Speaker #0Ce qu'est réellement l'amnésie traumatique ? Comment elle se manifeste dans les relations avec un pervers narcissique ? Pourquoi elle retarde la reconstruction ? Et comment, à travers un travail de reconnaissance et de mise en sens, il devient possible de se réapproprier sa mémoire pour sortir de l'emprise. Qu'est-ce que l'amnésie traumatique ? Une défense psychique face à la violence insupportable. L'amnésie traumatique n'est pas un simple oubli. Elle relève d'un mécanisme de défense psychique majeur qui se met en place lorsque l'appareil psychique est confronté à une situation qu'il ne peut ni symboliser, ni contenir, ni mettre en sens. Face à une violence trop intense, trop brutale ou trop répétée, souvent invisible de l'extérieur, le psychisme choisit de mettre à distance certaines perceptions, certaines scènes, certains affects. Ce processus ne relève pas du mensonge, ni d'une volonté de se cacher la vérité. Il est inconscient, structurant, et souvent salvateur. Il permet à la personne de continuer à vivre, parfois même à fonctionner, dans un contexte où reconnaître l'ampleur du traumatisme serait équivalent à un effondrement interne. La dissociation, mise à distance de la souffrance. L'amnésie traumatique s'inscrit dans un phénomène plus large appelé dissociation. C'est une forme de scission interne où certaines parts de l'expérience vécue sont exclues de la conscience, comme si elles s'étaient déroulées dans un autre espace, un autre temps, parfois chez un autre soi. Dans le cadre de la relation avec un pervers narcissique, cette dissociation peut prendre des formes subtiles. Ne plus se souvenir des cris, minimiser l'humiliation publique, oublier les menaces formulées, alors que d'autres souvenirs, ceux des excuses, des moments de calme, ou de pseudo-tendresse restent intacts. Ce tri inconscient sert un seul but, éviter de s'effondrer. Le lien avec le traumatisme psychique est l'effondrement du moi. Dans une relation toxique prolongée, l'intégrité du moi est régulièrement attaquée. Le pervers narcissique fragilise la perception de la réalité, distord les repères, retourne la culpabilité, manipule les affects. Sous cette pression psychique constante, le sujet se trouve en état d'insécurité interne chronique. Lorsque les mots ne suffisent plus à nommer la douleur, lorsque les affects deviennent incommunicables, le psychisme peut alors opter pour un refoulement massif, voire une véritable censure de certains souvenirs. Ce n'est pas l'ensemble de l'histoire qui disparaît, mais les morceaux les plus menaçants. les plus honteux ou les plus incompatibles avec l'image que la victime a d'elle-même ou de l'autre. Ce refoulement ou cette mise à l'écart psychique forme le socle de l'amnésie traumatique. Et tant que cette mémoire n'est pas retravaillée, contenue, mise en récit, elle reste en dehors du champ de la symbolisation, mais continue d'agir dans le silence, par le corps, par les émotions ou par des répétitions de scénarios. Comment ? l'amnésie traumatique opère dans une relation d'emprise, une exposition prolongée à une violence invisible. Dans les relations marquées par l'emprise, et notamment avec un pervers narcissique, la violence ne prend pas la forme d'un coup, d'un cri ou d'une menace explicite. Elle est sourde, progressive, insidieuse et agit dans la répétition. Une parole qui rabaisse, un regard qui dénigre, une indifférence qui glace. Rien de spectaculaire. Tout est diffus. Cette forme de violence, parce qu'elle est psychologique et souvent socialement invisible, est plus difficile à nommer, donc plus difficile à penser. Le psychisme de la victime, mis sous tension constante, ne peut intégrer cette réalité dans sa globalité. Il se retrouve dans un paradoxe pour maintenir le lien, souvent vécu comme vital, il doit nier une partie du réel. C'est dans ce contexte que l'amnésie traumatique trouve son terrain. Elle devient le prix à payer pour rester dans la relation sans s'effondrer. L'effacement partiel des épisodes humiliants ou menaçants. L'amnésie traumatique ne fait pas disparaître l'histoire. Elle la fragmente. Certains souvenirs sont repoussés hors du champ de la conscience ou bien altérés édulcorés comme floutés. Ce ne sont pas les pires scènes qui s'imposent à la mémoire, mais les moments rattrapés, les promesses de changement, les quelques gestes d'apparente tendresse, les silences réconciliateurs. C'est ainsi que le psychisme réorganise le récit. L'horreur est mise entre parenthèses. La scène violente est oubliée, remplacée par un souvenir tolérable, parfois même idéalisé. L'individu se protège ainsi d'une vérité intenable, celle d'être en danger ou celle d'avoir été trahi dans l'intime. Un psychisme qui organise l'oubli pour maintenir un équilibre illusoire. Pour beaucoup de victimes, reconnaître pleinement l'ampleur de la violence vécue serait déstructurant. Cela impliquerait d'admettre qu'on a été abusé, trompé, manipulé, que l'on est resté là où l'on aurait dû fuir. Ce constat est souvent incompatible avec le besoin fondamental de cohérence et d'estime de soi. L'amnésie traumatique intervient alors comme un mécanisme d'autoprotection. Elle permet de conserver une forme de stabilité psychique en maintenant l'illusion d'un équilibre. On continue d'aimer, de comprendre, de justifier. On croit encore que la situation est maîtrisable, que la personne changera. que l'amour finira par guérir le lien. Mais en réalité, ce processus prolonge l'aliénation. Il empêche l'analyse, freine la prise de conscience et renforce la dépendance émotionnelle. Tant que les souvenirs restent enfouis, la relation toxique reste active, parfois même après la séparation. Une mémoire trafiquée par la perversion narcissique, le souvenir inversé, Quand les excuses effacent les coups. La spécificité de l'emprise exercée par un pervers narcissique réside dans sa capacité à dissoudre la perception du réel. Il ne frappe pas forcément, il retouche la mémoire. Par son habileté à retourner les situations, à nier l'évidence, à manipuler les affects, il devient peu à peu le maître du récit intérieur de sa victime. L'une des manifestations les plus troublantes de cette influence est la relecture des épisodes douloureux. Un épisode d'humiliation peut être oublié ou minimisé. tandis que les excuses qui ont suivi sont conservées. Le psychisme, déjà affaibli par la dissociation, se cramponne à la version rassurante. Ce ne sont plus les faits qui organisent la mémoire, mais la version imposée par le manipulateur. Ainsi, l'excuse devient le souvenir principal, tandis que la violence est réécrite en malentendu, en maladresse, voire en preuve d'amour. C'est une forme d'amnésie organisé de l'intérieur, renforcé par l'extérieur. Le faux récit intérieur, ce n'était pas si grave. À force d'entendre que l'on exagère, que l'on est trop sensible, que tout le monde se dispute, la victime finit par intérioriser le discours du manipulateur. Ce discours s'insinue dans le psychisme jusqu'à devenir autonome. Il produit une mémoire trafiquée. Un récit auto-censuré où les actes violents sont dilués dans la normalité apparente. Ce glissement est d'autant plus redoutable qu'il ne passe pas par la raison, mais par l'émotion. Le pervers narcissique ne convainc pas par la logique, mais par le doute qu'il installe, les larmes qu'il verse, les moments de répit qu'il offre. La victime se reconstruit un récit plus acceptable, non pas par naïveté, mais par nécessité psychique. Ce récit devient un piège car il empêche la mise en sens, il bloque l'accès à la réalité du traumatisme. On vit, dans une version aménagée de l'histoire, plus douce mais fondamentalement fausse. L'amnésie comme garant du lien toxique. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, l'amnésie traumatique joue parfois un rôle d'attachement défensif. Oublier permet de rester. Rester donne l'illusion de contrôler. Et tant que la mémoire reste partielle, la relation semble encore viable. Le pervers narcissique, intuitivement, l'a compris. Il alterne la violence et la séduction, le rejet et la valorisation, la froideur et l'intimité. Ce cycle répétitif produit une confusion émotionnelle qui fragmente la mémoire, entretient le doute et empêche la victimisation consciente. L'amnésie devient alors le ciment d'un lien mortifère, mais encore vécu comme vivant. C'est seulement lorsque la mémoire commence à se réorganiser, que le récit se précise, que la souffrance est nommée, que le lien peut commencer à se délier. Reconstruire un récit pour sortir de l'emprise. Restaurer une continuité intérieure mise à mal. L'un des effets les plus insidieux de l'amnésie traumatique est la rupture de la continuité psychique. Le sujet ne parvient plus à articuler son histoire de manière cohérente, certains événements sont flous, d'autres sont absents. Les souvenirs ne s'enchaînent plus logiquement et l'identité elle-même devient vacillante. Ce n'est pas moi qui ai vécu ça, je ne me reconnais pas dans ce que je ressens. La reconstruction de soi passe alors par une entreprise patiente et courageuse, retrouver le fil de son propre récit. Cela ne signifie pas se remémorer chaque détail de manière exhaustive, mais réintégrer ce qui a été exclu, faire place à l'inconfortable, reconnaître ce qui a été vécu, même si cela dérange, même si cela fait honte. Cette mise en mots, même partielle, permet de restituer une cohérence intérieure. Elle aide. à faire le lien entre les émotions présentes, les comportements répétés et les événements passés. Le rôle du cadre thérapeutique pour contenir est symbolisé. Ce travail ne peut généralement pas s'effectuer seul. Il suppose un cadre contenant, sécurisant, capable d'accueillir le chaos sans le juger. C'est là que la relation thérapeutique prend tout son sens. Le thérapeute n'est pas là pour dicter une vérité, mais pour offrir un espace symbolique où la parole peut circuler à nouveau. Dans ce lieu, le sujet peut commencer à dire ce qu'il ne pouvait penser, à ressentir ce qu'il avait anesthésié, à nommer ce qui n'avait jamais été reconnu. Il ne s'agit pas d'une catharsis brute, mais d'un travail de liaison psychique. La mémoire traumatique devient peu à peu une mémoire subjective, c'est-à-dire une mémoire qui a du sens, même si elle reste douloureuse. Réintégrer ce qui a été dissocié pour redevenir sujet de sa propre histoire. Sortir de l'emprise ne consiste pas seulement à quitter la personne qui l'exerçait. Cela implique de se réapproprier l'histoire psychique que cette relation a fragmentée. L'amnésie traumatique, en scindant le vécu, a contribué à maintenir une position d'objet. Reconstituer le récit, au contraire, rend au sujet sa place de sujet, celui qui se souvient, qui ressent, qui comprend, qui choisit. Ce travail de réappropriation n'est pas linéaire. Il s'accompagne de doutes, de résistances, parfois même d'une rechute dans le déni. Mais il ouvre la voie à un autre type de rapport à soi, un rapport plus lucide, plus incarné, plus ancré dans la réalité psychique, même si celle-ci a été douloureuse. C'est à ce prix que la parole retrouve sa densité, que la mémoire retrouve sa place, et que la vie psychique peut à nouveau se dérouler dans un temps habité par le sujet. De l'oubli imposé à la parole retrouvée. L'amnésie traumatique n'est pas une faiblesse. Elle n'est pas un déni volontaire, ni une naïveté. Elle est une réponse du psychisme à l'impensable, un repli temporaire face à l'impossibilité de symboliser une violence qui dépasse les capacités du moi à l'instant où elle se produit. Dans le contexte d'une relation avec un pervers narcissique, ce mécanisme prend une dimension encore plus complexe, car la violence est souvent insidieuse, détournée, intraduisible. L'oubli n'est pas un oubli de surface, c'est un refoulement actif, une dissociation nécessaire à la survie psychique. Mais cet oubli a un coût. Tant que les événements les plus violents restent hors du champ de la conscience, la relation toxique conserve une emprise silencieuse. La mémoire mutilée empêche la lucidité, bloque la rupture et retarde la reconstruction. Sortir de l'amnésie traumatique, ce n'est pas tout se rappeler. C'est retrouver une capacité de liaison, réorganiser son récit, se réapproprier son histoire pour redevenir sujet de sa vie. Ce travail, souvent long, parfois douloureux, ne peut se faire sans un espace d'élaboration sécurisé, thérapeutique, symbolique ou relationnel. Mais il est possible. Et il est libérateur. Car lorsque la mémoire se réveille, La conscience peut enfin s'ouvrir, et avec elle, l'espoir d'un lien à soi plus vrai, plus juste et surtout indépendant de l'emprise.