Speaker #0Hors sĂ©rie, une philosophie de la philosophie. Avant de commencer, je voulais vous dire un mot important. Ce podcast est totalement gratuit, indĂ©pendant et sans publicitĂ©. Et il ne survit que grĂące Ă vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don ponctuel ou rĂ©current en cliquant sur la page indiquĂ©e en description. Merci d'avance pour votre soutien. Et maintenant, place Ă l'Ă©pisode ! Cette semaine, le Phil d'actu a un an. Depuis un an et 76 Ă©pisodes, on essaye d'explorer ensemble des analyses philosophiques de l'actualitĂ© afin de montrer que la philosophie, c'est pas seulement dans les salles de classe, c'est aussi, et surtout, ancrĂ©e dans le monde et la sociĂ©tĂ©. Alors merci Ă toutes et Ă tous pour votre Ă©coute depuis un an. En ce qui me concerne, je me rĂ©gale d'Ă©pisode en Ă©pisode. Mais en un an, il y a une question Ă laquelle on n'a jamais vraiment rĂ©pondu. C'est quoi ? La philosophie, ça fait partie de ces choses qu'on a du mal Ă dĂ©finir, et encore plus quand on pose la question. C'est ce que je vous propose de voir dans cet Ă©pisode d'anniversaire. On va parler philosophie antique, citĂ©, politique, philosophie de Antonio Gramsci, et bien sĂ»r, de philosophie. Je suis Alice de Rochechouart, et vous Ă©coutez le Phil d'Actu, le podcast engagĂ© qui met la philosophie au cĆur de l'actualitĂ©. Et pour des informations exclusives, Abonnez-vous Ă mon compte Instagram, lephildactu.podcast. La caractĂ©ristique de la philosophie, c'est qu'elle a du mal Ă se dĂ©finir elle-mĂȘme. Si vous posez la question Ă quatre philosophes diffĂ©rents, vous aurez sans doute quatre rĂ©ponses diffĂ©rentes. Revenons Ă l'Ă©tymologie et Ă la naissance de la philosophie. La philosophie occidentale, telle que nous nous la connaissons, naĂźt en GrĂšce antique Ă ... AthĂšnes, c'est Socrate, au VĂšme siĂšcle avant JĂ©sus-Christ, qui est considĂ©rĂ© chez nous comme le fondateur de la philosophie classique. Socrate est souvent reconnu comme le premier philosophe, un philosophe et non pas un sage, c'est-Ă -dire quelqu'un qui recherche la sagesse mais qui ne la dĂ©tient pas. Et oui, voici l'Ă©tymologie de philosophie. Philo, ça veut dire aimer ou dĂ©sirer, et sophia, ça veut dire la sagesse ou la connaissance. Socrate, c'est donc un personnage qui ne prĂ©tend pas dĂ©tenir la sagesse ou le savoir, mais qui est en permanence en train de questionner pour rechercher cette sagesse. ConcrĂštement, il faut imaginer Socrate qui dĂ©ambule dans les rues d'AthĂšnes et qui va se mettre Ă discuter avec les citoyens en les interrogeant sur leurs croyances. Et je ne sais pas si vous avez dĂ©jĂ lu des dialogues de Socrate qui ont Ă©tĂ© retranscrits notamment par Platon, mais en rĂ©alitĂ©, Socrate, c'est quelqu'un qui vient en permanence dĂ©construire tout ce que vous pensez, quelqu'un qui pose incessamment des questions. L'une des phrases les plus connues qu'aurait dit Socrate, c'est Tout ce que je sais, c'est que je ne sais rien Le premier principe de la philosophie, c'est donc de reconnaĂźtre notre propre ignorance et non de prĂ©tendre dĂ©tenir la vĂ©ritĂ©. La philosophie, c'est une quĂȘte et un questionnement permanent. Et ce qui est intĂ©ressant, c'est que le terme Sophia en grec peut vouloir dire deux choses. Ăa peut vouloir dire le savoir, mais aussi la sagesse. Or, c'est pas tout Ă fait la mĂȘme chose. Le savoir, ce serait plutĂŽt du cĂŽtĂ© des sciences, de la connaissance, alors que la sagesse, ce serait plutĂŽt du cĂŽtĂ© de l'existence, de la maniĂšre de vivre. Et cette double signification, elle est au cĆur de toute l'histoire de la philosophie. Car la philosophie va aller aussi bien du cĂŽtĂ© des sciences, avec par exemple des mathĂ©maticiens, des astronomes, comme Descartes, ou Pascal, mais aussi du cĂŽtĂ© de l'existence, c'est-Ă -dire de la façon d'oĂč nous vivons, avec des philosophes qui vont davantage s'intĂ©resser Ă la morale ou Ă la politique, comme par exemple Rousseau. Et puis, vous avez aussi des philosophes qui cherchent Ă construire un systĂšme total qui allie science, connaissance d'un cĂŽtĂ© et pratique Ă©thique de l'autre. Par exemple, Kant, pour qui la philosophie pose trois grandes questions. 1. Que puis-je savoir ? C'est la science. 2. Que dois-je faire ? C'est l'Ă©thique. 3. Que m'est-il permis d'espĂ©rer ? C'est la religion. Si je vous parle de cela, c'est parce que la dĂ©finition et la comprĂ©hension qu'on a de la philosophie va Ă©videmment orienter la maniĂšre dont on la pratique. Si on considĂšre qu'on cherche la vĂ©ritĂ©, ou plutĂŽt le bonheur, ou encore la morale, on ne va pas philosopher de la mĂȘme maniĂšre. Et c'est ce qui me permet de dire que la philosophie n'est jamais neutre ou... objective, car elle repose toujours sur un certain parti pris, sur un certain nombre de prĂ©supposĂ©s et de croyances. Par exemple, est-ce que vous considĂ©rez que l'humain est libre ? ou bien qu'il est dĂ©terminĂ©. Est-ce que vous considĂ©rez que l'homme est naturellement bon ou plutĂŽt naturellement mĂ©chant ? Est-ce que vous considĂ©rez que le but de la sociĂ©tĂ©, c'est la libertĂ©, le bonheur ou l'Ă©galitĂ© ? Tout ça, ce sont des parties prises trĂšs fortes dans votre maniĂšre de rĂ©flĂ©chir. Ce sont des valeurs, des croyances, qu'en rĂ©alitĂ©, vous ne pourrez jamais dĂ©montrer. Ă chaque fois qu'on se penche sur une certaine philosophie, mĂȘme si elle se prĂ©tend objective, on se rend compte qu'il y a toujours un moment oĂč l'auteur ou l'autrice va affirmer quelque chose qu'il ou elle n'aura pas dĂ©montrĂ©. Et c'est quelque chose qui Ă©tait dĂ©jĂ prĂ©sent dans la philosophie grecque antique, puisqu'on considĂ©rait que seuls les dieux dĂ©tenaient le savoir et que nous, les humains, nous ne faisons que dĂ©sirer ce savoir. Aucune philosophie ne peut donc ĂȘtre neutre ou objective. Tout systĂšme philosophique repose sur des croyances et des valeurs qui sont parfois totalement assumĂ©es et d'autres fois un petit peu cachĂ©es. Alors, deuxiĂšme question, est-ce que toute philosophie est politique ? Tout dĂ©pend de ce qu'on appelle politique. Revenons encore une fois Ă la philosophie antique grecque. En GrĂšce antique, on considĂšre que l'homme est un ĂȘtre de citĂ©, un citoyen. Je dis l'homme et non pas l'humain, car cela ne concerne que les hommes et non pas les femmes. Ce qui est intĂ©ressant ici, c'est qu'on considĂšre que, selon la formule d'Aristote, l'homme est un animal politique. Aristote dit mĂȘme l'homme est par nature un animal politique Ăa veut dire que l'homme est destinĂ© Ă vivre en sociĂ©tĂ©, et que de ce fait, la question politique, l'organisation de la citĂ©, n'est pas une question parmi d'autres, c'est une question centrale. Rappelons que politique ça vient du grec polis qui veut dire la citĂ© Quand on dit politique Ăa veut donc dire ce qui concerne les affaires de la citĂ©. Ă AthĂšnes, il n'y a pas d'opposition entre l'individu d'un cĂŽtĂ© et le citoyen de l'autre. Il y a un prolongement entre les deux. Contrairement Ă l'idĂ©e qu'on peut avoir aujourd'hui, que vous ĂȘtes la plupart du temps un individu non politique qui vivait votre vie, et ponctuellement un citoyen qui est appelĂ© Ă voter. Ă AthĂšnes, il n'y a pas cette sĂ©paration. Vous ĂȘtes toujours un citoyen. Et le philosophe... exerce la philosophie dans la citĂ©. La philosophie grecque se donne pour but de connaĂźtre le bien et de dĂ©terminer quelle organisation politique permet d'atteindre ce bien. Le rĂŽle du philosophe, le rĂŽle de la pensĂ©e, le rĂŽle de l'Ă©ducation, c'est de permettre aux citoyens d'acquĂ©rir un ethos, c'est-Ă -dire une habitude, un comportement, quiconque de bon citoyen. Il y a donc un lien trĂšs fort entre morale individuelle et la vie en sociĂ©tĂ©, la vie politique. D'ailleurs, savez-vous comment on appelait en GrĂšce les citoyens solitaires qui se tenaient en dehors des affaires politiques, en dehors des affaires de la citĂ© ? On les appelait les idiotesses, ce qui a donnĂ© idiot La dĂ©finition du terme de politique a aujourd'hui quelque peu changĂ©. La philosophie politique dĂ©signe non seulement la rĂ©flexion sur les formes de gouvernement dĂ©mocratie, monarchie, rĂ©publique, etc. mais cela dĂ©signe aussi les conflits qui organisent la sociĂ©tĂ©. Ce que reconnaĂźt la philosophie politique aujourd'hui, c'est que la vie en sociĂ©tĂ© se caractĂ©rise par des luttes pour le pouvoir, par des relations de pouvoir entre les individus, qui ne sont pas forcĂ©ment institutionnalisĂ©es. La philosophie politique cherche aujourd'hui Ă mettre en lumiĂšre les relations de pouvoir qui peuvent exister entre des groupes sociaux et Ă interroger la lĂ©gitimitĂ© de ces relations de pouvoir. Finalement, la philosophie politique aujourd'hui, c'est l'idĂ©e que toutes les questions peuvent ĂȘtre politisĂ©es depuis l'organisation du travail jusqu'Ă l'organisation de la vie domestique. Le slogan Tout est politique hĂ©ritĂ© de mai 68, signifie que tous les domaines de la vie relĂšve d'une organisation entre les individus et que donc tout peut ĂȘtre questionnĂ© et politisĂ©. Dire que tout est politique, ça veut dire que tout est construit et donc que rien n'est naturel, immuable. Dire que tout est politique, ça signifie que quand on assiste Ă des inĂ©galitĂ©s ou Ă des discriminations, on peut les rĂ©sorber avec une meilleure organisation. Dire que tout est politique, c'est lutter pour l'Ă©mancipation de chacun et de chacune, prĂ©cisĂ©ment parce que Rien n'est jamais acquis, rien n'est jamais donnĂ©, et tout est toujours Ă questionner. La philosophie que j'essaie de pratiquer avec vous depuis un an, c'est donc une philosophie politique qui cherche Ă interroger ce qu'on nous prĂ©sente toujours comme immuable, comme inquestionnable. C'est ce que proposait dĂ©jĂ le philosophe italien Antonio Gramsci dans les annĂ©es 1920. Gramsci parlait d'hĂ©gĂ©monie culturelle. Il montrait que toute la sociĂ©tĂ© est prisonniĂšre des valeurs morales de la bourgeoisie. La rĂ©ussite individuelle, la mĂ©ritocratie, l'intĂ©rĂȘt personnel, la compĂ©tition, la... haine de l'assistanat, le rĂȘve de richesse, la consommation Ă outrance. Des valeurs qu'on nous prĂ©sente aujourd'hui comme absolues, qui sont absolument hĂ©gĂ©moniques dans les discours. Alors, notre devoir, c'est non seulement de mettre Ă jour ces valeurs qui organisent notre sociĂ©tĂ©, mais aussi de penser des contre-modĂšles et de lutter pour faire triompher ces nouvelles visions de sociĂ©tĂ©. Nous avons le devoir de ne pas accepter les choses telles qu'elles sont, de nous engager, de prendre parti pour des valeurs. Selon Gramsci, personne ne peut ĂȘtre extĂ©rieur Ă la citĂ©. Il nous dit, celui qui vit vraiment ne peut qu'ĂȘtre citoyen et prendre parti. L'indiffĂ©rence, c'est le parasitisme, la lĂąchetĂ©, ce n'est pas la vie. Il ajoute, c'est pourquoi je hais les indiffĂ©rents. Alors voilĂ quel est le projet philosophique que j'essaye de porter avec vous depuis un an. Nous faire prendre conscience que nous sommes toutes et tous pĂ©tris de valeurs. que finalement, nous sommes tous et toutes partisans, partisanes, et que nous avons la responsabilitĂ© de lutter pour l'hĂ©gĂ©monie culturelle d'autres valeurs de sociĂ©tĂ©. Et j'espĂšre trĂšs modestement que chacun de mes Ă©pisodes peut contribuer Ă la maniĂšre d'une mosaĂŻque Ă former une nouvelle image de sociĂ©tĂ©. Alors, ça vous dit de repartir pour une nouvelle annĂ©e ? C'est la fin de cet Ă©pisode. On se retrouve trĂšs bientĂŽt pour un nouvel Ă©pisode du Phil d'Actu. Et un grand merci Ă Anouk, Vincent, Jean-François, Louise. Etienne, Francisco, Corinne et Johan qui, avec leurs dons, soutiennent l'aventure du fil d'actu. Vous aussi, vous pouvez donner en allant sur la page dĂ©diĂ©e. Merci et Ă bientĂŽt !