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Attentats du 13 novembre 2015 : une philosophie du traumatisme cover
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Le Phil d'Actu - Philosophie et Actualité

Attentats du 13 novembre 2015 : une philosophie du traumatisme

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13min |12/11/2025
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Description

Dix ans ont passé depuis les attentats terroristes du 13 novembre 2015, qui ont fait 130 victimes et 413 blessé.es. Survenus quelques mois après les attentats de Charlie Hebdo, le 13 novembre a été l’attaque terroriste la plus meurtrière de l’histoire française, et un véritable traumatisme. Comment le traumatisme redéfinit-il notre identité et le sens que nous donnons au monde ? Quelle est sa portée politique ? On en parle avec le philosophe Claude Romano.


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Un grand merci aux tipeur-ses : Anne-Cécile, Didier, Mailys, Barthélémy, Olivier, Romain, Cédric, Quentin, Charlély, Antony, Aurélie, Claire, Paul, Erwan, Guillaume, Claudia, Lionel, Yves, Denis, M2linée, Marie Vincent, Olivier, Kilian, Anthony, Nicolas, Rémi, Béatrice, Damien, Mathilde, Anouk, David, Elodie, Vivien, Franck, Tiphaine, Margaux, Alix, Maya, Olivier, Juliette, Jonathan, Yacine, Arnaud, Bruno, Quentin, Augustin, Anaïs, Laurent, Nicolas, Alexandre, Gauthier, Khadija, Charles, Solène, Yoann, Juliette, Florence, Charles, Benjamin, Bastien, Jean-Charles, Anne, Florian, Etienne, Céline, Yvan, Antoine, Thomas, Eric, Matthieu, Clément, Anouck, Jean-François, Louise, Etienne, Francisco, Yoann, Tristan, Maud, Nathalie, Marc, Margot.

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Dix ans ont passé depuis les attentats terroristes du 13 novembre 2015 qui ont fait 130 victimes et 413 blessés. Survenu quelques mois après les attentats de Charlie Hebdo, le 13 novembre a été l'attaque terroriste la plus meurtrière de l'histoire française et un véritable traumatisme. Comment le traumatisme redéfinit-il notre identité et le sens que nous donnons au monde ? Et quelle est sa portée politique ? On en parle avec le philosophe Claude Romano. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez Le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don en cliquant sur la page indiquée en description. Et bien sûr, vous pouvez aussi acheter mon livre privilège aux éditions J.C. Lattès. Merci pour votre soutien. Le 13 novembre 2015, la France a subi les attaques terroristes les plus meurtrières de son histoire. À 21h20, trois terroristes se font exploser au Stade de France, faisant un mort et une dizaine de blessés. Quelques minutes plus tard, trois autres terroristes assassinent 39 personnes et font 32 blessés dans les rues des 10e et 11e arrondissements de Paris et à la terrasse de plusieurs cafés et restaurants. Enfin, à 21h40, trois terroristes pénètrent dans l'enceinte du Bataclan. et tire en rafale sur les spectateurs, faisant 90 morts et des dizaines de blessés graves. En moins d'une demi-heure, la France vient de subir l'un des plus grands traumatismes de son histoire. Un traumatisme est un choc violent, une blessure physique ou psychique, qui surgit de manière brutale, par effraction. C'est un événement qui interrompt le cours normal de l'existence, et qui met en péril sa continuité, puisqu'il se caractérise souvent par des séquelles graves. Le traumatisme n'est donc pas qu'une blessure ponctuelle, c'est un effondrement du monde familier et de la possibilité même de continuer à vivre sereinement. Le traumatisme nous met face à notre propre mort ou à notre extrême vulnérabilité, il nous fait perdre tout repère et tout sentiment de sécurité. Selon le philosophe Claude Romano, le traumatisme est le négatif de l'événement, son contraire. L'événement ouvre des possibles. Quand quelque chose se produit, cela nous bouscule et cela nous pousse à inventer un nouveau futur. A l'inverse, le traumatisme ferme le champ des possibles. Il nous enferme dans un choc qui n'est jamais passé mais qui nous hante, une blessure toujours présente qui nous rend prisonniers ou prisonnières de la souffrance. Le traumatisme, nous dit Romano, c'est ce qui revient sans cesse, inonde tout notre espace psychique, nous paralyse dans la douleur. Le traumatisme, c'est ce qui fait... que plus rien n'advient. Il bouche l'avenir et le sens de notre existence. Habituellement, nous passons en effet notre vie à tenter de nous approprier le monde, c'est-à-dire à le comprendre, à lui donner du sens, une unité. Nous vivons des événements, nous les mettons en récit, nous les incorporons, nous tissons un lien entre eux, nous nous remémorons certaines choses et nous en oublions d'autres. En fait, nous donnons un sens à ce que nous expérimentons. C'est-à-dire à la fois une signification et une orientation, une direction. C'est ce qu'on appelle l'identité narrative. Nous sommes le récit que nous faisons de nous-mêmes. Or, le traumatisme rend tout cela impossible. Sa violence nous met en état de choc, de sidération. Si bien que c'est un événement que nous ne pouvons pas faire nôtre. Nous ne sommes plus un sujet, nous dit Romano. Nous sommes au contraire assujettis à ce qui nous est arrivé. Nous ne parvenons pas à donner du sens à ce qui n'a de cesse de nous hanter. Nous sommes alors incapables de faire le travail d'incorporation et de mémoire, de mettre l'événement dans le passé, car le traumatisme ne cesse d'envahir le présent, il est constamment remémoré et revécu. C'est ce qu'on appelle le syndrome de stress post-traumatique. Le souvenir est omniprésent et empêche le processus de mémorisation, c'est-à-dire la procédure d'analyse et de mise à distance d'un événement. Ainsi, Le traumatisme éclate l'expérience, l'existence et l'identité. Il est une effraction, une altérité irréductible qui empêche de donner du sens à notre vécu, de mettre notre vie en récit. Alors, comment surmonter le traumatisme ? Évidemment, je ne suis pas psychologue et loin de moi l'idée de m'y substituer. Mais l'analyse philosophique de Claude Romano... nous permet de comprendre ce que peut vouloir dire guérir d'une blessure traumatique. Il s'agirait de réintégrer ce qui a fait effraction, de réincorporer ce qui nous paraît étranger. de mettre à distance ce qui nous envahit et ne cesse d'être présent. Autrement dit, guérir d'un traumatisme, cela consisterait à renouer avec l'identité narrative, c'est-à-dire pouvoir à nouveau nous raconter et raconter nos blessures. Car mettre en récit, c'est donner un sens, c'est agencer les événements, les mettre à distance dans le passé et ainsi se les réapproprier. Cela ne consiste pas à reconstruire le déroulé exact des faits, à décrire l'événement de manière objective, mais bien plutôt à l'intégrer à notre identité, à reconstruire une subjectivité qui avait été éclatée. Le récit permet à la fois de dire la déflagration et d'envisager la reconstruction, à la fois dans son vécu intime, dans son corps et dans le lien avec les autres. Car un récit, ça se raconte à quelqu'un. La guérison traumatique passe ainsi, pour Romano, par un rapport à autrui. « Nous ne sommes jamais seuls dans le monde » , nous dit-il, et la rencontre avec les autres se fait notamment en élaborant une histoire commune. Refaire le monde, refaire son monde et son identité, c'est ainsi refaire lien avec autrui. En partageant son traumatisme, on s'ouvre aux autres, et ce faisant, on réouvre des possibles en commun. Surtout que le traumatisme peut être collectif, par exemple dans le cadre d'un attentat terroriste. D'autant que la psychologie contemporaine s'accorde à dire que le traumatisme concerne aussi bien les victimes directes que les témoins. En l'occurrence, le traumatisme ne concerne pas seulement les victimes directes du 30 novembre et leurs familles, mais toute une population meurtrie par une violence indescriptible qui a fait effraction. Dans ce cas, le traumatisme s'attaque à la mémoire collective, c'est-à-dire au récit que nous faisons de notre communauté politique. Précisons que ce récit n'est pas une grande histoire figée, un récit officiel ou un roman national. Mais il est mouvant, dynamique, il est le produit de nos interactions, de nos valeurs et il doit être aussi bien transmis que réinterrogé et contesté. Dans le cadre d'un traumatisme comme celui du 13 novembre, l'enjeu est d'élaborer un récit collectif qui permette à la fois d'assurer l'unité d'une communauté autour d'un passé partagé et d'ouvrir un futur en commun. Comment ? Après les attentats du 13 novembre 2015, il y avait un risque élevé de produire un récit islamophobe, centré sur les thèmes d'extrême droite, du grand remplacement et des dangers de l'immigration. D'autant plus que les terroristes étaient français. Une partie de la population est effectivement tombée dans ce récit raciste et xénophobe, défendant le choc des civilisations. Immédiatement après les attentats, on a d'ailleurs assisté à une hausse importante des actes anti-musulmans. Mais ça n'a pas duré. Comme l'ont montré les travaux du sociologue Vincent Tibéry, les années 2015 et 2016 ont paradoxalement été marquées par une augmentation de la tolérance au sein de la société française. C'est en réalité une dynamique de fond depuis les années 90. La société est de plus en plus progressiste. En 2015, la grande majorité de la population ... s'est ainsi refusé à faire l'amalgame entre terroristes et musulmans. En janvier, après l'attentat de Charlie Hebdo, une manifestation pour la tolérance et la liberté d'expression a d'ailleurs rassemblé 4 millions de personnes partout en France, ce qui en fait le plus grand rassemblement de l'histoire française. Comment l'expliquer ? D'après Vincent Tibéry, le cadrage médiatique est déterminant dans l'opinion publique. Le récit politique et médiatique, qui est fait du traumatisme, va... influer sur la reconstruction de l'identité collective de la communauté meurtrie. Or, immédiatement après les attentats de Charlie Hebdo, la classe politique française a défendu un récit d'unité et de cohésion nationale. Par contraste, aux Etats-Unis, les attentats du 11 septembre 2001 avaient généré une augmentation des actes anti-musulmans ainsi que des préjugés racistes et xénophobes au sein de la population. Précisément parce que le récit mis en place par la classe politique était celui d'une guerre violente de la civilisation contre les barbares, d'une menace omniprésente et d'une nécessaire vengeance. En novembre 2015, en France, le discours a néanmoins été plus contrasté qu'en janvier. Cette fois-ci, François Hollande déclare l'état d'urgence et un an plus tard, il propose la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux. Une mesure censée unifier la communauté autour de la lutte contre le terrorisme et qui aura eu pour effet ... de banaliser des propositions de droite, voire d'extrême droite, dont nous subissons encore les conséquences actuellement. Aujourd'hui, l'approche sécuritaire l'emporte ainsi largement sur l'approche sociale et solidaire. Il ne reste pas moins qu'en 2015, il y a eu une forte résistance citoyenne contre les discours islamophobes. Et dans l'ensemble, malgré quelques percées de l'extrême droite et de la droite, c'est bien la volonté d'une démocratie partagée qui l'a emportée, autour d'un récit collectif de tolérance. Pour surmonter le traumatisme collectif, il faut ainsi s'interroger sur l'identité que nous voulons reconstruire ensemble. sur la manière dont nous pouvons intégrer cet événement à notre mémoire commune. Le traumatisme collectif nous demande de redéfinir les valeurs que nous voulons porter, de penser le récit que nous voulons écrire et la façon dont nous allons commémorer la blessure. En 2015, après les attentats du 13 novembre, plus de 7700 messages ont été déposés dans des mémoriaux éphémères par des Parisiens traumatisés. Une manière de partager le traumatisme. de reconstruire une communauté dévastée par la violence du choc et de mettre la souffrance en mots. Or, le sociologue Jérôme Truc, qui a analysé ces messages, a montré que ce n'était pas un sentiment nationaliste et identitaire qui dominait, mais plutôt une empathie partagée par une large diversité de gens qui formaient tout d'un coup une communauté de deuil. Le traumatisme collectif du 13 novembre aura ainsi plutôt montré une société plurielle, liée par une souffrance et par la volonté de reconstruire une identité collective éthique. Dix ans plus tard, plusieurs récits s'affrontent, alors que la menace terroriste est encore élevée. D'un côté, l'extrême droite instrumentalise le traumatisme pour défendre une communauté nationale fermée, identitaire, excluante, et elle s'empare de tous les événements violents pour asseoir son narratif et susciter de la haine parmi la population française. Ce récit, en réalité, nous enferme. dans le traumatisme, puisqu'il rejoue sans cesse la violence originelle. Et elle génère de nouvelles violences. L'idéologie d'extrême droite est ainsi devenue la deuxième menace terroriste en France, après le djihadisme. De l'autre côté, les voix des survivants des attentats et des familles des victimes nous ouvrent la possibilité d'un autre récit. « Vous n'aurez pas ma haine » , écrivait dès 2016 le journaliste Antoine Léris après la mort de sa femme Hélène au Bataclan. Dix ans après, Cette phrase me semble tristement d'actualité, alors que les discours d'extrême droite se banalisent dans le champ politique et médiatique. De toutes nos forces, il nous faut donc lutter contre le récit xénophobe et défendre un récit d'ouverture vers un avenir commun et une éthique collective, afin que la souffrance du traumatisme du 13 novembre n'aboutisse pas à un redoublement de violences et à de nouvelles vies déchirées. Ils n'auront pas notre haine. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram sur mon compte Alice de Rochechouart. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Un grand merci à Elodie, Alix, Bruno, Alexandre, Étienne, Barthélémy, Romain, Aurélie, Claire, Denis, Nicolas, Franck, Béatrice, Gauthier, Florence, Bastien, Florian, Tristan, Mathieu, Clément, Cédric, Laurent, Olivier, Agathe, Vincent, Antoine, Mathilde, Odile, Stéphanie, Julia, Sylvain, Emeric, Lucille. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du fil d'actu. Merci et à très vite !

Description

Dix ans ont passé depuis les attentats terroristes du 13 novembre 2015, qui ont fait 130 victimes et 413 blessé.es. Survenus quelques mois après les attentats de Charlie Hebdo, le 13 novembre a été l’attaque terroriste la plus meurtrière de l’histoire française, et un véritable traumatisme. Comment le traumatisme redéfinit-il notre identité et le sens que nous donnons au monde ? Quelle est sa portée politique ? On en parle avec le philosophe Claude Romano.


Le Phil d'Actu, c'est le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité !

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  • Speaker #0

    Dix ans ont passé depuis les attentats terroristes du 13 novembre 2015 qui ont fait 130 victimes et 413 blessés. Survenu quelques mois après les attentats de Charlie Hebdo, le 13 novembre a été l'attaque terroriste la plus meurtrière de l'histoire française et un véritable traumatisme. Comment le traumatisme redéfinit-il notre identité et le sens que nous donnons au monde ? Et quelle est sa portée politique ? On en parle avec le philosophe Claude Romano. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez Le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don en cliquant sur la page indiquée en description. Et bien sûr, vous pouvez aussi acheter mon livre privilège aux éditions J.C. Lattès. Merci pour votre soutien. Le 13 novembre 2015, la France a subi les attaques terroristes les plus meurtrières de son histoire. À 21h20, trois terroristes se font exploser au Stade de France, faisant un mort et une dizaine de blessés. Quelques minutes plus tard, trois autres terroristes assassinent 39 personnes et font 32 blessés dans les rues des 10e et 11e arrondissements de Paris et à la terrasse de plusieurs cafés et restaurants. Enfin, à 21h40, trois terroristes pénètrent dans l'enceinte du Bataclan. et tire en rafale sur les spectateurs, faisant 90 morts et des dizaines de blessés graves. En moins d'une demi-heure, la France vient de subir l'un des plus grands traumatismes de son histoire. Un traumatisme est un choc violent, une blessure physique ou psychique, qui surgit de manière brutale, par effraction. C'est un événement qui interrompt le cours normal de l'existence, et qui met en péril sa continuité, puisqu'il se caractérise souvent par des séquelles graves. Le traumatisme n'est donc pas qu'une blessure ponctuelle, c'est un effondrement du monde familier et de la possibilité même de continuer à vivre sereinement. Le traumatisme nous met face à notre propre mort ou à notre extrême vulnérabilité, il nous fait perdre tout repère et tout sentiment de sécurité. Selon le philosophe Claude Romano, le traumatisme est le négatif de l'événement, son contraire. L'événement ouvre des possibles. Quand quelque chose se produit, cela nous bouscule et cela nous pousse à inventer un nouveau futur. A l'inverse, le traumatisme ferme le champ des possibles. Il nous enferme dans un choc qui n'est jamais passé mais qui nous hante, une blessure toujours présente qui nous rend prisonniers ou prisonnières de la souffrance. Le traumatisme, nous dit Romano, c'est ce qui revient sans cesse, inonde tout notre espace psychique, nous paralyse dans la douleur. Le traumatisme, c'est ce qui fait... que plus rien n'advient. Il bouche l'avenir et le sens de notre existence. Habituellement, nous passons en effet notre vie à tenter de nous approprier le monde, c'est-à-dire à le comprendre, à lui donner du sens, une unité. Nous vivons des événements, nous les mettons en récit, nous les incorporons, nous tissons un lien entre eux, nous nous remémorons certaines choses et nous en oublions d'autres. En fait, nous donnons un sens à ce que nous expérimentons. C'est-à-dire à la fois une signification et une orientation, une direction. C'est ce qu'on appelle l'identité narrative. Nous sommes le récit que nous faisons de nous-mêmes. Or, le traumatisme rend tout cela impossible. Sa violence nous met en état de choc, de sidération. Si bien que c'est un événement que nous ne pouvons pas faire nôtre. Nous ne sommes plus un sujet, nous dit Romano. Nous sommes au contraire assujettis à ce qui nous est arrivé. Nous ne parvenons pas à donner du sens à ce qui n'a de cesse de nous hanter. Nous sommes alors incapables de faire le travail d'incorporation et de mémoire, de mettre l'événement dans le passé, car le traumatisme ne cesse d'envahir le présent, il est constamment remémoré et revécu. C'est ce qu'on appelle le syndrome de stress post-traumatique. Le souvenir est omniprésent et empêche le processus de mémorisation, c'est-à-dire la procédure d'analyse et de mise à distance d'un événement. Ainsi, Le traumatisme éclate l'expérience, l'existence et l'identité. Il est une effraction, une altérité irréductible qui empêche de donner du sens à notre vécu, de mettre notre vie en récit. Alors, comment surmonter le traumatisme ? Évidemment, je ne suis pas psychologue et loin de moi l'idée de m'y substituer. Mais l'analyse philosophique de Claude Romano... nous permet de comprendre ce que peut vouloir dire guérir d'une blessure traumatique. Il s'agirait de réintégrer ce qui a fait effraction, de réincorporer ce qui nous paraît étranger. de mettre à distance ce qui nous envahit et ne cesse d'être présent. Autrement dit, guérir d'un traumatisme, cela consisterait à renouer avec l'identité narrative, c'est-à-dire pouvoir à nouveau nous raconter et raconter nos blessures. Car mettre en récit, c'est donner un sens, c'est agencer les événements, les mettre à distance dans le passé et ainsi se les réapproprier. Cela ne consiste pas à reconstruire le déroulé exact des faits, à décrire l'événement de manière objective, mais bien plutôt à l'intégrer à notre identité, à reconstruire une subjectivité qui avait été éclatée. Le récit permet à la fois de dire la déflagration et d'envisager la reconstruction, à la fois dans son vécu intime, dans son corps et dans le lien avec les autres. Car un récit, ça se raconte à quelqu'un. La guérison traumatique passe ainsi, pour Romano, par un rapport à autrui. « Nous ne sommes jamais seuls dans le monde » , nous dit-il, et la rencontre avec les autres se fait notamment en élaborant une histoire commune. Refaire le monde, refaire son monde et son identité, c'est ainsi refaire lien avec autrui. En partageant son traumatisme, on s'ouvre aux autres, et ce faisant, on réouvre des possibles en commun. Surtout que le traumatisme peut être collectif, par exemple dans le cadre d'un attentat terroriste. D'autant que la psychologie contemporaine s'accorde à dire que le traumatisme concerne aussi bien les victimes directes que les témoins. En l'occurrence, le traumatisme ne concerne pas seulement les victimes directes du 30 novembre et leurs familles, mais toute une population meurtrie par une violence indescriptible qui a fait effraction. Dans ce cas, le traumatisme s'attaque à la mémoire collective, c'est-à-dire au récit que nous faisons de notre communauté politique. Précisons que ce récit n'est pas une grande histoire figée, un récit officiel ou un roman national. Mais il est mouvant, dynamique, il est le produit de nos interactions, de nos valeurs et il doit être aussi bien transmis que réinterrogé et contesté. Dans le cadre d'un traumatisme comme celui du 13 novembre, l'enjeu est d'élaborer un récit collectif qui permette à la fois d'assurer l'unité d'une communauté autour d'un passé partagé et d'ouvrir un futur en commun. Comment ? Après les attentats du 13 novembre 2015, il y avait un risque élevé de produire un récit islamophobe, centré sur les thèmes d'extrême droite, du grand remplacement et des dangers de l'immigration. D'autant plus que les terroristes étaient français. Une partie de la population est effectivement tombée dans ce récit raciste et xénophobe, défendant le choc des civilisations. Immédiatement après les attentats, on a d'ailleurs assisté à une hausse importante des actes anti-musulmans. Mais ça n'a pas duré. Comme l'ont montré les travaux du sociologue Vincent Tibéry, les années 2015 et 2016 ont paradoxalement été marquées par une augmentation de la tolérance au sein de la société française. C'est en réalité une dynamique de fond depuis les années 90. La société est de plus en plus progressiste. En 2015, la grande majorité de la population ... s'est ainsi refusé à faire l'amalgame entre terroristes et musulmans. En janvier, après l'attentat de Charlie Hebdo, une manifestation pour la tolérance et la liberté d'expression a d'ailleurs rassemblé 4 millions de personnes partout en France, ce qui en fait le plus grand rassemblement de l'histoire française. Comment l'expliquer ? D'après Vincent Tibéry, le cadrage médiatique est déterminant dans l'opinion publique. Le récit politique et médiatique, qui est fait du traumatisme, va... influer sur la reconstruction de l'identité collective de la communauté meurtrie. Or, immédiatement après les attentats de Charlie Hebdo, la classe politique française a défendu un récit d'unité et de cohésion nationale. Par contraste, aux Etats-Unis, les attentats du 11 septembre 2001 avaient généré une augmentation des actes anti-musulmans ainsi que des préjugés racistes et xénophobes au sein de la population. Précisément parce que le récit mis en place par la classe politique était celui d'une guerre violente de la civilisation contre les barbares, d'une menace omniprésente et d'une nécessaire vengeance. En novembre 2015, en France, le discours a néanmoins été plus contrasté qu'en janvier. Cette fois-ci, François Hollande déclare l'état d'urgence et un an plus tard, il propose la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux. Une mesure censée unifier la communauté autour de la lutte contre le terrorisme et qui aura eu pour effet ... de banaliser des propositions de droite, voire d'extrême droite, dont nous subissons encore les conséquences actuellement. Aujourd'hui, l'approche sécuritaire l'emporte ainsi largement sur l'approche sociale et solidaire. Il ne reste pas moins qu'en 2015, il y a eu une forte résistance citoyenne contre les discours islamophobes. Et dans l'ensemble, malgré quelques percées de l'extrême droite et de la droite, c'est bien la volonté d'une démocratie partagée qui l'a emportée, autour d'un récit collectif de tolérance. Pour surmonter le traumatisme collectif, il faut ainsi s'interroger sur l'identité que nous voulons reconstruire ensemble. sur la manière dont nous pouvons intégrer cet événement à notre mémoire commune. Le traumatisme collectif nous demande de redéfinir les valeurs que nous voulons porter, de penser le récit que nous voulons écrire et la façon dont nous allons commémorer la blessure. En 2015, après les attentats du 13 novembre, plus de 7700 messages ont été déposés dans des mémoriaux éphémères par des Parisiens traumatisés. Une manière de partager le traumatisme. de reconstruire une communauté dévastée par la violence du choc et de mettre la souffrance en mots. Or, le sociologue Jérôme Truc, qui a analysé ces messages, a montré que ce n'était pas un sentiment nationaliste et identitaire qui dominait, mais plutôt une empathie partagée par une large diversité de gens qui formaient tout d'un coup une communauté de deuil. Le traumatisme collectif du 13 novembre aura ainsi plutôt montré une société plurielle, liée par une souffrance et par la volonté de reconstruire une identité collective éthique. Dix ans plus tard, plusieurs récits s'affrontent, alors que la menace terroriste est encore élevée. D'un côté, l'extrême droite instrumentalise le traumatisme pour défendre une communauté nationale fermée, identitaire, excluante, et elle s'empare de tous les événements violents pour asseoir son narratif et susciter de la haine parmi la population française. Ce récit, en réalité, nous enferme. dans le traumatisme, puisqu'il rejoue sans cesse la violence originelle. Et elle génère de nouvelles violences. L'idéologie d'extrême droite est ainsi devenue la deuxième menace terroriste en France, après le djihadisme. De l'autre côté, les voix des survivants des attentats et des familles des victimes nous ouvrent la possibilité d'un autre récit. « Vous n'aurez pas ma haine » , écrivait dès 2016 le journaliste Antoine Léris après la mort de sa femme Hélène au Bataclan. Dix ans après, Cette phrase me semble tristement d'actualité, alors que les discours d'extrême droite se banalisent dans le champ politique et médiatique. De toutes nos forces, il nous faut donc lutter contre le récit xénophobe et défendre un récit d'ouverture vers un avenir commun et une éthique collective, afin que la souffrance du traumatisme du 13 novembre n'aboutisse pas à un redoublement de violences et à de nouvelles vies déchirées. Ils n'auront pas notre haine. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram sur mon compte Alice de Rochechouart. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Un grand merci à Elodie, Alix, Bruno, Alexandre, Étienne, Barthélémy, Romain, Aurélie, Claire, Denis, Nicolas, Franck, Béatrice, Gauthier, Florence, Bastien, Florian, Tristan, Mathieu, Clément, Cédric, Laurent, Olivier, Agathe, Vincent, Antoine, Mathilde, Odile, Stéphanie, Julia, Sylvain, Emeric, Lucille. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du fil d'actu. Merci et à très vite !

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Dix ans ont passé depuis les attentats terroristes du 13 novembre 2015, qui ont fait 130 victimes et 413 blessé.es. Survenus quelques mois après les attentats de Charlie Hebdo, le 13 novembre a été l’attaque terroriste la plus meurtrière de l’histoire française, et un véritable traumatisme. Comment le traumatisme redéfinit-il notre identité et le sens que nous donnons au monde ? Quelle est sa portée politique ? On en parle avec le philosophe Claude Romano.


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    Dix ans ont passé depuis les attentats terroristes du 13 novembre 2015 qui ont fait 130 victimes et 413 blessés. Survenu quelques mois après les attentats de Charlie Hebdo, le 13 novembre a été l'attaque terroriste la plus meurtrière de l'histoire française et un véritable traumatisme. Comment le traumatisme redéfinit-il notre identité et le sens que nous donnons au monde ? Et quelle est sa portée politique ? On en parle avec le philosophe Claude Romano. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez Le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don en cliquant sur la page indiquée en description. Et bien sûr, vous pouvez aussi acheter mon livre privilège aux éditions J.C. Lattès. Merci pour votre soutien. Le 13 novembre 2015, la France a subi les attaques terroristes les plus meurtrières de son histoire. À 21h20, trois terroristes se font exploser au Stade de France, faisant un mort et une dizaine de blessés. Quelques minutes plus tard, trois autres terroristes assassinent 39 personnes et font 32 blessés dans les rues des 10e et 11e arrondissements de Paris et à la terrasse de plusieurs cafés et restaurants. Enfin, à 21h40, trois terroristes pénètrent dans l'enceinte du Bataclan. et tire en rafale sur les spectateurs, faisant 90 morts et des dizaines de blessés graves. En moins d'une demi-heure, la France vient de subir l'un des plus grands traumatismes de son histoire. Un traumatisme est un choc violent, une blessure physique ou psychique, qui surgit de manière brutale, par effraction. C'est un événement qui interrompt le cours normal de l'existence, et qui met en péril sa continuité, puisqu'il se caractérise souvent par des séquelles graves. Le traumatisme n'est donc pas qu'une blessure ponctuelle, c'est un effondrement du monde familier et de la possibilité même de continuer à vivre sereinement. Le traumatisme nous met face à notre propre mort ou à notre extrême vulnérabilité, il nous fait perdre tout repère et tout sentiment de sécurité. Selon le philosophe Claude Romano, le traumatisme est le négatif de l'événement, son contraire. L'événement ouvre des possibles. Quand quelque chose se produit, cela nous bouscule et cela nous pousse à inventer un nouveau futur. A l'inverse, le traumatisme ferme le champ des possibles. Il nous enferme dans un choc qui n'est jamais passé mais qui nous hante, une blessure toujours présente qui nous rend prisonniers ou prisonnières de la souffrance. Le traumatisme, nous dit Romano, c'est ce qui revient sans cesse, inonde tout notre espace psychique, nous paralyse dans la douleur. Le traumatisme, c'est ce qui fait... que plus rien n'advient. Il bouche l'avenir et le sens de notre existence. Habituellement, nous passons en effet notre vie à tenter de nous approprier le monde, c'est-à-dire à le comprendre, à lui donner du sens, une unité. Nous vivons des événements, nous les mettons en récit, nous les incorporons, nous tissons un lien entre eux, nous nous remémorons certaines choses et nous en oublions d'autres. En fait, nous donnons un sens à ce que nous expérimentons. C'est-à-dire à la fois une signification et une orientation, une direction. C'est ce qu'on appelle l'identité narrative. Nous sommes le récit que nous faisons de nous-mêmes. Or, le traumatisme rend tout cela impossible. Sa violence nous met en état de choc, de sidération. Si bien que c'est un événement que nous ne pouvons pas faire nôtre. Nous ne sommes plus un sujet, nous dit Romano. Nous sommes au contraire assujettis à ce qui nous est arrivé. Nous ne parvenons pas à donner du sens à ce qui n'a de cesse de nous hanter. Nous sommes alors incapables de faire le travail d'incorporation et de mémoire, de mettre l'événement dans le passé, car le traumatisme ne cesse d'envahir le présent, il est constamment remémoré et revécu. C'est ce qu'on appelle le syndrome de stress post-traumatique. Le souvenir est omniprésent et empêche le processus de mémorisation, c'est-à-dire la procédure d'analyse et de mise à distance d'un événement. Ainsi, Le traumatisme éclate l'expérience, l'existence et l'identité. Il est une effraction, une altérité irréductible qui empêche de donner du sens à notre vécu, de mettre notre vie en récit. Alors, comment surmonter le traumatisme ? Évidemment, je ne suis pas psychologue et loin de moi l'idée de m'y substituer. Mais l'analyse philosophique de Claude Romano... nous permet de comprendre ce que peut vouloir dire guérir d'une blessure traumatique. Il s'agirait de réintégrer ce qui a fait effraction, de réincorporer ce qui nous paraît étranger. de mettre à distance ce qui nous envahit et ne cesse d'être présent. Autrement dit, guérir d'un traumatisme, cela consisterait à renouer avec l'identité narrative, c'est-à-dire pouvoir à nouveau nous raconter et raconter nos blessures. Car mettre en récit, c'est donner un sens, c'est agencer les événements, les mettre à distance dans le passé et ainsi se les réapproprier. Cela ne consiste pas à reconstruire le déroulé exact des faits, à décrire l'événement de manière objective, mais bien plutôt à l'intégrer à notre identité, à reconstruire une subjectivité qui avait été éclatée. Le récit permet à la fois de dire la déflagration et d'envisager la reconstruction, à la fois dans son vécu intime, dans son corps et dans le lien avec les autres. Car un récit, ça se raconte à quelqu'un. La guérison traumatique passe ainsi, pour Romano, par un rapport à autrui. « Nous ne sommes jamais seuls dans le monde » , nous dit-il, et la rencontre avec les autres se fait notamment en élaborant une histoire commune. Refaire le monde, refaire son monde et son identité, c'est ainsi refaire lien avec autrui. En partageant son traumatisme, on s'ouvre aux autres, et ce faisant, on réouvre des possibles en commun. Surtout que le traumatisme peut être collectif, par exemple dans le cadre d'un attentat terroriste. D'autant que la psychologie contemporaine s'accorde à dire que le traumatisme concerne aussi bien les victimes directes que les témoins. En l'occurrence, le traumatisme ne concerne pas seulement les victimes directes du 30 novembre et leurs familles, mais toute une population meurtrie par une violence indescriptible qui a fait effraction. Dans ce cas, le traumatisme s'attaque à la mémoire collective, c'est-à-dire au récit que nous faisons de notre communauté politique. Précisons que ce récit n'est pas une grande histoire figée, un récit officiel ou un roman national. Mais il est mouvant, dynamique, il est le produit de nos interactions, de nos valeurs et il doit être aussi bien transmis que réinterrogé et contesté. Dans le cadre d'un traumatisme comme celui du 13 novembre, l'enjeu est d'élaborer un récit collectif qui permette à la fois d'assurer l'unité d'une communauté autour d'un passé partagé et d'ouvrir un futur en commun. Comment ? Après les attentats du 13 novembre 2015, il y avait un risque élevé de produire un récit islamophobe, centré sur les thèmes d'extrême droite, du grand remplacement et des dangers de l'immigration. D'autant plus que les terroristes étaient français. Une partie de la population est effectivement tombée dans ce récit raciste et xénophobe, défendant le choc des civilisations. Immédiatement après les attentats, on a d'ailleurs assisté à une hausse importante des actes anti-musulmans. Mais ça n'a pas duré. Comme l'ont montré les travaux du sociologue Vincent Tibéry, les années 2015 et 2016 ont paradoxalement été marquées par une augmentation de la tolérance au sein de la société française. C'est en réalité une dynamique de fond depuis les années 90. La société est de plus en plus progressiste. En 2015, la grande majorité de la population ... s'est ainsi refusé à faire l'amalgame entre terroristes et musulmans. En janvier, après l'attentat de Charlie Hebdo, une manifestation pour la tolérance et la liberté d'expression a d'ailleurs rassemblé 4 millions de personnes partout en France, ce qui en fait le plus grand rassemblement de l'histoire française. Comment l'expliquer ? D'après Vincent Tibéry, le cadrage médiatique est déterminant dans l'opinion publique. Le récit politique et médiatique, qui est fait du traumatisme, va... influer sur la reconstruction de l'identité collective de la communauté meurtrie. Or, immédiatement après les attentats de Charlie Hebdo, la classe politique française a défendu un récit d'unité et de cohésion nationale. Par contraste, aux Etats-Unis, les attentats du 11 septembre 2001 avaient généré une augmentation des actes anti-musulmans ainsi que des préjugés racistes et xénophobes au sein de la population. Précisément parce que le récit mis en place par la classe politique était celui d'une guerre violente de la civilisation contre les barbares, d'une menace omniprésente et d'une nécessaire vengeance. En novembre 2015, en France, le discours a néanmoins été plus contrasté qu'en janvier. Cette fois-ci, François Hollande déclare l'état d'urgence et un an plus tard, il propose la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux. Une mesure censée unifier la communauté autour de la lutte contre le terrorisme et qui aura eu pour effet ... de banaliser des propositions de droite, voire d'extrême droite, dont nous subissons encore les conséquences actuellement. Aujourd'hui, l'approche sécuritaire l'emporte ainsi largement sur l'approche sociale et solidaire. Il ne reste pas moins qu'en 2015, il y a eu une forte résistance citoyenne contre les discours islamophobes. Et dans l'ensemble, malgré quelques percées de l'extrême droite et de la droite, c'est bien la volonté d'une démocratie partagée qui l'a emportée, autour d'un récit collectif de tolérance. Pour surmonter le traumatisme collectif, il faut ainsi s'interroger sur l'identité que nous voulons reconstruire ensemble. sur la manière dont nous pouvons intégrer cet événement à notre mémoire commune. Le traumatisme collectif nous demande de redéfinir les valeurs que nous voulons porter, de penser le récit que nous voulons écrire et la façon dont nous allons commémorer la blessure. En 2015, après les attentats du 13 novembre, plus de 7700 messages ont été déposés dans des mémoriaux éphémères par des Parisiens traumatisés. Une manière de partager le traumatisme. de reconstruire une communauté dévastée par la violence du choc et de mettre la souffrance en mots. Or, le sociologue Jérôme Truc, qui a analysé ces messages, a montré que ce n'était pas un sentiment nationaliste et identitaire qui dominait, mais plutôt une empathie partagée par une large diversité de gens qui formaient tout d'un coup une communauté de deuil. Le traumatisme collectif du 13 novembre aura ainsi plutôt montré une société plurielle, liée par une souffrance et par la volonté de reconstruire une identité collective éthique. Dix ans plus tard, plusieurs récits s'affrontent, alors que la menace terroriste est encore élevée. D'un côté, l'extrême droite instrumentalise le traumatisme pour défendre une communauté nationale fermée, identitaire, excluante, et elle s'empare de tous les événements violents pour asseoir son narratif et susciter de la haine parmi la population française. Ce récit, en réalité, nous enferme. dans le traumatisme, puisqu'il rejoue sans cesse la violence originelle. Et elle génère de nouvelles violences. L'idéologie d'extrême droite est ainsi devenue la deuxième menace terroriste en France, après le djihadisme. De l'autre côté, les voix des survivants des attentats et des familles des victimes nous ouvrent la possibilité d'un autre récit. « Vous n'aurez pas ma haine » , écrivait dès 2016 le journaliste Antoine Léris après la mort de sa femme Hélène au Bataclan. Dix ans après, Cette phrase me semble tristement d'actualité, alors que les discours d'extrême droite se banalisent dans le champ politique et médiatique. De toutes nos forces, il nous faut donc lutter contre le récit xénophobe et défendre un récit d'ouverture vers un avenir commun et une éthique collective, afin que la souffrance du traumatisme du 13 novembre n'aboutisse pas à un redoublement de violences et à de nouvelles vies déchirées. Ils n'auront pas notre haine. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram sur mon compte Alice de Rochechouart. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Un grand merci à Elodie, Alix, Bruno, Alexandre, Étienne, Barthélémy, Romain, Aurélie, Claire, Denis, Nicolas, Franck, Béatrice, Gauthier, Florence, Bastien, Florian, Tristan, Mathieu, Clément, Cédric, Laurent, Olivier, Agathe, Vincent, Antoine, Mathilde, Odile, Stéphanie, Julia, Sylvain, Emeric, Lucille. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du fil d'actu. Merci et à très vite !

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Dix ans ont passé depuis les attentats terroristes du 13 novembre 2015, qui ont fait 130 victimes et 413 blessé.es. Survenus quelques mois après les attentats de Charlie Hebdo, le 13 novembre a été l’attaque terroriste la plus meurtrière de l’histoire française, et un véritable traumatisme. Comment le traumatisme redéfinit-il notre identité et le sens que nous donnons au monde ? Quelle est sa portée politique ? On en parle avec le philosophe Claude Romano.


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    Dix ans ont passé depuis les attentats terroristes du 13 novembre 2015 qui ont fait 130 victimes et 413 blessés. Survenu quelques mois après les attentats de Charlie Hebdo, le 13 novembre a été l'attaque terroriste la plus meurtrière de l'histoire française et un véritable traumatisme. Comment le traumatisme redéfinit-il notre identité et le sens que nous donnons au monde ? Et quelle est sa portée politique ? On en parle avec le philosophe Claude Romano. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez Le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don en cliquant sur la page indiquée en description. Et bien sûr, vous pouvez aussi acheter mon livre privilège aux éditions J.C. Lattès. Merci pour votre soutien. Le 13 novembre 2015, la France a subi les attaques terroristes les plus meurtrières de son histoire. À 21h20, trois terroristes se font exploser au Stade de France, faisant un mort et une dizaine de blessés. Quelques minutes plus tard, trois autres terroristes assassinent 39 personnes et font 32 blessés dans les rues des 10e et 11e arrondissements de Paris et à la terrasse de plusieurs cafés et restaurants. Enfin, à 21h40, trois terroristes pénètrent dans l'enceinte du Bataclan. et tire en rafale sur les spectateurs, faisant 90 morts et des dizaines de blessés graves. En moins d'une demi-heure, la France vient de subir l'un des plus grands traumatismes de son histoire. Un traumatisme est un choc violent, une blessure physique ou psychique, qui surgit de manière brutale, par effraction. C'est un événement qui interrompt le cours normal de l'existence, et qui met en péril sa continuité, puisqu'il se caractérise souvent par des séquelles graves. Le traumatisme n'est donc pas qu'une blessure ponctuelle, c'est un effondrement du monde familier et de la possibilité même de continuer à vivre sereinement. Le traumatisme nous met face à notre propre mort ou à notre extrême vulnérabilité, il nous fait perdre tout repère et tout sentiment de sécurité. Selon le philosophe Claude Romano, le traumatisme est le négatif de l'événement, son contraire. L'événement ouvre des possibles. Quand quelque chose se produit, cela nous bouscule et cela nous pousse à inventer un nouveau futur. A l'inverse, le traumatisme ferme le champ des possibles. Il nous enferme dans un choc qui n'est jamais passé mais qui nous hante, une blessure toujours présente qui nous rend prisonniers ou prisonnières de la souffrance. Le traumatisme, nous dit Romano, c'est ce qui revient sans cesse, inonde tout notre espace psychique, nous paralyse dans la douleur. Le traumatisme, c'est ce qui fait... que plus rien n'advient. Il bouche l'avenir et le sens de notre existence. Habituellement, nous passons en effet notre vie à tenter de nous approprier le monde, c'est-à-dire à le comprendre, à lui donner du sens, une unité. Nous vivons des événements, nous les mettons en récit, nous les incorporons, nous tissons un lien entre eux, nous nous remémorons certaines choses et nous en oublions d'autres. En fait, nous donnons un sens à ce que nous expérimentons. C'est-à-dire à la fois une signification et une orientation, une direction. C'est ce qu'on appelle l'identité narrative. Nous sommes le récit que nous faisons de nous-mêmes. Or, le traumatisme rend tout cela impossible. Sa violence nous met en état de choc, de sidération. Si bien que c'est un événement que nous ne pouvons pas faire nôtre. Nous ne sommes plus un sujet, nous dit Romano. Nous sommes au contraire assujettis à ce qui nous est arrivé. Nous ne parvenons pas à donner du sens à ce qui n'a de cesse de nous hanter. Nous sommes alors incapables de faire le travail d'incorporation et de mémoire, de mettre l'événement dans le passé, car le traumatisme ne cesse d'envahir le présent, il est constamment remémoré et revécu. C'est ce qu'on appelle le syndrome de stress post-traumatique. Le souvenir est omniprésent et empêche le processus de mémorisation, c'est-à-dire la procédure d'analyse et de mise à distance d'un événement. Ainsi, Le traumatisme éclate l'expérience, l'existence et l'identité. Il est une effraction, une altérité irréductible qui empêche de donner du sens à notre vécu, de mettre notre vie en récit. Alors, comment surmonter le traumatisme ? Évidemment, je ne suis pas psychologue et loin de moi l'idée de m'y substituer. Mais l'analyse philosophique de Claude Romano... nous permet de comprendre ce que peut vouloir dire guérir d'une blessure traumatique. Il s'agirait de réintégrer ce qui a fait effraction, de réincorporer ce qui nous paraît étranger. de mettre à distance ce qui nous envahit et ne cesse d'être présent. Autrement dit, guérir d'un traumatisme, cela consisterait à renouer avec l'identité narrative, c'est-à-dire pouvoir à nouveau nous raconter et raconter nos blessures. Car mettre en récit, c'est donner un sens, c'est agencer les événements, les mettre à distance dans le passé et ainsi se les réapproprier. Cela ne consiste pas à reconstruire le déroulé exact des faits, à décrire l'événement de manière objective, mais bien plutôt à l'intégrer à notre identité, à reconstruire une subjectivité qui avait été éclatée. Le récit permet à la fois de dire la déflagration et d'envisager la reconstruction, à la fois dans son vécu intime, dans son corps et dans le lien avec les autres. Car un récit, ça se raconte à quelqu'un. La guérison traumatique passe ainsi, pour Romano, par un rapport à autrui. « Nous ne sommes jamais seuls dans le monde » , nous dit-il, et la rencontre avec les autres se fait notamment en élaborant une histoire commune. Refaire le monde, refaire son monde et son identité, c'est ainsi refaire lien avec autrui. En partageant son traumatisme, on s'ouvre aux autres, et ce faisant, on réouvre des possibles en commun. Surtout que le traumatisme peut être collectif, par exemple dans le cadre d'un attentat terroriste. D'autant que la psychologie contemporaine s'accorde à dire que le traumatisme concerne aussi bien les victimes directes que les témoins. En l'occurrence, le traumatisme ne concerne pas seulement les victimes directes du 30 novembre et leurs familles, mais toute une population meurtrie par une violence indescriptible qui a fait effraction. Dans ce cas, le traumatisme s'attaque à la mémoire collective, c'est-à-dire au récit que nous faisons de notre communauté politique. Précisons que ce récit n'est pas une grande histoire figée, un récit officiel ou un roman national. Mais il est mouvant, dynamique, il est le produit de nos interactions, de nos valeurs et il doit être aussi bien transmis que réinterrogé et contesté. Dans le cadre d'un traumatisme comme celui du 13 novembre, l'enjeu est d'élaborer un récit collectif qui permette à la fois d'assurer l'unité d'une communauté autour d'un passé partagé et d'ouvrir un futur en commun. Comment ? Après les attentats du 13 novembre 2015, il y avait un risque élevé de produire un récit islamophobe, centré sur les thèmes d'extrême droite, du grand remplacement et des dangers de l'immigration. D'autant plus que les terroristes étaient français. Une partie de la population est effectivement tombée dans ce récit raciste et xénophobe, défendant le choc des civilisations. Immédiatement après les attentats, on a d'ailleurs assisté à une hausse importante des actes anti-musulmans. Mais ça n'a pas duré. Comme l'ont montré les travaux du sociologue Vincent Tibéry, les années 2015 et 2016 ont paradoxalement été marquées par une augmentation de la tolérance au sein de la société française. C'est en réalité une dynamique de fond depuis les années 90. La société est de plus en plus progressiste. En 2015, la grande majorité de la population ... s'est ainsi refusé à faire l'amalgame entre terroristes et musulmans. En janvier, après l'attentat de Charlie Hebdo, une manifestation pour la tolérance et la liberté d'expression a d'ailleurs rassemblé 4 millions de personnes partout en France, ce qui en fait le plus grand rassemblement de l'histoire française. Comment l'expliquer ? D'après Vincent Tibéry, le cadrage médiatique est déterminant dans l'opinion publique. Le récit politique et médiatique, qui est fait du traumatisme, va... influer sur la reconstruction de l'identité collective de la communauté meurtrie. Or, immédiatement après les attentats de Charlie Hebdo, la classe politique française a défendu un récit d'unité et de cohésion nationale. Par contraste, aux Etats-Unis, les attentats du 11 septembre 2001 avaient généré une augmentation des actes anti-musulmans ainsi que des préjugés racistes et xénophobes au sein de la population. Précisément parce que le récit mis en place par la classe politique était celui d'une guerre violente de la civilisation contre les barbares, d'une menace omniprésente et d'une nécessaire vengeance. En novembre 2015, en France, le discours a néanmoins été plus contrasté qu'en janvier. Cette fois-ci, François Hollande déclare l'état d'urgence et un an plus tard, il propose la déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux. Une mesure censée unifier la communauté autour de la lutte contre le terrorisme et qui aura eu pour effet ... de banaliser des propositions de droite, voire d'extrême droite, dont nous subissons encore les conséquences actuellement. Aujourd'hui, l'approche sécuritaire l'emporte ainsi largement sur l'approche sociale et solidaire. Il ne reste pas moins qu'en 2015, il y a eu une forte résistance citoyenne contre les discours islamophobes. Et dans l'ensemble, malgré quelques percées de l'extrême droite et de la droite, c'est bien la volonté d'une démocratie partagée qui l'a emportée, autour d'un récit collectif de tolérance. Pour surmonter le traumatisme collectif, il faut ainsi s'interroger sur l'identité que nous voulons reconstruire ensemble. sur la manière dont nous pouvons intégrer cet événement à notre mémoire commune. Le traumatisme collectif nous demande de redéfinir les valeurs que nous voulons porter, de penser le récit que nous voulons écrire et la façon dont nous allons commémorer la blessure. En 2015, après les attentats du 13 novembre, plus de 7700 messages ont été déposés dans des mémoriaux éphémères par des Parisiens traumatisés. Une manière de partager le traumatisme. de reconstruire une communauté dévastée par la violence du choc et de mettre la souffrance en mots. Or, le sociologue Jérôme Truc, qui a analysé ces messages, a montré que ce n'était pas un sentiment nationaliste et identitaire qui dominait, mais plutôt une empathie partagée par une large diversité de gens qui formaient tout d'un coup une communauté de deuil. Le traumatisme collectif du 13 novembre aura ainsi plutôt montré une société plurielle, liée par une souffrance et par la volonté de reconstruire une identité collective éthique. Dix ans plus tard, plusieurs récits s'affrontent, alors que la menace terroriste est encore élevée. D'un côté, l'extrême droite instrumentalise le traumatisme pour défendre une communauté nationale fermée, identitaire, excluante, et elle s'empare de tous les événements violents pour asseoir son narratif et susciter de la haine parmi la population française. Ce récit, en réalité, nous enferme. dans le traumatisme, puisqu'il rejoue sans cesse la violence originelle. Et elle génère de nouvelles violences. L'idéologie d'extrême droite est ainsi devenue la deuxième menace terroriste en France, après le djihadisme. De l'autre côté, les voix des survivants des attentats et des familles des victimes nous ouvrent la possibilité d'un autre récit. « Vous n'aurez pas ma haine » , écrivait dès 2016 le journaliste Antoine Léris après la mort de sa femme Hélène au Bataclan. Dix ans après, Cette phrase me semble tristement d'actualité, alors que les discours d'extrême droite se banalisent dans le champ politique et médiatique. De toutes nos forces, il nous faut donc lutter contre le récit xénophobe et défendre un récit d'ouverture vers un avenir commun et une éthique collective, afin que la souffrance du traumatisme du 13 novembre n'aboutisse pas à un redoublement de violences et à de nouvelles vies déchirées. Ils n'auront pas notre haine. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram sur mon compte Alice de Rochechouart. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Un grand merci à Elodie, Alix, Bruno, Alexandre, Étienne, Barthélémy, Romain, Aurélie, Claire, Denis, Nicolas, Franck, Béatrice, Gauthier, Florence, Bastien, Florian, Tristan, Mathieu, Clément, Cédric, Laurent, Olivier, Agathe, Vincent, Antoine, Mathilde, Odile, Stéphanie, Julia, Sylvain, Emeric, Lucille. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du fil d'actu. Merci et à très vite !

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