérer de la crème, de faire du beurre. Et je pense que les anciens avaient identifié aussi que...

  • Romain LE GAL

    Surtout que dans la région, on aime quand même manger... Assez riche. Assez riche.

  • Grégoire LINCET

    Mais c'est aussi parce que je pense que les anciens avaient identifié qu'on stabilisait plus. un fromage, la qualité d'un fromage, lorsqu'on avait un petit peu écrémé le fromage. En gros, plus il y a de matière grasse dans un lait, plus il est difficile de travailler ce lait. Parce que la matière grasse, c'est sensible, c'est fragile, ça s'oxyde, ça peut apporter des mauvais goûts. Et donc, c'est très difficile de faire un bon fromage quand le lait a beaucoup de matière grasse. Et nous, c'est tout l'inverse, puisqu'aujourd'hui, au lieu de prendre le pli des fromages où on standardise un peu, nous, on n'a que des fromages aujourd'hui avec du lait entier, ou même... du double ou triple crème pour le délice de Bourgogne et le brillant Saint-Vara.

  • Romain LE GAL

    D'accord. Et donc, ton grand-père, après, se sépare du site historique dans les années...

  • Grégoire LINCET

    80, début des années 80. D'accord.

  • Romain LE GAL

    Il a cédé, s'il me semble...

  • Grégoire LINCET

    Il a cédé à

  • Romain LE GAL

    Lactalis, à la famille Beignet. Il y avait encore une collecte dans ce coin-là.

  • Grégoire LINCET

    Oui, et puis c'était une époque où il y a eu l'émergence de structures, de groupes un petit peu plus importants, comme Beignet qui est devenu Lactalis, Bongrain, La Famille Bel, il y a eu des familles qui ont émergé avec leurs entreprises. On a vendu à Lactalis, qui a fait tourner le site jusqu'à la fin des années 90. Mais mon grand-père avait une relation cordiale. avec Michel Beignet. Du coup, mon grand-père a pu garder le site de Saligny tout en travaillant un petit peu pour Lactalis au début pour que la reprise se fasse correctement.

  • Romain LE GAL

    En douceur. En douceur.

  • Grégoire LINCET

    Et ça s'est fait intelligemment tout ça. Et ça s'est fait intelligemment parce que du coup, le site de Saligny s'est retrouvé orphelin puisqu'il n'avait aucune structure, pas de commerciaux, pas de services administratifs, rien. Il a fallu tout reconstruire. Et l'entreprise aurait pu disparaître à ce moment-là.

  • Romain LE GAL

    Donc il s'est concentré sur le site de Saligny.

  • Grégoire LINCET

    Exactement.

  • Romain LE GAL

    Et puis après, il a continué de grossir.

  • Grégoire LINCET

    Alors, mon grand-père, le site de Saligny était petit. Il y avait une soixantaine de personnes à peu près. Enfin, petit sans être petit pour l'époque, ce n'était pas si petit que ça. Mais il y avait une soixantaine de personnes. Et je ne sais pas combien en litrage ça représentait à l'époque, mais je pense que ça devait représenter un équivalent de peut-être 20 000, 30 000 litres de lait jour. Quelque chose comme ça, à mon avis. Alors que le site aujourd'hui... A peine, je pense qu'on était peut-être même plus sur 10-15 000 litres de lait jour. Et aujourd'hui, le site traite plus de 60 000 litres de lait jour.

  • Romain LE GAL

    Avec le produit principal reste le Chaource ?

  • Grégoire LINCET

    Non, alors ça a changé. Du coup, on s'est retrouvés... Et mon père a repris l'entreprise en 89. Mon grand-père a géré pendant 5-6 ans à peu près.

  • Romain LE GAL

    Il y a 34 ans à peu près. Voilà. Ton année de naissance à peu près.

  • Grégoire LINCET

    Exactement, après il est arrivé juste avant ma naissance. à Saligny dans Lyonne. Mon père a fait l'ENIL de Poligny et un IUT de gestion, donc c'est un pur fromager. Il a repris le site et là, papa l'a vraiment développé. Mon grand-père s'est assez rapidement mis en retrait et a laissé la place à mon père. Papa est reparti vraiment... D'une feuille blanche, presque, parce qu'en fait, le site était un peu vieillissant. Il avait besoin d'investissement. Les années 90, ça a été le virage de tous les systèmes qualité tels qu'on le connaît aujourd'hui. Donc, il a fallu prendre tous ces virages là. Il a fallu sécuriser l'approvisionnement en lait parce qu'on est sur des appellations avec des zones d'appellation. Donc, le lait doit provenir de la zone et la production doit être faite dans la zone.

  • Romain LE GAL

    Et sur ce site là, aujourd'hui, vous faites du Chaource.

  • Grégoire LINCET

    Et on fait... Historiquement, on faisait du chahours et mon grand-père a créé le délice de Bourgogne de 2 kilos, le triple crème de 2 kilos en 1975 et a lancé la production du Brillat-Savarin après sur le site. Donc on avait, pendant longtemps, on a eu le chahours et le triple crème sur le même site. Et après, en 2006, on a eu l'opportunité de reprendre un site à Lactalis, dans l'Aube, à Vaud, où Lactalis faisait de la découpe de fromage et du Chahource sur le même site. Et Lactalis a pris la décision de re-régionaliser la découpe de... fromage. Et donc, il n'y a plus de découpe sur ce site. Et la production de Chahource était petite pour Lactalis sur le site. Et donc, du coup, ils ont décidé de se séparer.

  • Romain LE GAL

    Donc, en gros, ça a permis de spécialiser un site à faire du Chahource et un site à faire les spécialités du reste de la gamme. C'est ça.

  • Grégoire LINCET

    Et en fait, petit à petit, on a basculé tous les Chahource sur le site de Vaud et nous avons pu développer notre production de Chahource et notre production de triple crème.

  • Romain LE GAL

    Donc sans Jean Lincet, il n'y aurait peut-être pas eu d'AOC puis AOP Chahours.

  • Grégoire LINCET

    C'est sûr, c'est ce que je disais à des éleveurs l'autre jour, on en parlait. C'est très difficile parce que sur les AOP et le savoir-faire, on est sur un temps long. Et quand on est dans la tradition, quand on est sur ces choses-là...

  • Romain LE GAL

    C'est un des piliers de l'AOP, la tradition, le terroir.

  • Grégoire LINCET

    C'est ça. Et on est sur le temps long. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on est dans une société ou dans un monde où les choses vont très vite. On est habitué à ce que les choses évoluent très vite et à switcher d'un jour à un jour. Comme on scrolle sur Facebook, sur nos téléphones ou sur TikTok. quoi. Et sauf que sur les AOP, c'est tout l'inverse. C'est-à-dire qu'on est gardien et garant de pratique. Ça veut pas dire qu'on peut pas les faire évoluer, mais il faut nous laisser du temps. Et ce que je trouve génial, c'est que quand mon grand-père a créé l'AOP Chaource en 1970, le cahier des charges, il était minuscule. Il y avait rien dedans. C'était juste pour protéger le nom, protéger la zone, faire en sorte que ce produit soit pas fabriqué à l'autre bout de la France ou à l'autre bout du monde et que on définisse un petit peu quelques règles. Mais quand on voit le cahier des charges du Chahours aujourd'hui à ce qu'il était dans les années 70, ce n'est pas le même monde. Clairement,

  • Romain LE GAL

    on a étoffé,

  • Grégoire LINCET

    amélioré, renforcé.

  • Romain LE GAL

    Je suis d'accord un peu avec toi sur le système de temps long, puisque de toute façon, la recette du fromage, c'est tout le temps la même depuis des millénaires. Oui,

  • Grégoire LINCET

    c'est ça.

  • Romain LE GAL

    Et quand on arrive dans le temps du fromage, il faut être patient. Il faut être patient. Il faut être patient, mais rien que déjà dans la production et dans l'affinage, il faut laisser le temps au temps.

  • Grégoire LINCET

    La fromagerie, c'est de la patience. il y a plein d'autres métiers qui sont comme ça mais la fromagerie c'est vraiment de la patience et ce que je trouve génial c'est que à l'époque de mon grand-père quand il a créé l'AOP donc les discussions ont dû commencer dans les années 60 pour aboutir à une création en 1970 mais ça m'amuse moi parce que je me dis mais qu'est-ce qu'ils pensaient à l'époque ces gars-là quand ils ont décidé de faire ça et qu'ils se sont dit en fait il n'y avait pas grand-chose et est-ce qu'ils auraient pu imaginer à l'époque qu'aujourd'hui, on ferait 2500 tonnes de chahours au niveau de l'AOP, qu'on aurait un cahier des charges quand même exigeant et avec des belles valeurs et des belles choses dedans. Je ne sais pas s'ils auraient pu imaginer tout ça. Et en fait, c'est ça que je trouve génial, c'est qu'on est vraiment dans l'image de on plante une graine en fait. On plante une graine et après, si on fait le nécessaire, cette graine, elle pousse.

  • Romain LE GAL

    Ils ont été vraiment précurseurs avec une vision pour protéger le produit qui leur était cher. Et ça, c'est quelque chose d'hyper intéressant et hyper important.

  • Grégoire LINCET

    C'est ça. Et il faut s'en inspirer. Parce qu'aujourd'hui, on a plein de défis autour de nos AOP, avec le changement climatique, avec les attentes des consommateurs, sur les engagements sociétaux qu'on peut prendre, sur toutes ces choses-là. Et en fait, parfois, en interne, dans nos filières, il y a des gens qui se braquent un peu, ou alors il y a des consommateurs, à l'inverse, qui peuvent être très exigeants. Tout de suite,

  • Romain LE GAL

    on veut l'immédiateté. On est dans une société de consommation où on veut qu'il y ait de l'immédiateté. On le voit aujourd'hui si on regarde dans d'autres univers de création et de recherche et développement sur des produits. Un produit, s'il ne fonctionne pas au bout de six mois, on ne laisse plus le temps au produit de s'installer. Finalement, ça rejoint un petit peu ce que tu racontes.

  • Grégoire LINCET

    On en parlait l'autre jour. C'est vrai qu'aujourd'hui, pour une PME comme nous, d'installer un nouveau produit avec une marque qui nous est propre. C'est hyper difficile parce que justement, il faut que ça marche tout de suite.

  • Romain LE GAL

    Il faut que ça performe.

  • Grégoire LINCET

    Il faut que ça performe.

  • Romain LE GAL

    On est dans de la performance.

  • Grégoire LINCET

    Alors qu'on sait très bien que pour installer un produit, pour installer une marque, les grandes choses se font dans la durée. On peut tourner les choses dans tous les sens. Les grandes choses se font dans la durée.

  • Romain LE GAL

    Et en plus de ça, aujourd'hui, vous souhaitez garder le savoir-faire et le fromage de tradition. du coup aujourd'hui vous produisez du Chahours, du Bria Savarin qui a eu son IGP il n'y a pas non plus très très longtemps du Soumintrain le Soumintrain il est arrivé après ça me permet de faire la bascule et de parler de la suite de l'histoire en 2012 ton papa a eu l'opportunité Oui,

  • Grégoire LINCET

    de reprendre la fromagerie Gauguerie. Au départ, donc la fromagerie Gauguerie...

  • Romain LE GAL

    Donc là, il y a deux Lyon, il y a deux l'Aube, et maintenant on atterrit en Côte d'Or. C'est ça. Voilà, un triangle infernal.

  • Grégoire LINCET

    Triangle infernal du lactique.

  • Romain LE GAL

    Du lactique.

  • Grégoire LINCET

    Et en fait, effectivement, nous, notre volonté et notre envie, qui était celle de papa à l'époque et qui est la nôtre encore aujourd'hui, c'est d'être spécialiste du lactique sur ce triangle-là Bourgogne-Champagne. Et donc, à cette époque, il nous manquait quand même l'Époisses. On avait envie de se développer sur ce produit-là. Papa a tenté plusieurs choses. Il a tenté de lancer une fabrication d'Époisses à Saint-Marc-sur-Seine, en Côte d'Or, en s'appuyant avec un producteur de lait, etc. Ils ont tenté des choses. Ça n'a pas abouti, parce que c'est un produit qui est quand même assez difficile à maîtriser. Et donc, il y a eu cette opportunité en 2012. Les gogueries ont eu un...

  • Romain LE GAL

    Pourquoi tu dis que c'est un produit assez difficile à maîtriser, l'Époisses ?

  • Grégoire LINCET

    L'Époisses, c'est vraiment le fromage, je pense, le plus difficile à maîtriser. Un des plus difficiles à maîtriser, parce qu'ils cumulent tout ce qu'il ne faut pas faire en fromagerie. C'est une hérésie, ce fromage.

  • Romain LE GAL

    Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire, du coup ?

  • Grégoire LINCET

    Alors, on est sur un lactique. Donc déjà, on est sur un lait entier. non standardisés. Donc déjà, ça veut dire que tous les jours, on va travailler un lait différent. Ensuite, on a le caractère lactique qui n'est pas simple à maîtriser parce qu'une acidification sur un lait entier et qui plus est, si on rajoute un peu de lait, si on est encore au lait cru, ça complique encore un peu la tâche parce qu'on a des acidifications qui sont tout le temps différentes. L'acidification, dans notre technologie, c'est quand même ce qui fait la texture et les arômes. Donc ça veut dire un petit peu important en fromagerie. Et derrière, on va... sécher ce produit. Jusque-là, après, sur cette étape-là, ce n'est pas le plus compliqué. Et après, on va le frotter avec de l'eau.

  • Romain LE GAL

    Il y a des régulations qui sont super longues, parce que dans le cahier des charges, c'est minimum 16 heures.

  • Grégoire LINCET

    16 heures pour l'Époisses, on est sur 12-13 heures pour le Chahource. Donc, on a des temps longs sur nos produits.

  • Romain LE GAL

    Et puis après, l'Époisses on va le laver.

  • Grégoire LINCET

    Et on va le laver, ce qui est complètement stupide.

  • Romain LE GAL

    Ce n'est pas stupide.

  • Grégoire LINCET

    Gustativement,

  • Romain LE GAL

    c'est brillant.

  • Grégoire LINCET

    Gustativement, c'est brillant. Mais techniquement,

  • Romain LE GAL

    c'est un peu compliqué. Oui, un peu compliqué. Un peu compliqué. J'avais une personne pour qui j'ai travaillé au début de ma carrière professionnelle qui utilisait une phrase que j'aime beaucoup, c'est le filet de l'artiste. C'est un peu ça. Aujourd'hui, c'est un travail d'équilibriste. C'est un travail de... Oui, complètement. Finalement... On bascule vite d'un côté ou de l'autre. C'est-à-dire qu'on bascule vite dans l'exceptionnel, comme on peut basculer dans quelque chose de très décevant.

  • Grégoire LINCET

    donc c'est assez compliqué mais c'est génial en même temps donc du coup reprise en 2012 de l'atelier à la famille Gaugry Passation Passation en 2018 c'est une société qui était un petit peu en difficulté qui avait un peu de difficulté il y a eu une perte de savoir-faire il y a eu une... puis c'est rigolo parce que là du coup on est sur le site le site Gaugry et c'est un site qui est un peu particulier parce que c'était un site où il y avait un autre type de production avant c'est un ancien site de la famille Ricard oui et... C'était un site.

  • Romain LE GAL

    On faisait du Ricard sur ce site. Ricard a fait du Ricard sur le site ici de 1960 jusqu'à 1999.

  • Grégoire LINCET

    C'est pour la petite aparté. Aujourd'hui, on est dans le site à Brochon.

  • Romain LE GAL

    Où les Gaugris sont installés. L'inauguration a été en 2004. Le passage entre leur site historique et ce site-là a été compliqué. Il y a eu un peu une perte de maîtrise du savoir-faire. Et puis après, l'entreprise Après, ils étaient gérés par deux frères, Olivier et Sylvain. Sylvain est décédé en 2011. Et Sylvain a emporté une partie du savoir-faire dans sa tombe. Donc, c'est vrai que c'est toujours des moments douloureux et compliqués pour des familles, et pour des familles, n'importe quelle famille. Et puis, lorsqu'il y a un savoir-faire qui est très empirique. et qui repose sur des personnes, ce n'est pas évident. Et donc, ça a été un moment difficile pour la famille Gaugry. Et donc, nous, on est arrivé dans ce contexte-là et il a fallu reconstruire ce savoir-faire. Et donc, ça a été long. Ça a été long et difficile.

  • Grégoire LINCET

    Donc, 2012 reprise. Ton papa relance un petit peu la machine. En fait,

  • Romain LE GAL

    on avait un peu plus de... On avait un réseau commercial un petit peu plus évolué que les Gaugry.

  • Grégoire LINCET

    La logistique, c'est une des clés de nos produits aujourd'hui.

  • Romain LE GAL

    Voilà, exactement. Le nerf de la guerre. Comment livrer jusqu'à la plus petite crèmerie ou le plus petit restaurant au fin fond de la Bretagne, nos produits. Le maillon logistique dans nos produits est finalement hyper important. Donc, le réseau logistique a un petit peu aidé. On a aidé, on a apporté notre réseau commercial, notre logistique. Et donc, ça nous a permis de développer l'activité. Puis après, on a été un peu victime de notre succès. C'est-à-dire que... Trop de production sur le site a fait dérailler un petit peu les équilibres qu'on pouvait avoir sur le site. Ça a engendré tout un tas de problèmes. Donc moi, je suis arrivé en 2018.

  • Grégoire LINCET

    Où il y avait plein de problèmes.

  • Romain LE GAL

    Où il y avait beaucoup de problèmes.

  • Grégoire LINCET

    Parce que moi, 2018, c'est la période où dans ma vie, entre guillemets, produit laitier, j'étais aux achats pour un grossiste dans le Nord de la France. Effectivement, j'ai vécu avec vous ces problèmes, entre guillemets, qualité. Et donc toi t'es arrivé dans cette période pas évidente.

  • Romain LE GAL

    Non, pas évidente.

  • Grégoire LINCET

    Toi t'arrives et finalement...

  • Romain LE GAL

    Il a fallu que je me forme, que je me reforme, que je règle ces problèmes-là. Il a fallu reconstruire des équipes. reconstruire le savoir-faire, tout ça. Et ça a été long mais ça a été passionnant, ça a été un accélérateur d'expérience. C'est-à-dire qu'on a l'impression d'avoir travaillé dix ans. Une fois on a fait ça pendant trois ans et voilà, j'ai pas sorti la tête de l'eau. Mais ça a été une expérience qui m'a permis de comprendre comment fonctionnait le fromage déjà, le produit, comment il était, de l'apprivoiser un petit peu. Et puis de comprendre comment fonctionnait une entreprise aussi, parce qu'il a fallu que j'apprenne tout ça en même temps. Mais par contre, si c'était à refaire, je pense que je le referais, même si c'était difficile sur le moment, parce que c'était passionnant aussi. Il y avait un énorme challenge à ce moment-là. Et donc aujourd'hui, sur la fromagerie de Gaugry, vous avez encore d'autres défis ?

  • Grégoire LINCET

    Oui, donc là aujourd'hui, on a stabilisé la qualité des produits. Il reste pas mal de choses à faire encore, parce que c'est un peu sans fin, il y a toujours quelque chose à faire. On en parlait tout à l'heure, il y a des choses intéressantes à faire aujourd'hui au niveau de la gestion de nos ambiances, avec la gestion de l'humidité, l'hygrométrie dans la fromagerie. Et puis avec le changement climatique, on s'aperçoit qu'il y a des... Changement majeur qui est en train de s'opérer, c'est-à-dire qu'avant on avait des hivers froids et secs, puisque l'air froid est plus sec, puisqu'il a moins de capacité à contenir, à absorber de l'eau. Et donc là, des hivers plus doux, avec des températures entre 10 et 15 degrés, on n'était pas habitués et en fait nos fromageries ne sont pas adaptées à ça aujourd'hui. Et donc ça, c'est des défis qui nous restent encore pour la qualité des produits, mais on l'a quand même énormément stabilisé cette qualité.

  • Romain LE GAL

    Il y a une phase hyper importante dans la production d'Epoisses, en tout cas sur la partie affinage, c'est le lavage. avec la particularité de laver un produit local. Oui, on frotte au mar de Bourgogne. Donc là aussi, il y a des enjeux sur le mar. Il faut trouver les bons dosages de mar. Il faut stabiliser.

  • Grégoire LINCET

    C'est combien de lavage par semaine ? Alors,

  • Romain LE GAL

    on va laver le minimum dans le cahier des charges de l'AOP, c'est six fois. C'est deux à trois fois par semaine.

  • Grégoire LINCET

    Et l'affinage, c'est ?

  • Romain LE GAL

    Et c'est 28 jours à partir de la mise en œuvre du lait. Donc du coup, ça fait à peu près trois semaines de frotte.

  • Grégoire LINCET

    Mais aujourd'hui, vous... Tu me disais tout à l'heure qu'on a été finalement dans les caves, que vous sortiez rarement à 28 jours. Tu ne peux pas laisser autant le temps aux produits de s'exprimer ?

  • Romain LE GAL

    Je pense que 35 jours, c'est la perfection. C'est là où on est le mieux.

  • Grégoire LINCET

    C'est là où, pour toi, les produits peuvent commencer à passer à la dernière phase d'emballage et de pouvoir retrouver les étals de nos crémiers fromagers. C'est ça. Ok. Et donc les défis pour toi demain, vous avez aussi cherché à continuer de faire du lait cru. Tout à fait. Ça, c'est un défi aussi.

  • Romain LE GAL

    Oui, ce que c'est dans l'ADN de la fromagerie Gaugry, c'est le lait cru. Et donc aujourd'hui, on est la dernière laiterie à faire du lait cru dans nos filières.

  • Grégoire LINCET

    En époisse, il y a aussi un... une production fermière.

  • Romain LE GAL

    Il y a une production fermière, il y a un producteur fermier qui est tout en lait cru.

  • Grégoire LINCET

    C'est une petite filière, les poissons.

  • Romain LE GAL

    Voilà, c'est une petite filière. Et malheureusement, ce producteur fermier est tout seul. Et nous, en laiterie, c'est-à-dire en collecteur de lait, avec du lait, nous, on n'a pas de vache, on collecte du lait auprès de cette producteur de lait. On est la seule laiterie. Il y a aujourd'hui des productions fermières au lait cru, mais on oublie souvent,

  • Grégoire LINCET

    les gens mélangent le fermier,

  • Romain LE GAL

    lait cru, les laiteries, tout ça. Et les productions fermières sont en général des productions plus modestes en quantité, en volume, que ce que peuvent faire des laiteries. Et c'est dommage aujourd'hui que dans nos laiteries, on ait de plus en plus de mal à faire des fromages au lait cru. Ça, c'est un peu dommage. Et nous, on a envie de continuer. Mais il n'y a plus grand monde qui veut s'embêter à faire ça, c'est sûr.

  • Grégoire LINCET

    Donc le lait cru, pourquoi un défi ? Je me rappelle d'un échange il y a quelques temps, je suis passé il y a quelques temps à la fromagerie avec un groupe et on a eu un échange qui était assez intéressant sur les analyses que tu avais retrouvées de ton grand-père sur la vie du lait. Et ça, c'est un exemple que plusieurs fois j'ai repris avec finalement la vie du lait.

  • Romain LE GAL

    Ce qui est sûr, c'est qu'en fait, on a vécu des grands changements. C'est-à-dire qu'on a globalement... Il faut savoir qu'avant, il y avait entre 14 000 et 15 000 morts par an d'intoxication alimentaire au lendemain de la guerre. Et aujourd'hui, il y en a 300. Donc, comment tout ça s'est fait ? Eh bien, ça s'est fait par essentiellement l'hygiène de nos outils de production, que ce soit sur l'amont, en production laitière, ou dans nos fromageries, dans tous nos ateliers de production dans l'industrie agroalimentaire de manière générale. Et en fromagerie, avant, un lait... avait, on a un indicateur qui est suivi depuis très longtemps dans le lait, c'est le nombre de germes qu'il y a dans un millilitre de lait.

  • Grégoire LINCET

    L'avantage, c'est qu'au bout de sixième génération, vous avez quelques archives.

  • Romain LE GAL

    On a un petit peu d'historique.

  • Grégoire LINCET

    Vous avez quelques archives.

  • Romain LE GAL

    Et en fait, on sait qu'à l'époque, dans les années 50-60, les laits avaient à peu près 300 000 germes en moyenne par millilitre de lait. Donc 300 000 micro-organismes.

  • Grégoire LINCET

    Donc la vie du lait. La vie du lait. Il y avait de la vie, il n'y avait pas de place, il y avait de la vie.

  • Romain LE GAL

    Il y avait de la vie. Donc après, il y avait des bonnes et des mauvaises bactéries. mais il y avait de la vie. On a hygiénisé et en fait, on ne savait pas à l'époque comment faire le tri entre des bonnes bactéries et des mauvaises. Donc, comme en médecine, comme dans plein de sujets, qu'est-ce qu'on a fait ? On a tout éliminé.

  • Grégoire LINCET

    On a sanité, on a hygiénisé. Donc, on a désinfecté les salles de traite, on a désinfecté le pi des vaches, on a désinfecté tout ça, et aujourd'hui, on se retrouve avec des laits qui sont entre 2 et 10 000 germes. Et donc, quand on pasteurisait un lait dans les années 60, qui avait 300 000 germes, la pasteurisation, c'est un facteur de réduction de 10. Ça veut dire qu'un lait pasteurisé préservait 30 000 germes encore.

  • Romain LE GAL

    Donc, on avait des laits pasteurisés à l'époque qui étaient plus riches que de lait cru qu'aujourd'hui.

  • Grégoire LINCET

    Plus d'aujourd'hui. Un lait cru aujourd'hui, c'est quasiment un lait stérilisé. Il n'y a quasiment plus rien dedans. Alors, il ne faut pas tout le temps voir les choses négativement.

  • Romain LE GAL

    Il y avait un besoin,

  • Grégoire LINCET

    il y avait un problème. Et il ne faut pas faire l'autruche à dire qu'il n'y avait pas de soucis, que c'était mieux avant, que non, ce n'est pas vrai, ça. Ça, c'est vraiment des trucs. Ce n'était pas mieux avant et les fromages n'étaient pas meilleurs avant. Ça, c'est complètement faux. C'est comme le vin. Le vin n'était pas meilleur avant. C'est faux de dire ça.

  • Romain LE GAL

    Toi et moi, de toute façon, dans les années 50, on n'était pas là. Non, on n'est pas là pour dire c'est meilleur.

  • Grégoire LINCET

    Non, on n'était pas là. Mais si tu veux, moi, j'ai l'historique. Mon père me... à des souvenirs de fromage, d'aléas de qualité sur les fromages à l'époque. Mais qui se sou... Moi, j'en ai le souvenir, gamin, quand même, de manger des comtés qui piquaient, qui donnaient des aftes, qui avaient... Non, mais c'est vrai, qui avaient des butyriques, qui avaient plein de...

  • Romain LE GAL

    C'est pas très agréable.

  • Grégoire LINCET

    C'est pas très agréable, mais ça, ça a presque disparu aujourd'hui.

  • Romain LE GAL

    On a maîtrisé.

  • Grégoire LINCET

    On a maîtrisé. Et les savoir-faire se sont améliorés grâce aux AOP, grâce au cahier des charges.

  • Romain LE GAL

    Grâce à la technique. Grâce à la science.

  • Grégoire LINCET

    À la science. Il y a des écoles comme les Éniles de Poligny, il y a des gens comme Bernard Mietton, qui ont écrit des choses, qui ont documenté des choses et qui ont permis de faire évoluer les techniques. Et heureusement qu'on a eu ça et ça nous permet aujourd'hui d'avoir des bien meilleurs produits. Mais c'est vrai qu'aujourd'hui, on a des produits qui sont, on a des fromages, des laits très pauvres. Et c'est un peu un problème. Alors nous, on y travaille. On réfléchit aujourd'hui à... C'est pareil, là. Encore une fois, c'est un travail qui est lent et qui est fait sur le long terme. Mais on cherche à... à renforcer l'environnement microbien des fermes. Et donc, avec certains éleveurs, on travaille là-dessus, où en fait, on va ensemencer avec des fermes enlactiques, les litières, par exemple. Et on va chercher à ensemencer les étables en fermes enlactiques. Et certains...

  • Romain LE GAL

    Faire travailler les flores endogènes. Les flores qui se présentent de manière naturelle, qui ne sont pas les mêmes si on prend deux fermes, l'une à côté de l'autre. La richesse du lait, la richesse de notre vie, n'est pas la même d'une ferme à côté.

  • Grégoire LINCET

    Donc aujourd'hui, on est... obligés, bien évidemment, pour garantir une sécurité sanitaire de nos produits, on est obligés de continuer de désinfecter, de nettoyer. Mais on se pose plus de questions qu'avant. Et ça, c'est très positif parce que ça nous amène à avoir des réflexions hyper intéressantes et qui aboutiront certainement dans les années à venir. Mais c'est dans 5 ans, 10 ans, 15 ans. On en parlait tout à l'heure. C'est comme quand mon grand-père a créé... C'est un cycle long. C'est des cycles longs. Et je suis persuadé que des choses arriveront.

  • Romain LE GAL

    Et une accélération de la réflexion. Exactement. Donc aujourd'hui, vous battez pour continuer de faire du lait cru sur ce site. Oui. Et c'est quelque chose que vous souhaitez continuer.

  • Grégoire LINCET

    On se bat au quotidien pour ça. Tous les matins, quand on se lève, on se bat pour ça.

  • Romain LE GAL

    C'est un risque. C'est un peu une épée. Il faut dire les choses. C'est un peu une épée de Damoclès. Toi, quand tu es responsable d'une fromagerie qui fait des fromages au lait cru, c'est la passion qui fait vivre. C'est un peu une épée de Damoclès.

  • Grégoire LINCET

    C'est complexe parce que tout passe, nous, sur nos métiers. Nous, les fromagers, on... Il faut avoir beaucoup d'humilité sur un fromage. Déjà, il y a la moitié, c'est le lait.

  • Romain LE GAL

    On travaille avec du vivant.

  • Grégoire LINCET

    On travaille avec du vivant et la moitié, c'est le lait. C'est-à-dire que quand vous avez un lait de bonne qualité, vous avez déjà la moitié du travail qui est fait. Et donc, il faut travailler en amont avec les éleveurs. Et là, nous, on a la chance de travailler avec des éleveurs qui sont hyper engagés, hyper motivés. Et vraiment, moi, je prends beaucoup de plaisir à travailler avec tous nos producteurs de lait. Mais leur travail est également difficile. Ils ont beaucoup d'enjeux. Et donc, on essaye, si vous voulez, de trouver le bon équilibre quand on fait du lait cru entre l'exigence qu'on va avoir. avoir envers eux. Et d'un autre côté, on leur laisse aussi la possibilité de travailler dans de bonnes conditions. C'est-à-dire qu'il faut trouver le bon équilibre entre la sécurité sanitaire qu'on veut garantir et le modèle économique, les contraintes qu'on va leur mettre. Voilà, parce que à un moment donné, si on va trop loin, il n'y aura plus personne qui va faire...

  • Romain LE GAL

    Et vous êtes dans une démarche que vous avez inscrite, qui s'appelle Les Demains. C'est ça. Tu peux nous en parler en quelques mots.

  • Grégoire LINCET

    En fait, on a décidé de formaliser un petit peu nos démarches et tout le travail qu'on fait avec nos producteurs de lait parce qu'on fait pas mal de choses. Alors, il y a pas mal de choses qui sont faites au travers des AOP, mais on a voulu aller un petit peu plus loin et avoir un peu plus de valeur ajoutée encore sur nos pratiques. Et donc, on a décidé de faire une charte de bien-être animal, en fait, une charte d'élevage qui regroupe des éléments de bien-être animal et également qui porte sur différents cliquets. On a également du coup... Du coup, au travers de cette démarche, la volonté de basculer en alimentation française, 100% de l'alimentation des animaux. On a aujourd'hui une grosse partie de l'alimentation qui provient des zones d'appellation et des fermes.

  • Romain LE GAL

    Oui, ça c'est dans le cas des Gétards.

  • Grégoire LINCET

    C'est 85% pour le chahours et les pois, c'est 85% d'autonomie de zone et le chahours également 75% d'autonomie de ferme. Donc c'est quelque chose qui est très important parce que c'est vraiment le... C'est pareil, ça fait partie des piliers de nos appellations.

  • Romain LE GAL

    C'est le pilier d'à peu près toutes les appellations. Voilà, oui. de terroir et par...

  • Grégoire LINCET

    Mais nous, l'avantage qu'on a, c'est qu'on repose sur des systèmes de polyculture élevage, de vraie polyculture élevage, et du coup, ce qui permet à nos éleveurs d'avoir quasiment les autonomies de fermes les plus importantes. Parce que beaucoup d'appellations ou de filières parlent d'autonomie de fourrage. Nous, on parle d'autonomie totale, c'est-à-dire sur les fourrages et les concentrés également, et les céréales qu'on peut donner à manger aux animaux.

  • Romain LE GAL

    Un peu faire une FAF, une fabrique d'aliments à la ferme. Parce que des producteurs, c'est quelque chose où il y a pas mal de producteurs. Quand ils ont la possibilité, finalement, de faire les rotations de culture qui vont bien pour nourrir les animaux, ça, c'est une belle démarche.

  • Grégoire LINCET

    Et du coup, on a, comme beaucoup d'éleveurs, on a une partie des concentrés qui, la base de la ration des vaches, il y a une partie de concentré. Donc ça, c'est la protéine qu'on va apporter dans la ration, qui est assez importante pour la production du lait. Et cette protéine aujourd'hui, elle vient essentiellement de l'étranger. Ça, c'est un sujet, il ne faut pas l'occulter. Et nous, on a décidé de prendre ce sujet à bras-le-corps. Et on a sondé, on a discuté avec les éleveurs. Et on est en phase de... Donc là, on termine cette année les discussions avec les éleveurs pour mettre en place une alimentation 100% française avec une ration 100% française. Et qu'on va valoriser. C'est-à-dire que nous... Tout ce qu'on fait, toute notre démarche, aujourd'hui, on la valorise. Par exemple, notre démarche de bien-être animal, on a tout un tas de critères avec des prérequis qu'ils sont obligés d'avoir pour accéder à la prime. Et une fois qu'ils ont ces prérequis, il y a un barème à points sur 100 points. Et en fait, si vous avez 100 points, vous avez 15 euros du 1000 litres sur une année complète. Vous avez 15 euros du 1000 litres qui viennent s'ajouter au prix du lait. Et si vous avez 50 points, vous avez 7,50 euros. Et c'est au pro-rata du nombre de points que vous avez. Et la démarche d'alimentation française, on va la valoriser également avec une surprime par rapport à ça. Donc ça, c'est des discussions qu'on a actuellement avec les producteurs de lait.

  • Romain LE GAL

    Vous avez combien de producteurs de lait ? Alors si on prend Gogri tout à l'heure, tu nous as dit 7. Oui,

  • Grégoire LINCET

    une cinquantaine chez l'INSEE.

  • Romain LE GAL

    Oui, donc ça fait déjà...

  • Grégoire LINCET

    Ils sont essentiellement dans l'Aube et dans la Marne et un petit peu dans Lyon aussi. Et donc cette démarche, elle est formalisée et ça nous permet en fait de l'organiser. Si vous voulez, encore une fois, c'est vraiment un esprit filiaire. C'est-à-dire qu'il y a nos AOP, mais nous, on raisonne, même l'INSEE, notre filière à nous aussi, notre bassin laitier à nous. Et en fait,

  • Romain LE GAL

    l'idée de se décrire et de faire une charge... développement durable dans nos zones.

  • Grégoire LINCET

    Dans nos zones, et ça permet d'être plus efficace, en fait. On est plus fort, on est plus efficace. Et derrière, on fait des produits qui sont quand même aujourd'hui valorisés. On fait des produits qui ont un certain coût, c'est vrai. Mais moi, je pars du principe que je pense que le consommateur est prêt à payer un certain prix pour la qualité de ce qu'il mange, à la condition qu'il l'ait compris et qu'il sache ce qu'il achète et pourquoi il paye. Alors, bien évidemment, il y a des limites. Il ne faut pas abuser ni exagérer sur la valorisation qu'on peut avoir de nos produits. Mais je pense qu'il est important de formaliser toutes nos démarches, quelles qu'elles soient, que ce soit en amont laitier, que ce soit sur nos pratiques, la fabrication, il faut de la transparence et expliquer ce qu'on fait, et pas occulter ce qui ne va pas. Parce que le consommateur, il n'est absolument pas stupide, il se renseigne, il réfléchit. Ils ne consomment pas bêtement, comme parfois certaines personnes peuvent le dire. Ce n'est pas vrai, moi, pour discuter régulièrement avec des consommateurs, des gens qui viennent nous voir dans nos fromageries, dans nos magasins.

  • Romain LE GAL

    Vous êtes sur une route assez passante. Les gens posent beaucoup de questions,

  • Grégoire LINCET

    sont très curieux. Ils veulent savoir d'où vient le lait, comment il a été produit. Et ça, il faut répondre à ces attentes-là. Et là, encore une fois, c'est un travail de long terme, bien évidemment. Mais je pense qu'il est primordial et vraiment important de formaliser, mais de formaliser aussi et de communiquer sur des choses concrètes. des choses qui sont faites, et non pas sur des choses qui seront faites demain, mais sur des choses qui sont faites maintenant, parce que je pense que les consommateurs aussi en ont un peu marre, qu'on leur dise, ah bah voilà on a pris des engagements à 2030, à 2050, c'est un peu le concours de celui qui a pris le plus d'engagement, et voilà. Mais prendre des engagements, c'est quand même le truc le plus facile du monde. Moi je peux en prendre plein, je peux en prendre 15 là si je veux des engagements. Ce qui est important c'est le résultat, c'est le concret. Qu'est-ce que concrètement tu as eu comme résultat par rapport aux actions que tu as pu mener ?

  • Romain LE GAL

    Avant de conclure cet entretien, Grégoire, j'ai une question. C'est la petite question mystère que je pose à tous mes entretiens. C'est quoi ta pizza préférée ? Parce que c'est quand même un plat que tout le monde mange, finalement. Et toi, c'est quoi ta pizza préférée ?

  • Grégoire LINCET

    Alors moi, j'ai une pizzeria à côté de chez moi qui s'appelle Casa Roma, la pizza, à Dijon, et qui fait une pizza qui s'appelle la Normano. D'accord.

  • Romain LE GAL

    Et il y a quoi sur cette pizza ?

  • Grégoire LINCET

    Et il y a du brie dessus, il y a beaucoup de fromage avec du jambon, du brie et de... Et c'est une pizzeria qui fait des pizzas assez originales, mais avec que des bons ingrédients. Et elle est excellente.

  • Romain LE GAL

    Bon, une bonne adresse quand je passerai sur Dijon à aller tester. Merci beaucoup Grégoire.

  • Grégoire LINCET

    De rien.

  • Romain LE GAL

    Merci d'avoir pris le temps de nous recevoir. Et puis on a échangé comme d'habitude sur une petite planche de fromage. J'avais voulu faire découvrir à Grégoire trois fromages dont un qu'il connaissait déjà bien. Quitte à venir sur un secteur où on fait des croûtes lavées, je lui ai ramené la croûte lavée emblématique du Nord, un maroilles de nos amis de la ferme du Pont des Loups, un petit chèvre également du Nord de la fromagerie du Val d'Otis et puis un fromage un peu plus dans les cieux. C'est l'immersus du Mont-des-Cas, qui est immergé 48 heures à la bière. Qu'est-ce que tu as pensé de ces fromages, Grégoire ?

  • Grégoire LINCET

    Je voyais que les trois étaient excellents. Et vraiment, pour l'immersus, je ne connaissais pas celui-là.

  • Romain LE GAL

    On a vraiment ce côté houblonné qui vient.

  • Grégoire LINCET

    Très intéressant et très bon. Les trois étaient excellents.

  • Romain LE GAL

    Merci beaucoup de nous avoir écoutés. Je vous retrouve bientôt sur l'échange. Si vous avez aimé ce contenu, n'hésitez pas à le partager et à nous mettre 5 étoiles sur les plateformes. Je vous dis à bientôt pour un nouvel épisode. Merci Grégoire, à bientôt, au revoir.

  • Grégoire LINCET

    Merci Romain, au revoir.

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Description

Découvrez l’histoire du groupe Lincet avec Grégoire, 6éme génération travaillant dans cette entreprise familiale qui remonte à 1895.

Dans les années 60-70, pour faire face au déclin laitier, Jean Lincet, le grand-père de Grégoire, s’est mis à racheter beaucoup de fromageries, comme beaucoup, à la base, pour s’assurer de récupérer le lait. La fromagerie a Saligny fût achetée en 1957, c’était une vieille fromagerie qui fabriquait toutes sortes de produits laitiers : du fromage blanc, de la faisselle, du beurre, de la crème et beaucoup de fromage frais. Notamment le Saint-Florentin qui était la plus grosse production du site de Saligny.

Le Saint-Florentin est un fromage historique de la région de l’Yonne, un fromage frais lactique fabriqué dans ce site avec un vrai savoir-faire lactique qu’il pouvait garder en complémentarité avec celui à Gué, dans la Marne, où il fabriquait plutôt des fromages à pâtes présures, comme du brie de maux, carré de l’est, camembert et brie.

Avec ce savoir-faire à Saligny, Jean Lincet décida de se lancer dans la production du Chaource, un fromage à pâte molle et croute fleurie, qui, à l’époque, n’avait pas encore d’AOP. Il s’agissait d’un fromage très confidentiel, avec seulement quelques fermes et laiteries qui le produisaient. Plus tard, en rassemblant un groupe d’éleveurs, ils ont fait en sorte de défendre et protéger ce produit, ce qui a abouti à la création de l’AOP en 1970.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Romain LE GAL

    Bienvenue sur Lait'Change, le podcast qui donne la parole aux actrices et aux acteurs de la filière laitière et fromagère. Je suis Romain Le Gal et aujourd'hui j'ai la chance d'être en Bourgogne. Je suis sorti à Nuit-Saint-Georges pour traverser les vignobles et me suis arrêté au Brochon. Je suis passé par Gevrey-Chambertin, ceux qui aiment bien le vin, je pense qu'ils connaissent un peu le coin. Et je me suis arrêté à la fromagerie Gaugry où je suis actuellement avec Grégoire Lincet. Bonjour Grégoire. Bonjour Romain. Comment vas-tu aujourd'hui ?

  • Grégoire LINCET

    Ça va pas mal.

  • Romain LE GAL

    Ça va pas mal ? Est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots Grégoire ?

  • Grégoire LINCET

    Oui bien sûr. Donc je suis Grégoire Lincet, je représente la sixième génération au sein de la fromagerie Lincé. J'ai 34 ans et j'ai rejoint l'entreprise familiale en 2018, après un passage en contrôle de gestion dans différentes entreprises. J'ai pris la décision de me former en fromagerie et à... approfondir mes connaissances laitières au travers d'un master à l'ENSAIA à Nancy et ensuite j'ai pris la direction de la fromagerie Gaugry que mes parents avaient racheté en 2012 et j'ai évolué sur différentes responsabilités jusqu'à aujourd'hui pour être désormais à la direction générale de toute l'entreprise aux côtés de mon père.

  • Romain LE GAL

    D'accord donc ton papa est encore dans l'entreprise aujourd'hui ? Voilà. Donc, ton père, c'est la cinquième génération.

  • Grégoire LINCET

    Donc, mon père, c'est la cinquième génération. Et tu dis sixième génération.

  • Romain LE GAL

    L'histoire lincet, ça a démarré quand, du coup ?

  • Grégoire LINCET

    Et donc, l'histoire lincée, elle a démarré à la fin du XIXe siècle, enfin, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, dans la Marne.

  • Romain LE GAL

    Dans la Marne. Alors, rien à voir avec la Côte d'Or.

  • Grégoire LINCET

    Rien à voir avec la Côte d'Or. Je ne le dis pas trop fort ici, mais on est champenois à la base.

  • Romain LE GAL

    D'accord. Pas trop le dire.

  • Grégoire LINCET

    Il ne faut pas le dire très fort. Et donc, on était dans la Marne, dans un village qui s'appelle Guay, près de Cézanne. Donc, on a la première trace qu'on ait, c'est à peu près 1895. Ça, c'est le plus vieux document que l'on ait de l'entreprise. Par contre, on sait que l'entreprise existait déjà avant.

  • Romain LE GAL

    D'accord.

  • Grégoire LINCET

    Mais on n'a pas de document qui l'atteste.

  • Romain LE GAL

    C'était une laiterie ?

  • Grégoire LINCET

    C'était une laiterie. En fait, on avait... Donc, à la base, ce n'était pas la famille Lincet, c'était la famille Piscard.

  • Romain LE GAL

    D'accord.

  • Grégoire LINCET

    et qui était, a priori, une famille d'agriculteurs qui avaient une ferme et qui se sont mis à produire du fromage. Ensuite, notre arrière-arrière-grand-père Piscard a eu deux filles, dont une des deux filles a épousé un monsieur qui s'appelait Jules Lincet.

  • Romain LE GAL

    Ok, donc le premier Lincet.

  • Grégoire LINCET

    Voilà, le premier Lincet. Et donc ensuite, ça a été une succession de Lincet.

  • Romain LE GAL

    Donc après, ça a été Jules. Donc après,

  • Grégoire LINCET

    il y a Jules.

  • Romain LE GAL

    Après, il y a Lucien,

  • Grégoire LINCET

    Lucien, Lincet, qui est mon arrière-grand-père. Ensuite, il y a Jean Lincet, mon grand-père. Et ensuite, Didier Lincet, mon père.

  • Romain LE GAL

    Donc toi, tu es toujours né dans une famille de fromagers. J'ai été pour le cuve,

  • Grégoire LINCET

    baigné dans le lait et j'ai grandi dans une fromagerie.

  • Romain LE GAL

    Et c'est toujours quelque chose que tu as voulu faire, un jour revenir dans le lait ? Parce qu'après tes études, tu as un peu pris un... Un cursus différent ?

  • Grégoire LINCET

    Alors, en fait, j'ai toujours été passionné par le lait. Pendant un moment, comme beaucoup de gens, on se pose un peu des questions quand même. Et moi, j'ai été attiré à un moment donné par le travail de la vigne, par le vin, la vigne. Mais rapidement, je n'ai pas hésité longtemps.

  • Romain LE GAL

    En soit, c'est de la fermentation des deux côtés. Exactement. On est resté dans le temple de la fermentation.

  • Grégoire LINCET

    Exactement. Mais j'ai toujours aimé. Je n'ai pas hésité. Il n'y a pas eu de doute dans ma vie où je me suis dit vraiment... Avec de grosses remises en question, je me suis dit, je ne sais pas ce que je vais faire.

  • Romain LE GAL

    Quand tu étais jeune, enfant, etc., tu allais à la fromagerie ? Tout le temps. Tout le temps ?

  • Grégoire LINCET

    Mon père nous emmenait, aujourd'hui l'entreprise est à Saligny dans Lyonne, le siège de l'entreprise est à Saligny dans Lyonne.

  • Romain LE GAL

    Ouais, donc du coup, après Gué, vous êtes parti à Saligny.

  • Grégoire LINCET

    Et en fait, mon grand-père, la Marne, avant il y avait des éleveurs de lait dans toute la France, partout. Un peu comme la vigne, avant le phylloxéra, il y avait de la vigne. partout dans tous les villages. Le lait, c'est la même chose, il y en avait partout. Et donc dans la Marne, il y avait énormément de producteurs de lait, il y avait beaucoup de fromagerie, et il y a eu les Trente Glorieuses, après-guerre, avec une concentration, une demande assez forte, et là, beaucoup de choses ont été rationalisées, c'est-à-dire qu'on a concentré la fabrication sur des sites de plus en plus importants, et on a concentré la production également du lait, et donc il y a eu de moins en moins d'éleveurs de lait. et de moins en moins de fromagerie. Donc, mon grand-père faisait déjà face à cette époque dans les années 60, 70, faisait face à un déclin laitier déjà, ou en tout cas à une diminution du nombre de producteurs de lait. Et donc, mon grand-père s'est mis à racheter beaucoup de fromagerie, comme beaucoup. À la base, c'était plus pour récupérer le lait que pour le marché. Donc, la fromagerie de Saligny, mon grand-père l'a rachetée en 1957. C'est une vieille fromagerie également. Et qui...

  • Romain LE GAL

    La fromagerie qui produisait quoi du coup ?

  • Grégoire LINCET

    Il faisait un peu de tout, comme beaucoup de laiterie à l'époque. où on faisait du fromage blanc, de la faisselle, du beurre, de la crème et beaucoup de fromages frais type Saint-Florentin. Le Saint-Florentin, quand mon grand-père a racheté, c'était la plus grosse production du site de Saligny.

  • Romain LE GAL

    Donc, ce n'est pas quelque chose que ton grand-père a créé en France à Saligny ? Non, c'est quelque chose qu'il a racheté. C'est le fromage historique de cette province ?

  • Grégoire LINCET

    C'est le fromage historique. Saint-Florentin, c'est une ville de l'Yonne. C'est un fromage qui est ancien et on n'est plus très nombreux à en faire. Mais c'est un fromage frais, en fait, un lactique. Voilà, c'est une base lactique fraîche. Mon grand-père voulait fermer Saligny au départ. Il avait repris dans cet esprit en disant je vais ramener la production de lait et les volumes à Gué Il y a combien de distance entre les deux ? Il y a à peu près 60 kilomètres. Et en fait, mon grand-père a vu assez rapidement qu'il y avait un savoir-faire un peu particulier sur le site de Saligny, puisque nous, à Gué, dans la Marne, on faisait essentiellement des pâtes présures. On faisait un peu de bris de mots. Et on faisait des produits type carré de l'Est, des carrés, des... Du camembert et du brie, mais générique, sans appellation. Et donc, mon grand-père a identifié un savoir-faire lactique à Saligny et il a vu que les produits étaient intéressants. Donc, mon grand-père a lancé la production du chahours à Saligny.

  • Romain LE GAL

    Donc, c'est lui qui a lancé le chahours à Saligny ? À Saligny, oui. C'était pas une production ?

  • Grégoire LINCET

    Non, et vu qu'il n'y avait pas d'AOP à l'époque, il n'y avait pas de zone, toutes ces choses-là n'étaient pas définies. Donc, mon grand-père s'est lancé... dans la production du chahours, qui était très confidentielle, cette production de chahours.

  • Romain LE GAL

    Il y avait quoi ? Il y avait quelques fermiers ?

  • Grégoire LINCET

    Il devait y avoir quelques fermiers, peut-être plus de laiterie. Il n'y avait pas grand monde quand on faisait, mais il y avait quand même quelques laiteries. Tu avais des laiteries dans l'aube, tu avais quelques laiteries qui en faisaient depuis déjà. Mais mon grand-père s'est lancé là-dedans. Et de par le savoir-faire un peu lactique qu'il y avait à Saligny, très vite, les produits ont eu un succès, en fait, ont été bons. Et donc, mon grand-père a gardé ce site. Et il a investi sur ce site et il l'a un petit peu développé.

  • Romain LE GAL

    Donc, ton grand-père... Et finalement, il a été hyper important dans l'AOP Chaours. Il a porté le projet.

  • Grégoire LINCET

    Il a vu que ce produit avait un peu de succès, qu'il y avait un potentiel. Et avec un groupe d'éleveurs, en fait, il a rassemblé un groupe d'éleveurs. Et ensemble, ils se sont dit, il faut qu'on défende ce produit et qu'on le protège. Et donc, ça a abouti à la création de l'AOP en 1970.

  • Romain LE GAL

    Avec un fromage type... de pâte molle à croûte fleurie, avec aussi la particularité, c'est que c'est une technologie lactique, et que pour la région, c'était un peu particulier, un peu particulier, c'était du lait entier. Voilà, c'est un lait entier.

  • Grégoire LINCET

    C'est pas lait standardisé.

  • Romain LE GAL

    C'est vraiment ce qui fait la particularité de ce fromage-là. Pas un gros fromage, un fromage qui est assez haut.

  • Grégoire LINCET

    C'est pour ça qu'il y a des gens, parfois, qui pensent que le Chahource, c'est un double crème, ou qu'on a remis de la crème, alors que non. C'est du lait entier, et c'est... Sauf que c'est l'inverse, c'est qu'on est habitué aujourd'hui finalement à manger beaucoup de fromages qui sont fabriqués avec des laits standardisés, et quand finalement les fromages au lait entier sont peut-être moins prédominants, moins présents qu'au... que des laits, que des fromages au lait standardisé. Alors la standardisation, ça paraît être un gros mot aujourd'hui comme ça, mais ça ne l'est pas forcément. C'est qu'à l'époque, on écrémait le lait à la louche.

  • Romain LE GAL

    On l'écrémait partiellement.

  • Grégoire LINCET

    On l'écrémait à la louche. On l'écrémait à la louche.

  • Romain LE GAL

    Ou dans certaines régions, ils appellent ça à la poche.

  • Grégoire LINCET

    Voilà.

  • Romain LE GAL

    En Tome Des Bauges, ils appellent ça à la poche. À la poche ou à pocher.

  • Grégoire LINCET

    Et ça, c'est vraiment un truc historique. Ça permettait de récupérer de la crème, de faire du beurre. Et je pense que les anciens avaient identifié aussi que...

  • Romain LE GAL

    Surtout que dans la région, on aime quand même manger... Assez riche. Assez riche.

  • Grégoire LINCET

    Mais c'est aussi parce que je pense que les anciens avaient identifié qu'on stabilisait plus. un fromage, la qualité d'un fromage, lorsqu'on avait un petit peu écrémé le fromage. En gros, plus il y a de matière grasse dans un lait, plus il est difficile de travailler ce lait. Parce que la matière grasse, c'est sensible, c'est fragile, ça s'oxyde, ça peut apporter des mauvais goûts. Et donc, c'est très difficile de faire un bon fromage quand le lait a beaucoup de matière grasse. Et nous, c'est tout l'inverse, puisqu'aujourd'hui, au lieu de prendre le pli des fromages où on standardise un peu, nous, on n'a que des fromages aujourd'hui avec du lait entier, ou même... du double ou triple crème pour le délice de Bourgogne et le brillant Saint-Vara.

  • Romain LE GAL

    D'accord. Et donc, ton grand-père, après, se sépare du site historique dans les années...

  • Grégoire LINCET

    80, début des années 80. D'accord.

  • Romain LE GAL

    Il a cédé, s'il me semble...

  • Grégoire LINCET

    Il a cédé à

  • Romain LE GAL

    Lactalis, à la famille Beignet. Il y avait encore une collecte dans ce coin-là.

  • Grégoire LINCET

    Oui, et puis c'était une époque où il y a eu l'émergence de structures, de groupes un petit peu plus importants, comme Beignet qui est devenu Lactalis, Bongrain, La Famille Bel, il y a eu des familles qui ont émergé avec leurs entreprises. On a vendu à Lactalis, qui a fait tourner le site jusqu'à la fin des années 90. Mais mon grand-père avait une relation cordiale. avec Michel Beignet. Du coup, mon grand-père a pu garder le site de Saligny tout en travaillant un petit peu pour Lactalis au début pour que la reprise se fasse correctement.

  • Romain LE GAL

    En douceur. En douceur.

  • Grégoire LINCET

    Et ça s'est fait intelligemment tout ça. Et ça s'est fait intelligemment parce que du coup, le site de Saligny s'est retrouvé orphelin puisqu'il n'avait aucune structure, pas de commerciaux, pas de services administratifs, rien. Il a fallu tout reconstruire. Et l'entreprise aurait pu disparaître à ce moment-là.

  • Romain LE GAL

    Donc il s'est concentré sur le site de Saligny.

  • Grégoire LINCET

    Exactement.

  • Romain LE GAL

    Et puis après, il a continué de grossir.

  • Grégoire LINCET

    Alors, mon grand-père, le site de Saligny était petit. Il y avait une soixantaine de personnes à peu près. Enfin, petit sans être petit pour l'époque, ce n'était pas si petit que ça. Mais il y avait une soixantaine de personnes. Et je ne sais pas combien en litrage ça représentait à l'époque, mais je pense que ça devait représenter un équivalent de peut-être 20 000, 30 000 litres de lait jour. Quelque chose comme ça, à mon avis. Alors que le site aujourd'hui... A peine, je pense qu'on était peut-être même plus sur 10-15 000 litres de lait jour. Et aujourd'hui, le site traite plus de 60 000 litres de lait jour.

  • Romain LE GAL

    Avec le produit principal reste le Chaource ?

  • Grégoire LINCET

    Non, alors ça a changé. Du coup, on s'est retrouvés... Et mon père a repris l'entreprise en 89. Mon grand-père a géré pendant 5-6 ans à peu près.

  • Romain LE GAL

    Il y a 34 ans à peu près. Voilà. Ton année de naissance à peu près.

  • Grégoire LINCET

    Exactement, après il est arrivé juste avant ma naissance. à Saligny dans Lyonne. Mon père a fait l'ENIL de Poligny et un IUT de gestion, donc c'est un pur fromager. Il a repris le site et là, papa l'a vraiment développé. Mon grand-père s'est assez rapidement mis en retrait et a laissé la place à mon père. Papa est reparti vraiment... D'une feuille blanche, presque, parce qu'en fait, le site était un peu vieillissant. Il avait besoin d'investissement. Les années 90, ça a été le virage de tous les systèmes qualité tels qu'on le connaît aujourd'hui. Donc, il a fallu prendre tous ces virages là. Il a fallu sécuriser l'approvisionnement en lait parce qu'on est sur des appellations avec des zones d'appellation. Donc, le lait doit provenir de la zone et la production doit être faite dans la zone.

  • Romain LE GAL

    Et sur ce site là, aujourd'hui, vous faites du Chaource.

  • Grégoire LINCET

    Et on fait... Historiquement, on faisait du chahours et mon grand-père a créé le délice de Bourgogne de 2 kilos, le triple crème de 2 kilos en 1975 et a lancé la production du Brillat-Savarin après sur le site. Donc on avait, pendant longtemps, on a eu le chahours et le triple crème sur le même site. Et après, en 2006, on a eu l'opportunité de reprendre un site à Lactalis, dans l'Aube, à Vaud, où Lactalis faisait de la découpe de fromage et du Chahource sur le même site. Et Lactalis a pris la décision de re-régionaliser la découpe de... fromage. Et donc, il n'y a plus de découpe sur ce site. Et la production de Chahource était petite pour Lactalis sur le site. Et donc, du coup, ils ont décidé de se séparer.

  • Romain LE GAL

    Donc, en gros, ça a permis de spécialiser un site à faire du Chahource et un site à faire les spécialités du reste de la gamme. C'est ça.

  • Grégoire LINCET

    Et en fait, petit à petit, on a basculé tous les Chahource sur le site de Vaud et nous avons pu développer notre production de Chahource et notre production de triple crème.

  • Romain LE GAL

    Donc sans Jean Lincet, il n'y aurait peut-être pas eu d'AOC puis AOP Chahours.

  • Grégoire LINCET

    C'est sûr, c'est ce que je disais à des éleveurs l'autre jour, on en parlait. C'est très difficile parce que sur les AOP et le savoir-faire, on est sur un temps long. Et quand on est dans la tradition, quand on est sur ces choses-là...

  • Romain LE GAL

    C'est un des piliers de l'AOP, la tradition, le terroir.

  • Grégoire LINCET

    C'est ça. Et on est sur le temps long. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on est dans une société ou dans un monde où les choses vont très vite. On est habitué à ce que les choses évoluent très vite et à switcher d'un jour à un jour. Comme on scrolle sur Facebook, sur nos téléphones ou sur TikTok. quoi. Et sauf que sur les AOP, c'est tout l'inverse. C'est-à-dire qu'on est gardien et garant de pratique. Ça veut pas dire qu'on peut pas les faire évoluer, mais il faut nous laisser du temps. Et ce que je trouve génial, c'est que quand mon grand-père a créé l'AOP Chaource en 1970, le cahier des charges, il était minuscule. Il y avait rien dedans. C'était juste pour protéger le nom, protéger la zone, faire en sorte que ce produit soit pas fabriqué à l'autre bout de la France ou à l'autre bout du monde et que on définisse un petit peu quelques règles. Mais quand on voit le cahier des charges du Chahours aujourd'hui à ce qu'il était dans les années 70, ce n'est pas le même monde. Clairement,

  • Romain LE GAL

    on a étoffé,

  • Grégoire LINCET

    amélioré, renforcé.

  • Romain LE GAL

    Je suis d'accord un peu avec toi sur le système de temps long, puisque de toute façon, la recette du fromage, c'est tout le temps la même depuis des millénaires. Oui,

  • Grégoire LINCET

    c'est ça.

  • Romain LE GAL

    Et quand on arrive dans le temps du fromage, il faut être patient. Il faut être patient. Il faut être patient, mais rien que déjà dans la production et dans l'affinage, il faut laisser le temps au temps.

  • Grégoire LINCET

    La fromagerie, c'est de la patience. il y a plein d'autres métiers qui sont comme ça mais la fromagerie c'est vraiment de la patience et ce que je trouve génial c'est que à l'époque de mon grand-père quand il a créé l'AOP donc les discussions ont dû commencer dans les années 60 pour aboutir à une création en 1970 mais ça m'amuse moi parce que je me dis mais qu'est-ce qu'ils pensaient à l'époque ces gars-là quand ils ont décidé de faire ça et qu'ils se sont dit en fait il n'y avait pas grand-chose et est-ce qu'ils auraient pu imaginer à l'époque qu'aujourd'hui, on ferait 2500 tonnes de chahours au niveau de l'AOP, qu'on aurait un cahier des charges quand même exigeant et avec des belles valeurs et des belles choses dedans. Je ne sais pas s'ils auraient pu imaginer tout ça. Et en fait, c'est ça que je trouve génial, c'est qu'on est vraiment dans l'image de on plante une graine en fait. On plante une graine et après, si on fait le nécessaire, cette graine, elle pousse.

  • Romain LE GAL

    Ils ont été vraiment précurseurs avec une vision pour protéger le produit qui leur était cher. Et ça, c'est quelque chose d'hyper intéressant et hyper important.

  • Grégoire LINCET

    C'est ça. Et il faut s'en inspirer. Parce qu'aujourd'hui, on a plein de défis autour de nos AOP, avec le changement climatique, avec les attentes des consommateurs, sur les engagements sociétaux qu'on peut prendre, sur toutes ces choses-là. Et en fait, parfois, en interne, dans nos filières, il y a des gens qui se braquent un peu, ou alors il y a des consommateurs, à l'inverse, qui peuvent être très exigeants. Tout de suite,

  • Romain LE GAL

    on veut l'immédiateté. On est dans une société de consommation où on veut qu'il y ait de l'immédiateté. On le voit aujourd'hui si on regarde dans d'autres univers de création et de recherche et développement sur des produits. Un produit, s'il ne fonctionne pas au bout de six mois, on ne laisse plus le temps au produit de s'installer. Finalement, ça rejoint un petit peu ce que tu racontes.

  • Grégoire LINCET

    On en parlait l'autre jour. C'est vrai qu'aujourd'hui, pour une PME comme nous, d'installer un nouveau produit avec une marque qui nous est propre. C'est hyper difficile parce que justement, il faut que ça marche tout de suite.

  • Romain LE GAL

    Il faut que ça performe.

  • Grégoire LINCET

    Il faut que ça performe.

  • Romain LE GAL

    On est dans de la performance.

  • Grégoire LINCET

    Alors qu'on sait très bien que pour installer un produit, pour installer une marque, les grandes choses se font dans la durée. On peut tourner les choses dans tous les sens. Les grandes choses se font dans la durée.

  • Romain LE GAL

    Et en plus de ça, aujourd'hui, vous souhaitez garder le savoir-faire et le fromage de tradition. du coup aujourd'hui vous produisez du Chahours, du Bria Savarin qui a eu son IGP il n'y a pas non plus très très longtemps du Soumintrain le Soumintrain il est arrivé après ça me permet de faire la bascule et de parler de la suite de l'histoire en 2012 ton papa a eu l'opportunité Oui,

  • Grégoire LINCET

    de reprendre la fromagerie Gauguerie. Au départ, donc la fromagerie Gauguerie...

  • Romain LE GAL

    Donc là, il y a deux Lyon, il y a deux l'Aube, et maintenant on atterrit en Côte d'Or. C'est ça. Voilà, un triangle infernal.

  • Grégoire LINCET

    Triangle infernal du lactique.

  • Romain LE GAL

    Du lactique.

  • Grégoire LINCET

    Et en fait, effectivement, nous, notre volonté et notre envie, qui était celle de papa à l'époque et qui est la nôtre encore aujourd'hui, c'est d'être spécialiste du lactique sur ce triangle-là Bourgogne-Champagne. Et donc, à cette époque, il nous manquait quand même l'Époisses. On avait envie de se développer sur ce produit-là. Papa a tenté plusieurs choses. Il a tenté de lancer une fabrication d'Époisses à Saint-Marc-sur-Seine, en Côte d'Or, en s'appuyant avec un producteur de lait, etc. Ils ont tenté des choses. Ça n'a pas abouti, parce que c'est un produit qui est quand même assez difficile à maîtriser. Et donc, il y a eu cette opportunité en 2012. Les gogueries ont eu un...

  • Romain LE GAL

    Pourquoi tu dis que c'est un produit assez difficile à maîtriser, l'Époisses ?

  • Grégoire LINCET

    L'Époisses, c'est vraiment le fromage, je pense, le plus difficile à maîtriser. Un des plus difficiles à maîtriser, parce qu'ils cumulent tout ce qu'il ne faut pas faire en fromagerie. C'est une hérésie, ce fromage.

  • Romain LE GAL

    Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire, du coup ?

  • Grégoire LINCET

    Alors, on est sur un lactique. Donc déjà, on est sur un lait entier. non standardisés. Donc déjà, ça veut dire que tous les jours, on va travailler un lait différent. Ensuite, on a le caractère lactique qui n'est pas simple à maîtriser parce qu'une acidification sur un lait entier et qui plus est, si on rajoute un peu de lait, si on est encore au lait cru, ça complique encore un peu la tâche parce qu'on a des acidifications qui sont tout le temps différentes. L'acidification, dans notre technologie, c'est quand même ce qui fait la texture et les arômes. Donc ça veut dire un petit peu important en fromagerie. Et derrière, on va... sécher ce produit. Jusque-là, après, sur cette étape-là, ce n'est pas le plus compliqué. Et après, on va le frotter avec de l'eau.

  • Romain LE GAL

    Il y a des régulations qui sont super longues, parce que dans le cahier des charges, c'est minimum 16 heures.

  • Grégoire LINCET

    16 heures pour l'Époisses, on est sur 12-13 heures pour le Chahource. Donc, on a des temps longs sur nos produits.

  • Romain LE GAL

    Et puis après, l'Époisses on va le laver.

  • Grégoire LINCET

    Et on va le laver, ce qui est complètement stupide.

  • Romain LE GAL

    Ce n'est pas stupide.

  • Grégoire LINCET

    Gustativement,

  • Romain LE GAL

    c'est brillant.

  • Grégoire LINCET

    Gustativement, c'est brillant. Mais techniquement,

  • Romain LE GAL

    c'est un peu compliqué. Oui, un peu compliqué. Un peu compliqué. J'avais une personne pour qui j'ai travaillé au début de ma carrière professionnelle qui utilisait une phrase que j'aime beaucoup, c'est le filet de l'artiste. C'est un peu ça. Aujourd'hui, c'est un travail d'équilibriste. C'est un travail de... Oui, complètement. Finalement... On bascule vite d'un côté ou de l'autre. C'est-à-dire qu'on bascule vite dans l'exceptionnel, comme on peut basculer dans quelque chose de très décevant.

  • Grégoire LINCET

    donc c'est assez compliqué mais c'est génial en même temps donc du coup reprise en 2012 de l'atelier à la famille Gaugry Passation Passation en 2018 c'est une société qui était un petit peu en difficulté qui avait un peu de difficulté il y a eu une perte de savoir-faire il y a eu une... puis c'est rigolo parce que là du coup on est sur le site le site Gaugry et c'est un site qui est un peu particulier parce que c'était un site où il y avait un autre type de production avant c'est un ancien site de la famille Ricard oui et... C'était un site.

  • Romain LE GAL

    On faisait du Ricard sur ce site. Ricard a fait du Ricard sur le site ici de 1960 jusqu'à 1999.

  • Grégoire LINCET

    C'est pour la petite aparté. Aujourd'hui, on est dans le site à Brochon.

  • Romain LE GAL

    Où les Gaugris sont installés. L'inauguration a été en 2004. Le passage entre leur site historique et ce site-là a été compliqué. Il y a eu un peu une perte de maîtrise du savoir-faire. Et puis après, l'entreprise Après, ils étaient gérés par deux frères, Olivier et Sylvain. Sylvain est décédé en 2011. Et Sylvain a emporté une partie du savoir-faire dans sa tombe. Donc, c'est vrai que c'est toujours des moments douloureux et compliqués pour des familles, et pour des familles, n'importe quelle famille. Et puis, lorsqu'il y a un savoir-faire qui est très empirique. et qui repose sur des personnes, ce n'est pas évident. Et donc, ça a été un moment difficile pour la famille Gaugry. Et donc, nous, on est arrivé dans ce contexte-là et il a fallu reconstruire ce savoir-faire. Et donc, ça a été long. Ça a été long et difficile.

  • Grégoire LINCET

    Donc, 2012 reprise. Ton papa relance un petit peu la machine. En fait,

  • Romain LE GAL

    on avait un peu plus de... On avait un réseau commercial un petit peu plus évolué que les Gaugry.

  • Grégoire LINCET

    La logistique, c'est une des clés de nos produits aujourd'hui.

  • Romain LE GAL

    Voilà, exactement. Le nerf de la guerre. Comment livrer jusqu'à la plus petite crèmerie ou le plus petit restaurant au fin fond de la Bretagne, nos produits. Le maillon logistique dans nos produits est finalement hyper important. Donc, le réseau logistique a un petit peu aidé. On a aidé, on a apporté notre réseau commercial, notre logistique. Et donc, ça nous a permis de développer l'activité. Puis après, on a été un peu victime de notre succès. C'est-à-dire que... Trop de production sur le site a fait dérailler un petit peu les équilibres qu'on pouvait avoir sur le site. Ça a engendré tout un tas de problèmes. Donc moi, je suis arrivé en 2018.

  • Grégoire LINCET

    Où il y avait plein de problèmes.

  • Romain LE GAL

    Où il y avait beaucoup de problèmes.

  • Grégoire LINCET

    Parce que moi, 2018, c'est la période où dans ma vie, entre guillemets, produit laitier, j'étais aux achats pour un grossiste dans le Nord de la France. Effectivement, j'ai vécu avec vous ces problèmes, entre guillemets, qualité. Et donc toi t'es arrivé dans cette période pas évidente.

  • Romain LE GAL

    Non, pas évidente.

  • Grégoire LINCET

    Toi t'arrives et finalement...

  • Romain LE GAL

    Il a fallu que je me forme, que je me reforme, que je règle ces problèmes-là. Il a fallu reconstruire des équipes. reconstruire le savoir-faire, tout ça. Et ça a été long mais ça a été passionnant, ça a été un accélérateur d'expérience. C'est-à-dire qu'on a l'impression d'avoir travaillé dix ans. Une fois on a fait ça pendant trois ans et voilà, j'ai pas sorti la tête de l'eau. Mais ça a été une expérience qui m'a permis de comprendre comment fonctionnait le fromage déjà, le produit, comment il était, de l'apprivoiser un petit peu. Et puis de comprendre comment fonctionnait une entreprise aussi, parce qu'il a fallu que j'apprenne tout ça en même temps. Mais par contre, si c'était à refaire, je pense que je le referais, même si c'était difficile sur le moment, parce que c'était passionnant aussi. Il y avait un énorme challenge à ce moment-là. Et donc aujourd'hui, sur la fromagerie de Gaugry, vous avez encore d'autres défis ?

  • Grégoire LINCET

    Oui, donc là aujourd'hui, on a stabilisé la qualité des produits. Il reste pas mal de choses à faire encore, parce que c'est un peu sans fin, il y a toujours quelque chose à faire. On en parlait tout à l'heure, il y a des choses intéressantes à faire aujourd'hui au niveau de la gestion de nos ambiances, avec la gestion de l'humidité, l'hygrométrie dans la fromagerie. Et puis avec le changement climatique, on s'aperçoit qu'il y a des... Changement majeur qui est en train de s'opérer, c'est-à-dire qu'avant on avait des hivers froids et secs, puisque l'air froid est plus sec, puisqu'il a moins de capacité à contenir, à absorber de l'eau. Et donc là, des hivers plus doux, avec des températures entre 10 et 15 degrés, on n'était pas habitués et en fait nos fromageries ne sont pas adaptées à ça aujourd'hui. Et donc ça, c'est des défis qui nous restent encore pour la qualité des produits, mais on l'a quand même énormément stabilisé cette qualité.

  • Romain LE GAL

    Il y a une phase hyper importante dans la production d'Epoisses, en tout cas sur la partie affinage, c'est le lavage. avec la particularité de laver un produit local. Oui, on frotte au mar de Bourgogne. Donc là aussi, il y a des enjeux sur le mar. Il faut trouver les bons dosages de mar. Il faut stabiliser.

  • Grégoire LINCET

    C'est combien de lavage par semaine ? Alors,

  • Romain LE GAL

    on va laver le minimum dans le cahier des charges de l'AOP, c'est six fois. C'est deux à trois fois par semaine.

  • Grégoire LINCET

    Et l'affinage, c'est ?

  • Romain LE GAL

    Et c'est 28 jours à partir de la mise en œuvre du lait. Donc du coup, ça fait à peu près trois semaines de frotte.

  • Grégoire LINCET

    Mais aujourd'hui, vous... Tu me disais tout à l'heure qu'on a été finalement dans les caves, que vous sortiez rarement à 28 jours. Tu ne peux pas laisser autant le temps aux produits de s'exprimer ?

  • Romain LE GAL

    Je pense que 35 jours, c'est la perfection. C'est là où on est le mieux.

  • Grégoire LINCET

    C'est là où, pour toi, les produits peuvent commencer à passer à la dernière phase d'emballage et de pouvoir retrouver les étals de nos crémiers fromagers. C'est ça. Ok. Et donc les défis pour toi demain, vous avez aussi cherché à continuer de faire du lait cru. Tout à fait. Ça, c'est un défi aussi.

  • Romain LE GAL

    Oui, ce que c'est dans l'ADN de la fromagerie Gaugry, c'est le lait cru. Et donc aujourd'hui, on est la dernière laiterie à faire du lait cru dans nos filières.

  • Grégoire LINCET

    En époisse, il y a aussi un... une production fermière.

  • Romain LE GAL

    Il y a une production fermière, il y a un producteur fermier qui est tout en lait cru.

  • Grégoire LINCET

    C'est une petite filière, les poissons.

  • Romain LE GAL

    Voilà, c'est une petite filière. Et malheureusement, ce producteur fermier est tout seul. Et nous, en laiterie, c'est-à-dire en collecteur de lait, avec du lait, nous, on n'a pas de vache, on collecte du lait auprès de cette producteur de lait. On est la seule laiterie. Il y a aujourd'hui des productions fermières au lait cru, mais on oublie souvent,

  • Grégoire LINCET

    les gens mélangent le fermier,

  • Romain LE GAL

    lait cru, les laiteries, tout ça. Et les productions fermières sont en général des productions plus modestes en quantité, en volume, que ce que peuvent faire des laiteries. Et c'est dommage aujourd'hui que dans nos laiteries, on ait de plus en plus de mal à faire des fromages au lait cru. Ça, c'est un peu dommage. Et nous, on a envie de continuer. Mais il n'y a plus grand monde qui veut s'embêter à faire ça, c'est sûr.

  • Grégoire LINCET

    Donc le lait cru, pourquoi un défi ? Je me rappelle d'un échange il y a quelques temps, je suis passé il y a quelques temps à la fromagerie avec un groupe et on a eu un échange qui était assez intéressant sur les analyses que tu avais retrouvées de ton grand-père sur la vie du lait. Et ça, c'est un exemple que plusieurs fois j'ai repris avec finalement la vie du lait.

  • Romain LE GAL

    Ce qui est sûr, c'est qu'en fait, on a vécu des grands changements. C'est-à-dire qu'on a globalement... Il faut savoir qu'avant, il y avait entre 14 000 et 15 000 morts par an d'intoxication alimentaire au lendemain de la guerre. Et aujourd'hui, il y en a 300. Donc, comment tout ça s'est fait ? Eh bien, ça s'est fait par essentiellement l'hygiène de nos outils de production, que ce soit sur l'amont, en production laitière, ou dans nos fromageries, dans tous nos ateliers de production dans l'industrie agroalimentaire de manière générale. Et en fromagerie, avant, un lait... avait, on a un indicateur qui est suivi depuis très longtemps dans le lait, c'est le nombre de germes qu'il y a dans un millilitre de lait.

  • Grégoire LINCET

    L'avantage, c'est qu'au bout de sixième génération, vous avez quelques archives.

  • Romain LE GAL

    On a un petit peu d'historique.

  • Grégoire LINCET

    Vous avez quelques archives.

  • Romain LE GAL

    Et en fait, on sait qu'à l'époque, dans les années 50-60, les laits avaient à peu près 300 000 germes en moyenne par millilitre de lait. Donc 300 000 micro-organismes.

  • Grégoire LINCET

    Donc la vie du lait. La vie du lait. Il y avait de la vie, il n'y avait pas de place, il y avait de la vie.

  • Romain LE GAL

    Il y avait de la vie. Donc après, il y avait des bonnes et des mauvaises bactéries. mais il y avait de la vie. On a hygiénisé et en fait, on ne savait pas à l'époque comment faire le tri entre des bonnes bactéries et des mauvaises. Donc, comme en médecine, comme dans plein de sujets, qu'est-ce qu'on a fait ? On a tout éliminé.

  • Grégoire LINCET

    On a sanité, on a hygiénisé. Donc, on a désinfecté les salles de traite, on a désinfecté le pi des vaches, on a désinfecté tout ça, et aujourd'hui, on se retrouve avec des laits qui sont entre 2 et 10 000 germes. Et donc, quand on pasteurisait un lait dans les années 60, qui avait 300 000 germes, la pasteurisation, c'est un facteur de réduction de 10. Ça veut dire qu'un lait pasteurisé préservait 30 000 germes encore.

  • Romain LE GAL

    Donc, on avait des laits pasteurisés à l'époque qui étaient plus riches que de lait cru qu'aujourd'hui.

  • Grégoire LINCET

    Plus d'aujourd'hui. Un lait cru aujourd'hui, c'est quasiment un lait stérilisé. Il n'y a quasiment plus rien dedans. Alors, il ne faut pas tout le temps voir les choses négativement.

  • Romain LE GAL

    Il y avait un besoin,

  • Grégoire LINCET

    il y avait un problème. Et il ne faut pas faire l'autruche à dire qu'il n'y avait pas de soucis, que c'était mieux avant, que non, ce n'est pas vrai, ça. Ça, c'est vraiment des trucs. Ce n'était pas mieux avant et les fromages n'étaient pas meilleurs avant. Ça, c'est complètement faux. C'est comme le vin. Le vin n'était pas meilleur avant. C'est faux de dire ça.

  • Romain LE GAL

    Toi et moi, de toute façon, dans les années 50, on n'était pas là. Non, on n'est pas là pour dire c'est meilleur.

  • Grégoire LINCET

    Non, on n'était pas là. Mais si tu veux, moi, j'ai l'historique. Mon père me... à des souvenirs de fromage, d'aléas de qualité sur les fromages à l'époque. Mais qui se sou... Moi, j'en ai le souvenir, gamin, quand même, de manger des comtés qui piquaient, qui donnaient des aftes, qui avaient... Non, mais c'est vrai, qui avaient des butyriques, qui avaient plein de...

  • Romain LE GAL

    C'est pas très agréable.

  • Grégoire LINCET

    C'est pas très agréable, mais ça, ça a presque disparu aujourd'hui.

  • Romain LE GAL

    On a maîtrisé.

  • Grégoire LINCET

    On a maîtrisé. Et les savoir-faire se sont améliorés grâce aux AOP, grâce au cahier des charges.

  • Romain LE GAL

    Grâce à la technique. Grâce à la science.

  • Grégoire LINCET

    À la science. Il y a des écoles comme les Éniles de Poligny, il y a des gens comme Bernard Mietton, qui ont écrit des choses, qui ont documenté des choses et qui ont permis de faire évoluer les techniques. Et heureusement qu'on a eu ça et ça nous permet aujourd'hui d'avoir des bien meilleurs produits. Mais c'est vrai qu'aujourd'hui, on a des produits qui sont, on a des fromages, des laits très pauvres. Et c'est un peu un problème. Alors nous, on y travaille. On réfléchit aujourd'hui à... C'est pareil, là. Encore une fois, c'est un travail qui est lent et qui est fait sur le long terme. Mais on cherche à... à renforcer l'environnement microbien des fermes. Et donc, avec certains éleveurs, on travaille là-dessus, où en fait, on va ensemencer avec des fermes enlactiques, les litières, par exemple. Et on va chercher à ensemencer les étables en fermes enlactiques. Et certains...

  • Romain LE GAL

    Faire travailler les flores endogènes. Les flores qui se présentent de manière naturelle, qui ne sont pas les mêmes si on prend deux fermes, l'une à côté de l'autre. La richesse du lait, la richesse de notre vie, n'est pas la même d'une ferme à côté.

  • Grégoire LINCET

    Donc aujourd'hui, on est... obligés, bien évidemment, pour garantir une sécurité sanitaire de nos produits, on est obligés de continuer de désinfecter, de nettoyer. Mais on se pose plus de questions qu'avant. Et ça, c'est très positif parce que ça nous amène à avoir des réflexions hyper intéressantes et qui aboutiront certainement dans les années à venir. Mais c'est dans 5 ans, 10 ans, 15 ans. On en parlait tout à l'heure. C'est comme quand mon grand-père a créé... C'est un cycle long. C'est des cycles longs. Et je suis persuadé que des choses arriveront.

  • Romain LE GAL

    Et une accélération de la réflexion. Exactement. Donc aujourd'hui, vous battez pour continuer de faire du lait cru sur ce site. Oui. Et c'est quelque chose que vous souhaitez continuer.

  • Grégoire LINCET

    On se bat au quotidien pour ça. Tous les matins, quand on se lève, on se bat pour ça.

  • Romain LE GAL

    C'est un risque. C'est un peu une épée. Il faut dire les choses. C'est un peu une épée de Damoclès. Toi, quand tu es responsable d'une fromagerie qui fait des fromages au lait cru, c'est la passion qui fait vivre. C'est un peu une épée de Damoclès.

  • Grégoire LINCET

    C'est complexe parce que tout passe, nous, sur nos métiers. Nous, les fromagers, on... Il faut avoir beaucoup d'humilité sur un fromage. Déjà, il y a la moitié, c'est le lait.

  • Romain LE GAL

    On travaille avec du vivant.

  • Grégoire LINCET

    On travaille avec du vivant et la moitié, c'est le lait. C'est-à-dire que quand vous avez un lait de bonne qualité, vous avez déjà la moitié du travail qui est fait. Et donc, il faut travailler en amont avec les éleveurs. Et là, nous, on a la chance de travailler avec des éleveurs qui sont hyper engagés, hyper motivés. Et vraiment, moi, je prends beaucoup de plaisir à travailler avec tous nos producteurs de lait. Mais leur travail est également difficile. Ils ont beaucoup d'enjeux. Et donc, on essaye, si vous voulez, de trouver le bon équilibre quand on fait du lait cru entre l'exigence qu'on va avoir. avoir envers eux. Et d'un autre côté, on leur laisse aussi la possibilité de travailler dans de bonnes conditions. C'est-à-dire qu'il faut trouver le bon équilibre entre la sécurité sanitaire qu'on veut garantir et le modèle économique, les contraintes qu'on va leur mettre. Voilà, parce que à un moment donné, si on va trop loin, il n'y aura plus personne qui va faire...

  • Romain LE GAL

    Et vous êtes dans une démarche que vous avez inscrite, qui s'appelle Les Demains. C'est ça. Tu peux nous en parler en quelques mots.

  • Grégoire LINCET

    En fait, on a décidé de formaliser un petit peu nos démarches et tout le travail qu'on fait avec nos producteurs de lait parce qu'on fait pas mal de choses. Alors, il y a pas mal de choses qui sont faites au travers des AOP, mais on a voulu aller un petit peu plus loin et avoir un peu plus de valeur ajoutée encore sur nos pratiques. Et donc, on a décidé de faire une charte de bien-être animal, en fait, une charte d'élevage qui regroupe des éléments de bien-être animal et également qui porte sur différents cliquets. On a également du coup... Du coup, au travers de cette démarche, la volonté de basculer en alimentation française, 100% de l'alimentation des animaux. On a aujourd'hui une grosse partie de l'alimentation qui provient des zones d'appellation et des fermes.

  • Romain LE GAL

    Oui, ça c'est dans le cas des Gétards.

  • Grégoire LINCET

    C'est 85% pour le chahours et les pois, c'est 85% d'autonomie de zone et le chahours également 75% d'autonomie de ferme. Donc c'est quelque chose qui est très important parce que c'est vraiment le... C'est pareil, ça fait partie des piliers de nos appellations.

  • Romain LE GAL

    C'est le pilier d'à peu près toutes les appellations. Voilà, oui. de terroir et par...

  • Grégoire LINCET

    Mais nous, l'avantage qu'on a, c'est qu'on repose sur des systèmes de polyculture élevage, de vraie polyculture élevage, et du coup, ce qui permet à nos éleveurs d'avoir quasiment les autonomies de fermes les plus importantes. Parce que beaucoup d'appellations ou de filières parlent d'autonomie de fourrage. Nous, on parle d'autonomie totale, c'est-à-dire sur les fourrages et les concentrés également, et les céréales qu'on peut donner à manger aux animaux.

  • Romain LE GAL

    Un peu faire une FAF, une fabrique d'aliments à la ferme. Parce que des producteurs, c'est quelque chose où il y a pas mal de producteurs. Quand ils ont la possibilité, finalement, de faire les rotations de culture qui vont bien pour nourrir les animaux, ça, c'est une belle démarche.

  • Grégoire LINCET

    Et du coup, on a, comme beaucoup d'éleveurs, on a une partie des concentrés qui, la base de la ration des vaches, il y a une partie de concentré. Donc ça, c'est la protéine qu'on va apporter dans la ration, qui est assez importante pour la production du lait. Et cette protéine aujourd'hui, elle vient essentiellement de l'étranger. Ça, c'est un sujet, il ne faut pas l'occulter. Et nous, on a décidé de prendre ce sujet à bras-le-corps. Et on a sondé, on a discuté avec les éleveurs. Et on est en phase de... Donc là, on termine cette année les discussions avec les éleveurs pour mettre en place une alimentation 100% française avec une ration 100% française. Et qu'on va valoriser. C'est-à-dire que nous... Tout ce qu'on fait, toute notre démarche, aujourd'hui, on la valorise. Par exemple, notre démarche de bien-être animal, on a tout un tas de critères avec des prérequis qu'ils sont obligés d'avoir pour accéder à la prime. Et une fois qu'ils ont ces prérequis, il y a un barème à points sur 100 points. Et en fait, si vous avez 100 points, vous avez 15 euros du 1000 litres sur une année complète. Vous avez 15 euros du 1000 litres qui viennent s'ajouter au prix du lait. Et si vous avez 50 points, vous avez 7,50 euros. Et c'est au pro-rata du nombre de points que vous avez. Et la démarche d'alimentation française, on va la valoriser également avec une surprime par rapport à ça. Donc ça, c'est des discussions qu'on a actuellement avec les producteurs de lait.

  • Romain LE GAL

    Vous avez combien de producteurs de lait ? Alors si on prend Gogri tout à l'heure, tu nous as dit 7. Oui,

  • Grégoire LINCET

    une cinquantaine chez l'INSEE.

  • Romain LE GAL

    Oui, donc ça fait déjà...

  • Grégoire LINCET

    Ils sont essentiellement dans l'Aube et dans la Marne et un petit peu dans Lyon aussi. Et donc cette démarche, elle est formalisée et ça nous permet en fait de l'organiser. Si vous voulez, encore une fois, c'est vraiment un esprit filiaire. C'est-à-dire qu'il y a nos AOP, mais nous, on raisonne, même l'INSEE, notre filière à nous aussi, notre bassin laitier à nous. Et en fait,

  • Romain LE GAL

    l'idée de se décrire et de faire une charge... développement durable dans nos zones.

  • Grégoire LINCET

    Dans nos zones, et ça permet d'être plus efficace, en fait. On est plus fort, on est plus efficace. Et derrière, on fait des produits qui sont quand même aujourd'hui valorisés. On fait des produits qui ont un certain coût, c'est vrai. Mais moi, je pars du principe que je pense que le consommateur est prêt à payer un certain prix pour la qualité de ce qu'il mange, à la condition qu'il l'ait compris et qu'il sache ce qu'il achète et pourquoi il paye. Alors, bien évidemment, il y a des limites. Il ne faut pas abuser ni exagérer sur la valorisation qu'on peut avoir de nos produits. Mais je pense qu'il est important de formaliser toutes nos démarches, quelles qu'elles soient, que ce soit en amont laitier, que ce soit sur nos pratiques, la fabrication, il faut de la transparence et expliquer ce qu'on fait, et pas occulter ce qui ne va pas. Parce que le consommateur, il n'est absolument pas stupide, il se renseigne, il réfléchit. Ils ne consomment pas bêtement, comme parfois certaines personnes peuvent le dire. Ce n'est pas vrai, moi, pour discuter régulièrement avec des consommateurs, des gens qui viennent nous voir dans nos fromageries, dans nos magasins.

  • Romain LE GAL

    Vous êtes sur une route assez passante. Les gens posent beaucoup de questions,

  • Grégoire LINCET

    sont très curieux. Ils veulent savoir d'où vient le lait, comment il a été produit. Et ça, il faut répondre à ces attentes-là. Et là, encore une fois, c'est un travail de long terme, bien évidemment. Mais je pense qu'il est primordial et vraiment important de formaliser, mais de formaliser aussi et de communiquer sur des choses concrètes. des choses qui sont faites, et non pas sur des choses qui seront faites demain, mais sur des choses qui sont faites maintenant, parce que je pense que les consommateurs aussi en ont un peu marre, qu'on leur dise, ah bah voilà on a pris des engagements à 2030, à 2050, c'est un peu le concours de celui qui a pris le plus d'engagement, et voilà. Mais prendre des engagements, c'est quand même le truc le plus facile du monde. Moi je peux en prendre plein, je peux en prendre 15 là si je veux des engagements. Ce qui est important c'est le résultat, c'est le concret. Qu'est-ce que concrètement tu as eu comme résultat par rapport aux actions que tu as pu mener ?

  • Romain LE GAL

    Avant de conclure cet entretien, Grégoire, j'ai une question. C'est la petite question mystère que je pose à tous mes entretiens. C'est quoi ta pizza préférée ? Parce que c'est quand même un plat que tout le monde mange, finalement. Et toi, c'est quoi ta pizza préférée ?

  • Grégoire LINCET

    Alors moi, j'ai une pizzeria à côté de chez moi qui s'appelle Casa Roma, la pizza, à Dijon, et qui fait une pizza qui s'appelle la Normano. D'accord.

  • Romain LE GAL

    Et il y a quoi sur cette pizza ?

  • Grégoire LINCET

    Et il y a du brie dessus, il y a beaucoup de fromage avec du jambon, du brie et de... Et c'est une pizzeria qui fait des pizzas assez originales, mais avec que des bons ingrédients. Et elle est excellente.

  • Romain LE GAL

    Bon, une bonne adresse quand je passerai sur Dijon à aller tester. Merci beaucoup Grégoire.

  • Grégoire LINCET

    De rien.

  • Romain LE GAL

    Merci d'avoir pris le temps de nous recevoir. Et puis on a échangé comme d'habitude sur une petite planche de fromage. J'avais voulu faire découvrir à Grégoire trois fromages dont un qu'il connaissait déjà bien. Quitte à venir sur un secteur où on fait des croûtes lavées, je lui ai ramené la croûte lavée emblématique du Nord, un maroilles de nos amis de la ferme du Pont des Loups, un petit chèvre également du Nord de la fromagerie du Val d'Otis et puis un fromage un peu plus dans les cieux. C'est l'immersus du Mont-des-Cas, qui est immergé 48 heures à la bière. Qu'est-ce que tu as pensé de ces fromages, Grégoire ?

  • Grégoire LINCET

    Je voyais que les trois étaient excellents. Et vraiment, pour l'immersus, je ne connaissais pas celui-là.

  • Romain LE GAL

    On a vraiment ce côté houblonné qui vient.

  • Grégoire LINCET

    Très intéressant et très bon. Les trois étaient excellents.

  • Romain LE GAL

    Merci beaucoup de nous avoir écoutés. Je vous retrouve bientôt sur l'échange. Si vous avez aimé ce contenu, n'hésitez pas à le partager et à nous mettre 5 étoiles sur les plateformes. Je vous dis à bientôt pour un nouvel épisode. Merci Grégoire, à bientôt, au revoir.

  • Grégoire LINCET

    Merci Romain, au revoir.

Description

Découvrez l’histoire du groupe Lincet avec Grégoire, 6éme génération travaillant dans cette entreprise familiale qui remonte à 1895.

Dans les années 60-70, pour faire face au déclin laitier, Jean Lincet, le grand-père de Grégoire, s’est mis à racheter beaucoup de fromageries, comme beaucoup, à la base, pour s’assurer de récupérer le lait. La fromagerie a Saligny fût achetée en 1957, c’était une vieille fromagerie qui fabriquait toutes sortes de produits laitiers : du fromage blanc, de la faisselle, du beurre, de la crème et beaucoup de fromage frais. Notamment le Saint-Florentin qui était la plus grosse production du site de Saligny.

Le Saint-Florentin est un fromage historique de la région de l’Yonne, un fromage frais lactique fabriqué dans ce site avec un vrai savoir-faire lactique qu’il pouvait garder en complémentarité avec celui à Gué, dans la Marne, où il fabriquait plutôt des fromages à pâtes présures, comme du brie de maux, carré de l’est, camembert et brie.

Avec ce savoir-faire à Saligny, Jean Lincet décida de se lancer dans la production du Chaource, un fromage à pâte molle et croute fleurie, qui, à l’époque, n’avait pas encore d’AOP. Il s’agissait d’un fromage très confidentiel, avec seulement quelques fermes et laiteries qui le produisaient. Plus tard, en rassemblant un groupe d’éleveurs, ils ont fait en sorte de défendre et protéger ce produit, ce qui a abouti à la création de l’AOP en 1970.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Romain LE GAL

    Bienvenue sur Lait'Change, le podcast qui donne la parole aux actrices et aux acteurs de la filière laitière et fromagère. Je suis Romain Le Gal et aujourd'hui j'ai la chance d'être en Bourgogne. Je suis sorti à Nuit-Saint-Georges pour traverser les vignobles et me suis arrêté au Brochon. Je suis passé par Gevrey-Chambertin, ceux qui aiment bien le vin, je pense qu'ils connaissent un peu le coin. Et je me suis arrêté à la fromagerie Gaugry où je suis actuellement avec Grégoire Lincet. Bonjour Grégoire. Bonjour Romain. Comment vas-tu aujourd'hui ?

  • Grégoire LINCET

    Ça va pas mal.

  • Romain LE GAL

    Ça va pas mal ? Est-ce que tu pourrais te présenter en quelques mots Grégoire ?

  • Grégoire LINCET

    Oui bien sûr. Donc je suis Grégoire Lincet, je représente la sixième génération au sein de la fromagerie Lincé. J'ai 34 ans et j'ai rejoint l'entreprise familiale en 2018, après un passage en contrôle de gestion dans différentes entreprises. J'ai pris la décision de me former en fromagerie et à... approfondir mes connaissances laitières au travers d'un master à l'ENSAIA à Nancy et ensuite j'ai pris la direction de la fromagerie Gaugry que mes parents avaient racheté en 2012 et j'ai évolué sur différentes responsabilités jusqu'à aujourd'hui pour être désormais à la direction générale de toute l'entreprise aux côtés de mon père.

  • Romain LE GAL

    D'accord donc ton papa est encore dans l'entreprise aujourd'hui ? Voilà. Donc, ton père, c'est la cinquième génération.

  • Grégoire LINCET

    Donc, mon père, c'est la cinquième génération. Et tu dis sixième génération.

  • Romain LE GAL

    L'histoire lincet, ça a démarré quand, du coup ?

  • Grégoire LINCET

    Et donc, l'histoire lincée, elle a démarré à la fin du XIXe siècle, enfin, dans la deuxième moitié du XIXe siècle, dans la Marne.

  • Romain LE GAL

    Dans la Marne. Alors, rien à voir avec la Côte d'Or.

  • Grégoire LINCET

    Rien à voir avec la Côte d'Or. Je ne le dis pas trop fort ici, mais on est champenois à la base.

  • Romain LE GAL

    D'accord. Pas trop le dire.

  • Grégoire LINCET

    Il ne faut pas le dire très fort. Et donc, on était dans la Marne, dans un village qui s'appelle Guay, près de Cézanne. Donc, on a la première trace qu'on ait, c'est à peu près 1895. Ça, c'est le plus vieux document que l'on ait de l'entreprise. Par contre, on sait que l'entreprise existait déjà avant.

  • Romain LE GAL

    D'accord.

  • Grégoire LINCET

    Mais on n'a pas de document qui l'atteste.

  • Romain LE GAL

    C'était une laiterie ?

  • Grégoire LINCET

    C'était une laiterie. En fait, on avait... Donc, à la base, ce n'était pas la famille Lincet, c'était la famille Piscard.

  • Romain LE GAL

    D'accord.

  • Grégoire LINCET

    et qui était, a priori, une famille d'agriculteurs qui avaient une ferme et qui se sont mis à produire du fromage. Ensuite, notre arrière-arrière-grand-père Piscard a eu deux filles, dont une des deux filles a épousé un monsieur qui s'appelait Jules Lincet.

  • Romain LE GAL

    Ok, donc le premier Lincet.

  • Grégoire LINCET

    Voilà, le premier Lincet. Et donc ensuite, ça a été une succession de Lincet.

  • Romain LE GAL

    Donc après, ça a été Jules. Donc après,

  • Grégoire LINCET

    il y a Jules.

  • Romain LE GAL

    Après, il y a Lucien,

  • Grégoire LINCET

    Lucien, Lincet, qui est mon arrière-grand-père. Ensuite, il y a Jean Lincet, mon grand-père. Et ensuite, Didier Lincet, mon père.

  • Romain LE GAL

    Donc toi, tu es toujours né dans une famille de fromagers. J'ai été pour le cuve,

  • Grégoire LINCET

    baigné dans le lait et j'ai grandi dans une fromagerie.

  • Romain LE GAL

    Et c'est toujours quelque chose que tu as voulu faire, un jour revenir dans le lait ? Parce qu'après tes études, tu as un peu pris un... Un cursus différent ?

  • Grégoire LINCET

    Alors, en fait, j'ai toujours été passionné par le lait. Pendant un moment, comme beaucoup de gens, on se pose un peu des questions quand même. Et moi, j'ai été attiré à un moment donné par le travail de la vigne, par le vin, la vigne. Mais rapidement, je n'ai pas hésité longtemps.

  • Romain LE GAL

    En soit, c'est de la fermentation des deux côtés. Exactement. On est resté dans le temple de la fermentation.

  • Grégoire LINCET

    Exactement. Mais j'ai toujours aimé. Je n'ai pas hésité. Il n'y a pas eu de doute dans ma vie où je me suis dit vraiment... Avec de grosses remises en question, je me suis dit, je ne sais pas ce que je vais faire.

  • Romain LE GAL

    Quand tu étais jeune, enfant, etc., tu allais à la fromagerie ? Tout le temps. Tout le temps ?

  • Grégoire LINCET

    Mon père nous emmenait, aujourd'hui l'entreprise est à Saligny dans Lyonne, le siège de l'entreprise est à Saligny dans Lyonne.

  • Romain LE GAL

    Ouais, donc du coup, après Gué, vous êtes parti à Saligny.

  • Grégoire LINCET

    Et en fait, mon grand-père, la Marne, avant il y avait des éleveurs de lait dans toute la France, partout. Un peu comme la vigne, avant le phylloxéra, il y avait de la vigne. partout dans tous les villages. Le lait, c'est la même chose, il y en avait partout. Et donc dans la Marne, il y avait énormément de producteurs de lait, il y avait beaucoup de fromagerie, et il y a eu les Trente Glorieuses, après-guerre, avec une concentration, une demande assez forte, et là, beaucoup de choses ont été rationalisées, c'est-à-dire qu'on a concentré la fabrication sur des sites de plus en plus importants, et on a concentré la production également du lait, et donc il y a eu de moins en moins d'éleveurs de lait. et de moins en moins de fromagerie. Donc, mon grand-père faisait déjà face à cette époque dans les années 60, 70, faisait face à un déclin laitier déjà, ou en tout cas à une diminution du nombre de producteurs de lait. Et donc, mon grand-père s'est mis à racheter beaucoup de fromagerie, comme beaucoup. À la base, c'était plus pour récupérer le lait que pour le marché. Donc, la fromagerie de Saligny, mon grand-père l'a rachetée en 1957. C'est une vieille fromagerie également. Et qui...

  • Romain LE GAL

    La fromagerie qui produisait quoi du coup ?

  • Grégoire LINCET

    Il faisait un peu de tout, comme beaucoup de laiterie à l'époque. où on faisait du fromage blanc, de la faisselle, du beurre, de la crème et beaucoup de fromages frais type Saint-Florentin. Le Saint-Florentin, quand mon grand-père a racheté, c'était la plus grosse production du site de Saligny.

  • Romain LE GAL

    Donc, ce n'est pas quelque chose que ton grand-père a créé en France à Saligny ? Non, c'est quelque chose qu'il a racheté. C'est le fromage historique de cette province ?

  • Grégoire LINCET

    C'est le fromage historique. Saint-Florentin, c'est une ville de l'Yonne. C'est un fromage qui est ancien et on n'est plus très nombreux à en faire. Mais c'est un fromage frais, en fait, un lactique. Voilà, c'est une base lactique fraîche. Mon grand-père voulait fermer Saligny au départ. Il avait repris dans cet esprit en disant je vais ramener la production de lait et les volumes à Gué Il y a combien de distance entre les deux ? Il y a à peu près 60 kilomètres. Et en fait, mon grand-père a vu assez rapidement qu'il y avait un savoir-faire un peu particulier sur le site de Saligny, puisque nous, à Gué, dans la Marne, on faisait essentiellement des pâtes présures. On faisait un peu de bris de mots. Et on faisait des produits type carré de l'Est, des carrés, des... Du camembert et du brie, mais générique, sans appellation. Et donc, mon grand-père a identifié un savoir-faire lactique à Saligny et il a vu que les produits étaient intéressants. Donc, mon grand-père a lancé la production du chahours à Saligny.

  • Romain LE GAL

    Donc, c'est lui qui a lancé le chahours à Saligny ? À Saligny, oui. C'était pas une production ?

  • Grégoire LINCET

    Non, et vu qu'il n'y avait pas d'AOP à l'époque, il n'y avait pas de zone, toutes ces choses-là n'étaient pas définies. Donc, mon grand-père s'est lancé... dans la production du chahours, qui était très confidentielle, cette production de chahours.

  • Romain LE GAL

    Il y avait quoi ? Il y avait quelques fermiers ?

  • Grégoire LINCET

    Il devait y avoir quelques fermiers, peut-être plus de laiterie. Il n'y avait pas grand monde quand on faisait, mais il y avait quand même quelques laiteries. Tu avais des laiteries dans l'aube, tu avais quelques laiteries qui en faisaient depuis déjà. Mais mon grand-père s'est lancé là-dedans. Et de par le savoir-faire un peu lactique qu'il y avait à Saligny, très vite, les produits ont eu un succès, en fait, ont été bons. Et donc, mon grand-père a gardé ce site. Et il a investi sur ce site et il l'a un petit peu développé.

  • Romain LE GAL

    Donc, ton grand-père... Et finalement, il a été hyper important dans l'AOP Chaours. Il a porté le projet.

  • Grégoire LINCET

    Il a vu que ce produit avait un peu de succès, qu'il y avait un potentiel. Et avec un groupe d'éleveurs, en fait, il a rassemblé un groupe d'éleveurs. Et ensemble, ils se sont dit, il faut qu'on défende ce produit et qu'on le protège. Et donc, ça a abouti à la création de l'AOP en 1970.

  • Romain LE GAL

    Avec un fromage type... de pâte molle à croûte fleurie, avec aussi la particularité, c'est que c'est une technologie lactique, et que pour la région, c'était un peu particulier, un peu particulier, c'était du lait entier. Voilà, c'est un lait entier.

  • Grégoire LINCET

    C'est pas lait standardisé.

  • Romain LE GAL

    C'est vraiment ce qui fait la particularité de ce fromage-là. Pas un gros fromage, un fromage qui est assez haut.

  • Grégoire LINCET

    C'est pour ça qu'il y a des gens, parfois, qui pensent que le Chahource, c'est un double crème, ou qu'on a remis de la crème, alors que non. C'est du lait entier, et c'est... Sauf que c'est l'inverse, c'est qu'on est habitué aujourd'hui finalement à manger beaucoup de fromages qui sont fabriqués avec des laits standardisés, et quand finalement les fromages au lait entier sont peut-être moins prédominants, moins présents qu'au... que des laits, que des fromages au lait standardisé. Alors la standardisation, ça paraît être un gros mot aujourd'hui comme ça, mais ça ne l'est pas forcément. C'est qu'à l'époque, on écrémait le lait à la louche.

  • Romain LE GAL

    On l'écrémait partiellement.

  • Grégoire LINCET

    On l'écrémait à la louche. On l'écrémait à la louche.

  • Romain LE GAL

    Ou dans certaines régions, ils appellent ça à la poche.

  • Grégoire LINCET

    Voilà.

  • Romain LE GAL

    En Tome Des Bauges, ils appellent ça à la poche. À la poche ou à pocher.

  • Grégoire LINCET

    Et ça, c'est vraiment un truc historique. Ça permettait de récupérer de la crème, de faire du beurre. Et je pense que les anciens avaient identifié aussi que...

  • Romain LE GAL

    Surtout que dans la région, on aime quand même manger... Assez riche. Assez riche.

  • Grégoire LINCET

    Mais c'est aussi parce que je pense que les anciens avaient identifié qu'on stabilisait plus. un fromage, la qualité d'un fromage, lorsqu'on avait un petit peu écrémé le fromage. En gros, plus il y a de matière grasse dans un lait, plus il est difficile de travailler ce lait. Parce que la matière grasse, c'est sensible, c'est fragile, ça s'oxyde, ça peut apporter des mauvais goûts. Et donc, c'est très difficile de faire un bon fromage quand le lait a beaucoup de matière grasse. Et nous, c'est tout l'inverse, puisqu'aujourd'hui, au lieu de prendre le pli des fromages où on standardise un peu, nous, on n'a que des fromages aujourd'hui avec du lait entier, ou même... du double ou triple crème pour le délice de Bourgogne et le brillant Saint-Vara.

  • Romain LE GAL

    D'accord. Et donc, ton grand-père, après, se sépare du site historique dans les années...

  • Grégoire LINCET

    80, début des années 80. D'accord.

  • Romain LE GAL

    Il a cédé, s'il me semble...

  • Grégoire LINCET

    Il a cédé à

  • Romain LE GAL

    Lactalis, à la famille Beignet. Il y avait encore une collecte dans ce coin-là.

  • Grégoire LINCET

    Oui, et puis c'était une époque où il y a eu l'émergence de structures, de groupes un petit peu plus importants, comme Beignet qui est devenu Lactalis, Bongrain, La Famille Bel, il y a eu des familles qui ont émergé avec leurs entreprises. On a vendu à Lactalis, qui a fait tourner le site jusqu'à la fin des années 90. Mais mon grand-père avait une relation cordiale. avec Michel Beignet. Du coup, mon grand-père a pu garder le site de Saligny tout en travaillant un petit peu pour Lactalis au début pour que la reprise se fasse correctement.

  • Romain LE GAL

    En douceur. En douceur.

  • Grégoire LINCET

    Et ça s'est fait intelligemment tout ça. Et ça s'est fait intelligemment parce que du coup, le site de Saligny s'est retrouvé orphelin puisqu'il n'avait aucune structure, pas de commerciaux, pas de services administratifs, rien. Il a fallu tout reconstruire. Et l'entreprise aurait pu disparaître à ce moment-là.

  • Romain LE GAL

    Donc il s'est concentré sur le site de Saligny.

  • Grégoire LINCET

    Exactement.

  • Romain LE GAL

    Et puis après, il a continué de grossir.

  • Grégoire LINCET

    Alors, mon grand-père, le site de Saligny était petit. Il y avait une soixantaine de personnes à peu près. Enfin, petit sans être petit pour l'époque, ce n'était pas si petit que ça. Mais il y avait une soixantaine de personnes. Et je ne sais pas combien en litrage ça représentait à l'époque, mais je pense que ça devait représenter un équivalent de peut-être 20 000, 30 000 litres de lait jour. Quelque chose comme ça, à mon avis. Alors que le site aujourd'hui... A peine, je pense qu'on était peut-être même plus sur 10-15 000 litres de lait jour. Et aujourd'hui, le site traite plus de 60 000 litres de lait jour.

  • Romain LE GAL

    Avec le produit principal reste le Chaource ?

  • Grégoire LINCET

    Non, alors ça a changé. Du coup, on s'est retrouvés... Et mon père a repris l'entreprise en 89. Mon grand-père a géré pendant 5-6 ans à peu près.

  • Romain LE GAL

    Il y a 34 ans à peu près. Voilà. Ton année de naissance à peu près.

  • Grégoire LINCET

    Exactement, après il est arrivé juste avant ma naissance. à Saligny dans Lyonne. Mon père a fait l'ENIL de Poligny et un IUT de gestion, donc c'est un pur fromager. Il a repris le site et là, papa l'a vraiment développé. Mon grand-père s'est assez rapidement mis en retrait et a laissé la place à mon père. Papa est reparti vraiment... D'une feuille blanche, presque, parce qu'en fait, le site était un peu vieillissant. Il avait besoin d'investissement. Les années 90, ça a été le virage de tous les systèmes qualité tels qu'on le connaît aujourd'hui. Donc, il a fallu prendre tous ces virages là. Il a fallu sécuriser l'approvisionnement en lait parce qu'on est sur des appellations avec des zones d'appellation. Donc, le lait doit provenir de la zone et la production doit être faite dans la zone.

  • Romain LE GAL

    Et sur ce site là, aujourd'hui, vous faites du Chaource.

  • Grégoire LINCET

    Et on fait... Historiquement, on faisait du chahours et mon grand-père a créé le délice de Bourgogne de 2 kilos, le triple crème de 2 kilos en 1975 et a lancé la production du Brillat-Savarin après sur le site. Donc on avait, pendant longtemps, on a eu le chahours et le triple crème sur le même site. Et après, en 2006, on a eu l'opportunité de reprendre un site à Lactalis, dans l'Aube, à Vaud, où Lactalis faisait de la découpe de fromage et du Chahource sur le même site. Et Lactalis a pris la décision de re-régionaliser la découpe de... fromage. Et donc, il n'y a plus de découpe sur ce site. Et la production de Chahource était petite pour Lactalis sur le site. Et donc, du coup, ils ont décidé de se séparer.

  • Romain LE GAL

    Donc, en gros, ça a permis de spécialiser un site à faire du Chahource et un site à faire les spécialités du reste de la gamme. C'est ça.

  • Grégoire LINCET

    Et en fait, petit à petit, on a basculé tous les Chahource sur le site de Vaud et nous avons pu développer notre production de Chahource et notre production de triple crème.

  • Romain LE GAL

    Donc sans Jean Lincet, il n'y aurait peut-être pas eu d'AOC puis AOP Chahours.

  • Grégoire LINCET

    C'est sûr, c'est ce que je disais à des éleveurs l'autre jour, on en parlait. C'est très difficile parce que sur les AOP et le savoir-faire, on est sur un temps long. Et quand on est dans la tradition, quand on est sur ces choses-là...

  • Romain LE GAL

    C'est un des piliers de l'AOP, la tradition, le terroir.

  • Grégoire LINCET

    C'est ça. Et on est sur le temps long. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on est dans une société ou dans un monde où les choses vont très vite. On est habitué à ce que les choses évoluent très vite et à switcher d'un jour à un jour. Comme on scrolle sur Facebook, sur nos téléphones ou sur TikTok. quoi. Et sauf que sur les AOP, c'est tout l'inverse. C'est-à-dire qu'on est gardien et garant de pratique. Ça veut pas dire qu'on peut pas les faire évoluer, mais il faut nous laisser du temps. Et ce que je trouve génial, c'est que quand mon grand-père a créé l'AOP Chaource en 1970, le cahier des charges, il était minuscule. Il y avait rien dedans. C'était juste pour protéger le nom, protéger la zone, faire en sorte que ce produit soit pas fabriqué à l'autre bout de la France ou à l'autre bout du monde et que on définisse un petit peu quelques règles. Mais quand on voit le cahier des charges du Chahours aujourd'hui à ce qu'il était dans les années 70, ce n'est pas le même monde. Clairement,

  • Romain LE GAL

    on a étoffé,

  • Grégoire LINCET

    amélioré, renforcé.

  • Romain LE GAL

    Je suis d'accord un peu avec toi sur le système de temps long, puisque de toute façon, la recette du fromage, c'est tout le temps la même depuis des millénaires. Oui,

  • Grégoire LINCET

    c'est ça.

  • Romain LE GAL

    Et quand on arrive dans le temps du fromage, il faut être patient. Il faut être patient. Il faut être patient, mais rien que déjà dans la production et dans l'affinage, il faut laisser le temps au temps.

  • Grégoire LINCET

    La fromagerie, c'est de la patience. il y a plein d'autres métiers qui sont comme ça mais la fromagerie c'est vraiment de la patience et ce que je trouve génial c'est que à l'époque de mon grand-père quand il a créé l'AOP donc les discussions ont dû commencer dans les années 60 pour aboutir à une création en 1970 mais ça m'amuse moi parce que je me dis mais qu'est-ce qu'ils pensaient à l'époque ces gars-là quand ils ont décidé de faire ça et qu'ils se sont dit en fait il n'y avait pas grand-chose et est-ce qu'ils auraient pu imaginer à l'époque qu'aujourd'hui, on ferait 2500 tonnes de chahours au niveau de l'AOP, qu'on aurait un cahier des charges quand même exigeant et avec des belles valeurs et des belles choses dedans. Je ne sais pas s'ils auraient pu imaginer tout ça. Et en fait, c'est ça que je trouve génial, c'est qu'on est vraiment dans l'image de on plante une graine en fait. On plante une graine et après, si on fait le nécessaire, cette graine, elle pousse.

  • Romain LE GAL

    Ils ont été vraiment précurseurs avec une vision pour protéger le produit qui leur était cher. Et ça, c'est quelque chose d'hyper intéressant et hyper important.

  • Grégoire LINCET

    C'est ça. Et il faut s'en inspirer. Parce qu'aujourd'hui, on a plein de défis autour de nos AOP, avec le changement climatique, avec les attentes des consommateurs, sur les engagements sociétaux qu'on peut prendre, sur toutes ces choses-là. Et en fait, parfois, en interne, dans nos filières, il y a des gens qui se braquent un peu, ou alors il y a des consommateurs, à l'inverse, qui peuvent être très exigeants. Tout de suite,

  • Romain LE GAL

    on veut l'immédiateté. On est dans une société de consommation où on veut qu'il y ait de l'immédiateté. On le voit aujourd'hui si on regarde dans d'autres univers de création et de recherche et développement sur des produits. Un produit, s'il ne fonctionne pas au bout de six mois, on ne laisse plus le temps au produit de s'installer. Finalement, ça rejoint un petit peu ce que tu racontes.

  • Grégoire LINCET

    On en parlait l'autre jour. C'est vrai qu'aujourd'hui, pour une PME comme nous, d'installer un nouveau produit avec une marque qui nous est propre. C'est hyper difficile parce que justement, il faut que ça marche tout de suite.

  • Romain LE GAL

    Il faut que ça performe.

  • Grégoire LINCET

    Il faut que ça performe.

  • Romain LE GAL

    On est dans de la performance.

  • Grégoire LINCET

    Alors qu'on sait très bien que pour installer un produit, pour installer une marque, les grandes choses se font dans la durée. On peut tourner les choses dans tous les sens. Les grandes choses se font dans la durée.

  • Romain LE GAL

    Et en plus de ça, aujourd'hui, vous souhaitez garder le savoir-faire et le fromage de tradition. du coup aujourd'hui vous produisez du Chahours, du Bria Savarin qui a eu son IGP il n'y a pas non plus très très longtemps du Soumintrain le Soumintrain il est arrivé après ça me permet de faire la bascule et de parler de la suite de l'histoire en 2012 ton papa a eu l'opportunité Oui,

  • Grégoire LINCET

    de reprendre la fromagerie Gauguerie. Au départ, donc la fromagerie Gauguerie...

  • Romain LE GAL

    Donc là, il y a deux Lyon, il y a deux l'Aube, et maintenant on atterrit en Côte d'Or. C'est ça. Voilà, un triangle infernal.

  • Grégoire LINCET

    Triangle infernal du lactique.

  • Romain LE GAL

    Du lactique.

  • Grégoire LINCET

    Et en fait, effectivement, nous, notre volonté et notre envie, qui était celle de papa à l'époque et qui est la nôtre encore aujourd'hui, c'est d'être spécialiste du lactique sur ce triangle-là Bourgogne-Champagne. Et donc, à cette époque, il nous manquait quand même l'Époisses. On avait envie de se développer sur ce produit-là. Papa a tenté plusieurs choses. Il a tenté de lancer une fabrication d'Époisses à Saint-Marc-sur-Seine, en Côte d'Or, en s'appuyant avec un producteur de lait, etc. Ils ont tenté des choses. Ça n'a pas abouti, parce que c'est un produit qui est quand même assez difficile à maîtriser. Et donc, il y a eu cette opportunité en 2012. Les gogueries ont eu un...

  • Romain LE GAL

    Pourquoi tu dis que c'est un produit assez difficile à maîtriser, l'Époisses ?

  • Grégoire LINCET

    L'Époisses, c'est vraiment le fromage, je pense, le plus difficile à maîtriser. Un des plus difficiles à maîtriser, parce qu'ils cumulent tout ce qu'il ne faut pas faire en fromagerie. C'est une hérésie, ce fromage.

  • Romain LE GAL

    Qu'est-ce qu'il ne faut pas faire, du coup ?

  • Grégoire LINCET

    Alors, on est sur un lactique. Donc déjà, on est sur un lait entier. non standardisés. Donc déjà, ça veut dire que tous les jours, on va travailler un lait différent. Ensuite, on a le caractère lactique qui n'est pas simple à maîtriser parce qu'une acidification sur un lait entier et qui plus est, si on rajoute un peu de lait, si on est encore au lait cru, ça complique encore un peu la tâche parce qu'on a des acidifications qui sont tout le temps différentes. L'acidification, dans notre technologie, c'est quand même ce qui fait la texture et les arômes. Donc ça veut dire un petit peu important en fromagerie. Et derrière, on va... sécher ce produit. Jusque-là, après, sur cette étape-là, ce n'est pas le plus compliqué. Et après, on va le frotter avec de l'eau.

  • Romain LE GAL

    Il y a des régulations qui sont super longues, parce que dans le cahier des charges, c'est minimum 16 heures.

  • Grégoire LINCET

    16 heures pour l'Époisses, on est sur 12-13 heures pour le Chahource. Donc, on a des temps longs sur nos produits.

  • Romain LE GAL

    Et puis après, l'Époisses on va le laver.

  • Grégoire LINCET

    Et on va le laver, ce qui est complètement stupide.

  • Romain LE GAL

    Ce n'est pas stupide.

  • Grégoire LINCET

    Gustativement,

  • Romain LE GAL

    c'est brillant.

  • Grégoire LINCET

    Gustativement, c'est brillant. Mais techniquement,

  • Romain LE GAL

    c'est un peu compliqué. Oui, un peu compliqué. Un peu compliqué. J'avais une personne pour qui j'ai travaillé au début de ma carrière professionnelle qui utilisait une phrase que j'aime beaucoup, c'est le filet de l'artiste. C'est un peu ça. Aujourd'hui, c'est un travail d'équilibriste. C'est un travail de... Oui, complètement. Finalement... On bascule vite d'un côté ou de l'autre. C'est-à-dire qu'on bascule vite dans l'exceptionnel, comme on peut basculer dans quelque chose de très décevant.

  • Grégoire LINCET

    donc c'est assez compliqué mais c'est génial en même temps donc du coup reprise en 2012 de l'atelier à la famille Gaugry Passation Passation en 2018 c'est une société qui était un petit peu en difficulté qui avait un peu de difficulté il y a eu une perte de savoir-faire il y a eu une... puis c'est rigolo parce que là du coup on est sur le site le site Gaugry et c'est un site qui est un peu particulier parce que c'était un site où il y avait un autre type de production avant c'est un ancien site de la famille Ricard oui et... C'était un site.

  • Romain LE GAL

    On faisait du Ricard sur ce site. Ricard a fait du Ricard sur le site ici de 1960 jusqu'à 1999.

  • Grégoire LINCET

    C'est pour la petite aparté. Aujourd'hui, on est dans le site à Brochon.

  • Romain LE GAL

    Où les Gaugris sont installés. L'inauguration a été en 2004. Le passage entre leur site historique et ce site-là a été compliqué. Il y a eu un peu une perte de maîtrise du savoir-faire. Et puis après, l'entreprise Après, ils étaient gérés par deux frères, Olivier et Sylvain. Sylvain est décédé en 2011. Et Sylvain a emporté une partie du savoir-faire dans sa tombe. Donc, c'est vrai que c'est toujours des moments douloureux et compliqués pour des familles, et pour des familles, n'importe quelle famille. Et puis, lorsqu'il y a un savoir-faire qui est très empirique. et qui repose sur des personnes, ce n'est pas évident. Et donc, ça a été un moment difficile pour la famille Gaugry. Et donc, nous, on est arrivé dans ce contexte-là et il a fallu reconstruire ce savoir-faire. Et donc, ça a été long. Ça a été long et difficile.

  • Grégoire LINCET

    Donc, 2012 reprise. Ton papa relance un petit peu la machine. En fait,

  • Romain LE GAL

    on avait un peu plus de... On avait un réseau commercial un petit peu plus évolué que les Gaugry.

  • Grégoire LINCET

    La logistique, c'est une des clés de nos produits aujourd'hui.

  • Romain LE GAL

    Voilà, exactement. Le nerf de la guerre. Comment livrer jusqu'à la plus petite crèmerie ou le plus petit restaurant au fin fond de la Bretagne, nos produits. Le maillon logistique dans nos produits est finalement hyper important. Donc, le réseau logistique a un petit peu aidé. On a aidé, on a apporté notre réseau commercial, notre logistique. Et donc, ça nous a permis de développer l'activité. Puis après, on a été un peu victime de notre succès. C'est-à-dire que... Trop de production sur le site a fait dérailler un petit peu les équilibres qu'on pouvait avoir sur le site. Ça a engendré tout un tas de problèmes. Donc moi, je suis arrivé en 2018.

  • Grégoire LINCET

    Où il y avait plein de problèmes.

  • Romain LE GAL

    Où il y avait beaucoup de problèmes.

  • Grégoire LINCET

    Parce que moi, 2018, c'est la période où dans ma vie, entre guillemets, produit laitier, j'étais aux achats pour un grossiste dans le Nord de la France. Effectivement, j'ai vécu avec vous ces problèmes, entre guillemets, qualité. Et donc toi t'es arrivé dans cette période pas évidente.

  • Romain LE GAL

    Non, pas évidente.

  • Grégoire LINCET

    Toi t'arrives et finalement...

  • Romain LE GAL

    Il a fallu que je me forme, que je me reforme, que je règle ces problèmes-là. Il a fallu reconstruire des équipes. reconstruire le savoir-faire, tout ça. Et ça a été long mais ça a été passionnant, ça a été un accélérateur d'expérience. C'est-à-dire qu'on a l'impression d'avoir travaillé dix ans. Une fois on a fait ça pendant trois ans et voilà, j'ai pas sorti la tête de l'eau. Mais ça a été une expérience qui m'a permis de comprendre comment fonctionnait le fromage déjà, le produit, comment il était, de l'apprivoiser un petit peu. Et puis de comprendre comment fonctionnait une entreprise aussi, parce qu'il a fallu que j'apprenne tout ça en même temps. Mais par contre, si c'était à refaire, je pense que je le referais, même si c'était difficile sur le moment, parce que c'était passionnant aussi. Il y avait un énorme challenge à ce moment-là. Et donc aujourd'hui, sur la fromagerie de Gaugry, vous avez encore d'autres défis ?

  • Grégoire LINCET

    Oui, donc là aujourd'hui, on a stabilisé la qualité des produits. Il reste pas mal de choses à faire encore, parce que c'est un peu sans fin, il y a toujours quelque chose à faire. On en parlait tout à l'heure, il y a des choses intéressantes à faire aujourd'hui au niveau de la gestion de nos ambiances, avec la gestion de l'humidité, l'hygrométrie dans la fromagerie. Et puis avec le changement climatique, on s'aperçoit qu'il y a des... Changement majeur qui est en train de s'opérer, c'est-à-dire qu'avant on avait des hivers froids et secs, puisque l'air froid est plus sec, puisqu'il a moins de capacité à contenir, à absorber de l'eau. Et donc là, des hivers plus doux, avec des températures entre 10 et 15 degrés, on n'était pas habitués et en fait nos fromageries ne sont pas adaptées à ça aujourd'hui. Et donc ça, c'est des défis qui nous restent encore pour la qualité des produits, mais on l'a quand même énormément stabilisé cette qualité.

  • Romain LE GAL

    Il y a une phase hyper importante dans la production d'Epoisses, en tout cas sur la partie affinage, c'est le lavage. avec la particularité de laver un produit local. Oui, on frotte au mar de Bourgogne. Donc là aussi, il y a des enjeux sur le mar. Il faut trouver les bons dosages de mar. Il faut stabiliser.

  • Grégoire LINCET

    C'est combien de lavage par semaine ? Alors,

  • Romain LE GAL

    on va laver le minimum dans le cahier des charges de l'AOP, c'est six fois. C'est deux à trois fois par semaine.

  • Grégoire LINCET

    Et l'affinage, c'est ?

  • Romain LE GAL

    Et c'est 28 jours à partir de la mise en œuvre du lait. Donc du coup, ça fait à peu près trois semaines de frotte.

  • Grégoire LINCET

    Mais aujourd'hui, vous... Tu me disais tout à l'heure qu'on a été finalement dans les caves, que vous sortiez rarement à 28 jours. Tu ne peux pas laisser autant le temps aux produits de s'exprimer ?

  • Romain LE GAL

    Je pense que 35 jours, c'est la perfection. C'est là où on est le mieux.

  • Grégoire LINCET

    C'est là où, pour toi, les produits peuvent commencer à passer à la dernière phase d'emballage et de pouvoir retrouver les étals de nos crémiers fromagers. C'est ça. Ok. Et donc les défis pour toi demain, vous avez aussi cherché à continuer de faire du lait cru. Tout à fait. Ça, c'est un défi aussi.

  • Romain LE GAL

    Oui, ce que c'est dans l'ADN de la fromagerie Gaugry, c'est le lait cru. Et donc aujourd'hui, on est la dernière laiterie à faire du lait cru dans nos filières.

  • Grégoire LINCET

    En époisse, il y a aussi un... une production fermière.

  • Romain LE GAL

    Il y a une production fermière, il y a un producteur fermier qui est tout en lait cru.

  • Grégoire LINCET

    C'est une petite filière, les poissons.

  • Romain LE GAL

    Voilà, c'est une petite filière. Et malheureusement, ce producteur fermier est tout seul. Et nous, en laiterie, c'est-à-dire en collecteur de lait, avec du lait, nous, on n'a pas de vache, on collecte du lait auprès de cette producteur de lait. On est la seule laiterie. Il y a aujourd'hui des productions fermières au lait cru, mais on oublie souvent,

  • Grégoire LINCET

    les gens mélangent le fermier,

  • Romain LE GAL

    lait cru, les laiteries, tout ça. Et les productions fermières sont en général des productions plus modestes en quantité, en volume, que ce que peuvent faire des laiteries. Et c'est dommage aujourd'hui que dans nos laiteries, on ait de plus en plus de mal à faire des fromages au lait cru. Ça, c'est un peu dommage. Et nous, on a envie de continuer. Mais il n'y a plus grand monde qui veut s'embêter à faire ça, c'est sûr.

  • Grégoire LINCET

    Donc le lait cru, pourquoi un défi ? Je me rappelle d'un échange il y a quelques temps, je suis passé il y a quelques temps à la fromagerie avec un groupe et on a eu un échange qui était assez intéressant sur les analyses que tu avais retrouvées de ton grand-père sur la vie du lait. Et ça, c'est un exemple que plusieurs fois j'ai repris avec finalement la vie du lait.

  • Romain LE GAL

    Ce qui est sûr, c'est qu'en fait, on a vécu des grands changements. C'est-à-dire qu'on a globalement... Il faut savoir qu'avant, il y avait entre 14 000 et 15 000 morts par an d'intoxication alimentaire au lendemain de la guerre. Et aujourd'hui, il y en a 300. Donc, comment tout ça s'est fait ? Eh bien, ça s'est fait par essentiellement l'hygiène de nos outils de production, que ce soit sur l'amont, en production laitière, ou dans nos fromageries, dans tous nos ateliers de production dans l'industrie agroalimentaire de manière générale. Et en fromagerie, avant, un lait... avait, on a un indicateur qui est suivi depuis très longtemps dans le lait, c'est le nombre de germes qu'il y a dans un millilitre de lait.

  • Grégoire LINCET

    L'avantage, c'est qu'au bout de sixième génération, vous avez quelques archives.

  • Romain LE GAL

    On a un petit peu d'historique.

  • Grégoire LINCET

    Vous avez quelques archives.

  • Romain LE GAL

    Et en fait, on sait qu'à l'époque, dans les années 50-60, les laits avaient à peu près 300 000 germes en moyenne par millilitre de lait. Donc 300 000 micro-organismes.

  • Grégoire LINCET

    Donc la vie du lait. La vie du lait. Il y avait de la vie, il n'y avait pas de place, il y avait de la vie.

  • Romain LE GAL

    Il y avait de la vie. Donc après, il y avait des bonnes et des mauvaises bactéries. mais il y avait de la vie. On a hygiénisé et en fait, on ne savait pas à l'époque comment faire le tri entre des bonnes bactéries et des mauvaises. Donc, comme en médecine, comme dans plein de sujets, qu'est-ce qu'on a fait ? On a tout éliminé.

  • Grégoire LINCET

    On a sanité, on a hygiénisé. Donc, on a désinfecté les salles de traite, on a désinfecté le pi des vaches, on a désinfecté tout ça, et aujourd'hui, on se retrouve avec des laits qui sont entre 2 et 10 000 germes. Et donc, quand on pasteurisait un lait dans les années 60, qui avait 300 000 germes, la pasteurisation, c'est un facteur de réduction de 10. Ça veut dire qu'un lait pasteurisé préservait 30 000 germes encore.

  • Romain LE GAL

    Donc, on avait des laits pasteurisés à l'époque qui étaient plus riches que de lait cru qu'aujourd'hui.

  • Grégoire LINCET

    Plus d'aujourd'hui. Un lait cru aujourd'hui, c'est quasiment un lait stérilisé. Il n'y a quasiment plus rien dedans. Alors, il ne faut pas tout le temps voir les choses négativement.

  • Romain LE GAL

    Il y avait un besoin,

  • Grégoire LINCET

    il y avait un problème. Et il ne faut pas faire l'autruche à dire qu'il n'y avait pas de soucis, que c'était mieux avant, que non, ce n'est pas vrai, ça. Ça, c'est vraiment des trucs. Ce n'était pas mieux avant et les fromages n'étaient pas meilleurs avant. Ça, c'est complètement faux. C'est comme le vin. Le vin n'était pas meilleur avant. C'est faux de dire ça.

  • Romain LE GAL

    Toi et moi, de toute façon, dans les années 50, on n'était pas là. Non, on n'est pas là pour dire c'est meilleur.

  • Grégoire LINCET

    Non, on n'était pas là. Mais si tu veux, moi, j'ai l'historique. Mon père me... à des souvenirs de fromage, d'aléas de qualité sur les fromages à l'époque. Mais qui se sou... Moi, j'en ai le souvenir, gamin, quand même, de manger des comtés qui piquaient, qui donnaient des aftes, qui avaient... Non, mais c'est vrai, qui avaient des butyriques, qui avaient plein de...

  • Romain LE GAL

    C'est pas très agréable.

  • Grégoire LINCET

    C'est pas très agréable, mais ça, ça a presque disparu aujourd'hui.

  • Romain LE GAL

    On a maîtrisé.

  • Grégoire LINCET

    On a maîtrisé. Et les savoir-faire se sont améliorés grâce aux AOP, grâce au cahier des charges.

  • Romain LE GAL

    Grâce à la technique. Grâce à la science.

  • Grégoire LINCET

    À la science. Il y a des écoles comme les Éniles de Poligny, il y a des gens comme Bernard Mietton, qui ont écrit des choses, qui ont documenté des choses et qui ont permis de faire évoluer les techniques. Et heureusement qu'on a eu ça et ça nous permet aujourd'hui d'avoir des bien meilleurs produits. Mais c'est vrai qu'aujourd'hui, on a des produits qui sont, on a des fromages, des laits très pauvres. Et c'est un peu un problème. Alors nous, on y travaille. On réfléchit aujourd'hui à... C'est pareil, là. Encore une fois, c'est un travail qui est lent et qui est fait sur le long terme. Mais on cherche à... à renforcer l'environnement microbien des fermes. Et donc, avec certains éleveurs, on travaille là-dessus, où en fait, on va ensemencer avec des fermes enlactiques, les litières, par exemple. Et on va chercher à ensemencer les étables en fermes enlactiques. Et certains...

  • Romain LE GAL

    Faire travailler les flores endogènes. Les flores qui se présentent de manière naturelle, qui ne sont pas les mêmes si on prend deux fermes, l'une à côté de l'autre. La richesse du lait, la richesse de notre vie, n'est pas la même d'une ferme à côté.

  • Grégoire LINCET

    Donc aujourd'hui, on est... obligés, bien évidemment, pour garantir une sécurité sanitaire de nos produits, on est obligés de continuer de désinfecter, de nettoyer. Mais on se pose plus de questions qu'avant. Et ça, c'est très positif parce que ça nous amène à avoir des réflexions hyper intéressantes et qui aboutiront certainement dans les années à venir. Mais c'est dans 5 ans, 10 ans, 15 ans. On en parlait tout à l'heure. C'est comme quand mon grand-père a créé... C'est un cycle long. C'est des cycles longs. Et je suis persuadé que des choses arriveront.

  • Romain LE GAL

    Et une accélération de la réflexion. Exactement. Donc aujourd'hui, vous battez pour continuer de faire du lait cru sur ce site. Oui. Et c'est quelque chose que vous souhaitez continuer.

  • Grégoire LINCET

    On se bat au quotidien pour ça. Tous les matins, quand on se lève, on se bat pour ça.

  • Romain LE GAL

    C'est un risque. C'est un peu une épée. Il faut dire les choses. C'est un peu une épée de Damoclès. Toi, quand tu es responsable d'une fromagerie qui fait des fromages au lait cru, c'est la passion qui fait vivre. C'est un peu une épée de Damoclès.

  • Grégoire LINCET

    C'est complexe parce que tout passe, nous, sur nos métiers. Nous, les fromagers, on... Il faut avoir beaucoup d'humilité sur un fromage. Déjà, il y a la moitié, c'est le lait.

  • Romain LE GAL

    On travaille avec du vivant.

  • Grégoire LINCET

    On travaille avec du vivant et la moitié, c'est le lait. C'est-à-dire que quand vous avez un lait de bonne qualité, vous avez déjà la moitié du travail qui est fait. Et donc, il faut travailler en amont avec les éleveurs. Et là, nous, on a la chance de travailler avec des éleveurs qui sont hyper engagés, hyper motivés. Et vraiment, moi, je prends beaucoup de plaisir à travailler avec tous nos producteurs de lait. Mais leur travail est également difficile. Ils ont beaucoup d'enjeux. Et donc, on essaye, si vous voulez, de trouver le bon équilibre quand on fait du lait cru entre l'exigence qu'on va avoir. avoir envers eux. Et d'un autre côté, on leur laisse aussi la possibilité de travailler dans de bonnes conditions. C'est-à-dire qu'il faut trouver le bon équilibre entre la sécurité sanitaire qu'on veut garantir et le modèle économique, les contraintes qu'on va leur mettre. Voilà, parce que à un moment donné, si on va trop loin, il n'y aura plus personne qui va faire...

  • Romain LE GAL

    Et vous êtes dans une démarche que vous avez inscrite, qui s'appelle Les Demains. C'est ça. Tu peux nous en parler en quelques mots.

  • Grégoire LINCET

    En fait, on a décidé de formaliser un petit peu nos démarches et tout le travail qu'on fait avec nos producteurs de lait parce qu'on fait pas mal de choses. Alors, il y a pas mal de choses qui sont faites au travers des AOP, mais on a voulu aller un petit peu plus loin et avoir un peu plus de valeur ajoutée encore sur nos pratiques. Et donc, on a décidé de faire une charte de bien-être animal, en fait, une charte d'élevage qui regroupe des éléments de bien-être animal et également qui porte sur différents cliquets. On a également du coup... Du coup, au travers de cette démarche, la volonté de basculer en alimentation française, 100% de l'alimentation des animaux. On a aujourd'hui une grosse partie de l'alimentation qui provient des zones d'appellation et des fermes.

  • Romain LE GAL

    Oui, ça c'est dans le cas des Gétards.

  • Grégoire LINCET

    C'est 85% pour le chahours et les pois, c'est 85% d'autonomie de zone et le chahours également 75% d'autonomie de ferme. Donc c'est quelque chose qui est très important parce que c'est vraiment le... C'est pareil, ça fait partie des piliers de nos appellations.

  • Romain LE GAL

    C'est le pilier d'à peu près toutes les appellations. Voilà, oui. de terroir et par...

  • Grégoire LINCET

    Mais nous, l'avantage qu'on a, c'est qu'on repose sur des systèmes de polyculture élevage, de vraie polyculture élevage, et du coup, ce qui permet à nos éleveurs d'avoir quasiment les autonomies de fermes les plus importantes. Parce que beaucoup d'appellations ou de filières parlent d'autonomie de fourrage. Nous, on parle d'autonomie totale, c'est-à-dire sur les fourrages et les concentrés également, et les céréales qu'on peut donner à manger aux animaux.

  • Romain LE GAL

    Un peu faire une FAF, une fabrique d'aliments à la ferme. Parce que des producteurs, c'est quelque chose où il y a pas mal de producteurs. Quand ils ont la possibilité, finalement, de faire les rotations de culture qui vont bien pour nourrir les animaux, ça, c'est une belle démarche.

  • Grégoire LINCET

    Et du coup, on a, comme beaucoup d'éleveurs, on a une partie des concentrés qui, la base de la ration des vaches, il y a une partie de concentré. Donc ça, c'est la protéine qu'on va apporter dans la ration, qui est assez importante pour la production du lait. Et cette protéine aujourd'hui, elle vient essentiellement de l'étranger. Ça, c'est un sujet, il ne faut pas l'occulter. Et nous, on a décidé de prendre ce sujet à bras-le-corps. Et on a sondé, on a discuté avec les éleveurs. Et on est en phase de... Donc là, on termine cette année les discussions avec les éleveurs pour mettre en place une alimentation 100% française avec une ration 100% française. Et qu'on va valoriser. C'est-à-dire que nous... Tout ce qu'on fait, toute notre démarche, aujourd'hui, on la valorise. Par exemple, notre démarche de bien-être animal, on a tout un tas de critères avec des prérequis qu'ils sont obligés d'avoir pour accéder à la prime. Et une fois qu'ils ont ces prérequis, il y a un barème à points sur 100 points. Et en fait, si vous avez 100 points, vous avez 15 euros du 1000 litres sur une année complète. Vous avez 15 euros du 1000 litres qui viennent s'ajouter au prix du lait. Et si vous avez 50 points, vous avez 7,50 euros. Et c'est au pro-rata du nombre de points que vous avez. Et la démarche d'alimentation française, on va la valoriser également avec une surprime par rapport à ça. Donc ça, c'est des discussions qu'on a actuellement avec les producteurs de lait.

  • Romain LE GAL

    Vous avez combien de producteurs de lait ? Alors si on prend Gogri tout à l'heure, tu nous as dit 7. Oui,

  • Grégoire LINCET

    une cinquantaine chez l'INSEE.

  • Romain LE GAL

    Oui, donc ça fait déjà...

  • Grégoire LINCET

    Ils sont essentiellement dans l'Aube et dans la Marne et un petit peu dans Lyon aussi. Et donc cette démarche, elle est formalisée et ça nous permet en fait de l'organiser. Si vous voulez, encore une fois, c'est vraiment un esprit filiaire. C'est-à-dire qu'il y a nos AOP, mais nous, on raisonne, même l'INSEE, notre filière à nous aussi, notre bassin laitier à nous. Et en fait,

  • Romain LE GAL

    l'idée de se décrire et de faire une charge... développement durable dans nos zones.

  • Grégoire LINCET

    Dans nos zones, et ça permet d'être plus efficace, en fait. On est plus fort, on est plus efficace. Et derrière, on fait des produits qui sont quand même aujourd'hui valorisés. On fait des produits qui ont un certain coût, c'est vrai. Mais moi, je pars du principe que je pense que le consommateur est prêt à payer un certain prix pour la qualité de ce qu'il mange, à la condition qu'il l'ait compris et qu'il sache ce qu'il achète et pourquoi il paye. Alors, bien évidemment, il y a des limites. Il ne faut pas abuser ni exagérer sur la valorisation qu'on peut avoir de nos produits. Mais je pense qu'il est important de formaliser toutes nos démarches, quelles qu'elles soient, que ce soit en amont laitier, que ce soit sur nos pratiques, la fabrication, il faut de la transparence et expliquer ce qu'on fait, et pas occulter ce qui ne va pas. Parce que le consommateur, il n'est absolument pas stupide, il se renseigne, il réfléchit. Ils ne consomment pas bêtement, comme parfois certaines personnes peuvent le dire. Ce n'est pas vrai, moi, pour discuter régulièrement avec des consommateurs, des gens qui viennent nous voir dans nos fromageries, dans nos magasins.

  • Romain LE GAL

    Vous êtes sur une route assez passante. Les gens posent beaucoup de questions,

  • Grégoire LINCET

    sont très curieux. Ils veulent savoir d'où vient le lait, comment il a été produit. Et ça, il faut répondre à ces attentes-là. Et là, encore une fois, c'est un travail de long terme, bien évidemment. Mais je pense qu'il est primordial et vraiment important de formaliser, mais de formaliser aussi et de communiquer sur des choses concrètes. des choses qui sont faites, et non pas sur des choses qui seront faites demain, mais sur des choses qui sont faites maintenant, parce que je pense que les consommateurs aussi en ont un peu marre, qu'on leur dise, ah bah voilà on a pris des engagements à 2030, à 2050, c'est un peu le concours de celui qui a pris le plus d'engagement, et voilà. Mais prendre des engagements, c'est quand même le truc le plus facile du monde. Moi je peux en prendre plein, je peux en prendre 15 là si je veux des engagements. Ce qui est important c'est le résultat, c'est le concret. Qu'est-ce que concrètement tu as eu comme résultat par rapport aux actions que tu as pu mener ?

  • Romain LE GAL

    Avant de conclure cet entretien, Grégoire, j'ai une question. C'est la petite question mystère que je pose à tous mes entretiens. C'est quoi ta pizza préférée ? Parce que c'est quand même un plat que tout le monde mange, finalement. Et toi, c'est quoi ta pizza préférée ?

  • Grégoire LINCET

    Alors moi, j'ai une pizzeria à côté de chez moi qui s'appelle Casa Roma, la pizza, à Dijon, et qui fait une pizza qui s'appelle la Normano. D'accord.

  • Romain LE GAL

    Et il y a quoi sur cette pizza ?

  • Grégoire LINCET

    Et il y a du brie dessus, il y a beaucoup de fromage avec du jambon, du brie et de... Et c'est une pizzeria qui fait des pizzas assez originales, mais avec que des bons ingrédients. Et elle est excellente.

  • Romain LE GAL

    Bon, une bonne adresse quand je passerai sur Dijon à aller tester. Merci beaucoup Grégoire.

  • Grégoire LINCET

    De rien.

  • Romain LE GAL

    Merci d'avoir pris le temps de nous recevoir. Et puis on a échangé comme d'habitude sur une petite planche de fromage. J'avais voulu faire découvrir à Grégoire trois fromages dont un qu'il connaissait déjà bien. Quitte à venir sur un secteur où on fait des croûtes lavées, je lui ai ramené la croûte lavée emblématique du Nord, un maroilles de nos amis de la ferme du Pont des Loups, un petit chèvre également du Nord de la fromagerie du Val d'Otis et puis un fromage un peu plus dans les cieux. C'est l'immersus du Mont-des-Cas, qui est immergé 48 heures à la bière. Qu'est-ce que tu as pensé de ces fromages, Grégoire ?

  • Grégoire LINCET

    Je voyais que les trois étaient excellents. Et vraiment, pour l'immersus, je ne connaissais pas celui-là.

  • Romain LE GAL

    On a vraiment ce côté houblonné qui vient.

  • Grégoire LINCET

    Très intéressant et très bon. Les trois étaient excellents.

  • Romain LE GAL

    Merci beaucoup de nous avoir écoutés. Je vous retrouve bientôt sur l'échange. Si vous avez aimé ce contenu, n'hésitez pas à le partager et à nous mettre 5 étoiles sur les plateformes. Je vous dis à bientôt pour un nouvel épisode. Merci Grégoire, à bientôt, au revoir.

  • Grégoire LINCET

    Merci Romain, au revoir.

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