- Speaker #0
La recette de l'unité africaine. Les gars, ça fait des siècles qu'ils bossent dessus. Moi, je suis là.
- Speaker #1
On balance la recette.
- Speaker #0
C'est peut-être audacieux ce que je veux dire, mais la philosophie n'est pas une matière. C'est une façon d'aborder la connaissance. Il y a quelqu'un... qui m'a émancipé, qui m'a aidé, qui m'a donné un bon coup de pied au derrière. Et grâce à lui, j'ai réécrit mon acte de naissance. On ne parle plus d'unité africaine aujourd'hui. On parle d'intégration africaine. Ils vont dire oui, retour aux sources. Mais quel est le prix à payer ? Quel prix ils sont prêts à payer pour retourner aux sources ? Si tu es vraiment prêt à t'engager à l'éveil de l'Afrique, qu'est-ce que tu es prêt à désapprendre ou apprendre ? Comment être l'Africain que tu souhaiterais être ? Il n'y a pas d'idéologie, il n'y a pas de théorie qui nous permettrait de sortir de la galère dans laquelle on se trouve. Il n'y a que l'expérimentation, l'innovation, la tradition et l'audace qui nous permettront de nous en sortir. La philosophie commence... Quand tu dis pourquoi ou pourquoi pas. C'est là que la philosophie commence. D'accord. Ou une autre façon de le dire, c'est que la démarche philosophique commence quand tout le monde dit point final et toi tu dis point virgule.
- Speaker #1
Hello, hello les incroyaux, la team incroyable, j'espère que vous allez bien. Bienvenue dans un nouvel épisode du off-show que vous nous écoutiez sur les plateformes d'écoute ou que vous nous regardiez sur YouTube. Installez-vous confortablement parce qu'aujourd'hui, on est dans un épisode de Haute Voltige.
- Speaker #0
Yes !
- Speaker #1
Aujourd'hui, on va parler français, on va parler clair.
- Speaker #0
Gros français, yes, gros français.
- Speaker #1
Aujourd'hui, j'ai un invité exceptionnel. qui va venir nous partager son parcours, mais avec qui on va surtout parler d'état des lieux, un petit peu de la situation, où est notre continent et tout. Mais sans plus attendre, je vous le présente aujourd'hui. Je reçois... Un enseignant, je reçois un philosophe, je reçois une personne engagée, je reçois une personne qui aime l'Afrique, je reçois une personne qui fait boulot. bouger les choses et surtout bouger les neurones. Je reçois Monsieur Gaïndé dans le Ov Show. Ov Show.
- Speaker #0
Oh, nice, nice, nice. Mon frère.
- Speaker #1
Comment tu vas ?
- Speaker #0
Après une introduction comme ça, ça va. C'est bon.
- Speaker #1
Comment tu vas ?
- Speaker #0
Ça va, tu oses.
- Speaker #1
Bien installé ? C'est un plaisir de te recevoir.
- Speaker #0
Merci.
- Speaker #1
Merci beaucoup. Les gens ont déjà vu la vignette, donc ils savent déjà à quoi s'attendre, de quoi on va parler. Mais avant toute chose, la question que je pose à tous mes invités, c'est la plus dure du podcast, après tu vas voir tout le reste, c'est facile, c'est aujourd'hui, comment tu te présentes à quelqu'un qui ne te connaît pas ? Ah ah ah !
- Speaker #0
Là, le prof de philosophie,
- Speaker #1
c'est une masse !
- Speaker #0
Là, là, là, là, j'avais pas prévu ça. Je fais genre, j'avais pas prévu ça, mais... Merci. En fait, ok. My lord. En fait, ça dépend. C'est vrai que ça...
- Speaker #1
Non, là, il n'y a pas de contexte. Tu es dans la rue, tu croises quelqu'un, et tu dois te présenter, et tu lui demandes qu'est-ce que tu fais.
- Speaker #0
Oui. Alors, OK, le plus simple, le plus simple, c'est que le... Mais en fait, c'est ça. En fait, tu vois, l'embrouille quand t'es prof de philo, c'est qu'il n'y a pas de question simple, il n'y a pas de réponse simple. Oui,
- Speaker #1
exactement.
- Speaker #0
Donc, c'est vrai que ça dépend. Parce que tu cherches toujours le... Parce que je cherche le pourquoi, du comment, de quand, de où, mais peut-être que c'est pas ça, tout ça. Mais déjà, ce que je ne dis plus, ce que je ne dis plus, je ne me dis plus prof de philo.
- Speaker #1
OK.
- Speaker #0
Je dis que je suis animateur d'atelier de philo.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Voilà, parce que... Parce que même le fait de prendre cette posture de prof, ça me donne un ascendant sur des étudiants, ce qui va à contrario de ce que j'essaie de faire.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Donc moi, j'essaie, quand je suis avec des étudiants, des étudiantes, d'éveiller leur réflexion propre. Donc le fait de dire animateur, ça veut dire que je les invite à...
- Speaker #1
À la discussion, à l'échange.
- Speaker #0
À la discussion, et puis surtout qu'ils sachent, qu'ils sentent que leur opinion, leur réflexion vaut autant que la mienne. La seule différence, c'est que j'ai peut-être passé un peu plus de temps à approfondir la mienne, mais elle n'est pas plus importante que la leur. Donc, avant, ce qui venait avec la fonction, c'était l'appellation. Aujourd'hui, si tu me demandes, je dis, moi je suis animateur d'ateliers de philo. Et que l'objectif de mes ateliers de philo, que d'autres diraient des cours de philo, c'est de les pousser à cultiver leur propre réflexion philosophique.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Yes. Donc, ça, c'est ce que je dis, genre, pour impressionner les gens, lors d'une soirée, tu vois, dans une ambiance positive. Et puis, on se dit, mais c'est qui le gars ? Donc, j'ai tout mon drill. Ça déjà arrive, d'abord, je reste dans mon coin. Je fais genre, je calcule personne. En fait, j'ai calculé les gars. Et puis, après, maintenant, on dit, mais au fait...
- Speaker #1
C'est qui, lui ?
- Speaker #0
C'est qui ? Et puis, je dis... Ouais. Telle est la question.
- Speaker #1
On sent que l'exercice est bien préparé. Voilà, voilà,
- Speaker #0
voilà. Non, mais c'est clair, c'est clair.
- Speaker #1
Ok, animateur.
- Speaker #0
En fait, j'anime des ateliers de philo. Voilà ce que je dis, et puis c'est plus fidèle à ce que je fais. C'est ce que je fais depuis une douzaine d'années maintenant.
- Speaker #1
D'accord. Ok, d'accord. Mais on va apprendre à voir déjà comment tu es arrivé. à devenir cet animateur entre guillemets de philo et après surtout la discussion va être un petit peu différente de mes autres invités c'est que toi et moi on a échangé au préalable ensemble et dans tes travaux il y a quelque chose qui t'anime c'est l'unité africaine c'est quelque chose sur lequel tu travailles depuis longtemps, sur lequel tu travailles encore actuellement et d'où l'intérêt pour moi d'avoir une discussion parce que je trouve que c'est une c'est une notion que beaucoup entendent, ou beaucoup de personnes en ont déjà parlé dans des cercles privés et autres. Mais est-ce qu'on comprend vraiment c'est quoi la notion d'unité africaine ? Est-ce qu'on sait vraiment d'où vient cette idée d'unité africaine ? Où est-ce qu'on en est aujourd'hui ? Vers quoi on s'en va ? Je trouve que c'était intéressant de te recevoir pour que tu nous permettes d'ouvrir un petit peu notre champ par rapport à ce sujet-là. Mais avant d'arriver au gros de la discussion, c'est toi d'abord, tu n'es où ?
- Speaker #0
Chef. Là, je suis né à Dakar Plateau.
- Speaker #1
Ah ah !
- Speaker #0
Ouais, je suis né à Dakar Plateau. Mais je suis né, ça dit, dans une vibe particulière, quoi. Ça dit qu'en fait, ma famille était installée en Côte d'Ivoire.
- Speaker #1
Ok.
- Speaker #0
Père sénégalais, mère guinéenne, Guinée-Conakry.
- Speaker #1
Ouais.
- Speaker #0
Et puis, donc, j'ai des frères et sœurs aînés, frères et sœurs plus jeunes. Et puis mon père s'est dit, mais... En tant que Sénégalais, il faut bien que j'ai au moins mes enfants qui naissent au Sénégal. Dernier moment, il a tout fait pour que ma mère vienne au Sénégal pour que fierté patriotique. Il y en a au moins un qui naît au Sénégal. Voilà un peu l'histoire. Je suis né ici pour des questions de contingence patriotique de mon père. C'est littéralement ça qui s'est passé. Et puis juste après, voilà, je suis même né prématuré quoi, c'est-à-dire, c'était juste l'idée de dire voilà, il faut qu'il y ait un de mes enfants qui naissent au Sénégal, donc ça tombait sur moi. Donc mon enfance, en fait, c'était la Côte d'Ivoire, jusqu'à l'âge de 14-15 ans, et puis ensuite le Canada.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Bon, certains seraient au Fisky, le Québec, le Canada, ça dépend du point de vue. Montréal.
- Speaker #1
Ouais.
- Speaker #0
Et puis après ça, deux années très très très marquantes. Dans le hood, yo, le Bronx, mon man, New York City, New York City, yeah, New York City, yo.
- Speaker #1
You smell me ? Yeah, you know what I'm saying,
- Speaker #0
like, yeah. Donc, il y a un petit côté hood qui est resté, sauf que le Bronx, c'est des Porto-Ricains, des Dominicains. Ouais, c'est latino, beaucoup. Donc là, c'est, hola, señor, como está ? Pero que está haciendo ? Voilà, donc j'ai un peu de ce vibe bachata, ménage et tout. Et c'est comme ça que j'ai débarqué. J'ai laissé le Bronx pour me retrouver à Dakar en 2013. Je suis arrivé à Dakar en 2013. Donc souvent on dit oui, tu es rentré au pays. Mais en fait non, moi j'ai débarqué au pays. Parce que plus que je n'avais pas de vécu ici.
- Speaker #1
Tu es né ici, mais est-ce qu'on va revenir sur le parcours avant de revenir à Dakar ? Mais déjà dans tout ce parcours-là, est-ce que tu reviens quand même de temps en temps au Sénégal ? Où tu es juste né et jusqu'à 2013, tu n'es jamais revenu au Sénégal ?
- Speaker #0
Je suis revenu trois fois en vacances.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Donc je n'avais pas de...
- Speaker #1
De repères. Non,
- Speaker #0
à part les choses qui se passent pendant les grandes vacances, mais ça ne raconte pas ça. Oui, c'était les souvenirs de jeunesse. Voilà, c'est le dossier.
- Speaker #1
Ceux qui savent, savent.
- Speaker #0
Voilà, voilà. Si tu ne sais pas, tu ne sais pas.
- Speaker #1
C'est lui qui a dit « si » . Moi, je n'ai pas dit « si » .
- Speaker #0
On parle vrai, non ? Oui, on parle vrai. Tout ce qu'il dit pourrait être retenu contre moi. Je ne dis pas tout.
- Speaker #1
Donc, tu reviens deux ou trois fois.
- Speaker #0
Voilà, deux ou trois fois. Mais je n'ai pas d'ancrage. Je n'ai pas d'ancrage. Mes ancrages, déjà en termes de culture, c'est plus la culture de ma mère qui m'a marqué.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Donc, la culture peule.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
qui est une culture nomade. Donc il y a la culture peule présente au Sénégal aussi, présente de Soudan, Tchad, Cameroun, etc. C'est la culture qui m'a le plus marqué. Mais le référent classique de la langue Wolof, qui est la langue de mon père, etc. Je ne l'ai pas, en tout cas pas directement. Donc j'étais venu deux, trois fois en vacances. Mais évidemment... J'avais des liens indirects. Je connais mes oncles, mes tantes, etc. Mais ce n'était pas un réflexe pour moi de dire je rentre au Sénégal. D'ailleurs, pendant longtemps, surtout pendant longtemps, si on me demandait d'où tu viens,
- Speaker #1
c'était Côte d'Ivoire.
- Speaker #0
En fait, je disais I'm Canadian.
- Speaker #1
OK.
- Speaker #0
C'était ma réponse, mais c'était parce que c'était la réponse facile.
- Speaker #1
Mais ça, c'est parce que tu avais déjà vécu au Canada, par exemple, parce que regarde, tes premières années Côte d'Ivoire. Tu m'as dit jusqu'à 12 ans ?
- Speaker #0
Jusqu'à 14-15 ans. Je venais d'avoir 15 ans. J'étais venu à 14 ans, quelques mois après je suis revenu.
- Speaker #1
Parce que quand tu arrives par exemple au Canada, tu dis je suis Ivoirien ?
- Speaker #0
Non, je ne me pose même pas la question. C'est pas une question que je pose. Mais évidemment la dominante Ivoirienne est là. En termes de l'environnement que je connaissais, mes premiers référents... Voilà, c'était mon environnement. Jusqu'à présent, les gens autour de moi, même quand ils m'entendent, ils disent « oui, on sait qu'il y a un peu de Côte d'Ivoire, même si ça s'est estompé avec les années. » Et je reste très attaché à la Côte d'Ivoire. C'est aussi chez moi.
- Speaker #1
C'est tes premiers souvenirs de vie.
- Speaker #0
C'est mes premiers souvenirs de vie. C'est aussi chez moi. Bien sûr. Et puis, j'ai des sœurs aînées dont la mère est ivoirienne. J'ai une belle sœur ivoirienne. Et puis, je pourrais citer d'autres aspects aussi. Donc, je suis attaché à là-bas.
- Speaker #1
Bien sûr.
- Speaker #0
Mais la question ne s'est jamais posée. Parce que quand tu es adolescent en Amérique du Nord, on ne pose pas... Déjà, le référent change. Parce que là-bas, comme on dit, you're black, tu es noir. Ensuite, on va faire peut-être la nuance entre Africain et Caraïbéen. Mais on ne va pas nécessairement chercher la nuance entre est-ce que tu viens du Cameroun, du Zimbabwe, du Togo, etc. Donc, moi, j'arrive là-bas en quête identitaire, à la période de l'adolescence. Donc, là, je me rends compte que ce n'est plus mes amis. D'abord, ce n'est plus le Nouchi d'Abidjan, ce n'est plus les amis qui viennent du Mali ou du Burkina, etc. Là, tout d'un coup, j'ai des Haïtiens, des gens de Barbados, côté afro, des gens de Barbados, Jamaica, etc. Donc, mon référentiel change à l'adolescence. Et je dirais que ça fait partie de ce qui a forgé mon identité pan-africaine. C'est que là, tout d'un coup, on me regarde comme un noir. Je l'entends, on me le dit. Alors que ça, je n'avais pas ça. Tu n'en avais pas conscience en continuant ? Non, non, non. Par contre, on pouvait dire oui. On pouvait se moquer de l'ivoirien ou le... En tout cas, l'Africain qui avait grandi en France. Celui qui avait l'accent français. Il y avait un mot, on disait « ichoko » . Il y avait le réflexe de se moquer de celui qui venait de France, etc. Mais en sens inverse, la question ne se posait pas.
- Speaker #1
Et là, c'est toi qui te retrouvais dans la position de « on te regardait un petit peu différemment » .
- Speaker #0
Pourquoi tu parles comme ça ? Je me rappelle, moi j'avais des expressions qui me sortaient naturellement et puis ça amusait les gens. Je me rappelle la première fois que j'étais en... en classe. Et puis je ne sais plus, quelqu'un a dit quelque chose, et puis j'ai dit, mais lui là, il est trop mouton, quoi. Et ça, les gars ont éclaté derrière, parce qu'ils ont dit, mais... Ouais, pour eux, ça ne veut rien dire. Comment ça ? Mais en même temps, ils ont compris que mouton, c'est... Tu vois, c'était une façon de dire, mais le gars, il ne réfléchit pas. Sauf que ça les amusait d'entendre quelqu'un dire, mais il est trop mouton. Je me rappelle parce que le gars a dit, mais pourquoi tu parles comme ça ? Alors que c'était, comment on dit, les réflexes d'habitude, quoi. L'homme est trop sain, le mouton lui. Donc, des choses comme ça sont restées. Mais ça s'est dilué dans le temps pour devenir... En tout cas, il n'y avait pas de Sénégal dans tout ça. C'est ça que j'essaie de dire. Ce n'était pas une question qui se posait. On savait qu'on était Sénégalais, mais c'est tout, quoi.
- Speaker #1
OK. Et comment était justement ton enfance dans tes souvenirs à Abidjan ? C'était comment ? Non,
- Speaker #0
ça va voir.
- Speaker #1
Parce que tu vois, il y a quelque chose qui m'a marqué dans ce que tu as dit, parce qu'on reste dans cette discussion quand même autour de l'unité africaine et tout. C'est que tout de suite, tu dis... Quand tu es plus jeune, tu es tout de suite avec des Maliens, des Béninois. C'est marrant, j'ai reçu un autre invité à Lugo Loco, qui, comme toi, est d'origine sénégalaise, mais a grandi en Côte d'Ivoire jusqu'à ses 12 ans. C'est la chose qu'il m'a aussi dite dans la discussion, c'est que lui, finalement, il grandit avec des Maliens, des Burkinabés, des gens qui viennent de Guinée, de Sénégal, parce que Finalement, la Côte d'Ivoire est un melting pot.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Tu vois ? Oui.
- Speaker #0
Et c'était la vision du premier président.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Après, ça donnait ce que ça donnait dans la réinterprétation de ces mouvances migratoires. Mais dans la vision de Nana Bouani, comme on disait, c'était qui est prêt à travailler, et surtout qui est prêt à travailler en Côte d'Ivoire et pour la Côte d'Ivoire. Donc je me souviens, il y avait cette ouverture-là. de compétences et de gens qui venaient de la sous-région et qui vivaient en Côte d'Ivoire et qui trouvaient la possibilité de pouvoir mettre en valeur leurs talents. Et c'est comme ça que leurs enfants grandissaient là-bas. La question ne se posait pas de leur origine. On pouvait deviner par les noms de famille, mais il n'y avait pas de question de remise en cause de leur allégeance. Donc la Côte d'Ivoire était vraiment... C'est ce que moi j'ai connu en grandissant. C'est ce que... Je dirais même mes parents, la génération de mes parents et d'autres ont connu. Donc on est tous marqués, en fait, par ce vécu-là en Côte d'Ivoire. Et puis certains, certains qui n'étaient pas Ivoiriens, comme on va dire, d'identité, mais Ivoiriens par... de facto, ou en tout cas Ivoirien, voilà, par... Oui, de facto. Certains, quand ils finissent leurs études ou bien leur vie à l'étranger, etc., ils ont du mal à s'installer dans les pays d'origine des parents. Donc le réflexe, c'est de rentrer à Bidjan, rentrer à Babi, comme on dit. C'est un réflexe pour beaucoup dans ma famille. C'est vraiment un réflexe. Maintenant, évidemment, la crédibilité des années 80, années 90, n'est pas la même qu'aujourd'hui. Et puis, il y a une chose qu'il faut dire aussi, c'est que la psyché collective a évolué depuis, on va dire, la crise du début des années 2000. Il y a ceux qui ont vécu, ceux qui n'ont pas vécu. Nous, la famille, on a immigré au Canada en 98. On est parti en 97, on a immigré en 98. Donc il y a une bonne partie des grands tournants, des tournants majeurs de la psyché collective ivoirienne que nous, on n'a pas vécu sur le terrain. Donc c'est clair qu'en revenant ensuite...
- Speaker #1
Le regard que toi tu as sur la Côte d'Ivoire et que ces gens qui ont vécu ça ont sur la Côte d'Ivoire est finalement un peu différent.
- Speaker #0
Il y a un décalage. Et puis vice-versa. et le regard que ceux qui ont vécu ça envers nous nous qui avons grandi là-bas, n'étant pas Ivoirien, mais étant attaché par le cœur, par le vicleur de la Côte d'Ivoire. Mais ça aussi, le temps est passé. Aujourd'hui, si je dois parler fidèlement de mes attaches, mes ancrages en Afrique, j'ai trois pays. Sénégal, Guinée-Conakry et la Côte d'Ivoire. Et c'est important pour moi de revendiquer les trois et puis de pouvoir apporter ma contribution sur le même pied d'égalité aux trois. C'est-à-dire que si je fais quelque chose ici, mon réflexe c'est de dire, OK, comment est-ce que je pourrais, ici à Dakar, comment est-ce que je peux répliquer ça en Côte d'Ivoire comme terrain expérimental. C'est-à-dire, je ne ressens pas le besoin qu'on me reconnaisse une légitimité là-bas. Moi, c'est fidèle à mon histoire et puis... personnel, mon histoire de famille, et puis en tant que Pan-Africain encore plus. Voilà.
- Speaker #1
Donc, tu restes en Côte d'Ivoire jusqu'à 14 ans.
- Speaker #0
Yes.
- Speaker #1
Tu vas au Canada. Tu disais, justement, le Canada te fait réaliser que tu es noir.
- Speaker #0
Yes.
- Speaker #1
Est-ce que c'est déjà dans cette période-là, je vais dire, que tu... développe ton côté panafricain, amoureux de l'Afrique ou tu penses que tu l'avais déjà avant le Canada ?
- Speaker #0
Les références panafricaines étaient déjà là, mais du fait des fonctions de mon père. Mon père travaillait pour une institution panafricaine, la Banque africaine de développement. Et ça faisait que ses collègues, que nous nous appelions Tonton ceci, Tanti cela. Alors justement, au Sénégal, on dit Tata. En Côte d'Ivoire, on dit Tanti. Donc Tanti ceci, Tanti cela. On était familiers. On était habitués à entendre, comme je le disais tout à l'heure, Zambia, Lesoto. Kenya, Guinée équatoriale. Donc les pays africains étaient des références qui étaient dans le jargon de la famille, de près ou de loin. Et mon père avait une expression, il disait le Sénégal est mon village, l'Afrique est mon pays. Donc lui-même était déjà panafricain.
- Speaker #1
Ah oui, d'accord. Donc là, il te transmet déjà cette valeur-là inconsciemment.
- Speaker #0
Voilà, donc on était habitués à voir ces références du continent. Maintenant, Là où mon parcours est beaucoup plus marqué en termes individuels, c'est que lorsqu'on arrive au Canada, j'arrive à l'adolescence et puis je vis ce que je comprends plus tard comme une quête identitaire. Parce que là, je me rends compte que je ne parle pas au Wolof. Aujourd'hui, je parle au Wolof. C'est un Wolof canadien. Il n'est pas le même que quelqu'un qui a grandi là-dedans. Donc je comprends. Quand je parle au Wolof, je ne réfléchis pas. Je pense au Wolof quand je parle au Wolof. Mais je fais des fautes que quelqu'un qui le parle depuis l'enfance ne ferait pas. Par contre, les gens, quand je parle en Wolof, ils me répondent en Wolof aussi. Souvent, on va me poser la question, d'où tu viens, etc. Ils sentent qu'il y a un truc. Ils sentent que je vis ici, mais ils sentent que je n'ai pas toujours vécu ici. Et c'est un peu la même chose pour la langue peule aussi, qui est la langue de ma mère. Je ne dis pas que je parle, je dis que je fonctionne. Je fonctionne. Mais il y a un petit... enfin yes tu vois quand j'ai parlé en pelé j'ai dit yes à un moment donné on m'a dit non c'est yes on m'a dit ouais ça voilà quoi donc à l'adolescence il y a cette quête identitaire surtout parce que le Canada comme ça c'est un pays d'immigration donc un je vois je rencontre des gens qui viennent du Cambodge, du Laos de Grèce je me rappelle en mars le 21 mars il y a Saint Patrick's Day on parle des Irlandais donc le champ de référence s'élargit Et c'est là que je me rends compte que qu'est-ce que moi j'ai à mettre sur la table ? Et j'ai pas la langue. Donc on dit quoi ? Et là, des gens qui m'ont accompagné dans ce processus de quête d'identité, c'est des gens qui viennent des Caraïbes. Principalement les Caraïbes anglophones. Trinidad, Jamaica, Barbados, Bahamas. Saint Kitts, Navis, etc. Parce qu'eux me disent mais, tu sais, un peu comme dans la chanson de Bob Marley quand il dit « Taken from Africa, brought to America. If you know your history, then you know where I'm coming from. Then you wouldn't have to ask me who you think I am. Buffalo soldier, blah, blah, blah. C'est-à-dire, eux me donnent une autre vision de l'identité. Ils me disent Merci. Peu importe que tu viennes du Togo ou bien du Malawi, etc., you're an African. Tu es un Africain. Nous sommes Africains, tu es Africain. Et c'est ça qui compte. Donc déjà là, ça me donne un réconfort, parce que là j'entends des gens qui ont une idée de l'identité africaine que je n'ai pas connue. Parce qu'ils parlent de l'identité africaine pas exactement comme mon père. Et puis, il me donne, en fait, l'oxygène dont j'ai besoin pour me sentir à l'aise dans ma quête identitaire. Parce que là, je n'ai pas à m'identifier à un pays, ou bien une langue, etc. Non, en fait, bon, comme Peter Tosh le dit aussi, « No matter where you come from, as long as you're black, but you're African. » Quel que soit d'où tu viens, tant que tu es noir, tu es un Africain. Donc ça, c'est quelque chose qui m'a beaucoup marqué.
- Speaker #1
Quand tu dis « ça te marque » , ça te marque parce que... C'est ça, tu... Tu prends conscience que tu es africain. Tu prends conscience pas que tu es ivoirien ou sénégalais. Voilà,
- Speaker #0
au-delà de la frontière. Là, ça me donne une piste. Puisque je me cherche, là, on me donne une piste. Africa. Voilà la piste qu'on me donne.
- Speaker #1
Parce que pour eux, ce qui est plus important, c'est que tu viennes du continent, pas que tu viennes d'un pays.
- Speaker #0
Même si c'est une conception fantasmée, l'essentiel, c'est de dire, peu importe, africain. Et ça, ça aura une résonance très profonde en moi pendant des années. Parce que ça va être la piste que je vais explorer pour ensuite cadrer mon besoin d'identité. Parce que là, tout d'un coup, celui qui me dit « peu importe, tu es africain » , là maintenant, on me regarde différemment, mais de façon favorable, parce qu'on dit « ok, lui, il est africain, né sur le continent. Nous, nous sommes afro-descendants. Donc ok, le lien devient différent. »
- Speaker #1
Et c'est marrant parce que... C'est très important, je trouve, ce que tu dis, parce que c'est vrai que des Caribéens, surtout comme tu dis, des anglophones... Anglophones,
- Speaker #0
c'est différent.
- Speaker #1
C'est très différent. C'est différent. Pour l'avoir vécu aussi, ils aiment l'Afrique.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Tu vois, ils aiment rencontrer des Africains et ils disent... Parce que tu sais, t'as les Européens qui disent « Ah, c'est un Africain » .
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Chez l'Européen, l'Africain, c'est pas quelque chose de positif. Quand on te dit que c'est un Africain. Pas nécessairement. Voilà,
- Speaker #0
exactement. Pas nécessairement.
- Speaker #1
Mais chez les gens de la Caraïbe, surtout anglophones, le « he is African » , c'est une fierté. Ils te voient comme
- Speaker #0
« wow » . Oui, exact. Et ça, c'est lié à l'histoire coloniale de ces régions-là.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
C'est différent. C'est-à-dire que si tu prends, que ce soit Martinique, Guadeloupe, Guyane, à ne pas confondre avec Guyana, d'accord ? Oui. les dom-toms, donc Martinique, Guadeloupe, Guyane, le rapport à l'Afrique est différent. Parce que ce sont encore des départements français. Et en plus des anciens sujets coloniaux, entre guillemets, ce qui fait que soit tu vas avoir le Martiniquais ou la Martiniquaise qui va être complètement français, mais marqué par sa créolité, mais tout en se disant français. Et c'est légitime, entre guillemets, parce que c'est lié à leur histoire. À leur histoire, bien sûr. Et puis, où tu vas avoir le Martiniquais ou la Martiniquaise, ou Guadeloupéen ou Guadeloupéenne, qui va être très marqué par son identité insulaire, sans nécessairement se lier à l'Afrique non plus, mais en voulant se détacher de la France. Et puis tu vas avoir l'autre, Martiniquais ou Guadeloupéen, ou Guyanais, qui va dire « Non, en fait, nous, notre vraie identité, c'est l'Afrique, que nous avons été déportés ici, mais en réalité, nous ne sommes pas d'ici, etc. » Et ça, c'est l'histoire de toutes les sociétés. créolisés qui ont dû donc se reconstituer une identité mosaïque. Quand tu prends Malcolm X, par exemple, Malcolm X, c'est un des grands tournants de la vie de Malcolm X. C'est lorsqu'il devient panafricain. C'est-à-dire que pendant longtemps, Malcolm X défendait le Nation of Islam, qui était une vision radicale, noire, racialiste, et puis frôlant le racisme à certains égards, mais qui est propre à l'histoire des États-Unis et des lendemains de l'esclavage, etc. Mais lorsque Malcolm X fait ses voyages en Afrique, Il va au Kenya, Ghana, Nigeria, etc. Et puis il va au siège de l'OUA. Il fait partie de ceux qui vont tout faire pour qu'il y ait une résolution. À l'époque, on disait l'OUA, qui condamne les États-Unis dans leur rapport à la communauté afro-américaine, en disant que c'est du racisme, etc. Il devient panafricain. Donc, quand il rentre au States en 1964, d'abord, il se sépare du Nation of Islam. Ça, c'est une autre histoire. Mais lorsqu'il rentre aux États-Unis, après, il a fait deux grands voyages. Il a fait son voyage panafricain, il a fait son voyage à la Mecque. Quand il rentre au States, il fonde sur la base de l'OUA, il fonde le OAU, Organization of Afro-American Unity. OAU, Organization of African Unity. Lui, il fait OAU, Organization of Afro-American Unity. Et il dit, il fait le parallèle qu'on dit internationaliste, où il voit la lutte d'émancipation des Noirs aux États-Unis comme étant une lutte de décolonisation au même titre que la lutte de décolonisation des Africains sur le continent. C'est là qu'il devient dangereux pour le système. Parce que là, il commence à faire des liens. Il commence à tisser des liens avec Kwame Nkrumah, un des pères de l'indépendance du Kenya qui s'appelle Pio Dagama, qui a été assassiné trois jours après l'assassinat de Malcolm X. Il a été assassiné au Kenya, Malcolm X à New York. Et donc, il devient dangereux pour le système parce qu'il devient panafricain. Parce que là, il n'est plus celui qu'on contrôle dans un actif classique. Là, il commence à dire, non, notre lutte, c'est une lutte de décolonisation. Il commence à parler avec des militants en Algérie, qui sont en plein dans leur guerre de décolonisation, etc. Donc, si tu veux, moi, je rentre en plein là-dedans. Parce que là, mon besoin de m'accrocher à quelque chose de radical... qui m'aident à m'enraciner, qui m'aident à fouiller, qui m'aident à comprendre. Je le vis à travers ça. Et pour revenir, tu as aussi les afro-latinos.
- Speaker #1
Oui, c'est vrai. On n'y pense pas, c'est vrai. C'est vrai que souvent on parle des afro-descendants, on parle de la Caraïbe.
- Speaker #0
Mais la République dominicaine, c'est les Caraïbes aussi. Et là-bas, tu as des afro-latinos aussi.
- Speaker #1
Oui, oui.
- Speaker #0
Mais tu as afro-équatoriano, afro-dominicano, afro-peruano, boliviano, afro-salvadoreño, nicaragua, tous ces pays-là. Tu as des afro... En Colombie, au Brésil. En Colombie, au Brésil, etc. Là-bas aussi, tu as une autre lecture de ce que veut dire être africain. Donc, voilà. Voilà, c'est ça.
- Speaker #1
C'est tout ça que tu découvres par... Par le biais de réaliser que tu es africain en arrivant au Canada, tu découvres finalement... En tout cas, tu commences à découvrir toutes les facettes de ce que ça veut dire être africain.
- Speaker #0
Exactement. Au-delà de ce qu'on peut penser lorsqu'on vit sur le continent. C'est les afro-descendants qui ont fantasmé l'idée de l'Afrique en bien ou en mal, qui m'ont permis, moi, de cadrer ma réflexion sur ce que voulait dire mon identité africaine. Et c'est là que je deviens pan-africain, sans comprendre que c'est ce qui m'arrive.
- Speaker #1
J'ai une anecdote pour toi, justement, où moi j'ai réalisé... Comment les afro-caribéens anglophones nous voient ? Quand j'habitais au Canada, je suis parti en Jamaïque. Une semaine. Et j'ai pas vécu la Jamaïque que j'aurais voulu vivre parce que j'étais dans un resort et tout et tout. C'est pas ce que je voulais, mais c'était un voyage, on m'avait invité, je pouvais rien dire. Et en fait, j'ai très vite constaté que...
- Speaker #0
Tes souvenirs sont encore lucides ?
- Speaker #1
Ah, très lucides. Oui, non, très lucides, t'inquiète pas. Très lucides. J'ai rien dit, j'ai rien dit. Très lucides, j'ai dit. Tout est net. Voilà, ok.
- Speaker #0
Vous avez entendu, c'est net, c'est net.
- Speaker #1
HD 4K. Voilà,
- Speaker #0
voilà, vous avez entendu. Ok, c'est bon.
- Speaker #1
Et donc, je remarque très vite que les premières visites que je fais, les personnes qui font les visites... s'arrêtent au discours de la visite, parce que je suis le seul noir, c'était mon ex de l'époque qui m'avait amené, on était deux noirs et tout le reste c'était des blancs. Ils s'arrêtent au discours de ce qu'ils doivent réciter. À partir du moment où ce qu'ils doivent réciter c'est fini, ils n'ont aucune interaction avec les touristes. Sauf avec moi. Et à un moment, je me rappelle, on va dans un endroit
- Speaker #0
Et tu sais, à chaque fois que les gens me demandaient « Tu viens d'où ? » Je disais « Je viens du Sénégal, je viens du Sénégal. » Et tu sais, je voyais leur réaction. « Oh, you're from Sénégal, t'es africain. » Tu sentais qu'ils étaient contents. Et un jour, je me dis, je sais pas pourquoi, inconsciemment, je me dis, je vais faire le test parce que je sais qu'ils vont me demander. Je vais dire « Je viens de France. » Et je me rappelle, c'était trois vieux pères qui étaient assis. et on commence à discuter where are you from je dis I'm from France et il rigole il rigole ah ah ah sérieusement Tu viens d'où ? C'est quoi tes autres ? Tu viens d'où ? Je viens du Sénégal. Ils me disent, ah, voilà !
- Speaker #1
Ils me disent,
- Speaker #0
El Hadji Diouf. C'est la première référence qu'ils m'ont dit.
- Speaker #1
Voilà. Tu sais, j'ai eu une expérience quasi similaire en Jamaïque aussi. Moi, j'ai fait deux mois là-bas.
- Speaker #0
Deux mois ?
- Speaker #1
Yes.
- Speaker #0
Attends,
- Speaker #1
attends. Yes. Bamba class ! Yes, I have. Bamba class. Yeah, man. Voilà, ouais, gars. J'ai fait deux mois là-bas. J'ai fait deux mois dans une communauté qu'on appelle Bobo Shanti. Ça, c'est les races les plus orthodoxes.
- Speaker #0
Les Cis-Lacalangis. Yes, ça.
- Speaker #1
Contrairement aux apparences, moi aussi, j'ai eu mes locks aussi. Voilà, je sais qu'on ne peut pas le deviner si je n'annonce pas les couleurs. Donc, rouge, jaune, vert. Donc, à cette époque-là, je suis allé dans un comté, un parish. Parish, c'est l'ancien mot, la paroisse. Un comté qui s'appelle Bulbe. Saint Andrews Saint Andrews c'est à côté de Kingston dans la communauté Bobo Shanti et d'abord pourquoi je suis allé là-bas c'est parce que je me suis dit parmi les Caraïbéens qui m'ont marqué le plus les Afro-descendants qui m'ont marqué le plus c'était des RAS RAS c'est eux qui m'ont marqué vraiment quand je dis ce qu'ils m'ont dit peu importe là d'où tu viens etc tu es un Africain Rastafari c'est de là que ça me vient il faut que je le dise parce que Parce que ce n'est pas tous les caribéens qui pensent comme ça. C'est eux qui m'ont transmis ça. Donc, à cette époque, je me suis dit, OK, l'oxe, végétarien, tout ça, d'accord. Mais je vais tester jusqu'où va mon adhésion à cette philosophie de vie.
- Speaker #0
OK.
- Speaker #1
Donc, au lieu d'aller chez... ceux qui sont plus peace and love. Dans le Rasta, tu as 12 tribes of Israel. D'ailleurs, Bob Marley était qui il était. Il faisait partie des 12 tribes of Israel. Tu as plusieurs. Ah, ça m'échappe. En tout cas, parmi eux, les plus radicaux, comme on dit, c'est les Bobo Shanti. Donc je me suis dit, voilà ce que je vais faire. Si c'est vraiment quelque chose auquel j'adhère... Je vais chez les plus radicaux, ça me permettra moi de déplacer le curseur là où ça doit être. C'est pour ça que je suis allé là-bas.
- Speaker #0
T'as quel âge quand tu es allé là-bas ?
- Speaker #1
25 ans.
- Speaker #0
Ok.
- Speaker #1
Ouais, j'avais 25 ans.
- Speaker #0
Ok.
- Speaker #1
Donc quand je vais là-bas, je fais deux mois plein. Et puis il y a beaucoup de choses. Je vais jamais oublier ce séjour-là.
- Speaker #0
Non mais attends, attends, attends. Je vais te poser une question. Tes parents, quand tu leur dises que tu vas en Jamaïque deux mois ?
- Speaker #1
Bon, déjà, je leur dis pas, je bouge.
- Speaker #0
Parce que... Non, non,
- Speaker #1
parce que...
- Speaker #0
On est parents africains.
- Speaker #1
On s'est compris.
- Speaker #0
T'as 25 ans, tu leur dis bon.
- Speaker #1
Ouais, ouais, je dis bon.
- Speaker #0
En plus, t'avais des locks à l'époque, tu dis.
- Speaker #1
Yes, yes.
- Speaker #0
Tu leur dis bon.
- Speaker #1
Et tout ce qui va avec.
- Speaker #0
Je vais en Jamaïque deux mois.
- Speaker #1
Ouais, ouais. Non, mais... Rass, yeah. Jean ! Rass, alright. Donc tu leur dis pas. Non, déjà, non. Dis quoi. Rass ! Y'a rien à dire, quoi.
- Speaker #0
Mais il ne se voit pas pendant deux mois.
- Speaker #1
Non, mais je dis une fois que je suis là-bas.
- Speaker #0
Ok.
- Speaker #1
Oui, je dis une fois que je suis là-bas. Ça veut dire qu'il n'y a même pas de question.
- Speaker #0
Toi, tu es parti sans dire.
- Speaker #1
Tu sais, c'est ça. Quand tu deviens parent, c'est là que tu réalises le truc. Là, aujourd'hui, je dis, bon, mon fils est petit. Je dis, si mon fils disparaît pendant deux mois, il ne se voit pas. Qu'est-ce que je dis ? Mais là, j'étais déjà dans ce mind-là. Je dis, je n'ai pas de compte à... Rass ! Genre, tu sais ce que tu veux, quoi ? Rass ! Genre, il n'y a même pas de débat, quoi. Et puis, attends, ça raconte une anecdote, parce qu'il faut voir ton gars débarquer à l'aéroport Norman Manley de Kingston. Moi je débarque comme ça, et j'avais un billet allé, mais j'avais pas de billet retour. On verra pour le retour. Allons ! Allons ! Allons ! Donc je débarque, et puis la dame à l'aéroport, elle regarde, elle dit, ouais votre billet retourne, parce qu'elle voit un passeport canadien, c'est du touriste. Moi je suis pas touriste, moi je suis un RAS ! Moi je suis venu pour ! Donc elle me dit, oui, donc vous n'avez pas de billet de retour, peut-être que vous allez retourner au Canada, il faut qu'on organise le prochain vol. Mais le chahut que j'ai fait à l'aéroport, ça dit, je l'ai fait, je dis...
- Speaker #0
Toi t'es arrivé dans le pays des gens,
- Speaker #1
tu fais le chahut. Non, j'ai fait le chahut à l'aéroport, je l'ai fait comprendre, je dis, What ? RAS, Stapha, Rai ? Non, non, non, moi je suis pas arrivé jusqu'ici. Pour qu'on me dise... De retourner chez les Blancs. Non, Roots, la dame a laissé passer.
- Speaker #0
La dame, elle l'a vu en caca.
- Speaker #1
Elle a compris que le gars, il ne blague pas. C'est-à-dire que c'était une époque, surtout à cette... J'étais à fond, à fond. C'est-à-dire pour moi... Je prends trop de temps dans notre entrevue là. Non t'inquiète, on a le temps. On a le temps. Pour te donner une idée, moi pour moi, une femme devait porter une jupe longue. Ouais. Il fallait couvrir ses cheveux. Tu sais on a des phases, le zèle du nouveau converti. Oui bien sûr.
- Speaker #0
Tu veux faire plus que les autres. Ouais,
- Speaker #1
plus que les autres. Mais j'ai encore des souvenirs, des discussions avec mes parents qui paniquaient. Mon fils, qu'est-ce que je t'ai fait ? Papa, Rastafari, t'inquiète pas. Non ! quand on est jeune on est incroyable tellement j'étais à fond dedans moi j'ai fait les locks j'imagine le papa sénégalais j'ai dit papa tu veux que je te donne une idée d'à quel point j'étais à fond dedans j'ai fait les locks malgré la calvitie et qui dit mieux Même si ça partait, I was like, I don't care. Ross ! Donc ça poussait, ça poussait. Ça commençait à tomber. J'ai dit, hé !
- Speaker #0
C'est pas grave. Roots,
- Speaker #1
roots, Natty. Allons-y. Donc c'était à fond là-dedans. Mais la raison pour laquelle j'ai fait ce voyage, c'est que je me suis dit, si vraiment, vraiment, j'y adhère au point que je le crois, ça sera l'occasion de le voir. Et je me souviens quand je suis arrivé là-bas, D'abord, je suis arrivé la nuit, il n'y a aucune voiture, aucun taxi qui voulait nous amener. Parce que c'est en colline. Et puis tu dépasses Kingston. Kingston, c'est une cuvette. Tu sors de la cuvette de Kingston et direct, tu te retrouves dans les hills. Parce que tu n'as que des collines autour. Même quand tu prends le vol de Montego Bay jusqu'à Kingston, tu ne vois que des collines. Il n'y a aucun taxi qui voulait amener là-bas. Et puis il y en a un qui a accepté de m'amener. Et puis on arrive, on monte, on arrive devant le camp comme ça, tu vois, « Ethiopia African Black International Congress » , ça c'est le nom officiel du Bobo Shanti Movement. Et donc les gars viennent m'ouvrir et tout ça, parce que je ne sais plus comment j'ai eu le contact des gars, mais je ne sais plus comment, mais « Ras » , allez-y, voilà. Et puis là je vois un gars qui sort et puis... Et puis j'entends « Majesty, Majesty » . Je ne comprends pas quoi. Mais en fait, c'est comme ça qu'il s'adresse la parole. Il s'appelle « Majesty » , ou bien « My Lord » . Tu as des termes vraiment… « My Lord » . Donc je dis « Oh, ok » . Et puis, allez, on y va. Je suis arrivé au milieu de la nuit, 5 heures du matin, la prière commence. Ça commence, la prière commence. Et puis moi, je me suis dit, je ne vais pas dormir. Tu vois,
- Speaker #0
c'est marrant parce que moi, je ne savais pas qu'ils avaient des prières.
- Speaker #1
Ils prient. Alors, mon père s'est moqué de moi quelques années après parce qu'il disait, tu vois, toi, tu nous fuis, nous qui faisons cinq prières par jour. jour, je me dis, t'es retrouvé avec des gars qui font 8 à 10 prières par jour, bien fait pour toi. Les gars ponctuent leur journée par des prières. En fait, c'est comme un couvent. Ils considèrent qu'ils sont séparés du monde là-bas. Et leur vie, c'est la prière. Et donc, dès le matin, moi, j'avais pas compris que les prières, ça durait des heures. Donc j'ai mal dormi. Je me dis, ok, je suis nouveau venu. Tu rentres dans le moule. Tu te mets à l'aise comme tout le monde, tu fais ce que tout le monde fait. Ça a commencé 5h du matin, ça finit à 10h ou 11h. C'est intense. Mais tu t'emportes facilement dans cette mouvance. Parce que, voilà, eux, c'est leur vie. Donc, attends, comment je suis arrivé à...
- Speaker #0
Non, parce que tu disais que tu es arrivé à 5h du matin. Oui,
- Speaker #1
ah oui. Et donc, une fois, au début, quand j'arrive, il y a quelqu'un qui me demande... Je revenais à l'épisode que tu avais vécu, il me demande, mais toi, tu viens d'où ? Évidemment, ma réponse est « Yeah, I'm from Canada » . Il me dit la même chose que toi. Il dit « Non, mais vraiment, tu viens d'où ? » Je lui dis « I'm from Senegal » . Il dit « Yes, I » . Parce que lui, la même chose que toi, c'est pas le « I'm from Canada » , il s'en fout de ça. « Senegal » .
- Speaker #0
Et ce qui m'avait choqué, c'est que c'est ça. Souvent, les gens, quand ils parlent de l'Afrique, des étrangers, quand ils disent « Afrique » , ils parlent d'Afrique comme si c'était un pays.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Et avec les gens de la Caraïbe anglophone, ils ont conscience que l'Afrique, c'est un continent. Et ils connaissent les pays. Ils connaissent le Sénégal. Ils connaissent la Côte d'Ivoire. Ils connaissent le Bénin. Et c'est la grosse différence que je fais, pour revenir à ce que tu disais tout à l'heure, de comprendre vraiment la différence entre les Caraïbéens anglophones et francophones. C'est qu'ils ont une conscience de l'Afrique dans sa globalité. Pas dans le juste, ah l'Afrique, comme si c'était un pays et qu'on est tous, tu vois.
- Speaker #1
Et c'est vrai, mais en même temps, la nuance que j'apporte, c'est que, en fait, ça dépend de qui parle lorsqu'ils disent Afrique. Parce que tu vas partir, par exemple, en Guadeloupe, je suis sûr qu'on va revenir sur ces aspects en termes d'unité africaine, conscience africaine, etc. Tu as des Caraïbéens francophones qui ont une conscience africaine très marquée.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
parce que les... Des descendants des Africains en captivité ont laissé des traces de tradition africaine. Ils sont célébrés jusqu'à aujourd'hui. En Guadeloupe, ils ont ce qu'ils appellent « Grappa Congo » , qui est un rituel où on célèbre l'âme des défunts, mais de façon très africaine, la façon dont ils font. Il y a une heure en particulier où ils se disent « Là, l'esprit de nos défunts est là parmi nous, ils saluent » . Il y a toute une série de pratiques qui sont typiquement mises en œuvre en Guadeloupe. D'accord. Mais ce n'est pas tous. tous les Guadeloupéens qui vont mais tu vois le grap à Congo en Guadeloupe mais tu vois ça reste des groupes c'est des poches tandis que chez les anglophones j'avais l'impression que peu importe à qui je parlais peu importe la classe sociale ils savaient c'était où le Sénégal tu
- Speaker #0
vois ils réfléchissaient pas et la preuve c'est que ils avaient même des référents quand ils me disaient oui voilà c'est vrai tu vois ils savent non je suis d'accord mais donc Dans tout ça, il y a une question que je ne t'ai pas demandé, et c'est à quel moment toi tu décides de t'orienter vers la philosophie ? Parce que, tu sais, dans le système français, ce n'est pas comme le système canadien. En tout cas, moi, quand j'ai découvert le système canadien, j'ai remarqué qu'au lycée, dès le lycée, les jeunes commencent à s'orienter vers leur formation. Moi, quand je suis arrivé là-bas, je me rappelle pour mon baccalauréat, parce qu'on appelle ça un baccalauréat pour les francophones qui ne savent pas, tous mes... camarades de classe avaient déjà eu de la formation en marketing télévision, parce que moi, c'est ce que j'ai fait comme formation. Moi, je n'avais jamais touché à ça. Parce que le système français, c'est cours généraux jusqu'en terminale et après, tu t'orientes. Est-ce que toi, tu t'orientes déjà dans la philosophie dès le lycée, quand tu arrives, vers 14 ans ou c'est quelque chose qui arrive plus tard ?
- Speaker #1
En fait, mon intérêt pour la philo n'était pas conditionné par le parcours scolaire, ni académique. C'est fondamentalement une question de tempérament et de personnalité.
- Speaker #0
OK.
- Speaker #1
Parce que depuis toujours, depuis aussi loin que mon... Aussi loin que je puisse remonter, je ne dirais même pas la philo, mais le besoin de questionner, le besoin d'interroger, d'aller au-delà des conventions, des formes, du consensus, et de comprendre le pourquoi du pourquoi. Le besoin de savoir, mais qu'est-ce qu'il y a derrière ce qu'on me dit ou ce qu'on ne me dit pas, etc. Ça, c'est quelque chose qui est ancré depuis l'enfance. Je ne dirais pas que je me suis orienté vers la philo, je dis que j'ai toujours une attitude philosophique. C'est juste que je n'avais pas les mots pour l'expliquer comme ça.
- Speaker #0
Mais quand, par exemple, tu finis ton lycée, tu fais quoi comme études ?
- Speaker #1
Moi, je fais sciences politiques, relations internationales, etc. Et puis même, j'ai continué une partie de mes études ici au Sénégal, dans cette démarche panafricaine. Donc voilà, master, doctorat, tout ça, moi c'est ici que j'ai fait. Parce que j'avais besoin. Mais ce n'était pas un philo. Par contre, j'ai toujours eu le regard et la réflexion philosophique sur tous les engagements que j'avais.
- Speaker #0
D'accord. Mais en fait, pourquoi je te pose cette question ? Parce qu'aujourd'hui, tu vois, tu... Je vais utiliser le mot enseigner parce que c'est ce que tu fais. Mais toi, quand tu fais tes cours de sciences politiques et tout, est-ce que tu as une idée d'un métier que tu aimerais faire ? Alors pourquoi tu t'orientes vers la science politique ?
- Speaker #1
Je ne sais même pas. La vérité, je ne sais pas. Mais je pense que c'est parce que comme j'étais déjà intéressé par tout ce qui était mouvements... changer de la société, les grandes questions, comment est-ce que le monde change, les dynamiques, les forces. Et surtout, on est en septembre, je me rappelle, je rentre à l'université septembre 2001. Il y a deux événements en particulier qui me marquent. Évidemment, je rentre à l'université, on devait être le 7 ou le 8 septembre.
- Speaker #0
Oui, en septembre.
- Speaker #1
Alors que quelques mois avant, j'étais allé avec ma classe de... ma classe de terminal au Twin Towers, genre au mars ou en avril. Je me souviens d'aller où. Et je peux même te dire que ma première réflexion philosophique propre, ou que je peux qualifier vraiment comme une réflexion philosophique, c'est, je me rappelle, être monté dans l'ascenseur. C'était un ascenseur vitré qui donnait sur l'extérieur. Et je me rappelle, j'ai encore l'image très claire. On monte dans l'ascenseur, l'ascenseur se ferme, la porte est vitrée.
- Speaker #0
L'ascenseur dans l'Empire Stabli ?
- Speaker #1
C'était le Twin Towers, oui, c'était l'un des deux. Donc je vois des gens venir, et puis ils s'arrêtent parce qu'ils ne peuvent pas monter à l'ascenseur, c'est plein de capacités. Et au moment où l'ascenseur monte, les gens, on les voit de moins en moins parce que l'ascenseur monte, et puis en montant, ensuite on voit New York, Hudson River, etc. Et je me rappelle maître dit, regarde l'être humain. Tu vois, à ce niveau-là, enfin, regarde l'être humain. Il suffit que tu prennes de la hauteur, et il est insignifié. Regarde tout ça. Je me rappelle, Maître dit ça, cette réflexion philosophique du simple fait d'avoir été dans l'ascenseur au même niveau que le gars qui allait monter, et puis juste se mettre à quelques mètres, ensuite quelques dizaines de mètres au-dessus, et se projeter en disant que l'être humain peut se penser ce qu'il veut. À ce niveau-là, il suffit que tu prennes de la hauteur et puis l'être humain. Et puis rien, ouais. Ça, c'est... Cette réflexion, ça t'a marqué. Ouais, ça, c'est ma première vraie réflexion philosophique personnelle, je dirais, qui n'est pas née d'une lecture, mais d'un moment. Mon premier moment philosophique, c'était celui-là. Donc, les études... Je crois que l'engagement politique, le militantisme, c'était presque une évidence que j'allais faire sciences. Mais même en sciences politiques... C'était les cours de théorie politique, donc des questions philosophiques qui m'intéressaient le plus.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Tu sais, en sciences politiques, tu te poses... En sciences sociales, en fait... Sciences politiques, c'est un mot réducteur. C'est les sciences sociales qui m'intéressent, qui m'intéressaient. Aujourd'hui, je m'ouvre à beaucoup plus que ça. Les sciences exactes, mathématiques, physiques, tout ça, je m'intéresse aux questions de culture générale. Mais les sciences sociales, c'est-à-dire que ce soit sociologie, anthropologie, histoire, sciences poétiques, etc. Je me posais ces questions-là. Mais c'était l'approche philosophique de cette question qui m'intéressait. Si tu me dis l'anthropologie, tu peux l'aborder de façon très scientifique. L'étude de l'homme. Tu as des anthropologues qui vont étudier l'homme, mais en étudiant l'anthropologie... Comment dire ?
- Speaker #0
Tout ce qu'on peut retrouver. Ils vont étudier les os, les squelettes.
- Speaker #1
Ils vont mesurer, ils vont prendre des données. Tu peux avoir cet aspect de l'anthropologie.
- Speaker #0
C'est très métrique. Oui, exactement.
- Speaker #1
Tu peux avoir cette vision de l'anthropologie. Tu peux avoir des anthropologues qui auront Une réflexion philosophique sur l'homme. Donc ils vont s'inspirer de la recherche en anthropologie et puis ouvrir la réflexion sur... Donc moi, ça, ça me parlait déjà à l'époque.
- Speaker #0
J'essaie de mettre en image ce que tu dis pour que les gens qui nous écoutent ou nous regardent comprennent. C'est comme si... Tu as ceux qui vont étudier en anthropologie, qui vont étudier, comme tu dis, les ossements des hommes préhistoriques et des trucs comme ça. Et tu as ceux qui vont étudier l'anthropologie, mais sur les migrations, de peut-être pourquoi, qu'est-ce qui a amené ces peuples à se déplacer, à partir dans d'autres endroits, c'est ça ? Oui.
- Speaker #1
Et puis, en fait, c'est l'étape au-dessus. C'est celui qui va étudier ces migrations, par exemple, et puis va produire une réflexion sur, mais finalement, qu'est-ce qui fait bouger l'homme ?
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Donc c'est l'étape au-dessus.
- Speaker #0
C'est aller plus loin, c'est pas juste le fait de mouvement, c'est comprendre ce qui amène l'homme à vouloir se déplacer. Voilà,
- Speaker #1
parce qu'en fait, c'est peut-être audacieux ce que je veux dire, mais la philosophie n'est pas une matière. La philosophie n'est pas une matière, c'est une façon d'aborder la connaissance, ou la quête de connaissance. C'est une façon d'aborder ça, mais c'est pas une matière. Après, on peut la cadrer comme une matière, comme n'importe quel domaine peut être consolidé comme une matière. Mais à la base, la philosophie, c'est une attitude. On rentre dans la philosophie quand... Moi, je dis... D'ailleurs, c'était une de mes grandes frustrations dans mon métier d'enseignant. Un jour, j'ai donné un sujet de dissertation, mais on me l'a refusé.
- Speaker #0
OK.
- Speaker #1
On me laissait faire beaucoup de choses, mais là, on m'a dit non. Sauf que celui qui a dit non, je sais que par la suite, il a compris ce que j'ai voulu faire. Mais ça m'est resté au travers de la gorge parce qu'il dit, man, come on. C'était quoi le sujet ? Pourquoi pas ?
- Speaker #0
C'était juste ça ?
- Speaker #1
Pourquoi pas ?
- Speaker #0
Et les élèves devaient répondre à ça ?
- Speaker #1
Oui, pourquoi pas ? Pourquoi pas ? Pourquoi pas ?
- Speaker #0
Si tu es chaud en commentaire, réponds. Si tu as cœur.
- Speaker #1
Si tu as cœur. Pourquoi pas ?
- Speaker #0
Voilà, celui qui répond dans les commentaires, vraiment, je l'invite dans le podcast pour qu'il vienne expliquer sa réponse.
- Speaker #1
Et quel que soit ce qu'il va dire, tu vas dire pourquoi pas.
- Speaker #0
Pourquoi pas.
- Speaker #1
Et les étudiants avaient paniqué. Mais monsieur, non, non,
- Speaker #0
non. C'est-à-dire que je me place à la place de l'étudiant, moi j'arrive et puis je vois le sujet de l'examen, c'est pourquoi pas.
- Speaker #1
Et il y en a qui ont percuté, il y en a qui ont capté tout de suite. Et puis il y en a qui ont paniqué, parce que ceux qui pensent carré, droit, ils sont... Pourquoi pas ? Là, c'est peut-être l'une de mes frustrations. Ça m'a frustré, mais après, je dis, ouais, mais ça ne devrait pas me frustrer tant que ça. Parce que même là, ça me frustre parce que j'attends encore l'approbation hiérarchique pour sentir que mon travail vaut la peine. Alors qu'en réalité, non. Si j'ai vraiment une démarche philosophique, les cinq minutes que les étudiants ont prises pour percuter sur la question,
- Speaker #0
t'as déjà réussi.
- Speaker #1
Ça y est. Après, on m'a demandé de changer, on m'a exigé que je change. Donc j'ai changé...
- Speaker #0
Ça c'était au Canada ?
- Speaker #1
Non, ça c'est ici.
- Speaker #0
Ici ? Ok.
- Speaker #1
J'ai changé un truc du genre, oui j'aurais voulu demander pourquoi pas, mais non, non, non, etc. Et puis donc j'ai bien pimenté le truc pour faire comprendre que voilà. Mais c'était pas...
- Speaker #0
C'était pas comme toi tu aurais voulu le proposer ?
- Speaker #1
Non. Ok. Donc si tu veux, c'est pour ça que je dis, la philosophie... On peut étudier la pensée philosophique d'autrui. Mais d'abord ça fait pas de soi un philosophe. Et surtout, la philosophie commence quand tu dis pourquoi ou pourquoi pas. C'est là que la philosophie commence.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Ou une autre façon de le dire, c'est que la démarche philosophique commence quand tout le monde dit point final et toi tu dis point virgule.
- Speaker #0
Attends, attends, attends. J'aime beaucoup ce genre de phrase.
- Speaker #1
Voilà. Yes, I. Voilà. C'est là que ça commence.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Je t'en donne une autre, de punchline. Quand tout le monde dit point final, et toi tu dis point d'interrogation. C'est là que le truc... Parce que ce qu'on appelle les directeurs de conscience, c'est-à-dire que ce soit le... Nos désuspects, que ce soit le pasteur, l'imam, les parents, tout ce qui te donne un prêt à porter, et ça peut être par bienveillance, ça peut être par bienveillance, tout ce qui donne un prêt à penser, te disent, l'équation est la suivante, X égale Y. Et toi, tu grandis en formant et formatant ta pensée à partir de cette équation. Ça, ça veut dire ça. Ça égale ça. D'ailleurs, je me rappelle ça, il y a quelques années, c'est même un sujet que j'avais donné aussi. Je disais, je refuse de me conformer parce que je refuse de former des cons. Et j'avais donné ça en... C'était un des sujets sur lesquels on avait débattu avec les étudiants, parce qu'ils disaient « mais monsieur, je ne me conforme pas parce que je ne forme pas des cons, c'est tout » . Et il y en a qui l'ont bien pris, il y en a qui l'ont mal pris. Ils ont dit « ok, whatever, voilà quoi, prenez comme ça et puis c'est tout » .
- Speaker #0
Mais l'important c'est que ça vous fasse réagir.
- Speaker #1
L'important, c'est que ça suscite votre réflexion. Il ne s'agit pas... Ok, je dis comme ça. You don't have to like me. L'idée, c'est que... Ok, si ça réveille quelque chose, tant mieux. Mais ce truc que ça réveille, ça vient d'où exactement ? Est-ce que c'est toi ou bien c'est toutes ces voix-là qui ont conditionné ta pensée qui réagissent parce que ce que je viens de dire risque de débranler cet édifice-là qui te permet de tenir debout ? C'est pour ça qu'en fait, la philo fait peur. C'est pas la philo qui fait peur. C'est ce qu'elle révèle en toi. Voilà, ça t'oblige à accepter que ce que tu pensais connaître... ne vient peut-être pas de toi. Donc, celui que tu penses être,
- Speaker #0
tu ne l'es pas réellement.
- Speaker #1
Tu ne l'es peut-être pas réellement. C'est pour ça que ça fait peur. Ça, ce n'est pas un prof qui me l'a appris. Ça, c'est mon délire à moi. Sauf que mes lectures en philo, le fait de pousser la réflexion au-delà du classique et du conventionnel m'ont appris à être à l'aise. Tu sais, quand tu fais un travail philosophique, que ce soit sur toi-même ou une réflexion sur le monde, ou le monde qui t'entoure, ou bien est-ce qu'il y a d'autres mondes, etc. Tu apprends à être à l'aise avec le fait que tu n'auras peut-être pas de réponse. C'est surtout ça. C'est être à l'aise avec le fait de dire je ne sais pas, et ce n'est pas plus grave que ça. Voilà, c'est ça. Et quand tu comprends ça, c'est là que tu découvres ce que tu n'aurais peut-être pas pu comprendre en terminale. Parce qu'en terminale, on t'apprend... prend la pensée philosophique d'autrui. Donc, est-ce que tu comprends vraiment qui était Socrate ? Est-ce que tu comprends réellement c'était quoi son délire ? Tu comprends pourquoi est-ce qu'on l'a condamné à mort ? Ou en tout cas, l'a condamné, il s'est suicidé. Enfin, c'est comme ça qu'il a exécuté sa sentence. Il a bu du poison. Mais on a condamné Socrate pourquoi ? On a dit ce qu'on appellerait aujourd'hui en termes l'apostasie, c'est-à-dire il a poussé les gens à ne plus respecter les dieux de la cité. Mais concrètement, ce n'est pas qu'il poussait les gens à sortir des centres. Ce n'est pas qu'il poussait les gens à ne pas respecter les dieux de la cité. C'est que son questionnement faisait que les gens n'étaient plus nécessairement d'accord avec la pensée dominante. Donc, il fallait le condamner pour ça. D'accord ? Voilà, c'est ça. Maintenant... Est-ce que parce qu'on est africain, on ne doit pas s'intéresser à la pensée socratique ? Surtout, la philo, ce n'est pas juste une affaire. Je cite Socrate parce que c'est un nom qu'on connaît parmi d'autres. On pourrait aller vers Lao Tseu en Chine, on pourrait chercher ce mot penseur. Quand tu es philosophe, ou en tout cas quand tu t'intéresses à la philo, tu ne t'enfermes pas dans les culturalismes. Parce que c'est la pensée humaine. Délibérément, je vais prendre un autre penseur occident, enfin ce qu'on appelle occident, un penseur romain, il s'appelle Terence, comme on dit en anglais. Terence a dit dans l'Antiquité, je suis homme, homme avec un grand H, pardon mesdames, je suis homme, rien de ce qui est humain ne m'est étranger. Moi ça, quand j'ai lu ça, ça m'a touché. au plus profond de moi, parce que ça veut dire que ça me donnait la permission d'aller fouiller là où je voulais sans les carcans de cette pensée que j'étais en train de scléroser en tant que oui, je suis africain, etc. Donc je dois m'intéresser qu'à ça. Non, non, je suis homme. Rien de ce qui est humain ne m'est étranger. Donc tu es libre d'aller fouiller tout ce que la pensée humaine a produit comme réflexion et la mettre en miroir face à ma propre réflexion. Mais la personne qui m'a émancipé philosophiquement, ça s'est passé à Dakar, et je te dirais, ça s'est passé l'année dernière.
- Speaker #0
Ok.
- Speaker #1
Ouais, il y a quelqu'un qui m'a émancipé, qui m'a aidé, qui m'a donné un bon coup de pied au derrière, et grâce à lui, j'ai réécrit mon acte de naissance.
- Speaker #0
Ok. C'est fort ce que tu dis.
- Speaker #1
Yes, yes. J'ai réécrit mon acte de naissance grâce à ce gars-là.
- Speaker #0
Qu'est-ce qu'il t'a fait ?
- Speaker #1
Ouais. Je marchais de... Attends, ça donne un setting de délire encore. J'étais à... Je me suis retrouvé à discuter avec trois arabins.
- Speaker #0
Ouais.
- Speaker #1
Au Mamel.
- Speaker #0
Cette histoire, elle commence pas là. Tu vois,
- Speaker #1
voilà, déjà, déjà. En plus, c'est Rosh Hashanah demain. Voilà, on est dans la période du Nouvel An hébraïque, etc. Donc voilà, voilà un peu le délire, quoi.
- Speaker #0
Tu t'es retrouvé...
- Speaker #1
J'étais avec trois arabins.
- Speaker #0
Au Mamel.
- Speaker #1
Au Mamel.
- Speaker #0
Dans quel coup ?
- Speaker #1
Non, regarde ! Regarde, comment on dit en Côte d'Ivoire ? Dame !
- Speaker #0
Non, moi je veux savoir !
- Speaker #1
Dame, dame ! Non ! C'est un autre niveau quoi ! Non mais, quand t'as pas de limite, tu abordes les gens.
- Speaker #0
Ouais.
- Speaker #1
Et les gars, quand ils voient que tu viens les voir avec respect, parce que tu veux comprendre, tu veux connaître. Les gars, ils ouvrent la porte. Donc je me suis retrouvé avec trois rabbins. Des jeunes, hein ? Les rabbins, comment on dit ? Les chabad, c'est des missionnaires. Mais pas missionnaires au sens catholique, chrétien, c'est-à-dire convertir, mais missionnaires au sens ramener les juifs à la foi. Mais les chabad, tu les vois habillés en noir, etc. Donc moi, je me suis retrouvé avec trois rabbins, Lubavitch, Chabad, quartier Mamel à Dakar, en train de philosopher.
- Speaker #0
Et vous êtes resté combien de temps à parler ?
- Speaker #1
Gars. Bam. on a décortiqué la Torah c'est à dire c'est ça la beauté de la chose quand tu es dans une démarche philosophique en tout cas selon ce que je vis c'est pas des vérités c'est comme ça que moi je la vis je suis homme rien de ce qui est humain donc voilà c'est pas eux qui m'ont c'est pas eux qui t'ont fait réaliser ça c'est l'intro ça c'est là d'où je suis parti donc Merci. Pour digérer toute cette réflexion philosophique, je dirais réflexion talmudique même, de la soirée, je décide de marcher de Bamel jusqu'à, chez moi, à Stade de Ngor. Voilà, comme ça, ça me laisse le temps de digérer, etc. Et à un moment donné... Est-ce que je peux dire que pendant la discussion avec les rabbins, il y avait un fond de bouteille de Jack Daniels ? Ça, je peux le dire, non ? Oui,
- Speaker #0
tu peux ! C'est ce qui s'est passé, donc tu peux ?
- Speaker #1
Voilà, ok. On parle free, non ? Oui. Donc je reconnais qu'il y avait un fond de Jack Daniels, quand même. Et c'est un peu pour ça que j'avais besoin de marcher.
- Speaker #0
En fait, le fond de Jack Daniels, il a activé les neurones, mais pas les...
- Speaker #1
C'est pour ça que je décide de marcher. C'est pas juste pour faire le flosof, c'est pour...
- Speaker #0
Les rabbins, ils boivent ?
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Ok.
- Speaker #1
Oui. Il n'y a pas de... Non,
- Speaker #0
je pose l'exemple parce que je ne savais pas.
- Speaker #1
Non, c'est bien que tu le dises parce que...
- Speaker #0
Parce que je voulais savoir si tu étais seul avec le fond de Jack Daniels et s'ils ont participé avec toi.
- Speaker #1
Moi, j'ai trouvé le fond. Ok. Je ne sais pas qui... Moi, j'ai trouvé le fond.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Mais je ne sais pas... Je ne peux pas dire... Voilà.
- Speaker #0
Donc, tu marches pour retourner chez toi ?
- Speaker #1
Je marche pour retrouver mes esprits.
- Speaker #0
Ouais.
- Speaker #1
Et retourner chez moi. Et là, à un moment donné, je tombe sur une personne. Ce qu'on appelle... Le mot ne me plaît pas beaucoup, mais un fou.
- Speaker #0
Ouais.
- Speaker #1
Mais le mot ne me plaît pas beaucoup, mais bon, on comprend...
- Speaker #0
C'est plus facile pour tout le monde de comprendre,
- Speaker #1
de voir le profil. Je suis pas d'accord avec ce mot, mais un fou, quelqu'un qui a pété un câble. Et je sais pas qu'est-ce qui m'a pris, j'ai décidé de parler avec le gars.
- Speaker #0
Ok. T'as vu, j'allais dire ok, même mon ok s'est arrêté.
- Speaker #1
C'est décidé de parler avec le gars.
- Speaker #0
Ok.
- Speaker #1
Le gars était couché, il dormait, il somnolait, il parlait, je ne sais plus. Mais j'ai décidé de causer avec le gars.
- Speaker #0
Donc, tu t'assois avec lui.
- Speaker #1
Je me mets accroupi à côté du gars et puis je parle au gars. Le gars, ça l'énerve parce que le gars, je ne sais pas ce qu'il faisait, mais il ne voulait pas parler. Moi, forcé, il faut que je parle. Et je commence à causer avec le gars. Et puis, à un moment donné, le gars se tourne vers moi. Je traduis du Wolof. Il me dit, moi, je suis fou. Moi, je sais. Mais toi, tu es plus fou que moi. Mais comment tu te sens quand il te dit ça ? Mais ça, c'était l'épiphanie. Alléluia. Il m'a délivré mon acte de naissance. Il m'a fait renaître. Il t'a dit,
- Speaker #0
ouais, non.
- Speaker #1
Qu'un gars qui soit sorti du système. Genre, il a pété un... Il est sorti de Babylone complètement. Genre, il est out. Il est out. Il n'a plus... Moi je suis fou Moi je sais
- Speaker #0
Mais toi Tant que tu es plus fou Que moi C'est la meilleure anecdote
- Speaker #1
Quand il m'a sorti le truc
- Speaker #0
C'est-à-dire, ça fait une... Attends, je vais utiliser un mot.
- Speaker #1
Tu m'as dit que t'as du contenu ta route.
- Speaker #0
Non, c'est le contenu ma route, mais là, je marchais sur... Tu sais, comme dans les films... Je marchais sur du coton. Ça fait une déflagration en moi. Il a dit le truc... Tu sais, que quelqu'un soit dans Babylone et puis me dit... C'est un mot qui est... Tu sais, les gens qui sont polis disent pas je suis fou, ils disent ouais, il est prof de philo. Ça veut dire la même chose, au final.
- Speaker #1
Ok.
- Speaker #0
Mais lui, il a pété un câble de vrai. Mais qu'il me dise ça à moi, je dis, oh, oh, ça va, voilà. Mais quand je suis retourné en cours le lendemain, j'ai raconté ça à mes étudiants.
- Speaker #1
Et qu'est-ce qu'ils ont dit ?
- Speaker #0
Il faut que je vous dise un truc. J'ai bloqué le cours. Il faut que vous sachiez à qui vous avez affaire. Je suis fou. J'avais pété un câble. C'est juste que je m'arrêtais pas. Je m'étais déjà posé des questions deux mois avant. Dans un hôpital psychiatrique. Ce n'est pas moi qui étais interné là-bas. Mais j'étais allé là-bas dans le cadre d'une association que j'ai co-montée avec d'autres personnes qui sont très engagées dans le changement social. La réhabilitation, en fait, une association qui s'appelle Siglen. On fait de la réhabilitation pour deux catégories de population. Les ex-détenus et puis les personnes qui souffrent de toxicomanie.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Malheureusement, il y a des personnes qui souffrent de toxicomanie et qui ont en parallèle aussi des problèmes de santé mentale, psychiatrique. Donc on était en train de réfléchir à des ateliers d'art-thérapie pour les patients de l'aile psychiatrique de l'hôpital Fann. Donc dans ce cadre-là, je me retrouve à l'hôpital Fann, et puis à un moment donné, je me retrouve assis dans un espace avec quelques-uns des patients qui étaient là. Puis un gars qui est venu, il s'est posé à côté de moi, et puis il m'a parlé du monde. Mais lui, il raisonnait le monde en couleurs. Il expliquait les couleurs, comment c'est les couleurs qui dirigent le monde. Et là, il me dit, regarde... Et puis à un moment donné, il parle, et pendant qu'il me parle, je me dis, mais ce qu'il dit là, moi je vibes avec le gars. Mais donc si ça se trouve, en fait la seule différence c'est qu'eux ils sont internés, moi je suis d'un côté à un autre. En fait si ça se trouve, c'est juste qu'eux ils sont sous médication, machin, mais je crois que j'ai pété un câble. C'est juste que je le gère bien. Voilà, donc j'étais déjà dans ce truc-là, de badge of honor, de la part de gens qui sont sortis out du système, et puis qui me disent... Donc j'ai dit, mais si je vive en même temps que lui, on est sur la même fréquence. Peut-être que... Peut-être que... Alors quoi ? Donc c'est déjà dans ça, mais ça restait trop philo. Mais quand l'autre m'a dit... Moi, je suis fou.
- Speaker #1
Et je serais prêt à payer pour revoir cette scène. Et cette scène, elle devait être incroyable. Donc,
- Speaker #0
imagine-moi, j'ai laissé trois rabbins là-bas. Un fond de Jack Daniel. Marcher en train de philosopher, en train de machin. Et puis, il y a un fou qui me dit, tu es plus fou que moi. J'ai dit, non, mais moi, ça y est, quoi.
- Speaker #1
Non, mais quelle journée incroyable.
- Speaker #0
Tu vois ce que je veux dire ? Donc, quand je retournais en cours le lendemain, j'ai dit, aujourd'hui, est-ce qu'on va faire quoi ? Attendez, avant de faire court, je vais vous expliquer, quoi. Parce que j'ai ce truc-là de real talk avec les étudiants. c'est pour ça que je dis que c'est important pour moi de... d'apparaître autant que possible authentique. On n'est jamais complètement authentique. Quand tu es dans une posture bien conditionnée comme ça, de me donner la permission de sortir des sentiers battus pour qu'eux aussi sentent ça. Voilà.
- Speaker #1
Non, incroyable. Franchement, l'histoire, elle est incroyable. L'histoire, elle est incroyable.
- Speaker #0
Oui, oui,
- Speaker #1
oui. Mais attends. Parce que là, sinon, moi, je suis tellement bien et j'aime tellement ce que tu racontes que je pourrais parler longtemps. Mais on ne peut pas se permettre de parler 3-4 heures parce que sinon, les youtubeurs, ils vont dire que... Non, c'est clair. La team incroyable, ils vont me dire que vous avez abusé.
- Speaker #0
Non, non, c'est clair. Et puis, la vie est courte.
- Speaker #1
Oui, la vie est courte. Et donc, là, on comprend un petit peu plus, je pense, ton parcours. qui tu es, ce que tu fais aujourd'hui et ce qui t'anime. Et dans les choses qui t'animent, justement, dans tes travaux, dans ce que tu fais et tout, il y a notre sujet du jour, qui est l'unité africaine. Moi, ça m'a parlé quand tu m'as dit que c'était parmi tes travaux, parce que, comme je l'ai dit dans l'introduction, c'est vrai que tous, en tant qu'Africains, on a tous eu à déjà parler de cette idée ensemble d'unité africaine. On a tous eu à se dire, mais qu'est-ce qu'on attend pour faire ça, etc. Mais je pense qu'on n'en a jamais parlé avec profondeur. Moi, je n'ai jamais parlé avec quelqu'un qui a vraiment travaillé le sujet. Et je trouvais intéressant de pouvoir parler avec toi de cette idée d'unité africaine. Savoir déjà qu'est-ce qu'on entend par unité africaine. Qu'est-ce que... où est-ce que ça en est aujourd'hui ? Surtout qu'on est dans une période où il se passe beaucoup de choses d'un point de vue géopolitique sur notre continent. Et vraiment, on a eu deux ans où les choses ont vraiment bougé de manière assez turbulente. Pour que les gens qui nous écoutent comprennent. Par exemple, je parle de cette alliance qu'est l'AES aujourd'hui. On n'avait jamais vu ça avant. Donc c'est des nouveaux pions sur l'échiquier, de nouvelles manières de réfléchir le continent et de réfléchir ses actions de groupe et autres. Est-ce qu'on est en train d'aller vers quelque chose avec deux clans séparés ? Est-ce qu'on peut avoir cette unité ? Donc voilà, c'est un petit peu ça l'idée de la discussion. Mais déjà, avant toute chose, c'est ça. Déjà, c'est quoi pour toi ? Comment tu l'entends ? C'est quoi pour toi l'unité africaine ?
- Speaker #0
Tu sais, derrière cette question, il y a plusieurs questions d'abord qu'il faut élucider pour bien réfléchir cette question.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
D'abord, on en parlait un peu plus tôt. Si tu remarques, on dit, on ne parle plus d'unité africaine aujourd'hui.
- Speaker #1
Ok.
- Speaker #0
On parle d'intégration africaine.
- Speaker #1
Ok.
- Speaker #0
Donc rien que le changement sémantique révèle beaucoup sur le changement des consciences par rapport à ce rêve-là.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Parce que quand tu dis unité, ça veut dire que l'objectif c'est de devenir un. Est-ce que un c'est une fédération, une confédération, une république ? La question est valable lorsque tu dis unité. Quand tu dis intégration, tu parles d'un processus. Donc ça peut être un processus continu sans nécessairement désigner l'aboutissement de ce processus.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Donc même d'un point de vue institutionnel, depuis 1963 jusqu'à 2013, on parlait de l'organisation de l'unité africaine, l'OUA.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Dont le CIG a dit ça, mais ben, depuis 2013, la terminologie a changé. On dit l'union africaine. Donc c'est pas l'unité, c'est une union. Donc déjà, union, c'est une façon de cadrer. la finalité du processus intégrateur. Effectivement. On s'intègre dans un processus qui doit aboutir en union.
- Speaker #1
Oui, qu'on soit unifié, mais qu'on représente...
- Speaker #0
On n'est pas un.
- Speaker #1
C'est ça.
- Speaker #0
On collabore ensemble dans un espace ensemble. On n'est pas un.
- Speaker #1
Chacun garde sa personnalité, je veux dire, son identité.
- Speaker #0
Voilà, voilà.
- Speaker #1
Tout le monde travaille dans un même but, tout en gardant son identité.
- Speaker #0
Voilà. Et cette question-là, c'est la question qui était posée déjà en 1960. 1963, au moment de la naissance de l'OUA. Parce qu'à la naissance de l'OUA, tu as eu deux groupes. Bon, techniquement trois, mais majoritairement deux. Tu as eu, pardon, le groupe de Casablanca, le groupe de Monrovia. Le groupe de Monrovia, c'était ce qu'on appelait les gradualistes. Donc, 1963, c'est la naissance de... C'est le début des indépendances, 1960, etc. Et la question est de savoir, si on vise l'unité africaine, on devrait aller de façon graduelle. L'intégration de différents espaces, l'intégration de différents systèmes économiques, etc. Donc l'approche gradualiste qui était l'approche majoritaire. Et tu avais dedans Oufoué, Senghor et puis d'autres. Et puis tu avais l'approche radicale, qui était le groupe de Casablanca, avec à sa tête, entre autres, Mohamed V, le grand-père du roi Mohamed VI, le père de Hassan II. Et eux, c'était, il faut l'unité africaine maintenant pour pouvoir régler les problèmes de chacun.
- Speaker #1
D'accord. Il faut d'abord qu'on soit unis.
- Speaker #0
Il faut d'abord qu'on soit unis pour pouvoir régler les problèmes de chacun. Parce que l'union en faisant la force, si nous sommes unis, ensemble, on peut régler les problèmes de chacun. Ça, c'était le groupe radical, ça, c'était le groupe minoritaire. Donc, c'est le groupe des gradualistes qui a pris le dessus et qui a imprégné l'OEA de cette tendance. Mais la question n'a jamais été complètement élucidée parce que ce qui a commencé en 1963 a continué jusqu'à aujourd'hui. Et là, je parle juste du point de vue institutionnel. Une fois qu'on a dit oui, il faut l'unité, tu as eu des plans d'action. le plan d'action de Lagos 1980, le traité d'Abuja 1991, etc. Beaucoup de choses que tu entends sur l'Union africaine aujourd'hui ne sont pas des nouveautés. Ce sont des termes qui ont été adoptés dans des... Qui ont été adoptées, par exemple, par... Tu sais, à un moment donné, je ne sais pas si tu avais suivi aux nouvelles, on parlait du passeport africain.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Vers 2016, on disait qu'il y aurait un passeport africain. Ça avait l'air d'une innovation. Ah, enfin, ça va marcher. Ça va être d'abord réservé à certaines personnes. Ça va permettre la libre circulation à travers le continent, etc. Mais le passeport africain, c'est une... C'est une décision qui avait été prise dans le traité d'Abou Djaï de 1991 déjà. C'était marqué en 91 que dans les années 2020, il faudrait qu'il y ait un passeport africain.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Tu vois, donc c'était pas nouveau.
- Speaker #1
Ouais.
- Speaker #0
C'était plutôt la mise en œuvre de quelque chose, et puis de façon symbolique, de quelque chose qui était marqué déjà depuis 91. Lorsqu'on a créé la ZLEKAF, donc la zone de libre-échange... africaines. La ZDKF aussi fait partie de ce qui était indiqué dans le traité de la Boudjah de 1991. Donc en fait, ce qui paraît nouveau aujourd'hui, en termes de l'Union africaine...
- Speaker #1
Les bases étaient déjà là en 1991,
- Speaker #0
et en 1991, les bases étaient déjà là en 1980.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Les bases de 1980 étaient déjà là auparavant aussi. Donc en réalité, depuis 1963, il n'y a pas vraiment d'innovation dans la pensée panafricaine, du point de vue institutionnel. Les institutions ont changé. En 2000, il y a eu la création du... Est-ce que tu as déjà entendu parler du Parlement panafricain ?
- Speaker #1
Non.
- Speaker #0
Il y en a un. Mais ce n'est pas un Parlement qui a un pouvoir... D'abord, un Parlement, c'est législatif, mais il n'a quasiment aucun pouvoir.
- Speaker #1
Parce que déjà, j'allais te demander qu'est-ce que le Parlement panafricain décide, parce que si je n'ai jamais entendu parler...
- Speaker #0
Il ne décide rien. Il parle au nom de l'Afrique, il émet des propositions, mais tu vois, les députés qui sont au Parlement panafricain sont nommés par le chef de l'État. Ce sont des députés nationaux qui sont envoyés là-bas.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Donc si tu veux, tu n'as pas de... Je suis sûr que beaucoup d'auditeurs et d'auditrices n'ont peut-être jamais entendu parler d'un problème africain. Tu as une cour de justice panafricaine. On n'en entend jamais parler. Jamais. Donc tu as des institutions qui, je ne veux pas être négatif, mais en tout cas qui semblent être des coquilles vides. Tu vois ? Ça c'est du point de vue institutionnel. Mais maintenant parlons terre à terre. L'idée, ce qu'on appelle l'unité africaine, c'est la formulation d'une idée beaucoup plus ancienne qu'on appelle l'idée panafricaine, qui a eu plusieurs tendances. Et cette idée panafricaine, elle est vieille de plusieurs siècles. C'est ça qu'il faut comprendre, elle est vieille de plusieurs siècles. Elle n'est pas née sur le continent, elle est née des afro-descendants, qui, ayant été pris en captivité et déportés aux Amériques, venant de diverses origines d'Afrique, etc., ont dû se reconstituer une identité, d'abord par souci de survie. et ont dû trouver un socle ou des socles culturels communs pour donner un sens à leur quotidien. Et dans ce socle culturel commun, qui est la tradition africaine, telle qu'ils l'ont créolisée, il y a toujours eu cette idée-là d'un jour... On retournera. Alors, les Haïtiens vont dire Guinée, qui est une prononciation de Guinée. Guinée, en fait, le golfe de Guinée. Donc, par exemple, les vaudoisants haïtiens, pour un vaudoisant haïtien, lorsqu'il meurt, on prie. Pour qu'il retourne en Guinée. On ne parle pas de paradis, on dit la terre des ancêtres, Guinée.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Si tu prends la version du 19e siècle de cette mouvance panafricaine qu'on va appeler les éthiopianismes, c'est-à-dire après 200-300 ans d'évangélisation, on va prendre dans la Bible, on va relire dans la Bible... On va prendre des éléments de la Bible qu'on peut assimiler à un mouvement d'exode et de retour. Donc dans la Bible, il y a la mention de l'Éthiopie. Donc les afro-descendants vont dire, OK, le peuple juif qui a été pris en captivité en Égypte, qui a traversé la mer Rouge pour se retrouver en terre de liberté, la terre promise, en réalité c'était nous, la mer c'était une métaphore, la vraie mer c'est l'océan Atlantique, la terre de liberté c'est l'Afrique, etc. Donc quand tu lis dans la Bible Éthiopie, L'Éthiopie devient le seul pays d'Afrique, à part le Libéria pour une autre raison, le seul pays d'Afrique qui n'a pas été colonisé, qui n'a jamais été colonisé. Ça devient un fantasme, un idéal qui permet de donner un sens au pourquoi est-ce qu'on galère ici dans la souffrance de l'esclavage. Donc cette idée... Cette idée panafricaine, qui ne s'appelait pas comme ça, évidemment, elle a voyagé depuis les premiers Africains, et tu remarques bien, je ne dis pas esclaves, je dis captifs africains, africains mis en esclavage, qui se donnaient une raison de rêver à mieux que ce qu'ils vivaient. D'accord. Mais le socle fondamental de cette idée-là, c'est quoi ? Et c'est là peut-être où mon travail pousse un peu plus en profondeur, c'est les survivances des traditions africaines exportées aux Amériques. parce que Imagine, on est au 17e siècle, les années 1600, au 18e siècle si tu veux. Qu'est-ce qui fait que quelqu'un rêve de liberté alors qu'il est soumis à l'esclavage ? Où est-ce qu'il va chercher son sentiment de dignité alors qu'on fait tout pour faire de lui un moins qu'un animal ? Ou au minimum un animal ? Où est-ce qu'il va chercher son sentiment d'identité alors qu'on l'a arraché à sa terre depuis déjà deux ou trois générations et on le fait souffrir fouet au dos, etc. C'est les restes de sa tradition africaine qui lui ont été transmises depuis ses parents ou ses grands-parents, etc. qui lui donnent un sentiment d'identité et surtout un sentiment d'identité dans lequel d'autres Africains qui viennent d'autres cultures africaines se retrouvent aussi. ça dure C'est pas au XVIIIe siècle, les Africains qui se battent pour leur émancipation, c'est pas parce qu'ils ont lu les textes des siècles des Lumières. C'est pas Rousseau qui fait dire à l'esclave africain, non, tu es un homme libre, etc. Le nègre marron, il s'inspire de quoi ? C'est quoi un nègre marron ? C'est quelqu'un qui refuse d'être un esclavage, qui brûle les plantations s'il faut. Certains vont massacrer les maîtres, et puis ils vont fuir de leur captivité, partir se retrouver dans les collines, dans les forêts, dans la jungle, former des communautés. avec les Amérindiens qu'ils vont rencontrer là-bas. Et là-bas, ils rencontrent d'autres Africains. Ils ne parlent pas la même langue, mais il y a quelque chose qui fait qu'ils se retrouvent. C'est la tradition. Il y a eu des phénomènes, il y a eu des nègres marrons à la Barbade, des nègres marrons en Jamaïque. Il y en a qui ont, leur nom est resté dans l'histoire, Kodjo et puis Nani. Dans le billet de banque, je ne sais plus de combien de dollars en Jamaïque, tu as l'image de Kodjo. Mais Kodjo, c'est un nom typiquement de...
- Speaker #1
Mais bien sûr, de Nigeria, la zone, cette zone-là. C'est ça,
- Speaker #0
ce qu'on appelle l'Ajatado, c'est-à-dire Bénin. Les Ivoiriens vont dire Kodjo, etc. Tu retrouves ce nom-là. Et ces Africains qui se retrouvent là-bas se reconstituent une identité. avec les morceaux de mémoire qu'ils ont des ancêtres. Ils vont reconstituer des rites et des rituels qui vont leur permettre de faire vivre leur héritage. Exactement. Quand tu prends le vaudou haïtien, ou bien la candomblé au Brésil, qui sont les rites afro-descendants, en quoi est-ce qu'ils sont différents du vaudou au Bénin, par exemple ? Les vaudouisants en Haïti, pour cacher leur pratique du vaudou, devaient faire semblant d'être des catholiques. Donc ils mettaient des images de saints catholiques. Tu ne vois pas ça chez les protestants, n'est-ce pas ? Les saints, c'est surtout chez les catholiques. Ils devaient mettre des images de saints catholiques. Pour donner l'impression qu'ils vénéraient les saints comme des bons catholiques. Alors qu'en réalité, c'est les symboliques qu'il y avait sur les images des saints catholiques qu'eux vénéraient. Donc si tu prends Saint Patrick, c'est celui qui a dompté des serpents. Il a chassé des serpents. Donc dans l'image de Saint Patrick que tu retrouves en Irlande, tu vois Saint Patrick et tu vois des serpents. Donc les maîtres, si tu veux, eux, ils voyaient... Ils disaient, regarde, des Africains stupides qui essayent de faire comme nous, mais ils le font maladroitement, mais au moins ils essayent d'être de bons catholiques. En réalité, eux, c'est l'image du serpent qu'ils étaient en train de vénérer.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Mais maintenant, c'est qui le serpent ? C'est quoi le serpent ? Le serpent, tu le retrouves même dans les traditions de l'Amérique centrale et de l'Amérique latine. Au Mexique, il l'appelait Quetzalcoatl, le serpent à plumes. C'est quoi le serpent ? D'abord, c'est celui qui connaît les secrets de la Terre. Donc ce n'est pas le serpent pour le serpent, c'est le fait de dire connaître les secrets de la Terre. Deuxièmement, c'est quoi le serpent ? Le serpent, quand tu vois son ondulation comme ça, c'est la représentation de comment les énergies se déplacent dans l'espace. Donc si tu regardes le serpent, tu te dis, mais il vénère un serpent. Non, ce n'est pas le serpent. C'est le principe de connaître les secrets de la Terre. C'est le principe de comment l'énergie voyage. D'ailleurs, c'est ce qu'on appelle une courbe sinusoïdale.
- Speaker #1
Oui, bien sûr. Quand quelqu'un va à l'hôpital, on lui met pour voir les battements du cœur.
- Speaker #0
C'est comme ça qu'on sait qu'il est vivant. Tu vois, si ça fait ligne droite.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
D'accord ? Donc, ils ont gardé, ils ont dû se reconstituer, à partir de bribes de culture par-ci, par-là, une identité. créolisée, mais pour la survie. Donc, quand tu vois un esclave qui rentre en trans, un Africain mis en esclavage qui rentre en trans, qu'est-ce que tu vois en fait ? Tu vois quelqu'un qui prête son corps à une divinité. Et même le mot divinité, je veux le préciser, c'est pas ce qu'on dit en français. Mais en réalité, c'est quoi ? C'est que du point de vue psychique, tu sais, tu as le conscient et tu as le subconscient. Donc, dans la partie subconsciente, tu as des personnages qu'on appelle des archétypes. Tous nos conditionnements sont des mises en scène des archétypes qui dominent notre psyché, notre appareil psychique. La façon dont on se comporte, la façon dont on interprète le monde, tout ça ce sont des conditionnements subconscients. C'est les personnalités de notre subconscient qui prennent le dessus et qui conditionnent notre façon de vivre. Même le fait que je parle comme je parle, que je bouge comme je bouge, ça c'est pas conscient, ça se fait tout seul. Donc la personnification de ces archétypes-là, c'est ce que nous les Africains on appelle les divinités. Mais le fait de le dire en français, vu que nous sommes conditionnés par l'évangélisation, l'islamisation, on se dit, nous on a un dieu, eux ils parlent de plusieurs dieux, etc. Mais ça c'est des erreurs de langage. En réalité on parle de personnification du subconscient. Donc quelqu'un qui rentre en trance, qu'est-ce qu'il manifeste ? Si tu parles le langage... conventionnel, tu diras, il est possédé par un esprit. Il est possédé par une divinité. Mais si tu comprends d'un point de vue psychique ce qui se passe, c'est une mise en scène de personnalité. C'est une mise en scène de son propre subconscient.
- Speaker #1
C'est son subconscient qui prend vie.
- Speaker #0
Qui se manifeste, qui émerge. Donc son conscient s'éteint. Donc il rentre en transe. Il ne se contrôle plus, il ne sait pas où il est. Il n'est plus là. et la divinité prend le dessus. C'est quoi cette divinité ? C'est les personnages de son propre subconscient qui émergent. Et les traces de ces... C'est quoi les archétypes ? Où est-ce qu'on retrouve les archétypes ? Tous les contes et légendes. Ce sont des récits archétypaux, tous les contes et légendes. Quand on te dit le petit poussé, les sept nœuds, quand on te dit Ali Baba et les quarante voleurs, il faut aller chercher le trésor dans la grotte, mais il y a un dragon qui garde l'entrée de la grotte. On parle de ton subconscient. La grotte, c'est toi. Le trésor dans la grotte, c'est toi. Mais le dragon à l'entrée aussi, qu'il faut battre pour aller chercher le trésor intérieur, c'est toi. Le chevalier qui doit réussir à combattre, c'est toi, etc. tous les contes et légendes, en réalité, sont des mises en scène folkloriques de processus du subconscient.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Donc, je reviens maintenant, vu que j'ai donné cette lecture des choses, l'Africain en esclavage, qui rentre en transe, et comme on dit, qui est chevauché par un esprit, en réalité, c'est quoi ? C'est que pendant la journée, son corps,
- Speaker #1
il est soumis à des tortures.
- Speaker #0
Au pire des tortures, au pire des sévices. Mais la nuit, C'est une divinité, c'est un dieu qui habite son corps. Il n'y a pas plus grand privilège que ça. Son corps devient son espace de liberté. Son sacralité, liberté, corporeité vont ensemble. Donc ce langage-là du traditionnel, de l'expression du subconscient, etc., c'est ce qui fait que l'esclave qui vient de telle région de l'Afrique, l'esclave qui vient de telle région de l'Afrique, même s'ils ne parlent pas la même langue, ils se retrouvent dans la même symbolique archétypale. Donc ils peuvent recréer des rites. et donner un sens à leur vie, donner un sens à leur origine. L'un va dire Éthiopie, l'autre va dire Guinée, l'autre va dire ceux qui viennent de Yoruba, il est, il fait. Chacun va avoir cette même idée-là du mythe subconscient qu'on appelle le mythe du héros. Le héros, c'est quoi ? Le héros, c'est celui qui est appelé à l'aventure. L'aventure l'oblige à sortir de l'ordinaire, malgré lui. traverse des épreuves, combat des géants, des titans, des démons, ce que tu veux. Ce faisant, il se transforme lui-même et ensuite il retourne chez lui avec une nouvelle conscience, une nouvelle façon de voir et il libère son peuple. Mais le héros, c'est toi. Les géants qu'il faut combattre, c'est toi. L'appel à l'aventure, c'est toi. Le voyage, les épreuves, c'est ce qu'on vit dans le quotidien. Et cette structure archétypale, c'est ce que tu retrouves dans tous les récits. Tous les récits sont des expressions folkloriques. de parcours archétypaux. Donc c'est ce qui fait que l'idée panafricaine, même si elle n'est pas appelée comme ça, sera toujours un rêve présent dans la conscience des Africains, parce que lorsqu'on dit l'idée panafricaine ou bien l'unité africaine, de quoi est-ce qu'on parle ? En fait, c'est une toile de fond. C'est pas une finalité. C'est le nom qu'on donne à un rêve inconscient. C'est pour ça que ça a survécu pendant plusieurs siècles et que ça continuera à vivre. Aujourd'hui, institutionnellement, ça a pris une autre forme. On dit « Agenda 2063 » . En 2013, on a dit « Ok, 50 ans depuis 1963, les prochains 50 ans, Agenda 2063 » . Mais ça, c'est la forme institutionnelle. Mais fondamentalement, la justification de pensée panafricaine, la tradition nous rapproche beaucoup plus que l'on pense, que ce que le politique, pas la politique, le politique nous permet de penser.
- Speaker #1
Ok, donc si je comprends bien, et si je résume bien ce que tu veux dire. Donc les premières traces, en tout cas, de panafricanisme remontent déjà à ces temps d'esclavage, ou quand peut-être il y avait des cérémonies, ou il y avait des choses. Même s'ils ne se comprenaient pas dans les langues,
- Speaker #0
ces Africains se reconnaissaient dans la pratique traditionnelle.
- Speaker #1
Et donc, créer une unité.
- Speaker #0
En tout cas,
- Speaker #1
des communautés avec des similitudes.
- Speaker #0
Voilà, c'est ça.
- Speaker #1
Et donc, cette idée de peut-être rentrer et de créer quelque chose, si on arrive à se libérer et tout, cette idée, en tout cas, de panafricanisme, Voilà. née dans cette période-là.
- Speaker #0
Exactement. Parce que c'est une façon de mettre en scène ce que le subconscient collectif de ces Africains en captivité partage.
- Speaker #1
Partage,
- Speaker #0
ok.
- Speaker #1
Et aujourd'hui, pour toi en tout cas, tu penses que, certes d'un point de vue politique, il y a des choses qui peuvent être mises en place pour aider à construire ça, mais qu'aujourd'hui si on veut réussir à construire ça, c'est plus... dans la tradition et dans le partage des traditions, dans le partage de nos réalités ?
- Speaker #0
En partie, en partie. Là, je mets un peu de piment encore, si tu permets.
- Speaker #1
Ben si, on aime ça quand c'est saf.
- Speaker #0
Parce que vraiment, ça fait plus de 20 ans que je réfléchis à ces questions et chaque fois je découvre des dimensions auxquelles je n'aurais pas pensé si l'investigation ne m'avait pas poussé aussi loin. d'abord Il y a d'autres mythes qui se sont construits et qui aujourd'hui ne nous rendent pas service. Aujourd'hui, quand on entend parler d'unité africaine ou de panafricanisme, parce que ce n'est pas tout le monde qui rêve de l'unité, etc., mais on va parler de l'éveil panafricain, il y en a qui vont en parler, mais de façon, à mon sens, très maladroite. Ils vont dire oui, retour aux sources. Mais quel est le prix à payer ? Quel prix ils sont prêts à payer pour retourner aux sources ? Je dis ça parce que même lorsqu'on parle d'unité africaine ou de l'éveil de l'Afrique, à notre insu, on parle de la façon dont le colon nous a appris à parler. Parce que, regarde, notre conception de la république, c'est l'héritage colonial. Les fonctions républicaines, notre façon de contester l'autorité. notre façon de comprendre le pouvoir, notre façon de constituer nos constitutions. Tout ça, c'est l'héritage colonial. Je ne dis pas qu'il faut rejeter. Je dis que même ceux qui veulent remettre en cause, et au nom du retour aux sources, leur façon de penser, de vivre ensemble, donc cette chose publique, la res publica, ils pensent comme le colonneau nous a appris à penser. Donc, comment est-ce qu'on va contester ? Parti politique, parlement, etc. Donc, déjà, la première des choses, c'est que si on doit faire une remise en cause, si on doit réviser notre façon de vivre ensemble, ça va beaucoup plus loin que la simple contestation. Deuxièmement, le retour aux sources, de quoi est-ce qu'on parle ? Parce qu'est-ce qu'on parle d'un retour aux sources tout aussi fantasmé, ou bien on parle de comprendre philosophiquement quelles sont nos valeurs ? Et ça, déjà, de moins en moins d'Africains, ils sont capables de le faire. Si je te dis que dans la tradition africaine, On est attaché fermement à ce qu'on appelle la réincarnation. Est-ce que tu savais ça ?
- Speaker #1
Non.
- Speaker #0
Je te le dis. La réincarnation est fondamentale dans la tradition africaine. Parce que dans la tradition, il n'y a pas de fin du monde. Il y a la fin de ton monde. Et puis il y en a un autre qui recommence. Et ça, c'est à l'infini. Donc quand la vie est infinie, la mort fait partie de la vie. La mort est un passage vers une autre vie, mais à l'infini.
- Speaker #1
Ok. En gros, est-ce que c'est un petit peu pour faire le contraste avec, je vais dire, la religion catholique, la religion musulmane et tout, où on parle d'une fin du monde ?
- Speaker #0
Oui, par exemple.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Et tout ça, je le présente dans le sens de ceux qui disent oui, l'éveil de l'Afrique, quels prix ils sont prêts à payer pour cet éveil de l'Afrique ? C'est dans ce cadre-là que je cite ces exemples. Je ne dis pas qu'il faut adhérer ou pas.
- Speaker #1
Oui, oui.
- Speaker #0
Je dis justement, voilà, voilà un autre exemple. C'est que si tu es vraiment prêt à t'engager à l'éveil de l'Afrique... Qu'est-ce que tu es prêt à désapprendre pour apprendre comment être l'Africain que tu souhaitais être ? Parce que ce n'est pas un processus cumulatif. Ce n'est pas tu lis un bouquin, tu en lis un autre, tu en lis un autre, ce n'est pas ça. C'est un processus où il faut d'abord réussir à désapprendre de ton propre conditionnement, même en tant qu'Africain, pour ensuite apprendre ce qu'il faut. Et ce travail-là, ça requiert... Ce n'est même pas un travail intellectuel, ça demande de la bravoure philosophique. Parce que ça te demande de faire face à des siècles de conditionnement. Deuxièmement, enfin troisièmement, je ne sais plus, c'est qu'on raisonne l'éveil de l'Afrique comme au milieu du XXe siècle. C'est-à-dire qu'être panafricain ou vouloir l'éveil de l'Afrique, ça veut dire être anti-ceci, anti-cela. Mais tant que tu dis je suis anti-Occident ou anti-ceci, anti-cela, Tu es en train d'affirmer ta dépendance parce que tu te définis à contrario de tel. Donc ça veut dire que qui tu es, tu dépends encore de l'autre.
- Speaker #1
Je comprends ce que tu dis. C'est très fort ce que tu veux dire.
- Speaker #0
Pour moi, tant et aussi longtemps qu'on définit l'éveil de l'Afrique dans cette lecture victime, revanche, contre, etc., tu n'es pas dans l'éveil de l'Afrique, mon gars. Tu es encore en train de jouer le jeu du colon.
- Speaker #1
Parce que tu le places encore dans une position où il est important.
- Speaker #0
Tu as encore besoin de lui pour lui pointer le doigt. Tant que tu lui pointes le doigt, tu peux dire ce que tu veux. Il fait toujours partie de l'équation. Voilà, exactement. Tu as besoin de lui pour te définir. Donc toute cette rhétorique anti-ceci, anti-cela, France dégage... Je dis non. Je suis très d'accord. Ça a marché à un moment donné, parce qu'à un moment donné, les conditions historiques demandaient cette façon de penser. Mais aujourd'hui, on le dit en relation internationale, le cadre de référence du monde actuel, il y a un acronyme pour ça. On dit VUCA. V-U-C-A. Volatile, uncertain, complexe and ambiguous. Le monde dans lequel on vit, il est volatile. N'importe quel moment, d'ailleurs on le voit partout, à n'importe quel moment, ça peut péter. Il est uncertain. Donc même quand tu viens avec une théorie idéologique bien cadrée en disant voilà comment pensait le monde, ça, ça marchait pendant la guerre froide. Où il fallait ceci ou cela. Aujourd'hui, le monde est incertain. Il est complexe. Donc tu ne peux pas le raisonner de façon binaire. Donc quelqu'un qui interprète le monde pire, qui guide les gens en disant voici les bons, voici les méchants, en pensant bien faire, en réalité, il les coince au XXe siècle. Et le monde est ambigu. C'est-à-dire qu'une chose peut signifier à la fois X et Y. Ceux qui font de la physique quantique y comprendront encore mieux ce que je viens de dire. Cette ambiguïté fait partie des éléments qui nous permettent de penser le monde. Volatile, uncertain, complexe and ambiguous. Le vrai leadership aujourd'hui, qu'il soit africain ou même ailleurs dans le monde, c'est comment tu composes avec cette volatilité, cette incertitude, cette complexité, cette ambiguïté. Et si face à ça, toi tu raisonne, on raisonne encore en termes de voilà les bons, voilà les méchants, nous on est ceci, eux ils sont ici, ceux-là, je comprends pourquoi on fait ça. Mais ce n'est pas le propre de notre époque. Un autre aspect aussi, c'est que raisonner en binaire, dans un monde, et ça c'est l'effet de levier des technologies et de l'intelligence artificielle, raisonner en binaire dans un monde qui lui évolue de façon exponentielle. C'est marcher à reculons. On n'est plus dans un monde où il faut dire voici X contre Y. On aimerait ça, parce que le grand nombre a besoin d'une lecture simpliste. Mais en réalité, on est dans un monde de systèmes complexes. On est dans un monde d'exponentiel. Tu sais, quand tu regardes une courbe exponentielle, c'est quoi ? C'est que ça monte comme ça, ça monte comme ça, ça monte comme ça, et puis à un moment donné, tu as un point d'inflexion, et puis ça monte comme ça. On ne peut pas raisonner en binaire dans un monde qui fonctionne de façon exponentielle. Tu vois, même les instruments qu'on utilise, en technologie, la puissance de calcul des instruments qu'on utilise, aujourd'hui, les données ont quelque peu changé, mais tu as un principe qu'on appelle la loi de Moore, qui veut dire la puissance de calcul ... double chaque 18 mois. Donc quand tu as la puissance de calcul de nos appareils qui double chaque 18 mois, ça fait comme ça. Mais si toi tu raisons encore en termes de ça, c'est le bon, ça c'est le méchant, pendant qu'on est dans un monde qui évolue de façon... Tu vas être largué. Voilà. Donc la grande difficulté, elle est là. C'est d'abord de désapprendre ce discours-là qui va charmer les affects. Un discours qui se comprend tout à fait parce qu'on n'est pas encore sortis de la galère. mais c'est de le désapprendre pour pouvoir apprendre autre chose. Moi, je suis beaucoup plus attaché à l'ingéniosité, la créativité et l'innovation qu'au discours antagoniste.
- Speaker #1
Mais alors, tu es beaucoup plus attaché à ça, mais aujourd'hui, on est dans cette ère des réseaux sociaux. On est dans cette ère des TikTok, aussi, de ça. où tout le monde peut parler, tout le monde peut prendre la parole. C'est plus ces discours antagonistes qui vont faire du clic, qui vont faire du partage, qui vont faire réagir, qui vont faire du commentaire. Et donc c'est eux qui vont être les plus propagés. Donc finalement, si on reste dans la réflexion où on est depuis tout à l'heure, toi et moi, c'est qu'on est dans une boucle. où ça va être très difficile d'en sortir parce qu'on ne va pas vers une situation où on va se libérer de ces réseaux sociaux. Au contraire, on est dans une situation où on est de plus en plus en plus en plus dépendant de ces modes de consommation. On parle d'addiction.
- Speaker #0
Alors, est-ce que tu vois maintenant l'intérêt de la pensée philosophique ?
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
C'est que c'est justement pour ça qu'on a besoin de pensée philosophique. C'est qu'on a besoin de prendre conscience de ça, de constater, et puis on a besoin d'avoir assez de recul, ce qui n'est pas évident parce qu'on lutte contre une addiction, effectivement. Ce qu'on n'arrive plus à faire aujourd'hui, ou en tout cas qu'on arrive très difficilement à faire aujourd'hui, c'est avoir une vue d'ensemble. Parce qu'on est dans un raisonnement type TikTok. Et les algorithmes orientent le type de consommation parce que ce sont des business models qui vont satisfaire les grandes boîtes en question.
- Speaker #1
Parce que ce que les gens oublient, c'est ça. Je dis une bêtise, aujourd'hui tu consommes un contenu de quelqu'un qui critique la France. Tu likes, tu commentes, l'algorithme voit que tu as liked et tu as commenté, il ne va pas te proposer des choses qui vont contre ça, pour te donner une autre vision et te permettre de réfléchir. Il va dire, tu aimes ça ? Je ne vais t'envoyer que du contenu comme ça.
- Speaker #0
Et puis tu n'as pas de... En fait, ce qui est remis en cause, je vais dire un gros mot, c'est ce qu'on appelle l'épistémologie.
- Speaker #1
C'est quoi l'épistémologie ?
- Speaker #0
L'épistémologie, c'est la façon de construire ton discours, la façon de construire ton raisonnement. D'accord ? Donc d'un point de vue scientifique. C'est-à-dire que quand tu développes une thèse, une théorie, il y a toute une façon de structurer ta pensée.
- Speaker #1
D'accord.
- Speaker #0
Donc ce qu'on dénonce là maintenant, c'est que d'un point de vue épistémologique, nul. Parce qu'on te donne quoi penser, on te donne l'impression que ça te fait comprendre ce qui se passe. Tu subis ce qu'on appelle le confirmation bias. C'est-à-dire que tu veux croire quelque chose, donc tout ce que tu vas voir va confirmer ce que tu veux croire. Et le... Le terme vient d'anglais. Non,
- Speaker #1
tu peux le dire en anglais, c'est pas grave.
- Speaker #0
Le feedback loop va faire que plus tu veux de confirmation pour ce que tu crois, plus tu auras d'éléments qui vont te confirmer, plus tu vas y croire, plus tu auras d'événements qui vont te confirmer et puis tu rentres dans cette dynamique-là. Mais ça, ça veut dire que ... La structuration de ta pensée, non seulement elle est limitée, mais elle est réduite à quasiment zéro. Parce que ce n'est pas ta pensée. Là, tu es dans la consommation de masse média. C'est ça. Alors que dans une vraie démarche de réflexion critique, c'est que tu dois être capable autant de démontrer le bien fondé de l'hypothèse que tu défends, mais tu dois être capable de démontrer que les hypothèses contraires ne tiennent pas la route. Toi seul, tu dois être capable d'aller dans les deux sens. Donc, si tu ne fais que chercher à confirmer ce que tu penses, tu peux aller dans toutes les directions, tu vas chercher simplement ce qui te convient. Alors qu'un vrai travail épistémologique, c'est que tu dois être capable de construire ta pensée et déconstruire ta propre pensée. Et ça, ce n'est pas ce qu'on fait avec les réseaux sociaux. Et puis, c'est ce qu'on voit aussi lorsqu'on utilise LLM, Large Language Models aussi. Tu vois des gens qui ne savent pas vraiment utiliser les LLM, qui vont sur que ce soit Gemini, Cloud, ChatGPT, etc. Ils pensent qu'ils parlent à quelqu'un, posent une question, ça répond, ils impriment et puis ils disent « oui, j'ai la réponse » . Parce que comme c'est bien articulé, donc ça doit être vrai. Et ça, c'est un piège. Parce que ça veut dire qu'il suffit que quelqu'un soit de façon artificielle, de façon réelle. Que quelqu'un articule bien, dise bien, ça sous-entend que c'est vrai. Et c'est souvent ça qu'on a avec les contenus sur les réseaux sociaux. Quand je donne cours de relations internationales, tu sais, l'une des grandes difficultés que je rencontre, c'est quoi ? C'est quand j'ai en face de moi une étudiante, un étudiant qui dit « j'ai compris comment le monde fonctionne » , il y a une poignée de personnes qui contrôlent tout le monde. Là, quel que soit ce que tu as à dire sur comment penser les relations internationales, ça ne sert à rien. C'est-à-dire, elle te fait comprendre que, en fait, elle a compris ce que toi, tu n'as pas encore compris. Et qu'en réalité, le monde est dirigé par un petit groupe de personnes qui tirent les ficelles. Et là, tu te retrouves là. Tu dis quoi à quelqu'un qui a 20 ans et qui est déjà convaincu qu'elle a compris comment le monde marchait, et puis voilà comment le monde marche. Quel que soit le niveau de réflexion critique que tu essaies de cultiver, zéro. Ça ne sert à rien. Soit c'est ça, soit c'est la pensée binaire dont je t'ai parlé tout à l'heure. Ouais, c'est compliqué.
- Speaker #1
Non, c'est compliqué, mais tu vois, par exemple, aujourd'hui, parce qu'on parle des réseaux sociaux, tu vois, on pourrait penser aussi qu'avec cette connectivité, avec ce fait que la personne qui est à Dakar peut envoyer un message à la personne qui est à Cotonou, qui peut transférer le même message tout de suite, on est hyper connecté. Donc, on pourrait penser que, justement, Cette idée d'unité africaine pourrait être plus facile aujourd'hui de par ce côté qu'on n'a jamais été aussi proches les uns des autres.
- Speaker #0
C'est maintenant que c'est encore plus évident d'évoluer vers cette unité africaine. En partant du principe qu'une unité africaine, c'est une toile de fond. Maintenant, plus que jamais, on peut le faire. Un, il y a un chercheur qui s'appelle Parakana qui disait l'interconnectivité est désormais plus importante que la souveraineté. D'accord ? Parce que l'interconnectivité, c'est ce qui permet, je vais faire un exemple concret et puis je rentre dans le détail. Ce que je n'ai peut-être pas assez détaillé, indépendamment de mon travail en tant qu'enseignant en philosophie, J'ai monté une entreprise qui fait, ça n'a rien à voir avec la philo, mais moi j'ai une démarche philosophique derrière, une entreprise qui fait de la recherche dans la génomique. D'accord. La génomique, si tu veux, c'est le génome, donc c'est la carte génétique d'une personne. Mon entreprise, ce qu'on fait, c'est du renforcement de capacité, la recherche et le développement en génomique. Donc aider les scientifiques, les généticiens africains, à collaborer avec les généticiens à l'échelle globale, que ce soit dans les universités, l'industrie pharmaceutique, etc., OU contribuer à la lutte contre le cancer et les maladies infectieuses. D'accord. Donc moi, je ne suis pas le chercheur en tant que tel, mais je suis le porteur de projet qui a monté cette entreprise. Je travaille avec des oncologues, donc ça c'est les spécialistes du cancer, des généticiens, spécialistes en bioinformatique, etc. Mais les ingénieurs qui travaillent avec moi, ils sont en Inde. La spécialiste en droit des biotechnologies, elle est aux États-Unis. Certains des chercheurs clés dans mon écosystème, ils sont au Canada, aux États-Unis. Togo, etc., Suisse, mais l'entreprise est sénégalaise. C'est bien qu'on aborde ça parce que c'est dans ce sens-là que je veux aller. On vit dans un monde aujourd'hui où l'interconnectivité nous permet de créer de la valeur de façon globale. On peut penser cette intégration, cette unité africaine, une fois qu'on a désappris nos mauvais réflexes ou nos vieux réflexes, on peut penser l'unité africaine complètement différemment aujourd'hui. Par exemple, Quand tu prends la démocratie, au sens classique, la participation à la conception, la prise de décision, etc. Tu as des méthodologies qui permettent de créer des solutions. Design thinking, comment design une solution, comment faire émerger une solution. Tu as plein de méthodologies de créativité pour la résolution de problèmes. Si tu prends une communauté et que tu la formes... au design de solutions. Une communauté qui sait diagnostiquer ces problèmes, qui a été formée au design de solutions, est capable d'elle-même, à partir de cette connectivité, des outils, etc. Elle est capable elle-même de générer les solutions à ses propres problèmes. Ça veut dire que tu fais émerger la solution par induction. C'est-à-dire que c'est par elle-même et par la réalité du terrain que tu fais émerger la solution. Ce qui est différent de l'approche classique qui est d'élire quelqu'un qui prend la décision pour tout le monde. Qui prend la décision pour tout le monde en disant, c'est moi qui ai été élu, on m'a fait confiance, voici le meilleur projet possible. Et puis tant bien que mal, il est temps de mettre en œuvre ce projet. Les outils, la connexion, qu'elle soit mobile, etc., ça nous permet de mettre en œuvre justement cette capacité-là de générer des solutions, de réfléchir en groupe, collaborer, faire émerger des solutions de bas vers le haut. Et ça, pour moi, c'est beaucoup plus évident. D'abord, ça, c'est ce qu'on appelle démocratie participative. Et c'est beaucoup plus évident de s'en servir comme effet de levier pour aller vers cette unité africaine. donc de ne plus en parler comme on parlait les générations précédentes, de ne plus en parler de façon purement antagoniste par rapport à l'Occident, oui, on veut nous exploiter. Ce n'est pas que c'est faux, mais le curseur, la cible, elle n'est pas là. La cible, c'est, aujourd'hui, comment est-ce que des collectivités qui ont des problèmes de sécheresse... qui ont des problèmes d'électricité, d'approvisionnement, etc. Comment est-ce qu'elles arrivent à diagnostiquer exactement leurs problématiques ? Et comment est-ce qu'elles peuvent utiliser, par exemple, leur téléphone mobile pour collaborer, réfléchir ensemble de façon participative ? Et puis, comment est-ce qu'elles peuvent générer des solutions ? J'utilise le mot « générer » à plusieurs égards. L'IA générative sert à ça. Donc on peut tester des hypothèses, générer des solutions. C'est le propre même du design de faire ça. D'ailleurs, tout mon travail doctoral tournait autour de ça. Comment s'inspirer des méthodologies du design et des systèmes d'information pour l'optimisation du processus intégrateur de l'Afrique, en prenant comme toile de fond l'agenda 2063. Mais aujourd'hui, plus que jamais, en fait, on peut le faire.
- Speaker #1
Alors, moi, je pense qu'effectivement, aujourd'hui, plus que jamais, on peut le faire parce que pour cette unité africaine, moi, pour moi, tu vas me dire ce que tu en penses et si je me trompe, je trouvais ça dur de réaliser cette unité africaine quand on est... Même si on a tellement de similitudes entre nous, tu as les pays anglophones, tu as un pays comme le Sénégal, où... Je vais dire aujourd'hui, le Wolof a repris une place prédominante et finalement, le français n'est plus aussi assimilé et un moyen de communication mondial. Tu vois, tu as des... T'as des pays qui se nationalisent.
- Speaker #0
Oui, oui.
- Speaker #1
T'as plein de... T'as plein, finalement, de différences qui font qu'aujourd'hui, avec l'IA, par exemple, le Sénégal peut garder son authenticité via sa langue. Mais avec l'IA, on le voit, par exemple, Metal qui a présenté des lunettes où ils te font la traduction en direct, les écouteurs où ils te font la traduction en direct. Les facilités de communiquer, les facilités d'engager, de partager, la rapidité que ça a aujourd'hui peut amener à faciliter cette unité africaine.
- Speaker #0
C'est ça. C'est-à-dire qu'on parlerait d'unité africaine non pas au sens politique, comme on en parlait avant, on parlerait d'unité africaine au sens d'unité par projet. On peut collaborer par projet, d'envergure diverse. Et c'est là que ça devient intéressant. Oui, pardon.
- Speaker #1
Mais pour que ces projets fonctionnent, il faut aussi qu'il y ait une unité politique. Non ?
- Speaker #0
Oui et non. En fait, c'est une très bonne question. Je crois que c'est plutôt l'inverse.
- Speaker #1
Ok.
- Speaker #0
Toi,
- Speaker #1
tu le vois plus dans l'autre sens. Oui,
- Speaker #0
parce que moi, je pense en designer. Et le designer, fondamentalement, ce qu'il faut, c'est un prototype. D'abord, quand on parle d'innovation, c'est lorsque tu incites le processus. Tu passes par la phase de prototype, tu passes par des phases d'expérimentation. Et quand tu fais de l'expérimentation, c'est quoi ? Itération, expérimentation, feedback, correction, réitération, expérimentation, feedback, correction, etc. Donc, pour que les politiques embarquent...
- Speaker #1
Il faut déjà leur prouver.
- Speaker #0
En fait, il faut déjà avoir la preuve de concept. Donc, c'est lorsque tu le fais à petite échelle et ça marche... que là, tu peux embarquer les politiques. D'abord, le côté cynique, c'est d'abord parce que si ça marche, ça peut tirer profit à, en tout cas, à certains des politiques qui n'ont pas nécessairement la vision de la noblesse, de la pensée politique. Mais de façon concrète, le fait de faire ça, c'est ça qui est politique. L'expérimentation par la collaboration, c'est ça qui est politique. Parce que politique, ça veut dire quoi ? Polistiquing, la gestion de la cité, la gestion de la vie de la cité. Donc cette phase expérimentale de l'émergence de projets, De facto devient politique. La question c'est que est-ce que nos appareils politiques, nos appareils d'État, sont prêts à intégrer cette façon de faire ? Et moi je pense que oui. Tu sais, oui, mais je dis oui avec un bémol. Ici, il n'y a pas un bureau des services publics où je suis rentré. Je suis allé pour proposer une approche design d'un projet où on m'a pas au minimum reçu. C'est ce qu'on appelle, excuse-moi, le principe du partenariat public-privé. Quand tu vas voir quelqu'un, que ce soit politique, que ce soit public ou quoi que ce soit, moi je viens te voir et puis je te dis, je pense avoir identifié ton problème et je pense avoir une solution. Ton réflexe, même si tu te dis, le gars là, il est peut-être fou. écoutons voir, il y a peut-être quelque chose d'intéressant à dire. Donc, vu le niveau de développement et les difficultés que nous avons de nos États, au minimum, ils sont ouverts à des expérimentations qui marchent. Est-ce qu'ils vont pouvoir l'intégrer ? Ça, c'est autre chose. Mais ça, je sais que ça marche parce que ça, je l'ai vécu, je l'ai vu. La deuxième des choses, c'est que beaucoup des problèmes que nous avons, qui paraissent être des problèmes politiques au sens classique du terme, ce ne sont pas des problèmes politiques, ce sont des problèmes mathématiques. Ce sont des problèmes mathématiques, ce sont des problèmes d'optimisation de processus, de retirer des goulots d'étranglement, et surtout des goulots d'étranglement dans des chaînes et des systèmes. Et aujourd'hui, justement, à travers le data science, etc., avec cette quantification du réel, on est capable de modéliser nos modes de fonctionnement. Et à partir de ces modélisations, aujourd'hui, beaucoup des problèmes qu'on a, tu peux les traduire en termes statistiques et probabilités. Et donc, tu peux les résoudre. En tout cas, tu peux amoindrir l'impact négatif des problèmes qu'on a par modélisation. Mais c'est ça qui est difficile, parce qu'on a l'impression que pour arriver à ça, ça aussi c'est un effet de la colonisation, on a besoin de maîtriser les technologies, on a besoin de maîtriser un certain nombre de conditions pour arriver à ce type de raisonnement. Ça, c'est l'ancienne façon de penser. Cette façon de penser dont je te parle maintenant, l'intérêt de la mondialisation, c'est que cette façon de penser, qu'on appelle « evidence-based » , elle est disponible. Mais nos gars qui ont été formés à la vieille école...
- Speaker #1
C'est difficile de les faire changer.
- Speaker #0
C'est difficile, parce qu'ils pensent encore l'ENA à l'ancienne. l'administration c'est comme ça, etc. Mais beaucoup des difficultés qu'on a ne sont pas d'ordre politique. Elles sont politisées, mais elles sont mathématiques. Je te donne un exemple. Quand tu prends les embouteillages le matin,
- Speaker #2
qu'on connaît tous,
- Speaker #0
on est capable de modéliser la circulation. Comment le faire ? Il y a toutes sortes de méthodologies pour le faire. Et puis qui ? Quels sont les participants ? Est-ce qu'il faut que les policiers aient des capteurs sur eux, qu'on les mette au feu, qu'on les mette à route ? des ingénieurs, des urbanistes, tout le monde peut travailler là-dessus, mais on peut modéliser. À partir du moment où on modélise les comportements urbains, on modélise la circulation, on peut traduire en data points ces modélisations, et de là, on peut projeter, anticiper, et donc déterminer des solutions basées sur les statistiques et les probabilités qui vont faire qu'il n'y aura pas d'embouteillage, en tout cas, il n'y aura pas d'embouteillage tel qu'on l'est connu aujourd'hui. Mais combien de responsables publics vont embaucher dans leur cabinet conseil des mathématiciens ? Qui va se dire, je vais à l'université, ça ce que je viens de t'expliquer là c'est ce qu'on appelle des mathématiques appliquées. Parce qu'en science, en recherche, tu as... la recherche fondamentale, c'est ceux qui développent les grandes lois. Physique, mathématiques, etc. Mais tu as les mathématiques appliquées. Là, c'est quand tu dis, je vais trouver un mathématicien qui va m'aider à résoudre ce problème précis. Mais quel décideur pense embaucher des mathématiciens pour leur dire, aide-moi à régler le problème de la pluviométrie ?
- Speaker #1
Ou des emboutages dont tu parlais.
- Speaker #0
Ce n'est pas un réflexe.
- Speaker #1
Mais donc moi, si je comprends bien, pour revenir à notre idée d'unité africaine, pour toi, aujourd'hui, il y a plus de chances que ça vienne par, je te dis une bêtise, une entreprise qui est au Nigeria, qui travaille en association avec une entreprise qui est au Sénégal, qui est au Côte d'Ivoire, qui développe quelque chose, qui prouve que ça marche, et qui après vont le présenter. à un gouvernement qui va faire des accords pour faciliter les échanges entre ces trois-là, il y a plus de chances que ça vienne par plusieurs projets comme ça que d'attendre des politiques et d'avoir un vrai projet politique global qui va dire, voilà, on crée cette unité africaine.
- Speaker #0
En fait, ce que tu viens de décrire là, pour moi, c'est ça, le vrai projet politique global. C'est de retourner à une phase d'expérimentation du vivre ensemble. pour qu'on puisse redéfinir ce que veut dire le vivre ensemble africain. Tu sais, cette connectivité qu'on a aujourd'hui, elle reproduit... Je vais dire deux choses. Un, c'est qu'il y a un mot en français qui, lorsque tu le traduis en anglais... Le sens inverse n'a pas exactement le même sens. En français, tu dis un ingénieur.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
D'accord ? Génie civil. Au départ, tu avais deux. Génie civil, génie militaire. Et puis, ça c'est Napoléon en passant qui a créé Polytechnique, l'école du génie. Donc tu vas dire un ingénieur. En anglais, comment tu dis un ingénieur ? Un engineer. D'accord ? L'ingénieur, c'est fondamentalement... Un problem solver. Quelqu'un qui est là pour résoudre un problème. C'est fondamentalement ça le rôle d'un ingénieur. Quel que soit le domaine du génie dans lequel il exerce. Mais en anglais, un engineer, c'est aussi un verbe. To engineer. Donc, quand il y a un problème, ça se dit au-delà du contexte technique, tu vas dire we have to engineer a solution. Donc on prend pour acquis Quand tu utilises le mot... Et ça ne se traduit pas en français. En anglais, c'est à la fois un nom et un verbe. An engineer and to engineer a solution. Mais il n'y a pas le verbe en français. To engineer, ça ne se traduit pas.
- Speaker #1
En français, tu veux dire quoi ? Générer, créer...
- Speaker #0
Voilà, mais tu vois, tu peux générer, mais ça ne signifie pas que c'est la solution. Tu vois, tu peux générer des solutions, mais tu peux la générer sans que ce soit le fruit d'un engineering. Ça peut être, j'ai entendu, j'ai répliqué. Là, tu as généré une solution en répliquant ce que tu as entendu. Mais tu ne l'as pas... construites de façon méthodique, expérimentales, testées, etc. Donc, l'idée, c'est de dire que c'est à nous, les citoyens, d'expérimenter. Les solutions, d'expérimenter les options et les hypothèses pour générer les solutions dont nous avons besoin, c'est ce qu'on appelle induction. D'accord ? Déduction, c'est on te donne une grande idée et tout ce que tu fais dépend de la grande idée. Ça, c'est déduction. Induction, c'est tu t'inquiètes. testes, et c'est le test qui te fait comprendre quelle est la grande idée. Donc, le principe pour moi, et c'est de ça dont on parle tout à l'heure, c'est que l'unité africaine n'est pas le résultat d'un travail. Pardon, n'est pas une idée qu'il faut forcer, mettre en œuvre. L'unité africaine devient le résultat... De plusieurs choses qui se mettent ensemble. D'ailleurs, en systémique, c'est ce qu'on appelle l'émergence. Le mot émergence, c'est un terme systémique, de la science des systèmes. Le principe de la systémique, c'est quoi ? C'est de dire que le tout est supérieur à la somme des parties. Si moi, je prends X, je prends tel truc, un objet, je prends un autre objet, je prends un troisième objet, qui a priori n'ont rien à voir ensemble. Dès que je le mets ensemble, il rentre en interaction. D'accord ? Dès que ces trois objets rentrent en interaction, du fait que ce soit trois objets distincts mais qui rentrent en interaction, cette interaction va générer quelque chose de nouveau qui émerge de par la condition de l'interaction de ces trois trucs qui, pris séparément, n'auraient pas fonctionné. Une voiture, tu peux prendre la voiture, tu peux prendre le système hydraulique, le système mécanique, la carrosserie, tu peux les prendre ensemble, tu peux les mettre, tu fais une voiture. Mais le système hydraulique de la voiture ne peut pas fonctionner s'il n'est pas lié au système mécanique. Il ne peut pas fonctionner. Donc la voiture qui roule, ça c'est l'émergence. Mais cette émergence, c'est-à-dire le fait que la voiture roule, elle est le résultat de l'interaction de chacune des parties. Le corps humain, c'est un système, c'est la même chose. Tu prends le cœur, c'est un système à part entière. Les poumons, c'est un système à part entière. Le système endocrinien, les hormones, c'est un système à part entière. Système cérébral, nerveux et tout ça. Mais ces systèmes sont des sous-systèmes d'un système global, qui est le corps humain. Si je retire ton cœur, le reste du corps ne fonctionne plus. Donc le fait qu'on soit vivant et qu'on fonctionne, c'est parce que chacune des parties mises ensemble sont en interaction. Donc cette unité corporelle et cette unité organique qui fait que je vis, je transpose le même principe à l'échelle maintenant des politiques publiques et de l'univers. L'unité africaine sera le fruit. de l'interaction optimisée des différents sous-systèmes de collaboration entre les Africains. Et c'est en ça que la technologie devient intéressante.
- Speaker #1
Justement, ça va être ma dernière question pour toi. Parce que j'ai vu, je ne sais plus c'est quel pays d'Europe...
- Speaker #0
Je voulais te dire un truc, excuse-moi. Deux exemples très très rapides. L'un des pays au monde qui est le plus intégré en termes de gouvernance des systèmes publics. par le digital. Tu sais c'est qui ? L'Estonie.
- Speaker #1
Je crois que c'est eux que je voulais te dire, parce que j'ai vu un article il y a 2-3 jours, il y a un président qui a mis une IA, ministre, et je crois que c'est l'Estonie ou Slovénie, c'est un pays d'Europe de l'Est de toute façon, qui a décidé de mettre une IA, je ne sais plus si c'est le premier ministre ou un truc comme ça, et... pour régler les problèmes. Et je me dis, est-ce que la solution pour l'unité africaine, ce n'est pas quand, justement, on va arriver à inclure l'intelligence artificielle dans nos process de décision politique en mettant tous les éléments parce que... Pour que les gens comprennent bien, c'est que l'IA, pour bien l'utiliser, c'est plus tu vas lui donner d'informations, de détails, de précisions et autres...
- Speaker #0
Tu vas l'entraîner.
- Speaker #1
Tu vas l'entraîner, qu'elle va te sortir des choses incroyables.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Tu vois ?
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Ça pourrait être une solution pour aujourd'hui, parce que ça reste quand même des décisions gouvernementales, qu'on le veuille ou pas, même si nous tous, la population, on décide d'aller vers cette unité africaine, ça reste des systèmes politiques qui doivent mettre des choses en place. Oui. Si demain, on a tous ces gouvernements qui décident d'aller d'une manière commune, de créer... Je suis dans une utopie totale. Mais une IA qui va un petit peu superviser tous ces pays et qui va peut-être créer le système le plus adapté à ce qu'on travaille tous ensemble. Mais ça, ils ne vont jamais le faire.
- Speaker #0
Non, mais il ne faudrait pas qu'ils le fassent comme ça, en tout cas. Il faudrait qu'ils incluent ça. Moi aussi, je veux dire quelque chose de gros. La recette. La recette de l'unité africaine. Les gars, ça fait des siècles qu'ils bossent dessus. Moi, je suis là.
- Speaker #1
On balance la recette. Les gars, on a la solution.
- Speaker #0
Écoutez-nous. Je vous sors la recette. Taf, taf. Vite fait. Vous prenez des oignons que vous coupez. C'est pas la recette pour l'éveil de l'Afrique. Oui, il faut la mise en œuvre de ces technologies. D'ailleurs, ce dont tu parles, c'est une approche de la technologie qu'on appelle la GovTech. D'accord ? Technologie de gouvernance.
- Speaker #1
Je t'écoute, je veux juste trouver le pays pour te dire. Donc tu dis la GovTech.
- Speaker #0
La GovTech en particulier, c'est de ça dont on parle, la GovTech. C'est IA et gouvernance.
- Speaker #1
Est-ce qu'il y a déjà des pays, mis à part celui dont je te parle, qui ont mis ça en place ? C'est en Albanie. Une ministre virtuelle générée par l'IA devant le Parlement.
- Speaker #0
Bon, mais voilà. Tu as l'Albanie, tu as la Lituanie, c'est les pays baltes. Tu as l'Estonie. C'est 98% des services publics qui sont digitalisés. 98%.
- Speaker #1
98%.
- Speaker #0
La présidente estonienne est venue au Sénégal il y a quelques années. Tu sais ce qu'on a fait ? Nous, on a envoyé des représentants en Estonie qui ont participé à des réunions. Ils sont revenus, voilà. C'est tout.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Bon. No comment.
- Speaker #1
Donc,
- Speaker #0
un, il nous faut cette GovTech dont on parle. Il y a des expérimentations qui se font en Angleterre, on appelle ça policy design. Donc c'est l'approche du design, mais pour penser les politiques publiques. Donc il nous faut ça. Mais si on n'a que ça, ça peut être dangereux, puisqu'on ne maîtrise pas encore l'IA.
- Speaker #1
Tout à fait.
- Speaker #0
D'accord ? On sait ce que ça peut nous permettre de faire, mais ce qui est encore plus dangereux, ce n'est pas l'IA, c'est nous-mêmes. D'accord ? C'est nous-mêmes. Les armes qui circulent, comme disent les gens, ce ne sont pas les armes qui tuent, c'est les gens qui tuent. Oui, d'accord, je veux bien. Mais avec cette IA, on peut faire beaucoup de bêtises aussi. Parce qu'il y en a qui savent, qui peuvent, s'ils ont des tendances à rester 40 ans au pouvoir. comme certains, cette IA, ça peut leur permettre de rester le double pouvoir s'il le faut. Donc il faut l'IA. Mais c'est là, plus que jamais, que la sagesse de nos traditions est importante. Parce que ce que nous, on a à offrir en termes de philosophie, de sagesse et de tradition, on n'est pas les seuls. Mais toutes les traditions endogènes, le point commun que tu retrouves, c'est quoi ? Balance, l'équilibre. D'ailleurs, c'est ce qui nous revient depuis l'Égypte ancienne. En Égypte ancienne, ce concept d'équilibre, il y avait deux noms, si tu veux. tu avais la maët. qui était le principe d'équilibre, d'accord ? Le principe d'harmonie, le principe d'équilibre, qu'on appelle la ma'at, c'était le terme égyptien. L'autre terme, c'était sematawi, ça veut dire que tous les cercles de l'existence sont imbriqués les uns dans les autres. Donc, le chef dans la tradition africaine, ce n'est pas un détenteur de pouvoir, c'est un gardien de l'équilibre. C'est ça, fondamentalement, un chef dans la tradition. Donc, quand tu vois aujourd'hui comment certains dirigent nos États, Ils se disent africains, mais en rien ils ne reflètent la chefferie au sens propre de la tradition.
- Speaker #1
Ok, je comprends ce que tu veux dire.
- Speaker #0
D'accord ? Donc, qu'on ait une IA ou IA générale, etc., on en a besoin en termes de levier technologique pour atteindre nos objectifs. Mais tant qu'on ne ressource pas notre façon de penser la vie publique dans la tradition...
- Speaker #1
On aura beau avoir la meilleure IA...
- Speaker #0
Un, ce n'est pas en tant qu'Africain qu'on va la gérer. Et puis deux, ça va peut-être servir une minorité de technocrates, mais ça ne servira pas le processus d'intégration de l'Afrique. D'accord ? Donc c'est la combinaison de sagesse et tradition, levier technologique, dans ce processus général qu'on appelle intelligence collective et collaborative, qui fera la différence. Pour terminer par rapport à ça, tu sais, la plupart des modèles de gouvernance s'inspirent en réalité d'un type de modèle en particulier, qui sont les modèles biologiques. C'est-à-dire qu'on oublie ça, mais en réalité, le vrai... modèles qui nous inspirent tous nos modèles de fonctionnement à part le modèle industriel qui date du milieu du 19e siècle croissance infinie consommant les ressources à l'infini qui ça n'est pas du tout naturel tous les modèles que nous connaissons sont basés sur la réplique d'un seul modèle la vie c'est les systèmes biologiques qui nous inspire notre façon d'organiser notre vie ensemble donc quand dit intelligence artificielle en gros qu'est ce qu'on fait C'est aussi du biomimétisme. On réplique un système biologique, on réplique le fonctionnement du système neuronal. Donc, en réalité, c'est ça qu'il ne faut pas faire de perte de vue. C'est que le vrai enseignant de l'humanité, c'est la vie elle-même. Et tant qu'on perd de vue les lois de la vie, les lois du monde vivant, Tant qu'on perd de vue la dignité de l'humain, et quand je dis la dignité de l'humain, ce n'est pas la grande terminologie philosophique, c'est le fait de dire, tant qu'on accepte que it's ok que des gens ne puissent pas manger à leur faim, tant qu'on accepte que it's ok que des gens n'arrivent pas à dormir sous un toit décent, que des gens n'arrivent pas à s'instruire... et dans la discipline de leur choix et vivre de leur choix. On peut dire ce qu'on veut, mais on est encore à côté de la plaque. Et ça, ça dépasse la question africaine. Moi, le constat que je fais, c'est que tu sais, on a tous appris ça en histoire. Ça fait des millions d'années qu'on a des chasseurs. Il y a des millions d'années, nos ancêtres étaient quoi ? Chasseurs, cueilleurs, pêcheurs. Ils se déplaçaient à travers les espaces parce qu'il fallait trouver de quoi survivre. Mais tu te rends compte que jusqu'à aujourd'hui, il y a encore des gens, des millions d'années après, qui sont à la hauteur de se déplacer. Chasseurs, cueilleurs,
- Speaker #1
pêcheurs,
- Speaker #0
qui vont prendre le bateau, la pirogue, essayer d'aller aux îles Canaries, ou bien les boats. C'est là la réflexion philosophique, c'est là qu'elle devient importante. Donc de grâce, qu'on arrête de me casser les noisettes à me parler d'émancipation de l'Afrique tant qu'on... On ne retourne pas à la source traditionnelle. Ça ne veut pas dire retourner dans le passé.
- Speaker #1
Ça ne veut pas dire retourner en arrière. Non,
- Speaker #0
ça veut dire puiser. Les institutions dans lesquelles on vit s'inspirent de la tradition au sens occidental. On pense la justice comme Socrate, Platon, Aristote nous l'ont enseigné. On pense le vivre ensemble. Qu'est-ce que tu apprends quand tu fais de la philo ou quand tu fais des sciences sociales à l'école ? Tu apprends encore la pensée de Blaise Pascal, la pensée de Spinoza, la pensée de John Stuart Mill. C'est ça que tu apprends. Mais en réalité, ce n'est pas juste de la culture générale. Ce qu'on appelle l'Occident, qui est un terme générique, ce qui les fait tenir, c'est qu'eux n'ont pas oublié leurs ancêtres.
- Speaker #1
Ils vivent toujours avec les principes de leurs ancêtres qu'ils adaptent à aujourd'hui.
- Speaker #0
Sauf qu'ils ne vont pas appeler ça l'ancestralité. Ils vont dire études classiques. Mais nous,
- Speaker #1
on a tout un système aujourd'hui. qui reposent sur leur modèle.
- Speaker #0
Exactement.
- Speaker #1
Et on veut construire quelque chose qui nous appartient.
- Speaker #0
À partir de ce modèle-là.
- Speaker #1
À partir de ce modèle-là.
- Speaker #0
Voilà, c'est là que ça ne va pas. Prenons le meilleur de ce modèle, et puis il y en a d'autres. Prenons le meilleur du modèle chinois. C'est fondamental d'étudier la... Tu veux comprendre la Chine, étudie Kung Fu Tzu, latinisé en Confucius. Étudie Lao Tzu, étudie Men Tzu, étudie tous ces penseurs-là aussi. Étudie Lên, étudie... Rien de ce qui est humain ne doit être étranger. et puis ensuite maintenant dis-toi en tant qu'Africaine en tant qu'Africain, « Where do I stand ? » Je suis où au milieu de tout ça ? Et puis, quand tu te trouves, parce que les ancêtres sont là, ils ne nous ont jamais, jamais, jamais abandonnés, quand tu retrouves en toi la voix de tes ancêtres, je fais exprès de dire ça comme ça, je parle de le référent archétypal, et que tu as la technologie entre les mains pour ça, Africa Unite, my friend. Allons-y.
- Speaker #1
Mais donc, ma dernière question pour toi, qui est sûrement la plus dure, est-ce que tu penses que c'est réalisable ? l'unité africaine ?
- Speaker #0
Oui. En fait, la question pour moi, elle n'est pas si dure qu'elle en a l'air. Elle est dure si on la pense selon le paradigme du XXe siècle. Elle est dure si on la pense encore comme le colon nous a conditionnés.
- Speaker #1
Moi, quand je te demande si elle est réalisable, parce qu'il y a tellement de choses à déconstruire, et l'homme est tellement peureux, l'homme a tellement besoin de ses repères et de ses trucs pour eux. avancé, que ça demande tellement de... ça demande tellement de déconstruire tellement de choses.
- Speaker #0
Oui. Tu sais, pourquoi je suis très attaché à la notion d'engineering, design, pourquoi je m'intéresse aux sciences, autant aux sciences sociales qu'aux sciences fondamentales, pourquoi je m'intéresse à tout ça ? C'est parce que je me dis, en fait, Non seulement c'est réalisable, mais elle n'est réalisable que par expérimentation. C'est-à-dire que le fait de comprendre que l'unité africaine, c'est d'abord et en même temps une question technique et non pas une question politique, ça ouvre la voie à l'innovation, d'abord à la disruption. Comment on dit disruption ? Je ne sais pas comment on dit disruption.
- Speaker #1
Disrupt. Je vois ce que tu veux dire en anglais, mais je ne sais pas comment on le fait.
- Speaker #0
On ne dit pas disruption en français, même si les gens le disent. Perturbation ? Oui, à la perturbation positive de cette idée africaine. En fait, la première condition, c'est d'abord de désapprendre ce qu'on a appris sur l'unité africaine. Première condition. Deuxièmement, peut-être même ex aequo. C'est la disruption, perturber le schéma qu'on a en nous-mêmes de ce que veut dire être africain. Troisièmement, en faisant ça, ça permet de créer un espace pour créer un appel d'air et de nouvelles idées. Mais encore une fois, ces nouvelles idées, ça ne doit pas être de la déduction, de la théorie, quelqu'un qui vient. En fait, d'ailleurs, même l'un des grands dangers pour l'intégration de l'unité africaine, c'est le besoin d'hommes-providence et de femmes-providence. Ça, c'est l'avatar de vieilles pensées religieuses. millénaristes qui disent qu'un beau jour, il y aurait un sauveur. Ça, ça fait partie de ce qui nous empêche d'atteindre l'unité africaine. C'est chacun d'entre nous qui devons expérimenter, prendre conscience et expérimenter.
- Speaker #1
Mais on ne doit pas attendre que quelqu'un vienne nous dire « voilà comment on va faire » .
- Speaker #0
Il y en a eu déjà, quand il fallait. Oui, on peut les citer. Mais aujourd'hui, tu as des gens qui essayent de répliquer ceux qui ont été des prophètes de la pensée panafricaine. Alors qu'aujourd'hui, le monde est beaucoup trop complexe. Il n'y a pas de place pour un prophète de la pensée panafricaine aujourd'hui. Le monde est trop complexe pour ça. Donc, ce qu'il faut, c'est créer cet appel d'air. Mais surtout, il faut expérimenter sur le terrain. C'est l'expérimentation. Tu sais, l'expérimentation permet de faire émerger l'idée. Parce que c'est le test sur le terrain qui te montre ce qui marche et ce qui ne marche pas. Mais moi, j'y ai cru pendant 20 ans. J'ai réfléchi, j'ai dit, qu'est-ce qu'il faut faire ? Pourquoi ? Etc. Je suis allé dans des coins du monde. Aujourd'hui, jusqu'à maintenant, j'ai dit tcha Donc fallait... J'étais dans des vibes, mais parce que je voulais comprendre, ok, quand on dit le pays le plus pauvre du monde, donc socialement, comment on s'en sort ? Venezuela, je suis allé dans tout ça parce que je cherchais la grande idée.
- Speaker #1
Non mais c'est ça qui te permet aujourd'hui d'avoir ce recul et d'avoir ces discussions-là, c'est que... Tu as vécu tellement de choses, entre aller deux mois chez les Bobo Ashanti, Venezuela deux mois, Bangladesh quatre mois, et ailleurs. Tu ne parles pas qu'avec des théories ?
- Speaker #0
Non.
- Speaker #1
Tu as vécu ces choses-là ?
- Speaker #0
En fait, j'ai compris qu'il n'y avait pas de théorie qui pourrait nous sortir. Il n'y a pas d'idéologie, il n'y a pas de théorie qui nous permettrait de sortir de la galère dans laquelle on se trouve. il n'y a que l'expérimentation l'innovation la tradition et l'audace qui nous permettront de nous en sortir.
- Speaker #1
Et j'avais dit dernière question, mais c'est un point qu'on n'a pas abordé, justement dans cette Afrique géopolitique qui est en plein mouvement.
- Speaker #0
Je n'ai même pas parlé de l'école et de comment l'école devrait aider à préparer tout ça. On aura le temps peut-être.
- Speaker #1
Mais tu vois, aujourd'hui on est quand même dans une Afrique, je vais dire, scindé un petit peu en deux avec l'AES aujourd'hui, avec les pays de l'UMOA, c'est ça ?
- Speaker #0
Oui, oui. C'est des hauts.
- Speaker #1
De l'autre côté, on a l'impression que chacun se regarde un petit peu du coin de l'œil. On n'est pas dans un climat favorable pour cette unité africaine. Mais est-ce que tu vois... Il n'y a pas que du mauvais. Est-ce que tu vois des choses positives aujourd'hui ? Toi, dans ce que tu regardes de ces différents mouvements géopolitiques, est-ce que tu vois des choses qui peuvent... Tu peux te dire où il y a peut-être une étincelle de quelque chose d'intéressant pour une unité africaine ?
- Speaker #0
Je réponds vrai ?
- Speaker #1
Oui ?
- Speaker #0
Non.
- Speaker #1
Rien ? Rien.
- Speaker #0
Au contraire, c'est contre-productif ce que je vois. Non seulement c'est de l'ancienne rhétorique, l'ancienne rhétorique, excuse-moi, c'est de la rhétorique antagoniste. Je n'aime pas l'idée de militaires au pouvoir. S'ils sont bien intentionnés, ça j'en ai aucun doute. Non, je ne suis pas d'accord avec ça. Mais ce n'est même pas parce que j'ai mieux à proposer. Je dis non, ça a l'air facile de dire comme ça. Je ne les connais pas, ceux qui dirigent, donc ce n'est pas personnel. Moi, je raisonne tech. Tu vois, je raisonne... Ok, comment se projeter au 25e siècle ? Tu vois, moi, je raisonne exponentielle et complexité. Je n'aime pas cette idée-là de dire... J'aime pas ce que je vois. Ça, viscéralement, ça me gêne. Voilà. Par le passé, dans un contexte particulier, il y a eu des militaires qui ont dépassé leurs conditions. républicaines pour rentrer dans l'histoire. Comme je te dis, moi, par exemple, il y a un militaire en particulier qui m'a aidé à comprendre ce que voulait dire la révolution, c'est le commandant Chavez du Venezuela. Les deux mois que j'ai passé là-bas, ça a changé complètement ma façon de comprendre c'est quoi une révolution. Et je suis allé là-bas parce que c'était l'un des pays où on disait, la révolution, je voulais vivre. J'ai même suivi des cours de pensamento révolutionario, comment penser révolutionnaire quand j'étais là-bas. Mais le Venezuela, j'étais là-bas en 2009, mais aujourd'hui, regarde le Venezuela. Regarde comment le... Justement parce que quelqu'un qui parle de façon idéaliste, de comment changer les choses... Quand moi j'ai besoin d'être scientifique dans ma façon de réfléchir, je dis je suis pas à l'aise. Et je prends, c'était le rêve, attends, je te dis rapidement, quand j'étais là-bas, qu'est-ce que j'ai vu ? J'ai vu des gens qui savaient à peine lire et écrire, et qui en quelques années, sous la révolution bolivarienne, c'est comme ça que ça s'appelait à l'époque. Non seulement il avait appris à lire et à écrire, il avait suivi des formations accélérées, il se retrouvait à faire des cours à l'université. Les gens se promenaient avec... C'était un petit livre bleu, La Nouvelle Constitution, qui datait de 1999. Donc moi, j'étais là pour les 10 ans de la Constitution. Et ils se promenaient avec... Ils faisaient dans la rue, comme nous on boit le hata et on boit le thé, ils mettaient des chaises, ils s'asseyaient, et puis les gars débattaient la Constitution. De façon free, comme ça. Tu vois ? Et il n'y avait aucune... J'ai vu la politisation, l'éveil des consciences au sens classique, comme on peut l'imaginer en Amérique latine. J'ai vu des débordements aussi. Surtout que moi, j'habitais dans un quartier chaud de Caracas, pas parce que je voulais faire style, mais parce que je n'avais pas beaucoup d'argent sur moi, donc je me retrouvais là-bas. J'ai vu de très vilaines choses arriver là-bas. Mais tous les programmes sociaux qui ont été mis en œuvre au Venezuela à l'époque, C'est-à-dire... le financement des missions médicales qui allaient dans des quartiers, c'était des médecins cubains qui allaient dans des quartiers, tous les programmes sociaux qui ont été mis en œuvre, oui, ça donnait une aura providentielle au commandant Chavez. Sauf que quand tu analyses de façon technique et de façon économique, le Vénézuela, c'est un pays exportateur de pétrole. Il prenait, lui et son régime, directement les ressources de la vente de pétrole pour financer. les programmes sociaux. Ce prétest que ça, c'était le socialisme révolutionnaire du XXIe siècle. En faisant ça, quand tu prends directement l'argent des ressources du pétrole pour financer tes programmes sociaux, qu'est-ce qu'il se passe ? C'est qu'il n'y a aucune valeur ajoutée sur l'argent qui vient du pétrole. Tu ne crées pas de valeur, tu ne crées pas de richesse à partir de cet argent. Tu ne crées pas de capital à partir de cet argent pour financer tes programmes. C'est comme si je te dis, tu as 5 litres de sang, il y a quelqu'un qui a besoin d'une transfusion sanguine. Et au lieu de prendre un peu de chacun ou je ne sais pas quoi, tu te dis, ok, on a besoin de transfusion sanguine. Tu as 5 litres, j'en prends 2 pour sauver l'autre. Oui, mais toi, au final, qu'est-ce que ça va donner ? Le pays a crash. Tu as vu le Venezuela aujourd'hui ? Le pays a crash complètement. Parce que le modèle économique de cet idéalisme-là, qu'on a vu chez Comandante Chavez, Merci. Le test sur le terrain a montré qu'il n'y était pas.
- Speaker #1
Si je résume bien, toi, ce que tu veux dire, c'est qu'avec cet argent du pétrole, ils auraient dû l'investir pour créer des choses qui génèrent de l'argent et prendre de cet argent généré pour aller faire les... Voilà,
- Speaker #0
exactement. C'est le principe même. Regarde, c'est la même chose. Sauf que là, c'était... Le Nigeria, c'est 70% de son PIB qui dépend du pétrole. Pourquoi ? Ce n'est pas l'un des pays les plus avancés au monde. Parce que le Nigeria, à part peut-être la... Là, actuellement, tu as la réfénerie que Dangouté est en train de mettre sur pied. Et même là, il a galéré pour pouvoir mettre... Oui, j'ai fait la galerie. Il a galéré, alors que c'est un Nigérian, il le fait au Nigérian. Mais 70% du PIB d'un pays, 70% de la richesse produite dans un pays dépend du pétrole. Mais parce que ce n'est pas le Nigérian qui raffine le pétrole, ça fait qu'il vend, il exporte son pétrole. Et il n'en retire rien. Il n'en retire rien à part l'argent de la vente du pétrole. Il n'y a pas de transformation, donc il n'y a pas de création de richesse. le Venezuela est là où il est entre autres Parce que malheureusement, toutes ces grandes questions de comment financer l'économie, c'était dans l'angle mort de l'idéalisme révolutionnaire. Donc c'est pour ça qu'aujourd'hui, quelqu'un qui vient avec un accent révolutionnaire, je dis, il ne peut pas me la faire à moi. Parce que j'ai vu de mes propres yeux ce que c'est. Par contre, quelqu'un qui vient avec un discours d'abord technique, donc quasi scientifique, sur comment changer les choses. Et puis au-delà du discours, parce qu'on est fatigué des discours. Mais quelqu'un qui a expérimenté sur le terrain et qui montre les résultats. Surtout qu'aujourd'hui, le data science permet de voir. Tu vois, toi, avec ce que tu fais là, tu es capable de voir. Oui,
- Speaker #1
j'ai des données.
- Speaker #0
Donc tu es capable de réajuster.
- Speaker #1
Ce qui ne fonctionne pas. Voilà,
- Speaker #0
parce que tes données te permettent d'avoir un feedback pour dire, bon, ok, ça, voilà des sujets qui intéressent, etc. Voici les heures d'écoute, etc. C'est le même principe.
- Speaker #1
C'est qu'aujourd'hui, en fait, nos politiques devraient être plus scientifiques. Que juste des discours et venir parler, faire des promesses, et qu'on soit là en train d'attendre. En fait,
- Speaker #0
nos politiques, les politiques ont besoin d'un regard mathématique pour penser de façon optimale leur programme. Ça ne doit pas être l'intuition, l'instinct, l'expérience. L'expertise doit être quantifiable. Et ça, tu le retrouves déjà dans des domaines qui sont... Tu le retrouves en médecine, tu le retrouves dans l'éducation, tu le retrouves dans tous ces domaines.
- Speaker #1
Et on est dans cette ère avec des super ordinateurs, des machines monstrueuses qui peuvent faire des calculs impressionnants à des vitesses impressionnantes. Oui,
- Speaker #0
oui.
- Speaker #1
Donc ça ne peut qu'aider à aller plus vite.
- Speaker #0
Oui, et encore même là, tu vois, regarde, ici, il y a quelque chose qui m'a un peu embêté. Et là, je vais parler poliment quand ça m'a embêté. Ici au Sénégal, et ça les chercheurs sénégalais comprendront à quoi je fais référence, on a depuis deux ans à bientôt ce qu'on appelle un supercalculateur, qui permet de faire des centaines de milliards d'opérations à la seconde. Donc ce supercalculateur, ça permet de faire toutes sortes de recherches. Je ne vais pas dans les détails techniques, mais le supercalculateur, si tu veux, ça permet de booster le type de recherche qu'on fait, scientifique et à tous les niveaux. Mais on fait un autre podcast, on rentre dans les détails de à quoi ça sert un supercalculateur. Ce supercalculateur a coûté 15 millions d'euros. On l'a acheté à une firme française. Je n'ai rien contre la France, au contraire. J'aime beaucoup la culture et la gastronomie. On dit qu'on l'a acheté à la France, mais en réalité on ne l'a pas acheté à la France. On l'a acheté à une entreprise française. On a installé ce supercalculateur au Sénégal. Et ce qu'on dit du supercalculateur, c'est que l'usage est gratuit. Donc allez-y, mettez toutes vos données, faites tous vos calculs, tous vos travaux, toutes vos recherches que vous avez à faire, le supercalculateur est là pour ça. Allez-y. Mais attends, camarades, sérieusement, donc on va mettre toutes nos données là-bas, c'est gratuit, etc. Mais attends, est-ce que tu vois ce que j'essaye de dire underground ?
- Speaker #1
On met tout là-dedans,
- Speaker #0
on balance tout là-dedans. Tu as tout compris. Pourquoi, en termes de souveraineté, pourquoi est-ce que ce 15 millions d'euros... On ne l'a pas utilisé pour construire un supercalculateur ici. Ici,
- Speaker #1
ouais.
- Speaker #0
Avec tous nos chercheurs, il y en a plein. On a des chercheurs brillants ici. Il y a des gens que j'ai rencontrés de l'Académie des sciences. On a des chercheurs d'un niveau, mais attends, c'est-à-dire un niveau époustouflant. Dans leur capacité, dans leur projection, dans leur extrapolation, etc. Il y a des gens ici à qui tu donnes 15 millions d'euros, même pour moins que ça, qui te font un supercalculateur équivalent de celui qu'on a acheté.
- Speaker #1
Si ce n'est plus performant.
- Speaker #0
Si ce n'est plus performant. Mais parce qu'on n'a pas... Voilà ce qui m'embête.
- Speaker #1
Donner de la valeur à nos ressources locales.
- Speaker #0
Oui, et là, même là... Il nous faut ce transfert de compétences. C'est-à-dire que même ce type de recherche, qu'on le fasse ici, quitte à faire venir des ingénieurs qui viennent d'ailleurs, mais que ce soit une production locale. Que ce soit une production locale. Consommer local, produire local, ce n'est pas juste les fruits et les légumes.
- Speaker #1
C'est aussi la science et la technologie.
- Speaker #0
Donc je suis très ouvert à la tech, mais je veux en tant que panafricain, je veux une tech locale.
- Speaker #1
Donc en tout cas... Pour résumer notre discussion, si je peux essayer de la résumer.
- Speaker #0
Tu vois, on a fait une quatrième ou cinquième itération du résumé.
- Speaker #1
On a résumé, feedback,
- Speaker #0
résumé.
- Speaker #1
En gros, si on veut pouvoir arriver à cette unité africaine, il faut impliquer la technologie dedans. La technologie fait partie prenante de la réalisation de cette unité africaine.
- Speaker #0
Il faut tradition, technologie, tradition, technologie, Merci. et audace.
- Speaker #1
Et balance.
- Speaker #0
C'est la tradition qui promue la balance. C'est ça.
- Speaker #1
En tout cas, Djibril, ça a été un plaisir d'échanger avec toi. Ça m'a beaucoup, beaucoup, beaucoup inspiré parce que pour moi, c'est un sujet comme je t'ai dit, que j'ai souvent évoqué, mais beaucoup de surface. Je pense que c'est la première fois que je rentre aussi profondément dans ce sujet de l'unité africaine. Je le comprends un peu plus. Effectivement, de... Je n'avais pas cette notion d'où ça pouvait venir. Et le fait que tu aies mis en lumière que des afro-descendants qui se sont retrouvés dans d'autres pays du fait de l'esclavage aient été les précurseurs et les initiateurs de cette unité africaine, déjà pour moi, ça m'a appris beaucoup parce que je ne voyais pas ça remonter jusqu'à ce niveau-là. Je suis heureux que tu nous aies permis de comprendre plusieurs couches de l'unité africaine, que l'unité africaine n'est pas. Ce n'est pas que les politiques qui peuvent amener à ça. On a tous notre part à jouer dans cette unité africaine. Et dans ce monde plein de technologies et où la technologie va prendre encore un ascendant de plus en plus grand, on ne peut pas réfléchir à cette unité africaine sans être accompagné de la technologie et d'impliquer la technologie pour essayer de la réaliser.
- Speaker #0
De toute façon,
- Speaker #1
je pense que c'est une discussion qu'on pourrait étendre sur des heures et des heures. mais déjà ça a été comme je l'ai dit un immense plaisir que tu puisses nous éclairer dessus j'espère que vous aurez pris autant de plaisir que nous à écouter cette discussion n'hésitez pas à mettre en commentaire si vous avez des avis des opinions des feedbacks si vous voulez ajouter des compléments à cet échange parce que c'est une discussion certes entre nous deux mais avec vous aussi donc je sais que vous réagissez de l'autre côté donc plutôt que de réagir dans votre salon ou dans vos écouteurs mettez nous un petit message et ça nous fera plaisir de le lire en tout cas j'espère que vous avez passé un bon moment moi j'ai passé un bon moment t'as passé un bon moment ?
- Speaker #0
Non, mais c'était... Ah !
- Speaker #1
merci de toute façon on se retrouve pour le bonus mercredi n'oubliez pas il y a le bonus nous lui et moi on sait déjà de quoi on va parler restez connectés voilà c'est incroyable je vous dis à très vite pour un nouvel épisode.
- Speaker #2
Peace ! Yes,
- Speaker #0
I !